samedi 9 décembre 2023

Le monde visible de Dana Schutz au musée d'art moderne en décembre 2023


Superbe exposition de cet artiste attachante. Une belle découverte dont voici la quasi totalité des œuvres présentées :

LE MONDE VISIBLE
Dana Schutz est une conteuse. Son oeuvre construit un univers de personnages turbulents, de folie humaine, de situations calamiteuses et de désastres physiques. Elle dresse un portrait dystopique du monde actuel, detaché des notions traditionnelles de beauté. Avec un usage virtuose de la couleur, elle a mis en place au fil des années un sens de la tension dramatique qui se révèle dans ses compositions complexes. Ses peintures montrent des scènes imaginaires, inspirées par des situations hypothétiques et des corps improbables, mêlés à la vie et au langage contemporains.
L'exposition donne à voir les thématiques qui traversent cette œuvre des sujets intangibles souvent observés avec humour; l'artiste au travail dans son atelier; la transformation et la construction de soi; les tensions entre l'individu et le groupe.
Au cours des années récentes, Schutz a intégré la sculpture à sa pratique, prolongeant ses gestes et ses formes dans la glaise. Comme une boucle, le sujet de la sculpture se retrouve dès ses premières toiles. Récemment, ses peintures traduisent davantage les volumes et sont de plus en plus allégoriques. Elles sont peuplées de groupes de personnages colorés qui semblent flotter dans la nuit, perchés sur une île d'os de mâchoires, ou luttant pour rester au sommet d'une montagne.
Ces visions d'un monde postapocalyptique sont marquées par son regard sur l'histoire de l'art, de Brueghel à Alice Neel. Elles évoquent l'obsolescence d'un monde malade, la vanité des mythologies contemporaines, et l'incommunicabilité entre les êtres. Emprunté à un tableau du même nom, le titre de l'exposition, Le monde visible, est à la fois une proposition et une contradiction - donnant à voir l'informe et l'imaginaire.
Dana Schutz. Le monde visible présente une quarantaine de peintures réalisées depuis le début des années 2000, ainsi qu'une vingtaine de dessins et de gravures, et sept sculptures. C'est la première fois que le travail de cette artiste américaine de renommée internationale est montré en France avec une telle ampleur. L'exposition a été réalisée en partenariat avec le Louisiana Museum of Modern Art de Humlebæk (Danemark).

Sneeze
Huile sur toile, 2001
Représenter un éternuement pourrait sembler repoussant et grotesque. L'histoire de l'art n'en regorge pas, pas plus que de scènes de bâillement ou d'éclat de rire. Pourquoi ? Peut-être en raison de la fugacité de ces phénomènes. Pour représenter un éternuement, l'artiste dispose surtout de son intuition et de ses sensations les plus intimes- qui sont aussi les mieux partagées. Deux siècles avant elle, le sculpteur Franz Xaver Messerschmidt inventait ses Têtes de caractère, extraordinairement réalistes. À partir d'un phénomène physiologique, Dana Schutz peint une image mentale.

Face Eater
Huile sur toile, 2004
Le motif est grotesque, un pur produit de l'imagination qu'il est impossible de visualiser dans la vie réelle. On dit souvent d'une personne qu'elle « ne mâche pas ses mots », qu'elle « avale ses mots » ou que des cris restent « coincés dans sa gorge ». Ici, l'extérieur du visage est englouti par la bouche pour en ressortir digéré et transformé dans un va-et-vient entre le dedans et le dehors, deux zones dont Schutz semble en permanence vouloir enfreindre la limite. Le langage précède l'œuvre. La fonction de la peinture est de déjouer le langage, de s'en éloigner, et de se révéler selon ses propres règles. Il pourrait y avoir des accents cubistes dans ce tableau. Comme c'est le cas de la peinture Swimming, Smoking, Crying (2009), ce mangeur de visage n'est pas sans lien avec Le Cri d'Edvard Munch (1863-1944).
Collection privée, New York

Myopic
Huile sur toile, 2004

Civil Planning
Huile sur toile, 2004
Dès ses premières toiles, Dana Schutz poursuit l'idée de construire des mondes. Dans Civil Planning, deux femmes en jeans sont affairées à fabriquer des immeubles dans un espace commun, tandis que l'univers qui les entoure semble plongé dans le chaos. Au milieu d'une forêt qui rappelle les tropiques peints par Gauguin, des jambes arrachées sont suspendues dans les arbres, et des personnages fuient au loin. Des miroirs surplombent la scène depuis la cime des arbres. Mais à quel regard renvoient-ils ? La tâche de ces personnages est immense, peut-être aussi un peu vaine. Au loin, d'autres êtres leur apportent des briques si lourdes que rien n'indique qu'elles arriveront à bon port pour servir à édifier quoi que ce soit. Dans ce faux paradis, la sensation d'échec est patente.
Collection privée

Guilty Swimmer
Huile sur toile, 2001

Daughter
Huile sur toile, 2000
Une adolescente au sourire gêné se tient devant un fond bleu, semblable aux arrière-plans des Photomaton ou des photos prises dans les écoles. Ses cheveux relevés en biais sur son front font écho à la petite tour Eiffel suspendue à son collier. Elle porte un tee-shirt blanc trop grand pour elle, sur lequel on reconnaît une reproduction de L'Origine du monde (1866) de Gustave Courbet. Sous cette image, le mot daughter [fille] est écrit en rouge, comme il pourrait l'être sur l'un de ces mugs et bols en vente dans les magasins pour touristes. Ses bras, aplatis au point d'en devenir schématiques, se rejoignent au creux de ses jambes. Schutz a réalisé cette peinture alors qu'elle était encore étudiante à Cleveland. L'origine du tableau ? Elle s'était demandé quelle sorte de tee-shirt le musée d'Orsay ne vendrait jamais.

Presentation
Huile sur toile, 2005
Cette peinture représente un grand corps en train d'être examiné, dont on ne sait pas s'il est sur le point d'être inhumé ou exhumé. C'est une image effroyable. Il ne fait aucun doute que cet homme est mort, pourtant, quelqu'un est en train de sonder l'une de ses cuisses du bout de son bâton, tandis qu'une femme dissèque sa main avec son scalpel. Elle agit comme l'incrédule saint Thomas qui a voulu voir la marque d'une lance après la crucifixion, et y mettre le doigt. Les questions s'accumulent. Les corps ont-ils été déterrés, ou bien ces deux êtres viennent-ils tout juste de quitter ce monde ? À quelle époque cette scène se déroule-t-elle? Et pourquoi certaines personnes sourient-elles béatement en regardant le ciel, tandis que d'autres s'en vont ? L'œuvre est inspirée de The Agnew Clinic (1889) du peintre américain Thomas Eakins et de L'Entrée du Christ à Bruxelles (1888) de James Ensor. Dans Presentation, le corps est trop lourd pour que celles et ceux qui l'entourent puissent le manier. Tout ce qu'il est possible d'en faire, c'est de l'observer.

Reformers
Huile sur toile, 2004
Pour des raisons qui nous échappent, ces trois jeunes gens s'affairent autour de fragments de corps humains. Mais le titre de l'œuvre, Reformers, ne nous indique pas s'ils sont en train de recréer une vie nouvelle à partir de ces chairs mortes, ou s'il s'agit d'un groupe de réformateurs - une petite communauté qui aurait décidé de faire les choses autrement.
Eux-mêmes ont été l'objet de transformations : le personnage du milieu est doté de pieds à la place des mains. Quelque chose a mal tourné au cours du processus, mais ils continuent sans se décourager. La scène est sanglante: l'établi du menuisier et la table de dissection ne font plus qu'un. Un soupçon de fanatisme semble même transparaître. On pense, par exemple, à Sa majesté des mouches (1954), de l'écrivain anglais William Golding, roman dans lequel une société d'enfants, fondée dans la violence, peine à retrouver la voie de la moralité et de l'humanité à la suite d'une catastrophe.

Self Eater 3
Huile sur toile, 2003
In 2003 and 2004, Schutz maa a series of paintings called the Self Eaters. Informed by the what if hypothetical situation could eat yourself and then rema yourself from your own digested material, the Self Eaters are involved in a constant state of consumption and production of their own image. Self Eater 3, Face Eater, Twin Parts, Reformers and Civil Planning are all examples from this body of work.
En 2003 et 2004, Schutz a réalisé une série de peintures intitulée << Self Eaters »>. Elles mettent en scène la situation hypothétique dans laquelle on pourrait se manger soi-même, puis se recréer à partir de sa propre chair que l'on aurait digérée. Les Self Eaters sont en état de consommation et de production permanente de leur propre image. Les œuvres
Self Eater 3, Face Eater, Twin Parts, Reformers et Civil Planning font toutes partie de ce corpus.

Twin Parts
Huile sur toile, 2004
S'agit-il d'une idylle paradisiaque à l'époque de la création du monde, ou d'une vision cauchemardesque du futur? Avec son allure de robot, ce personnage est en train de remplacer certaines parties de son propre corps. Les étagères devant lui forment un magasin de pièces détachées, et cette opération semble s'inscrire dans un cycle constant de déliquescence et de régénération. Tout comme d'autres peintures dans cette salle, cette œuvre se rapproche de Face Eater (2004). Maladroites et primitives, des créatures tentent de préserver leur conception de l'homme comme entité physique et spirituelle. Cette figure approche-t-elle de la fin de son existence, ou représente-t-elle un nouveau type humain apparu à la suite d'un cataclysme - le citoyen d'une nouvelle société ? Elle a quelque chose d'une créature de Frankenstein, et pourrait même évoquer les prémices de l'intelligence artificielle
New Legs
Huile sur toile, 2003
Sur une plage au bord de la mer, une figure féminine émerge d'un tas de matière. Pour des raisons que l'on ignore, elle a mangé ses jambes, et s'en invente à partir de ce qui semble être sa propre chair. Comme les personnages représentés dans Twin Parts (2004) et Reformers (2004), elle tente de se construire un être nouveau, dans une démarche de recyclage. Intimement lié à l'acte de construire, créer est pour elle une nécessité.

Party
Huile sur toile, 2004
Party a été peint pendant l'élection présidentielle de 2004. Cette année-là, George W. Bush est élu pour la deuxième fois à la tête des États-Unis, contre le sénateur démocrate John Kerry. Schutz produit une image grotesque de l'administration Bush, telle un amas de corps dont les frontières se fondent les unes dans les autres. Plusieurs personnages semblent transporter un homme sur une plage. Ils sont enchevêtrés dans des fils de micros. Portent-ils leur héros en triomphe ? En dépit des couleurs vives, la victoire prend un goût d'épuisement. La coiffure de Condoleezza Rice émerge de ce groupe. Peut-être est-ce l'ancien secrétaire d'État Colin Powell qui se cache le visage de la main, et l'ancien vice-président Dick Cheney qui, à côté de lui, tient une liasse de papier. À eux tous, ils ne forment qu'un seul corps à la silhouette d'éléphant, le symbole du parti républicain aux États-Unis.

Men's Retreat
Huile sur toile, 2005
Leurs chemises ouvertes et leurs cravates desserrées trahissent leurs intentions. Ces hommes d'affaires accomplis ont pris congé. Comment occupent-ils leur temps libre? L'artiste les imagine en route vers un endroit qui ressemblerait
à un paradis terrestre.
Qui sont-ils? Où vont-ils ? Les derniers représentants de cette procession portent, sur leur dos, l'un de leurs compagnons, nu. Ce sont des hommes puissants partis dans la nature pour consolider leur pouvoir (l'œuvre évoque le club privé californien Bohemian Grove). La Parabole des aveugles, célèbre peinture de Pieter Brueghel l'Ancien (1525-1569), a peut-être inspiré cette œuvre de Schutz, qui l'a adaptée à l'époque contemporaine, avec atelier de maquillage, danse et concerts de tam-tam. D'autres de ses paysages évoquent de nouvelles sociétés cherchant à s'établir sur les ruines de l'ancien monde.

Fanatics
Huile sur toile, 2005
Cette peinture a été réalisée en 2005, seize ans avant le jour où le Capitole a été assailli par des partisans de Donald Trump. Elle évoque pourtant les images que les médias ont relayées de cet événement. Divers individus se sont regroupés pour menacer, implorer, gesticuler violemment ou s'agenouiller et prier, tout en brandissant des rouleaux et des livres, et en distribuant des prospectus. Le grillage qui nous sépare d'eux a été éventré, et l'un des personnages, prêt pour un attentat-suicide, est sur le point de faire détoner sa ceinture d'explosifs. Les scènes que peint Dana Schutz sont issues de visions imaginaires, mais l'état désastreux du monde actuel hante un grand nombre de ses toiles.

Swimming, Smoking, Crying
Huile sur toile, 2009
Il est impossible de nager, de fumer et de pleurer en même temps, et pourtant, c'est bien ce que cette jeune femme est en train de faire, dans l'urgence du temps qui la presse. Le destin et les éléments l'asphyxient. Elle apparaît en créature amphibienne, les yeux semblables à ceux des requins-marteaux. La frontière entre son corps et son environnement se dissout à travers ses larmes, qui se mêlent à l'eau salée de la mer. Le caractère ambigu de la scène, ainsi que les effets de miroir et de transparence de l'eau, sont caractéristiques de l'œuvre de Schutz. Devant ce visage à la limite entre le ciel et la mer, on peut de nouveau penser au célèbre tableau d'Edvard Munch, Le Cri (1863-1944).

I'm into Shooting
in Natural Environments
Huile sur toile, 2008
Le protagoniste masculin de I'm into Shooting in Natural Environments pourrait être un artiste. Il se tient dans un espace composé de différents plans, dont deux, au moins, sont explicitement des toiles tendues sur des châssis : l'une, abstraite, et l'autre, aux accents surréalistes. Au milieu de cette scène étrange, un verre à la main, l'homme a les yeux bandés comme un otage. À ses pieds, une plante renversée confirme un certain désordre. Il semble terrorisé. Un autre personnage, debout derrière un paravent, et caché par un drap, pointe un fusil sur sa tempe. Dans ce tableau, Schutz aborde le motif de la peinture comme énigme, faisant de la pratique artistique une affaire de suspense, d'accumulation de tensions, de risques et de hasards.

Shaving
Huile sur toile, 2010
Cette scène intime regorge d'ambivalences : la femme, avec son chapeau de paille d'un jaune solaire au milieu d'un paysage à la manière de Van Gogh, est-elle assise là en train de se raser l'entrejambe, ou bien se trouve-t-elle derrière nous, comme si nous la regardions à travers un miroir ? L'ambiguïté de ce type d'illusions d'optique fait partie de l'univers de Schutz. Il se peut que cette scène révèle en outre les fantasmes nourris aujourd'hui par une peintre d'atelier à l'égard de la peinture en plein air telle qu'elle était pratiquée à l'époque des impressionnistes. Alors, soudain, le tee-shirt blanc et la serviette de plage se transforment en toile, la mousse à raser devient un tube de peinture et le rasoir, une raclette.

The Painter
Huile sur toile, 2017
Plusieurs personnages de Schutz ont la peau comme la toile d'un tableau. Un corbeau sur l'épaule, ce peintre âgé montre son dos scarifié d'un aigle aux ailes déployées.
On pourrait imaginer que cette silhouette sanguinolente s'apprête à plonger dans le paysage en train d'être peint, comme si la toile se confondait avec l'épiderme de l'artiste. D'une façon comparable, le personnage de Traveler (2019) a le crâne maculé de colombins de peinture. Quant à celui de Flasher (2012), sa pose impudique semble ouvrir à tous les regards l'intérieur de son corps d'artiste orné de dessins et d'outils. Son geste est celui d'une mise à nu, qui exprime la présence de la surface infranchissable de la peinture.

Flasher Huile sur toile, 2012
Des scies, des ciseaux, une montre et une équerre, ce Flasher (exhibitionniste) ouvre son manteau rempli d'outils. Cette figure est une sorte de guérillero urbain, une grenouille aux jambes humaines, un pickpocket révélant ses larcins, ou un peintre qui aurait déployé son matériel et ses coups de pinceau sur une surface ressemblant à une toile. Un léger désespoir se lit dans le regard du sujet qui se trouve coincé derrière la toile. Le visage semble bouleversé. Cette peinture est inspirée par La Raie (vers 1924) de Chaïm Soutine, au sens où c'est le dessous de la créature marine qui est montré, comme pourrait l'être le dos d'une peinture dont on découvrirait le processus d'élaboration. À l'époque où elle a peint cette toile, Schutz considérait ses peintures comme des manifestations sociales ou antisociales, pouvant agir dans une pièce. Shaving est aussi lié à ces questions.

The Visible World
Huile sur toile, 2018
Dès ses premières œuvres, Dana Schutz a souvent représenté des catastrophes au bord de la mer, des paysages idylliques devant lesquels des mondes s'effondrent. Ici, une femme nue est allongée sur un rocher au milieu de la mer. Autour d'elle, les vagues charrient des détritus qui contribuent à l'atmosphère de désastre de la scène. S'agit-il de la victime d'un naufrage ou d'une déesse désignant de son bras tendu la gravité de la situation ? Prométhée au féminin, elle fixe le spectateur de son regard implacable, reçoit une framboise en offrande de la part d'un oiseau. Elle possède même un troisième bras. Schutz dit que ses yeux sont d'un vert de feux de circulation. Le titre, The Visible World, désigne la réalité des images, un contenant pour l'intangible, une condition à laquelle le sujet de cette peinture semble lié pour toujours, bien qu'il fasse tous les gestes pour y échapper.

Juggler
Bronze, 2019
Ce jongleur pourrait être en train de faire une parade pour attirer les spectateurs sur un marché. On songe aux carnavals du Nord, à ces moments de tous les renversements, mais aussi à la peinture à la tempera de Marc Chagall pour l'Introduction au théâtre d'art juif (1920), réunissant sur une piste un peuple d'acrobates. Comme Seurat, Picasso ou Chagall l'ont fait avant elle, Schutz s'est intéressée
aux enjeux plastiques des représentations du cirque. Pour cette œuvre, elle a été influencée par deux sculptures de Willem De Kooning, Clam Digger et Hostess. Comment sculpter un jongleur sous le poids de la matière ? Peut-être l'équilibre que Schutz cherche à atteindre est-il celui de la création.

Presenter
Huile sur toile, 2018
Une femme seule sur une scène, sous les feux des projecteurs, est sur le point de prendre la parole, debout sur un tapis rouge qui rappelle le dispositif des TED Talks - le bas des trois lettres rouges TED (Technology Entertainment Design) se distingue au-dessus d'elle, en haut de la composition. Au cours de ces conférences, dont le modèle est devenu international, des experts parlent sans notes de leur spécialité devant un large public, pendant une vingtaine de minutes. Le bâton servant habituellement à pointer l'écran est tourné vers elle. Comme dans un cauchemar, ses sous-vêtements baissés la mettent à nu. La façon dont sa main éprouve la surface de son visage suggère qu'elle est en train de tirer des mots de sa bouche - à moins qu'elle ne se tienne, au contraire, les lèvres fermées. En dépit de la situation de vulnérabilité dans laquelle elle se trouve, elle s'accroche de la main gauche à la télécommande d'un vidéoprojecteur pour passer les diapositives de sa présentation, et conserver la maîtrise de la situation.

Bound Huile sur toile, 2019

Non identifiées

Sigh
Huile sur toile, 2020
C'est un personnage bedonnant sur un fond rouge sang. Une certaine brutalité émane de son nez cabossé de boxeur. Sur son épaule, il porte un gourdin, tel un homme des cavernes. Il lève les yeux en soufflant vers le ciel un nuage de fumée. Est-ce un signe de victoire ? Quelles ont été ses batailles? Son visage pourrait aussi ressembler à la palette d'un peintre, comme la tête de The Traveler, présente de l'autre côté de la salle. Son bâton ressemble au pinceau usé d'un vieux peintre quittant son atelier après une journée de travail. Il pourrait encore évoquer la Tête sur tige de Giacometti (1947). C'est une autre figure de l'artiste, nouveau saint Jérôme dans sa retraite spirituelle, plongé dans les méandres d'un nuage de fumée.

To Have a Head
Huile sur toile, 2017

The Traveler Huile sur toile, 2019

The Interview
Huile sur toile, 2020
Arborant l'air d'un prédateur, un
personnage dont la mâchoire inférieure ressemble à la lame d'un couteau ou à une prothèse d'acier tient un micro de sa main - ou plutôt faudrait-il dire : de l'os qui dépasse de sa manche. Son œil est rouge comme le signal d'une caméra qui enregistrerait la scène. Est-il blessé ou agresseur ? Face à lui, un autre personnage, sommé de parler, penche vers le micro une tête en forme d'organe sanguinolent - on reconnaît un cœur arraché d'un corps. Tous deux font face à la montée des eaux. Peut-être seront-ils bientôt submergés, ainsi que tout ce qui les entoure.

.The Victor Huile sur toile, 2020



Trouble and Appearance
Beat Out the Sun
Pan
Eau-forte avec aquatinte, 2018

Boatman Huile sur toile, 2018
Un homme est seul sur une barque, immobile au milieu de l'eau verte, un petit personnage dans les bras. On reconnaît la figure du ventriloque que Dana Schutz a également représentée en sculpture (Ventriloquist, 2021). Presque plus vivante que son maître, cette petite figure bleue constitue le prototype de celui que Schutz a peint dans The Public Process. La peinture est - en général un objet silencieux et non verbal. Le ventriloque est un double, telle une peinture, un objet et une représentation à la fois. Ce tableau montre enfin l'absurdité d'un spectacle sans public, donné par un performer seul sur la mer.

Ventriloquist
Bronze, 2021

Baggage
Bronze, 2022

Couple with Wave
Bronze, 2021

Odalisque
Bronze, 2022

Victor Bronze, 2021
En 2021, Dana Schutz peignait la figure d'un vainqueur malheureux, la tête bandée, affalé sur un siège, un bras pointant le sol, et l'autre, le ciel. Ce sujet est ici repris en volume. Tel Sisyphe, un petit personnage - ou peut-être est-ce un oiseau- semble pousser ce vainqueur au sommet d'une colline depuis laquelle il pourrait aussi basculer vers l'avant. Un autre oiseau est perché sur son bras. Quand on lui demande d'où vient ce bestiaire, Dana Schutz parle des primitifs italiens. On pourrait imaginer également qu'elle ait puisé aux sources de la bande dessinée ou de la caricature, du côté d'Art Spiegelman ou de Robert Crumb. Mais elle-même cite plus volontiers les dessins de George Grosz et leur caractère expressionniste

Mountain Group
Huile sur toile, 2018
Ils sont très nombreux sur cette montagne, et de profils très divers: Dieu, Bouddha, des peintres ou des militants de la cause écologiste... Tous cherchent à se frayer un chemin jusqu'au sommet, se bousculant les uns les autres, pointant un nuage ou faisant un V avec les doigts, comme s'ils détenaient une solution aux problèmes de l'humanité. Ils partent tous dans des directions différentes, et un personnage est même en train de tirer l'échelle derrière lui. Ils forment une tour de Babel sur laquelle les langues de la Terre s'entrechoquent. Les oiseaux vomissent du sang comme pour livrer un présage sur l'état du monde. Que cette alarme soit due à la surpopulation ou à la montée des eaux, la scène se déroule sous un ciel d'Apocalypse digne d'une peinture rococo,
Collection Marguerite

The Expressionist
Bronze, 2021

Sea Group
Huile sur toile, 2021
Détail du tableau précédent
Idem

Boat Group
Huile sur toile, 2020
Ces têtes sont entassées les unes sur les autres, dans ce qui pourrait ressembler à une coupe de fruits pleine de couleurs dans l'obscurité, à un panier de têtes, aux masques de carnaval peints par James Ensor (1860-1949) ou aux personnages de Philip Guston (1913-1980). Leurs visages évoquent un large spectre d'expressions allant de la résignation à la rêverie, en passant par la manigance. On tremble à l'idée que ces personnes, à la dérive sur l'océan, pourraient d'ici peu avoir recours au cannibalisme. Avec Schutz, l'impossible
paraît possible. La catastrophe s'est-elle déjà abattue sur eux, ou bien ces personnages sont-ils en train d'attendre son arrivée ? Chacun peut imaginer ses propres récits à partir des événements représentés, comme dans des ronds de fumée de cigarette qui ressemblent à des vagues ou à un drapé.

The Family
Huile sur toile, 2021
De quelle famille s'agit-il ici ? D'une famille d'artistes, qui compterait plusieurs peintres ? Le groupe semble constituer une sorte de cortège funèbre traversant la toile, portant des objets et le corps de leur bien-aimé. Le personnage à la tête du groupe est statique sur un piedestal, habillé en groom. Il a l'air bien mélancolique, l'enfant qui tient un ballon rouge, sur la droite, les yeux levés vers l'horizon. Il faut dire que derrière eux, le ciel est très gris, traversé par des avions menaçants. Face au spectacle de ces têtes, on pourrait penser aux masques des acteurs du théâtre antique - les personnages de Dana Schutz seraient à la fois les acteurs et le chœur. Il y a dans ces figures un lien avec les pâtes de Georges Rouault à qui Schutz dit s'être intéressée, avec ses clowns christiques, ses pierrots et ses arlequins.

The Arts
Huile sur toile, 2021
Les arts-représentés par la musique, le théâtre, la littérature et la peinture - s'avancent vers la gauche, comme pour gravir une colline en procession sur leurs jambes torses. Une atmosphère de catastrophe se dégage de cette scène. La composition est inspirée entre autres par les peintures de la Renaissance. Ces figures n'ont aucun objectif commun. L'un des personnages lève les yeux, le regard plein d'espoir, tout en jouant du violon; le second agrippe un squelette comme un nouveau Hamlet ; le troisième hume le parfum d'une fleur, tandis que les autres regardent droit devant eux en brandissant massue, fouet ou projecteur. L'ensemble évoque un cortège funéraire absurde, ou une danse macabre médiévale. Illuminé par un soleil vert, primitif, le paysage apparaît étrangement tamisé : on pourrait croire que la scène se déroule sous l'eau. On pense à la palette des surréalistes, notamment celle de Max Ernst (1891-1976).

The Public Process
Huile sur toile, 2022
Sommes-nous en train d'assister à la construction d'une nouvelle société, ou au démantèlement d'un ancien monde ? Le titre, The Public Process, évoque un procès, avec jugement et châtiment, à moins qu'il ne s'agisse de mystérieux rituels. Le mur de planches en bois rappelle aussi symboliquement la toile de l'artiste, enduite de peinture - un grand rectangle allongé semblable au tableau lui-même. Schutz interroge souvent la représentation de l'art par l'art. Des événements décisifs sont en train d'avoir lieu et les nuages s'amoncellent, mais le temps semble s'être ralenti autour de la figure assise au centre de la composition. Ce petit homme en bleu doit, selon Schutz, décider de l'issue des événements : il est comme un poète, à la fois témoin et observé. Contorsionné contre le mur, il redresse l'horizon. Son attitude, décontractée, contraste avec l'agitation qui l'entoure. La peintre à sa droite est en train d'accoucher, bien qu'elle soit absorbée par sa petite toile. A gauche, un homme armé d'un seau de peinture rouge sang s'avance d'un pas menaçant vers le vandalisme et la sauvagerie.

The Wheel
Huile sur toile, 2022
Un personnage pousse une roue sur une montagne, nouveau Sisyphe dont on ne sait s'il parviendra à atteindre l'objectif qu'il s'est donné. Dans cette circonstance, comme dans les autres, rien n'est fixé. Cette roue emporte et écrase toutes sortes de personnages sur son passage, parmi lesquels le violoniste et le poète. Ou bien s'agit-il d'une grande roue de fête foraine, comme on en trouve dans plusieurs tableaux récents de Dana Schutz: une roue de la fortune qui annoncerait de grands malheurs ? Imperturbable, le peintre continue d'oeuvrer devant son chevalet, tandis qu'une femme tient une plume, une flèche ou une fleur. Les deux chevaux représentés à deux instants différents de cette scène terrifiante suggèrent à la fois un mouvement et sa décomposition, à la manière des chronophotographies de Jules-Etienne Marey (1830-1904) et Eadweard Muybridge (1830-1904). Schutz indique que la peinture est une question physique.

Détail du tableau précédent 

Dear Ones
Huile sur toile, 2023
Dans cette œuvre, l'une des plus récentes de Dana Schutz, un chien porte sur son dos un groupe de personnages grotesques : une femme portant une voilette, un bébé ressemblant à un astronaute, une poitrine exagérément affaissée, un homme tenant une bouteille... Serrés les uns contre les autres, ils regardent tous dans des directions différentes. Le bon chien loyal semble jouer, avec une balle, à attraper la Lune en attendant une récompense une lune en carton-pâte, comme dans les films bricolés de Georges Méliès à l'époque du premier cinéma. La forme du sol, qui pourrait être une piste de cirque, fait écho à celle de son dos. Bien que le ciel rougeoie derrière eux, l'atmosphère est moins lourde que dans d'autres œuvres. C'est un jeu un peu vain, une scène à la fois tendre et ironique.
Courtesy de l'artiste

Chez Schutz, les dessins et les gravures n'ont pas valeur d'esquisse ou de travaux préparatoires. Ce sont des œuvres à part entière. Cet ensemble regroupe des dessins de divers moments de son travail depuis ses débuts, et présente des thèmes qui lui sont familiers par ailleurs dans sa peinture : des êtres qui se dévorent eux-mêmes, deux personnages en train de se disputer, des figures d'artistes, et, plus récemment, des voyageurs et des vagabonds. Son traitement de l'ombre et de la lumière, et la dimension fantomatique de ces œuvres, se rapprochent de sa pratique de la sculpture et de certaines de ses peintures récentes.


To Have a Head
Weeper
The Wanderer
Eau-forte avec aquatinte, 2018

Bowler
The Philosopher
Sleepwalker
2015
Collection privée
Fusain sur papier

Flower Girl
Fusain, aquarelle, gouache et mine de plomb sur papier, 2003

Line Painter
Treading Water
Hiker
The Ride
Fusain sur papier, 2022

Face Eater
Gouache et fusain sur papier, 2004

Chest Eater
Gouache et fusain sur papier, 2004

Leg
The Argument
Shadow
Gouache et fusain sur papier, 2004 

Dead Guy
Gouache et fusain sur
Cindy Sherman
papier, 2003

Dana Schutz est née en 1976 à Livonia, dans la banlieue de Détroit (Michigan). Elle s'est formée au Cleveland Institute of Art (Bachelor of Fine Arts) et à la Columbia University (Master of Fine Arts), à New York, où elle vit et travaille aujourd'hui.
Dès 2002, son œuvre a fait l'objet de nombreuses expositions personnelles, notamment au Museum of Contemporary Art de Cleveland (2006), au Museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto (Italie, 2010), au Atlanta Contemporary Art Center, à Atlanta (2011). Son exposition itinérante If The Face Had Wheels a ouvert au Neuberger Museum of Art de Purchase, New York, à l'automne 2011. Elle a été suivie en 2013 par une exposition au Hepworth Wakefield Museum (Royaume-Uni). Une rétrospective s'est tenue au musée d'Art contemporain de Montréal (Canada, 2015), suivie par une exposition d'œuvres récentes à l'Institute of Contemporary Art, Boston (2017), et à la Transformer Station, Cleveland (2018).
Schutz a participé à de nombreuses expositions collectives parmi lesquelles Clandestine, Biennale de Venise (2003); Greater New York, P.S.1 Contemporary Art Center, New York (2005); Art in America: Three Hundred Years of Innovation, Solomon R. Guggenheim Museum, New York (2007); Riotous Baroque, Kunsthaus Zürich (Suisse, 2012); America Is Hard To See, Whitney Museum of American Art, New York (2015).












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