LE
LABYRINTHE
Metteur en scène attitré des expositions surréalistes, Marcel Duchamp donne à celle de 1947 la forme d'un labyrinthe. L'étymologie du mot grec labrys qui désigne une double hache dont chaque côté représente l'été et l'hiver, fait du labyrinthe le lieu du dépassement des contradictions. Ses murs renferment un secret: ils hébergent le Minotaure, être double, mi-homme mi- animal. Au sein du labyrinthe « la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement » (André Breton). Rien d'étonnant à ce que le labyrinthe soit devenu l'emblème du surréalisme qui, de sa création en 1924 jusqu'à sa dissolution à la fin des années 1960, revendique cette réconciliation des contraires.
Vous, qui vous apprêtez à y entrer, laissez à sa porte toutes les idées claires que vous dicte la raison. Entre ses murs, la nature « dévore le progrès », la nuit fusionne avec le jour, le rêve se mêle à la réalité
Photomatons
Luis Bunuel
Autoportrait dans un photomaton, vers 1929
Louis Aragon
Autoportrait dans un photomaton, vers 1929
Pierre et Jacques Prévert
Autoportrait dans un photomaton, vers 1929
René Magritte
La coquetterie, vers 1929
Autoportrait dans un photomaton, vers 1929
Salvador Dalí
Autoportrait dans un photomaton, vers 1929
André Breton
1896, Tinchebray-1966, Paris
Poisson soluble, 1924
7 cahiers manuscrits
Crayon noir avec surcharges encre noire Bibliothèque nationale de France Département des Manuscrits
ENTRÉE DES MÉDIUMS
Le surréalisme fait du poète un voyant, capable de faire résonner son âme au diapason de l'univers, de retrouver l'accord antique de la poésie et de la divination. Giorgio de Chirico ouvre la voie en 1914 en peignant un portrait de Guillaume Apollinaire marqué d'une cible à l'endroit où le poète sera blessé, deux ans plus tard, par un éclat d'obus. En novembre 1922, l'article « Entrée des médiums » que publie André Breton dans la revue Littérature, rend compte des séances de sommeil hypnotique auxquelles se livrent les futurs surréalistes. Cette plongée dans l'inconscient, ce « dérèglement de tous les sens », trouvent un écho dans les œuvres des artistes médiumniques et les propos des malades psychotiques. En 1919, André Breton et Philippe Soupault l'appliquent à l'écriture automatique des Champs magnétiques, écrits à quatre mains. Dès 1925, cette méthode trouve sa traduction plastique dans les frottages de Max Ernst, ou dans les peintures de sable d'André Masson.
Victor Hugo
1802, Besançon - 1885, Paris
Taches en forme de paysage, vers 1857
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
L'Armée céleste, vers 1925-1926
Huile sur toile
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles Acquis de M. Jacques Bolle, Bruxelles, 1965
7222
Dans le Manifeste du surréalisme, André Breton définit l'écriture automatique comme la voie d'accès privilégiée à l'inconscient. Les images que Max Ernst fait naître en frottant à la craie une feuille de papier posée sur les lattes d'un vieux parquet, en constituent l'une des premières réponses plastiques. Transposant ce principe à la peinture, l'artiste met au point la technique du grattage, consistant à révéler la présence d'objets posés sous une toile peinte. Ces œuvres, qui manifestent un désir d'expression immédiate, non préméditée, trouvent un écho dans les peintures de sable d'André Masson commencées à l'automne 1926. Préalablement enduite de colle, la toile retient le sable en un dessin aléatoire ensuite rehaussé de couleur.
Matta
1911, Santiago-2002, Civitavecchia
Le Poète (Un poète de notre connaissance), 1945
Huile sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat grâce au mécénat de Tilder, 2016
AM 2016-854
Le jeune Chilien Roberto Matta fait la connaissance des surréalistes en 1937: « J'étais très jeune, tout à fait inexpérimenté [...] ils regardèrent mes dessins et ils me dirent: Tu es surréaliste ? Je ne savais même pas ce que cela voulait dire. » Exilé aux États-Unis pendant la guerre, l'artiste peint cette figure totémique pointant son revolver vers le spectateur. Portrait crypté d'André Breton, cette figure nue, brutale et hallucinatoire symbolise à elle seule la poétique révolutionnaire du surréalisme.
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
Les Cerfs-Volants, 1927
Eileen Agar
1899, Buenos Aires - 1991, Londres
Angel of Anarchy, 1936-1940
Plâtre, tissu, coquillages, perles, pierres diamantées et autres matériaux
Marcel Jean
1900, La Charité-sur-Loire - 1993, Louveciennes
Le Spectre du Gardénia, 1936/1972
Jean-Claude Silbermann
Né en 1935 à Boulogne-Billancourt
La Voyante, 1961
Huile sur toile
Collection Jean-Jacques Plaisance. Les Yeux Fertiles, Paris
Fleury Joseph Crépin
1875, Hénin Liétard - Montigny-en-Gohelle, 1948 Temple, 11 octobre 1941
Huile sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Mme Jacqueline Victor Brauner, 1973
AM 1973-37
En 1933, André Breton publie dans la revue Minotaure un texte intitulé « Le Message automatique », dans lequel il reconnait l'importance artistique des créations des artistes spirites. Illustré par une gravure de Victorien Sardou, La Maison de Mozart, l'article établit un lien entre les réalisations médiumniques et l'écriture automatique : « la main de Sardou entraînée par une force occulte, fait suivre au burin la marche la plus irrégulière avec une rapidité inouïe ». Les œuvres d'Augustin Lesage, de Fleury Joseph Crépin ou encore de Françoise Fondrillon, dictées, selon leurs auteurs, par des esprits ou des voix extérieures, seront attentivement regardées par les surréalistes.
Victor Brauner
1903, Piatra Neamţ - 1966, Paris
Autoportrait, 1931
Huile sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Legs Mme Jacqueline Victor Brauner, 1986
AM 1987-1196
En 1931, lors de son second séjour à Paris, le peintre roumain Victor Brauner peint un autoportrait fictif à l'œil énucléé. Sept ans plus tard, alors qu'il tente de s'interposer entre les artistes Óscar Domínguez et Esteban Francès lors d'une rixe, le peintre perd l'usage de son œil. Cette prémonition vaut à Brauner d'entrer durablement dans l'histoire du « hasard objectif »>, cher aux surréalistes. Dans l'article intitulé « L'œil du peintre >> qu'il consacre à cet épisode dans la revue Minotaure, l'écrivain Pierre Mabille souligne la naissance de «l'œuvre messagère de l'inconscient, annonciatrice de l'avenir personnel et social >>.
Giorgio De Chirico
1888, Vólos- 1978, Rome
Le Cerveau de l'enfant, 1914
Huile sur toile
Moderna Museet, Stockholm. Purchase 1964 (The Museum of Our Wishes)
NM 6068
En 1916, alors qu'il voyage à bord d'un autobus, André Breton descend en marche, irrésistiblement attiré par un tableau accroché dans la vitrine de la galerie Paul Guillaume. Le poète finira par acquérir cette œuvre «< chargée de magie quotidienne >> et douée d'un «pouvoir de choc exceptionnel », qu'il conservera presque toute sa vie. Rebaptisée Le Cerveau de l'enfant par Louis Aragon, reproduite dans la revue Littérature, l'œuvre qui montre un personnage aux yeux clos, devient pour les futurs surréalistes le symbole du monde intérieur, la métaphore du procès fait au monde sensible, à la réalité. Lorsqu'Yves Tanguy relatera être lui aussi descendu d'une voiture en marche pour admirer cette peinture, l'œuvre rejoindra les nombreux exemples surréalistes de «hasard objectif ».
Giorgio De Chirico
1888, Vólos-1978, Rome
Portrait [prémonitoire] de Guillaume Apollinaire, printemps 1914
Huile et fusain sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat, 1975
AM 1975-52
Arrivé à Paris en 1911, Giorgio de Chirico ne tarde pas à se rapprocher du groupe d'artistes formé autour de Guillaume Apollinaire. En 1914, il réalise un portrait de l'écrivain qu'il dote des attributs d'Orphée, poète et musicien de la mythologie grecque un buste antique et une lyre, symbolisée par un coquillage. La paire de lunettes noires évoque la « voyance » du regard poétique, sa capacité à percevoir le monde au-delà de ses apparences concrètes. À l'arrière-plan, la silhouette du poète est marquée d'une cible blanche désignant précisément l'emplacement où Apollinaire sera frappé par un éclat d'obus deux ans plus tard. Ce pouvoir de prémonition fascinera les surréalistes qui accueilleront longtemps Chirico comme l'un des leurs avant leur rupture en 1929.
Edith Rimmington
1902, Leicester - 1986, Bexhill-on-Sea
Museum, 1951
Victor Brauner
1903, Piatra Neamţ - 1966, Paris
Le Surréaliste, 1er janvier 1947
Hector Hyppolite
1894, Saint-Marc (Haïti) - 1948, Port-au-Prince
Ogou Ferraille, vers 1947
Huile sur masonite
Courtesy of The Museum of Everything
En 1945, alors qu'il voyage à Port-au-Prince en Haïti, André Breton fait la connaissance d'Hector Hyppolite, peintre, prêtre vaudou et fondateur du groupe des artistes naïfs d'Haïti. Fasciné par sa peinture qui, par bien des aspects, s'apparente au surréalisme, le poète acquiert plusieurs peintures, dont ce portrait d'Ogou Feray, patron des forgerons dans le culte vaudou. Il y reconnaît la figure du bateleur, personnage essentiel du tarot de Marseille, reconnaissable à son bâton, sa coupe, son épée et ses deniers. Le tarot, par ses qualités divinatoires, ne pouvait qu'intéresser les surréalistes. En 1947, c'est encore sous les traits d'un bateleur que Victor Brauner brosse le portrait de Breton.
TRAJECTOIRE DU RÊVE
Étudiant en médecine, André Breton se passionne pour l'ouvrage d'Albert Maury, Le sommeil et les rêves (1861) qui pose les prémisses de l'étude neurologique du rêve. En 1916, assistant au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, il découvre les méthodes d'interprétation des rêves de malades psychotiques à des fins curatives, préconisées par Sigmund Freud. Transposant les méthodes de la psychanalyse à la poésie, les surréalistes publient leurs « récits de rêve »>, cherchent à reproduire l'émerveillement des images qui s'offrent à l'esprit, à la lisière du sommeil. Dans Les Vases communicants, publié en 1932, Paul Éluard et André Breton s'appliquent à confondre le monde réel et celui du rêve. « Le rêve ne peut-il être appliqué à la résolution des questions fondamentales de la vie ? », s'interrogeait déjà Breton dans le Manifeste du surréalisme.
Salvador Dalí
1904, Figueras -1989, Figueras
Le Rêve, 1931
Huile sur toile
The Cleveland Museum of Art, John L. Severance
Détail du tableau précédent
Odilon Redon
1840, Bordeaux - 1916, Paris
Les Yeux clos, 1890
Huile sur toile marouflée sur carton Musée d'Orsay, Paris
RF 2791
En 1957, Breton publie L'Art magique, un musée imaginaire de la préhistoire à l'art moderne, revisité par la pensée surréaliste. Le peintre symboliste Odilon Redon y figure en bonne place. Le titre de son premier recueil lithographique, Le Rêve, publié en 1878, donnait déjà la clé de sa peinture onirique qui anticipe les préoccupations du mouvement surréaliste. En témoigne ce probable portrait de son épouse Camille Falte, les yeux clos, dans lequel l'extrême dilution de la peinture rend le sujet presque immatériel, flottant dans un espace vaporeux.
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
Dans la tour du sommeil, 1938
Joan Miró
1893, Barcelone - 1983, Palma de Majorque
La Sieste, juillet-septembre 1925
Salvador Dalí
1904, Figueras-1989, Figueras
Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une pomme-grenade, une seconde avant l'éveil, 1944
Dora Maar
1907, Paris-1997, Paris
Sans titre [Main-Coquillage], 1934
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1991
AM 1991-34
La photographe Dora Maar se rapproche du groupe surréaliste vers 1933. Les photomontages qu'elle réalise alors traduisent des préoccupations communes - l'érotisme, le sommeil, l'œil, l'univers maritime, l'inconscient ou encore l'irrationnel. Dora Maar se distingue de l'héritage du collage dadaïste encore prégnant chez les surréalistes. Elle applique pour ses photomontages la méthode destinée à son travail commercial, se servant de ses propres photographies ou de clichés trouvés qu'elle collectionne. Ses compositions témoignent d'un souci d'échelle et d'un respect de la perspective donnant l'illusion de visions réalistes.
Dora Maar
1907, Paris-1997, Paris
29 rue d'Astorg, vers 1936
Dora Maar
1907, Paris-1997, Paris
Portrait d'Ubu, 1936
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1998
AM 1998-246
Portrait d'Ubu est présenté pour la première fois en mai 1936 à l'« Exposition surréaliste d'objets » organisée par la galerie Charles Ratton à Paris. Bien que Dora Maar ait toujours refusé de se prononcer sur le sujet, préservant autour de l'œuvre un mystère cher au surréalisme, cette photographie représente sans doute un foetus de tatou. Son titre est tiré de la pièce Ubu roi d'Alfred Jarry (1895), dont le héros malveillant, vulgaire et ridicule est particulièrement apprécié des surréalistes. Ce portrait traduit l'intérêt du groupe pour l'horrible, l'étrange, mais aussi le brouillage des frontières, entre l'humain
et l'inhumain, l'héroïque et le grotesque.
Valentine Hugo
1887, Boulogne-sur-Mer -1968, Paris
Rêve du 21 décembre 1929
Mine de plomb sur papier Collection Mony Vibescu
Musicienne, danseuse, costumière des ballets russes et peintre, Valentine Gross grandit au sein d'une famille éclairée et épouse Jean Hugo, arrière-petit-fils du poète Victor Hugo. En 1926, elle rejoint les surréalistes, dont elle réalise plusieurs portraits d'un académisme très sûr et d'une grande sophistication. Ses illustrations de rêve qui allient ce même maniérisme à un goût pour la féérie figureront, comme ses cadavres exquis sur fond noir, parmi les apports déterminants au mouvement surréaliste.
Sonia Mossé
1917, Paris 1943, Sobibór
Trois femmes, 1937
Encre de Chine sur papier
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat, 2021
AM 2021-708
Comédienne, modèle, artiste, Sonia Mossé fréquente très jeune les cercles artistiques de Montparnasse et Saint-Germain- des-Prés. C'est par l'intermédiaire de Paul Éluard qu'elle se voit confier la réalisation d'un des mannequins de l'«< Exposition internationale du surréalisme » de 1938, qu'elle enroule de tulle arachnéen, un scarabée faisant office de bouche. Ce dessin, probablement réalisé pour un spectacle, peut être interprété comme une fresque autobiographique où Mossé, assise, les yeux clos, est entourée d'Antonin Artaud et de Nusch Éluard. Arrêtée en février 1943, elle est déportée et meurt au camp de Treblinka.
Grete Stern
1904, Elberfeld - 1999, Buenos Aires
Sueño No. 17: ¿quién será?, 1949
PARAPLUIES ET MACHINES À COUDRE
UMBRELLAS AND SEWING MACHINES
En 1914, dans la revue Vers et Prose, parait le texte d'un auteur oublié, mort en 1870 à l'âge de vingt-et-un ans: Isidore Ducasse, alias le Comte de Lautréamont. « Cette lecture a changé le cours de ma vie »> dira Philippe Soupault, qui transmet une édition des Chants de Maldoror (1869) à Breton qui partage à son tour sa découverte avec Aragon. Un mythe littéraire vient de naître. Les Chants ressemblent à la confession d'un génie malade. Le texte est un défi à toute construction logique, en appelle à la violence et à la destruction. Pour les jeunes surréalistes, il répond à la faillite du monde qui les a conduits à la boucherie des tranchées. Faisant de la beauté « la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie!», Lautréamont lègue au surréalisme une définition qui vaut aussi comme principe, celui d'une esthétique du collage, qui ne doit rien aux lois de la logique et de l'harmonie.
René Magritte
1898, Lessines- 1967, Schaerbeek
La Durée poignardée, 1938
Huile sur toile
The Art Institute of Chicago, Joseph Winterbotham Collection
1970.426
Marqué par Le Chant d'amour de Giorgio de Chirico, René Magritte fait sienne l'esthétique du collage. Dès 1936 pourtant, il la remet brutalement en question : « Une nuit, je m'éveillais dans une chambre où l'on avait placé une cage et son oiseau endormi. Une magnifique erreur me fit voir dans la cage l'oiseau disparu et remplacé par un œuf. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant : le choc que je ressentis était provoqué précisément par l'affinité de deux objets alors que précédemment ce choc était provoqué par la rencontre d'objets étrangers entre eux. »> Dès lors, les associations ne sont plus fortuites mais dictées par de stricts principes dialectiques, comme un foyer de cheminée et une locomotive, intrinsèquement liés par la fumée.
Konrad Klapheck
1935, Düsseldorf-2023, Düsseldorf
Die Gekränkte Braut, 1957
Huile sur toile
Collection Klapheck
Konrad Klapheck découvre le surréalisme à l'occasion d'un séjour à Paris, au milieu des années 1950. De Marcel Duchamp, il retient l'attention portée aux objets du quotidien et à leur charge poétique, de René Magritte, la facture lisse et impersonnelle. Les artistes du groupe réserveront un accueil enthousiaste à ses objets monumentaux et luisants, en particulier André Breton qui préface le catalogue de l'exposition de l'artiste à la galerie Sonnabend en 1965 et lui consacre un texte dans Le Surréalisme et la peinture (1964)
Wolfgang Paalen
1905, Vienne-1959, Taxco
Nuage articulé, 1937/2023
Salvador Dalí
1904, Figueras- 1989, Figueras
Le Téléphone aphrodisiaque, 1938
Pierre Roy
1880, Nantes - 1950, Milan
L'Été de la Saint-Michel, 1932
Giorgio De Chirico
1888, Vólos- 1978, Rome
Le Chant d'amour, 1914
Huile sur toile
The Museum of Modern Art, New York. Nelson A. Rockefeller Bequest, 1979
Rapprochant le moulage d'une tête d'Apollon antique et
un gant de caoutchouc, Le Chant d'amour porte à son plus haut accomplissement la définition de la beauté que le surréalisme emprunte à Lautréamont: «Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie!». La découverte du Chant d'amour par René Magritte a pour lui valeur de révélation : "Lorsque j'ai vu pour la première fois la reproduction du tableau de Chirico, ce fut un des moments les plus émouvants de ma vie : mes yeux ont vu la pensée pour la première fois. "
Aube Elléouët-Breton
Née en 1935 à Paris
Elseneur, 1979
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
La Femme 100 têtes: Crime ou miracle: un homme complet, 1929
Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Don de M. Carlo Perrone, 1999
Au printemps 1929, alors qu'il séjourne en Ardèche, Max Ernst collecte des illustrations de revues du 19° siècle qui suscitent chez lui un état de « grande excitation visuelle ». Il réalise pas moins de cent cinquante collages en quinze jours. Sans structure narrative et cohérence visuelle, La Femme 100 têtes remet en question la forme romanesque et s'impose, un an après Nadja d'André Breton, comme l'autre « antiroman surréaliste >>. Multipliant les lieux, les personnages et les actions, jouant de la polysémie du titre (« La femme cent têtes », « La femme sans tête »>, «La femme sang tête », "La femme s'entête"), Ernst redouble d'incohérence. S'y retrouvent néanmoins les grands sujets surréalistes, notamment l'anticléricalisme, l'érotisme, le rêve et la folie. L'extraordinaire minutie avec laquelle sont réalisées les planches aura un grand impact sur l'esthétique surréaliste qui en 1929, année de la publication du Second Manifeste du surréalisme, entre dans sa phase raisonnante..
Alberto Giacometti
1901, Borgonovo-1966, Coire
Table, 1933
Plâtre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don du vicomte Charles de Noailles, 1951
Présenté dans l'« Exposition surréaliste à la galerie Pierre Colle en 1933, ce plâtre est une étude pour une table imaginée pour la villa moderniste de Charles et Marie-Laure de Noailles, à Hyères. Mobilier, cet objet étonnant tient pourtant davantage de la sculpture avec ses pieds disparates, son buste à moitié voilé et ses objets hétéroclites une réplique plus petite de sa sculpture Cube, un mortier d'alchimiste et une main coupée qui ajoute au sentiment d' inquiétante étrangeté ». En février 1935, désireux de revenir à la figure humaine et de travailler d'après modèle, Alberto Giacometti sera exclu du groupe surréaliste. Il n'en restera pas moins un ami cher, comme lui écrit Breton: « Tu sais bien que tu es le personnage qui me manque le plus. Quand tu n'es pas là, il n'y a plus ni jeunesse, ni clarté, ni jeu, ni certitude sur le plan intellectuel sans compter que si ce n'est pas toi qu'on attend le soir au café, c'est peut- être bien qu'on n'attend personne. »
CHIMÈRES
Dans l'Illiade, Homère décrit la Chimère «lion par-devant, serpent par-derrière, chèvre au milieu ». La fascination durable qu'exerce l'animal fabuleux sur l'imaginaire surréaliste tient à sa forme composite et illogique issue du collage. Appliquant l'appel de Lautréamont à une « poésie [faite] par tous, non par un »>, les surréalistes inventent en 1925 le jeu du cadavre exquis. D'abord assemblage de mots, à l'origine de son nom (« Le cadavre - exquis - boira - le vin - nouveau »), le jeu s'applique bientot à l'image. Ces créatures «< inimaginables par un seul cerveau »> seront jusqu'à la fin des années 1960 l'emblème de l'activité collective surréaliste. Fille de Gaïa, Chimère, qui appartient à un monde chaotique, dépourvu des lois de la raison, s'impose comme l'animal totémique du surréalisme.
Yves Tanguy, Marcel Duhamel, Max Morise, André Breton
Cadavre exquis, 8 avril 1928
En 1925, au 54, rue du Château à Paris, quelques surréalistes (Marcel Duhamel, Jacques Prévert, Yves Tanguy, Georges Sadoul) inventent le jeu du «< cadavre exquis ». À tour de rôle, chaque participant écrit un nom, un adjectif, un verbe et un complément en ignorant les participations précédentes, ou prolonge une image dont il ne devine que quelques traits.
Exercice collectif le «< cadavre exquis » déconstruit la notion de génie individuel
་et exauce le vœu de Lautréamont, cher aux surréalistes : «La poésie doit être faite par tous, non par un ». En 1948, l'exposition « Le Cadavre exquis, son exaltation »>> organisée à la galerie Nina Dausset (Paris) rassemble plusieurs de ces créatures «inimaginables par un seul cerveau »> (Simone Breton)
Victor Brauner
1903, Piatra Neamţ - 1966, Paris
Loup-Table, 1939/1947
Bois et éléments de renard naturalisé
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Mme Jacqueline Victor Brauner en 1974
AM 1974 27
En 1938, l'artiste roumain Victor Brauner quitte définitivement Bucarest pour rejoindre Paris. Le climat de troubles qui règne alors, les difficultés liées à l'exil, la lecture des romantiques allemands et le souvenir du folklore roumain, favorisent l'exaltation d'une iconographie fantastique hantée par des créatures hybrides. Le motif du loup-table, imaginé dès 1933, réapparaît alors dans plusieurs peintures. En 1947, à l'occasion de l'« Exposition internationale du surréalisme » à la galerie Maeght, Brauner traduit ce sujet en trois dimensions en fixant la gueule hurlante et la queue d'un loup empaillé sur une table, dont l'un des pieds semble s'être métamorphosé.
Kurt Seligmann
1900, Bâle-1962, Sugar Loaf
Magnetic Mountain, 1948
Huile sur toile
The Art Institute of Chicago, Mary and Earle Ludgin Collection
1981,269
Kurt Seligmann et son épouse Arlette Paraf sont les premiers surréalistes à atteindre New York après la déclaration de guerre. Aux États-Unis, le peintre continue à développer son iconographie initiée depuis son adhésion au mouvement en 1934: des compositions complexes où évoluent des figures chimériques, nées de son intérêt pour l'héraldique (science des blasons) et l'ésotérisme. Après-guerre, les souvenirs du carnaval de sa Bâle natale se transforment en danses macabres et rituels occultes. Cette même année 1948, Seligmann publie un important ouvrage d'ésotérisme, largement diffusé, Le Miroir de la Magie.
Suzanne Van Damme
1901, Gand- 1986, Ixelles
Couple d'oiseaux anthropomorphes, 1944
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
Chimère, 1928
Dorothea Tanning
1910, Galesburg-2012, New York
Birthday, 1942
Huile sur toile
Philadelphia Museum of Art: A125th Anniversary Acquisition. Purchased with funds contributed by C. K. Williams, II, 1999
1999-50-1
En 1942, Dorothea Tanning fait la connaissance des surréalistes grâce à son ami, le galeriste Julien Levy. Quelques semaines plus tard, signe de sa conversion au mouvement, elle peint Birthday qui en adopte la facture virtuose et l'iconographie fantastique. Devant une succession de portes qui semblent s'ouvrir à l'infini, l'artiste se représente à demie-nue, vêtue d'une veste en racines anthropomorphes. À ses pieds, une petite créature chimérique symbolise la coexistence du rêve et de la réalité.
ALICE
« C'est peut-être l'enfance qui approche le plus de la vraie vie » écrit André Breton dans le Manifeste. La gloire surréaliste d'Alice au pays des merveilles (1865) est celle de cette enfance rêvée. Alice entre au panthéon surréaliste grâce à Aragon qui rédige en 1931 un article sur Lewis Caroll dans Le Surréalisme au service de la révolution, et traduit son roman La Chasse au Snark. Incarnation du merveilleux, de l'illogisme et de l'humour, Alice subvertit les fondements rationnels de la réalité. L'imaginaire dont elle est porteuse conduit Breton à compter Caroll parmi les ancêtres du surréalisme et à l'intégrer à son Anthologie de l'humour noir (1940) : « Tous ceux qui gardent le sens de la révolte reconnaîtront en Lewis Carroll leur premier maître d'école buissonnière ». Après Arthur Rimbaud et Lautréamont, une jeune poétesse, Gisèle Prassinos, incarne le génie poétique que le surréalisme attribue à l'enfance. Ses poèmes, préfacés par Paul Éluard, sont publiés en 1934 dans la revue
René Magritte
1898, Lessines- 1967, Schaerbeek
Alice au pays des merveilles, 1946
Huile sur toile Banque CPH
En 1946, soucieux de réformer un surréalisme qu'il juge mure dans le pessimisme, René Magritte rédige le Manifeste du surréalisme en plein soleil : « Contre le pessimisme général, j'oppose la recherche de la joie, du plaisir. J'entends par là tout l'attirail traditionnel des choses charmantes, les oiseaux, les arbres, l'atmosphère de bonheur qui remplace maintenant dans mes tableaux la poésie inquiétante que je m'étais évertué jadis à atteindre. » Adoptant la palette et la technique des impressionnistes consistant à peindre par petites touches lumineuses, il convoque également Alice et son «< climat de charme ». La réponse de Breton ne se fait pas attendre : «Texte anti-dialectique et par ailleurs cousu de fil blanc, vous plaisantez. >>
«Alice [...] se mit à poser des questions:
- N'avez-vous pas peur quelquefois de rester plantées ici,
sans personne pour s'occuper de vous ?
- Nous avons l'arbre qui est au milieu, répliqua la Rose.
A quoi t'imagines-tu qu'il sert ?
Mais que pourrait-il faire s'il y avait du danger?
demanda Alice.
Il pourrait aboyer, répondit la Rose. »
(Lewis Carroll, La Traversée du miroir, chapitre 2. Le Jardin des fleurs vivantes)
Marcel Jean
1900, La Charité-sur-Loire - 1993, Louveciennes
Armoire surréaliste, 1941
Clovis Trouille
1889, La Fère-1975, Neuilly-sur-Marne
Le Rêve d'Alice (dans un fauteuil), 1945
Georges Malkine
1898, Paris- 1970, Paris
Demeure de Lewis Carroll, 1966
Huile sur carton toilé
Collection Jean-Jacques Plaisance. Les Yeux Fertiles, Paris
Membre du groupe surréaliste dès sa création, Georges Malkine rompt avec lui en 1932. En 1943, évadé d'un camp de concentration où l'ont envoyé ses activités de résistant, il participe avec Aragon au quotidien communiste Ce Soir, avant de revenir à la peinture dans les années 1950. En 1966, il inaugure la période dite « des demeures », des architectures métaphoriques assignées à plusieurs figures tutélaires du surréalisme: André Breton, Antonin Artaud, Alfred Jarry, Guillaume Apollinaire, Sade, Lautréamont, Lewis Carroll... Tout droit sorties de contes fantastiques, ces bâtisses monumentales invitent à spéculer sur leurs intérieurs.
Leonora Carrington
1917, Clayton Green - 2011, Mexico
Green Tea, 1942
Huile sur toile
The Museum of Modern Art, New York.
Gift of the Drue Heinz Trust (by exchange), 2019
145.2019
Héritière de Lewis Carroll, Leonora Carrington retient de l'auteur l'univers merveilleux, peuplé d'un bestiaire fantastique doué de parole. Son œuvre peinte et littéraire est peuplée de hyènes, de chiens ou de juments, alter-ego de l'artiste. Dans Green Tea, peint en 1942 lors d'un bref séjour à New York avant de rejoindre définitivement le Mexique, elle se représente debout, vêtue d'une étrange camisole de force, accompagnée d'animaux, également entravés. Souvenir douloureux de son séjour à la clinique psychiatrique de Santander, en Espagne, où l'a menée un épisode dépressif, cette œuvre est également la promesse de la vie retrouvée, symbolisée par la luxuriance de la campagne anglaise.
Dorothea Tanning
1910, Galesburg - 2012, New York
Eine Kleine Nachtmusik, 1943
René Magritte
1898, Lessines - 1967, Schaerbeek
Les Valeurs personnelles, 1952
Dorothea Tanning
1910, Galesburg-2012, New York
Portrait of a Family, 1954
Huile sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat de l'Etat, 1974
Attribution, 1975
AM 1975-8
Dorothea Tanning peint Portrait of a Family à son retour à Paris en 1953. Les ruptures d'échelle et de proportion dont est victime Alice servent sa critique sarcastique de la condition féminine. Entre le spectre d'un père démesurément grand et une mère de famille lilliputienne réduite à son rôle de domestique, la fille blonde de Portrait of a Family semble implorer de l'aide. Interrogée sur le sens de cette œuvre, Tanning expliquait qu'il s'agissait pour elle de condamner << la hiérarchie qui s'impose au sein de la sacro-sainte famille ».
Mimi Parent
1924, Montréal - 2005, Villars-sur-Ollon
Comptine pour une enfant perverse
ou Children's corner, 1969
Boîte en bois peinte à l'huile. Feuilles mortes, cartes à jouer, coquilles, plastique, fils Margarita Gruger-Camacho
Mimi Parent et son époux Jean Benoît rencontrent André Breton en 1959, à l'occasion d'une visite d'atelier organisée par sa fille, Aube Elléouët-Breton. Quelques mois plus tard, ils participent à l'exposition «EROS, VIII Exposition internationale du Surréalisme»>, à la galerie Cordier. L'éloge de l'enfance, du jeu et de la liberté qu'incarne le personnage d'Alice lui vaut d'être régulièrement convoquée par Parent. Hommage non dissimulé à Max Ernst (Au premier mot limpide, 1923), cette boîte reliquaire est aussi un autoportrait crypté. Les nattes blondes qui réapparaîtront régulièrement dans l'œuvre de l'artiste l'identifient à l'image de la femme-enfant, aussi assumée qu'elle est ambigüe.
Détail du tableau précédent
André Kertész
1894, Budapest-1985, New York
Distorsion n° 40, Paris, 1933
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de l'artiste, 1978
Actif à Paris entre 1927 et 1936, le photographe André Kertész reste à distance du groupe surréaliste. Unique dans son corpus, sa série expérimentale des Distorsions l'inscrit pourtant pleinement dans l'histoire visuelle du mouvement. Répondant à une commande du magazine de charme Le Sourire en 1933, Kertész fait poser pendant plusieurs jours deux modèles nus à travers un miroir déformant, une attraction de foire très populaire au début du 20° siècle. Les déformations des corps et des visages prennent un caractère humoristique, inquiétant ou cauchemardesque, faisant écho aux recherches picturales menées aux même moment par Salvador Dali ou Pablo Picasso.
André Kertész
1894, Budapest-1985, New York
Distorsion n° 118, 1933
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat grâce au mécénat de Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret
AM 2012-3258
Simon Hantaï
1922, Bia - 2008, Paris
Femelle-Miroir II, 1953
Détail du tableau précédent
Pablo Picasso
1881, Malaga - 1973, Mougins
Acrobate bleu, novembre 1929
René Magritte
1898, Lessines - 1967, Schaerbeek
Les Idées de l'acrobate, 1928
Suzanne Van Damme
1901, Gand- 1986, Ixelles
Composition surréaliste, 1943
Jean-Claude Silbermann
Né en 1935 à Boulogne-Billancourt
Alice, 2002
Dorothea Tanning
1910, Galesburg - 2012, New York
Chambre 202, Hôtel du Pavot, 1970
MONSTRES POLITIQUES
Le surréalisme souhaite répondre à la double injonction de Karl Marx («< transformer le monde »>) et d'Arthur Rimbaud («< changer la vie »). Premier acte de leur engagement politique, les surréalistes se rapprochent des jeunes communistes du groupe Clarté avec lesquels ils signent en 1925 un manifeste dénonçant la guerre coloniale menée par la France au Maroc. Dans le contexte des années 1930 qui voit la montée des fascismes en Europe, nombre d'artistes reconsidèrent la séparation entre création poétique et engagement politique prônée jusqu'alors. Le surréalisme enfante des monstres qui font écho à la montée des totalitarismes. En 1933, l'année de d'Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne, le mouvement se dote d'une nouvelle qui adopte comme emblème la figure bestiale du Minotaure.
Eli Lotar
1905, Paris- 1969, Paris
Aux abattoirs de la Villette (Pierre Prévert), 1929
Épreuve gélatino-argentique,
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Don de Catherine Prévert, 2016
AM 2016-605
Figure de la nébuleuse surréaliste, Eli Lotar réalise en 1929 un reportage dans le lieu très fermé des abattoirs de la Villette en compagnie de son ami le cinéaste Pierre Prévert, représenté dans cette photographie. Celui-ci paraît comme hypnotisé par les boyaux de bœufs fraichement évidés amassés à ses pieds. Étoffant le corpus iconographique du « bas matérialisme >> et de « l'informe » cher à Georges Bataille, trois autres images de la série sont publiées dans la revue Documents en novembre 1929. Elles viennent illustrer l'entrée « Abattoir » du Dictionnaire critique, dans lequel Bataille déplore la relégation hygiéniste de ces lieux de mystères et de rites violents dans les sociétés modernes.
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
Portrait charge de Franco, vers 1938-1939
Jacques Hérold
1910, Piatra Neamt - 1987, Paris
Les Têtes, 1939
Gérard Vulliamy
1909, Paris-2005, Labastide-d'Armagnac
Le Cheval de Troie, 1936-1937
Huile sur panneau
Collection particulière
Proche des surréalistes dès 1934, gendre du poète Paul Éluard, Gérard Vulliamy retient du surréalisme « l'automatisme des formes et des mouvements ». De cette époque date Le Cheval de Troie, fresque hallucinatoire dont l'iconographie comme la technique (des glacis sur bois) témoignent de l'influence de Jérôme Bosch. Ce monumental cheval écorché dont la violence visionnaire anticipe les évènements à venir, est présenté à la galerie Jeanne Bucher, à Paris, en 1943, bravant la censure du régime de Vichy.
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
L'Ange du foyer
(Le Triomphe du surréalisme), 1937
Huile sur toile
Collection particulière
Max Ernst peint L'Ange du Foyer en 1937, dans une Europe en proie aux soulèvements fasciste, franquiste et nazi. Cette montée de la terreur, inarrêtable, sourde aux appels à la raison, s'incarne dans cette créature aussi monstrueuse que grotesque. Le titre et le sous-titre disent ironiquement le désarroi de l'artiste face à cette menace inéluctable: «c'était l'impression que j'avais à l'époque, de ce qui allait bien pouvoir arriver dans le monde». Funeste prémonition en septembre 1939, arrêté comme «étranger ennemi », auteur d'une peinture qualifiée de dégénérée », Ernst est interné au Camp des Milles, près d'Aix-en-Provence. Évadé, il parvient à rejoindre New York en 1941.
René Magritte
1898, Lessines - 1967, Schaerbeek
Le Présent, 1939
Victor Brauner
1903, Piatra Neamt - 1966, Paris
Hitler, 1934
Huile sur carton
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Don de Mme Aube Elléouët- Breton, 2003
AM 2003-259
André Breton conservait dans sa collection cette œuvre dans laquelle Victor Brauner inflige au portrait de Hitler des blessures irréparables, lui crevant les yeux, lui clouant la bouche, empalant son visage lacéré d'un parapluie. Avec ce portrait-charge, peint au moment où la France traverse une inquiétante crise politique opposant les groupes extrémistes de l'Action française aux partis de gauche, le peintre revient sur la barbarie et l'anéantissement de toute forme d'expression. À son retour en Roumanie, Brauner dessine une autre effigie du nazisme, Paul von Hindenburg, sous les traits de Monsieur K, un avatar inspiré du personnage du roi Ubu de la pièce d'Alfred Jarry, emblème caricatural du pouvoir politique.
Salvador Dalí
1904, Figueras -1989, Figueras
Construction molle avec haricots bouillis (prémonition de la guerre civile), 1936
Huile sur toile
Philadelphia Museum of Art: The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950
1950-134-41
Loin de restituer à la guerre civile espagnole son aspect politique, Dali choisit de la traiter comme un phénomène biologique. À la guerre intestine, il préfère le conflit intestinal et scatologique. À l'Histoire de l'Espagne, il superpose son histoire personnelle, la figure du cannibalisme étant liée à celle du père cruel : Chronos ou Guillaume Tell. À gauche, apparaît une figure empruntée à un autre tableau, Le pharmacien de l'Empordà à la recherche du rien, qu'il peint la même année. Portrait d'Alexandre Deulofeu, auteur de la théorie cyclique sur l'évolution des civilisations, elle semble étrangère au drame. Son absence de position claire sur la guerre et son admiration ambigüe pour la dictature avaient valu à Dali d'être exclu du groupe surréaliste dès 1934.
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
De Pie en pie, 1939
Leonora Carrington
1917, Clayton Green - 2011, Mexico
Ulu's Pants, 1952
Pablo Picasso
1881, Malaga - 1973, Mougins
La Minotauromachie, 1935
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
Capricorne, 1948/1964
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
Le Labyrinthe, 1938
LE ROYAUME DES MÈRES
Les « Mères», décrites par Johann Wolfgang von Goethe dans le second Faust (1832), constituent le mythe poétique le plus profond du surréalisme. André Breton en réactive le souvenir dans un texte qu'il consacre à Yves Tanguy en 1942: « Le premier à avoir pénétré visuellement dans le royaume des Mères, c'est Yves Tanguy. Des Mères, c'est-à-dire des matrices et des moules [...] où toute chose peut être instantanément métamorphosée en toute autre >>. Les « Mères» deviennent pour le surréalisme le creuset des formes en proie au vertige des métamorphoses. Elles sont les matrices où prennent forme le monde embryonnaire de la neuro- chirurgienne anglaise Grace Pailthorpe et le monde organique des artistes Jane Graverol et Salvador Dali.
Eugenio Granell
1912, La Corogne - 2001, Madrid
El nacimiento de los pájaros, 1957
Paul Klee
1879, Münchenbuchsee - 1940, Muralto
Pflanzenwachstum, 1921
Huile sur carton
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Legs de Nina Kandinsky, 1981
AM 81-65-879
En avril 1925, trois œuvres de Paul Klee sont reproduites dans La Révolution surréaliste. Ses motifs de végétaux et d'organismes vivants, inspirés par les théories de Goethe sur la plante primitive Urpflanze, rejoignent la nouvelle approche du vivant réclamée par les surréalistes. Dans un texte intitulé «Merci, Paul Klee » (1928), le poète René Crevel écrit : «< Des gouffres les plus mystérieux, Paul Klee a libéré un essaim de petits poux lyriques. Un simple cheveu devient pont entre ciel et terre. >>
Jean Arp
1886, Strasbourg 1966, Bâle
Fruit de la pagode, 1934
Plâtre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Saisie de l'Administration des Douanes, 1996
AM 2004-234
Figure mythique, 1949
Plâtre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Saisie de l'Administration des Douanes, 1996
AM 2004-256
Outrance d'une outre mythique, 1952
Plâtre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Saisie de l'Administration des Douanes, 1996
AM 2004-262
Dadaïste de la première heure, Jean Arp rejoint les rangs du surréalisme dès son installation à Paris en 1925. Deux ans plus tard, Roland Tual, le directeur de la galerie Surréaliste rue Jacques Callot, lui consacre sa première exposition personnelle. Au début des années 1930, dans son atelier de Meudon, Arp initie une série de formes en plâtre qui semblent s'engendrer mutuellement, en un mouvement perpétuel. Leurs titres disent l'intérêt que le sculpteur porte à la croissance des corps, à la germination de la nature nourricière, qui restera toujours centrale même après sa conversion aux théories abstraites.
Salvador Dalí
1904, Figueras-1989, Figueras
Étude pour Le miel est plus doux que le sang, 1926
Jane Graverol
1905 Ixelle 1984, Fontainebleau
Les Belles Vacances, 1964
Huile sur toile
RAW (Rediscovering Art by Women)
Membre du groupe surréaliste belge, Jane Graverol fonde aved Paul Nougé et Marcel Mariën la revue subversive et anticlérical Les Lèvres nues, dont le premier numéro paraît en 1954. Les Belles Vacances, dont le titre est inspiré du roman de Louis Scutenaire, Les vacances d'un enfant (1947), représentent deux planctons observés au microscope. Comme dans les portraits flamands du siècle d'or (16 et 17e siècles), ils apparaissent sur un fond noir, les différentes couches de glacis leur conférant une grande luminosité. Ces organismes dont la forme n'est pas sans évoquer des organes reproducteurs, restent les symboles de l'androgynie et de l'hermaphrodisme, synonymes d'un état du monde où le féminin et le masculin ne sauraient être différenciés.
Yves Tanguy
1900, Paris-1955, Woodbury
L'Orage (paysage noir), 1926
Huile sur toile
Philadelphia Museum of Art: The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950
1950-134-187
Après sa découverte de l'œuvre de Giorgio de Chirico,
Yves Tanguy renonce à la figuration et rejoint les surréalistes. L'atelier au 54, rue du château, à Paris, qu'il partage avec le poète Jacques Prévert et l'éditeur Maurice Duhamel, est l'un des foyers les plus actifs du groupe. Marqué par les formes embryonnaires de Jean Arp, Tanguy développe un langage immédiatement identifiable: des paysages mentaux dans lesquels flottent des formes molles. Dans un article intitulé "Ce que Tanguy voile et révèle", publié dans la revue View en 1942, Breton qualifie cette vie organique d'« êtres-objets > et la rapproche des « Mères » évoquées par Goethe dans Faust II: « Le premier à avoir pénétré visuellement dans le royaume des Mères, c'est Yves Tanguy.
Salvador Dalí
1904, Figueras-1989, Figueras
Les Efforts stériles, 1927-1928
Huile sur panneau de bois contreplaqué
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid AS07487
Depuis sa Catalogne natale, le jeune Salvador Dali n'est pas insensible au développement de la peinture surréaliste dont il suit attentivement l'évolution. « Ce n'est pas en vain que Tanguy a laissé de délicats messages »>, confesse-t-il, admettant sa perméabilité à la peinture de son aîné auquel il emprunte les paysages désertiques ponctués de formes ectoplasmiques. Les Efforts stériles comme Le Miel est plus doux que le sang témoignent de cette conversion à un nouveau langage plastique. Y apparaissent déjà les thèmes personnels qui ponctueront l'ensemble de son œuvre : les pulsions, érotiques et morbides, et la putréfaction, antagonismes de la vie humaine dans ses aspects les plus sordides et les plus intenses.
Yves Tanguy
1900, Paris- 1955, Woodbury
Vent, 1928
Huile sur toile
Collection Simone Collinet
Kay Sage
1898, Albany- 1963, Woodbury
Lost Record, 1940
Huile sur toile
Kay Sage Bequest, Eskenazi Museum of Art, Indiana University
Victor Brauner
1903, Piatra Neamţ - 1966, Paris
La Mère des rêves, 1965
Huile sur toile et huile sur bois
MASC- Musée d'art moderne et contemporain des Sables-d'Olonne
983.26.3
En janvier 1966, Victor Brauner présente à la galerie parisienne d'Alexandre lolas un cycle de quatorze toiles intitulées Mythologies et Fête des Mères. Brauner signe ainsi son allégeance aux théories de Carl Gustav Jung: alors que Sigmund Freud analysait le rêve comme le refoulement des fantasmes personnels, Jung y voit l'expression objective de l'inconscient collectif. En hommage aux « Mères » faustiennes, Brauner confie à ces toiles joyeusement colorées la fonction de « mamans civilisatrices » de la collectivité.
Gordon Onslow Ford
1912, Wendover - 2003, Inverness
Determination of Gender, 1939
Meret Oppenheim
1913, Berlin - 1985, Bâle
Le Vieux Serpent nature, 1970
Toile de jute, charbon, anthracite, bois peint
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat de l'État, 1974
Attribution, 1976
AM 1976-1003
Stanley William Hayter
1901, Londres- 1988, Paris
Parturition, 1939
Huile sur toile
Collection particulière
Courtesy Galerie T&L, Paris
En 1926, le britannique Stanley William Hayter ouvre au 17, rue Campagne-Première, à Paris, un atelier de gravure, véritable plaque tournante où se retrouvent les surréalistes, Marc Chagall ou encore Pablo Picasso. Lorsque Hayter s'engage aux côtés des républicains durant la guerre civile espagnole, sa peinture s'en ressent. Les corps écorchés s'entremêlent, se fragmentent ou s'engendrent mutuellement, comme dans Parturition, sorte d'accouchement monstrueux. Exilé à New York en 1940, l'artiste y fonde l'Atelier 17, qui participera largement à la diffusion du surréalisme aux États-Unis.
Grace Pailthorpe
1883, St Leonards-on-Sea - 1971, St Leonards-on-Sea
May 16, 1941, 1941
Huile sur toile montée sur carton Tate. Purchased, 2018
T15034
Chirurgienne pendant la Première Guerre mondiale, spécialiste en neurologie, Grace Pailthorpe étudie l'automatisme dès 1935 et expose avec le groupe surréaliste anglais l'année suivante. Convaincue de la fonction thérapeutique de l'art, elle attribue au surréalisme et à la psychanalyse le rôle commun de << libérer l'individu de ses conflits internes afin qu'il puisse fonctionner librement ». Au printemps 1938, elle initie une série de toiles autour du « traumatisme de la naissance » d'après les théories développées par Freud et le psychologue Otto Rank. Avec l'humour qui caractérise l'ensemble de son œuvre, Pailthorpe peint une forme embryonnaire profitant, béate, des avantages de la vie intra-utérine.
Lorser Feitelson
1898, Savannah - 1978, Los Angeles
Genesis #2, 1934
Huile sur contreplaqué
Smithsonian American Art Museum, Museum purchase
1985.33
En 1934, sous l'impulsion d'Helen Lundeberg et de son époux Lorster Feitelson, s'organise à Los Angeles un nouveau mouvement d'obédience surréaliste, «< New classicism ». Le manifeste du groupe est illustré par Plant and Animal Analogies de Lundeberg, une composition d'éléments hétéroclites, reliés entre eux par un réseau de flèches: un torse féminin, une nature morte au poivron et aux cerises et des images empruntées à un manuel d'embryologie. La scène de maternité à l'arrière-plan achève cette démonstration didactique de la vie sous toutes ses formes: biologique, psychique et symbolique.
MÉLUSINE
La légende de Mélusine prend forme dans les récits médiévaux qui décrivent une créature hybride, mi-femme, mi-serpent. André Breton en ressuscite le mythe dans Arcane 17 (1944) qu'il rédige pendant son exil américain. L'immensité des espaces qu'il découvre au Nouveau Mexique puis dans l'est du Canada, en Gaspésie, lui inspire le sentiment de fusion avec la nature qui innerve son texte. Si Arcane 17 doit beaucoup à la nature américaine, le texte est aussi redevable aux temps d'un après-guerre qui exigent une réinvention du monde et de ses valeurs. La technique, la puissance machiniste, ont une fois encore démontré leur potentiel de destruction. Breton veut croire à un âge qui, sous l'égide de Mélusine, serait «< en communication providentielle avec les forces élémentaires de la nature ». Sa rencontre avec les civilisations autochtones, en terre Hopi, le conduit à imaginer un autre modèle pour lequel nature et humanité, à l'image de Mélusine, ne feraient qu'un.
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
La Métamorphose des amants, 1938
Ithell Colquhoun
1906, Shillong 1988, Lamorna
Tree Anatomy, 1942
Ithell Colquhoun
1906, Shillong-1988, Lamorna
Scylla, 1938
Huile sur panneau Tate. Purchased, 1977
T02140
Née en Inde, élevée en Angleterre, Ithell Colquhoun hérite d'une double culture, hindouiste et celte. En 1939, elle intègre le groupe surréaliste anglais, mais elle en est exclue un an plus tard en raison de sa pratique de l'alchimie et de son refus
de quitter les sociétés occultes. L'artiste trouve dans l'alchimie la réconciliation des genres, de l'humain et de la nature, évoquée dans ses paysages et végétaux, comparables à des corps féminins: « Il nous faut la liberté. Plus de tyrans ni de victimes, plus de renvois fiévreux à ce démon-étoile qui présida à la naissance du marquis de Sade et de Sacher- Masoch; mais l'hermaphrodite, les contraires réunis dans une étreinte apaisante par le fil du ver à soie.
Paul Delvaux
1897, Wanze - 1994, Furnes
L'Aurore, juillet 1937
Eileen Agar
1899, Buenos Aires - 1991, Londres
The Wings of Augury, 1936
Bois, terre cuite, coton, cadran métallique et éléments organiques, sur une base en ardoise
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat avec la participation du Fonds du patrimoine, 2019
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
Le Jardin de la France, 1962
Huile sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Dation, 1982
Meret Oppenheim
1913, Berlin 1985, Bâle
Daphne und Apoll, 1943
Huile sur toile
Collection particulière
En 1943, Meret Oppenheim peint cette étonnante version du mythe d'Apollon et Daphné dans laquelle la nymphe, métamorphosée en laurier, fait face à un Apollon lui-même transformé en une figure tuberculoïde. Marqué par les théories du psychanalyste Carl Gustav Jung qui fait de l'arbre le symbole de l'androgynie, l'artiste remplace l'habituelle opposition entre désir érotique et chasteté par la figure de l'hermaphrodite, symbole d'un stade initial où le féminin et le masculin étaient indifférenciés.
FORÊTS
«Temple où de vivants piliers laissent parfois sortir des paroles confuses », la forêt était pour Charles Baudelaire le cadre où se tissaient les fils de ses «< correspondances »>, où se nouaient les relations voilées entre les êtres et les choses. Après la psychanalyse jungienne, qui associe la crainte de la forêt aux révélations de l'inconscient, la forêt devient pour les surréalistes le théâtre du merveilleux, une forme possible du labyrinthe, le lieu d'un parcours initiatique. Héritier du romantisme allemand, qui choisit la nuit contre les « lumières >> et du philosophe et poète Novalis qui réaffirme la dimension sacrée de la nature, Max Ernst fait de la forêt l'un de ses sujets de prédilection. Lorsqu'en 1941, le peintre cubain Wifredo Lam retrouve son pays natal, ses peintures de jungles célèbrent cette nature primitive, vierge du saccage colonial. C'est cette forêt émancipatrice que Benjamin Péret décrit dans Minotaure en 1937, en publiant la photographie d'une végétation qui prend possession d'une locomotive abandonnée, qui dévore le progrès et le dépasse >>.
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
Sous-Bois, vers 1923
Huile sur toile
Collection particulière, Paris. Courtesy Guttklein Fine Art, Paris
André Masson
1896, Balagny-sur-Thérain - 1987, Paris
Paysage de forêt sablonneux, 1924
Huile sur toile
Kunsthalle Bremen - Der Kunstverein in Bremen
Eugenio Granell
1912, La Corogne - 2001, Madrid
Los blasones mágicos del vuelo tropical, 1947
Huile sur toile
Colección Fundación Eugenio Granell, Saint-Jacques-de-Compostelle
Wifredo Lam
1902, Sagua La Grande - 1982, Paris
Lumière de la forêt, 1942
Gouache sur papier marouflé sur toile
Centre Fompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat de l'État, 1974. Attribution au Musée national d'art moderne- Centre de création industrielle, 1974
AM 1974-23
À l'été 1941, Wifredo Lam regagne Cuba, quitté près de vingt ans plus tôt. Au bonheur de retrouver son pays natal, se mêle la conscience douloureuse du saccage culturel auquel le colonialisme a ouvert la voie. Porté par Aimé et Suzanne Césaire, fondateurs de la revue Tropiques pour valoriser les cultures africaines et caribéennes, il s'engage dans une peinture nouvelle. Riche de cette culture afro-cubaine qu'il redécouvre, Lam développe des formats monumentaux où lcs silhouettes féminines se confondent avec la nature luxuriante, où les esprits de la forêt hantent des jungles épaisses qui saturent l'ensemble du papier ou de la toile.
Wifredo Lam
1902, Sagua La Grande - 1982, Paris
Nu dans la nature, 1944
Huile sur papier marouflé sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Dation, 1985
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
Vision provoquée par l'aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927
Huile sur toile
Collection particulière
Caspar David Friedrich
1774, Greitswald - 1840, Dresde
Frühschnee, 1821-1822
Huile sur toile
Hamburger Kunsthalle Acquis en 1906
HK-1057
«La lumière fervente qui baigne Henri d'Ofterdingen affront[e] victorieusement l'épreuve de la réalité. » La fascination de Breton pour l'œuvre du poète et philosophe allemand Novalis éclaire son choix d'intégrer le peintre romantique Caspar David Friedrich dans L'Art magique, publié en 1957. Exacts contemporains, Novalis et Friedrich partageaient l'intuition qu'une nouvelle relation à la nature s'imposait, au moment-même où les forêts allemandes commençaient à être menacées par l'industrialisation. "The fervent light bathing Heinrich von Ofterdingen victoriously faces down the test of reality." Breton's fascination for the
Max Ernst
1891, Brühl 1976, Paris
La Grande Forêt, 1927
Huile sur toile
Kunstmuseum Basel, mit einem Beitrag von Dr. Emanuel Hoffmann-Stehlin erworben 1932
Non identifié
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
Nature dans la lumière de l'aube, 1936
Huile sur toile
Städel Museum, Francfort-sur-le-Main
Toyen
1902, Prague-1980, Paris
La Voix de la forêt II, 1934
Huile sur toile
Dépôt permanent du Département de la Seine-Saint-Denis au Musee d'art et d'histoire Paul Éluard de Saint-Denis
D CG 93
Membre du cercle d'avant-garde praguois Devětsil, Toyen fonde en 1934 le groupe surréaliste tchèque, accompagnée du peintre Jindrich Štyrský et des poètes Karel Teige et Vítězslav Nozval. Un poème de ce dernier lui inspire une série onirique, La Voix de la forêt, dans laquelle des hallucinations nocturnes flottent sur un fond sombre. Semblable à des oiseaux de nuit, des amas de plumes duveteux invitent à la caresse tandis que leur centre, évidé, << un vide plus effrayant qu'un coup de feu »> (Nezval), laisse place à un trou béant menaçant.
LA PIERRE PHILOSOPHALE
« Les recherches surréalistes présentent, avec les recherches alchimiques, une remarquable analogie de but » écrit Breton dans le Second Manifeste du surréalisme en 1929. Dès 1923, les alchimistes Hermès Trismégiste et Nicolas Flamel figuraient déjà en bonne place dans la liste des personnalités inspirant le surréalisme, publiée dans Littérature. L'occultisme jalonne l'histoire du mouvement, des textes de L'Amour fou et d'Arcane 17 d'André Breton, d'Aurora de Michel Leiris aux peintures d'Ithell Colquhoun, de Remedios Varo et Jorge Camacho. Les surréalistes trouvent dans l'alchimie la voie d'une coexistence de la connaissance et de l'intuition, de la science et de la poésie. Bernard Roger, alchimiste et membre du groupe, y voit une « science d'Amour, fondée sur la loi naturelle d'analogie par laquelle tous les règnes et tous les niveaux d'existence communiquent ». Paraphrasant les adeptes
Remedios Varo
1908, Anglès- 1963, Mexico
Ciencia inútil o el alquimista, 1958
Huile sur masonite
Acervo Museo de Arte Moderno INBAL / Secretaría de Cultura
29595
Membre du groupe catalan ADLAN, Remedios Varo rencontre en 1936 le poète Benjamin Péret, engagé dans la guerre d'Espagne. Dès l'année suivante, à Paris, elle fait la connaissance du
groupe surréaliste et participe à l'« Exposition internationale du surréalisme » à la galerie des Beaux-Arts en 1938. Installée définitivement au Mexique en 1941, elle se lie d'amitié avec Leonora Carrington et développe une œuvre d'une extrême minutie où se mêlent sa connaissance érudite de l'occultisme et l'humour noir. Dans des architectures complexes, inspirées par les théories d'Escher et de Piranèse, ses êtres androgynes, alchimistes ou inventeurs, sont autant de métaphores de la création artistique, envisagée par Varo comme la réconciliation de la science, de la magie et de l'intuition.
Remedios Varo
1908, Anglès - 1963, Mexico
Creación de las aves, 1957
Huile sur masonite
Acervo Museo de Arte Moderno INBAL / Secretaría de Cultura
Remedios Varo
1908, Anglès- 1963, Mexico
Papilla estelar, 1958
Huile sur masonite
Collección FEMSA
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
La Toilette de la mariée, 1940
Huile sur toile
Collection Peggy Guggenheim, Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
Ithell Colquhoun
1906, Shillong-1988, Lamorna
The Dance of the Nine Opals, 1942
Huile sur toile
The Jeffrey Sherwin & Family Collection, permanently housed at The Hepworth Wakefield, 2022
Encore étudiante, Ithell Colquhoun découvre l'alchimie et se consacre à l'étude des textes ésotériques. Riche de son double attachement aux cultures celte et hindoue, elle développe une connaissance des sciences occultes mêlant le christianisme au tantrisme, la Kabbale au wiccanisme. The Dance of the Nine Opals évoque le cercle de Merry Maidens, un cercle de pierres néolithique en Cornouailles qui, selon une légende locale, représenterait des danseuses pétrifiées. En avril 1940, alors qu'elle refuse de quitter les nombreuses sociétés secrètes dont elle est membre, Colquhoun est exclue du groupe surréaliste.
HYMNES À LA NUIT
HYMNS TO THE NIGHT
Aux temps du romantisme, dans ses Hymnes à la nuit, Novalis louait « l'ineffable, la sainte, la mystérieuse nuit ». Pour la génération symboliste, c'est Victor Hugo qui avait fait le choix de l'obscurité : « L'homme qui ne médite pas vit dans l'aveuglement, l'homme qui médite vit dans l'obscurité. Nous n'avons que le choix du noir ». Dans son récit Aurélia (1855), sous- titré «
Brassaï
1899, Brasov-1994, Beaulieu-sur-Mer
La Tour Saint-Jacques, vers 1932-1933
D'origine hongroise, le photographe Brassaï connaît un certain succès auprès des cercles littéraire et artistique avec son ouvrage Paris de Nuit, édité en 1932. Il fréquente assidûment les surréalistes durant toute la décennie et collabore notamment à la revue Minotaure dont il réalise la couverture du premier numéro en 1933. Dans L'Amour fou en 1938, André Breton publie une de ses photographies nocturnes de la tour Saint-Jacques << sous son voile pâle d'échafaudage ». Brassaï partage avec les surréalistes un goût pour l'arpentage nocturne des rues parisiennes. Dans le clair-obscur et la brume, la ville se révèle, au seuil de l'irréel, nimbée d'une aura de poésie et de mystères. Dans les années 1980, Brassaï dira: « "le surréalisme" de mes images ne fut autre que le réel rendu fantastique par la vision. Je ne cherchais qu'à exprimer la réalité, car rien n'est plus surréel ».
Brassaï
1899, Brasov-1984, Beaulieu-sur-Mer
Statue du Maréchal Ney dans le brouillard, 1932
Brassaï
1899, Brasov-1984, Beaulieu-sur-Mer
Première nuit Young : « Le jour est trop court >>
ou Le Canal de l'Ourcq, vers 1932
Joan Miró
1893, Barcelone - 1983, Palma de Majorque
Chien aboyant à la lune, 1926
Huile sur toile
Philadelphia Museum of Art: A. E. Gallatin Collection, 1952
Toyen
1902, Prague 1980, Paris
Minuit, l'heure blasonnée, 1961
Huile sur toile
Collection particulière
Minuit, l'heure blasonnée, emprunte son titre à un vers de Gaspard de la nuit (1842) du poète Aloysius Bertrand, considéré par Breton comme l'un des précurseurs du surréalisme. Dans le poème « La Chambre gothique », il décrit les apparitions terrifiantes émergeant la nuit, à la lisière du sommeil : « Minuit, l'heure blasonnée de dragons et de diables ! ». Marquée par le souvenir du Cauchemar de Füssli (1781), Toyen place cette vision fantasmagorique sur une scène, observée depuis la loge d'un théâtre. Le spectre rose qui flotte au centre du tableau et la lueur verte phosphorescente sont caractéristiques de la dissolution des formes à laquelle l'artiste parvient au tournant des années 1960.
Leonor Fini
1907, Buenos Aires - 1996, Paris
Extrême nuit, 1977
Huile sur toile
Galerie Minsky. Collection particulière
Formée en autodidacte en Italie, Leonor Fini se rapproche du cercle surréaliste et expose régulièrement à ses côtés, sans pour autant intégrer le groupe. Sa peinture emprunte au symbolisme, notamment à Fernand Khnopff dont la Medusa endormie (1896) lui inspire cette peinture. Symboles de l'imagination, ses créatures hybrides d'un extrême maniérisme hantent la nuit, éloignées des lumières de la raison : « Dans l'histoire de la peinture, j'ai toujours été attirée par la nuit pompéienne, la nuit des gothiques rhénans, la nuit maniériste, la nuit caravagesque, celle des romantiques allemands. >>
René Magritte
1898, Lessines - 1967, Schaerbeek
L'Empire des lumières, 1954
Huile sur toile
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
Judit Reigl
1923 Kapuvár-2020, Marcoussis
Ils ont soif insatiable de l'infini, 1950
Huile sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. Paris Achat 2003
AM 2003-771
En 1950, après plusieurs tentatives restées vaines, Judit Reigl parvient à quitter clandestinement la Hongrie pour la France. A Paris, elle retrouve son compatriote Simon Hantaï qui lui présente André Breton. Pour remercier ce dernier d'une visite à son atelier, la peintre lui offre cette toile, inspirée d'un vers des Chants de Maldoror de Lautréamont. Breton écrit à l'artiste : Vous me donnez un des grands émerveillements de ma vie. Je n'aurais jamais cru que cette parole de Lautréamont pût trouver image à sa hauteur. Cette vision cauchemardesque nourrie de ses souvenirs de l'exil et de la légende des Cavaliers de l'Apocalypse, figure dans l'exposition que Breton consacre à l'artiste en novembre 1954 à la galerie À L'Étoile scellée.
COSMOS
Dans les «Prolégomènes à un troisième Manifeste, ou non » (1942), André Breton reconsidère la place de l'homme au sein du cosmos: « L'homme n'est peut-être pas le centre, le point de mire de l'univers ». Loin de la posture moderne d'un homme coupé d'une nature dont il se veut le possesseur, le surréalisme emprunte au Moyen Âge son principe d'une continuité entre microcosme (le corps humain comme image réduite de l'univers) et macrocosme (l'univers tout entier). La visite d'André Breton en territoires Hopi et celle d'Antonin Artaud chez les Indiens Tarahumaras confirment leur intuition qu'une autre relation au monde est encore possible. La planche gravée, que publie André Masson en 1943, intitulée « Unité du cosmos »>, ne dit pas autre chose : « Il n'y a rien d'inanimé dans le monde, une correspondance existe entre les vertus des minéraux, des végétaux, des astres et des corps animaux >>.
Jean Peyrissac
1895, Cahors 1974, Paris
Indicible cosmos, 1931
Bois peint, acier, ficelle, éclairage électrique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Óscar Domínguez
1906, San Cristóbal de La Laguna - 1957, Paris
Fantasía cósmica, 1938
Huile sur toile
Collection particulière
Yves Laloy
1920, Rennes-1999, Cancale
Sans titre, vers 1955
Huile sur toile Perrotin
Architecte de formation, Yves Laloy peint ses premières œuvres constituées de motifs géométriques vivement colorés au début des années 1950. Enchanté par une toile, Les Petits pois sont verts, les petits poissons rouges, qu'il choisit pour illustrer la couverture du Surréalisme et la peinture, Breton écrit à son sujet : « Alors qu'une composition de Kandinsky répond à des ambitions symphoniques, un tableau de sable Navajo relève avant tout de préoccupations cosmogoniques et tend à influencer le cours de l'univers, le propre de l'œuvre d'Yves Laloy est de ne faire qu'une de ces deux démarches si distinctes. >>
Joan Miró
1893, Barcelone-1983, Palma de Majorque
Femmes encerclées par le vol d'un oiseau, 1941
Gouache et lavis à l'huile sur papier
Collection particulière. Courtesy Galerie 1900-2000, Paris
En janvier 1940, dans son atelier de Varangeville-sur-Mer, Joan Miró entreprend une série de petites gouaches colorées sur lesquelles se déploient d'intenses signes noirs. Cette nouvelle écriture fixe durablement le vocabulaire idéographique de l'artiste. En 1959, les vingt-quatre Constellations sont rassemblées dans un recueil de fac-similés préfacé par André Breton: << Dans une heure d'extrême trouble [...] il semble que Miró ait voulu déployer le plein registre de sa voix. N'importe où hors du monde et, de plus, hors du temps, mais pour mieux retenir partout et toujours, jaillit alors cette voix au timbre de si loin discernable, qui s'élève à l'unisson des plus hautes voix inspirées.
Joan Miró
1893, Barcelone - 1983, Palma de Majorque
L'Étoile matinale, 16 mars 1940
Gouache, huile et pastel sur papier
Fondació Joan Miró, Barcelone. Gift of Pilat Juncosa de Miró
Statue Uli,
Nouvelle-Irlande, XVII-XVIIIe siècle
Bois
Courtesy of Venus Over Manhattan
Max Ernst
1891, Brühl-1976, Paris
Naissance d'une galaxie, 1969
Huile sur toile
Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler Collection
Marcelle Loubchansky
1912, Paris-1988, Paris
Bethsabée, 1956
Huile sur toile
Musée Unterlinden, Colmar
2005.12.10
En décembre 1952, André Breton et Charles Estienne inaugurent la galerie À L'Étoile scellée, à Paris. Ils y présentent une nouvelle génération de peintres, doublement marquée par le surréalisme et l'abstraction gestuelle. Les signes tracés avec fulgurance par Jean Degottex, dans lesquels Breton reconnaît «< la plus haute leçon » de la peinture chinoise, renouent avec le premier automatisme. Les effusions richement colorées de Marcelle Loubchansky poursuivent cette recherche d'une peinture cosmique: « Nul n'a su comme elle libérer et rendre tout essor à ces formes issues du sein de la terre et participant à la fois de l'humidité et de la flamme qui attestent une nouvelle gestation » écrit Breton.
Matta
Xpace and the Ego, 1945
Huile et pigments fluorescents sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1983
AM 1983-94
Au début des années 1940, Matta incarne le renouveau du mouvement surréaliste, répondant à l'appel d'un «< nouveau mythe pour l'homme moderne » lancé par Breton. Peint
« en une nuit » d'après son auteur, Xpace and the Ego met en scène le mythe des « Grands Transparents », symboles de l'impuissance de l'homme face aux désastres d'ordre naturel, moral et politique. Inspirées par la science-fiction et témoins de la « puissance terrifiante de la terre » d'après le peintre, ces figures totémiques envahissent l'espace chaotique de la toile, lacéré de lignes et brossé nerveusement.
Cuerpos celestes, 1946
Huile et sable sur toile
Peggy Guggenheim Collection,
Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
76.2553 PG 119
Descendant d'indiens zapotèques, marqué par la culture maya, Rufino Tamayo développe une expression très personnelle, nourrie de sources précolombiennes et de peinture moderne, en particulier du cubisme et du surréalisme. Ses œuvres invitent à reconsidérer différemment les liens de l'homme à l'univers alors que l'ère spatiale connaît son avènement après-guerre. En 1950, préfaçant le catalogue de sa première exposition parisienne à la galerie des Beaux-arts, Breton loue cette peinture, capable selon lui de "rouvrir la voie de grande communication que la peinture doit être entre les continents".
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