vendredi 21 juin 2024

Rétrospective Constantin Brancusi au Centre Pompidou en juin 2025


BLANCHEUR ET CLARTÉ
« Constantin Brancusi habite un atelier de pierre dans l'impasse Ronsin, rue de Vaugirard. Ses cheveux et sa barbe sont blancs, sa longue blouse d'ouvrier est blanche, ses bancs de pierre et sa grande table ronde sont blancs, la poussière de sculpteur qui recouvre tout est blanche, son Oiseau en marbre blanc est posé sur un haut piédestal contre les fenêtres, un grand magnolia blanc est toujours visible sur la table blanche. À une époque, il avait un chien blanc et un coq blanc. » Ces mots de l'éditrice américaine Margaret Anderson témoignent de l'extraordinaire impression de clarté qui saisit les visiteurs de l'atelier, accueillis par de multiples figures de Coqs, dressés vers le ciel. Symboliquement associé à la France, terre d'accueil de l'artiste, l'animal évoque aussi par son chant le lever du jour, l'idée de commencement qui imprègne tout l'art de Brancusi.

Le coq 1945
La figure du coq revêt une importance particulière pour Brancusi qui l'a déclinée en différentes tailles et matériaux pendant trois décennies. Dès 1924, il modèle ces ébauches de Grands Coqs directement dans le plâtre, avec pour projet, inabouti, d'en réaliser une version monumentale en acier inoxydable pour la France. Posée sur une étroite base, leur silhouette élancée est rythmée par une découpe en dents de scie qui rappelle à la fois la forme de leur crête et la saccade de leur chant strident. « Le Coq de Brancusi est une scie de joie », écrit le sculpteur Jean Arp.

Brancusi travaillant de nuit dans l'atelier : Ève (1916-1921), L'Oiseau d'or (1919), avant novembre 1920
Succession Brancusi / Adagp, Paris, 2024
Photo: Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP

Auguste Rodin
Le Sommeil, 1894
Marbre
Musée Rodin, Paris
S.01004

Le Sommeil, 1908
Marbre
Muzeul Național de Artă al României, Bucarest
141/6787
Créé en 1908, un an après le passage de Brancusi dans l'atelier de Rodin à Meudon, Le Sommeil imite incontestablement le marbre du maître (1894), portant le même titre. Dans les deux oeuvres, la figure semble émerger de la pierre, le visage lisse aux yeux clos contraste avec l'aspect inachevé du marbre laissé brut. Le thème du sommeil et le motif de la tête couchée donneront naissance La Muse endormie (1910)


AUX SOURCES D'UN NOUVEAU
LANGAGE
Après avoir suivi une formation académique en Roumanie, Brancusi arrive à l'âge de 28 ans à Paris. Remarqué par Auguste Rodin, il devient brièvement son assistant en 1907. La puissante figure du maître fait office de repoussoir pour le jeune sculpteur. En 1907-1908, trois œuvres majeures, Le Baiser, La Sagesse de la Terre et La Prière, montrent sa volonté de trouver sa propre voie. Brancusi rompt avec le modelage pour privilégier la taille directe. Il abandonne le travail d'après modèle pour réinventer la figure de mémoire. Tout en étant profondément original, son art apparait comme le creuset de ce qu'il peut alors voir à Paris : les œuvres antiques ou extra-européennes au musée du Louvre et au musée Guimet, mais également l'art de Paul Gauguin ou les recherches cubistes d'André Derain. Sa série autour du motif de la tête d'enfant éclaire son processus de fragmentation et de simplification des formes, visant à exprimer «l'essence des choses >>

Anonyme
Tête ibérique masculine, Cerro
de Los Santos, 3e siècle av. J-C.

Danaïde, 1908-1909
Pierre (calcaire)
Muzeul Național de Artă al României, Bucarest
1769/86208
Singulière dans la production de Brancusi, cette première Danaide témoigne du goût précoce de l'artiste pour la mythologie grecque. L'aspect inachevé et brut de la pierre évoque certaines pièces archéologiques exposées alors au Louvre, telle la tête de Cerro de Los Santos. Cette Tête ibérique, volée en 1907 par le secrétaire de Guillaume Apollinaire et vendue à Pablo Picasso, défraie alors la chronique.
 
Anonyme
Statuette d'Aphrodite nue, époque hellenistique

Torse de jeune fille, 1910
Plâtre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
AM 4002-7
Brancusi passe le début de l'année 1907 à Meudon dans l'atelier d'Auguste Rodin dont il a pu voir la collection d'antiques. Le goût pour le fragment archéologique s'exprime dans son Torse de 1910, où le poli sensuel de l'aine contraste avec la brisure de la pierre, comme on le retrouve dans le fragment d'une statuette d'Aphrodite antique, appartenant à la collection du maître.

Anonyme
Tête de statue du type aux bras croisés, dite « Tête de Kéros »>,
2600-2400 av. J.-C.

Torse de jeune fille III, 1925
Onyx
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957

Formé en Roumanie à la copie d'antiques, Brancusi a
vraisemblablement découvert l'art cycladique à son arrivée à Paris.
Si ses visites au musée du Louvre sont avérées vers 1909-1910, l'artiste n'y a jamais fait explicitement référence. Certains contemporains, comme le sculpteur anglais Henry Moore, ont pourtant pointé les affinités formelles entre ses sculptures ovoïdes et l'art des Cyclades, en particulier la Tête de Kéros, première ceuvre cycladique à entrer dans la collection du Louvre à la fin du 19° siècle.



Le Baiser, 1907
Pierre
Muzeul de Artă Craiova
Avec Le Baiser, Brancusi propose une version du thème très éloignée de celle de Rodin. Le bloc de pierre symbolise l'amour qui unit les amants, face contre face. La femme se distingue de l'homme par le léger relief de sa poitrine et sa longue chevelure. Les visages sont réduits à des signes, à la manière cubiste. L'Homme accroupi de Derain témoigne du même désir de revenir au modèle antique de la statue-cube. Mais là où Derain laisse visible la trace de l'outil, Brancusi privilégie déjà des surfaces lisses.

Tête d'enfant, 1906
Bronze patiné
Academia Romana, Bucarest
Inv. 919
Les portraits d'enfants occupent une part importante de la création de Brancusi autour de 1906-1911, au contact des fils ou filles de ses amis, comme le petit Georges Farquhar. La série des Têtes d'enfant coïncide avec le passage d'un style naturaliste à une stylisation radicale marquée par la fragmentation du corps, la bascule à l'horizontale et la réduction des traits du visage. La série renvoie à une quête des origines, le portrait d'enfant se mue
en œuf ou en cellule, métaphore à la fois de la naissance et du renouvellement des formes.

Portrait de Georges, 1911
Marbre
Solomon R. Guggenheim Museum, New York

Travail du bois
Vasque
Tabouret 
Fauteuil 

Femme se regardant dans
un miroir (1909), vue de dos, après 1909

Princesse X (1909-1915),
 marbre, vers 1916
Depuis 1910, Brancusi expose régulièrement au Salon des Indépendants à Paris. En 1920, à la veille du vernissage, il est prié de retirer l'une de ses sculptures, Princesse X, considérée comme obscène. Son album compile à la fois la lettre de Paul Signac, président du Salon, et le texte de soutien signé par de nombreux artistes et critiques. Profondément blessé devant le scandale suscité par sa sculpture, image pour lui de « l'éternel féminin réduit à son essence »>, Brancusi conservera de cet événement une vive méfiance pour les expositions.

L'ATELIER
Dans l'atelier de Brancusi, tout ou presque naît de sa main: la grande cheminée en calcaire, les tabourets en bois ou les tables en plâtre servant à la fois de mobilier ou de socle... Dans ses photographies et films, l'artiste se met lui-même en scène au travail, taillant, sciant ou modelant. Après la Seconde Guerre mondiale, s'il arrête quasiment de sculpter, il déplace, regroupe et combine sans cesse ses œuvres. Quand une œuvre est vendue, il la remplace par son tirage en plâtre ou en bronze pour conserver l'unité de l'ensemble. C'est à l'intérieur de ce lieu, à la fois musée de sa création et œuvre en soi, que Brancusi impose sa vision d'un environnement total, dessiné à plusieurs reprises. A son décès en 1957, Brancusi lègue à l'État français son atelier, à charge pour celui-ci de le reconstituer. L'ensemble est installé d'abord de manière partielle au Palais de Tokyo puis intégralement au Centre Pompidou. L'un des quatre espaces de l'atelier, celui avec les outils, est ici reconstitué.

Princesse X, 1915-1916
Bronze poli, sur socles en pierre (calcaire) et plâtre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
AM 4002-88; AM 4002-1; 1915-1916; AM 4002-176 (1 et 2), [1923]
Princesse X est saluée avant l'ouverture du Salon des Indépendants de 1920 par l'exclamation prêtée à Picasso ou à Matisse : « Voilà le phallus ! » Elle est exclue définitivement du Salon malgré une tribune de soutien signée par plus de 70 personnalités et amis. Les titres successifs donnés par Brancusi (Princesse Marie Bonaparte en 1917, Princesse X en 1920) contribuent à l'énigme du sujet. Le poli du bronze, miroir déformant, renforce la déstabilisation du regard et évoque la fonction de leurre qui s'attache au désir.

FÉMININ ET MASCULIN
Chez Brancusi, la simplification des formes et la suppression des détails sont paradoxalement source d'ambiguïté. Dès 1909, l'artiste entame une réflexion sur le motif du torse féminin. De sa Femme se regardant dans un miroir, nu encore classique, il ne retient que la courbe unissant les formes arrondies de la tête et de la poitrine pour aboutir à l'ambivalente Princesse X. Est-ce une vierge ou une verge ? L'image idéale de la femme ou un phallus dressé ? L'aspect équivoque de la sculpture fait scandale et lui vaut d'être refusée au Salon des Indépendants de 1920. L'art de Brancusi joue du double sens et de la métamorphose. Le masculin et le féminin fusionnent en une même image, évoquant le thème de l'androgyne, déjà présent dans Le Baiser. Un même trouble s'exprime dans son Torse de jeune homme, au genre incertain. Perturbant l'ordre symbolique de la division des sexes, ces œuvres font écho à l'esprit contestataire de Dada, porté à la même époque par ses amis Marcel Duchamp, Man Ray et Tristan Tzara


Torse de jeune homme, 1919

DES PORTRAITS
Depuis ses débuts, le genre du portrait occupe une place centrale dans l'art de Brancusi. En s'éloignant du visible pour aller à l'essentiel, le sculpteur n'en délaisse pas moins la figure humaine, en particulier féminine. Alors que les titres des sculptures conservent les noms des amies ou compagnes qui inspirent Brancusi (Margit Pogany, la baronne Frachon, Eileen Lane, Nancy Cunard, Agnes Meyer...), leurs personnalités tendent à se fondre et se confondre en un visage stylisé, ovale et lisse. Elles ne sont «< ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Chacune se distingue par quelques signes élémentaires: yeux en amandes, chignon, bouclette... Travaillant sans modèle, préférant reconstruire la figure de mémoire, Brancusi pose à travers ses portraits la question de la ressemblance et de la représentation. Dans ses portraits dessinés, une même ligne souple décline les figures en profils et silhouettes


Une muse, [après 1917]

Étude de femme, [vers 1911-1912]
Crayon de couleur jaune et bleu sur papier beige
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957


Mademoiselle Pogany, vers 1912
Graphite et fusain sur papier vélin beige
Philadelphia Museum of Art: A. E. Gallatin Collection, 1947


Mile Pogany I, 1913
Bronze avec patine noire, sur socle en calcaire
The Museum of Modern Art, New York. Acquired through the Lillie P. Bliss Bequest (by exchange), 1953
Comparé à «< un cut dur sur un morceau de sucre >> avec un nez en « bec d'oiseau », le portrait de Margit Pogany avec son crâne lisse et ses grands yeux en amande attise les critiques outre-Atlantique, dès son exposition à l'Armory Show en 1913. Brancusi ne cessera de revisiter cette sculpture, réalisant différentes versions er marbre veiné ou en bronze poli, accentuant le relief des sourcils et transformant le dos, plus mécanique et aérodynamique dans ses dernières versions

Danaïde, vers 1913
Bronze avec patine noire, sur socle en pierre (calcaire) Kunst Museum Winterthur, Achat, 1951
KV 805
Dans ces deux versions de la Danaïde, Brancusi joue sur les reliefs en saillie et les jeux de lumières rendus possibles par la texture du bronze doré à la feuille ou de la surface noire de la patine. Le critique américain Henry McBride la définit comme une « aristocrate japonaise ». Sans doute, Brancusi a-t-il été influencé par la sculpture asiatique et les représentations de Bouddha dans la simplification de l'ovale du visage, légèrement penché, méditatif, et l'arcade sourcilière marquée

La Négresse blonde II, 1933
Bronze, sur socles en marbre, pierre calcaire et bois
The Museum of Modern Art, New York. The Philip L. Goodwin Collection, 1958
Brancusi aurait eu l'idée de cette sculpture en apercevant une femme noire lors de l'Exposition coloniale de Marseille en 1922. Cet évènement entendait démontrer la domination de la France en tant que puissance coloniale. Brancusi évoque cette inconnue sous un angle purement formel, combinant sur 'cvale au visago de la Muse trois éléments sailiants, pour la coiffure et la bouche. Tout en reflétant les stéréotypes européens d'alors sur les physionomies africaines, il joue sur le paradoxe de représenter un corps noir en marbre blanc. Il exécute plus tard une seconde version de l'œuvre qu'il transpose en bronze poli, l'intitulant Négresse blonde en écho à la couleur de son matériau: « Si je i'avais faite en jade, je l'aurais appelée "Négresse Verte". >>

Portrait de Nancy Cunard
(Jeune fille sophistiquée), 1928
Plâtre patiné, sur socles en plâtre et bois (chêne)
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
AM 4002-72; AM 4002-72 (1); AM 4002-146 (1 et 2), [vers 1925]
Nancy Cunard, poétesse et mécène britannique, rencontre Brancusi à son arrivée à Paris en 1923, par l'intermédiaire de Tristan Tzara. C'est après le départ de Cunard à Londres en 1925 que le sculpteur réalise ce portrait de mémoire, à une époque où il abandonne le travail d'après modèle. Dès 1933, à l'exposition de la Brummer Gallery, Brancusi place la sculpture sur un socle en chêne, constitué d'un empilement dynamique de sphères.

Femme au peigne (Profil de femme
au chignon), vers 1912
Gouache sur papier
Collection particulière, Paris

L'ENVOL
Le motif de l'oiseau, qui comporte plus de trente variantes en marbre, bronze et plâtre, occupe Brancusi pendant trois décennies. Initiées en 1910, les Maïastras au corps bombé, cou allongé et bec grand ouvert font référence à un oiseau fabuleux des contes populaires roumains. Dans les années 1920, le sculpteur simplifie la forme, l'amincit et l'étire verticalement jusqu'à la limite de la rupture pour créer la série des Oiseaux dans l'espace. L'envol symbolise pour Brancusi le rêve de l'homme échappant à sa condition terrestre, son ascension vers le spirituel. En 1927-1928, un procès oppose le sculpteur aux douanes américaines qui refusent le statut d'œuvre d'art à un Oiseau en bronze, perçu comme une pièce industrielle métallique. Vers 1930, le maharaja d'Indore lui commande deux Oiseaux pour un temple en Inde qui restera à l'état de projet. Ce caractère sacré, transcendant, transparait dans le sous-titre de l'exemplaire exposé à New York en 1933: « Projet d'Oiseau qui, agrandi, emplira le ciel >>.



Maïastra, 1911
Bronze sur socle en calcaire Tate, Londres, Purchased 1973
101751
Maïastra est un oiseau légendaire des contes folkloriques, au chant miraculeux. Cette première version en bronze, avec sa base en pierre décorée de figures décoratives d'oiseaux, est achetée par le photographe Edward Steichen, ami de Brancusi. Il l'installe en plein air, dans sa résidence à Voulangis, au sommet d'une haute colonne de bois, émergeant des arbres tel un gardien du jardin.



LISSE ET BRUT
Dans les photographies prises dans l'atelier, Brancusi cadre souvent ses sculptures au plus près, exploitant le pouvoir d'évocation des matériaux. Les surfaces patiemment polies, sur lesquelles toute trace du geste est effacée, contrastent avec des morceaux bruts ou taillés grossièrement. Ce jeu de matière est autant tactile que visuel, comme le souligne par son titre sa Sculpture pour aveugles.
Avec le travail en série, chaque sculpture est à la fois unique et multiple, souvent posée sur des socles superposés auxquels Brancusi porte un soin tout particulier. Composés de formes géométriques simples (croix, cube, disque...), ces supports créent un rythme ascensionnel dynamique et des jeux de correspondances. Brancusi remet en question le statut conventionnel de cet accessoire, traditionnellement utilisé pour surélever la sculpture et la distinguer de son environnement. Il convertit à plusieurs reprises certains socles en sculpture autonome, refusant toute hiérarchie entre le haut et le bas, entre le banal et le noble

Sculpture pour aveugles, 1920-1921
Plâtre, sur socle en bois (chêne)
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
AM 400-461 AM 4002-0256

Le Commencement du monde,
vers 1920
Marbre, maillechort et pierre
Dallas Museum of Art, Foundation for the Arts Collection, gift of Mr. and Mrs. James H. Clark
1977.51.A-C.FA

Le Commencement du monde, 1924
Bronze poli, sur disque en acier poli et socle en bois (chêne)
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
AM 4002-63; AM 4002-161 (1), [1928]; AM 4002-161 (2), [1928]
Le Commencement du monde et Sculpture pour aveugles reprennent la forme simplifiée de La Muse endormie. Brancusi y efface tout élément descriptif pour ne garder qu'un ovale pur, évoquant la naissance d'un monde à venir. À la différence du marbre blanc qui retient la lumière dans sa surface cristalline, le bronze poli projette par le jeu des reflets la forme parfaite au-delà d'elle-même. Une même profusion s'applique aux socles, de tailles différentes et de matériaux variés : bloc de pierre symétrique, disque-miroir, poutre laissée brute...


Le Nouveau-Né II, [vers 1923]
Bronze poli, sur disque bronze poli et socle en marbre cruciforme, bois (chêne) et pierre Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957 AM 4002-33; AM 4002-33 (1); AM 4002-160 (1 à 4), 1927

Brancusi réalise plusieurs versions du Nouveau-Né, reconnaissable à sa bouche démesurément ouverte. Il joue sur le reflet du bronze poli posé sur un disque miroir, fabriqué dans le même métal. Ce plateau est aussi le berceau sur lequel semble se pencher le monde alentour, accueillant la naissance de la sculpture.
Le dispositif des quatre socles empilés crée un effet de rythme et de correspondance, la cavité ronde du bois pouvant s'apparenter à la matrice d'où serait issue la sculpture.

Le Nouveau-Né II, 1927
Acier inoxydable, sur disque en acier inoxydable et socle en bois (chêne) en partie teinté Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
AM 4002-34; AM 4002-34 (1); AM 4002-165, 1927
Cette version du Nouveau-Né en acier inoxydable est un modèle unique dans la production de Brancusi. Elle est née de sa collaboration avec l'architecte Jean Prouvé, alors ferronnier d'art à Nancy. Celui-ci, enthousiasmé par ce nouveau matériau, réalise une fonte que Brancusi vient meuler dans l'atelier nancéen. La collaboration tourne court: l'acier inoxydable ne permet pas encore un rendu lisse et la dureté de l'alliage rend son polissage ardu. Cette tête témoigne cependant de la curiosité de Brancusi pour les innovations techniques

Léda en mouvement, vers 1936
Durée: 2'02"
Extrait des films originaux 35 et 16 mm, noir et blanc, muet
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Achat, 2010
AM 2011-F27
Léda, 1920
Marbre, sur socle en béton
The Art Institute of Chicago, Bequest of Katherine S. Dreier
1953.195
« Je n'ai jamais pu imaginer qu'un mâle puisse se changer en cygne, mais une femme, oui », confie Brancusi. << Ces formes pleines ont été sa poitrine, sa tête... mais elles ont été transformées en formes d'oiseau ». Avec Léda, le sculpteur détourne le mythe antique, reprenant l'idée de la métamorphose de l'humain en animal. L'artiste et mécène américaine Katherine S. Dreier l'acquiert en 1926. Avant le départ du marbre, Brancusi réalise un tirage en bronze suivant sa pratique qui consiste à conserver dans l'atelier un double de l'original.



L'ANIMAL
Dans les années 1930 et 1940, plusieurs séries consacrées à la thématique de l'animal marquent une évolution vers des formes obliques ou horizontales. Au sein de ce bestiaire, deux groupes se distinguent les volatiles (coqs, cygnes, oiseaux...) et les animaux aquatiques (poissons, phoques, tortues...). Avec de multiples versions, dans des matériaux et des formats variés, ses sculptures semblent répondre au principe naturaliste de l'espèce. Par la simplification des formes, Brancusi vise à la fois à atteindre une figuration symbolique de l'animal et à retranscrire son mouvement. Il explique : « Quand vous voyez un poisson, vous ne pensez pas à ses écailles, n'est-ce pas ? Vous pensez à sa rapidité, à son corps filant comme un éclair à travers l'eau... >> Les images photographiques ou filmiques réalisées par le sculpteur témoignent également de son lien étroit à la nature et au vivant.


REFLET ET MOUVEMENT
« Nous ne voyons la vie réelle que par les reflets. », écrit Brancusi. En polissant longuement le bronze, l'artiste obtient une surface brillante comme un miroir. De cette manière, la sculpture se projette au-delà d'elle-même et échappe à son strict contour. Les photographies et les films de l'artiste confirment sa fascination pour les éclats de lumière, parfois aveuglants, et leur pouvoir de métamorphose des formes. L'œuvre en métal poli absorbe, reflète et distord l'image de son environnement et celle de toute personne qui s'en approche. Animée par ce jeu de reflets, perpétuellement mouvants et changeants, la sculpture devient, comme Brancusi la définit, « une forme en mouvement ». En posent certaines de ses œuvres sur des roulements à bille, Brancusi fait véritablement tourner ses œuvres sur elles-mêmes, à l'instar de Léda, animée d'un mouvement circulaire comme un disque 78 tours sur un gramophone.

Phoque II, 1943
Marbre bleu turquin sur socle en pierre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Achat, 1947
AM 816 S
Si pour Le Miracle, première version du Phoque, Brancusi jouait sur l'équilibre en installant la sculpture sur le bord du socle, il traduit dans cette version en marbre la nature même de l'animal, corpulent et maladroit sur terre, mais vif et gracieux dans l'eau. Sans doute inspiré par les otaries qu'il a filmées au bois de Boulogne, Brancusi le représente de manière synthétique, au moment où son entrée
dans l'eau le métamorphose. Le socle circulaire en pierre accentue cette sensation de dynamisme.

Le Coq, 1924
Bois (cerisier)
The Museum of Modern Art, New York. Gift of LeRay W. Berdeau, 1959
La figure du coq est emblématique chez Brancusi qui l'a déclinée en plusieurs volumes et matériaux, du bois vers le plâtre et du plâtre vers le bronze. La musicalité des quatre crénelures répond au cri de l'animal: << co-co-ri-co». Ce rythme se renforce dans la fonte unique en bronze (1935) par les lignes brisées des deux socles en bois et en calcaire. L'animal dressé sur ses ergots lance son cri avec panache.

Le Crocodile, [1924]
Bois (chêne-liège) sur Poutre en bois (chêne)
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
DOCAP 1957-OD (B): OD101; AM 4002-0248
Durant l'été 1924, alors que Brancusi est en vacances à Saint- Raphaël (Var), il manque de se noyer en mer et doit son salut à un morceau de chêne-liège flottant qui lui permet de regagner le rivage. Sur la plage, Brancusi lui consacre un autel qu'il photographie. Souvenir d'un accident qui aurait pu être tragique, la branche salvatrice se transmue en animal magique, nommé
<< le crocodile >>

Le Poisson, 1922
Marbre veiné, socle en deux parties (miroir et chêne)
Philadelphia Museum of Art: The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950
1950-134-18
Brancusi décline le motif du poisson pendant une dizaine d'années, réalisant une première version en marbre blanc veiné avant de réaliser des bronzes puis une version monumentale en inarbre gris dont il conserve le plâtre dans son atelier. Figure plane en forme d'os de seiche aérodynamique, Brancusi joue sur les propriétés des matériaux pour créer des effets chatoyants ou réfléchissants. Ici, les veines du marbre évoquent les ondulations de l'eau, là, le disque de métal réfléchissant accentue l'aspect fragile, en suspension, de la sculpture.

Bête nocturne, [vers 1930]
Bois (érable), sur socle en plâtre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957

LE SOCLE DU CIEL
Brancusi a toujours nourri l'espoir de réaliser des œuvres monumentales, comme en témoigne la reprise inlassable du motif du Baiser, stylisé et développé à l'échelle architecturale, sous forme de colonne et de porte. Une première occasion s'offre à lui en 1926, quand il plante sa Colonne sans fin dans le jardin de son ami Edward Steichen à Voulangis. Née d'un modeste socle en bois, cette œuvre radicale procède de la scansion verticale de l'espace par la répétition du même module, évoquant les piliers funéraires du sud de la Roumanie. C'est d'ailleurs dans son pays natal, à Târgu Jiu en 1937-1938, que Brancusi mène à bien son unique projet monumental. Sur un axe d'un kilomètre et demi traversant la ville, il place trois éléments symboliques: La Table du Silence, La Porte du Baiser et La Colonne sans fin. Érigée en fonte métallisée à près de 30 mètres de haut, cette dernière figure l'axis mundi, le trait d'union entre la terre et le ciel, offrant au regard de multiples perspectives.

La Colonne sans fin I, [vers 1925]
Bois (chêne)
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris, Legs Constantin Brancusi, 1957
AM 4002-119
La Colonne sans
Présentation partielle
Bois (peuplier), métal
Centre Pompidou, Musée national d'art r
AM 4002-117
Expérience Intelligence artificielle Artificial Intelligence Experience
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La Colonne sans fin de huit mètres, installée dans le jardin de son ami Steichen à Voulangis, est sciée par Brancusi dès 1927. Même coupée en deux, la Colonne reste immuablement sans fin en raison de sa structure modulaire. Plusieurs variantes suivront, avec des dimensions et des nombres de modules différents. En l'érigeant à l'échelle monumentale à Târgu Jiu, Brancusi concrétise son rêve d'une colonne qui «< soutiendra l'arc du firmament ».





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