Expo-fleuve, beaucoup de tableaux et de documentation sur cette période charnière, en voici l'essentiel :
L'exposition offre deux récits sur la modernité allemande de la république de Weimar (1918-1933), dans deux parcours distincts qui se recoupent à certains points d'intersection pour n'en former qu'un. Un premier volet, thématique, propose la première vue d'ensemble en France sur le courant de la Nouvelle Objectivité, selon une perspective pluridisciplinaire (peinture, photographie, architecture, mais aussi design, cinéma, théâtre, littérature et musique). Un second volet monographique présente l'œuvre majeure du photographe August Sander (1876-1946), Die Menschen des 20. Jahrhunderts [Les Hommes du XXe siècle].
En se concentrant sur les années 1925-1929, période d'une certaine stabilité économique, l'exposition met en lumière toutes les ambivalences d'une société divisée entre fascination pour la rationalisation et angoisse d'une désindividualisation aliénante, subversion des normes de genre et défense de l'ordre établi. Elle propose ainsi d'analyser l'esprit du temps (Zeitgeist) d'une société allemande soumise à une rapide mutation sociale, politique et médiatique.
Le projet des Hommes du XXe siècle parcourt l'exposition comme il traverse son époque. Cette œuvre inachevée, tentative ambitieuse de classifier toute une société, nous présente les protagonistes de cette Allemagne des années 1920. L'ensemble de sept groupes et quarante-cinq portfolios est un monument de l'histoire de la photographie - davantage une construction organique qu'une œuvre monolithique -, comme le montre la présentation de ses sources et l'éclairage de ses liens avec l'art de son temps.
Prologue
Ces œuvres offrent un panorama en trois temps de l'art en Allemagne avant la Nouvelle Objectivité. Dans les années 1910 domine l'expressionnisme, art exalté et lyrique, centré sur le Moi créateur et l'intériorité de l'artiste, comme dans l'Autoportrait de Ludwig Meidner. Dans les environs de Cologne, August Sander travaille comme photographe ambulant à la campagne, et montre déjà un interêt marqué pour les paysans; photographiés en extérieur, ils ne posent pas frontalement face à l'objectif mais semblent ici surpris dans leur marche vers un avenir funeste. Le mouvement Dada apparaît durant la Première Guerre Mondiale. Résolument engagé à gauche, il bouleverse la définition bourgeoise de l'art en multipliant les provocations: la Tête mécanique de Raoul Hausmann annonce le retour à l'objet et à une forme d'inexpressivité.
August Sander Jungbauern [Jeunes paysans], 1914
Attribué au groupe 1, Der Bauer (Le Paysan), portfolio 1, Der Jungbauer [Le Jeune Paysan], du corpus Menschen des 20. Jahrhunderts [Hommes du xx® siècle) Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
Cette photographie date de l'été 1914 et montre trois jeunes hommes à la campagne, vêtus de leurs plus beaux habits du dimanche, le titre du photographe les désignant comme Jeunes paysans. Prise quelques mois avant le début de la Première Guerre mondiale, elle fait partie des photographies les plus célèbres d'August Sander et symbolise aujourd'hui un monde encore intact avant la rupture de la Grande Guerre. Peu après la prise de vue, les hommes seront mobilisés, l'un d'entre eux tombera peu après au front. Depuis sa publication en 1929, cette photographie a fait l'objet d'innombrables interprétations, des essais d'esthétique matérialiste (John Berger) et des romans de fiction (Richard Powers) lui ont été consacrés, elle est citée dans de nombreux remakes et films. Et pourtant, au-delà de toutes les significations qui s'y sont inscrites, cette image demeure avant tout celle de trois jeunes hommes prise par un photographe itinérant encore inconnu, qui leur proposera probablement d'acheter des tirages quelques week-ends plus tard.
Ludwig Meidner Selbstbildnis [Autoportrait), 1913
Huile sur toile Hessisches Landesmuseum Darmstadt
Raoul Hausmann
Mechanischer Kopf
[Tête mécanique], 1921
Marotte de coiffeur, bois et objets divers Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Max Beckmann Doppelbildnis [Double portrait), 1923
Huile sur toile
Städel Museum, Francfort-sur-le-Main Exposé en 1925 à Mannheim
George Grosz Porträt des Schriftstellers Max Herrmann-Neiße [Portrait de l'écrivain Max Herrmann-Neiße], 1925
Huile sur toile Kunsthalle Mannheim Exposé à Mannheim en 1925
Présentée lors de l'exposition consacrée à la Nouvelle Objectivité à la Kunsthalle de Mannheim en 1925 et acquise par le musée à cette même date, cette toile fait partie de ce que l'historien de l'art Gustav Friedrich Hartlaub, à l'origine de l'exposition, désigne comme l'aile gauche du mouvement. George Grosz représente ici Max Herrmann-Neiße, écrivain parmi les plus célèbres du Berlin de l'époque. L'artiste peint la petite silhouette voutée de son ami dans un réalisme sans concession, tout en soulignant son intellectualité par l'aspect imposant du crâne, agrandi par la perspective plongeante et traversé de veines apparentes. Cette œuvre marque le début du style vériste (réaliste) de Grosz ainsi que son retour à la peinture, après quatre années exclusivement consacrées au dessin et à la gravure.
Georges Scholz
Bahnwärterhäuschen [Guérite du garde-barrière], 1925
Huile sur carton
Kunstpalast, Dusseldorf Exposé en 1925 à Mannheim
Alexander Kanoldt Olevano II, 1925
Huile sur toile
Galerie Berinson, Berlin Exposé à Mannheim er 925
Cette œuvre appartient à ce que Gustav Friedrich Hartlaub nomme l'aile droite de la Nouvelle Objectivité, tendance selon lui plus conservatrice et classique. Alexander Kanoldt représente le village italien d'Olevano, situé dans le Latium, où il séjourne en 1924. Ce haut lieu de la peinture européenne du 19e siècle, maintes fois.représenté par des artistes romantiques, est ici vidé de tout élément pittoresque : Kanoldt peint un village désert, sans spécificité historique. La simplification géométrique des formes, qui rappelle le passé cubiste de l'artiste, donne à ce paysage l'aspect d'un objet inanimé.
Georg Schrimpf Kinderbildnis [Portrait d'enfant], 1925
Huile sur toile
Staatliche Museen zu Berlin Preußischer Kulturbesitz, Nationalgalerie, Berlin Exposé en 1925 à Mannheim
Genèse
Au début des années 1920, les artistes dégrisés de leurs illusions d'avant-guerre se tournent vers le réel, adoptent un style plus neutre et moins expressif, tendant vers une plus grande Sachlichkeit [objectivité]. La critique allemande cherche alors un nom pour désigner ce qu'elle identifie comme un retour à une figuration réaliste. Cette tendance est finalement baptisée Neue Sachlichkeit [Nouvelle Objectivité] par l'historien de l'art Gustav Friedrich Hartlaub. Sous ce titre, il organise en 1925 une exposition à la Kunsthalle (musée d'art) de Mannheim, dont il est le directeur. Elle rassemble 32 artistes, qu'Hartlaub divise en une "aile gauche" (réaliste, politiquement engagée) et une «aile droite» (d'inspiration plus classique). À la suite de cette exposition, la Nouvelle Objectivité devient un véritable slogan culturel dans l'Allemagne de la seconde moitié des années 1920. On retrouve cette appellation dans des pièces de théâtre populaire ou dans des revues de cabaret, où elle sert à décrire l'esprit de l'époque.
Karl Bertsch
Affiche de l'exposition "Neue Sachlichkeit. Deutsche Malerei seit dem Expressionismus" [Nouvelle Objectivité. Peinture allemande depuis l'expressionnisme], Kunsthalle Mannheim, 1925
Vue de l'exposition
Standardisation
Dans les années 1920, l'exaltation de l'individu qui caractérisait l'esthétique expressionniste est remplacée par un idéal de standardisation : les singularités sont effacées au profit d'un recours à des modèles, des types normés, des formes simples reproduites en série.
Davantage que sur les particularités physiques, l'attention des artistes se porte sur l'appartenance sociale des individus. Les Progressistes de Cologne, un groupe d'artistes aux utopies socialistes avec lequel August Sander expose en 1927, réalisent des compositions mettant en scène exploiteurs et exploités, représentés selon une schématisation qui les rend immédiatement reconnaissables. L'intérêt de Sander pour la typologie, centrale dans son travail, est directement issu de ses échanges avec les Progressistes : c'est l'un des paradoxes fondamentaux de son approche, qui consiste à chercher à représenter des catégories tout en photographiant des individus.
En urbanisme, la pénurie de logements conduit à la construction de grands ensembles immobiliers. En 1925 est lancé le programme "Das Neue Frankfurt" [Le Nouveau Francfort], vaste plan de construction de cités-lotissements uniformisées, aux formes basiques, conçues à partir de modules préfabriqués en série. Pour les intérieurs modernes, Marcel Breuer conçoit des meubles simples et fonctionnels, commercialisés via son entreprise, Standard Möbel.
Heinrich Hoerle Selbstbildnis [Autoportrait], vers 1931
Huile sur toile
Bröhan Design Foundation, Berlin, Allemagne
August Sander [Peintre (Franz Wilhelm Seiwert)],
Maler
192
Attribué au groupe V, Die Künstler [Les Artistes], portfolio 33, Der Maler [Le Peintre], du corpus Menschen des 20. Jahrhunderts [Hommes du xx siècle] Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
August Sander
Maler [Peintre (Gerd Arntz)], 1927-1928
Attribué au groupe V, Die Künstler [Les Artistes], portfolio 33, Der Maler [Le Peintre], du corpus Menschen des 20. Jahrhunderts [Hommes du xx® siècle] Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
Stadion [Stade]
Fabrik [Usine]
Hotel [Hôtel]
Warenhaus [Grand magasin]
Kaserne [Caserne]
Bank [Banque]
Gefängnis [Prison], 1927-1928
Bordell [Bordel]
Wohnhaus [Immeuble d'habitation]
Gerd Arntz Zwölf Häuser der Zeit [Douze Maisons du temps], 1927
Gravures sur bois, impression sur papier Japon Collection particulière, Allemagne du Sud
Ces gravures forment un ensemble intitulé Douze Maisons du temps, chacune incarnant un bâtiment ou un lieu de la société.moderne. Dans un vocabulaire visuel élémentaire, composé de formes géométriques en noir et blanc, Gerd Arntz souhaite montrer de la manière la plus intelligible possible l'organisation du système capitaliste et les injustices qu'il génère dans tous les champs de la vie quotidienne. Schématisés selon leur catégorie sociale, les individus sont compartimentés dans des espaces hiérarchisés selon leur taille ou leur ensoleillement. Au moyen d'un langage graphique supposé universel, l'ambition de l'artiste est ici de révéler au prolétaire sa condition d'exploité, afin de l'inciter à s'en libérer.
Peter Alma
Série Acht Portretten [Huit portraits], 1929-1931
Priester [Prêtre] Militair [Militaire] Cipier [Geôlier] Bankier [Banquier]
Mundaneum Wien Gesellschaftsgliederung [Structure de la société], vers 1931-1933
University of Reading, Otto and Marie Neurath Isotype Collection Collection Mundaneum, Mons, Papiers personnels Paul Otlet Facsimilé
Grands propriétaires terriens, Paysans, Ouvriers agricoles Entrepreneurs, Employés, Ouvriers
Werner Mantz (photographe) Cité-lotissement de Kalkerfeld, immeubles d'habitation dans la Heidelberger Straße, Cologne, vers 1930
Carl-Hermann Rudloff et Ernst May (architectes) La rue Am Forum dans la Römerstadt, Francfort-sur-le-Main, vers 1929
Baubüro Gropius (photographie) Walter Gropius (architecte) Cité-lotissement de Dessau-Törten, 1927
Marcel Breuer
Teetisch oder Hocker
[Table à thé ou tabouret], 1927
Marcel Breuer B 9/Hocker für die Bauhauskantine [B 9/Tabouret pour la cantine du Bauhaus], 1925
Dérivées des tabourets B 9 conçus pour la cantine du Bauhaus, les tables gigognes de Marcel Breuer (tables s'emboîtant les unes sous les autres) sont emblématiques de l'esthétique fonctionnaliste promue dans les années 1920: la fonction de l'objet en détermine la forme, tout décor est donc proscrit car jugé inutile. L'aspect simple et épuré de ces tables les rend facilement reproductibles à grande échelle. Par ailleurs, le recours à des matériaux modernes comme l'acier tubulaire leur confère une grande légèreté, facilitant leur manipulation et leur déplacement. Fondateur de la société Standard Möbel, le designer Marcel Breuer cherche alors à concilier art et industrie en réalisant des objets standardisés, accessibles au plus grand nombre.
Montages
Dès la fin des années 1910, les artistes du mouvement Dada ont recours à la technique du montage pour créer dans leurs œuvres des associations insolites, souvent porteuses d'un discours politique. Loin d'abandonner ce procédé, la Nouvelle Objectivité le reprend pour le mettre au service d'une analyse de la société. En photographie ou en peinture, dans les films et même dans les manuscrits littéraires comme celui d'Alfred Döblin, le principe du montage permet aux artistes de proposer une forme de synthèse d'un lieu, d'une journée ou plus largement de l'époque. Dans les collages, photomontages et peintures, l'association d'éléments hétérogènes génère des images fictives et étrangement figées: portraits groupés dépourvus de toute vie, réduction de l'individu au statut d'objet interchangeable, paysages factices et disloqués.
Fox Europa Produktion Photocollages publicitaires pour le film de Walter Ruttmann, Berlin: Die Sinfonie der Großstadt [Berlin, symphonie d'une grande ville], 1927
Sasha Stone
Helene Odilon mit dreissig
Jahren und heute im Altersheim [Helene Odilon à trente ans et aujourd'hui en maison de retraite], vers 1928
Photomontage
Portraits
Karl Hubbuch Zweimal Hilde II [Deux fois Hilde II], vers 1929
Huile sur toile montée sur masonite
Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid
Comme le montre le dessin préparatoire (ci-dessous), ces deux œuvres n'en formaient initialement qu'une seule, découpée ultérieurement par l'artiste en raison d'un endommagement de la partie centrale. Karl Hubbuch y représente son épouse, la photographe Hilde Isay, dans une composition séquentielle qui apparaît comme un collage de plusieurs portraits. Le peintre dévoile ainsi en une seule œuvre les multiples facettes de la personnalité de son modèle: intellectuelle et élégante sur la partie gauche, où elle figure pensive sur une chaise moderne conçue par Marcel Breuer, elle devient provocante et espiègle dans la partie droite, qui la montre en sous-vêtements dans une pose affirmée.
Karl Hubbuch
Étude de dos, 1927
Karl Hubbuch Zweimal Hilde I [Deux fois Hilde (1)], 1929
Huile sur toile
Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich
Otto Dix An die Schönheit (Selbstbildnis) [À la beauté (Autoportrait)], 1922
Huile sur toile
Von der Heydt-Museum Wuppertal Exposé à Mannheim en 1925
Otto Dix réalise ici un portrait de la société urbaine allemande en assemblant comme dans un collage plusieurs éléments disparates. Un buste de salon de coiffure, un couple de danseurs mondains, une prostituée à la poitrine dénudée, un musicien de jazz afro-américain et deux serveurs en smoking se côtoient sans interagir dans un étrange décor de dancing. Au centre, l'artiste se représente, le visage poudré et inexpressif, vêtu d'un costume élégant et tenant dans sa main un téléphone comme un businessman affairé. Derrière un titre ironique, Dix révèle la laideur d'une époque qui cherche dans les divertissements et la course au plaisir un moyen d'échapper à la crise économique et politique que traverse alors l'Allemagne.
Lotte Laserstein Russisches Mädchen mit Puderdose [Jeune fille russe avec poudrier], 1928
Huile sur bois Städel Museum, Francfort-sur-le-Main
En 1928, la marque de cosmétique Elida lance un concours de peinture pour créer "le plus beau portrait de femme allemande"; cette toile de Lotte Laserstein, peintre et portraitiste berlinoise, fait partie des 26 œuvres finalistes (sur 365). Elle contrevient pourtant au règlement : il ne s'agit pas ici du portrait d'une Allemande mais du portrait d'une émigrée russe, probablement issue de l'aristocratie et ayant fui son pays en 1917. Le thème du maquillage fait écho à la marque commanditaire du concours, mais rappelle aussi les principes esthétiques des portraits de la Nouvelle Objectivité, selon lesquels les signes extérieurs priment sur la psychologie, camouflée derrière une apparence impénétrable.
Leonore Maria Gräfin Stenbock-Fermor Porträt Hildegard Schroeder
(Konzertpianistin) [Portrait de Hildegard Schroeder (pianiste concertiste)], 1930
Huile sur toile
Stiftung Stadtmuseum Berlin
Otto Dix
Rothaarige Frau (Damenporträt) [Femme rousse (Portrait de dame)], 1931
Technique mixte sur toile sur bois
Kunstsammlungen Chemnitz - Museum Gunzenhauser, Eigentum der Stiftung Gunzenhauser
Rudolf Schlichter
Margot, 1924
Huile sur toile
August Sander Erfinder und Dadaist [L'Inventeur et dadaïste (Raoul Hausmann)], 1929
Attribué au groupe II, Der Handwerker [L'Artisan], portfolio 12, Der Techniker und Erfinder [Le Technicien et inventeur], du corpus Menschen des 20. Jahrhunderts [Hommes du XXe siècle] The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, 84.XM.126.154
Bien au-delà du groupe V, August Sander place nombre de ses photographies d'artistes parmi les Hommes du XXe siècle. Ses photos de Raoul Hausmann, prises en 1929 lors d'un voyage à Berlin, en sont l'exemple le plus remarquable. L'artiste apparaît dans les groupes II, III et VI en tant qu'inventeur, dandy et bohémien, mais pas dans le groupe V. Ceci est peut-être dû à l'inadéquation entre l'art pluridisciplinaire d'Hausmann et les catégories classiques du groupe d'artistes. Ces choix permettent d'appréhender les différentes fonctions que Sander attribue aux artistes dans son modèle de société.
Georg Scholz
Weiblicher Akt auf dem Sofa [Nu féminin sur le sofa], 1928
Huile sur toile
Städtische Museen Freiburg, Museum für Neue Kunst, Fribourg-en-Brisgau
Otto Dix
Bildnis der Journalistin Sylvia von Harden [Portrait de la journaliste Sylvia von Harden], 1926
Huile et tempera sur bois
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, achat 1961
August Sander
Sekretärin beim Westdeutschen Rundfunk in Köln
[Secrétaire à la Westdeutscher Rundfunk de Cologne], 1931
Attribué au groupe III, Die Frau [La Femme], portfolio 17, Die Frau im geistigen und praktischen Beruf [La Femme exerçant un métier intellectuel et manuel], du corpus Menschen des 20. Jahrhunderts [Hommes du xx siècle] Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
Christian Schad
Anna Gabbioneta, 1927
Huile sur toile
Collection particulière, Courtesy Richard Nagy Ltd., Londres
Otto Dix Bildnis des Kunsthändlers Alfred Flechtheim [Portrait du marchand d'art Alfred Flechtheim], 1926
Huile sur bois
Staatliche Museen zu Berlin Preußischer Kulturbesitz, Nationalgalerie, Berlin
Alfred Flechtheim est une importante figure de la vie artistique allemande des années 1920. Marchand d'art, il possède plusieurs galeries qui exposent principalement des cubistes français, son domaine de prédilection. Le peintre le représente ici dans son activité, entouré d'œuvres cubistes (celle accrochée au mur est malicieusement signée et datée par Otto Dix). Convoquant les stéréotypes antisémites de l'époque, l'artiste caricature le marchand en une figure du juif cupide. saisissant d'une main une peinture de Georges Braque et posant l'autre sur des dessins de Pablo Picasso, qu'il semble protéger comme un trésor personnel. Le renforcement des stéréotypes raciaux apparaît ici comme l'une des conséquences de l'obsession de l'époque pour la typologie.
Julius Bissier Selbstbildnis eines Bildhauers [Autoportrait d'un sculpteur], 1928
Huile sur toile Städtische Museen Freiburg, Museum für Neue Kunst, Fribourg-en-Brisgau
Carlo Mense Don Pepe, 1924
Huile sur toile
Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München, Munich Exposé en 1925 à Mannheim
Franz Radziwill Einer von den Vielen des XX. Jahrhunderts [L'Un des nombreux du xxe siècle], 1927
Huile sur bois
LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Munster 1588 LM
Willi Müller-Hufschmid Akademiemodell
[Modèle académique], vers 1922
Huile sur papier sur contreplaqué Galerie Berinson, Berlin
Christian Schad Bildnis Dr. Haustein [Portrait du D' Haustein], 1928
Huile sur toile
Museo National Thyssen-Bornemisza, Madrid
Le D' Hans Haustein est un célèbre médecin de Berlin, dermatologue et spécialiste des maladies vénériennes. Mondain, il tient également un prestigieux salon politique et littéraire qui réunit des personnalités éminentes du monde de l'art, dont son ami Christian Schad. Le peintre le représente ici avec une sonde ou un cathéter, attribut caractéristique de sa profession. Derrière, une immense ombre est projetée sur le mur: celle de son amante Sonja (dont le nom de famille est inconnu), fumant une cigarette. Déformée, elle apparaît sous la forme d'une créature inquiétante qui évoque peut-être le spectre de la syphilis, maladie soignée par Haustein.
Persona froide
Selon l'historien de la littérature Helmut Lethen, l'humiliation infligée par les vainqueurs à l'issue du premier conflit mondial fait naître en Allemagne une culture de la honte, caracterisée par un embarras généralisé vis-à-vis des utopies d'avant-guerre. Dans les années 1920 apparaît alors ce qu'il nomme la "persona froide", nouveau type social qui consiste à chercher à se dérober au sentiment d'humiliation en affichant un masque de froideur, d'indifférence. Les portraits de la Nouvelle Objectivité apparaissent dès lors vides de tout sentiment; les sujets y figurent seuls et arborent une expression détachée, un regard absent, voire vide. Les artistes ne se concentrent plus sur les personnalités de leurs modèles mais sur leurs attributs extérieurs, notamment leurs professions. Avec un œil quasi sociologique, ils construisent une typologie de la Neue Frau, nouvelle femme aux cheveux courts et aux vêtements masculins. À l'image d'August Sander, qui photographie "La femme", les artistes s'intéressent aux normes de genre qui façonnent l'apparence des individus.
Heinrich Maria Davringhausen Der Schieber [Le Profiteur], 1920-1921
Huile sur toile Kunstpalast, Düsseldorf
Au milieu d'un décor imaginaire de gratte-ciel froids et géométriques, un homme d'affaires en costume élégant est assis à son bureau. Les objets posés devant lui sont autant d'attributs qui permettent d'identifier sa place dans l'échelle sociale: le téléphone, l'élégant stylo avec encrier et le document signé reflètent son pouvoir, le compas la méticulosité de ses ambitions, les cigares et le vin sa prospérité financière. Exécuté au début de l'hyperinflation qui frappe l'Allemagne au début des années 1920, ce portrait d'un spéculateur type, enrichi grâce à la crise, est peint dans un style neutre, aux antipodes de l'exaltation individuelle caractéristique de l'expressionnisme. Calculateur froid et rationnel, le profiteur arbore un visage indifférent.
Grethe Jürgens Stoffhändler [Marchands de textile], 1932
Huile sur toile
Sprengel Museum Hannover, Leihgabe Land Niedersachsen, Hanovre
Walter Schulz-Matan
Der Fayencesammler [Le Collectionneur de faïences], 1927
Huile sur toile
Münchner Stadtmuseum, Munich
Hannah Höch Gläser [Verres], 1927
Huile sur toile
Museumslandschaft Hessen Kassel, Neue Galerie - Sammlung der Moderne, Cassel
Davantage connue pour ses collages et ses photomontages dadaïstes, l'artiste berlinoise Hannah Höch réalise ici une nature morte hyperréaliste dont la composition est fortement influencée par la photographie de l'époque : point de vue surplombant, cadrage resserré, espace neutre, absence de contexte particulier. La texture des objets en verre est rendue avec une grande précision; cette transparence symbolise une nouvelle conception de la peinture, qui doit montrer les objets de manière limpide, sans filtre. Au tout premier plan, dans un reflet inversé, la peintre s'est représentée à son chevalet devant une fenêtre.
Erich Wegner Wirtshaustheke [Comptoir d'auberge], vers 1927
Toile sur contreplaqué
Von der Heydt-Museum Wuppertal
Albert Renger-Patzsch
Gläser
[Verres], 1926-1927
Épreuve gélatino-argentique
Galerie Berinson, Berlin
Hans Mertens Stillleben mit Hausgeräten
[Nature morte avec ustensiles domestiques], 1928
Franz Lenk
Stillleben mit gelber Tüte [Nature morte avec sachet jaune],
1927
Technique mixte sur toile Kunsthalle Mannheim
Bernhard Dörries Frühstückstillleben
[Nature morte de petit déjeuner], 1927
Aenne Biermann Eier [Œufs], 1931
Épreuve gélatino-argentique
Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Munich
Les choses
Les artistes de la Nouvelle Objectivité s'intéressent particulièrement au genre de la nature morte et représentent les objets avec une grande netteté. Les peintres s'inspirent de la photographie, qui paraît particulièrement adaptée à un rendu précis en raison de sa prétendue objectivité. Cactus et figuiers à caoutchouc sont très populaires dans les années 1920 en Allemagne, où ils sont recherchés pour leur exotisme. Les artistes se passionnent pour ces plantes perçues comme architecturées, géométriques, abstraites. Elles sont souvent insérées dans des compositions gagnées par le vide et apparaissent dès lors inanimées, étrangement inertes. Cette nature chosifiée s'inscrit dans une fascination plus large pour le monde des objets. Peintres et photographes saisissent les produits industriels standardisés, fabriqués en série, dans des compositions en plan rapproché. Les objets en verre suscitent un intérêt particulier; cette fascination pour la transparence témoigne d une volonté de représenter le monde sans filtre, avec objectivité.
Georg Scholz Kakteen und Semaphore [Cactées et sémaphores], 1923
Huile sur panneau dur
LWL-Landesmuseum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Munster Exposé en 1925 à Mannheim
Rudolf Dischinger Grammophon [Gramophone], 1930
Huile sur contreplaqué Städtische Museen Freiburg, Museum für Neue Kunst, Fribourg-en-Brisgau
Franz Xaver Fuhr Stillleben (Gummibaun.) [Nature morte (Caoutchouc)], vers 1925
Huile sur toile Kunsthalle Mannheim
Franz Lenk Amaryllis, 1930
Tempera sur toile
Staatliche Museen zu Berlin Preußischer Kulturbesitz, Nationalgalerie, Berlin.
Achat par Eduard Freiherr von der Heydt pour l'association des amis de la National-Galerie, 1930
Willy Zielke
Stillleben mit Kaktus und Orange [Nature morte avec cactus et orange], vers 1930
Epreuve gélatino-argentique d'époque Private Collection, Courtesy Galerie Berinson, Berlin
Alexander Kanoldt Stillleben mit Gitarre [Nature morte avec guitare], 1926
Huile sur toile
Staatsgalerie, Stuttgart. Leihgabe der Freunde der Staatsgalerie 1935-2008 und seit 2013
Alexander Kanoldt reprend un motif récurrent des natures mortes cubistes: guitare et cartes à jouer disposées sur une table. Les objets sont ici peints avec neutralité, sous une lumière blafarde qui accuse leurs contours; la plante verte dépouillée apparaît figée, ajoutant de la raideur à l'ensemble. La précision du rendu de certaines matières (la brillance du bol en céramique, les reflets sur la bouteille) contraste avec l'approximation de plusieurs détails (la guitare n'a pas de cordes, les cartes à jouer sont blanches ou ornées de vagues motifs, le miroir ne reflète que le vide de la pièce). Cette tension entre réalisme et incohérences, typique de la Nouvelle Objectivité, contribue à créer une atmosphère étrange et irréelle.
Aenne Biermann Winterzwiebel [Ciboule], vers 1926-1928
Epreuve gélatino-argentique
Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Bayerische Staatsgemäldesammlungen Munich
Aenne Biermann
Ficus elastica (Gummibaum) [Ficus elastica (Caoutchouc)], 1926-1928
Épreuve gélatino-argentique
Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Munich
Otto Dix
Karton zum "Großstadt-Triptychon" [Carton pour « Le Triptyque de la Grande Ville »], 1927-1928
Fusain, craie, crayon, sanguine, gouache sur papier à dessin marouflé sur toile, 3 panneaux Leihgabe des Kunstmuseum Stuttgart (Dauerleihgabe des Ministeriums für Wissenschaft, Forschung und Kunst Baden-Württemberg im Kunstmuseum Stuttgart)
Dans ce travail préparatoire pour une peinture de mêmes dimensions trop fragile pour voyager, Otto Dix reprend le thème du divertissement urbain nocturne, déjà présent dans son tableau À la beauté. Il décline le principe du montage en investissant un format classique de la peinture religieuse, le triptyque. La division en trois panneaux permet à l'artiste de montrer simultanément les multiples facettes de la société selon une disposition lourde de sens: au centre se trouve l'élite privilégiée, dansant le jazz dans un night-club, tandis que les panneaux latéraux évoquent le peuple de la rue, relégué aux marges (prostituées, invalides de guerre). De manière arbitraire, l'artiste a donné à ses personnages les visages de différentes personnalités de Dresde, ou de certains de ses proches.
Albert Birkle
Kurfürstendamm, 1924
Pastel sur carton
Kunstsammlung Oberschwäbische Elektrizitätswerke (OEW)/Landkreis Sigmaringen
Gert Heinrich Wollheim Abschied von Düsseldorf [Adieux à Düsseldorf], 1924
Huile sur toile
Kunstpalast, Düsseldorf
Installé à Düsseldorf depuis 1919, Gert Heinrich Wollheim est un peintre connu sur la scène artistique locale pour ses provocations et son caractère tapageur; il fait partie d'un groupe de jeunes artistes modernes, Das junge Rheinland [La jeune Rhénanie]. Dans cette toile réalisée en 1924, l'artiste fait ses adieux à la ville et à ses tumultueuses années de jeunesse, alors qu'il part pour Berlin l'année suivante où il mènera une vie plus rangée. La scène étrange, faite d'associations d'éléments disparates rappelant les peintures de Bosch ou Grünewald, évoque un décor de théâtre, un carnaval, des funérailles ou plus simplement un rêve. Wollheim se représente au centre en costume élégant de dandy, pleuré par un cortège de figures féminines aux costumes irréels et aux gestes exaltés.
Christian Schad Graf St. Genois d'Anneaucourt [Comte St. Genois d'Anneaucourt), 1927
Lotte B. Prechner Epoche [Époque], 1928
Huile sur toile
Friedrich-Ebert-Stiftung e.V., Allemagne
L'artiste de Cologne Lotte B. Prechner est membre du groupe Das junge Rheinland [La jeune Rhénanie]. Vers la fin des années 1920, délaissant un style plutôt expressionniste, elle s'inscrit dans le courant de la Nouvelle Objectivité. Epoche [Époque] offre une synthèse visuelle de l'état du monde en 1928 à travers un montage hétéroclite évoquant la guerre, les grandes puissances mondiales, les religions, les nouvelles usines et la montée des dictatures fascistes, le tout sous un soleil dardant des dollars. Au premier plan, un homme noir en costume cravate semble jeter sur ce monde un regard froid et désabusé, tout en protégeant comme un trésor une pile de livres, symbole de son intellectualité. Persécutée en raison de sa judéité, Lotte B. Prechner se réfugiera à Bruxelles en 1938.
Utilité
Liée à la Nouvelle Objectivité, la notion de Gebrauch [utilité] apparaît dans l'Allemagne des années 1920 dans les domaines du théâtre, de la musique et de la littérature. Elle favorise l'émergence d'œuvres à caractère didactique. Censées être utiles à la société, elles doivent être ancrées dans leur temps et compréhensibles par un large public. Dans la Gebrauchslyrik [poésie utilitaire], la prose prend le pas sur le lyrisme : l'écrivain privilégie le récit des faits sur l'exploration des sentiments, dans un style neutre et simple. Importés des États-Unis, de nouveaux styles musicaux apparaissent en Allemagne et deviennent très populaires, notamment le jazz. Les compositeurs s'en inspirent pour créer un genre musical nouveau, le Zeitoper [opéra d'actualité], dont les intrigues se déroulent dans le monde contemporain. Déjouant la fiction, les metteurs en scène Erwin Piscator et Bertolt Brecht développent le théâtre épique. Ils introduisent dans leurs pièces des dispositifs scéniques ou narratifs permettant au spectateur d'analyser l'intrigue, dans l'idée de contribuer à son éveil politique.
Umbo
Der rasende Reporter (Egon Erwin Kisch) [Le Reporter à toute vitesse (Egon Erwin Kisch)], 1926
Culture urbaine et déracinement social: la grande ville
Dans les discours publics de la république de Weimar, la grande ville est opposée au monde rural, elle est la nouvelle Babylone. Le groupe VI révèle que la pensée d'August Sander n'est pas dépourvue de ces lieux communs. Pour lui, la ville est avant tout un lieu vital, mais aussi la destination des invalides de la guerre et des gens de la campagne à la recherche du travail. La ville est également le lieu des déracinés. Sander consacre un grand nombre de vues aux gens du voyage qu'il photographie malgré leur marginalisation avec la même distance et le même respect que le bourgeois. Enfin, après 1945, il entreprend de classer dans ce même groupe VI trois portfolios dédiés aux persécutés du nazisme, dont des juifs de Cologne, des prisonniers politiques et des travailleurs étrangers (voir la dernière salle de l'exposition). La vitrine montre la production exubérante de recueils de portraits de l'époque, témoignant de la viralité du discours physiognomonique en Allemagne, qui de nouveau oppose <«< le visage authentique » des paysans au «< masque >> de l'homme urbain aliéné.
Rationalité
A la crise économique et à l'inflation spectaculaire d'après-guerre succède une période de stabilisation et de croissance relatives, favorisées notamment par l'injection de capitaux américains en 1924. En Allemagne naît alors une fascination pour l'Amérique et le modèle de société capitaliste qu'elle incarne. La rationalisation du travail mise au point par Taylor est adoptée par les entreprises allemandes, entraînant une industrialisation rapide et une mécanisation des tâches. Peintres et photographes de la Nouvelle Objectivité louent alors la beauté des machines. Le culte de la technique se poursuit avec l'apparition de la radio, nouvel appareil domestique perçu comme un potentiel outil d'émancipation, notamment par Bertolt Brecht.
Le principe de rationalisation devient bientôt une nouvelle norme qui structure la vie sociale et culturelle. L'aménagement intérieur des logements de petites dimensions est étudié par les architectes et designers pour optimiser l'espace, les cuisines sont repensées pour faciliter le quotidien des ménagères. Ce souci d'amélioration des conditions du travail domestique s'inscrit dans un désir général d'émancipation des femmes.
Fritz Schüler
Der Mensch als Industriepalast [L'Homme comme palais industriel], 1926
Anonyme
Arbeiterinnen am Fließband [Travailleuses à la chaîne], 1932
Alice Lex-Nerlinger << Arbeiten, arbeiten, arbeiten »> [<< Travailler, travailler, travailler »], 1928
Oskar Nerlinger Schnell, noch einen Bissen [Vite, encore une bouchée], vers 1928
Photocollage avec tempera rouge et bleue Akademie der Künste, Berlin, Kunstsammlung, Inv.-Nr. Lex-Nerlinger 2826
L'organisation rationnelle du travail se généralise en Allemagne dans les années 1920. Oskar et Alice Lex-Nerlinger font partie des artistes très critiques envers le taylorisme : membres depuis 1928 du parti communiste allemand (KPD), ils réalisent des photogrammes ou des photomontages politiques qui dénoncent la dureté des conditions de travail à l'usine. Dans cette œuvre, un ouvrier avale à toute vitesse un sandwich pendant sa pause déjeuner de 15 minutes, tout en fixant anxieusement du regard une horloge placée sur la sonnerie de la reprise. Celle-ci est liée à l'oreille du travailleur par un trait rouge, couleur qui souligne également sur le cadran la brièveté d'un repas pris dans l'urgence.
Karl Völker
Beton [Béton], vers 1924
Max Radler
Station SD/2
[Gare SD/2], 1933
Franz Xaver Fuhr
Eisenbrücke [Pont de fer], 1928
Carl Grossberg
Schwungrad mit Treibriemen [Volant avec courroie d'entraînement], 1934
Carl Grossberg
Jacquard-Weberei [Atelier de tissage Jacquard], 1934
Carl Grossberg Selbstbildnis [Autoportrait], 1928
Huile sur bois
Collection particulière, Allemagne
Passionné par l'industrie, Carl Grossberg se fait connaître pour ses tableaux représentant des usines ou des machines, qu'il peint dans leurs moindres détails dans des compositions idéalisées, dépourvues de toute présence humaine. Dans ce très rare autoportrait, récemment redécouvert, il se représente en buste, élégamment vêtu et tenant un fin pinceau. Derrière lui sont visibles un marteau-pilon à vapeur et une vue aérienne sur un paysage industriel, ressemblant à un aéroport. La pose hiératique de l'artiste, son visage vide de toute expression font écho à l'arrière-plan figé et froid, d'une pureté idéale. L'atmosphère aseptisée de l'ensemble confère à l'œuvre un aspect de produit manufacturé, comme sorti d'une machine.
Kurt Weill, Paul Hindemith, Bertolt Brecht Enregistrement de la première mondiale de la pièce radiophonique Der Ozeanflug [Le Vol au-dessus de l'Océan], juillet 1929
Le Vol de Lindbergh est une pièce musicale dont le livret est écrit par Bertolt Brecht. Elle raconte l'exploit de l'aviateur Charles Lindbergh, premier pilote à effectuer un vol direct New York-Paris. La première mondiale a lieu le 27 juillet 1929 et est diffusée uniquement à la radio. Voyant dans cette nouvelle technologie un potentiel outil d'émancipation, Bertolt Brecht souhaite ensuite créer une version de la pièce sans chanteur principal, mais requérant à la place la participation des auditeurs : comme une sorte de karaoké radiophonique, ceux-ci auraient été invités à chanter certaines parties chez eux. Le projet ne fut finalement pas réalisé. En 1950, le titre de la pièce est modifié en Vol au-dessus de l'océan afin d'effacer le nom de Lindbergh, sympathisant nazi durant la guerre.
Max Radler Der Radiohörer [L'Auditeur de radio], 1930
Huile sur toile
Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München, Munich
Nouvelle machine domestique, la adio investit les foyers allemands à part de 1923, année de la première émission d'ffusée à Berlin. Les premiers modèles fonctionnent avec un casque audio. Max Radler fait ici le portrait d'un ouvrier, identifiable comme tel grâce au paysage d'usine en arrière plan. Faute de moyens, il semble avoir fabriqué lui-même son appareil, aux branchements pour le moins complexes. Le programme posé sur la table indique qu'il écoute une chaîne internationale venant d'Union soviétique. Cherchant à politiser ce nouveau media, plusieurs associations ouvrières tentent alors d'en faire un moyen de communication destiné à faciliter l'organisation d'une solidarité prolétaire internationale.
Wilhelm Heise
Verblühender Frühling.
Selbstbildnis als Radiobastler [Printemps fâné.
Autoportrait en amateur de radio], 1926
Johannes Schröder Dessin pour le décor de l'opéra Maschinist Hopkins [Machiniste Hopkins] de Max Brand, Vereinigte Stadttheater, Duisbourg, vers 1929
Craie
Theaterwissenschaftliche Sammlung Universität zu Köln, Cologne
Composé et écrit par Max Brand, Maschinist Hopkins est un opéra créé le 13 avril 1929 à Duisbourg. L'action se déroule aux États-Unis, dans une usine dont un couple prend le contrôle après avoir commis un assassinat: Hopkins, un machiniste, tente de déjouer leurs plans. Inspiré du film Metropolis (1927) de Fritz Lang, notamment pour les décors, cette œuvre traite des thèmes typiques de la Nouvelle Objectivité comme le monde du travail et la machine. Par la mise en scène de la vie quotidienne contemporaine et par sa composition musicale hétéroclite entre musique lyrique et légère, jazz, mais aussi bruitages de machines industrielles. cette pièce s'insère dans le genre du Zeitoper [opéra d'actualité)
Johannes Schröder
Dessin pour le décor de l'opéra Maschinist Hopkins [Machiniste Hopkins] de Max Brand, Vereinigte Stadttheater, Duisbourg, vers 1929
George Grosz Gefängniskapelle [Chapelle de la prison], 1928
Dessin pour le décor de la pièce Die Abenteuer des braven Soldaten Schwejk [Les Aventures du brave soldat Švejk] d'Erwin Piscator
Aquarelle et encre sur papier Theaterwissenschaftliche Sammlung Universität zu Köln, Cologne
Adaptée d'une nouvelle satirique antimilitariste, la pièce Die Abenteuer des braven Soldaten Schwejk [Les Aventures du brave soldat Švejk] mise en scène par Erwin Piscator remporte un grand succès dans toute l'Allemagne à la fin des années 1920. Se déroulant durant la Première Guerre mondiale, elle raconte les mésaventures d'un anti-héros naïf qui tente au mieux de s'adapter à un patriotisme montré comme absurde. Les décors réalisés par George Grosz s'accordent avec l'anti-illusionnisme promu par Piscator: les personnages ne sont pas représentés de manière réaliste mais lourdement caricaturés. Les dessins remplacent parfois les acteurs et sont mis en mouvement via des tapis roulants, innovation technique spectaculaire à l'époque.
Rudolf Schlichter
Der Künstler mit
zwei erhängten Frauen
[L'Artiste avec
deux femmes pendues], vers 1924
Karl Hubbuch
Der Lustmord [Meurtre sexuel], 1930
Otto Dix
Traum der Sadistin I [Rêve de la sadique I], 1922
Otto Dix
Szene II (Mord)
[Scène II (Meurtre)], 1922
Otto Dix
Lustmord
[Meurtre sexuel], 1922
Heinrich Maria Davringhausen Der Träumer [Le Rêveur], 1919
Huile sur toile
Hessisches Landesmuseum Darmstadt
Assis à une table, un homme élégamment vêtu semble perdu dans ses pensées, rêvant les yeux ouverts d'un couple sur une plage idyllique. Une observation plus attentive brise néanmoins cette atmosphère romantique : devant l'homme se trouve un rasoir ensanglanté, ayant servi à mutiler une femme dont le cadavre gît au second plan. Peinte dans l'immédiat après guerre, cette œuvre de transition, encore influencée par l'expressionnisme, évoque l'évolution de la violence à l'issue de la Première Guerre mondiale. Loin de disparaître, elle s'exprime dans des représentations crues de féminicides, qui laissent entrevoir les peurs masculines liées à l'émancipation des femmes dans l'Allemagne weimarienne.
Regard vers le bas
Mus par une volonté de représenter le revers du capitalisme triomphant, certains artistes de la Nouvelle Objectivité proches du parti communiste tournent leur regard vers les invisibles que le progrès technique exclut ou éprouve. Les films, reportages ou enquêtes documentant le quotidien des travailleurs nourrissent la pratique des photographes et des peintres, qui adoptent une approche analytique et distancée. Les foules anonymes des masses laborieuses sont représentées dans l'environnement oppressant de l'architecture industrielle : désindividualisés, les ouvriers ne sont plus que de simples rouages de la machine économique capitaliste.
Les artistes figurent également les populations précaires vivant en bordure des grands centres urbains, loin des boulevards animés et des divertissements dont ils demeurent exclus. August Sander consacre un groupe entier à «< La grande ville ». Il y photographie les populations marginales gens du voyage et gitans menant une vie d'itinérance, mais aussi chomeurs, mendiants et miséreux venus à sa porte.
Augustin Tschinkel Arbeiter [Ouvriers], 1930
Augustin Tschinkel Weg zur Arbeit
[En route pour le travail], 1929
Linogravure sur papier Collection Merrill C. Berman
Slátan Dudow
Zeitprobleme. Wie der Arbeiter wohnt [Problèmes de notre époque. Comment se loge l'ouvrier], 1930
35 mm, noir et blanc, 17 min (extrait de 3 min 37 s) Bundesarchiv, Film
Hanna Nagel Sans titre, 1929
Crayon et aquarelle sur papier Collection Merrill C. Berman
Oskar Nerlinger Straßen der Arbeit [Routes du travail], 1930
Tempera sur carton Stiftung Stadtmuseum, Berlin
Dans l'environnement oppressant d'une architecture industrielle monumentale, des hommes se rendent au travail; ils empruntent à pied des routes qui s'étendent à perte de vue le long de voies ferrées, sans doute faute de moyens pour prendre ces transports. Fondus dans une foule anonyme, les travailleurs désindividualisés apparaissent sans visages, tous vêtus du même costume sombre. Oskar Nerlinger montre ici des ouvriers devenus interchangeables, transformés en simples rouages de la machine économique capitaliste. Membre du groupe d'artistes Die Abstrakten [Les Abstraits], il utilise le vocabulaire formel de l'abstraction dans un but politique, les formes géométriques froides faisant écho à l'univers déshumanisant du travail en usine.
Karl Völker
Industriebild [Tableau de l'industrie], vers 1924
Karl Völker Bahnhof [Gare], 1924-1926
Huile sur bois
Kulturstiftung Sachsen-Anhalt, Kunstmuseum Moritzburg Halle (Saale), MO100293
En 1923, sous l'impulsion du parti communiste d'Allemagne, la gare de Halle est entièrement rénovée afin de faciliter les déplacements des ouvriers vers un grand site industriel situé au sud de la ville. Peintre engagé à gauche, Karl Völker représente cette architecture éclatante de nouveauté avec une certaine ambivalence. L'œuvre montre d'une part la parfaite fonctionnalité de cette nouvelle infrastructure propre et rationnelle, qui améliore les conditions de travail d'une classe ouvrière marchant ici en un bloc uni et solidaire. Néanmoins, la froideur et la rigidité de l'ensemble renvoient également au quotidien aliénant de ces travailleurs, entassés en troupeau dans une architecture impersonnelle.
Karl Völker
Die Arbeitermittagspause [Pause déjeuner des ouvriers], vers 1928
Hans Baluschek Sommerabend [Soir d'été], 1928
Huile sur toile
Berlinische Galerie, Landesmuseum für Moderne Kunst, Fotografie und Architektur, Berlin
Membre du parti social-démocrate, le peintre et illustrateur Hans Baluschek réalise de nombreuses œuvres qui dépeignent la vie quotidienne de la classe ouvrière à Berlin dans une veine réaliste. Cette toile montre un quartier ouvrier en bordure de la ville, jouxtant la voie ferrée et l'usine. Sur un vaste terrain vague situé derrière un immeuble d'habitation, des familles profitent de l'air frais et de rares étendues d'herbe aux reliefs accidentés. L'artiste représente une soirée ordinaire des classes populaires urbaines, bien éloignée des cafés, théâtres et cabarets du centre-ville, loisirs dont les Berlinois les plus pauvres demeurent exclus.
Hans Grundig Am Stadtrand
[En bordure de la ville], 1926
August Sander
"éditer une société" : hommes du xxe siècle
Né en 1876 dans une famille de mineurs à Herdorf, dans le Westerwald, August Sander devient une figure charnière de la photographie, en appliquant les pratiques du 19e à la modernité du 20e siècle. Il est l'un des «< anciens >> des avant-gardes, source d'inspiration pour des photographes de la génération suivante comme Walker Evans, qui qualifiera son travail comme étant un << montage » (editing) de la société. En son temps, Sander a su incorporer les leçons plus radicales d'une génération révolutionnaire d'artistes dans son œuvre. Alors que l'exposition s'ouvre sur son dialogue avec les Progressistes Cologne, elle se poursuit ici avec les liens forts de Sander avec les paysans. Ces deux influences - la complicité avec l'esprit révolutionnaire et l'enracinement dans le terroir - font partie des tensions productives et des forces antagonistes qui traversent son œuvre.
Der Industrielle [L'Industriel], 1929
Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
Großindustrieller [Kommerzienrat Arnold von Guilleaume] [Gros industriel (le Conseiller commercial Arnold von Guilleaume)], 1927
Maler
[Peintre (Otto Dix)], 1924
Marqué « Du portfolio LE PEINTRE », puis attribué au groupe V, Die Künstler [Les Artistes], portfolio 33, Der Maler [Le Peintre]
Schriftsteller und Literaturkritiker [Écrivain et critique littéraire (Detmar Heinrich Sarnetzki)], 1924-1925
Komponist [Compositeur (Richard Strauss)], 1925
Marqué «< Du portfolio LE COMPOSITEUR », puis attribue au groupe V, Die Künstler [Les Artistes],
portfolio 34, Der Komponist [Le Compositeur]
La terre comme l'origine : I le paysan
Après des années de formation et des débuts artistiques à Linz (Autriche), August Sander s'installe à Cologne, pour parcourir le week-end les villages du Westerwald en tant que photographe ambulant. Ses portraits de paysans constitueront une décennie plus tard la base de son projet sur les Hommes du XXe siècle, une typologie de la sociéte allemande divisée en sept groupes. Il consacre le premier groupe au paysan, élaborant ainsi son << Kulturwerk in Lichtbildern »> [Œuvre culturelle en photographies] à partir du monde rural de la fin du 19 au début du 20e siècle. Les sept portfolios du groupe sont censés suivre le modèle de sa Stammappe [Portfolio archétypal], composé de douze images, ce qui représente pour lui une structure idéale.
Le recours de Sander à ses photographies commerciales constitue un élément important pour former son corpus. Une longue vitrine fait découvrir pour la première fois les tirages commerciaux du photographe. Elle permet de comprendre que le travail de Sander consistait aussi à «< éditer >> ses archives et à transformer ses portraits de commandes en documents photographiques représentant un type social.
[L'Homme attaché à la terre] 1913
[La Femme attachée à la terre], 1912 [La Femme à l'intelligence] 1913 [Le Philosophe], 1913
[La Philosophe], 1913 [Couple de paysans - rigueur et harmonie], 1912
Bäuerin [Paysanne], 1914
Bauernkind [Enfant de paysans (Emma Herfen)], 1919
Attribué au groupe I, Der Bauer [Le Paysan], portfolio 2, Das Bauernkind und die Mutter [L'Enfant de paysan et la mère] Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
Les tirages qui montrent la petite paysanne Emma Herfen permettent de comprendre comment August Sander fait passer ses motifs d'un contexte social à un contexte artistique. Si les tirages commerciaux présentés dans la vitrine ont probablement été produits et vendus peu après la prise de vue en 1919, le tirage présenté au mur a été réalisé plus tard alors que Sander travaille déjà a son projet Hommes du XXe siècle. Comme beaucoup d'autres tirages produits pour les portfolios, l'image agrandie est montée sur carton et entourée d'une bordure à l'encre noire. Les différents formats, cadrages et montages ne son qu'un exemple de la manière dont Sander a procedé pour « éditer la société » (Walker Evans).
Types de paysans
Types de paysans
Herrenbauer
[L'Exploitant agricole], 1924
Du métier à l'industrie : Il l'artisan
Le groupe Il est dédié au concept de l'artisan comme homo faber, l'homme qui sait créer ses propres outils. La définition est large et implique aussi la dimension temporelle du progrès. Les cinq portfolios partent du Maître artisan pour arriver au Technicien et inventeur en passant par la phase de l'industrialisation où s'opposent les industriels et les ouvriers. À travers leurs poses, les modèles y manifestent leur conscience de classe, un sentiment de fierté de leur statut d'ouvrier. Loin d'une vision misérabiliste, August Sander photographie les ouvriers avec la même distance et dignité que les paysans ou les bourgeois. Ce chapitre présente aussi la dimension artisanale du travail d'August Sander, poursuivi par son fils, Gunther Sander, et son petit-fils, Gerd Sander, qui continueront à tirer et éditer ses photographies après sa mort. À travers deux images iconiques, Konditor [Le Pâtissier] et Handlanger [Manœuvre], les différentes générations de tirages font valoir qu'en photographie, le négatif est le véritable original, comparable à une partition à interpréter.
Konditor [Pâtissier], 1928
Schuhmachermeister [Maître-Cordonnier], 1925
Der Industrielle [L'Industriel], 1929
Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
Kommunistischer Führer [Leader communiste (Paul Frölich)],
1929
Revolutionäre [Révolutionnaires (Alois Lindner, Erich Mühsam, Guido Kopp)], 1929
Ingenieur und Werbeleiter [Ingénieur et chef de publicité], vers 1935
Entre les rôles de genre: III la femme
Consacrer un groupe au rôle de la femme semble un geste progressiste, mais néanmoins ambigu. Dans les trois premiers portfolios, la femme est moins définie par son individualite, mais plus par ses relations aux autres. Si la conception de ces ensembles révèle l'attitude conservatrice d'August Sander, à l'intérieur de ces portfolios, les femmes de ses couples d'amis artistes intègrent un nouveau type féminin: la « Nouvelle Femme ». Employée et active, on la retrouve dans les deux derniers portfolios du groupe, consacrés à la femme élégante et la femme dans sa profession. Pour ces femmes, la photographie est devenue via les magazines imprimés une forme de miroir pour s'affirmer et se réinventer. Dans la vitrine se trouve exposée une invention datant de 1928: les photomatons, qui permettaient de se mettre en scène dans la cabine. Les petits portraits automatises sont juxtaposés à des séries de portraits de Sander provenant d'une séance de prise de vue. On voit comment les modèles travaillent leurs poses devant l'objectif, cherchant le détail significatif et le geste sophistiqué.
Mutter und Tochter [Mère et fille (Martha Dix avec sa fille Nelly)], 1925
Bürgerkinder [Enfants de bourgeois], 1925
Mutter und Tochter [Mère et fille (Helene Abelen avec sa fille Josepha)], vers 1926.
Junge Mutter, bürgerlich [Jeune mère, bourgeoise), 1926
Bürgerkind
(Enfant de bourgeois), 1926
Umbo
Der rasende Reporter (Egon Erwin Kisch) [Le Reporter à toute vitesse (Egon Erwin Kisch)], 1926
Straßenmusiker
[Musicien des rues], 1928
Straßenphotograph
[Photographe des rues],
vers 1930
Le Violoncelliste
Le Pianiste
Luthiste
Musicien de café-concert
vers 1919
Inclure les exclus et le cercle de la vie : VII les derniers des hommes
Le titre du groupe VII convoque la notion de «< dernier homme » forgée par Friedrich Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathustra pour designer le déclin de l'homme passif, representant d'une civilisation, en opposition au «< surhomme >>. Pourtant, l'épilogue sinistre des Hommes du XXe siècle ne correspond pas à cette idée. Dans l'unique portfolio, August Sander rassemble douze photographies de personnes âgées et mourantes, d'hommes et enfants aveugles, se terminant par le masque mortuaire de son fils Erich, donnant ainsi l'idée d'un cycle de vie d'une société qui se termine par la mort et Les Derniers des hommes. Toutefois, la formulation apparemment méprisante du titre et la position du groupe en fin d'ouvrage des Hommes du XXe siècle demeurent déconcertantes. Les photographies en vitrine présentent la totalité des portraits d'aveugles de Sander, et démontrent son intérêt pour ces personnes. Ses agrandissements de détails révelent une certaine fascination, voire une forme d'empathie pour eux faisant de leurs gestes une véritable allégorie des sens.
Politischer Häftling [Prisonnier politique (Marcel Ancelin)], 1943
The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, 84.XM.126.289
August Sander consacre un de ses portfolios tardifs aux prisonniers politiques, dans lequel il a inclus des photographies que son fils Erich avait réalisées en tant que photographe officiel de la prison de Siegburg et qu'il avait réussi à faire sortir clandestinement. Les fonctions initiales des prises de vue sont différentes et ne peuvent pas toujours être reconstituées. Pourtant, elles acquièrent une nouvelle signification dans le grand récit des Hommes du XXe siècle : c'est aux persécutés, aux déplacés et aux emprisonnés que Sander rend hommage, et sans leur existence, un récit du 20e siècle dans la perspective allemande ne serait pas complet.
Verfolgter [Persécuté (Arthur Levy)], vers 1938
Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
L'été 1938, l'Allemagne nationale-socialiste promulgue une « Verordnung über Kennkarten » [ordonnance générale sur les cartes d'identité] qui oblige les Allemands juifs à s'identifier comme juifs et juives avec une photo d'identité mentionnant en outre les prénoms Israël ou Sara. C'est peut-être dans ce contexte qu'August Sander a réalisé des portraits de Colognaises et de Colognais juifs. Dans une lettre de 1946 adressée à Hans Schoemann, un ami de son fils Erich, Sander exprime son souhait de consacrer un «< portfolio des juifs émigrés » à ces personnes. Ce portfolio s'intitulera plus tard Persecutés, car nombre d'entre eux n'ont pas survécu à la Shoah.
Totenmaske von Erich Sander [Masque mortuaire d'Erich Sander], 1944
Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne
Idiots, malades, fous et mourants est le titre qu'August Sander donne à ce portfolio. Mais cette formulation sévère ne montre pas que Sander considère ceux qui ne sont généralement pas portraiturés comme dignes d'être représentés. Néanmoins, le fait que ce portfolio soit le tout dernier reste troublant. Il y définit l'homme vu comme une créature, élément organique dans le cycle de la vie. Avec ce portfolio, Sander revient à la campagne, montre le vieux paysan qui se dirige vers la fin de son chemin de vie en s'appuyant sur deux cannes. Le masque mortuaire de son fils Erich, décédé en 1944 dans la prison de Siegburg suite à une maladie non soignée, constitue la conclusion des Hommes du XXe siècle.
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