samedi 23 décembre 2023

Berthe Morisot au musée Marmottan en décembre 2023


Agréable exposition qui illustre bien la belle collection des œuvres de cette artiste détenue par le  musée !

Berthe Morisot & l'art du XVIIIe siècle
Première femme du groupe des Impressionnistes, Berthe Morisot (1841-1895) participe assidument à sept de leurs huit expositions et s'impose comme l'un de ses membres les plus actifs.
Refusant d'appliquer méthodes et formules et donc de faire école, les impressionnistes constituent un groupe au sein duquel chacun offre une réponse personnelle à des préoccupations communes. Cette exposition, en explorant les liens qui unissent l'art de Berthe Morisot à celui du XVIIIe siècle, propose de mettre en évidence l'une des singularités de son œuvre.
Le parcours, construit à l'appui de recherches inédites, met l'accent sur certains aspects méconnus de la vie de l'artiste. Il apparaît ainsi que Berthe Morisot évolue dès son plus jeune âge au sein d'une société dont le cadre de vie célèbre l'art du XVIIIe siècle au quotidien. Dans les années 1860 à 1880, elle découvre les Watteau, Boucher, Fragonard, Perronneau... dorénavant exposés en grand nombre dans les musées.
À la maturité, l'impressionnisme de Morisot fait l'éloge du bonheur et de la grâce et s'imprègne d'un certain esprit du XVIIIe siècle dans lequel elle se reconnaît. Ses contemporains identifient immédiatement ce lien, évoquant une filiation spirituelle puis une parenté rêvée avec Jean-Honoré Fragonard. L'histoire s'écrit parfois sur des mythes.

Sauf mention contraire, toutes les œuvres sont de Berthe Morizot (1841-1895)

Au bal
1875
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet
Morisot fait poser un modèle - dont l'identité est inconnue - paré de certains de ses atours. C'est le cas de l'éventail dit à La Bergère et l'Oiseleur, un ouvrage réalisé dans la seconde moitié du XVIIIe qui est représenté ici grand ouvert. Morisot délivre ainsi une information essentielle sur ses goûts.
Peint en 1875, ce tableau rappelle que la vie mondaine parisienne avait été marquée cet hiver-là par deux bals donnés par le président de la République dans les salons rénovés dans le goût du XVIIIe siècle du palais de l'Élysée; Morisot, jeune mariée, avait souhaité y assister.

Éventail: Le Bain de Diane
Vers 1760-1780
Ivoire sculpté, gouache et or sur papier Ancienne collection Berthe Morisot Paris, musée Marmottan Monet
L'éventail présenté ici appartenait à Berthe Morisot. La scène galante, Le Bain de Diane, est illustré notamment par François Boucher. Symétriquement entourés de médaillons figurant des putti en grisaille, ces décors évoquent les tapisseries dites «à alentours » de la Manufacture des Gobelins.

Un cadre de vie 
L'art du 18ème siècle au quotidien
L'art du XVIIIe siècle émaille l'histoire familiale de Berthe Morisot et accompagne ses premières années. Il est particulièrement présent au sein de la famille Riesener avec laquelle les Morisot se lient en 1864. Fondée par le plus grand ébéniste du XVIIIe siècle, Jean-Henri Riesener cette dynastie d'artistes est alors composée de peintres. Léon Riesener, aussi pastelliste, forme sa fille Rosalie à l'école de Boucher et de Watteau; il conseille, de la même manière, son amie Berthe.
Morisot est une habituée de leur demeure, située sur l'actuel cours Albert-Ier dans le 8e arrondissement de Paris. Le décor de cette maison que fait construire Léon Riesener célèbre l'art du XVIII° siècle. Une grande galerie présente, au dessus de lambris, six tapisseries de la suite des Fêtes italiennes d'après François Boucher peintre du roi Louis XV, tapisseries que Rosalie représente dans une série de petites toiles ici exposées.
C'est dans cette maison que Berthe pose pour son amie, la peintre et sculptrice Marcello ou duchesse de Castiglione-Colonna dans le monde. Elle signe le portrait monumental de l'impressionniste présenté ici pour la première fois à Paris.

Portrait de Louise Riesener
1888
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, en dépôt à Limoges, musée des Beaux-Arts
Les signes du XVIIIe siècle se font nombreux et ostentatoires sur le Portrait de Louise Riesener. Ils ont trait aux accessoires, comme le bouillon de table vu chez Chardin, la table de marqueterie d'époque Louis XV héritée d'Édouard Manet, l'ornement des lambris du salon-atelier de Morisot figuré sur le fond. Ces signes sont aussi visibles dans le faire de la peintre, le degré recherché de non-fini, le colo-ris, le dessin des formes au pinceau couleur sanguine, les ombres vertes.

Boudin Eugène (1824-1898)
Pèlerinage à l'Isle de Cythère, d'après Antoine Watteau
Huile sur toile
Honfleur, musée Eugène Boudin.

Watteau, Fragonard, Morisot...
Retrouvailles aux musées
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, les musées font peu de place à la peinture du siècle précédent. Le cas d'Antoine Watteau, figure majeure du début du XVIIIe siècle, est éloquent. Du peintre des fêtes galantes, une seule œuvre est exposée au Louvre, L'Embarquement pour Cythère (1717). La copie qu'en donne le précurseur de l'impressionnisme, Eugène Boudin, est l'un des témoignages de l'intérêt que portent les artistes à leurs prédécesseurs oubliés.
Dans la seconde partie du XIXe siècle, les musées de France offrent peu à peu une nouvelle visibilité à toutes les formes d'expression de l'art du XVIIIe siècle: peintures, dessins, pastels... À partir de 1870, plusieurs centaines d'œuvres de Watteau, Fragonard, Maurice-Quentin Delatour... sont désormais présentées au Louvre dont Berthe Morisot est une habituée. Peint vers 1875, Jeune femme arrosant un arbuste est une réminiscence, adaptée à la femme moderne, des oeuvres qu'elle aura vues aux musées et chez ses amis, tout comme son pastel, Femme en gris debout.

Watteau Antoine (1684-1721)
Les Plaisirs du bal
Vers 1715-1717
Huile sur toile
Londres, Dulwich Picture Gallery
Une multiplicité de tableaux de Watteau s'offre au public du Louvre à partir du 15 mars 1870 avec le legs de Louis
La Caze.
Avant cela, la soif de découvertes de Morisot l'avait conduite hors frontières, au Prado et dans les demeures à Madrid en 1869. En voyage de noces avec Eugène Manet à Londres en 1875, elle visite musées et collections particulières. Le genre de la fête galante inventé par Watteau met en scène des personnages de dos, un motif que Morisot emprunte pour Jeune femme arrosant un arbuste, exposé à proximité.

Détail du tableau précédent

Jeune femme arrosant un arbuste
1876
Huile sur toile
Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, Collection de M. et Mme Paul Mellon

Fragonard
Jean-Honoré (1732-1806)
Jeune femme debout, en pied, vue de dos
Vers 1762-1765
Sanguine sur papier vergé Orléans, musée des Beaux-Arts
Ce dessin est légué au musée d'Orléans en 1878. Le 28 juil-let 1898, Julie Manet 19 ans, orpheline et héritière du goût de ses parents, Berthe Morisot et Eugène Manet, visite ce musée et note: il «

Femme en gris debout
1880
Pastel et fusain sur papier bleu Collection particulière

Eugène Manet à l'île de Wight
1875
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet


Boucher & la grâce de Morisot
Vers 1880, la peinture de Morisot se déploie dans des scènes intimistes et de la vie quotidienne; elle se distingue par des couleurs claires et vibrantes, une savante liberté de facture, autant de caractéristiques communes à l'art du milieu du XVIIIe siècle. C'est du reste à cette période que l'intérêt de l'impressionniste pour l'école française du XVIII s'affirme. En 1883, Morisot copie une partie d'un tableau de Boucher qu'elle admire au Louvre. Cette toile, présentée dans cette galerie, est destinée à orner son salon-atelier, autrement dit, elle compose le décor dans lequel elle évolue au quotidien. Ici, Morisot s'inscrit dans la filiation d'un art de vivre qui exalte le bonheur.
Ce que l'on observe dans cette interpretation de Boucher se retrouve ailleurs chez Morisot. Les roses et les bleus passent dans Paule Gobillard peignant, teintent les blancs de Femme à sa toilette. Les blancs deviennent argentins dans Jeune femme en gris étendue et laiteux dans Jeune femme en toilette de bal. Le rapport de Morisot à l'art du XVIIIe ne relève ni de la copie servile, ni du pastiche. L'impressionniste s'imprègne de son esprit et de sa grâce qu'elle distille dans son art. Par un alliage subtil, c'est << une pointe de XVIIIe exaltée de présent» (Mallarmé).

Boucher François (1703-1770) Pastorale ou Berger gardant
ses moutons
Vers 1751
Huile sur toile
Caen, musée des Beaux-Arts
Pour le préfet Morisot, père de la peintre, une collection de tableaux devait être « à disposition du public et des artistes en formation dans les écoles d'art à chaque instant». De 1840 à 1852, à Limoges comme à Caen, il avait suscité des collectionneurs les dons aux musées. La Pastorale illustre cet élan.
Le paysage offre en son centre cette « impression d'éblouis-sement» qu'aimait tant Berthe Morisot. Julie Manet, sur les pas de son aïeul et de sa mère, pointe ce tableau lors d'une visite à Caen l'été 1897.

Le Jardin à Bougival
1884
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet
Le sentiment d'une nature sans artifice est tempéré au XVIIIe siècle par les éléments d'architecture, folies, treillages de bois, vases de pierre, auxquels elle se conjugue. Ce goût, illustré par la tenture des Fêtes italiennes connue de Morisot, transparaît dans l'exubérante clarté de son jardin de Bougival scandée d'un pan de mur surmonté d'un balcon ou recouvert de treillages de bois.

Jeune femme en toilette de bal
1879
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay
À la cinquième exposition impressionniste en avril 1880, la critique se donne le mot pour comparer Morisot à Fragonard: «Ses ébauches rappellent sans la moindre servilité mais par une sorte de filiation spirituelle les plus charmantes ébauches de Fragonard. Elle est, d'ailleurs, très moderne de type et d'accent. Sa Jeune fille en toilette de bal dans un jardin; sa Jeune femme au manchon; surtout sa Jeune fille au miroir, une chose exquise, la met hors ligne et lui impose le devoir de ne pas s'arrêter là» (Trianon).

Roses trémières
1884
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet

Femme à sa toilette
Vers 1875-1880
Huile sur toile
Chicago, The Art Institute of Chicago, fonds Stickney, inv. 1924.127
Morisot, sensible au détail d'une nuque reflétée dans un miroir entrevu sur les portraits de Boucher, en fait le sujet principal de son tableau.
Elle peint, dans la grande lumière de sa chambre autour de son lit Louis XVI à dossiers droits garnis de tissus clairs, un portrait de dos, illuminé telle «une véritable perle », comme le décrit Émile Zola, «où les gris et les blancs des étoffes jouent une symphonie très délicate »>.

Boucher François (1703-1770)
Les Forges de Vulcain
ou Vulcain présentant à Vénus des armes pour Énée
1756
Huile sur toile, esquisse en grisaille Paris, musée des Arts décoratifs
Cette peinture en grisaille témoigne du feu de l'invention de l'artiste. Au XVIIIe siècle, l'esquisse est prisée et collectionnée pour elle-même. Elle prépare ici la composition du grand carton de tapisserie, peint à l'huile sur toile de 3,20 m de côté, destiné à être exécuté en tapisserie par la Manufacture des Gobelins en 1757 (tenture des Amours des dieux). Du carton de tapisserie de la collection de Louis XV exposé au Louvre, Berthe Morisot choisit de copier deux Grâces proches de l'éblouissante clarté ménagée dans les nuages.

Vénus va demander
des armes à Vulcain, d'après François Boucher
1883-1884
Huile sur toile
Collection particulière
«Cette toile pleine de lumière, d'air, de vie, d'une couleur charmante, est le chef-d'œuvre de Boucher », s'exclamait l'époux de Berthe Morisot, Eugène Manet. L'impressionniste l'interprète d'un pinceau ample, laissant place aux empâ-tements, tout à la pensée d'une œuvre décorative. Les murs de son salon-atelier qu'elle a fait orner de lambris ne laissent pas de place à la peinture, comme il en était au XVIIIe siècle. Dans cet esprit, elle a aménagé au-dessus de la glace «Louis XIV » un espace où accrocher son tableau d'après Boucher, pour un temps. Il sera bientôt remplacé par une toile donnée par Monet, Les Villas à Bordighera (Paris, musée d'Orsay).

Jeune femme au divan
1885
Huile sur toile
Londres, Tate Gallery

Aubert Louis (1720-1785)
La Leçon de lecture
1740
Huile sur bois
Amiens, musée de Picardie
Louis Aubert dirigea l'orchestre de l'Opéra comme l'avait fait son père. Parallèlement peintre et dessinateur, il décora les appartements du Dauphin à Fontainebleau, Versailles et Compiègne. Dans cette scène de genre figurant le monde de l'enfance, il restitue avec précision le décor de la glace de cheminée et l'encadrement du tableau ovale la surmontant. Cette structure décorative du XVIIIe siècle est réinterprétée en 1882 par Morisot pour orner son salon-atelier.

Nattier
Jean-Marc (1685-1766)
Dame à la source ou Portrait
présumé de la marquise de Boufflers
Huile sur toile
Limoges, musée des Beaux-Arts
Ce portrait allégorisé de femme en source est une des premières œuvres à avoir été donnée au futur musée de Limoges, à l'instigation du préfet Morisot, père de Berthe. C'est un don de Charles Lesterpt de Beauvais (1789-1849), en 1846.
Représentée en allégorie de l'Eau, elle s'appuie sur une urne d'où s'épand de l'eau en abondance, une codification prisée au XVIII. À la suite des poètes antiques, l'Eau est considérée non seulement comme le principe de toutes choses, mais aussi comme la reine de tous les éléments.

Perronneau
Jean-Baptiste (1716-1783)
Portrait de Karl Friedrich
von Sternbach
1747
Huile sur toile
Leipzig, Kunstbesitz der Universität Leipzig

Romney George (1734-1802)
Mrs. Mary Robinson
Vers 1780-1781 Huile sur toile
Londres, The Wallace Collection

Reynolds
Têtes d'anges
Vers 1786-1787 Huile sur toile
Londres, Tate
Joshua, Sir (1723-1792)
Ce portrait de Lady Frances Gordon, âgée de 5 ans, apparaissant comme un ange dans plusieurs vues, était si populaire que les registres de la National Gallery révèlent qu'il a été copié 314 fois par des artistes travaillant au musée entre 1846 et 1895. Morisot est impressionnée par l'art de Reynolds qu'elle rencontre dans les collections londoniennes.


Morisot &
<« ceux du siècle dernier >> Peindre complètement la beauté
Paris, avril 1880, le nom de Fragonard est sur toutes les lèvres. La plus importante collection jamais réunie de cet artiste par l'amateur Hippolyte Walferdin (1795-1880), qui offrit au Louvre l'admirable Leçon de musique, est dispersée à l'hôtel Drouot. Non loin de là, au même moment, les impressionnistes ouvrent leur cinquième exposition. Cett conjoncture favorise les parallèles. Pour la première fois, Morisot est comparée au maître. On remarque <
Fragonard sera l'artiste le plus souvent associé à l'art de Morisot par ses contemporains. Cependant, son intérêt est plus large. Évoquant les maîtres qui surent peindre << complètement la beauté », Morisot note: «Il est juste d'y joindre ceux du siècle dernier qui l'ont rendue également avec plus d'afféterie mais bien du charme. Voir les grâces du grand tableau de Vénus et Vulcain de Boucher, les portraits de Mme de Pompadour de Boucher et Latour, les admirables Perronneau de la collection Groult - et aussi les Maîtres Anglais - Reynolds, Romney. 

Fragonard
Jean-Honoré (1732-1806)
La Leçon de musique
1769
Huile sur toile
Paris, musée du Louvre, département des Peintures
La célèbre Leçon de musique de Fragonard a été donnée
La toile esquissée en frottis légers est emblématique de la virtuosité de l'artiste. La touche et le toucher sont au centre de la scène intime jouée par les deux personnages devant le livre ouvert sur le clavecin. Berthe Morisot s'intéresse à une partie de ce tableau, dont elle laisse un croquis dans le carnet de dessins présenté ici.

Gainsborough
Thomas (1727-1788)
Samuel Linley
1778
Huile sur toile
Londres, Dulwich Picture Gallery

Autoportrait
1885
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet
Pour son autoportrait, Morisot adopte une pose emblématique, buste de profil, visage tourné vers le spectateur devant lequel le modèle semble passer. Elle le traite en pochade, un terme qui désignait « ces essais libres, ou hardiment pochés ». Ce faisant, elle souscrit au goût pour l'ébauche des amateurs du XVIIIe siècle.

Perronneau
Jean-Baptiste (1715-1783)
Portrait supposé de François Louis Boy de la Tour
1773
Pastel sur vélin
Collection particulière

Paule Gobillard peignant
1887
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet

Fillette à la mandoline
1890
Huile sur toile
Collection particulière

Le pastel donne le ton
1885 marque un tournant. L'exposition de pastellistes français organisée à la galerie Georges Petit, à Paris, met à l'honneur les pastellistes du XVIIIe siècle et révèle le talent de l'un d'entre eux, Jean-Baptiste Perronneau. Son art emporte l'enthousiasme de Berthe Morisot.
Cette même année, le pastel prend une place encore plus importante dans le processus créatif de l'impressionniste Dorénavant, elle l'utilise autant que l'huile. L'accrochage de cette salle où se mêlent pastels et huiles illustre cette évolution. Élément notable, l'inclination de Morisot pour l'inachevé se trouve dans les deux techniques.
Reprenant une pratique héritée de certains peintres du XVIIIe siècle, c'est au pastel que l'artiste élabore les compositions de peintures à venir et définit ses harmonies colorées. Ce qu'elle a trouvé au pastel lui permet de peindre rapidement, libère son geste et sa touche et donne l'impression d'une spontanéité du pinceau.

Fillette au jersey bleu
1886
Pastel sur toile
Paris, musée Marmottan Monet

Mlle Marie de Vaissière
1887
Pastel sur papier Collection particulière
Marie de Vaissière (1856-1908), fille du sous-préfet Emmanuel de Vaissière et d'Amélie Fournier, naît au château de Rouessé-Vassé (Sarthe). Ses cousins, Édouard et Eugène Manet, y séjournent plus tard avec leur famille. C'est alors, sous la conduite de Marie, une plongée dans un monde d'antan relaté par Julie : « on nous montre d'anciennes robes merveilleuses de tons, car les Vaissière ont beaucoup de choses leur venant de leurs grands-parents, des miniatures surtout qu'ils vénèrent. C'est très bien ».

Perronneau
Jean-Baptiste (1715-1783)
Portrait d'une femme de face
1768
Pastel sur vélin
Collection particulière

Perronneau
Jean-Baptiste (1716-1783)
Portrait d'une femme en Diane
1760
Pastel sur parchemin Collection particulière
Morisot admire particulièrement les portraits au pastel de Perronneau. Après en avoir vu à l'exposition de 1885, elle cite les « admirables Perronneau de Groult ». Si elle a rendu visite au célèbre Camille Groult (1832-1908), elle a pu voir ce pastel lui ayant appartenu parmi les 32 Perronneau qu'il se targuait de posséder. L'oeuvre est décrite à la vente de sa collection : «La tête inclinée vers la gauche, un carquois sur l'épaule, elle présente une flèche de la main droite >> (Paris, Georges Petit, 21-22 juin 1920).

Tête de fillette (Julie Manet)
Vers 1889
Pastel sur papier
 Collection particulière

Enfants à la vasque
1886
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet
 
Boucher, une passion partagée
Berthe Morisot et son époux, Eugène Manet, ont partagé une même admiration pour François Boucher. Il est l'artiste à propos duquel ils auront l'un et l'autre le plus écrit. Quand Berthe loue «cet homme extraordinaire qui a toutes les grâces et toutes les audaces », son mari note: «Boucher fait partie de cette avant-garde de l'art qui l'a mis presque de pair avec la nature. Il va d'emblée à ce qu'il y a de plus merveilleux dans la nature et peint ce qui éblouit l'homme, plus que la lumière elle-même, la carnation. »
En 1892, peu après la disparition d'Eugène, Berthe réalise l'ultime désir de son mari: elle séjourne à Tours. Au musée, elle pose son chevalet devant Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé de Boucher au sujet duquel Eugène avait jadis écrit: «

Apollon révélant sa divinité
 à la bergère Issé
1750
Huile sur toile
Tours, musée des Beaux-Arts
L'œuvre est une commande de Mme de Pompadour à François Boucher en souvenir de ses représentations à Versailles dans le rôle-titre de l'opéra Issé en 1749, un grand succès lyrique sur une musique d'André Cardinal Destouches. Par un puissant contraste d'ombres et de lumières, entre nature et merveilleux, elle magnifie les personnages qui irradient, comme illuminés.
Le motif des deux nymphes enlacées, retenu par Morisot, est une invention de Boucher, dont on connaît un dessin préparatoire.

Détail du tableau précédent

Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé, d'après François Boucher
1892
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet

Bois de Boulogne
1893
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet

Julie Manet et sa levrette Laërte
1893
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet
Julie Manet en héritière du goût de ses parents sera entourée, sa vie durant, de mobilier Louis XV et Louis XVI, comme ici le siège vide figuré à côté d'elle, peu après le décès de son père.
Prenant le relais de sa mère, Berthe Morisot, ses amis l'accompagneront aux musées, comme le fait le peintre Auguste Renoir à Versailles, une visite notifiée par Julie dans son Journal: «Nous allons à Versailles voir au musée les Nattier; il y en a de jolis ; les robes sont belles >> (jeudi 10 août 1899).

Paysage de Tours
Berthe (1841-1895)
1892
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet

Dans le Pommier
1890
Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet

Fillette au panier
1891
Pastel sur papier
Paris, musée Marmottan Monet

Bergère couchée, peinte par Berthe Morisot en 1891, est un tableau décoratif. Son faire ample ainsi que son format permettent un accrochage à une hauteur où il est plus éloigné du spectateur. Son sujet même le rapproche des tableaux relégués au XVIII° siècle en dessus de porte, de glace ou de cheminée, lorsque les intérieurs se parent de lambris. Ces boiseries définissent en effet une archi-tecture laissant peu de place aux oeuvres, au grand dam des amateurs de peinture de chevalet.
Dans le cas de Berthe Morisot, les infor-mations qui nous sont parvenues de son lien au décor sont fortement marquées par le XVIIIe siècle. Comme on l'a vu au début de l'exposition, elle évolue dans un décor de lambris chez les Riesener. Fidèle à l'esprit du XVIII, elle décore les murs de son salon atelier de lambris figurés par des bordures et les ornent de motifs rocailles, coquilles, cadres ovales disposés symétriquement.
C'est dans cet esprit que Bergère couchée est ici présentée.

Pèlerinage à la villa Fragonard
En 1895, Berthe Morisot décède brutalement à 54 ans. Sa fille Julie n'a que 16 ans. Pour mieux connaître les parents qu'elle a perdus si jeune, l'orpheline se plonge dans la correspondance familiale et s'appuie sur les témoignages de proches et de critiques d'art. Comme eux, elle associe naturellement le nom de sa mère à celui de Fragonard: «Nous allons au Louvre; [...] nous remarquons combien la Leçon de piano de Fragonard ressemble comme facture, coup de pinceau à ce que faisait Maman; il y a certainement une parenté >> (Journal de Julie Manet, Paris, 19 février 1899).
Bientôt, elle fait le pèlerinage à Grasse, la ville natale de Fragonard, dont elle visite la villa. Son entrée, ici reproduite, lui fait forte impression: «[nous] descendons à la maison de Fragonard, dont on ne voit que le vestibule orné en camaïeu de têtes dans des couronnes; de faisceaux de flèches, etc... dans lequel se trouve l'escalier à la jolie rampe de fer forgé. C'est bien ici la demeure de Fragonard; on voit quelques-unes de ses figures sous ces arbres aux formes arrondies qu'il savait si bien rendre. Pendant que nous nous arrêtons à dessiner un peu on entend une sonate de Mozart tout à fait dans la coloration du lieu [...] et l'on pense à la délicieuse leçon de musique de Fragonard du Louvre» (Journal de Julie Manet, Grasse, 27 octobre 1899).

Fragonard
Alexandre Évariste (1780-1850)
Portrait présumé
de Claudine Duchêne-Morisot, grand-mère de Berthe Morisot
Vers 1805
Plume, lavis et crayon sur papier Collection particulière

« Un peintre si imprégné de la grâce et de la finesse du XVIIIe siècle »
A. Renoir
Repos, qui clôture l'exposition, illustre les liens subtils qui unissent Berthe Morisot à l'art du XVIIIe siècle. Le thème de la jeune fille endormie la rapproche de ses prédécesseurs et particulièrement de Boucher que l'impressionniste a toujours admiré. Elle écrit à son sujet: «Vu hier chez un marchand de curiosité du faubourg Saint-Germain une gravure d'après Boucher d'une extrême inconvenance et pourtant d'une grâce adorable [...]; on ne peut rien imaginer de plus voluptueux que la femme endormie la poitrine gonflée d'amour» (Berthe Morisot, 1885).
Son ami Renoir a résumé en quelques mots la singularité de l'interprétation de Morisot: «Et quelle autre anomalie, de voir apparaître, dans notre âge de réalisme, un peintre si imprégné de la grâce et de la finesse du XVIIIe siècle ; en un mot, le dernier artiste élégant et "féminin" que l'on ait eu depuis Fragonard, sans compter ce quelque chose de "virginal" que Madame Morisot avait à un si haut degré dans toute sa peinture» (1919).
En 1927, l'historien Henri Focillon en intégrant l'artiste à une Histoire de la peinture pointe cette même idée: «Le génie du XVIIIe siècle, mais non pas son libertinage, revit dans ces images familières et choisies, qu'anime une sorte d'aérienne volupté.» En ce sens, la peinture de Morisot s'inscrit dans le prolongement de l'école française du XVIIIe siècle.

Boucher François (1703-1770)
Jeune fille endormie
Huile sur toile
Fontaine-Chaalis, Fondation Jacquemart-André-Institut de France, domaine de Chaalis

Repos (Jeune fille endormie)
1892
Huile sur toile
Collection particulière

Perronneau
Jean-Baptiste (1716-1783)
Mme Perronneau endormie
Vers 1766
Pastel sur parchemin Courtesy galerie Franck Baulme


On ne quitte pas ce délicieux musée sans aller voir les Monet ! Quelques-uns en prime :


CLAUDE MONET 1840-1926
PORTRAIT DE JEAN MONET
1880
Huile sur toile

CLAUDE MONET 1840-1926
PORTRAIT DE MICHEL MONET, BÉBÉ 1878-1879
Huile sur toile

CLAUDE MONET 1840-1926
LES ROSES
1925-1926
Huile sur toile


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