dimanche 10 décembre 2023

Le Paris de la modernité au Petit-Palais en décembre 2023

Une exposition foisonnante sans grande originalité mais agréable à visiter !

Dans la lignée de « Paris romantique » et « Paris 1900, la ville spectacle », le Petit Palais consacre le dernier volet de sa trilogie au « Paris de la moder-nité », de 1905 à 1925. La « ville-monde » est alors au cœur de l'innovation et le foyer d'un rayonnement culturel sans pareil.
L'exposition invite à se plonger dans ce Paris effervescent, cosmopo-lite et foisonnant, où se croisent des artistes venus du monde entier et de tous horizons, de Pablo Picasso à Joséphine Baker. Son ambition est de mettre en lumière, avec près de quatre cents œuvres, l'extraordinaire créativité de ces vingt années étourdissantes.
Pour la première fois, la contemporaneité des innovations se donne à voir, dans tous les champs artistiques. En onze sections, associant la mode, le cinéma, la photographie, la peinture, la sculpture, le dessin, mais aussi la danse, la musique, la littérature, le design, les arts décoratifs, l'architecture et l'industrie, l'exposition célèbre la fabuleuse ébullition créatrice de ces années 1905-1925. Elle embrasse également la période douloureuse de la Grande Guerre - celle de 1914-1918 -, et interroge le rôle clef joué par les artistes et les femmes au temps de cette tragédie.
Les avant-gardes se télescopent, les ruptures sont foudroyantes, les mutations sociales s'accélèrent, les scandales font rage. À Paris, tout va alors « plus vite, plus haut, plus fort ». Outre les célèbres lieux de création, concentrés à Montmartre et à Montparnasse, l'exposition évoque le quar-tier des Champs-Élysées et insiste sur son importance, jusqu'à présent méconnue, comme nouveau « théâtre des avant-gardes ».

PABLO PICASSO
1881-1973
Le Fou
1905 Bronze
Paris, musée d'Art moderne de Paris
En 1904, s'ouvre la « période rose >> de Picasso. Elle est marquée par les figures de saltimbanques - écuyères, clowns tristes et acrobates - inspirés du cirque Medrano, que Picasso fréquente assidûment avec son cercle d'amis. Le Fou serait inspiré d'un portrait de Max Jacob, modelé en cire, auquel le peintre a ensuite ajouté un bonnet à pointe triangulaire ceint d'une couronne. Ce personnage incarne l'ambivalence de la bohème artistique, entre sagesse et folie.

MARIE LAURENCIN 1883-1959
Autoportrait 
1905
Huile sur toile
Grenoble, Musée de Grenoble

ANDRÉ GILL 1840-1885
Enseigne du Lapin-Agile
1880
Huile sur bois
Paris, collection Yves Mathieu, en dépôt au musée de Montmartre
En 1880, le caricaturiste et chansonnier André Gill réalise cette enseigne pour un cabaret de Montmartre. Son titre, Le Lapin Agile, est dérivé d'un calembour tiré de son nom: « L.a peint Gill »>. Coiffé d'une casquette ouvrière, portant ceinture et noeud papillon rouge, le lapin emblématique saute d'une casserole. Il brandit une bouteille, spécialité de Montmartre, célèbre pour ses guinguettes et ses vignes, devant l'un des moulins qui ont fleuri sur la butte au XIXe siècle.

MONTMARTRE ET MONTPARNASSE 
Au début du xxe siècle, les ateliers d'artistes se concentrent d'abord à Montmartre puis à Montparnasse. Situés à la marge, ces quartiers offrent à la bohème artistique un cadre animé, au sein duquel l'espace public revêt une grande importance, avec ses cafés et ses réseaux d'entraide.
Montmartre attire, dès la fin du XIXe siècle, les « rapins », ces artistes en devenir. Venus de Paris ou de Province, mais aussi d'Espagne et d'Italie, ils s'installent dans des ateliers bon marché: ceux du Bateau-Lavoir accueillent la « bande à Picasso » à partir de 1904. Laboratoire de la modernité, cet atelier collectif est le lieu de discussions esthétiques passionnées. Tous se retrouvent au cabaret du Lapin-Agile, où les artistes se mêlent aux poètes et écrivains, ainsi qu'à la pire des « canailles crapuleuses »>. Les chantiers incessants, l'insécurité, l'arrivée du tou-risme, l'augmentation des loyers poussent les artistes à quitter Montmartre pour Montparnasse, sur la rive gauche de la Seine
PABLO PICASSO 1881-1973
Buste de femme ou de marin (étude pour Les Demoiselles d'Avignon)
1907
Huile sur carton
Paris, musée national Picasso-Paris | Dation Pablo Picasso, 1979
Au Bateau-Lavoir, Picasso peint Les Demoiselles d'Avignon, point de bascule dans son œuvre. La composition finale se resserre sur cinq nus féminins massifs, alors que les études et esquisses préparatoires comportent aussi des personnages masculins. Les corps sont violemment abrégés, construits à grands traits géométrisés. Les visages sont simplifiés et marqués de hachures. L'oeuvre rompt avec la tradition occidentale et prépare la révolution cubiste. Elle défraye la chronique par son érotisme évident et ses références à l'art africain.

Masque
Côte d'Ivoire, début du xxe siècle
 Bois, pigments
Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac Don Alix de Rothschild
Les objets d'Afrique, d'Asie, des Amériques ou d'Océanie fournissent aux artistes des solutions plastiques en accord avec leur quête d'abstraction. Picasso, Vlaminck ou Van Dongen posent sur ces œuvres un nouveau regard, non dénué d'une part d'imaginaire concernant leur origine ancienne. Les arts d'Afrique ou d'Océanie n'ont pourtant rien de << primitif » ou d'archaïque, mais sont bien souvent contemporains. Certains artistes, comme Vlaminck, les collectionnent, et d'autres entreprennent même d'en faire commerce.

MARIE LAURENCIN 1883-1959
Portrait de Max Jacob
1908
Huile sur bois
Orléans, musée des Beaux-Arts
Max Jacob fréquente Le Bateau-Lavoir et soutient son ami Picasso. Excentrique personnage en redingote bretonne, le peintre, poète et écrivain y anime les soirées par ses bons mots, son talent d'imitateur et ses supposés dons de divination. Réalisé par Marie Laurencin, ce portrait reprend ses traits glabres sous la forme d'un masque. L'artiste s'est sans doute inspirée des collections d'oeuvres extra-européennes de son compagnon, le critique d'art et poète Guillaume Apollinaire, ou par Les Demoiselles d'Avignon, qu'elle a pu voir dans l'atelier du Bateau-Lavoir de Picasso.

KEES VAN DONGEN 1877-1968
Portrait de Fernande Olivier
1907
Pastel
Genève, musée du Petit Palais
Beauté vedette de Montmartre, Fernande est modèle un métier grâce auquel elle a acquis l'indépendance financière lui permettant de s'arracher aux griffes d'un mari abusif. En ménage avec Picasso à partir de 1904, elle pose dès lors exclusivement pour lui et ses proches, comme ici le peintre hollandais Kees van Dongen. Installé au Bateau-Lavoir depuis 1903, ce dernier la représente à de nombreuses reprises, avec ses yeux en amande et ses cheveux remontés en chignon.

MONTPARNASSE
CITÉ EFFERVESCENTE
Bénéficiant de l'ouverture de la ligne de métro Nord-Sud en 1910, Montparnasse devient le nouveau pôle d'attraction pour les jeunes artistes. La solidarité s'organise et les cités d'artistes telles que La Ruche ou la cité Falguière accueillent les nouveaux arrivants, nombreux à venir de l'étranger. Les cafés les plus courus sont situés aux abords de la place Vavin. Les expatriés allemands et austro-hongrois choisissent comme point de ralliement Le Dôme, tandis que les Russes préfèrent La Rotonde. En face du bal Bullier, La Closerie des Lilas est fréquentée par des poètes symbolistes autour de Paul Fort. Artistes, modèles, mécènes, les femmes sont partout présentes dans cette société bouillonnante.

MARIE VASSILIEFF 1884-1957
Projet d'affiche pour un bal à l'Académie Vassiliev
Sketch for a Poster for a Ball at the Académie Vassiliev
Vers 1913 ou 1914
Fusain sur papier
Paris, collection Claude Bernès

MARIE VASSILIEFF 1884-1957
Scipion l'Africain
1916
Huile sur toile
Paris, collection particulière
Un temps surnommée « Jack of all trades» («< Valet de tous les métiers, maître d'aucun ») Marie Vassilieff est une figure incontournable des « Montparnos ». Son Scipion l'Africain renverse les codes du portrait et s'inspire des déconstructions formelles de Picasso. Le recours au modèle noir et sa valorisation pionnière sont des constantes de l'oeuvre de la peintre. Cette odalisque à l'obélisque, qui rend hommage à son employé de maison, est aussi une audacieuse variation sur le genre masculin-féminin.

JULES PASCIN 1885-1930
Le Modèle
1912
Huile sur toile
Grenoble, musée de Grenoble
Ouvertes à tous, des académies attirent à Montparnasse des élèves du monde entier. Lieux d'enseignement, mais aussi de partage et de fête, elles comptent de nombreuses femmes. Outre La Ruche, plusieurs cités et ateliers collectifs d'artistes s'y créent, dont la cité Falguière ou les ateliers de la rue Campagne-Première. Un marché aux modèles se tient à Montparnasse chaque semaine. Le peintre Jules Pascin les fait poser dans des attitudes assez érotiques, les recrutant parfois dans des maisons closes.

MICHEL KIKOÏNE 1892-1968
La Ruche sous la neige
1913
Huile sur toile
Genève, musée du Petit Palais

MARC CHAGALL 1887-1985
L'Atelier
1911
Huile sur toile rentoilée sur toile fine
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée national Marc-Chagall, Nice | Dation, 1988
Peu après son arrivée à Paris, Marc Chagall installe son atelier dans un petit appartement, impasse du Maine. Au mur, on reconnaît le portrait de sa promise, Bella Rosenfeld, restée en Russie. Ce portrait la montre vêtue d'une robe ajustée à large collerette, les mains sur les hanches, dans une posture évoquant l'art du théâtre que Bella étudie.

MARC CHAGALL 1887-1985
Ma fiancée aux gants noirs
1909
Huile sur toile
Bâle, Kunstmuseum Basel
Acquis avec le soutien du Dr h.c. Richard Doetsch-Benziger, 1950

NATALIA GONTCHAROVA
1881-1962
Nature morte aux lilas
1911
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris

MICHEL LARIONOV
1881-1964
Journée ensoleillée
1913-1914
Huile, pâte à papier et colle sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou Collection Guillaume Apollinaire, 1914; achat, 1986
En 1914, Natalia Gontcharova et son mari Michel Larionov arrivent à Paris pour travailler sur les décors et les costumes des Ballets russes de Serge Diaghilev. Leurs peintures s'inscrivent dans le sillage du mouvement futuriste. Plus que la représentation, elles cherchent à capter les vibrations de la matière et à traduire la radioactivité, au centre des préoccupations de nombreux scientifique de l'époque. L'importance que prend dans leur ouvre le principe physique du rayonnement donne naissance au rayonnisme, théorisé par Larionov.


"DONATELLO CHEZ LES FAUVES"
Le scandale créé au Salon d'automne de 1905 est tel que le président de la République Émile Loubet refuse de l'inaugurer. En cause, les œuvres de Henri Matisse, Maurice de Vlaminck, Albert Marquet, Henri Manguin, André Derain et Charles Camoin, réunies dans la salle VII, dont les teintes vives, appliquées en larges traits de pinceau, évoquent des « bariolages informes ». Le critique d'art Louis Vauxcelles remarque, au centre de la pièce, un portrait d'enfant et un petit buste du sculpteur Albert Marque dont la candeur surprend au milieu de l'orgie des tons purs: Donatello chez les fauves. L'expression restera, faisant du fauvisme la première avant-garde du xxe siècle.

JEAN PUY 1876-1960
Flânerie sous les pins
Relaxing under the Pines
1905
Huile sur toile
Villefranche-sur-Saône, musée municipal Paul-Dini Donation Muguette et Paul Dini, 1999

HENRI ROUSSEAU 1844-1910
(DIT AUSSI LE DOUANIER ROUSSEAU)
La Charmeuse de serpents
1907
Huile sur toile
Paris, EPMO, musée d'Orsay
Au Salon d'automne de 1905, le Douanier Rousseau expose Le lion ayant faim se jette sur l'antilope (Bâle, Fondation Beyeler), dont le félidé a pu indirectement inspirer le terme de « fauve ». Deux ans plus tard, il y expose sa célèbre Charmeuse de serpents: une Eve noire joue de la musique, dans une nature primitive aussi fantastique qu'inquiétante, ouvrant d'autres voies à la modernité.

HENRI MATISSE 1869-1954
Marguerite lisant
1906
Huile sur toile
Grenoble, musée de Grenoble
Henri Matisse fait ici le portrait de sa fille.  Il travaille de manière synthétique, sans volumes ni profondeur. Dessiné en lignes sombres, le visage de la fillette, alors âgée de 12 ans, ressort tel un masque posé au-dessus d'une grande collerette claire. Les accords de couleurs, rompus par le rouge de la robe, confèrent une dimension décorative à ce tableau empreint de sérénité et d'émotion.

CHARLES CAMOIN 1879-1965
Village au bord de la mer 
1905
Huile sur toile
Genève, musée du Petit Palais

JOACHIM-RAPHAËL BORONALI
(L'ANE LOLO, DIT)
Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique
1910
Huile sur toile
Espace culturel Paul-Bédu- Milly-la-Forêt
Exposé au Salon des indépendants de 1910, ce coucher de soleil est peint par Joachim-Raphaël Boronali, un artiste italien se réclamant de
l'« excessivisme ». Les réactions de la critique sont plutôt positives, mais la supercherie est révélée : un pinceau trempé de peinture avait été attaché à la queue d'un âne, qui a barbouillé une toile présentée par des plaisantins. Orchestré par l'écrivain Roland Dorgelès, ce canular s'inscrit dans l'esprit frondeur et humoristique de la butte Montmartre

KEES VAN DONGEN 1877-1968
Nini, danseuse aux Folies-Bergères ou La Saltimbanque au sein nu
1907-1908
Huile sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Don Jean Aron, 1948
Dans ce portrait de Nini, Kees Van Dongen joue sur la stridence des teintes. Dans son atelier, il utilise des lampes électriques pour accentuer les effets de contraste, créant ici une sorte de "surexposition" du buste. Avec son sein sensuellement dévoilé et son regard intensément charbonneux, cette danseuse s'inscrit dans une modernité noire qui n'est pas sans évoquer l'influence des expressionnistes allemands, avec qui Van Dongen expose à Dresde, en 1908.

LES CUBISTES DES SALONS 
Au Salon des indépendants de 1911, la mouvance cubiste fait son apparition, par le biais de peintres comme Henri Le Fauconnier et Roger de la Fresnaye. Ces artistes s'inscrivent dans la lignée des recherches de Paul Cézanne, Georges Braque et Pablo Picasso - les premiers peintres à avoir déconstruit le point de vue figuratif en proposant une fragmentation des formes en facettes. Rejoints par Albert Gleizes et Jean Metzinger, ils se retrouvent ensuite aux salons d'automne et des indépendants. Soutenus par des critiques reconnus tels que André Salmon, André Warnod ou Guillaume Apollinaire, ils imposent l'image d'un renouveau de l'esthétique moderne, après l'impressionnisme et le fauvisme. Pablo Picasso et Georges Braque, qui ne participent pas à ces salons, ne se reconnaissent cependant aucun lien de parenté avec ceux que Braque nomme les « cubisteurs ».

PABLO PICASSO 1881-1973
La Femme au pot de moutarde
Woman with Mustard Pot
1910
Huile sur toile
La Haye, Kunstmuseum Den Haag

ROGER DE LA FRESNAYE
1885-1925
Cuirassier
1910-1911
Huile sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Lyon
Achat, 1938
Dans le Cuirassier, Roger de la Fresnaye cherche à renouveler la tradition picturale militaire, en s'inscrivant dans la lignée des expérimentations de Braque et Picasso et en s'inspirant du Cuirassier blessé quittant le feu de Théodore Géricault (1814, musée du Louvre).

HENRI LE FAUCONNIER
1881-1946
L'Abondance
1910
Huile sur toile
La Haye, Kunstmuseum Den Haag Don d'une collection particulière
L'Abondance de Henri Le Fauconnier représente une femme et un enfant nus portant des pommes. L'œuvre témoigne de l'aspiration de ces artistes
<< cubisteurs » à s'inscrire à la fois dans la modernité et dans la tradition française.

JEAN METZINGER 1883-1956
L'Oiseau bleu
The Blue Bird
1912-1913
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris

ALBERT GLEIZES 1881-1953
Les Baigneuses
The Bathers
1912
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris

GEORGES BRAQUE
1882-1963
Tête de femme
1909
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris
De 1907 à 1914, Georges Braque et Pablo Picasso travaillent conjointement, « en cordée », comme ils se plaisent à le dire, pour élaborer un nouveau langage pictural. Influencés par Paul Cézanne, << le père de l'art moderne », ils recomposent le volume en facettes, réduisant la palette des couleurs à des teintes sourdes, multipliant et combinant les points de vue, Ensemble, ils élaborent et donnent naissance au cubisme.

PIET MONDRIAN 1872-1944
Paysages avec arbres
1912
Huile sur toile
La Haye, Kunstmuseum Den Haag | Legs Salomon B. Slijper
Formé à la peinture traditionnelle hollandaise, Piet Mondrian arrive à Paris en mai 1911, pour y prendre connaissance des avancées artistiques internationales. Il s'éloigne de la figuration et intègre les enseignements de Cézanne et des cubistes. Paysage aux arbres fait sans doute partie des trois tableaux que Piet Mondrian présente en mars 1912 au Salon des indépendants. Si des éléments figuratifs y sont encore reconnaissables, la profondeur et la perspective disparaissent.


FERNAND LÉGER 1881-1955
Le Passage à niveau
1912
Huile sur toile
Riehen/Bâle, Fondation Beyeler
Achat grâce à un don de Kurt Schwank, Riehen
En 1912, un projet d'hôtel, dit « maison cubiste »>, est présenté au Salon d'automne. Fabriquée en plâtre armé à taille réelle, elle possède une façade à pans coupés conçue par Raymond-Duchamp Villon. A l'intérieur, un vestibule, une petite chambre et un «salon bourgeois » éclectique accueillent le visiteur. Le Passage à niveau de Fernand Léger est présenté dans le cadre de ce salon. Dans cette œuvre, l'artiste joue du contraste entre les courbes et les lignes droites, faisant une large place à la couleur.


LES FUTURISTES
À PARIS
Le 20 février 1909, le Manifeste du futurisme paraît à la une du Figaro. « Nous voulons glorifier la guerre seule hygiène du monde, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme», clame-t-il avec provocation. En onze stances et for-mules chocs - dénoncées, entre autres, par les féministes -, la beauté de la vitesse et la nécessité de la violence en art sont promues. Le peintre italien Filippo Tommaso Marinetti, théoricien et porte-parole du mouvement, orchestre sa diffu-sion internationale. Ses compatriotes Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo et Gino Severini exposent pour la première fois à Paris en février 1912, à la galerie Bernheim-Jeune, dont Félix Fénéon assure la direction artistique.


GINO SEVERINI 1883-1966
Les Voix de ma chambre
Bedroom Voices
1909
Huile sur toile
Stuttgart, Staatsgalerie Stuttgart Acquisition avec Lotto-Mitteln, 1969

GINO SEVERINI 1883-1966
La Danse du pan-pan au Monico
1909-1911/1959-1960
Réplique d'artiste exécutée d'après le tableau original disparu en 1926
Huile sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou Don Mme Severini et ses filles, 1967
La Danse du pan-pan au Monico de Severini est saluée par Apollinaire comme « l'œuvre la plus importante qu'ait peinte un pinceau futuriste >> (L'Intransigeant, 7 février 1912). Au centre de la toile, s'agitent deux danseuses vêtues de rouge. Autour d'elles, se presse une foule compacte et déchaînée, composée de formes colorées et diffractées. La scène semble vue au travers d'un kaleidoscope. Le peintre parvient ainsi à rendre le mouvement d'une liesse populaire et de la fièvre qui pouvait s'emparer des cafés parisiens à la mode.


LE «BOUM»> DES SALONS DU CYCLE. DE L'AUTOMOBILE ET DE L'AVIATION
Les nouveaux modes de transport qui émergent - le véloci-pède, l'automobile et l'aviation ont bientôt leurs propres salons à Paris. En 1901, le Grand Palais accueille le Salon international de l'automobile, du cycle et des sports qui se tiendra ensuite chaque année, excepté en 1909 et 1911. Les visiteurs s'y pressent par centaines de milliers pour décou-vrir les automobiles Serpollet, la première voiture Renault et bien d'autres véhicules.
En 1908, une petite partie du salon est réservée aux aéroplanes et aux ballons. Les visiteurs peuvent y admirer l'avion de Clément Ader, l'Antoinette de Levavasseur ou la Demoiselle de Santos-Dumont. Le succès est tel qu'un nou-veau salon spécialement dédié à l'aviation s'impose. La pre-mière Exposition internationale de la locomotion aérienne est inaugurée en 1909 par le président de la République Armand Fallières.

LOUIS BÉCHEREAU, ARMAND DEPERDUSSIN
Aéroplane Deperdussin Type B Deperdussin Type B airplane
1911
Bois, toile enduite, peinture, métal, matériaux synthétiques Le Bourget, collection du musée de l'Air et de l'Espace Le Bourget
La première Exposition internationale de la locomotion aérienne se tient au Grand Palais
en 1909. Avec son « monoplan »>, le constructeur et homme d'affaires Armand Deperdussin fait sensation. S'allouant les services du jeune ingénieur Louis Béchereau, l'aéroplane type B dépasse pour la première fois les 200 km/h et remporte le trophée Gordon-Bennett des éditions 1912 et 1913. Le talent de Béchereau survit à la faillite de Deperdussin et s'exerce sur les appareils destinés à la guerre aérienne. 

PEUGEOT
Automobile Peugeot Type BP1, dite « Bébé Peugeot »>, torpédo Peugeot BB Type BP1, torpedo
1913
Métal, cuir
Classée Monument historique
Mulhouse, musée national de l'Automobile | Collection Schlumpf
Fabriquée de 1913 à 1916, à 3 095 exemplaires, et vendue pour un prix relativement abordable, la Bébé (ou «BB») Peugeot connaît un succès populaire. Issue d'un modèle de « voiturette légère deux places » pouvant atteindre les 60 km/h conçu par Ettore Bugatti, elle offre un modèle de petite taille et économique, d'où son surnom de Bébé Peugeot. Elle s'inscrit dans un processus de démocratisation naissante de la voiture et contribue à la genèse du mythe tel qu'édicté par Bugatti: «Rien n'est trop beau, rien n'est trop cher !

PEUGEOT
Bicyclette pliante système Gérard transformée en 1912
Gérard folding-bicycle system modified in 1912
Édition vers 1920
No de série 44744
Acier, pneus caoutchouc, selle cuir, bretelles cuir Paris, collection Christophe Lagrange
Inventée par Henri Gérard (1859-1908) en 1893, la bicyclette pliante système « Gérard >> se plie en 30 secondes et peut se porter comme un sac à dos. Exposée au Salon du cycle en 1894, puis commercialisée à partir de 1895, elle vient équiper des fantassins pour appuyer la cavalerie. Elle s'illustre pendant la Grande Guerre pour sa praticité: elle sera utilisée par les chasseurs cyclistes jusqu'en 1917, date à laquelle l'arme blindée la rend caduque.

MARCEL DUCHAMP
1887-1968
Roue de bicyclette Bicycle Wheel
1913/1964
Métal, bois peint
Exemplaire Rrose, 1964, édition Galleria Schwarz, Milan
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Achat, 1986
En 1912, Marcel Duchamp visite le IVe Salon de la locomotion aérienne avec Fernand Léger et Constantin Brancusi. Captivé par une grande hélice exposée au milieu des moteurs et aéroplanes, il lance: « C'est fini, la peinture. Qui ferait mieux que cette hélice ? » et s'empare d'un tabouret pour y fixer une roue, qu'il fait tourner. L'année suivante, il achète au Bazar de l'Hôtel-de-ville un porte-bouteilles et le signe. Érigeant ces objets « tout fait, déjà là » en oeuvres d'art, il invente le concept de ready-made.

RAYMOND DUCHAMP-VILLON
1876-1918 Le Cheval majeur
Large Horse 1914
Épreuve de 1984
Acier inoxydable brossé
Nancy, musée des Beaux-Arts de Nancy
Affecté aux services médicaux de l'armée française, Raymond Duchamp-Villon succombe en 1918 d'une fièvre typhoïde, laissant inachevé son grand projet de Cheval majeur. Ses frères Jacques et Marcel poursuivront son oeuvre en agrandissant la
maquette sur laquelle il avait longuement travaillé. Elle ne sera fondue en acier que bien plus tard, en 1984, selon sa volonté originale. Parfaite incarnation de l'âge industriel, Le Cheval majeur allie la précision anatomique d'un corps animal au galop à la puissance implacable et mécanique. 

« POIRET LE MAGNIFIQUE »
Fils de drapier, Paul Poiret fonde très jeune sa maison de couture, en 1903. L'histoire retient qu'il a « libéré » la femme du corset en 1906. Il a surtout insufflé de la souplesse à ses modèles, tout en s'inspirant des artistes fauves et de l'esthétique orientale. Génie du « marketing », il invente le concept de produit dérivé, lançant dès 1911 le premier parfum de couturier. Il fonde, la même année, la maison Martine, qui produit des arts décoratifs ins-pirés de la libre création de jeunes apprenties, sur le modèle des Ateliers viennois, les Wiener Werkstätte. Renforçant sa réputation grâce aux « stars » de l'époque, telles que les actrices Réjane et Mistinguett, il comprend très vite l'intérêt d'utiliser les nouveaux médiums que sont le film, la presse et la photographie pour diffuser ses modèles. Il est aussi parmi les premiers couturiers à s'installer sur les Champs-Élysées. Dans son hôtel parti-culier, il orchestre des fêtes mémorables, dont les déguisements participent aux mises en scène spectaculaires.

PAUL POIRET-ATELIER MARTINE
1879-1944
Robe Delphinium, dite
Robe Bonheur » avec fond de robe Delphinium dress, or "Happiness Dress" with slip
1912
Garde-robe de Denise Poiret
Taffetas de soie crêpé ivoire, toile de coton crêpé, broderies en fils de coton, lainage bleu marine, dentelle aux fuseaux Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris

En 1906, le couturier Paul Poiret contribue à libérer les femmes du corset, en bannissant ces armatures contraignantes. S'inspirant des Merveilleuses de l'époque Directoire, il fait remonter la taille de ses robes sous la poitrine et redonne de la souplesse à la ligne. Il privilégie les tissus fluides aux teintes fraîches, mêlant de manière inédite les couleurs vives aux demi-teintes. Un corselet ou soutien-gorge souple se glisse désormais sous l'étoffe, pour assurer le maintien.

PAUL POIRET 1879-1944
Robe Directoire
Années 1910
Crêpe de soie, broderie au point de chaînette, perles de verre Paris, Fondation Azzedine Alaïa

MARIE LAURENCIN 1883-1959
La Songeuse
The Dreamer
1910-1911
Huile sur toile
Paris, Musée national Picasso-Paris Collection personnelle Pablo Picasso

PAUL POIRET-ATELIER MARTINE
1879-1944
Corsage Les fleurs et faluche
Vers 1915
Garde-robe de Denise Poiret
Filet en coton rose brodé de fil de soie polychrome à motifs floraux
Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris
Reprenant l'idée d'ateliers d'arts appliqués, Poiret crée, en 1911, l'Atelier Martine, ainsi baptisé du nom de sa plus jeune fille. À la différence des ateliers viennois dont il s'inspire, ces lieux se donnent pour principe d'accueillir des adolescentes, issues de milieux modestes, en les laissant «

PAUL POIRET 1879-1944
Tenue Minaret comprenant
un turban à aigrette, une tunique, une culotte bouffante façon sarouel, une combinaison de dessous (mannequinage moderne), un face-à-main miroir, une paire de souliers
1913
Turban: satin de soie vert drapé, fond de tarlatane et toile de coton avec aigrette et ornement de perle; tunique
abat-jour »: satin de soie vert bordé de galons et franges métalliques; face-à-main: plumes bleues et brunes tachetées, rubans de filés métalliques, taffetas bleu marine, manche en bois; souliers: toile argentée et cuir, brodés de strass vert Paris, collection particulière Ancienne collection marquise de Luppé, née Albertine de Broglie (1872-1946)

ROBERT DELAUNAY
1885-1941
Portrait d'Henri Carlier
1906
Huile sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée Fabre, Montpellier | Achat, 1945
Une nouvelle génération d'artistes trouve en Paul Poiret un partenaire de choix et un soutien financier. En 1910, le couturier accorde au galeriste Henri Barbazanges le bail d'un local compris dans l'enceinte de son hôtel particulier, avenue d'Antin. L'exposition « Les peintres Robert Delaunay et Marie Laurencin » ouvre en février 1912, Elle offre à Delaunay sa première rétrospective d'envergure, avec 46 toiles, incluant celles de ses débuts post-impressionnistes, dont témoigne ce portrait d'Henri Carlier.

JACQUES-ÉMILE BLANCHE
1861-1942
Tamara Karsavina dansant L'Oiseau de feu
1910
Huile sur toile
Paris, BnF, bibliothèque-musée de l'Opéra
Dès 1909, Serge Diaghilev commande des œuvres nouvelles pour enrichir le répertoire des Ballets russes qu'il vient de fonder. Pour composer la musique de L'Oiseau de feu, il fait appel à un jeune compositeur: Igor Stravinsky. Achevée en quelques mois, la partition surprend par sa nouveauté. Déroutée par cet avant-gardisme, la danseuse Anna Pavlova refuse de danser le rôle-titre.
Sa remplaçante, Tamara Karsavina, ne parvient à assimiler la musique qu'avec l'aide du compositeur. L'oeuvre est finalement accueillie triomphalement, le 25 juin 1910.

LE THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES EST OUVERT!
À son ouverture en 1913, le Théâtre des Champs-Élysées est à la pointe de la modernité. Construit par Auguste et Gustave Perret, le bâtiment en béton armé allie des matériaux et des technologies innovantes à une esthétique épurée, qui annonce l'art déco. Le sculpteur Antoine Bourdelle conçoit la décoration de la façade et supervise la décoration intérieure. Différents artistes y participent, dont Maurice Denis, Édouard Vuillard ou encore Jacque-line Marval.
La programmation novatrice est inaugurée par les Bal-lets russes, fondés par Serge Diaghilev, et dont le danseur vedette est Vaslav Nijinski. Le 29 mai 1913, sur la musique d'Igor Stravinsky, la troupe choque le public et la critique avec Le Sacre du printemps, faisant entrer l'œuvre et le Théâtre des Champs-Élysées dans la légende. Ces ballets hauts en couleur, dont les costumes sont souvent inspirés du folk-lore traditionnel russe, suscitent un véritable engouement et influencent aussi bien la mode que la joaillerie de l'époque.

ANTOINE BOURDELLE 1861-1929
Onzième étude de la deuxième façade Eleventh study of the second facade
Crayon au graphite, plume et encre brune, aquarelle sur papier vélin
Paris, musée Bourdelle.

JACQUELINE MARVAL
1866-1932
La Danse bleue
1913
Huile sur toile marouflée sur panneau
Paris, Société immobilière du Théâtre des Champs-Élysées (SITCE)
L’intérieur du Théâtre des Champs-Élysées est décoré par de nombreux artistes, supervisés par Antoine Bourdelle. Maurice Denis décore la coupole, où il propose une « synthèse de l'histoire de la musique ». Édouard Vuillard, Ker Xavier Roussel, Henri Lebasque participent à la réalisation des décors intérieurs. Jacqueline Marval conçoit un ensemble de dix tableaux pour le Foyer de la danse, situé dans les coulisses, autour du thème de Daphnis et Chloé. Les luminaires sont conçus par René Lalique.

ANTOINE BOURDELLE
1861-1929
La Danse
(représentation de la danseuse Isadora)
Plume et pinceau, encre noire et lavis d'encre noire sur papier
Paris, musée Bourdelle
Commandé par Gabriel Astruc, directeur de la Société musicale, le Théâtre des Champs-Élysées relève d'une entreprise collective. Auguste et Gustave Perret en conçoivent l'architecture entre 1911 et 1913, et Antoine Bourdelle le décor sculpté. Le thème d'Apollon et les muses et les allégories des arts sont déclinés en frise et bas-reliefs sur toute la façade. Pour La Danse, Bourdelle s'inspire des vedettes emblématiques que sont alors Isadora Duncan et Vaslav Nijinski. Le sculpteur parvient à retranscrire leur célèbre déhanchement dans le cadre contraint qui lui est imparti.

JACQUELINE MARVAL 1866-1932
Nijinsky et la Karsavina Nijinsky and Karsavina
Vers 1910
Huile sur toile
Paris, collection particulière Courtesy Comité Jacqueline Marval, Paris

JACQUES-ÉMILE BLANCHE
1861-1942
Igor Stravinsky
1915
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay
En dépôt au Musée de la musique - Philharmonie de Paris

SEM (GEORGES GOURSAT, DIT)
1863-1934
Le Massacre du printemps
[Gabriel Astruc, Vaslav Nijinski, Frédéric Madrazzo], planche XXXVI, extraite du portfolio 19
Tangoville-sur-Mer, 1913
Lithographie en couleurs Paris, Association Sem
Provoquant un immense scandale, Le Sacre du printemps, rebaptisé le « massacre du printemps »>, fait l'objet de caricatures. Le célèbre Sem représente ainsi Gabriel Astruc, le directeur du Théâtre des Champs-Élysées, dansant avec Nijinski, dans son costume du Spectre de la rose. Non loin, le cheval de course El Tango entame un pas de deux avec son jockey, tandis que le peintre et librettiste Federico de Madrazo y Ochoa, dit Coco, s'élance au bras d'un singe déguisé en femme, emprunté à un spectacle alors en vogue.

NICOLAS ROERICH
(D'APRES) 1874-1947
Costume pour L'Élue
dans Le Sacre du printemps, ballet de Vaslav Nijinski, reprise à l'opéra de Paris
Costume for "The Chosen One" in The Rite of Spring, a ballet by Vaslav Nijinsky, revived at the Opéra de Paris
1991 Tissu, cuir
Paris, Opéra national de Paris
Dans la chorégraphie, Nijinski impose des postures contraires à celles habituelles en danse classique : le buste fait face au public, tandis que la tête et les jambes sont de profil; les jambes sont liées et les pieds sont en dedans au lieu d'être en dehors. Les costumes de Nicolas Roerich sont jugés hideux et informes par le public: danseurs et danseuses sont vêtus de manière identique, avec de longues tuniques de toile portées sur des bas maintenus par des bandes molletières, qui uniformisent les corps.

ADOLF DE MEYER 1868-1946
Nijinsky, visage de profil, un fifre dans la bouche, couché jambe droite pliée Pl. XXVIII extraite du Prélude à l'après-midi d'un faune, Éditions Paul Iribe
Nijinsky, face in profile, a fife in his mouth, lying with his right leg bent
1914
Épreuve photomécanique (collotype)
Paris, musée d'Orsay

ADOLF DE MEYER 1868-1946 EDITE PAR PAUL IRIBE 1883-1935
Nijinsky à mi-corps, tenant une grappe de raisin
Pl. XXI extraite du Prélude à l'après-midi d'un faune,
Éditions Paul Iribe
1914
Épreuve photomécanique (collotype) Paris, EPMO, musée d'Orsay
Formé à l'école du ballet de Saint-Pétersbourg, Vaslav Nijinski fait encore partie de la troupe de danseurs des Théâtres impériaux lorsqu'il fait la connaissance de Serge Diaghilev. Dès la première saison des Ballets russes, il devient la vedette emblématique et charismatique de la compagnie. Le public se presse pour admirer à la fois sa technique spectaculaire et sa sensualité androgyne. Il marque d'une empreinte indélébile les rôles qu'il interprète et les ballets qu'il crée, entre 1909 et 1912

LA FRANCE EN GUERRE
Le 3 août 1914, l'Allemagne déclare la guerre à la France. La vie de tout un peuple bascule: 72 millions d'hommes sont mobilisés et nombre d'entre eux connaissent l'enfer des tranchées. Cette guerre sera l'une des plus meurtrières de l'histoire, avec près de 10 millions de morts et plus de 21 millions de blessés.
À Paris, les taxis entrent dans la légende, en acheminant des soldats jusqu'au front de la première bataille de la Marne. Le Grand Palais sert de caserne, puis d'hôpital militaire, dépendant du Val-de-Grâce. Il accueille les soldats estropiés et soigne les « gueules cassées », victimes de cette guerre scien-tifique et moderne aux armes nouvelles. Pour la première fois, la guerre est filmée et photographiée: les images du front, diffusées à Paris, contredisent les images de propagande.
Visés par les zeppelins (dirigeables de fabrication alle-mande), les avions et les canons ennemis, les civils parisiens ne sont pas épargnés. Les femmes s'engagent comme infir-mières, remplacent les hommes aux postes laissés vacants, et gagnent leur vie, entre autres, dans des usines d'armement, où elles sont payées moitié moins que les hommes. Les enfants - parfois eux aussi amenés à travailler - sont nombreux à devenir orphelins, « pupilles de la nation »

ALFRED ROLL 1846-1919
Soldat et infirmière, étude pour l'affiche Les Blessés de la tuberculose Soldier and nurse, study for the poster Tuberculosis patients
1916
Pastel sur papier contrecollé sur toile
Paris, Petit Palais - musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

GEORGES SCOTT 1873-1944
Effet d'un obus dans la nuit
1915
Encre, pastel et rehauts de gouache sur papier Paris, musée de l'Armée
Après avoir couvert les guerres balkaniques en 1912, Georges Scott produit de nombreux dessins pendant la Grande Guerre, pour L'Illustration. Dans Effet d'un obus dans la nuit, il rend compte de manière saisissante de cette déflagration puissante qui souffle tous les soldats sur son passage. Une exposition lui est consacrée à la galerie Georges Petit en février 1915, « Visions de guerre ».

FÉLIX VALLOTTON 1865-1925
Soldats sénégalais au camp de Mailly
1917
Huile sur toile
Beauvais, MUDO – musée de l'Oise
Ce Soldats sénégalais au camp de Mailly témoigne d'une troublante distanciation avec son sujet. Se détachant sur le paysage de neige dominé par les aplats blancs, des baraquements sont figurés par Félix Vallotton de manière presque naïve. Dispersés seuls ou en groupe, les soldats sénégalais, figurés en rouge et jaune, sont assis à même le sol, dans une immobilité silencieuse et une quiétude qui tranche avec l'enfer des combats.

FÉLIX VALLOTTON 1865-1925
Église des Hurlus en ruines
1917
Huile sur toile
Paris, EPMO, musée d'Orsay
Félix Vallotton fait partie des peintres aux armées qui se voient investis d'une mission officielle pour traduire en peinture « l'atmosphère du front »>.
Il réalise ainsi en 1917 une tournée de trois semaines sur le front de Champagne. Les deux oeuvres présentées dans cette salle datent de cette période. L'Église des Hurlus en ruines montre un paysage dévasté, traversé par un chemin boueux menant vers un horizon hérissé de ruines. Plutôt que de montrer la crudité de l'horreur, Vallotton exprime une trouble mélancolie.

JACQUELINE MARVAL 1866-1932
Jeune fille assise
Seated Girl
Vers 1918
Huile sur toile
Collection particulière | courtesy Comité Jacqueline Marval

FERNAND LÉGER 1881-1955
Sans titre [Le Poilu]
Untitled [The Hairy One*]
*The direct translation of "poilu", the nickname given to French infantrymen in the trenches
Vers 1917
Plume, encre brune et lavis brun sur papier, dessin exécuté sur un morceau de carte d'état-major
Biot, musée national Fernand-Léger

MELA MUTER 1876-1967 (MARIE-MELANIA KLINGSLAND, DITE)
Les Soudanais
Vers 1919
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris
Ce tableau témoigne de l'implication dans le conflit mondial des «tirailleurs sénégalais », corps composé de soldats recrutés dans toute l'Afrique de l'Ouest, du Centre et de l'Est. Parfois aussi qualifiés
de «Soudanais », du nom de la colonie française dont certains sont issus, ils sont environ 134 000 en France, à l'issue du conflit.

MAREVNA (MARIE VOROBIEFF, DITE)
1892-1976
La Mort et la Femme
1917
Huile sur bois
Genève, musée du Petit Palais
La guerre fait violemment irruption dans cette œuvre de Marie Vorobieff, dite Marevna, arrivée de Russie en 1912. Une jeune femme, en robe légère et bas résille, disparaît sous un masque à gaz. Assise face à elle, la Mort a les traits d'un soldat médaillé en uniforme bleu horizon. Son corps mutilé est doté de prothèses à la jambe et aux mains. Le carrelage noir et blanc évoque un échiquier. La scène s'apparente à une sinistre partie d'échecs, dont l'issue s'annonce funeste.

LES ARTISTES ENGAGÉS POUR LA FRANCE
Le 29 juillet 1914, « L'appel aux étrangers vivant en France >> est lancé par le poète suisse Blaise Cendrars, l'écrivain italien Ricciotto Canudo et le sculpteur lituanien Jacques Lipchitz. Ils incitent les étrangers qui, par définition, ne sont pas concernés par la mobilisation générale, à se joindre aux Français mobilisés, tels Fernand Léger, pour défendre le pays. Ossip Zadkine ou Guillaume Apollinaire s'engagent, et obtiendront ainsi la nationalité française. Gravement blessé, Apollinaire est tré-pané deux fois; Blaise Cendrars perd un bras dans la bataille; Marie Vassilieff se forme comme infirmière, mais, n'étant pas appelée, elle reste à Paris et crée une soupe populaire pour les artistes; Jean Cocteau s'engage comme infirmier de la Croix-Rouge; quant à Modigliani, il est réformé pour raisons de santé, malgré son souhait de s'engager.

ANDRÉ DERAIN 1880-1954
Portrait de Paul Poiret
1915
Huile sur toile
Grenoble, musée de Grenoble
Revenu à Lisieux, où il est affecté à la 15ª compagnie, Paul Poiret jouit du privilège de dormir à l'hôtel Le Maure. Affecté dans la même compagnie, le peintre André Derain y fait ce portrait aux couleurs patriotiques. Posant en civil, le couturier y fume sa pipe dans un fauteuil bleu, portant cravate et gilet rouge sous une veste blanche. Par patriotisme, il a fait tendre sa chambre d'hôtel aux couleurs tricolores.

PAUL POIRET 1879-1944
Capote de troupe en drap bleu horizon, fermée par six boutons métalliques gris
Troop overcoat in horizon blue, closed with six metallic grey buttons
1915
Drap, métal, cuir, coton
Péronne, Historial de la Grande Guerre
Mobilisé le 14 août 1914, Paul Poiret intègre l'infanterie territoriale. Jaugeant sa tenue militaire d'un oeil expert, il suggère à l'armée certaines améliorations, en particulier concernant la capote. Son modèle simplifié nécessite moins de tissu et de main-d'œuvre; il est adopté en septembre 1914. À l'usage, il se révèle peu satisfaisant: les poches font défaut pour les munitions, les jambes sont insuffisamment couvertes, et le haut du corps n'est pas assez protégé contre le froid et l'humidité. Un autre modèle lui est préféré dès 1915.

AMEDEO MODIGLIANI 1884-1920
Portrait de Dédie [Odette Hayden] Portrait of Dédie [Odette Hayden]
1918
Huile sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou Don M. et Mme André Lefèvre, 1952

Masques anthropomorphes Ngon Tang
Gabon, XIXe siècle
Bois, kaolin
Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac
Ancienne collection Paul Guillaume | Don Domenica Walter-Guillaume


LOIN DU FRONT. LA VIE REPREND
La vie culturelle parisienne s'interrompt brutalement lorsque la capitale est déclarée en état de siège, en août 1914. Elle reprend progressivement à la fin de l'année 1915. L'asso-ciation Lyre et Palette propose des lectures, des concerts, mais aussi la première exposition française d'art africain et océanien, en novembre 1916, dans l'atelier du peintre Émile Lejeune. Chez Paul Poiret, André Salmon présente << L'art moderne en France », en juillet 1916. Picasso y expose pour la première fois ses Demoiselles d'Avignon. L'année suivante, une exposition consacrée à Amedeo Modigliani à la galerie Berthe Weill doit en partie être démontée pour « atteinte à la pudeur », ses Nus affichant des poils sur certaines parties du corps !
Les salles de spectacle rouvrent peu à peu, et le public fréquente les cinémas pour se divertir. Avec la tenue du ballet Parade, en 1917, au Théâtre du Châtelet, cette periode connaît, paradoxalement, une effervescence culturelle et des innovations artistiques majeures

LEONARD FOUJITA 1886-1968
Fillette
Little Girl
1917
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris

JEANNE HÉBUTERNE 1898-1920
Autoportrait
1916
Huile sur carton
Genève, musée du Petit Palais
Jeanne Hébuterne, à la fois peintre et modèle, étudie à l'académie Colarossi lorsqu'elle réalise cet autoportrait. Les teintes bleues font ressortir la pâleur de son teint, qui lui vaut le surnom de « noix de coco». A tout juste 18 ans, elle pose, à l'occasion, pour Foujita. Peu de temps après, la sculptrice Chana Orloff lui présentera Amedeo Modigliani, avec qui elle formera le couple sans doute le plus célèbre des Montparnos.

TULLIO GARBARI 1892-1931
Les Intellectuels au café
1916
Huile sur toile
Genève, musée du Petit Palais
Alors que les soldats se battent, la vie reprend. Partout, les terrasses s'animent à nouveau. Cette scène, peinte en 1916 par Tullio Garbari, depuis Milan, en témoigne Des « intellectuels » en nœud papillon y devisent sur les confortables banquettes rouges d'un café. Les soldats en permission sont choqués de découvrir, à l'arrière, cette vie qui se poursuit parmi ces « planqués », loin de l'enfer du front.

KEES VAN DONGEN 1877-1968
La Vasque fleurie
1917
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris
Kees Van Dongen fait ici le portrait sensuel de sa maîtresse, l'excentrique et fortunée marquise Luisa Casati. Elle apparaît perchée sur de hauts talons, contemplant sa nudité à peine voilée dans un miroir. Le crâne, luisant (à droite) dans la pénombre, contraste avec cette scène, évocatrice de la vie mondaine que le peintre mène alors avec son amante, loin du front. Comme dans les anciennes vanités, il rappelle que la mort rôde en cette période de guerre.

MARIE VASSILIEFF 1884-1957
Le Banquet de Braque
1917
Gouache sur carton
Paris, collection Claude Bernès
Pendant la guerre, Marie Vassilieff crée une << cantine » pour artistes. Dans cette œuvre, elle immortalise le banquet qu'elle y a donné le 14 janvier 1917 en l'honneur de Georges Braque, revenu du front (ici, couronné de lauriers). Marie Vassilieff coupe une dinde, Henri Matisse fait le service, Blaise Cendrars (amputé du bras droit) est attablé face à Picasso. Au fond, Modigliani fait irruption, ivre: il n'avait pas été invité, afin d'éviter la confrontation avec son ancienne maîtresse, Béatrice Hastings (en haut à droite). Le nouvel amant, furieux, se lève et pointe sur lui un pistolet.

PABLO PICASSO 1881-1973
Ateliers de l'Opéra national de Paris Costume du ballet Parade: 
le Manager new-yorkais
Costume for the ballet Parade: the New-York Manager
1979
Refait d'après l'original de 1917 Structure: bois, toile de coton peinte; porte-voix : bois, papier mâché; panneau << Parade » : 
contreplaqué peint
le Cheval
Costume for the ballet Parade: the Horse
1979
Refait d'après
Paris, Opéra national de Paris
Pour les personnages des managers, Picasso imagine un costume imposant, de près de trois mètres de haut.
 Construit en bois, toile peinte et papier mâché, il entrave les danseurs et leur confère des allures d'automate. Le manager américain est équipé d'un mégaphone et porte sur le dos des gratte-ciel new-yorkais, sur lesquels flottent des fanions de paquebot. Picasso applique à ces costumes les codes esthétiques du cubisme et semble donner vie aux personnages de ses tableaux.

PABLO PICASSO 1881-1973
L'Atelier de l'artiste rue La Boétie
[Paris-Saint-Raphaël], 12 juin 1920
Crayon graphite et fusain sur papier
Paris, musée national Picasso-Paris | Dation Pablo Picasso, 1979
Picasso rencontre Olga Khokhlova alors qu'elle est ballerine pour les Ballets russes. Son mariage avec cette fille de colonel le fait accéder à un nouveau statut social. Ils emménagent en 1918 rue La Boétie, dans les beaux quartiers de la capitale, à deux pas de la galerie de son nouveau marchand, Paul Rosenberg. Situé au quatrième étage d'un immeuble cossu, l'appartement-atelier offre à l'artiste un grand confort de vie et témoigne de son embourgeoisement. Picasso y reçoit l'intelligentsia internationale. Il y présente aussi ses peintures en les confrontant volontiers aux oeuvres et aux objets de sa collection personnelle, tous styles et périodes confondus.

Masque Kpelié Mask Kpelié
Côte d'Ivoire, XIX-XXe siècle
Bois, pigments
Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac

PABLO PICASSO 1881-1973
Portrait d'Olga dans un fauteuil
Montrouge, printemps 1918
Huile sur toile
Paris, musée national Picasso-Paris | Dation Pablo Picasso, 1979
Dans ce portrait naturaliste à la manière d'Ingres, Picasso représente la ballerine russe Olga Khokhlova, peu avant leur mariage en juillet 1918. Le tableau trônera au-dessus du lit de leur appartement de la rue La Boétie. Une photographie le montre, accroché sur un mur tendu d'un papier peint à rayures, flanqué de deux masques africains, entouré d'autres oeuvres de Picasso, dont L'Homme à la casquette. L'accrochage provoque un jeu de rencontres esthétiques qui reflète le système de pensée du peintre et les mécanismes de sa création.

ANDRÉ DERAIN 1880-1954
Portrait de jeune fille
1914
Huile sur toile
Paris, musée national Picasso-Paris Collection personnelle Pablo Picasso
Picasso achète, à l'occasion, des peintures auprès de ses contemporains, dont des œuvres du Douanier Rousseau et d'André Derain. Sa collection rend compte de ses affinités et amitiés artistiques. Le Portrait de jeune fille de Derain témoigne du « retour à l'ordre » qui commence à s'amorcer en peinture: la figuration revient dans des tableaux d'inspiration classique. Picasso a peut-être acheté cette œuvre lors d'une exposition de soutien consacrée à ce peintre, qui passe quasiment toute la guerre sur le front.

JEAN LEPRINCE
(actif au début du xx² siècle)
Le Boulevard et la Porte de Saint-Denis
11 novembre 1918
Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris
L'armistice est enfin signé le 11 novembre 1918. En liesse, la foule envahit les rues avant même que les cloches des églises et les sirènes ne retentissent. Les Parisiens pavoisent leurs immeubles de drapeaux, s'agglutinent sur les places et les avenues, improvisent des farandoles où se mêlent soldats et civils, homme, femmes et enfants. Ce tableau de Jean Leprince témoigne de ce jour de libération et de joie, sous un ciel dont les sombres nuages s'éloignent.


MONTPARNASSE, 
CARREFOUR DU MONDE
La paix retrouvée voit arriver les dites « Années folles », caractérisées par une intense activité artistique, sociale et culturelle. Venues du monde entier, des myriades d'artistes se ruent sur Montparnasse. Ceux-ci constituent ce que le critique André Warnod nomme, en 1925, l'École de Paris. Les salons, les galeries, les marchands, les académies libres se réorganisent. Les cafés deviennent des lieux de rencontres et d'expositions. Les artistes Soutine et Foujita connaissent de véritables succès.
Kiki de Montparnasse est l'égérie de ce Paris des années 1920 qui vit aussi la nuit, avec ses premiers dancings. Le jazz est largement importé par les Américains, nombreux à venir en Europe pour échapper à la prohibition qui sévit chez eux. Certains, parmi eux, fuient aussi les lois ségréga-tionnistes américaines. Les bals se multiplient et concré-tisent « l'union des arts ». Le Bal colonial (plus tard appelé << Bal nègre ») attire aussi le Tout-Paris, avec ses biguines martiniquaises.

FÉLIX VALLOTTON 1865-1925
Portrait d'Aïcha Goblet
1922
Huile sur toile
Hambourg, Hamburger Kunsthalle
Prêt permanent de la Stiftung Hamburger Kunstsammlungen; acquisition, 2015
De père martiniquais et de mère métropolitaine, Madeleine Julie Goblet se distingue en portant un turban et en adoptant le pseudonyme oriental d'Aicha. Comédienne, artiste de cirque et de music-hall, elle devient un modèle «vedette » du Paris des années 1920, Peinte par Jules Pascin, Moïse Kisling, Henri Matisse et Kees Van Dongen, elle est aussi représentée par Félix Vallotton dans un style à la fois classique et d'une grande modernité.

CHANA ORLOFF 1888-1968
David Ossipovitch Widhopff, dit aussi D.O. Widhopff
David Ossipovitch Widhopff, also known as D.O. Widhopff
[1923]
Bronze
Fondeur Alexis Rudier
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Achat de l'État, 1946; attribution, 1947
<< Chana Orloff est un sculpteur solide et sensible qui construit son œuvre, volontaire, s'évadant du réalisme, allant au-delà de la représentation directe sans pour cela s'éloigner de la nature et de la vie »>, écrit le critique d'art André Warnod. Le portrait de l'artiste ukrainien David Widhopff en est une parfaite illustration. Connu pour ses bals costumés, Widhopff est figuré assis, fumant la pipe dans un geste familier. Orloff rend bien compte de sa silhouette massive, tout en laissant transparaître, par des lignes souples, toute la bonhomie de son caractère

CHAIM SOUTINE 1893-1943
La Fiancée
The Fiancée
1923
Huile sur toile
Paris, musée de l'Orangerie Collection Walter-Guillaume

CHAIM SOUTINE 1893-1943
Portrait d'homme (Émile Lejeune)
[Vers 1922-1923]
Huile sur toile
Paris, EPMO, musée de l'Orangerie | Collection Walter-Guillaume
Décrit par Kiki de Montparnasse comme «un être bizarre d'allure autant que de caractère », Chaïm Soutine est bouleversé par la perte de son grand ami, Modigliani, en 1920. Les déformations envahissent alors encore plus son œuvre. Le visage d'Émile Lejeune est ici asymétrique et brossé à grands traits. La distorsion est plus remarquable encore marquée dans Ma fiancée, dont les épaules saillantes et les mains grossièrement peintes tranchent avec la délicatesse attendue pour le traitement d'un tel sujet.

AMEDEO MODIGLIANI
1884-1920
Maternité
1919
Huile sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au LaM, Villeneuve-d'Ascq | Dation, 1994; ancienne collection Roger Dutilleul, et Jean et Geneviève Masurel
Amedeo Modigliani peint cette maternité au moment où sa compagne, Jeanne Hébuterne, est elle-même enceinte de leur deuxième enfant. Il y renouvelle sous une forme profane le motif classique de la Vierge à l'enfant, inscrite dans une composition pyramidale. Il peint là l'un de ses plus grands formats, grâce au matériel fourni par le marchand polonais Léopold Zborovski. Décédant à 36 ans, quelques mois après avoir achevé ce tableau, Modigliani laisse derrière lui environ 300 portraits et 25 figures sculptées

LÉONARD FOUJITA 1886-1968 (TSUGUHARU FOUJITA, DIT)
Mon intérieur (nature morte au réveille-matin)
Paris, 1921
Huile sur toile collée sur panneau de bois parqueté Signé, titré et daté en bas à gauche
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Don de l'artiste en 1951
Le Japonais Tsuguharu Foujita s'installe à Paris
en 1913. Mon intérieur représente son appartement du 5, rue Delambre. Les objets artisanaux typiquement français (assiettes en faïence, nappe à carreaux) entourent un réveille-matin qui évoque un temps circulaire, propre à la philosophie japonaise. Dans cette vanité, les quatre éléments sont convoqués: l'eau, à travers le verre et le parapluie, la terre, à travers les sabots, l'air et le feu, à travers la pipe et la lampe à huile. Les lunettes apparaissent au milieu de la toile comme une signature de l'artiste

LÉONARD FOUJITA 1886-1968
Nu
1925
Huile sur toile
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Reims | Donation de Charles-A. et Gabrielle Kayser, 1967

MAN RAY 1890-1976
Le Violon d'Ingres
1924/1977
Tirage réalisé à partir du négatif original par Pierre Gassmann
Épreuve noir et blanc tirée sur papier Guilleminote Dijon, Frac Bourgogne
Avec sa coupe à la garçonne, son nez en «quart de brie » et son corps glabre, Kiki (Alice Prin, de son vrai nom) est devenue une légende de Montparnasse. Elle est immortalisée aussi bien par Foujita que Pablo Gargallo. Devenue en 1921 la compagne et l'égérie de l'Américain Man Ray, elle lui inspire des oeuvres qui marquent l'histoire de la photographie, telles que Noire et Blanche, pour laquelle elle pose avec un masque baoulé. Dans le Violon d'Ingres, elle pose nue, de dos, le corps transformé en instrument de musique par la grâce de deux ouïe dessinées au creux de ses reins.

MAN RAY 1890-1976
Noire et blanche
Black and white
1926/1980
Tirage réalisé à partir du négatif original par Pierre Gassmann Épreuve noir et blanc tirée sur papier Guilleminot
Dijon, Frac Bourgogne

PABLO GARGALLO 1881-1934
Kiki de Montparnasse
1928
Laiton
Paris, musée d'Art moderne de Paris

TARSILA 1886-1973 (TARSILA DO AMARAL, DITE)
A Cuca
[Vers février 1924]
Huile sur toile
Cadre de Pierre Legrain
La Défense, Cnap/Fnac, en dépôt au musée de Grenoble
Issue d'une riche famille de propriétaires terriens brésiliens, Tarsila do Amaral vit entre sa fazenda et Paris. Inaugurant sa période « Pau-Brasil >> (1924-1927), A Cuca représente un croquemitaine, ou un spectre dans un paysage primitif mêlant souvenir et folklore populaire. Cette « étrange créature » est accompagnée « d'un crapaud, d'un tatou et d'un autre animal inventé », Tarsila ceuvre ainsi à faire émerger une identité moderniste brésilienne originale

FRANCIS PICABIA 1879-1953
Portrait de Simone Breton Portrait of Simone Breton
1922
Encre et aquarelle sur papier brun
Collection Simone Collinet
Réalisé par Francis Picabia, le Portrait de Simone Breton la montre avec un volumineux carré à la garçonne et de grandes lunettes. L'artiste met l'accent sur son statut d'intellectuelle, plus que sur son charme piquant. Férue de littérature, d'art et de philosophie, Simone Kahn est issue de parents juifs alsaciens, qui ont fait fortune dans l'exploitation du caoutchouc, au Pérou. Étudiante à la Sorbonne, elle a 23 ans lorsqu'elle rencontre André Breton au jardin du Luxembourg, en juin 1920. Mariés, ils s'installent en janvier 1922 au 42, rue Fontaine. Leurs connivences esthétiques et intellectuelles donnent naissance à une impressionnante collection, à laquelle leur atelier sert d'écrin.

MAN RAY 1890-1976 (EMMANUEL RADNITZKY, DIT)
Cadeau
The Gift
1921/1970
Métal
Tirage 2/11
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou Achat de l'État, 1975; attribution, 1976
L'Américain Man Ray est accueilli à Paris en 1921 par son complice Marcel Duchamp et le groupe dada. Il crée son premier objet dadaïste en France avec Cadeau, une œuvre devenue très célèbre. Se rendant avec Erik Satie dans un magasin, il achète un fer à repasser en fonte, d'un modèle alors très répandu. En lui collant une série de clous, il le rend inutilisable et le transforme
en << ready-made ».

MAX ERNST 1891-1976
Aquis submersus
1919
Huile sur toile
Francfort, Städel Museum
Aquis submersus signifie en latin « submergé par les eaux ». Entourée de bâtiments aveugles, une piscine est ponctuée en son centre par le reflet rond d'un cadrant-lune. Les deux personnages semblent étrangers l'un à l'autre : sur le devant, un être moustachu à la forme équivoque; dans la piscine, un baigneur, faisant le poirier, dont on ne voit que les jambes. Énigmatique et comme figée dans le temps, cette composition de Max Ernst rappelle les tableaux métaphysiques de son contemporain, l'Italien Giorgio De Chirico.

FERNAND LÉGER
L'Homme à la pipe
Man with a Pipe
1881-1955
1920
Huile sur toile
Paris, musée d'Art moderne de Paris  Legs du Dr Maurice Girardin, 1953

PARIS
"PLUS VITE, PLUS HAUT, PLUS FORT"
De 1920 à 1929, les Années folles célèbrent la paix retrou-vée, dans une grande soif de vivre. La géneration qui a vécu les combats de la Grande Guerre cherche l'oubli d'elle-même dans l'alcool et la débauche. Comme le résume Ernest Hemingway dans son roman: Paris est une fête (1964). Les tenues reflètent ce nouvel art de vivre: robes de cock-tail, paillettes et plumes se prêtent aux nouvelles danses échevelées. Celles-ci s'accélèrent, à une époque où la vitesse est portée par toutes les nouveautés : le jazz et le charleston venus d'outre-Atlantique, le cinéma, l'automobile, le train, les paquebots...
La figure ambivalente de la « garçonne » apparaît dans ce contexte. Cette « femme nouvelle », aux multiples facettes, fascine et dérange. Erigée en héroïne par Victor Margue-la presse ritte, elle se diffuse à travers la littérature et gagne féminine, la publicité et l'industrie cosmétique.

TAMARA DE LEMPICKA
1898-1980
Saint-Moritz
1929
Huile sur bois
Orléans, musée des Beaux-Arts Orléans Métropole
La skieuse représentée dans cette œuvre apparaît presque comme un archétype du style art déco. Cheveux courts et lèvres carmin, chandail emprunté au vestiaire masculin, cette femme moderne au sommet de sa séduction et de sa réussite sociale semble jaillir du cadre. Ses traits mêlent subtilement post-cubisme et néoclassicisme. Exécutée en 1929 pour la couverture d'un magazine, l'image incarne l'ascension de la « garçonne » gravissant les cimes enneigées le ski étant un sport de villégiature récemment associé aux valeurs de la modernité.

LÉONARD FOUJITA
Les Deux Amies
Two Friends
1926
Huile sur toile
Genève, musée du Petit Palais

TAMARA DE LEMPICKA
1898-1980
Perspective ou Les Deux Amies
1923
Huile sur toile
Genève, musée du Petit Palais
Tamara de Lempicka fait partie des artistes qui vivent ouvertement leurs multiples aventures amoureuses, et aborde ce thème dans son œuvre de manière récurrente. Dans ce tableau sulfureux, deux amies nues partagent un moment à forte tension érotique. Cette peinture a été présentée au Salon d'automne de 1923 sous le titre de Perspective, censé éviter de choquer le public. Elle était signée Lempitzky, signature à consonance masculine. La véritable identité de l'artiste ne fut révélée que deux ans plus tard, lors d'une exposition personnelle à Milan. Ce fut pour elle le début de la gloire.

CHANA ORLOFF 1888-1968
Portrait de Romaine Brooks
1923
Bronze
Paris, Petit Palais musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, en dépôt au musée d'Art moderne de Paris
Dans ce portrait, Chana Orloff, sculptrice d'origine ukrainienne, façonne l'image de son amie Romaine Brooks en synthétisant ses traits et en en simplifiant les formes. Elle la représente dans une robe de chambre d'intérieur dont la forme ample, unisexe, évoque la manière dont cette femme affranchie et moderne s'habillait. Riche peintre anglo-américaine, Romaine Brooks recevait, dans son salon de la rue Jacob, le Tout-Paris intellectuel et lesbien.

ANONYME
Robe de cocktail
1925
Perles roses sur tulle de soie noir
Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris Maurice Sachs l'écrit dans Au temps du Boeuf sur le Toit (1939): la haute société s'encanaille, la nuit tombée, pour se lancer dans des danses débridées. Les bals, cocktails et folles soirées influencent la mode des années 1920. Les éventails à plumes d'autruche, pochettes et souliers en lamé argent ou peau exotique s'accordent aux robes courtes, illuminées de perles et de broderies. « L'agrément de notre époque est que l'on peut tout mélanger, tout mêler », se réjouit le peintre Kees Van Dongen, qui rebaptise cette période « les années cocktail »

JEAN PATOU 1887-1936
Paletot
1922
Toile de laine rouge et noire, doublure en sergé de soie blanc imprimé noir, jupe de mannequinage
Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris
Dans la course à la modernité, le grand rival de Chanel, Jean Patou, est à la pointe. Après avoir fondé sa maison en 1914, il crée un rayon dédié aux tenues de jour sportswear en 1925. Le paletot à rayures rouges et noires incarne bien cet esprit de la femme moderne, à l'allure svelte et juvénile.

JACQUES-ÉMILE BLANCHE
1861-1942
Étude pour le portrait de Raymond Radiguet
1923
Huile sur toile marouflée sur carton Rouen, musée des Beaux-Arts

JEAN COCTEAU 1889-1963
Autoportrait « Écrivez lisiblement >> "Write legibly" Self-Portrait
1919
Lithographie
Menton, musée Jean-Cocteau Collection Séverin Wunderman

JACQUES-ÉMILE BLANCHE
1861-1942
Le Groupe des Six
1922
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts
Les compositeurs désignés comme le « groupe des Six » sont un cercle d'amis formés entre 1917 et 1918. Le groupe comprend Arthur Honegger, Darius Milhaud, Louis Durey, Georges Auric, Germaine Tailleferre et Francis Poulenc. Erik Satie les désigne comme les << Nouveaux Jeunes ». Ce portrait collectif de Jacques-Émile Blanche est peint en 1922, peu après la création de leur unique ceuvre collective, Les Mariés de la tour Eiffel. Seul manque à l'appel Louis Durey. Le compositeur Jean Wiener et Jean Cocteau entourent la pianiste Marcelle Meyer, au centre de la composition.

LE BOEUF SUR LE TOIT
Le Boeuf sur le Toit est l'un des cabarets les plus emblématiques des Années folles et du 8e arrondissement de Paris. Il doit son nom au titre d'une chanson brésilienne dont s'inspire Darius Milhaud pour composer un ballet en 1920, sur un texte de Jean Cocteau. D'abord ouvert près de la Madeleine, le cabaret déménage en 1921 au 28, rue Boissy-d'Anglas. Le Tout-Paris vient y boire, rire et danser: Gabrielle Chanel, le grand-duc de Russie Dimitri, Yvonne Printemps, Louis Aragon, André Breton, Pablo Picasso... Le «roi» du lieu est sans conteste Jean Cocteau, féru de jazz, qui retrousse parfois ses manches pour accompagner l'orchestre à la caisse claire et à la batterie.

RAOUL DUFY 1877-1953
Le Boeuf sur le Toit
1920
Xylographie sur papier
Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou Legs Mme Raoul Dufy, 1963
En 1920, Raoul Dufy est chargé des décors du Boeuf sur le Toit, ballet-pantomime inventé par Jean Cocteau. Dans cette lithographie, il réunit tous les protagonistes de l'action : un barman, une dame décolletée, une dame rousse, un joueur de billard noir, un monsieur en habit, un jockey, un boxeur noir, un policeman. Les têtes disproportionnées des personnages rappellent les costumes imaginés par Guy-Pierre Fauconnet, caractérisés par une énorme tête en carton-pâte.

ANONYME
Le Policeman, artiste costumé pour Le Bœuf sur le toit
The Policeman, artist in costume for Le Boeuf sur le toit
1920
Tirage argentique
Menton, musée Jean-Cocteau

LES SUÉDOIS ET LA REVUE NÈGRE AU THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES
En 1920, le Théâtre des Champs-Elysées renouvelle son répertoire avec les Ballets suédois, sous la responsabilité du collectionneur Rolf de Maré. Celui-ci conçoit ces spec-tacles comme une œuvre d'art totale mettant en scène sa propre collection. La chorégraphie est assurée par le danseur suédois Jean Börlin jusqu'en 1925. Explorant les relations entre scène et tableau, Börlin repousse les limites de la danse dans ses interactions avec les arts plastiques. Les compositeurs du groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre), réunis autour de Jean Cocteau, participent à certaines saisons - de même que les artistes Marie Vassilieff et Fernand Léger.
Après le départ des Ballets suédois, le Théâtre des Champs-Élysées accueille La Revue nègre en octobre 1925. Arrivée des États-Unis, la jeune Joséphine Baker fait sensation avec ses danses trépidantes. Accueillie à Paris dans une société non régie par des lois de ségrégation, elle adopte la France comme patrie de cœur.

IRÈNE LAGUT 1893-1994
Les Mariés de la tour Eiffel
1921
Huile sur toile
Menton, musée Jean-Cocteau | Collection Séverin Wunderman
Cette peinture rappelle le rôle qu'Irène Lagut joua dans la création du ballet Les Mariés de la tour Eiffel, dont elle conçut les décors. La musique de ce ballet, fruit de la collaboration de Georges Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre, est la seule œuvre collective du groupe des Six. Jean Cocteau en compose le livret et cherche à montrer la « vacuité d'un dimanche»>: de jeunes mariés prennent leur petit déjeuner sur la tour Eiffel. Un bureau de télégraphie apparaît sur la plateforme; un lion dévore un invité puis un enfant du futur » surgit et tue tout le monde. Dans ce tableau, comme dans le décor qu'elle imagine, Irène Lagut s'inspire de la poésie miraculeuse de la vie quotidienne» chère à Cocteau.

PER LASSON KROHG 1889-1965
Jean Börlin
Affiche de la première saison des Ballets suédois
Poster for the first season of the Swedish Ballets
1920
Lithographie couleur
Paris, BnF, bibliothèque-musée de l'Opéra

FERNAND LÉGER 1881-1955
Charlot cubiste
1924
Éléments en bois peint cloués sur contreplaqué Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Dation, 1985
Fernand Léger collabore, pour les costumes et la scénographie, au ballet suédois Skating rink à Tabarin (1922), dans lequel les danseurs évoluent sur une patinoire. Le spectacle fait référence au film Charlot patine (The Rink, 1916), dans lequel le pantomime incarne un serveur qui fait du patin à roulettes pendant ses pauses. Passionné de cinéma, Fernand léger s'inspire de cet «homme-image >> de cinéma pour créer un pantin articulé: Charlot cubiste, qu'il décline en plusieurs exemplaires. L'un d'eux apparaît comme un emblème au début de son propre film, Ballet

JAN ET JOËL MARTEL 1896-1966
Skating Rink-Jean Börlin dans le rôle du Fou
Skating-Rink-Jean Börlin in the role of the mad man
1922
Céramique polychrome Paris, 
collection particulière

Man Ray, Marcel Duchamp
et Bronia Perlmutter dans Cinésketch,
revue de Francis Picabia Paris, Théâtre des Champs-Élysées
31 décembre 1924
Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2023 Francis Picabia © Adagp, Paris, 2023

FERNAND LÉGER (D'APRES) 1881–1955
Maquette du décor du ballet La Création du monde
1922
Reproduction 1995
Assemblage en bois peint
Maquette réalisée par Espace et Cie (Lyon) pour l'exposition << Fernand Léger et le spectacle », d'après un document
photographique d'époque
Biot, musée Fernand-Léger
Pour illustrer l'histoire des origines de l'humanité vue par Blaise Cendrars, Fernand Léger s'inspire des planches de Negerplastik, de Carl Einstein, et de African Negro Art: Its Influence on Modern Art de Marius de Zayas. La toile de fond évoque le chaos originel et trois déités monumentales fichées au sol. Les costumes, conçus comme des sculptures, participent à la scénographie et donnent l'impression d'un tableau en mouvement. Masqués par le dispositif scénique inventé par le peintre, les danseurs créent l'illusion d'une peinture mouvante.

FERNAND LÉGER 1881-1955
Étude de costume pour La Création du monde de Darius Milhaud
Costume sketch for The Creation of the World by Darius Milhaud
Vers 1923
Gouache et crayon sur papier Biot, musée Fernand-Léger

JOSEPHINE BAKER LA RÉVÉLATION
Après la dissolution des Ballets suédois, le Théâtre des Champs-Élysées est transformé en «opéra music-hall », au printemps 1924. La Revue nègre, programmée en octobre, sera son plus grand succès. Les numéros de danse illustrent sept tableaux, avec en toile de fond le Mississippi, New York et ses gratte-ciel. Le talent et la plastique de Joséphine Baker éclatent aux yeux du public. Dansés sur du jazz et au rythme du charleston, ses mouvements déhanchés déchaînent les polémiques. La dernière scène de la « danse sauvage » avec son partenaire est particulièrement sulfureuse. Jouant sur les contrastes, Joséphine s'affiche le soir dans des robes sophistiquées, extrêmement élégantes.

KEES VAN DONGEN 1877-1968
Joséphine Baker
1925
Encre de Chine et aquarelle sur papier
Famille van Breusegem, en dépôt au musée Singer Laren, à Laren

JEAN DUNAND 1877-1942
Joséphine Baker voilée
1927
Panneau de laque blonde, noire et argent Famille Dunand
Actrice et chanteuse, Joséphine s'érige en véritable star. Le laqueur art déco Jean Dunand la représente en idole atemporelle, ornée de bijoux. Ayant connu les terribles émeutes raciales d'East Saint-Louis, en 1917, et la ségrégation aux États-Unis, elle porte un immense amour à Paris et à sa patrie d'adoption, devenant française en 1937. Elle s'engage dans la Résistance en 1940 et recueillera douze enfants, sa « tribu arc-en-ciel », pour lutter contre les préjugés. Elle sera la seule femme à prendre la parole lors de la marche sur Washington, en 1963, aux côtés de Martin Luther King.

JEAN COCTEAU 1889-1963
Joséphine Baker
Vers 1925
Encre de Chine sur papier Paris, collection particulière

Film sur J. Baker et le charleston 

L'EXPOSITION INTERNATIONALE DES "ARTS DÉCO" DE 1925
Reportée à trois reprises, l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes ouvre ses portes le 28 avril 1925. À sa clôture, le 25 octobre, elle aura accueilli plus de 15 millions de visiteurs et rencontré un immense succès populaire.
Cette manifestation d'envergure s'étend de la place de la Concorde au pont de l'Alma et du rond-point des Champs-Elysées à l'esplanade des Invalides, en passant par le pont dont sont absentes Alexandre III. Elle réunit 21 nations l'Allemagne et les États-Unis -, représentées par 150 galeries et pavillons éphémères, auquel s'ajoute le Grand Palais.
Son enjeu est à la fois économique et culturel. Il s'agit de faire valoir l'excellence des traditions françaises, face à l'Allemagne vaincue et à la concurrence internationale. Il importe également de relancer la production industrielle et le commerce de luxe, dans une France fragilisée par l'inflation.
Dédiée à l'art, à la décoration et à la vie moderne, cette grande fête, parfois considérée comme le chant du cygne d'une esthétique du luxe, marque l'apparition de l'expression << art déco ». Ce style connaîtra un rayonnement mondial, qui s'étendra de l'Asie à l'Océanie et jusqu'aux Amériques, avec le Christ rédempteur de Rio de Janeiro, plus grande sculpture art déco du monde.
JOSEPH BERNARD 1866-1931
Jeune fille à la cruche
Young girl with jug
1921
Plâtre
Grenoble, Musée de Grenoble

MAX BLONDAT
1872-1925
L'Équilibre. Bébé à la boule Equilibrium. Baby on a Ball
1925
Marbre
Boulogne-Billancourt, musée des Années Trente
Ce bébé en équilibre sur une boule ornait
la fontaine du jardin du pavillon de l'hôtel du Collectionneur. Membre fondateur de la société des artistes décorateurs en 1906, Max Blondat s'est illustré dans différents arts, et a réalisé de nombreux monuments aux morts. Son œuvre la plus célèbre, la fontaine Jeunesse (1904), représente trois enfants regardant des grenouilles; des versions en existent à Dijon, mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Ukraine, aux États-Unis et jusqu'au Mexique. Le Bébé à la boule est sans doute sa dernière réalisation, l'artiste décédant d'une septicémie foudroyante en novembre 1925.

ROBERT DELAUNAY 1885-1941
Ville de Paris - La Femme et la Tour
1925
Huile sur toile
Stuttgart, Staatsgalerie Stuttgart Acquisition avec Lotto-Mitteln, 1967
Pour décorer le pavillon de la Société des artistes décorateurs, Robert Delaunay peint une immense tour Eiffel de 4,5 mètres de haut, dont La Femme et la Tour offre une version réduite. Entourée d'usines, de l'obélisque de la Concorde et du rond-point des Champs-Élysées, elle est travaillée dans des couleurs vives. Figurée en contreplongée, sous un angle très dynamique, elle est à la fois l'emblème de Paris et de la modernité. Au total, l'artiste a consacré plus de 50 tableaux à la tour Eiffel depuis 1911. Pour lui, «la Tour parle à toute l'humanité».

Mannequins portant des robes en tissus simultanés de Sonia Delaunay devant l'arbre cubiste des frères Martel
Paris, Exposition internationale de 1925
Reproduction
Sonia Delaunay © Pracusa


FRANÇOIS POMPON
1855-1933
Ours blanc
1922-1925
Plâtre patiné
Paris, Muséum national d'histoire naturelle, en dépôt au musée de l'Homme
Dans le vestibule de la cour des Métiers, aménagé par Louis-Hippolyte Boileau et Léon Carrière, trône l'Ours blanc de François Pompon. Cette sculpture aux lignes épurées lui avait déjà apporté un succès tardif au Salon d'automne de 1922. Réalisé d'après un spécimen observé au Jardin des plantes, l'ours au corps lisse est dénué de tout « falbala »>, selon l'expression de l'artiste. Pompon renouvelle ainsi, par son économie de moyens, la tradition de la sculpture animalière

JEANNE LANVIN 1867-1946
Robe Lesbos
1925
Satin de soie vert absinthe, broderies de perles de verre et de tubes argentés
Paris, Patrimoine Lanvin
SIÉGEL (D'APRÈS)
Mannequin debout à l'effigie des mannequins Siégel de 1925 Upright mannequin similar to the Siégel mannequins of 1925
1980
Résine
Paris, musée des Arts décoratifs
JEANNE LANVIN 1867-1946
Robe La Duse
La Duse Dress
1925
Satin de soie vert absinthe, tulle de soie vert absinthe, broderies de perles, de strass et de tubes argentés Paris, Patrimoine Lanvin
ARMAND-ALBERT RATEAU
POUR LANVIN DÉCORATION
1882-1938
Chaise à dossier renversé et crosse
en merisier
Cherrywood chair with inverted back
vers 1924
Bois, coton (toile d'atelier)
Paris, Patrimoine Lanvin

LE SALON DE LA MAISON JEANNE LANVIN
Personnalité discrète et volontaire, aussi habile en affaires que créative, Jeanne Lanvin a su développer une véritable entreprise. Ses nombreuses succursales en incarnent le succès à Biarritz, Deauville, Barcelone et même Buenos Aires. Fondée en 1889, sa maison emploie en 1925 plus de 800 per-sonnes. Vice-présidente de l'organisation de l'Exposition internationale de 1925 et présidente de la « classe 20 », consacrée au vêtement, elle expose au Grand Palais dans l'allée de la Parure (« Vêtement, Accessoires, Mode, Fleurs et Plumes, Parfumerie et Bijouterie-Joaillerie »). Elle y est aussi la seule à figurer dans la catégorie « Arts du spectacle », avec sa Loge d'actrice.

JEANNE LANVIN 1867-1946
Robe La Cavallini
1925
Taffetas de soie noir, tulle noir, broderies de fils métalliques, de perles et de strass
Paris, Patrimoine Lanvin
Au pavillon de l'Élégance, Jeanne Lanvin expose la haute couture dans un salon meublé par Rateau. Ses modèles, dominés par le vert absinthe, sont présentés sur des mannequins Siégel qu'elle a personnalisés par une couleur gris cendré. La robe La Duse s'adapte ainsi à un mannequin semi-allongé. La Cavallini est quant à elle une « robe de style »>, inspirée des robes à paniers du XVIIIe siècle.
Ces modèles originaux sont ici portés par des copies de mannequins Siégel réalisés dans les années 1980 par le musée des Arts décoratifs.

FERNANDO JACOPOZZI
1877-1932
Illumination de la tour Eiffel
1925
Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes
Paris, Petit Palais - musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
En avril 1925, la tour Eiffel, plongée dans le noir, se perd parmi les féeries nocturnes qui l'entourent. Sollicité en urgence, Fernando Jacopozzi rend son illumination possible dès juillet. 250 000 ampoules Philips, colorées en rouge, bleu et jaune, composent des motifs - étoiles ou comètes. Le nom du mécène Citroën se découpe, bien visible, en lettres de 20 mètres de haut. Précurseur, Jacopozzi a profondément modifié la perception de Paris, Ville lumière. Dès lors, l'éclairage des sites et monuments va se généraliser dans le monde entier.


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