vendredi 8 novembre 2024

Ribera, Ténèbres et Lumière au Petit-Palais en octobre 2024


Une exposition somptueuse dont voici la présentation et l'essentiel des œuvres :

Le Petit Palais rend hommage, pour la première fois en France, au grand peintre espagnol Jusepe de Ribera (1591-1652). Né à Játiva près de Valence, Ribera quitte l'Espagne jeune, pour ne jamais y revenir. Vers 1605-1606, alors âgé de quinze ans à peine, il s'installe à Rome, où il côtoie l'oeuvre du Caravage. Cette rencontre le marque à jamais. Adepte pionnier du caravagisme, il contribue activement à son renouveau. En 1616, Ribera s'établit définitivement à Naples, alors possession espagnole. Sa carrière est fulgurante. Recherché par les vice-rois qui gouvernent la ville, l'aristocratie locale et les ordres religieux, il multiplie les commandes prestigieuses, à Naples et en Espagne.
Aux yeux de ses contemporains, Ribera est «< plus sombre et plus féroce » encore que Caravage ! Pour lui, tout tableau - qu'il s'agisse d'un mendiant, d'un philosophe ou d'un saint - procède de la réalité, qu'il transpose dans son propre langage. La gestuelle est théâtrale, les coloris noirs ou flamboyants, le réalisme cru et le clair-obscur dramatique. Avec une même acuité, il traduit la dignité du quotidien aussi bien que la violence des scènes de torture. Ce « ténébrisme » extrême - avec la noirceur de ses sujets, la densité de la pénombre et la férocité du réalisme - lui vaut au XIXe siècle une immense notoriété, de Baudelaire à Manet.
Avec plus d'une centaine de peintures, dessins et estampes venus du monde entier, l'exposition retrace pour la première fois l'ensemble de la carrière de Ribera : les intenses années romaines, reconstituées depuis peu, et l'éclatante période napolitaine. Il en ressort une évidence. Ribera, l'héritier terrible du Caravage, s'impose comme l'un des interprètes les plus précoces, les plus audacieux et les plus extrêmes de la révolution caravagesque, et au-delà comme l'un des plus grands maîtres de l'âge baroque.

Democrite
Vers 1615-1616
Huile sur toile
Collection particulière

Democrite
Vers 1615-1616
Huile sur toile
Collection particulière
Un vieil homme au visage creusé par les rides adresse au spectateur un large sourire. Il incarne Démocrite, philosophe présocratique connu pour son attitude ironique à l'égard de la condition humaine, symbolisée ici par la sphère armillaire, dont il a pris parti de rire. Il est souvent le pendant d'Héraclite, généralement représenté en pleurs, en signe d'affliction face à la misère du monde. La touche, plus fluide et moins impétueuse que celle du Mendiant « Borghèse », situe notre Démocrite vers la fin du séjour romain de Ribera.

JUSEPE DE RIBERA
Allégorie de l'odorat
Allegory of Smell
Vers 1615-1616
Huile sur toile
Madrid, Collection Abelló
La série des Cinq Sens aurait été commandée par Pedro Cosida, représentant commercial du roi d'Espagne à Rome. Avec originalité, Ribera traite l'allégorie à l'image d'une scène de genre tirée du quotidien dans une veine des plus naturalistes. L'odorat est personnifié par un gueux portant un chapeau informe, au visage creusé et à la barbe fournie, vêtu de guenilles. Ribera suggère l'odeur puissante qui se dégage de l'oignon coupé par la larme coulant au coin de l'oeil du modèle. Un autre oignon, entier, une tête d'ail et un brin de fleur d'oranger sont disposés négligemment sur la table au premier plan.

Un mendiant
A Beggar
Vers 1612-1613
Huile sur toile
Rome, Galleria Borghese
Avec son regard direct, ses mains rougeaudes qui nous tendent un béret pour demander l'aumône, ce mendiant en haillons incarne les personnages humbles que Ribera sait si bien mettre en lumière. Le traitement frontal d'une figure à mi-corps au plus près du spectateur, les larges coups de pinceau et les forts accents lumineux sont caractéristiques des premières productions romaines de l'artiste. L'œuvre, présente dans les collections Borghèse dès le début du xvir®, est révolutionnaire: jamais auparavant on n'avait porté une telle attention sincère à une figure du peuple. Ce marginal, peut-être croisé dans les rues de Rome, saisit profondément par la vérité de son dépouillement.

Un philosophe
A Philosopher
Vers 1612-1615
Huile sur toile
Londres, collection particulière,
Courtesy of Adam Williams Fine Art
Réapparu à Paris en 2020, ce portrait énergique de vieillard est un ajout récent au catalogue de la période romaine de Ribera. Le visage buriné, la peau extrêmement ridée, ce vieillard présente une physionomie bonhomme, arborant un large sourire un brin narquois. Le béret orné d'une plume constitue une touche d'élégance qui contraste sur le vêtement modeste, formé de tissus rapiécés.
Assis derrière une table, il tient dans ses mains une liasse de feuilles sur lesquelles sont dessinées des figures géométriques. Incarne-t-il un célèbre mathématicien des temps anciens? Certains ont voulu y voir Archimède, Euclide, Pythagore ou Apollonios de Perga.

Allégorie du goût Allegory of Taste
Vers 1615-1616
Huile sur toile
Hartford, Wadsworth Atheneum Museum of Art The Ella Group Sumner and Mary Catlin Sumner Collection Fund

D'APRÈS GUIDO RENI
Tête de vieillard [Sénèque?]
Head of an Old Man [Seneca?]
1600-1603
Terre cuite
Rome, VIVE - Vittoriano e Palazzo Venezia
Guido Reni a réalisé des esquisses et un buste en terre cuite en prenant pour modèle un
manutentionnaire rencontré sur les rives du Tibre, au port de Ripa. On sait que Reni l'admirait pour sa ressemblance avec une sculpture antique que l'on pensait être celle du philosophe Sénèque. Le buste a été amplement reproduit et devient rapidement un accessoire d'atelier qui inspirera largement les artistes, dont Ribera. Deux orientations sont à l'oeuvre dans cette sculpture: celle du modèle offert par l'antique et celle de la pratique d'après le modèle vivant.

Trouver sa voie trouver sa place
Le jeune Ribera travaille d'abord à la journée, pour le marché de l'art, comme tout novice arrivé à Rome à l'orée du XVIIe siècle. Il force l'admiration de ses contemporains par sa rapidité d'exécution. En deux jours, il brosse un saint, et en cinq, une grande composition. À cette virtuosité technique, il associe une prédilection pour la série et se fait notamment connaître pour ses Apostolados. Ces cycles, très en vogue en Espagne, présentent le Christ et les douze apôtres, de manière isolée. Les deux Apostolados exécutés par Ribera à Rome, à quelques années d'intervalle, permettent de mesurer l'évolution fulgurante de l'artiste. Peints «d'après nature», ce sont de véritables «portraits>> de saints, incarnés par les modèles privilégiés du peintre, choisis dans son environnement quotidien. Les personnages à mi-corps du premier Apostolado, dit «
Avec le soutien de la communauté espagnole, "lo Spagnoletto" accède rapidement au cercle des plus grands collectionneurs de la ville, parmi lesquels le marquis Vincenzo Giustiniani, le cardinal Scipione Borghese et le duc Mario Farnese, qu'il accompagne à Parme en 1611. En une dizaine d'années, Ribera trouve sa voie et se fait un nom dans la plus importante capitale artistique de l'époque.

Saint Jude Thaddée
Saint Jude Thaddaeus
Vers 1607-1609
Huile sur toile
Rennes, musée des Beaux-Arts
Ces figures sont issues d'un Apostolado, un ensemble de treize toiles indépendantes représentant, de manière isolée, le Christ
et les douze apôtres. Ce thème pictural, qui connaît une faveur particulière en Espagne à partir du début du XVIIe siècle, est repris par le jeune Ribera à Rome. Les figures à mi-corps de ce premier Apostolado, dit «aux cartels », sont encore un peu maladroites. Elles présentent des poses et des attributs variés qui permettent de les reconnaître. L'attitude dynamique de saint Thomas - le corps contorsionné, la main et la bouche ouvertes - traduit une recherche accrue du mouvement, à l'opposé de ce que propose Ribera dans l'Apostolado "Cosida" quelques années plus tard.

Saint Jude Thaddée Saint Jude Thaddaeus
Rennes, musée des Beaux-Arts

Apostolado dit "aux cartels" Apostolado known as the "cartellini Apostolado"
Vers 1607-1609 Huiles sur toile

Christ bénissant
Christ Blessing
Rennes, musée des Beaux-Arts,


Saint guerrier
Warrior Saint
Vers 1614-1615 Huile sur toile
Montauban, musée Ingres Bourdelle
Ce saint guerrier dont l'identification est incertaine apparaît comme le portrait vivant d'un homme au visage marqué par la fatigue. L'oeuvre révèle l'habitude qu'avait Ribera de travailler d'après nature. Surgissant d'un fond sombre, le visage et les mains sont mis en valeur par les beaux effets de contraste entre la couleur noire et la doublure rouge de la cape. Ribera donne vie à la peinture religieuse, par la proximité de modèles tirés de son quotidien. Derrière le saint se dévoile un authentique portrait.

Saint Thomas
Saint Thomas
Vers 1613
Huile sur toile
Florence, Fondazione di Studi di Storia
dell'Arte Roberto Longhi

Saint Jude Thaddée [?]
Saint Jude Thaddaeus [?]
Vers 1613
Huile sur toile
Florence

Détail du tableau précédent 

Saint Barthélemy
Saint Bartholomew
Vers 1613
Huile sur toile
Florence, Fondazione di Studi di Storia
dell'Arte Roberto Longhi
Il s'agit du deuxième Apostolado connu de Ribera, dit << Cosida»>, du nom de son commanditaire, Pedro Cosida, agent du roi d'Espagne à Rome et collectionneur. Les figures à mi-jambes, d'un format légèrement agrandi par rapport au premier Apostolado, se détachent d'un fond uni, traversé d'un violent rai de lumière en diagonale, à la manière du Caravage. Les têtes, aux physionomies très individualisées, sont ceintes d'une auréole dorée. Les lourds manteaux aux plis amples animent les figures et enveloppent leur présence sculpturale. Ribera construit un véritable dispositif scénique autour de ces effigies à la monumentalité inédite.

Saint Pierre et saint Paul
Saints Peter and Paul
Vers 1616-1617
Signé en bas au centre, sur le bloc de pierre: JOSEPHUS RIBERA. HISPANUS VALEN/TINUS CIVITATIS SETABIS ACA/DEMICUS ROMANUS
Huile sur toile
Strasbourg, musée des Beaux-Arts
Les deux apôtres sont ici saisis en pleine discussion animée autour des écrits présents sur le grand rouleau qui les sépare. La main de saint Paul tendue vers l'arrière et tenant une épée fait écho au bloc de pierre saillant vers l'avant en partie basse. Ribera insuffle un mouvement nouveau à ces deux figures, prises dans un véritable dialogue. Les coloris chatoyants, la virtuosité de la nature morte au livre ouvert au premier plan et l'interpellation du regard par saint Paul rendent vivant ce débat théologique.

Détail du tableau précédent 



Ribera découvert
Notre connaissance du jeune Ribera, avant son installation à Naples, s'est longtemps limitée à quelques rares mentions biographiques et à un nombre d'oeuvres très réduit.
Le << Ribera romain» a été redécouvert en 2002, lorsque les tableaux rassemblés sous le nom de convention de «Maitre du Jugement de Salomon», d'après la toile éponyme (présentée ici), ont été identifiés comme étant de Ribera. Ce mystérieux peintre anonyme, l'un des caravagesques les plus intrigants de la scène romaine, n'était donc pas un artiste français, comme on l'a longtemps cru, mais bien Ribera, le jeune prodige espagnol. Soudainement, le corpus de Ribera s'est enrichi d'une soixantaine d'oeuvres, qui témoignent d'un changement d'envergure radical - de format, d'ambition et de destination. Dans le sillage de Caravage, Ribera renouvelle la représentation de l'histoire sainte. Il l'interprète «d'après nature >>, avec une rare intensité, associée à une profonde humanité. À ce titre, Le Reniement de saint Pierre prend la forme d'un drame contemporain qui se déroule au cœur d'une taverne, sous les yeux du spectateur, lui-même pris à partie. Ribera invente ainsi un prototype voué à un immense succès. Ces compositions monumentales, en frise, à l'avant-garde du caravagisme, sont alors présentées dans les plus beaux palais de Rome, dont celui du cardinal Scipione Borghese, l'heureux propriétaire du fameux Jugement de Salomon. 

JUSEPE DE RIBERA
Le Couronnement d'épines
The Crowning with Thorns
Vers 1611-1612
Huile sur toile
Amsterdam, Rob Smeets Gallery
De nombreuses scènes de couronnement d'épines peintes par des artistes caravagesques s'inspirent d'une célèbre version du Caravage (Kunsthistorisches Museum, Vienne). Ribera s'approprie ce prototype et le réinvente. Parmi les bourreaux figurent le fameux modèle chauve - encore lui! - ainsi qu'un jeune homme grimaçant qui, le pouce placé entre l'index et le majeur, effectue le geste injurieux de la «

Le Jugement de Salomon
The Judgement of Solomon
Vers 1609-1610
Huile sur toile
Rome, Galleria Borghese
La scène est tirée d'un épisode de l'Ancien Testament au cours duquel le roi Salomon est pris à partie par deux femmes se réclamant chacune être la mère d'un nouveau-né. Après avoir proposé de couper l'enfant en deux pour satisfaire chacune, le roi reconnaît la vraie mère en celle qui préfère se séparer de son bébé plutôt que de le tuer. La mise en scène est particulièrement théâtrale: le décor est fermé à gauche par un pilier, à droite par une figure de profil. La lumière éclairant violemment la scène par la gauche met en valeur la rhétorique de la gestuelle attachée à chaque acteur.

Deux philosophes [Anaxagore et Lacydès?] Two Philosophers [Anaxagoras and Lacydes?]
Vers 1612-1613
Huile sur toile
Saint-Omer, musée Sandelin
Les deux personnages dialoguent à travers une gestuelle éloquente, très accentuée, qui les rapproche presque de la pantomime. L'identification des deux protagonistes demeure incertaine: les noms d'Anaxagore et de Lacydès inscrits sur les livres associés à chacune des figures pourraient désigner les deux philosophes, qui ne vécurent cependant pas à la même époque. Ribera ancre pourtant ces deux sages dans une même temporalité, en une scène qui semble prise sur le vif. Les mains puissantes, les visages ridés et barbus ainsi que les feuilles des volumes présentés sur la table sont des morceaux de bravoure réalistes.

La Délivrance de saint Pierre Saint Peter Released from Prison
Vers 1613-1614
Huile sur toile
Rome, Galleria Borghese
L'épisode de saint Pierre emprisonné à Jérusalem et délivré par un ange dénouant ses liens a connu un certain succès en peinture au début du XVIIe siècle. Dans cette version, dont le format vertical suggère un tableau d'autel pour une église, Ribera cite et réinvente certains éléments des célèbres grandes commandes du Caravage, comme le Saint Matthieu et l'ange. On retrouve notamment le motif de l'ange adolescent qui, enveloppé d'un drapé déployé en spirale, se jette vers le bas de la composition. 
 
Naples: Le temps de la gloire
Ribera s'installe à Naples en 1616, où il se marie avec la fille du peintre Bernardino Azzolino, déjà bien établi dans la ville. Cette alliance l'introduit auprès d'une clientèle d'aristocrates locaux et d'ordres religieux, nombreux dans la cité. Il se confronte à nouveau aux inventions du Caravage, disparu quelques années plus tôt. Dès lors, Ribera s'impose comme le nouveau chef de file du naturalisme napolitain.
En ce début du XVIIe siècle, Naples est une véritable ville-monde, l'une des trois plus importantes capitales d'Europe, animée d'un singulier bouillonnement. C'est également une possession espagnole, gouvernée par des vice-rois. Ribera se voit assuré d'une protection officielle et acquiert un statut de peintre de cour. Son rayonnement hors d'Italie, et notamment en Espagne, est fulgurant. Les grandes commandes abondent. Son style âpre des débuts romains évolue vers plus de lyrisme et un plus grand colorisme. L'artiste s'attelle à de nombreux registres et retravaille ses obsessions sans relâche.


David tenant la tête de Goliath David with the Head of Goliath
Vers 1620-1630
Huile sur toile
Madrid, Collection Colomer
L'épisode biblique de David et Goliath connaît un grand succès chez Le Caravage et, dans son sillage, auprès des peintres caravagesques actifs à Rome. Ribera traite le sujet à plusieurs reprises. Dans cette version, il renforce les éléments dramatiques en dépeignant David sous les traits d'un gamin des rues au physique nerveux et en grossissant démesurément la tête du géant Goliath. Le ténébrisme qui fait surgir cette scène improbable de la pénombre accentue l'héroïsation de David, en teintant sa victoire d'une forme d'effroi.


Le Couronnement d'épines The Crowning with Thorns
Vers 1620
Huile sur toile
Séville, Fundación Casa de Alba
Ribera propose une version verticale du sujet, où le beau corps musculeux du Christ, ramassé, ployant sous les atteintes des bourreaux, s'offre dans toute sa vulnérabilité. Le réalisme
des chairs et des expressions, la lumière aux forts contrastes, le déploiement artificiel de la cape rouge accentuent le caractère théâtral de la scène. Le regard sévère, par en dessous, que lance le Christ interpelle le spectateur et invite le fidèle à méditer sur les raisons de sa souffrance.

Détail du tableau précédent 

Saint Jérôme et l'ange du Jugement dernier
Saint Jerome and the Angel of Judgement
1626
Signé et daté en bas à droite: Josephus de Ribera/ Hispanus Valentin/Setaben [...] Partenope F. 1626 Huile sur toile
Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte
Exécuté pour le maître-autel de l'église de la Trinità delle Monache, ce tableau constitue le couronnement de la maturité de Ribera à Naples. Alors qu'il était occupé à écrire, saint Jérôme est surpris en entendant un ange jouer de la trompette. Ce thème, parce qu'il exalte la nature humaine d'un saint, en lien direct avec le divin, fut particulièrement prisé durant la Contre-Réforme.
La composition fait dialoguer le corps de l'ermite avec celui de l'ange, l'un tendu vers le ciel, l'autre plongeant vers la terre. Aux objets tangibles répondent les chairs palpables: le vérisme de la splendide nature morte au crâne et aux livres rivalise avec le décharnement de la peau flasque du saint.

Saint André
Saint Andrew
Vers 1616-1618
Huile sur toile
Naples, Biblioteca e Complesso monumentale dei Girolamini
Comme pour ses autres figures de saints ou de philosophes, ce saint André en prière, à mi-corps, pourrait être issu d'un Apostolado. Le martyre de saint André crucifié sur la croix faisait l'objet d'une dévotion particulière dans le sud de l'Italie. Ribera aurait ainsi pu avoir connaissance de la Crucifixion de saint André commandée
au Caravage à Naples en 1607 (Cleveland Museum of Art). Ribera atteint ici un degré supplémentaire dans la subtilité chromatique des tons ocre,
le clair-obscur qui modèle les volumes et le rendu anatomique de cette figure

Détail du tableau précédent 
Appréciez le tour de force que représente le rendu anatomique du corps émacié de saint André. Les poils de la barbe et les cheveux sont traités par touches nerveuses au moyen d'un pinceau très fin, les veines saillantes et les plis de la peau sont précisément marqués. Ribera va jusqu'à signifier le détail des ongles noircis, tandis que les rides du visage sont incisées avec la pointe du pinceau dans l'épaisse couche picturale.

La splendev des humble
Ribera est le génial inventeur d'une typologie nouvelle : il représente les plus grands penseurs en indigents vêtus de haillons qui s'imposent au spectateur, provocants et superbes. Son message est radical. Il s'inscrit dans un contexte intellectuel et spirituel qui prône la relation entre la richesse intérieure et la pauvreté extérieure. Les séries de portraits de philosophes à mi-corps, fondés sur le travail d'après le modèle vivant, lui permettent d'explorer une grande variété d'expressions. L'artiste se concentre davantage sur la vérité psychologique de l'homme que sur l'identification précise du personnage. Sans être dénuées d'une certaine dérision, ces figures, entre le noble et le prosaïque, revendiquent et proclament une dignité de la pauvreté. Elles captivent par leur présence silencieuse. Si ces philosophes nous interrogent sur les grands sujets existentiels, ils nous invitent en retour à l'introspection. C'est le cas de la série de philosophes-mendiants que le duc d'Alcalá commande à Ribera dans les années 1630, qui revisite, dans le registre profane, les cycles de saints réunis pour ses Apostolados de la période romaine. Les sujets, criants de vérité, surgissent puissamment de la pénombre, entourés de morceaux de nature morte virtuose. L'extraordinaire «portrait de famille » que brosse Ribera de la << femme à barbe» et son mari, pour le même duc d'Alcalà, constitue quant à lui un chef-d'œuvre d'humanité.


Heraclite
Vers 1630-1632
Huile sur toile
Valence, Museo de Bellas Artes
Héraclite est reconnaissable
aux larmes qui coulent le long de ses joues et constituent le signe du philosophe pessimiste.

Pythagore
Vers 1630-1632
Signé: Joseph de Ribera/esp Huile sur toile
Valence, Museo de Bellas Artes
L'identification de Pythagore est liée à l'inscription présente sur la tranche du livre fermé posé sur
la table: «...tia numerorum », qui fait référence à la science des nombres qui occupa le philosophe et mathématicien.
Par leur format et leur composition, les deux tableaux sont à rapprocher de la série des philosophes-mendiants que le duc d'Alcalá, alors vice-roi de Naples, commande à Ribera dans les années 1630

Maddalena Ventura et son mari ["La Femme à barbe"]
Quel tableau étrange que cette femme à barbe donnant le sein a un nourrisson, se présentant face à nous, accompagnée de son mari, derrière elle!
En 1631, Ribera est appelé au palais royal par le duc d'Alcalá pour témoigner par une œuvre d'un prodige de la nature : une femme de 52 ans originaire des Abruzzes qui, après avoir donné naissance à trois enfants, à l'âge de 37 ans, se vit pousser une barbe épaisse, sans doute du fait de dérèglements hormonaux.
Le peintre tient à attester ce prodige de la nature , qui devait constituer un phénomène tel qu'il était digne d'être consigné par le plus célèbre peintre de Naples à ce moment. Ribera date (16 février 1631) et signe son œuvre, en se comparant lui-même à Apelle, peintre le plus illustre de l'Antiquité.
Ribera nous offre un portrait de famille résolument non conventionnel, en rupture radicale avec l'art du portrait de cour en son temps. Le spectateur ne peut qu'être frappé par cette image frontale mettant l'accent sur le contraste entre la longue barbe noire et le sein blanc gonflé de lait sorti du corsage pour nourrir l'enfant Néanmoins, la grande humanité, voire la noblesse, des figures l'emporte sur l'incongruité de la représentation.

Dioscoride (ex Ésope)
Dioscorides (ex Aesop)
Vers 1630
Inscription sur la tranche du livre: Hissopo Huile sur toile
Collection particulière
Bien que la physionomie de ce personnage évoque la laideur proverbiale de Socrate, le mot «Hissopo », lisible sur le livre, l'assimile traditionnellement à Ésope, le fabuliste grec. On pourrait aussi y lire le nom d'une plante, l'hysope, dont le botaniste grec Dioscoride louait les vertus médicinales. Le tableau pourrait avoir fait partie de la série des quatre philosophes mendiants commandée par le duc d'Alcalá, vice-roi de Naples de 1629 à 1631, où une figure est décrite comme étant d'une grande laideur, avec "les yeux de travers".

Platon Plato
1630
Signé et daté en bas à gauche sur la tranche du livre: Jusepe de Ribera/español/F. 1630
Inscription sur la tranche du livre: LIBER DE YDEIS Huile sur toile
Amiens, musée de Picardie
Ce vieillard chauve tient un ouvrage portant le titre Liber de ideis, le livre des idées, en référence à la doctrine de Platon. Seuls le front et les mains, sièges de la pensée et de l'écriture, surgissent
de la pénombre et sont ainsi mis en valeur de manière significative. Ribera met son traitement pictural au service d'une idée: la grandeur d'âme du penseur prime sur les apparences

Magnifier le quotidien
Tout au long de sa carrière, à Rome ou à Naples, Ribera s'intéresse aux marges de la société. À Naples, alors qu'il s'impose comme le peintre officiel des vice-rois espagnols et multiplie les commandes religieuses majeures, Ribera demeure le grand portraitiste de la plèbe napolitaine. Avec ses figures de gitanes, de duègnes ou de garçons des rues, les célèbres scugnizzi, il nous plonge dans un répertoire truculent, proche de l'univers picaresque de la littérature espagnole, comme du théâtre et de la chanson populaires de l'époque. Qu'il prête les traits réalistes de tout ce petit peuple napolitain à des allégories (Jeune fille au tambourin, Une vieille usurière) ou érige le portrait d'un malheureux infirme en valeureux spadassin (Le Pied-bot), il excelle à tirer de la misère du quotidien une forme de merveilleux.

Le Pied-bot
The Club-Footed Boy
1642
Signé et daté, en bas à droite, sur le sol:
Jusepe de Ribera Español / F. 1642
Huile sur toile
Paris, musée du Louvre, département des Peintures
Ce tableau représente un jeune infirme pieds nus et pauvrement vêtu. Ribera donne au sujet une noblesse inédite en isolant la figure sur une toile au format de portrait d'apparat. Le jeune homme à l'expression joyeuse est décrit avec une attention très grande à la réalité de sa condition et aux particularités de son handicap. L'inscription sur la feuille explicite son intention: «Donne-moi l'aumône pour l'amour de Dieu »>. L'oeuvre invite ainsi le spectateur à la charité, une des trois principales vertus chrétiennes.

Jeune fille au tambourin
Girl with a Tambourine
1637
Signé et daté, à droite: Jusepe de Ribera/español F. 1637 Huile sur toile
Collection particulière
La bouche entrouverte figée dans un rictus expressif, cette jeune femme semble accompagner une ritournelle au son de son tambourin. Cette musicienne, aux allures de femme du peuple napolitaine, incarnait probablement l'ouïe dans un cycle de peintures consacré aux cinq sens. Ribera revient ici sur un thème développé une vingtaine d'années plus tôt, à Rome. Si le charme et la jeunesse du modèle contrastent avec les oeuvres du début de sa carrière, l'attention au réel reste inchangé. L'artiste semble même explorer plus en profondeur l'humanité du personnage.

Une vieille usurière
The Old Usurer
1638
Signé et daté, en bas à gauche:
Jusepe de Ribera español/F. 1638
Huile sur toile
Madrid, Museo Nacional del Prado
Le profil d'une vieille femme, au visage flétri et au regard noir, ressort ici fortement sur un fond sombre. L'effet de clair-obscur, le sujet et la manière de traiter sans concession les sévices du temps s'inscrivent dans la tradition caravagesque. Toute l'attention du personnage est retenue par la balance qui lui sert à effectuer une pesée. On a voulu voir dans ce personnage à la rudesse palpable une usurière, voire une allégorie du péché d'avarice.

Dessinateur fantasque
Ribera est un dessinateur et un graveur virtuose. Son trait vigoureux témoigne d'une fascination pour l'expressivité des physionomies et d'une recherche incessante du mouvement dans les corps. Ce pan de son activité constitue une rareté au sein des principaux interprètes du caravagisme. Il montre comment Ribera se renouvelle et ne cesse d'inventer. À l'aise dans tout type de technique, il manie la sanguine, la plume et l'encre avec brio et révèle une grande variété de styles, du plus schématique, pour une rapide exécution des grandes lignes d'un projet, au plus abouti, pour des compositions au caractère hautement pictural. L'originalité des dessins de Ribera réside dans le fait qu'ils ne sont généralement pas pensés comme préparatoires à ses peintures. En majorité, le dessin constitue pour lui un laboratoire d'expérimentation où il laisse libre cours à son imagination et explore quelques-unes de ses obsessions personnelles. Ce corpus rare, encore méconnu, témoigne a la fois d'un goût prononcé pour le burlesque, la caricature et la fantaisie, et d'une réflexion plus sombre qui annonce Goya.



Tête de guerrier
Head of a Warrior
Vers 1610-1615
Sanguine
Madrid, Museo Nacional del Prado

Tête de satyre
Head of a Satyr
Vers 1620-1625
Sanguine sur papier vergé
New York, The Metropolitan Museum of Art.

Tête grotesque avec goitre et oreilles pointues Grotesque Head, Man
with Goitre and Pointed Ears
Vers 1620-1625
Sanguine
Cambridge, The Syndics of the Fitzwilliam Museum, University of Cambridge

Homme encapuchonné avec goitre
Hooded Man with Goitre
Vers 1624-1626
Encre brune à la plume
Madrid, Collection Colomer

Tête de profil avec un voile Side Profile with Veil
1620-1630
Sanguine avec une touche de lavis rouge
Madrid, Collection Colomer

Tête grotesque 
1622
Inscription: JR a hispanus Eau-forte et burin
Londres, British Museum

Le Christ frappé
par un bourreau
Christ Beaten by a Tormentor
Vers 1624-1626
Sanguine
Londres, British Museum

Saint Jean soutenant le corps du Christ
Saint John Holding the Body of the Dead Christ
1637
Encre brune à la plume et lavis brun
Rome, Istituto Centrale per la Grafica

Étude pour David et Goliath
Study for David and Goliath
Vers 1624
Encre brune à la plume et lavis
Madrid, Collection Colomer

Homme enveloppé dans une tunique avec, sur la tête, un petit homme assis portant un étendard Man Wearing a Large Cloak and a Small Naked Man on His Head Vers 1637-1640
Encre et lavis
New York, The Metropolitan Museum of Art

Gitane avec ustensiles de cuisine, deux enfants et un chien
A Gypsy Woman Carrying a Child and Kitchen Utensils, Followed by a Boy and a Dog
Vers 1640-1649
Encre brune à la plume et au pinceau
Madrid, Collection Abelló

Graveur virtuose
La production gravée de Ribera est aussi brève et réduite en nombre qu'elle est remarquable en qualité. Le corpus qui lui est attribué est constitué de dix-huit eaux-fortes et reste circonscrit à une dizaine d'années de création, depuis son installation napolitaine en 1616 jusqu'à 1630.
Une seule œuvre est plus tardive : le Portrait équestre de Don Juan d'Autriche (1648). Après une interruption de près de vingt ans Ribera se met au service du pouvoir en commémorant l'arrivée triomphale à Naples du fils illégitime de Philippe IV venu mater la révolte de Masaniello, qui pour quelques jours, en juillet 1647, avait renversé l'autorité espagnole. S'il consacre peu de temps à ce médium
en comparaison de son investissement pictural la gravure reste un extraordinaire instrument lui permettant d'étendre son influence et d'asseoir sa renommée en Europe et dans le temps.
Ribera grave à l'eau-forte, un procédé de taille douce où la plaque de cuivre est recouverte d'un vernis puis plongée dans un bain d'acide, mordant le dessin incisé a la pointe. Progressivement, Ribera maîtrise de mieux en mieux sa technique, notamment les clairs-obscurs par le biais
de hachures plus ou moins resserrées. Le point d'orgue est Le Silene ivre, au large spectre d'effets de texture, qui diffère de la composition peinte, preuve que Ribera ne cesse de remettre son œuvre sur le métier.


Saint Jérôme et l'ange du Jugement dernier Saint Jerome and the Angel of Judgement
1621

Saint Jérôme et l'ange du Jugement dernier Saint Jerome and the Angel of Judgement
1621

Saint Pierre pénitent
The Repentance of Saint Peter 1621
Eau-forte et burin
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Le Poète
The Poet
1620-1621
Eau-forte
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts
de la Ville

Le Silène ivre
Drunken Silenus
1628
Signé et daté en bas à droite,
sur le bloc de pierre:
Joseph. Ribera Hisp. Valenti./ Setaben F. Partenope 1628
Eau-forte et burin
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Le Martyre
de saint Barthélemy The Martyrdom
of Saint Bartholomew
1624
Inscriptions en bas au centre: Dedico mis obras y estampa al Serenismo Principe
Philiberto mi Señor/en Napoles año 1624
Signé en bas à droite: Iusepe de Rivera Spañol Eau-forte et burin
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Saint Jérôme lisant
Saint Jerome Reading
1624
Eau-forte et burin
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts
de la Ville de Paris

Portrait équestre
de Don Juan d'Autriche Equestrian Portrait
of Don Juan of Austria
1648

Études d'yeux
Études d'oreilles
1622
 Eau-forte
Londres, British Museum

Études de nez
et de bouches
Studies of Noses and Mouths
1622
Signé en bas au centre:
Joseph. Ribera español
Eau-forte
Londres, British Museum

Réinventer la fable antique
Les années 1630 constituent une période prodigieuse pour Ribera, durant laquelle il reçoit tous les honneurs (en 1626, il est décoré de la croix de l'ordre du Saint-Esprit à Rome) et jouit d'une position dominante sur la scène artistique napolitaine. Il conçoit ses plus beaux chefs-d'oeuvre profanes: des compositions ambitieuses et spectaculaires, inspirées de la fable antique, mais réinventées avec truculence et lyrisme. De ses références érudites, Ribera tire un profit inédit, entre reprise et détournement. Son goût pour la provocation, le grotesque, la dérision, mais également le drame humain, transparaît. Le Silène ivre n'offre-t-il pas une variation particulièrement iconoclaste de Vénus allongée? A-t-on jamais vu de bel Apollon aussi sadique? L'artiste, au sommet de son art, ose tout, a l'audace superbe. Véritable théâtre des passions, sa peinture déploie un caractère sensoriel remarquable, visuel et tactile, voire sonore. Tout est maîtrisé dans le traitement et les effets de texture: le corps, souffrant ou repu, les plis de chair, les poils, les étoffes... Une grâce nouvelle et une gamme chromatique enrichie de bleus électriques, de rouges écarlates, de pourpres cramoisis révèlent une inspiration vénitienne et flamande. Son spectaculaire Vénus et Adonis nous plonge enfin dans une atmosphère apaisée et une douce poésie, malgré le drame évoqué.


Apollon et Marsyas Apollo and Marsyas
1637
Signé et daté en bas à droite sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera, español, Valenciano/F. 1637
Huile sur toile
Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte
Le satyre Marsyas, qui avait eu l'impudence de défier Apollon, dieu de la musique, lors d'un concours musical, est atrocement puni par ce dernier, qui l'écorche vif. Accroché à un arbre, la tête en bas, le supplicié nous interpelle, hurlant de douleur. La souffrance extrême exprimée par le visage déformé de Marsyas s'oppose à la sérénité d'Apollon, qui observe, impassible, sa victime. Le geste terrifiant du bourreau plongeant sa main dans la plaie béante contraste avec la beauté du drapé mauve irisé flottant autour de lui. À l'arrière-plan, les satyres assistent, horrifiés, à la torture de leur compagnon.
Détail du tableau précédent 
Autre détail du tableau précédent

Vénus et Adonis
Venus and Adonis
1637
Signé et daté en bas à droite:
Jusepe de ribera, español, Valenciano/F. 1637
Huile sur toile
Rome, Gallerie Nazionali d'Arte Antica, Galleria Corsini
Adonis, beau jeune homme aimé de Vénus,
a été blessé à la chasse par un sanglier. La déesse, alertée par ses gémissements, vole - littéralement - au secours de son amant mourant. Celui-ci repose paisiblement, comme endormi, sur un beau drapé d'un rouge écarlate, symbole de son sang qui se métamorphosera en anémone. Les effets des plis d'étoffe aux coloris électriques et le ciel tourmenté à l'arrière-plan sont caractéristiques du tournant coloriste de Ribera autour
des années 1640.
Détail du tableau précédent 
Autre détail du tableau précédent 


Le Silène ivre
Drunken Silenus
1626
Signé et daté en bas à gauche sur le parchemin: Josephus de Ribera, Hispanus, Valentin/et academicus Romanus faciebat/partenope [...] 1626
Huile sur toile
Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte
Ce tableau est exceptionnel dans l'oeuvre de Ribera en raison de son sujet mythologique. Au centre de la composition, Silène, satyre ventripotent, lascivement étendu sur le sol et entièrement nu est représenté se faisant servir une coupe de vin. Conformément à la tradition, est associé à l'âne, dont il a fait sa monture, et aux cortèges de faunes et de satyres qui accompagnent habituellement Bacchus, dieu du vin, dont il est le père adoptif. Dans l'assemblée, on distingue derrière lui le dieu Pan, avec ses cornes et ses pattes de bouc, qui le couronne de vigne. Au premier abord, la scène semble burlesque et
parodique, mais un visage méditatif en haut à droite souligne le caractère paradoxal de Silène, connu pour abuser de la boisson, mais également pour détenir les secrets de la sagesse.

Détail du tableau précédent 
Observez ce tableau au travers de ses détails. Remarquez par exemple au premier plan sur la droite, posés au sol, le bâton de berger, la tortue et le coquillage : ce sont les attributs du dieu Pan. Mais remarquez surtout sur la gauche, le serpent, symbole de l'envie, déchirant le morceau de papier sur lequel Ribera a inscrit son nom, son origine et son statut d'académicien. Par ce motif, l'artiste souligne que sa position sur le devant de la scène napolitaine suscite jalousies
et convoitises.

Tête de Silène
[fragment du Triomphe de Bacchus]
Head of Silenus
[fragment from The Triumph
of Bacchus]
1635
Huile sur toile
Jaime Eguiguren - Art & Antiques
Ce fragment appartient, avec deux autres morceaux conservés au musée du Prado,
à une toile de Ribera, disparue, représentant le triomphe de Bacchus. La peinture s'inspirait elle-même d'un célèbre bas-relief hellénistique montrant la visite de Bacchus à Icarios.

De Naples à l'Espagne
Après avoir porté la représentation de la figure isolée à son comble et réinventé le mythe avec impertinence, Ribera s'attelle à de nouveaux sujets, pour lesquels il propose une approche originale. Son étonnant Combat de femmes aborde un thème inédit dans une perspective monumentale singulière. Au-delà de son habileté dans le traitement du paysage comme arrière-fond, le peintre livre dans ses deux tableaux de paysages autonomes une méditation sur la nature, où les vibrations de lumière argentée nimbent d'une douceur bucolique une campagne idéalisée.
Ces ensembles, atypiques dans la production de l'artiste, témoignent de l'importance de l'envoi vers l'Espagne d'une grande partie de ses œuvres. Qu'il s'agisse de commandes destinées aux villes d'origine des vice-rois (Osuna, Salamanque) ou au décor des palais madrilènes du roi Philippe IV (Alcázar ou Buen Retiro), Ribera crée pour l'Espagne sans jamais retourner dans sa patrie de naissance.


Paysage avec bergers
1639
Huile sur toile
Salamanque, Fundación Casa de Alba

Paysage avec fortin Landscape with Small Fort
1639
Signé et daté: Jusepe de Ribera español/F. 1639 Huile sur toile
Salamanque, Fundación Casa de Alba

Détail du tableau précédent 
Ces deux paysages indépendants sont les seuls de ce genre que l'on connaisse de Ribera. La prépondérance d'une nature à peine animée de figures, aux vastes ciels d'un bleu électrique, suggère une fonction décorative. On peut également y voir l'influence des paysages pastoraux, dans le goût du peintre Claude Lorrain, par exemple. Vraisemblablement commandés par le comte de Monterrey, vice-roi de Naples de 1631 à 1637, qui les emporta ensuite avec lui en Espagne, ils auraient pu servir de tableaux-souvenirs et de sujets de délectation pour ce serviteur de l'Empire espagnol.

Convaincre par le vrai et l'émotion
En cette première moitié du XVIIe siècle, les préconisations de l'Église catholique, énoncées au concile de Trente (1545-1563), sont appliquées aux arts. En opposition au développement de la réforme protestante, la Contre-Réforme catholique réaffirme la place des images dans le culte et leur capacite à éveiller la dévotion des fidèles par l'émotion. Dans cet esprit, qu'il interprète à l'aune de la foi espagnole et de la ferveur populaire napolitaine, Ribera cherche à convaincre par le vrai et l'émotion. Il relève le défi de peindre l'expression des passions «
La représentation des ermites et des pénitents occupe une part importante dans son œuvre. Les déclinaisons de saint Jérôme, qu'il peint plus de quarante fois tout au long de sa carrière, soulignent la sincère dévotion du personnage, plutôt que sa dignité d'érudit. Sainte Marie l'Égyptienne impressionne par la radicalité de son dépouillement ascétique.
Ribera traduit l'extase religieuse aussi bien que la vision céleste ou le miracle divin, mais toujours dans une perspective réaliste. Ses œuvres de dévotion interpellent avec efficacité le fidèle: elles émeuvent, suscitent l'empathie, permettent de s'identifier à des figures saintes proches, modestes, humaines.


Sainte Marie l'Égyptienne
Saint Mary of Egypt
1641
Signé et daté en bas à gauche sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera español/F. 1641
Huile sur toile
Montpellier, musée Fabre
Marie l'Égyptienne est une sainte dont la vie est assez semblable à celle de Marie Madeleine: cette prostituée d'Alexandrie se convertit et vécut en ermite dans le désert de Palestine pendant quarante-sept ans, en se nourrissant seulement d'un peu de pain. Doloriste et poignante, la représentation de Marie l'Égyptienne,
le corps décharné, le visage marqué par les ans et les privations, est d'une radicalité extrême.

Madeleine pénitente Penitent Magdalene
1641
Signé et daté en bas: Jusepe de Ribera, español [...] f 1641 Huile sur toile
Madrid, Museo Nacional del Prado
Le tableau appartient à un cycle de quatre toiles illustrant quatre ermites. Représentée gracieuse et séduisante pour évoquer son ancienne vie de courtisane, Marie Madeleine est reconnaissable à ses attributs: le vase d'onguent ainsi que sa belle chevelure, avec laquelle elle aurait essuyé les pieds du Christ après les avoir parfumés. Un crâne, discrètement placé dans l'ombre
à droite, est le support de sa méditation. Le beau manteau rouge, et ses effets moirés, ainsi que le paysage lumineux révèlent l'intérêt de Ribera pour les maîtres vénitiens de la couleur, tels que Titien et Véronèse.

Détail du tableau précédent 

L'Adoration des bergers
The Adoration of the Shepherds
1650
Signé et daté en bas à droite sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera español/Accademico Romano/F. 1650 Huile sur toile
Paris, musée du Louvre, département des Peintures
Le tableau met en scène la Sainte Famille à la naissance de Jésus, recevant la visite des bergers, prévenus du prodige par un ange, comm on le voit à l'arrière-plan. De part et d'autre de la scène, ces derniers présentent leurs hommages et leurs offrandes à l'enfant juste né. Cette Adoration des bergers, datée de 1650, compte parmi les œuvres tardives de l'artiste, mort en 1652. Ribera y reste attaché à une représentation très naturaliste des choses, mais témoigne aussi d'un intérêt pour une luminosité et un chromatisme plus chatoyants qui doivent beaucoup à la peinture vénitienne.

Détail du tableau précédent 
L'ADORATION DES BERGERS
Observez la vieille femme en haut à droite, à l'extrémité de la diagonale autour de laquelle s'organise la composition. Son regard nous prend à témoin. Il s'agit d'une figure dite << d'admoniteur », qui apostrophe le spectateur et l'invite à participer à la scène. Protagoniste discrète, souvent placée en retrait, elle nous fait entrer dans la représentation. Ribera utilise régulièrement ce procédé, assez répandu dans la peinture de cette époque.

Le Miracle de saint Donat d'Arezzo The Miracle of Saint Donatus
1652
Signé et daté en bas à droite, sur la marche de l'autel: Ioseph de Ribera espanol [...] in Napoles ano 1652
Huile sur toile
Amiens, musée de Picardie
Daté de l'année de la mort de Ribera, ce tableau serait son dernier. Il représente le miracle de saint Donat, deuxième évêque d'Arezzo au IVe siècle. Alors que des païens venaient de détruire le calice en cristal avec lequel il célébrait la messe, le saint s'apprête à en réunir miraculeusement les fragments qu'il tient dans ses mains, entouré de deux assistants au visage stupéfait. À l'arrière-plan, à droite, trois fidèles expriment surprise et révérence.

Saint Jérôme
1634
Signé et daté en bas à gauche sur le bloc de pierre:
Jusepe de Ribera F. 1634
Huile sur toile
Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza

Saint Jerome
1643
Signé et daté en bas à gauche, sur le crâne:
Jusepe de Rib/no/F/1643
Lille, Palais des Beaux-Arts

Saint Antoine de Padoue Saint Anthony of Padua
1636
Signé et daté à droite, sur le bois de la table: Jusepe de Ribera /F. 1636
Huile sur toile
Madrid, Museo de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando
Saint Antoine de Padoue, en habit franciscain, e représenté au moment où, priant dans sa cellule il a une vision de l'Enfant Jésus apparaissant entre ses bras. Il s'agenouille devant la puissance de cette apparition, les bras ouverts et le visage porté vers l'enfant potelé qui s'élève dans une gloire auréolée de chérubins. La lumière dorée, quasiment surnaturelle, qui nimbe cette scène d'extase enveloppe l'austérité du lieu très précisément retranscrit. Mobilier et pavement au sol sont aussi détaillés que la robe de bure rapiécée du saint.

Détail du tableau précédent 

Tête de saint Jean-Baptiste
Head of Saint John the Baptist
1646
Signé et daté en bas sur le bloc de pierre: Jusepe de Ribera español/F. 1646
Huile sur toile
Naples, Museo Civico Gaetano Filangieri

Peindre le pathos
La lamentation est le sujet de plusieurs tableaux de Ribera, depuis le premier témoignage d'un tableau peint à Rome jusqu'à l'une de ses dernières oeuvres, réalisée dans les années 1650. Le peintre fait évoluer le type traditionnel de la Pietà, ou Vierge de douleur, un motif où la mère du Christ, éplorée, seule ou entourée, tient sur ses genoux son fils mort. Ribera concentre la désolation autour du corps du Christ en autant de variations dotées d'une grande charge émotionnelle propre à inspirer la dévotion. Le sujet est particulièrement apprécié de l'art de la Contre-Réforme, qui promeut la Passion du Christ et les modèles susceptibles de susciter l'empathie.
Pour la première fois sont réunies ici trois versions de Ribera provenant de la National Gallery de Londres, du musée du Louvre et du musée Thyssen-Bornemisza de Madrid. Leur confrontation permet de comprendre combien l'artiste nourrit ses motifs en les renouvelant.

Lamentation sur le Christ mort
The Lamentation over the Dead Christ
Vers 1620-1623
Huile sur toile
Londres, The National Gallery
Le thème de la lamentation met en scène un moment de recueillement autour du corps du Christ tout juste décroché de sa croix. S'y retrouvent éplorées les trois personnes les plus proches de Jésus: sa mère, la Vierge Marie au centre dans son manteau bleu, Marie Madeleine, à la chevelure flamboyante, et saint Jean, le disciple bien-aimé, sur la droite. Magnifiée par le drap d'un blanc éclatant, la lividité du cadavre, virant déjà par endroits au gris-bleu, illumine la composition sur fond sombre. L'oeuvre, qui s'inscrit dans les premières années du séjour napolitain, est, a priori, la première représentation de ce sujet réalisée par Ribera

Détail du tableau précédent 
Regardez bien au coeur des plis du drap
à l'aplomb de l'épaule du Christ, juste à gauche de la signature: un oeil sévère semble nous fixer! S'agit-il de l'oeil du diable, qui s'insinue dans des méandres insoupçonnés? De l'oeil de l'artiste, qui vient compléter malicieusement sa signature?
Lamentation sur le Christ mort

Lamentation sur le Christ mort

Le spectacle de la violenc
La représentation de la violence est au coeur de la production de Ribera. Ses compositions de martyres chrétiens scandent l'ensemble de sa carrière napolitaine. Cadrages audacieux, asymétrie des constructions, grandes diagonales, mouvements de foule, gestuelle éloquente prennent directement à partie le spectateur pour mieux l'inviter à participer aux souffrances exposées. Ces scènes de torture se nourrissent de mises à mort bien réelles, orchestrées sur les places publiques par l'Inquisition, et dont Ribera a été le témoin. Au sein de ces tableaux spectaculaires domine la représentation de la chair : une chair vieillie, mise à nu, ensanglantée, arrachée, où s'exprime toute la virtuosité du pinceau de Ribera.
Le martyre de saint Barthélémy offre à Ribera un motif terrifiant de corps souffrant, disloqué et meurtri. L'artiste décline le sujet en autant de variations, depuis la première commande pour le duc d'Osuna en 1616, jusqu'à la dernière version de 1644. Il révèle une forme de fascination pour le mélange de sensations, entre attraction et répulsion, que convoque la scène d'écorchement. Le spectacle du supplice et l'exploit pictural fusionnent en un condensé d'épouvante magistral.
L'artiste peint également saint André ou saint Sébastien, souffrant tous deux dans leur chair, mais avec une atténuation de l'horreur dans la mise en scène de leur martyre. L'un de ses derniers tableaux, le Saint Sébastien pour la Certosa di San Martino en 1651, tend vers un apaisement érotisé du sujet.
C'est ce Ribera extrême que retiendront les artistes et écrivains français du XIXe siècle. Théophile Gautier s'exclamait ainsi : <

Scène de torture
Torture Scene
Vers 1637-1640
Encre brune à la plume avec lavis
Haarlem, Teylers Museum

Scène d'Inquisition Inquisition Scene
Vers 1627-1630
Encre brune à la plume
Cambridge, The Syndics of the Fitzwilliam Museum, University of Cambridge
Les dessins de scènes de torture auxquelles Ribera a réellement assisté sont de rapides esquisses à vocation documentaire. Ils viennent nourrir le répertoire de son imagerie violente de supplices et châtiments « crédibles ». La rareté de ces dessins accentue le caractère exceptionnel de celui-ci. Il présente une scène de strappado, une torture qui consiste à suspendre la victime par les bras attachés dans le dos, provoquant la dislocation progressive des épaules. L'inquisiteur est figuré debout et soumet l'accusé à la «question» (l'interrogatoire).

ANONYME NAPOLITAIN
Tribunal du Vicariat The Vicaria Court
Milieu du XVIIe siècle
Huile sur toile
Naples, Certosa e Museo Nazionale di San Martino
Ce tableau anonyme témoigne d'une violence quotidienne à laquelle Ribera et ses contemporains assistent dans les rues de Naples. Sur la place, devant le tribunal du Vicariat, tortures et exécutions publiques se mêlent aux activités de tous les jours. Derrière la «colonne de l'Infamie », à laquelle les criminels sont attachés pour être exposés au public, deux hommes hissent à une corde un accusé ligoté par les poignets vers l'arrière, selon la méthode du strappado. Ribera s'inspire manifestement de telles scènes, réelles, puisqu'il a représenté ce châtiment au moins sur deux dessins


Étude pour Apollon et Marsyas
Study for Apollo and Marsyas
Vers 1637
Encre brune à la plume
Rome, Istituto Centrale per la Grafica
Ce dessin à la plume est préparatoire
à la peinture d'Apollon et Marsyas, datée de 1637, exposée dans une autre salle du parcours. En allant à l'essentiel, Ribera y esquisse rapidement le contour des formes de petits traits vibrants et entrecoupés. Si la composition générale est déjà posée dans son ensemble, Ribera n'a pas encore trouvé le ressort le plus dramatique de son tableau: la tête de Marsyas renversée vers le spectateur. En observant ce dessin synthétique, on comprend mieux le rôle structurel que joue dans la construction de l'image le grand drapé flottant autour d'Apollon.

Tityos
Vers 1624-1626
Encre brune à la plume et lavis brun Londres, British Museum

Étude pour Tityos 
Vers 1630-1633
Encre brune à la plume et lavis brun
Rome, Istituto Centrale per la Grafica

Vieil homme attaché à un arbre
Old Man Tied to a Tree
Vers 1635-1640
Encre brune à la plume et lavis
Madrid, Collection Colomer

Vieil homme attaché à un arbre
Old Man Tied to a Tree
Vers 1634-1636
Encre brune à la plume
Haarlem, Teylers Museum

Le Martyre de saint Barthélem The Martyrdom of Saint Bartholomew
Vers 1616-1617
Huile sur toile
Osuna, Colegiata de Santa María
Ce tableau semble avoir assuré à Ribera un succès immédiat lors de son arrivée à Naples, où le duc d'Osuna, vice-roi de 1616 à 1620, l'achète et nomme son auteur premier peintre de la cour vice-royale. Si Barthélemy, apôtre prêchant la foi du Christ et le rejet des idoles, a subi une série de supplices (crucifié tête en bas, écorché et enfin décapité), c'est la scène édifiante de l'écorchement que le peintre retient. Ribera en donne une version particulièrement terrifiante où la précision anatomique du bras lacéré, bien que virtuose, provoque un sentiment de répulsion.

Vieil homme attaché à un arbre et jeune homme déféquant
Old Man Tied to a Tree and
a Young Man Defecating
Vers 1627-1630
Sanguine
Londres, The Courtauld (Samuel Courtauld Trust)
Remarquez dans ce dessin, sur la droite
au pied de l'arbre, une figure assise repliée sur elle-même. Le personnage prostré jette
au spectateur un regard en coin. Il semblerait que cet homme soit en train de déféquer, assis sur un seau d'aisance, la chemise relevée, les chausses baissées sur les cuisses. Dans cette scène de supplice, voire de martyre, le motif introduit une incongruité déconcertante, mais rappelle un certain goût de l'artiste pour la scatologie.

Saint Sébastien
Saint Sebastian
1651
Signé et daté sur la pierre en bas à gauche: Jusepe de Ribera español/F. 1651
Huile sur toile
Naples, Certosa e Museo Nazionale di San Martino
Commandés en 1638 pour la Certosa di San Martino, ce tableau et un Saint Jérôme étaient destinés aux appartements privés du prieur. Ribera ne les a achevés qu'en 1651, un an avant sa mort, alors qu'il s'était à peine remis de la maladie qui l'avait handicapé. Cadrée à mi-corps, cette représentation de saint Sébastien torse nu, absorbé dans une douce béatitude, semble en totale opposition avec les précédents martyres tourmentés que Ribera a mis en scène. La sensualité du torse, renforcée par les poils d'un grand réalisme, et l'expression extatique du saint appellent à une méditation apaisée.

Le Martyre de saint Barthélemy The Martyrdom of Saint Bartholomew
1644
Signé et daté en bas à droite: Jusepe de Ribera [...] F. 1644 Huile sur toile
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya
À la différence de bien des scènes de martyre, le regard de saint Barthélemy fixe ici le spectateur au lieu de s'adresser au ciel. Le visage du saint reste impassible, et la souffrance est contenue. Ses yeux sont injectés mais sans larmes,
sa bouche entrouverte mais muette. Sa paume gauche tendue invite à une contemplation empathique de la scène. Au XIXe siècle, le peintre Jean-François Millet, admirant ce tableau, eut la sensation d'« entendre le craquement de la peau se détachant d'avec la chair ». Voilà tout l'art de Ribera: des images si puissantes qu'elles convoquent les autres sens.

Détail du tableau précédent 

Martyre de saint Barthélemy The Martyrdom of Saint Bartholomew Vers 1628
Huile sur toile
Florence, Gallerie degli Uffizi
Barthélemy, dévêtu et attaché, est sur le point de subir son martyre. Encadrant la composition de part et d'autre, les deux bourreaux nous prennent à partie, telles ces figures d'admoniteurs dont Ribera parsème ses toiles. À droite, un jeune tortionnaire à la face hilare trépigne avant d'utiliser son couteau affûté. à gauche, un autre protagoniste, en haillons, est tout aussi jovial en nouant les liens aux pieds du saint. Leur sadisme sans vergogne renforce la cruauté de la scène.

Remarquez, au premier plan, la tête de marbre, face tournée contre le sol, sous le séant du saint. Il s'agit de la tête d'une célèbre sculpture antique, conservée au Vatican depuis le XVIe siècle: l'Apollon du Belvédère. Ribera introduit non seulement une référence érudite, mais signifie aussi que le christianisme, par le sacrifice de ses saints, supplante les religions païennes. Avec Apollon, c'est également le plus grand écorcheur de la mythologie qui s'invite dans cette représentation chrétienne mettant en scène un supplice d'écorchement.

Saint Sébastien soigné
par Irène et sa servante Saint Sebastian Tended by Irene
1621-1624
Huile sur toile
Bilbao, Museo de Bellas Artes
Sébastien est un jeune soldat romain condamné à mort au Ive siècle pour sa conversion chrétienn Il est criblé de flèches et laissé pour mort, mais survit à ce premier martyre grâce aux bons soins d'Irène, avant d'être finalement lapidé. Irène est ici représentée debout, à l'aplomb du corps horizontal très effilé de saint Sébastien. Son doux visage tourné vers nous, elle plonge les doigts dans un pot à onguent pour soigner les blessures du saint, tandis que sa servante retire une flèche de son flanc. Contrastant avec les autres représentations de martyres de Ribera, d'une grande violence, cette scène de guérison est au contraire marquée par l'apaisement et la douceur.

Le Martyre de saint André The Martyrdom of Saint Andrew
1628
Huile sur toile
Budapest, Szépművészeti Múzeum/ Museum of Fine Arts
Ribera représente le moment charnière du martyre de saint André, condamné à être crucifié sur une croix en X. Il est encore temps pour lui d'adhérer au culte des idoles, comme l'y incitent le proconsul Égée, qui a prononcé sa condamnation, tout à gauche, et le grand prêtre penché vers lui, une statuette de Jupiter à la main. La lumière éclaire la diagonale que forme le corps émacié du saint, le visage orienté vers l'idole qu'il refuse d'adorer. Saint André semble avoir déjà renoncé à son enveloppe corporelle pour tourner son âme vers l'au-delà.


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