samedi 16 septembre 2023

Louis Janmot, le poème de l'âme au musée d'Orsay en septembre 2023

Curieuse exposition sur ce peintre réactionnaire et académique. Quelques belles toiles mais l'ensemble, sorte de bande dessinée à  connotations morales, misogyne et mièvre n'est vraiment pas ma tasse de thé. En voici néanmoins l'essentiel :

Le Poème de l'âme, œuvre à la fois picturale et littéraire, est le projet d'une vie, élaboré de 1835 à 1881 par le peintre lyonnais Louis Janmot. Il raconte l'épopée d'une âme sur la terre en trente-quatre tableaux et dessins, conservés au musée des Beaux-Arts de Lyon, formant deux séries distinctes et accompagnés d'autant de poèmes en vers. L'exposition invite à parcourir l'histoire de cette âme, à embarquer avec les personnages pour un voyage initiatique, à les suivre dans leur quête d'absolu.
Présenté en partie à l'Exposition universelle de 1855, remarqué par Charles Baudelaire et Théophile Gautier, le cycle n'obtiendra jamais le succès espéré. Janmot était-il trop singulier pour son temps, comme le pensait Eugène Delacroix, admirateur et défenseur du Poème de l'âme? Dans l'exposition, une série de « cabinets >> permet d'explorer les inspirations philosophiques, spirituelles et littéraires du peintre-poète et de découvrir ses affinités avec d'autres artistes, de William Blake à Odilon Redon, qui ancrent bien le Poème de l'âme dans le XIXe siècle.
L'exposition est organisée par le musée d'Orsay avec la collaboration scientifique et les prêts exceptionnels du musée des Beaux-Arts de Lyon.

La Famille de l'artiste
1868
Crayon graphite et rehauts de craie blanche sur papier
TOMASELLI COLLECTION
Ce grand dessin est préparatoire à l'une des peintures murales que Janmot réalise sur les murs de sa maison de Bagneux. L'artiste et père se représente en train de dessiner. Ses fils et ses filles, modèles des jeunes femmes du Poème de l'âme, entourent son épouse, Léonie. À droite, Maurice, âgé de deux ans, est une réminiscence du garçon du Printemps, quatrième tableau du Poème de l'âme. À l'arrière-plan, un ange emporte au ciel le petit Henry, premier garçon de la famille mort prématurément.

Autoportrait 
1832
Huile sur toile
Cet autoportrait est le premier tableau connu de l'artiste. Janmot, âgé de dix-huit ans, est alors élève à l'école des beaux-arts de Lyon. Palette et pinceaux en main, le regard attentif, il affiche pleinement ses ambitions d'artiste. Janmot introduit aussi dans cet autoportrait une dimension humoristique et une réflexion sur le statut de l'œuvre d'art. Il semble s'amuser à faire du spectateur le sujet de sa toile.

ÉPOPÉES PICTURALES & ILLUSTRÉES
Les cycles peints sont habituellement conçus pour s'intégrer dans une architecture. Parmi ceux que Janmot a pu connaître dans sa jeunesse : l'Histoire de Psyché de Raphaël (1518), pour la villa Farnesina à Rome, et la Vie de saint Bruno d'Eustache Le Sueur (1645-1648), pour la chartreuse de Paris (musée du Louvre). Mais Le Poème de l'âme ne s'intègre dans aucun lieu spécifique. C'est plutôt l'alliance de la peinture et de la poésie qui préside à sa conception, comme dans les << livres enluminés >>> de William Blake. Il faut donc plutôt se tourner du côté de la littérature et de l'illustration pour trouver les sources de Janmot. L'artiste s'inspire des poésies épiques et philosophiques de son temps, comme La Chute d'un ange d'Alphonse de Lamartine (1838) ou La Divine Épopée d'Alexandre Soumet (1840), ou encore des grandes épopées européennes interprétées par les artistes romantiques: la Divine Comédie de Dante (1303-1321), Le Paradis perdu de John Milton (1667) ou La Chanson des Nibelungen, légende médiévale allemande

Eugène Delacroix (1798-1863)
Faust cherchant à séduire
Marguerite
1827
Lithographie sur vélin

Eugène Delacroix (1798-1863)
L'Ombre de Marguerite apparaissant à Faust 
1827
Lithographie sur vélin

Paul Chenavard (1807-1895)
La Philosophie chrétienne, étude d'ensemble pour Divina 
Vers 1865-1869
Plume, encre brune et noire, lavis brun et peinture sur carton

LE POÈME DE L'ÂME PREMIÈRE SÉRIE
Les vingt années d'élaboration du premier cycle du Poème de l'âme auraient pu donner lieu à un ensemble stylistiquement très disparate. Il se dégage pourtant de cette série de dix-huit tableaux une grande cohérence visuelle. Les fonds évoquent des décors de théâtre devant lesquels les personnages se déplacent latéralement, comme sur une scène, renforçant de la sorte l'impression de continuité.
Le peintre-poète raconte ainsi le parcours initiatique d'une âme, sous les traits d'un jeune garçon vêtu de rose que l'on voit grandir et évoluer de tableau en tableau. Sa quête existentielle passe par la rencontre avec son âme sœur - une jeune fille vêtue de blanc - qui, comme lui, aspire au ciel, à la pureté et à l'harmonie. On suit les étapes et les vicissitudes de leur parcours: naissance, petite enfance, éducation, amours naissantes et rêve d'idéal. L'apparente quiétude de cette première série, en contraste avec la seconde, est souvent contredite par des détails nichés dans les œuvres ainsi que par les poèmes en vers qui soulignent à chaque étape le caractère tragique du destin de l'âme.

I. Génération divine
Vers 1844-1845 Huile sur toile
LYON, MUSÉE DES BEAUX-ARTS

Génération divine ouvre Le Poème de l'âme de manière grandiose. Au centre de la toile, le Créateur, entouré de l'Esprit saint et du Christ, engendre l'âme, qui prend les traits d'un nouveau-né. À leurs pieds, sont figurées les allégories du temps humain: le Passé dissimulé par l'oubli, le Présent faisant face au spectateur, et l'Avenir au visage voilé. L'irréalité du monde céleste est rendue par la lumière. La croix irradie sur la scène, laissant l'acte de la création de la vie dans la pénombre, enrobé de mystère.

II. Le Passage des âmes
L'ange gardien s'élance dans l'espace pour porter l'âme sur la terre, accompagné de plusieurs anges; d'autres reconduisent les âmes mortes au ciel, afin qu'elles soient jugées. L'immatérialité de la scène et des corps est rendue par un bleu cosmique très léger et des tons de cire contrastant avec l'obscurité régnant sur les sept vices, à droite. Sur terre, Prométhée, enchaîné à son rocher et condamné à voir son foie dévoré par un vautour, annonce les futurs tourments de l'âme.

III. L'Ange et la mère
Poésie et quiétude inondent cette première scène terrestre du Poème de l'âme. Telle une Vierge de Raphaël, une mère serre le nouveau-né contre son sein. Elle est assise au coeur d'un paysage à l'atmosphère limpide. Dans le dessin préparatoire, l'ange berce l'enfant à la place de la mère. La version définitive le montre les mains jointes tendues vers le ciel. Conscient des dangers, des larmes et des douleurs qui attendent l'âme ici-bas, il implore la pitié de Dieu pour cet enfant et sa mère.

IV. Le Printemps
Le garçon, vêtu de rose, a environ quatre ans. Il rencontre son double féminin, son âme soeur, qui l'accompagnera dans ses aventures. Le Printemps est une allégorie de l'enfance: tout est en gestation, tant ces deux âmes que ce paysage idyllique apparenté au jardin d'Eden. Par son geste, la petite fille, nouvelle Ève, invite le héros à la suivre là où, comme le dit le poème, «les fleurs sont plus belles, les oiseaux plus brillants encore». Ce faisant, elle entraîne le héros vers son destin tragique.

V. Souvenir du ciel
Voici l'instant précis où les deux âmes, comme délivrées de leur corps terrestre, s'élancent vers la vision d'une Vierge à l'Enfant. Leurs pieds lévitent au-dessus du sol et le temps semble suspendu. Mais le poème annonce la fin du rêve: «Et l'enfant reste seul dans la profonde nuit. » Ce rêve exprime aussi le désir inconscient de l'enfant de retourner dans le sein maternel, ce que souligne la figure de la mère, démultipliée en figures féminines dominant toute la composition.

VI. Le Toit paternel
Les deux enfants sont rentrés se mettre à l'abri d'un orage et observent par la fenêtre le spectacle de la nature. Cette tempête, qui fascine le héros et effraie la jeune fille, est une métaphore des dangers qui menacent les enfants en dehors du cocon familial. Ce tableau évoque encore le paradis perdu de l'enfance, mais il s'agit là des souvenirs de l'artiste, qui fait revivre sur la toile les êtres chers qui l'ont quitté. La figure paternelle est un autoportrait de Janmot.

VII. Le Mauvais Sentier
Ce tableau est inspiré des polémiques autour de l'éducation qui agitent alors le milieu catholique. L'enfilade inquiétante de professeurs en toge symbolise la menace de l'enseignement universitaire laïc sur ces âmes innocentes. Le malaise est palpable chez les deux jeunes gens qui gravissent un escalier sans fin, serrés l'un contre l'autre, coincés entre une architecture oppressante et une nature torturée. La vieille gardienne des lieux semble vouloir les attirer dans sa demeure au décor macabre.

Détail du tableau précédent 

VIII. Cauchemar
Le décor est l'envers du précédent tableau, et les terrifiants personnages aux fenêtres ne sont autres que les professeurs du Mauvais Sentier. Les enfants sont tombés dans le piège de la vieille marâtre. Dans ses bras, la jeune fille abandonnée, les yeux révulsés, est sous l'emprise de l'hypnose, une allusion au magnétisme de Mesmer, qui connaît à cette époque un succès sans précédent. Dans ce cauchemar, l'étau se resserre autour du garçon, proche de la chute, dont l'épouvante est très théâtrale.

IX. Le Grain de blé
Le Grain de blé clôt la série dédiée à l'éducation et opère un retour au calme. Les enfants, illuminés par le soleil zénithal, ont grandi. Un prêtre les instruit. Il s'agit de l'abbé Noirot, ancien professeur de philosophie du peintre au collège royal de Lyon. Le grain de blé, au centre de la composition, signale la présence de Dieu dans la nature et plaide en faveur d'une harmonie entre foi et science. Le peintre Alexandre Séon, formé plus tard à l'école des beaux-arts de Lyon, reprendra cette composition pour Le Récit, exposé dans cette salle.

X. Première Communion
Les deux héros, sous de chastes aubes blanches, font leur première communion dans la cathédrale Saint-Jean de Lyon.
Ils se retirent en procession dans une attitude de recueillement. À gauche, éclairés par une lumière filtrant à travers un vitrail, une mère et son enfant surplombent légèrement l'assistance. Il s'agit d'une réminiscence de la propre mère défunte de l'artiste, dont le souvenir imprègne tout Le Poème de l'âme.

XI. Virginitas
Ce tableau, dont la composition symétrique s'organise autour du lys, symbole de pureté, est le plus directement allégorique du Poème de l'âme. Les figures, resplendissantes dans leurs aubes blanches, caressent chacune un animal apprivoisé, symbole de la domestication de leur désir. Les symboles féminin et masculin semblent intervertis: la colombe du côté du garçon, la panthère du côté de la jeune femme. Janmot introduit ainsi le thème du double, ou de l'androgyne, cher aux romantiques.

XII. L'Échelle d'or
Le couple endormi fait l'expérience d'une seconde vision. Neuf anges arpentent un escalier reliant les mondes terrestre et céleste. Ils symbolisent les arts et disciplines qui élèvent l'âme : la Poésie, tenant une plume, l'Architecture, la Peinture munie d'une palette, la Musique avec une harpe, l'Astronomie tenant un globe, la Science avec un ballon de chimie; enfin, tout en haut, la Théologie, représentée par le triangle de la Trinité, puis la Philosophie et la Sainteté.

XIII. Rayons de soleil
Dans un paysage automnal, le héros est invité à danser, chanter et jouir des derniers rayons du soleil, symboles des joies passagères de l'existence. Le trio de jeunes femmes blondes évoque les trois Grâces, incarnant beauté, vertu et fidélité. Une quatrième jeune femme, brune, les yeux brillants, portant une couronne de pavots, des boucles d'oreilles et une tenue chatoyante, fait figure de tentatrice. Pour autant le jeune homme, vertueux, ne détourne pas les yeux de sa bien-aimée.

XIV. Sur la montagne
Pour la première fois, c'est le jeune homme qui entraîne son amie, et non l'inverse.
Il l'invite à quitter leur jeunesse insouciante pour commencer leur ascension spirituelle. Les figures, monumentalisées par le point de vue en contre-plongée, se détachent à contre-jour, dans un saisissant effet de clair- obscur. L'atmosphère pure et froide rappelle l'illuminisme, doctrine fondée sur la croyance en une illumination intérieure inspirée par Dieu, dont l'influence est considérable sur la poésie du XIXe siècle.

XV. Un soir
Arrivés au sommet, les amoureux s'assoient pour contempler le paysage et le soleil disparaissant à l'horizon. Le soir est l'heure où tout se tait et s'apaise. Les figures se fondent dans la symphonie de la nature, laissant transparaître l'adhésion de Janmot au panthéisme romantique, doctrine qui considère que Dieu est présent en toute chose. On perçoit dans leurs yeux une note mélancolique, traduisant l'éternelle insatisfaction de l'âme à l'égard des choses terrestres, qui annonce l'élan vers l'infini des deux compositions suivantes.

XVI. Le Vol de l'âme
Conduit par la jeune femme, le couple enlacé s'envole vers des contrées nouvelles. Il plane à basse altitude au-dessus d'un cours d'eau et d'une vallée en pente douce qui symbolisent les jours paisibles de l'enfance. Si Janmot se souvient des ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta, dans le tableau présenté par Ary Scheffer au Salon de 1835, sa version d'un couple en lévitation est plus sage. Cependant, le poème est chargé de métaphores voluptueuses, voire sexuelles, qui contrastent avec l'idéalisme apparent du tableau.

XVII. L'Idéal
Le Vol de l'âme se mue en apothéose mystique. Le couple atteint des hauteurs insoupçonnées, et le jeune homme pose la main sur sa poitrine pour contenir le désir d'infini qui lui emplit le cœur. Ce tableau est plus dramatique que le précédent: paysage lointain escarpé et sombre, clair-obscur ménagé par la trouée des nuages et lumière resplendissante du ciel. Il marque la fin de l'aventure du couple, car la jeune femme écarte de la main le rideau de nuages qui la sépare du monde céleste pour disparaître.

XVIII. Réalité
N'ayant pu suivre son âme sœur dans le monde céleste, le jeune homme est retombé sur la terre, au cœur d'un paysage réaliste et sévère. Il est confronté à la dure «réalité » > de l'existence: la solitude, la souffrance et la mort. Il plante une croix fleurie dans le sol meuble où est enterrée sa bien-aimée. Pour la première fois, il apparaît seul, ce qui annonce son errance à venir. Les vers de Janmot sont une prophétie lugubre de ce qui attend le «voyageur» dans la seconde partie du Poème de l'âme.

LE POÈME DE L'ÂME DEUXIÈME SÉRIE

I. Solitude
Le jeune homme, désormais seul, est plongé dans la douleur à la suite du décès de sa bien-aimée. Il s'est assis dans une forêt profonde, dont l'apparence et l'obscurité font écho à son état d'âme, selon un principe cher au romantisme. Au premier plan, une souche brisée rappelle son deuil et la brutalité de la disparition de son âme sœur. Il médite sur le caractère immuable de la nature, tandis que la vie humaine est éphémère.

II. L'Infini
L'espoir du jeune homme se ranime devant la beauté de la nature. Son énergie retrouvée et son désir d'infini s'expriment dans son attitude: ses bras repliés retiennent sa poitrine soulevée par son souffle, dans un esprit de communion avec le monde. La figure est placée devant la mer, décor où le regard se perd dans le lointain. Cette idée d'infini est souvent associée au divin dans la poésie et les débats philosophiques de l'époque.

III. Rêve de feu
Le héros s'est endormi et rêve: un groupe de jeunes femmes nues cueillent des fleurs; l'une d'elles, dont il admire tout spécialement la beauté, s'approche de lui pour répandre des roses. Il s'éveille et la vision s'évanouit. Le corps féminin devient ici plus sensuel en comparaison des jeunes filles éthérées qui ont traversé jusqu'à présent Le Poème de l'âme. Cette composition est le pendant tentateur du rêve chaste de L'Échelle d'or dans la première série.

IV. Amour
Le personnage féminin apparu en rêve est devenu réel. Le couple cède au désir charnel, qui était absent du premier cycle, et les amants s'enlacent. La jeune femme revêt une couronne de fiançailles ou de mariage, mais son regard apparaît détaché, comme si elle était indifférente à l'affection du héros. Le poème formule déjà la crainte de la perte, car le bonheur ne peut durer et, pour Janmot, ne peut se trouver dans l'amour physique.

V. Adieu
La femme s'enfuit, telle une illusion qui s'évanouit, et rompt le court moment de bonheur retrouvé. Elle ne détourne pas même le regard vers le jeune homme qui la supplie. La fleur de lys, qui symbolisait la virginité dans le premier cycle, s'est brisée. La mer revient en tant que décor, non plus pour inspirer l'enthousiasme face à sa beauté, mais désormais comme une frontière infranchissable. Pour l'artiste, l'amour charnel est inconstant et sans issue.

VI. Le Doute
À nouveau seul, le jeune homme s'abandonne au désespoir devant l'impossibilité de trouver le bonheur. Il se lance dans un voyage pour chercher une réponse à sa quête et traverse un paysage inquiétant qui fait écho à son tourment. Il entame une descente dans une vallée obscure dominée par d'imposantes falaises, sous un ciel couvert. L'expression du doute est un trait commun aux héros romantiques; Janmot semble ici inspiré par son confrère et ami Eugène Delacroix.

VII. L'Esprit du mal
Au cours de sa quête, le jeune homme est soumis à la tentation de céder aux vices, dans l'espoir de trouver le bonheur à travers les séductions trompeuses du monde. Le démon prend l'aspect d'une figure androgyne qui vient lui saisir le bras et lui parler à l'oreille. Derrière lui, de part et d'autre, arrivent les allégories des péchés capitaux: de gauche à droite, l'Envie, la Colère, l'Avarice, la Luxure, la Gourmandise et la Paresse. Au sommet, l'Orgueil trône comme le vice suprême.


VIII. L'Orgie
Le jeune homme a cédé à la tentation.
Il participe à un banquet et danse avec une femme aux charmes enjôleurs. Tous deux tiennent en main une coupe, et une large part de l'assemblée se livre à la boisson, ainsi qu'à divers vices. Le décor se réfère à l'Antiquité gréco-romaine, la scène étant placée sous les auspices des statues de Vénus et de Bacchus. Cette œuvre prend un tour politique, Janmot condamnant l'état de décadence de la société contemporaine.

IX. Sans Dieu
Le jeune homme, qui a échoué à trouver dans les plaisirs et la débauche le bonheur qu'il cherchait, s'abandonne plus que jamais au désespoir. Assis sur une souche déracinée, au bord d'un gouffre, il foule le livre de l'Évangile à ses pieds pour manifester le rejet de sa foi. Le paysage est désolé, comme si un cataclysme s'était abattu, en résonance avec l'état d'esprit du héros. À l'arrière-plan, une silhouette fantomatique fait son apparition.

X. Le Fantôme
La mystérieuse figure drapée a rejoint le jeune homme et le saisit, en lui ordonnant de la suivre. Il est effrayé et tente de la repousser en vain. La mer est désormais animée de fortes vagues et le ciel est chargé de nuages, en écho à la tension de la scène. Le héros interroge son interlocuteur sur son identité, que celui-ci refuse de révéler. S'agit-il de la mort? Ou bien de l'expression de son tourment intérieur?

XI. Chute fatale
Le fantôme au centre de la composition révèle enfin son identité: la Fatalité. Le livre qu'elle tient ouvert affiche le nom des autres protagonistes. À droite, l'allégorie de la Matérialité, à gauche, celle de la Révolte brandissant un poignard et la torche qui allume l'incendie. À l'arrière-plan, une ville brûle, probable allusion aux destructions de la Commune de Paris en 1871. Face à ces allégories, le jeune homme chute à la renverse dans un gouffre.

XII. Le Supplice de Mézence
Les traits du héros apparaissent désormais plus mûrs. À l'issue de sa chute, il se trouve lié au corps d'une femme défunte, sa bien-aimée, matérialisant ainsi la source de sa souffrance psychique. Cette situation où la victime est attachée à un cadavre jusqu'à ce que mort s'ensuive fait référence à un supplice qu'aurait imaginé un roi étrusque, Mézence, selon le récit du poète antique Virgile dans L'Énéide.

XIII. Les Générations du mal
Le supplice du héros se prolonge. À ses côtés reparaît la Fatalité, assise sur un sphinx et tenant un crâne. À gauche, un savant se contemplant dans un miroir dénonce le matérialisme de la science contemporaine. Le singe dont il caresse la tête est une allusion directe à la théorie de Charles Darwin sur l'évolution des espèces, que Janmot rejette. Au registre supérieur dansent sept femmes à demi dénudées figurant les péchés capitaux.

XIV. Intercession maternelle
L'homme adresse une prière au Christ, regrettant de l'avoir renié et implorant son secours. Il est relayé, dans le monde céleste, par sa mère ainsi que par la Vierge. À leurs côtés sont représentées les quatre vertus cardinales - la Prudence, la Tempérance, la Force et la Justice -, tandis qu'un ange emporte sur terre sa bien-aimée défunte, afin qu'elle vienne à son secours. La composition entre dans une dynamique religieuse plus classique, qui fait référence au culte de la Vierge alors à son apogée et à son rôle d'intercession central dans la piété de l'époque.

XV. La Délivrance, ou Vision de de l'avenir
Au centre de cette composition qui figure le triomphe de la foi chrétienne, l'ange de la délivrance foule un cadavre symbolisant le paganisme. À gauche apparaît la Science, désormais en accord avec la Loi divine qui trône à droite. Cette scène allégorique rompt avec le récit du Poème de l'âme par l'absence de l'homme qui en a été jusque-là le protagoniste. Il faut y voir un manifeste des opinions monarchistes de Janmot, en réaction à l'instauration de la III République.

XVI. Sursum corda!
Le titre latin de cette ultime scène, qui signifie «Élevons nos cœurs», est une formule empruntée à la liturgie de la messe. L'homme, désormais délivré, connaît la rédemption. Il est accueilli au ciel par la jeune femme qu'il a aimée. De part et d'autre sont rassemblées les vertus théologales - Foi, Espérance et Charité - et les vertus cardinales - Prudence, Tempérance, Force et Justice -, tandis que l'assemblée céleste est présidée par le Christ, entouré des saints et des anges. Ce «happy end>> est ambigu, car le texte du poème suggère que le temps de l'homme n'est pas encore venu et qu'il doit redescendre sur terre pour œuvrer dans la foi pour la suite de sa vie.

Quelques tableaux de contexte de l'exposition :

Louis Janmot (1814-1892)
La Sainte Famille 
1844-1867 Huile sur bois

Jean Auguste Dominique Ingres
 (1780-1867)
La Vierge adorant l'hostie
1854 Huile sur toile

Théophile Gautier (1811-1872)
La Mauvaise Pensée
1845
Plume, encre brune et lavis brun sur papier

Joseph Guichard (1806-1880)
La Mauvaise Pensée
1832 Huile sur toile

Louis Janmot (1814-1892)
Étude de ciel, ou Les Nuages
Vers 1860-1880?
Huile sur carton

Florentin Servan (1811-1879)
Madeleine au désert
1852
Huile sur toile
Le paysagiste lyonnais Florentin Servan représente sainte Marie Madeleine devenue après la mort du Christ une pécheresse repentie. Selon La Légende dorée, elle aurait terminé sa vie retirée dans la prière, dans une grotte du massif de la Sainte-Baume en Provence. L'artiste, proche ami de Janmot, qu'il accueille l'été dans le Bugey, à Lacoux, installe la scène dans un décor empruntant aux sites des environs qu'il étudie dans ses dessins et recompose en atelier.

Salvador Dalí (1904-1989)
L'Ange de la mélancolie, illustration pour Aurélia de Gérard de Nerval
1972
Pointe sèche et eau-forte en couleurs

Francisco de Goya (1746-1828)
Le Sommeil de la raison engendre des monstres, série Les Caprices
Vers 1797-1799 Eau-forte et aquatinte

Louis Janmot (1814-1892)
Le Supplice de Mézence
1865 Huile sur toile

On ne peut pas passer au MO sans jeter un œil à la collection permanente constamment réaménagée pour nous faire (re)découvrir ses trésors.  En voici quelques uns de Courbet, Monet et Tissot :

Gustave Courbet
Ornans 1819- La Tour-de-Peilz, 1877
Femme nue au chien
Vers 1861-1862
Huile sur toile

Gustave Courbet 
Ornans 1819-La Tour-de-Peilz, 1877
L'Homme blessé, 
dit aussi Portrait de l'artiste
Entre 1844 et 1854
Huile sur toile

Gustave Courbet 
Ornans 1819- La Tour-de-Peilz 1877
La Source
dit aussi Baigneuse à la source
1868
Huile sur toile

Gustave Courbet
Ormans 1819-La Tour-de-Peilz- 1877
La Mer orageuse, dit aussi La Vague
1870 Salon de 1870
Huile sur toile

Gustave Courbet
 Ornans 1819-La Tour-de-Peilz1877
La Falaise d'Étretat après l'orage 
1870
Huile sur toile

Claude Monet
Paris 1840 - Giverny 1926
Femmes au jardin
Vers 1866
Huile sur toile
Œuvre majeure des années de jeunesse de Monet, Femmes au jardin a fait l'objet d'une restauration récente, effectuée au Centre de recherche et de restauration des musées de France.
Au printemps 1866, Monet se lance le défi de travailler en plein air sur une toile monumentale. Il commence à peindre dans son jardin de Ville-d'Avray quatre jeunes femmes, dont le modèle, pour les trois figures de gauche, est sa compagne Camille Doncieux. Exécutée en partie à l'extérieur - dans une tranchée creusée à cet effet - puis souvent transportée, l'œuvre avait été déchirée en partie basse et reprise du temps de Monet. Ces réparations anciennes s'étaient dégradées. Son vernis, jauni, atténuait l'audace de la palette de Monet et la fermeté de sa touche.
L'imagerie scientifique a permis de retracer les modifications apportées à la composition. Le traitement et le nettoyage du tableau lui ont rendu son éclat: les blancs étincelants contrastent à nouveau avec les ombres gris-bleuté, et les nuances de vert ont retrouvé leur profondeur. Ce travail de restauration et de recherche nous ramène au plus près des intentions premières de Monet, dans les années précédant l'avènement de l'impressionnisme.

James Tissot 
Nantes 1836-Chenecey-Buillon 1902
Les Deux sœurs 
dit aussi Portraits dans un parc 
1863 Salon de 1864
Huile sur toile











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