vendredi 8 décembre 2023

Nicolas de Stael au musée d'art moderne en décembre 2023


Beaucoup de monde dans cette riche rétrospective. Des couleurs, des formes, et pour une fois, s'agissant d'art contemporain, du renouvellement qui évite la saturation qu'on rencontre souvent dans ces présentations un peu répétitives. 
En voici l'essentiel :

"C'est si triste sans tableaux, la vie, que je fonce tant que je peux."
NICOLAS DE STAËL

Ne à Saint-Pétersbourg, Nicolas de Staël a 3 ans lorsque éclate la révolution russe. Force de fuir avec sa famille, très tôt orphelin, cet exilé n'aura de cesse de rechercher et donc de nouveaux horizons, de nouvelles sensations de nouvelles manières de peindre. Si l'essentiel de son œuvre tient en une quinzaine d'années, son travail se renouvelle constamment : son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond» l'amène à expérimenter sans relâche.
Sa pratique de peintre s'inscrit dans une France de l'après-guerre où la dispute entre partisans de l'abstraction et défenseurs de la figuration fait rage. Indifferent aux querelles de son temps, Staël déteste les étiquettes et refuse de choisir, préférant peindre « sans esthétique a priori ». Il en résulte une œuvre libre et personnelle, qui manifeste la sensibilité toujours vive de ce peintre vis-à-vis de ce qui l'entoure qu'il se confronte à la mer, à un match de football ou à un fruit posé sur une table, l'artiste est captivé par les spectacles du monde et leurs lumières toujours variables.
Interrompue par son suicide à l'âge de 41 ans, la trajectoire de Staël apparaît rétrospectivement comme la poursuite, menée dans l'urgence, d'un art toujours plus dense et plus concis. Face au paysage ou dans le silence de l'atelier, ses évolutions successives témoignent d'une quête picturale d'une rare intensité, dont la puissance, jusqu'à aujourd'hui, demeure intacte.

Etude, Visage de femme
Vers 1939
Fusain sur papier
Collection particulière
Au tournant des années 1940, la pratique de l'artiste est étroitement liée à sa relation avec Jeannine Guillou, une peintre de quatre ans son aînée, rencontrée au Maroc. Dans ces différents portraits, Staël rend hommage à la femme aimée, compagne et soutien sans faille dure qui semble hanter son visage de cette vie emacie et mélancolique. Plus tard, il dira: "Quand j'étais jeune, j'ai peint le portrait de ma première femme. Un portrait, un vrai portrait, c'est quand même le sommet de l'art."

Portrait de Jeannine /
Portrait of Jeannine
Nice, 1941
Huile sur toile
Collection particulière

1934-1947
LE VOYAGE D'UN PEINTRE
Les années de formation de Nicolas de Staël sont faites de voyages et de rencontres. S'il étudie l'art à Bruxelles, le jeune peintre cherche vite à élargir ses horizons : après deux étés passés à sillonner le sud de la France puis l'Espagne, il parcourt pendant un an le Maroc où il rencontre Jeannine Guillou, une peintre qui deviendra sa compagne. Il travaille avec ardeur, détruisant beaucoup et hésitant sur la voie à suivre. « Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine écrit-il, c'est une raison pour que je construise mon bateau solidement. >>
Faites de déplacements et de haltes, ces années de maturation sont à la fois dures et exaltantes, sur fond d'ambi-tion et d'extrême pauvretē. Staël l'apatride s'engage en novembre 1939 dans la Légion étrangère; dēmobilisé en septembre 1940, il vit pendant trois ans à Nice puis s'installe à Paris. En 1942, il se tourne vers l'abstraction, tendance alors en plein essor. Le peintre explore ce nouveau langage dans des œuvres dominées par des tons sombres, que Jeannine décrit comme « sans fin torturées, repeintes, massacrées, bousculées ».
Au sortir du conflit, Staël expose à la galerie Jeanne Bucher : sa carrière est lancée. En 1946, la mort tragique de Jeannine suite à un avortement thérapeutique signe la fin de cette première époque.

Pont de Bercy/Bercy Bridge
Paris, 1939
Huile sur contreplaqué
Collection particulière / courtesy Galeria Sur
Peint à l'âge de 25 ans, ce tableau est l'une des rares toiles figuratives des débuts de Staël qui nous soient parvenues. Le jeune artiste y pose les bases du monde visuel auquel il ne cessera de revenir dans les dernières années de sa vie. On y décèle en germe sa prédilection pour le paysage, son goût pour le motif du bateau, la tension entre la liquidité du fleuve et le rythme architectonique du pont, la sensibilitē, aiguë, aux nuances lumineuses de l'atmosphère.

Composition en noir / Composition in Black
Paris, 1946
Huile sur toile
Zurich, Kunsthaus Zürich Association zurichoise des Amis de l'art, 1974
Ce tableau de grand format est le premier d'une série de points culminants dans l'œuvre de Staël. Comme il l'écrira en 1950: « La grande toile noire" [..], c'est tout de même et d'après mes pauvres yeux le point culminant de pas mal d'années, je ne vois pas ce que j'aurais pu y ajouter ou retrancher. » Après une phase d'expérimentation, sur papier et sur des toiles de petit format, le grand tableau apparait comme le chef-d'œuvre de la période : le lieu où l'artiste synthétise, par accumulation - et jusqu'à saturation ses recherches sur la matière, la lumière, et la composition.

Composition
Paris, 1946
Huile sur toile
Collection particulière

Composition (Les Mouettes) Composition (Seagulls)
Paris, 1947
Pinceau et lavis d'encre de Chine sur papier
Dijon, musée des Beaux-Arts Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969

Composition
Paris, 1944
Fusain gommé sur papier
Paris-Lisbonne, galerie Jeanne Bucher Jaeger
Le dessin et le travail sur papier, sont, dès l'origine, l'un des piliers de la pratique de Staël. C'est là que l'artiste note ses impressions visuelles de voyageur, qu'il élabore des projets de tableaux et, surtout, qu'il expérimente des manières de faire qui infuseront, plus tard, dans ses peintures sur toile. Au début des années 1940, le double jeu du fusain et de la gomme a sa prédilection : le fusain pour travailler les degrés de noir, la gomme pour faire surgir la lumière au cœur du noir, comme si celle-ci se cachait là, en attente du geste révélateur.

Tête / Head
Paris, 1944
Fusain sur papier
Dijon, musée des Beaux-Arts Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969

Composition
Paris, 1946
Pinceau et encre de Chine sur papier
Collection particulière

De la danse / On Dancing
Paris, 1946-1947
Huile sur toile
Paris, Centre Pompidou Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle Dation, 1982

Le Cube / The Cube
Paris, 1946
Huile sur toile
Paris


1948-1949
RUE GAUGUET
Située près du parc Montsouris, la rue Gauguet devient dès 1947 le point d'ancrage du peintre : le lieu où Staël, qui s'est marié avec Françoise Chapouton, va trouver un véritable atelier et un toit pour sa famille. Avec ses huit mètres de hauteur sous plafond, l'atelier « tient du puits, de la chapelle et de la grange », écrit le critique Patrick Waldberg, qui décrit « sa blancheur austère et son atmosphère d'activité intense, mais recluse >>.
Adossant ses toiles contre le mur, Staël conçoit plusieurs œuvres en même temps, passant de l'huile à l'encre de Chine, de la toile au papier. A la fin des années 1940, dans ce lieu inondé de lumière, sa palette s'éclaircit. Aux élans obscurs des toiles précédentes succède une manière de peindre moins violente, plus organique. Peu à peu, ses compositions se desserrent : les faisceaux dynamiques et enchevêtrés laissent place à des formes plus amples, plus stables et aériennes.
Renouvelant constamment sa pratique, Staël se méfie de la répétition comme des étiquettes. Ce peintre que l'on dit abstrait déclare alors, à rebours de l'époque, que « les tendances non figuratives n'existent pas », affirmant que « le peintre aura toujours besoin d'avoir devant les yeux, de près ou de loin, la mouvante source d'inspiration qu'est l'univers sensible ».

Composition
Paris, 1948
Encre de Chine et lavis sur papier
Paris, Centre Pompidou Musée national d'art moderne Centre de création industrielle
Donation de Madame Claude Duthuit, 2015

Composition
Paris, 1949
Huile sur toile
Collection Sandrine Chadelaud Karpensztein, CKS Fine Art Genève
En 1949, Staël s'éloigne des composi-tions aux barres enchevêtrées pour aller vers des formes plus amples, calmes et constructives. La grille qui structurait ses tableaux précédents s'est desserrée. Ses compositions s'allègent, se simplifient, respirent. Sa relation avec Georges Braque, « le plus grand en qui il voit alors des peintres vivants de ce monde », l'amène à concevoir de grandes compositions, peu profondes, aux formes solides qui semblent avancer vers le spectateur.

Eau-de-vie
Paris. 1948
Hulle sur tolle
Paris-Llsbonne, galerle Jeanne Bucher Jaeger

Composition
Paris, 1948
Pinceau et encre de Chine sur papier, collé sur carton
Paris-Lisbonne, galerie Jeanne Bucher Jaeger

Hommage à Piranèse /Homage to Piranesi
Paris, 1948
Huile sur toile
Høvikodden, Henie Onstad Kunstsenter, collection Henie Onstad

1950
CONDENSATION
En 1950, le travail de Staël se densifie: des masses plus amples et ramassées s'agencent à la surface de la toile. Des études sur papier jusqu'au tableau dans sa version définitive, il multiplie les étapes, travaille longuement et sans relâche ses compositions. Les tableaux racontent leur propre genèse les couches de couleur se superposent, laissant apparaître, sur les bords de formes énigmatiques, d'autres couleurs sous-jacentes, tel un secret entrevu. La peinture se fait étalement, recouvrement, travail de la matière. « Je manie le couteau et la brosse de plein fouet », dit-il alors. L'ambition est claire : « faire de mieux en mieux et toujours plus simple >>
Bien qu'abstraites formellement, ses toiles semblent habitées par une présence physique du monde: Staël parle à leur sujet des images de la vie » qu'il reçoit « en masses colorées », « à mille vibrations ». Il se tient fièrement à l'écart de ce qu'il désigne comme le « gang de l'abstraction avant >> - par allusion ironique au « gang des Tractions Avant », célèbre bande de malfaiteurs de l'après-guerre.
Cette année-là, le Musée national d'art moderne acquiert une première toile du peintre, tandis que Jacques Dubourg devient officiellement son marchand et que des toiles commencent à se vendre aux États-Unis.

Composition
Paris, 1950
Huile sur toile
Collection particulière

Composition
Paris, 1950
Hulle sur toile
Collection partioulière

La Procession / The Procession
Paris, 1950
Huile sur toile
Dijon, musée des Beaux-Arts
Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969

Composition
Paris, 1950
Huile sur panneau
Londres, Tate Achat, 1980

Composition Paris, 1950
Huile sur toile
KD Collection

Grande composition bleue Large Blue Composition
Paris, 1950-1951
Huile sur Isorel
Collection privée / courtesy Applicat-Prazan, Paris
Dans ses toiles, Nicolas de Staël peint la présence et le poids des choses, retrouvant, par la peinture, les lois physiques de la nature. L'adoption du grand, voire du très grand format, va de pair avec cette quête : le grand tableau implique une grande forme, et une grande pesanteur de celle-ci. Comme il l'écrit au critique d'art Roger van Gindertael en 1950- l'année de cette Grande composition bleue -, "ce qui donne la dimension, c'est le poids des formes, leur situation, leur contraste ». Quelque chose se tient là devant nous, en silence. A cela, il faut aussi rajouter le travail étonnamment complexe de la matière, cette façon, sans cesse renouvelée, de lui conferer presence et densité"

1951 FRAGMENTATION
Les tableaux de l'année 1951 apparaissent, rétrospective-ment, comme une réaction à ceux de l'année 1950, Staël remettant en jeu les acquis de l'année précédente. Après la condensation, ce sera donc la fragmentation : après les formes concentrées, vient le règne des formes fragmentées, faites de tesselles colorées que l'on dirait empruntées au monde de la mosaïque. Ce nouveau vocabulaire offre à l'artiste une grande liberté. Tantôt il construit, par accumulation de ces formes en pavés, tantôt il ouvre son tableau à une spatialité nouvelle et dynamique, quasi aérienne.
Les références au monde extérieur, déjà là, à l'état latent, dans les tableaux de 1950, émergent plus nettement. Staël, malgré l'époque, malgré la critique, revient courageusement vers la figuration : au tout début de l'année 1952, une simple tesselle, forme abstraite s'il en est, devient une pomme. tandis que le jaillissement vertical des petits pavés de couleur évoque soudain un bouquet de fleurs. À son nouvel ami René Char, pour lequel il réalise un ensemble de gravures sur bois, il écrit: «Tu m'as fait retrouver d'emblée la passion que j'avais enfant, pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d'un langage direct.

Le Mur, Composition / The Wall, Composition
Paris, 1951
Huile sur toile
Suisse, collection particulière / courtesy Simon Studer Art

La Ville blanche / The White City
Paris, 1951
Huile sur toile
Dijon, musée des Beaux-Arts
Donation Pierre et Kathleen Granville

Composition
Paris, 1951
Huile sur toile
Collection particulière 

Fugue
Paris, 1951-1952
Huile sur toile
Washington, The Phillips Collection Acquisition en 1952

Fleurs grises / Gray Flowers
Paris, 1952
Huile sur toile
Collection particulière / 
courtesy M. Ars SA

1953
L'ATELIER DU SUD
« Tous les départs sont merveilleux pour le travail », écrit Staël en mai 1953. Sur le conseil de René Char, cet été-là, le peintre et sa mille s'installent à Lagnes, un village proche d'Avignon. Ce séjour en Provence engendre deux chocs : celui de la lumière éclatante, et celui de la rencontre avec une jeune femme, Jeanne Polge. Pour décrire ce double coup de foudre, le peintre écrit à Char, qui lui a présenté cette femme et ce paysage : « Quelle fille, la terre en tremble d'émoi, quelle cadence unique dans l'ordre souverain. Là-haut au cabanon chaque mouvement de pierre, chaque brin d'herbe vacillait [..] à son pas. Quel lieu, quelle fille. » Une liaison passionnelle se noue à partir de l'automne.
Le peintre, dont la palette devient éclatante comme la lumière provençale, multiplie les sujets d'atelier portrait de sa fille Anne, nus dans les nuages », natures mortes. L'intensité charnelle des sensations vécues par cet homme se diffuse dans toute chose, jusque dans la texture d'une nappe rose posée sur une table.

Agrigente / Agrigento
Ménerbes, 1953-1954
Huile sur toile
Suisse, collection particulière

Terre du Nord /
Northern Land
Vers 1953
Huile sur toile
Collection particulière

Sicile / Sicily
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Musée de Grenoble
Achat à Mme Françoise de Staël avec participation du Fram, 1983

Paysage/Landscape
Menerbes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière

Paysage/Landscape
Menerbes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière

Paysage, Ménerbes / Landscape, Ménerbes
Ménerbes, 1953-1954
Huile sur toile
Montpellier Méditerranée Métropole, musée Fabre

Sicile / Sicily
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière


Femme assise / Seated Woman
Ménerbes, 1953
Huile sur toile
Collection particulière

Portrait d'Anne / Portrait of Anne
Lagnes, 1953
Huile sur toile
Colmar, musée Unterlinden Achat, 1976
Douze ans après avoir peint Jeannine, Nicolas de Staël fait, à Lagnes, le portrait d'Anne, leur fille. Avec ce retour à la figure, on mesure le chemin parcouru. Loin du classicisme mélancolique du portrait de Jeannine, ce tableau reformule, autrement, la lutte à l'œuvre dans les figures de footballeurs. La jeune Anne, qui a alors onze ans, prend, dans la vision de son père, l'allure d'une figure hieratique, faite de masses colorées a peine jointes, dont la matière semble animée par un combat sans répit.

Arbres/ Trees
Provence, 1953
Huile sur toile
Collection particulière

Bateaux sur la plage /
Boats on the Beach
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Europe, collection particulière

Paysage/Landscape
Provence, 1953
Huile sur toile
Collection particulière

Agrigente / Agrigento
Ménerbes, 1953-1954
Huile sur toile
Suisse, collection particulière

Deux vases de fleurs /
Two Flower Vases
Lagnes 1953
Huile sur toile
Suisse, collection particulière / courtesy Ekaterina Klim

Fleurs blanches et jaunes White and Yellow Flowers
Lagnes, 1953
Huile sur toile
Genève, Fondation Gandur pour l'Art

Le Soleil / The Sun
Provence, 1953
Huile sur toile
Collection particulière

Paysage/Landscape
Provence, 1953
Huile sur toile
Collection particulière

Table rose/Pink Table
Provence, 1953
Huile sur toile
Collection privée / courtesy Applicat-Prazan, Paris
L'atelier, ce lieu clos, apparaît comme l'endroit idéal pour fouiller le monde dans sa profondeur. Dans un ensemble d'œuvres dédiées au motif de la table, Staël donne libre cours à son désir de travailler la matière dans son épaisseur. Il s'agit de donner à la pâte colorée toute sa force, par un travail conjoint de la texture et de la couleur. Cette table rose, simple forme rectangulaire ornée d'objets bleus, prend une réalité tangible. La peinture est faite pour être vue, certes, mais aussi pour engendrer la sensation du toucher

Les Cyprès / Cypress Trees
Provence, 1953
Huile sur toile
Collection particulière

Nature morte au tournesol /
Still Life with Sunflower
Lagnes, 1953
Huile sur toile
Collection particulière, avec le concours de MALINGUE S.A.

.Arbre rouge/Red Tree
Provence, 1953
Huile sur toile
Collection particuliere

Agrigente / Agrigento
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Collection privée/courtesy Applicat-Prazan
Des plages jaunes, orange et rose convergent vers un point de fuite unique, sous un implacable ciel violet. Le paysage est une synthèse: Staël s'extrait de l'impression première, pour ne conserver que l'essentiel
quelques lignes de force, et la lumière écrasante de la Sicile. Le peintre retravaille librement la perspective monofocale, cette construction classique au fondement de l'histoire du tableau de chevalet. Au centre de la tolle, un empâtement Informe, énigmatique, véritable explosion colorée, vient perturber le strict ordonnancement de la composition

Le Lavandou
(Peint sur le motif / Painted on site in nature), 1952
Huile sur carton Collection particulière
Peints sur les rives de la Méditerranée, ces petits cartons évoquant baigneurs, parasols et bord de mer restent pour Staël des études pour des tableaux à faire plus tard, dans son atelier parisien. Car il lui faut du « recul»: « Une peinture conçue, falte dehors mais exécutée seule à seul à l'atelier aura toujours plus de concision > explique-t-il. Des exceptions restent toutefois possibles : « Il se peut quand même que, sur une centaine d'études, il y en a qui frapperont dans le mille, mais je n'en sais rien maintenant. >>

Paysages

Paysages

Parc des Princes / Parc des Princes Stadium
Paris, 1952
Huile sur carton
Collection particulière

Mantes-la-Jolie
(Peint sur le motif / Painted on site in nature), 1952
Huile sur toile
Dijon, musée des Beaux-Arts Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969

Gentilly
1952
Hulle sur carton
Collection particulière



1952-1953
LE SPECTACLE DU MONDE
L'attrait de Nicolas de Staël pour le paysage se prolonge dans une fascination pour tout ce qui constitue le spectacle du monde. Entre un concert, un ballet et un match de football, nulle hiérarchie, mais autant d'occasions de se confronter à la vie comme à un jeu de matières colorées et en mouvement. Staël, qui dessinait jusque dans l'obscurité des salles de cinema, peint en spectateur passionné, recevant sans cesse de nouvelles sensations visuelles, tactiles et auditives. En 1951, dējà, il déclarait : « L'individu que je suis est fait de toutes les impressions reçues du monde extérieur depuis et avant ma naissance [.]. Les choses communiquent constamment avec l'artiste pendant qu'il peint, c'est tout ce que j'en sais.» Sous cet ceil ultrasensible, un jardin prend l'allure d'un décor de théâtre, tandis que des bouteilles semblent danser un ballet.
Au mois de mars 1953, Staël est à New York pour préparer son exposition à la Knoedler Gallery. L'exposition remporte un franc succès, tant critique que commercial. À son retour, le peintre achève trois compositions monumentales, dont deux sont présentées ici. En juin, Staël signe un contrat avec le puissant galeriste Paul Rosenberg, qui le pousse à produire davantage pour répondre à la demande des collectionneurs américains.

Les Indes galantes
Paris, 1953.
Huile sur toile
Collection particulière

Le Parc de Sceaux
Paris, 1952
Huile sur toile
Washington, The Phillips Collection Acquisition en 1953

Bouteilles dans l'atelier / Bottles in the Studio
Paris, 1953
Huile sur toile
Collection particulière
Le motif des bouteilles donnera lieu à de nombreuses variations de 1952 jusqu'aux ultimes travaux du peintre, en 1955. Dans cette monumentale version de 1953, Staël emploie cet objet du quotidien dans une magistrale construction symphonique. Est-ce une nature morte, un paysage ou bien un ballet? L'artiste parle de bouteilles qui dansent », accomplissant ainsi son projet, formulé dès 1951, de « [s]'occuper sérieusement de la matière en mouvement ». Le tableau est exposé au Salon de mai de 1953; dans Le Monde, l'historien de l'art André Chastel écrit que la salle se trouve comme suspendue au souffle énorme et franc, largement posé, de la composition de Nicolas de Staël.

L'Orchestre/The Orchestra
Paris, 1953
Hulle sur tolle
Paris, Centro Pompidou Musée national d'art moderne
Contre de création Industriello
Don de Sophie ot Jérôme Seydoux. 2003
Staël étalt un mélomane passionné; De Staël was an avid musio lover
depuls 1950, ll se rend régulièrement aux soirées organisees par Suzanne Tezenas, qui fondera blentôt, avec Pierre Boulez, le Domaine musical. Dans cette composition grandiose tout en nuances de gris, un chef d'orchestre, vêtu de noir, se tient debout face à un ensemble symphonique, Certains éléments de l'orchestre se laissent deviner: les músiolens, debout ou assis, la silhouette d'un violon à gauche et d'une contrebasse à droite, ou encore le rideau de soêne enoadrant la composition. Mais c'est surtout Impression d'ensemble qui prime, et qui parvient à suggerer le dynamisme de l'orchestre oomme la puissance musicale de son Interprétation


1953
L'ATELIER DU SUD
< Tous les départs sont merveilleux pour le travail », écrit Staël en mai 1953. Sur le conseil de René Char, cet été-là, le peintre et sa mille s'installent à Lagnes, un village proche d'Avignon. Ce séjour en Provence engendre deux chocs : celui de la lumière éclatante, et celui de la rencontre avec une jeune femme, Jeanne Polge. Pour décrire ce double coup de foudre, le peintre écrit à Char, qui lui a présenté cette femme et ce paysage : « Quelle fille, la terre en tremble d'émoi, quelle cadence unique dans l'ordre souverain. Là-haut au cabanon chaque mouvement de pierre, chaque brin d'herbe vacillait [..] à son pas. Quel lieu, quelle fille. » Une liaison passionnelle se noue à partir de l'automne.
Le peintre, dont la palette devient éclatante comme la lumière provençale, multiplie les sujets d'atelier portrait de sa fille Anne, nus dans les nuages », natures mortes. L'intensité charnelle des sensations vécues par cet homme se diffuse dans toute chose, jusque dans la texture d'une nappe rose posée sur une table.

Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet / Nicolas de Staël in his studio on rue Gauguet
Paris, été 1954
Photographies de Denise Colomb
Auteure d'une longue série de portraits photographiques d'artistes, Denise Colomb rencontre Staël à l'été 1954, dans son atelier de la rue Gauguet. L'artiste pose d'abord en chemise blanche, entouré de ses toiles et de son matériel de peintre. «Lui était très en dehors de la photo, sur le bord, un peu comme prêt à partir », se souvient Colomb. Un sac à dos est posé au sol, « qui donnait comme une impression de départ »>.
Elle demande à revenir le lendemain, souhaitant photographier Staël debout devant un mur nu. Le peintre se plante devant elle, en chemise et pantalon noirs, les bras croisés sur la poitrine. «En plein centre de l'image, me defiant, il semblait défier le monde. raconte Colomb. J'avais ma photo

Marseille
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Los Angeles County Museum of Art Estate of Hans G. M. de Schulthess

La Barque / The Small Boat
1953-1954
Stylo-feutre sur papier Collection particulière

Arbres/ Trees
1954
Pinceau et encre de Chine sur papier
Collection particulière

Trois poires/Three Pears
Paris, 1954
Huile sur toile
Collection particulière
Parfois, trois fois rien suffit : le tableau se fait leçon d'économie picturale. Quelques fragments de traits esquissés pour instaurer l'espace et la forme, et puis la couleur, gris-bleu, gris-vert, gris-beige. Pas de contrastes, uniquement des nuances, dans le ton, dans le geste, dans la qualité de la touche. Nicolas de Staël, l'homme du Parc des Princes et de la peinture comme un combat. sait aussi être un peintre de fa delicatesse de l'art comme recherche
musicale des intervalles, et du silence

Les Martigues
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Winterthur, Kunst Museum Winterthur Don de la Fondation Volkart, 2009

Agrigente / Agrigento
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Collection famille Landeau

La Route / The Road
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière
Le motif de la route est l'une des métaphores centrales de la vie et du monde pictural de Nicolas de Staël, ce peintre voyageur. Il s'inspire ici de la route vers Uzès, empruntée régulièrement pour rendre visite à Douglas Cooper, historien de l'art et collectionneur installé dans le Gard. Dans ce tableau où les lignes de fuite convergent vers trois silhouettes d'arbres posées à l'horizon, l'artiste nous fait éprouver l'irrésistible aspiration vers la profondeur. La route, c'est l'espace qui s'offre, qu'il faut aller chercher par la peinture et le voyage, inextricablement liés.

Etang de Berre
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière

Paysage sur fond rose / Landscape on Pink Background
Ménerbes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière
Il suffit de presque rien - tête en bas,comme ici, une composition retourner, avec trois bateaux-pour que quelque chose se libère. Formes, couleurs, matières, tout converge dans une même recherche de la vitalité. Staël, qui n'a cessé de franchir les frontières entre abstraction et réalité du monde, invente un équilibre nouveau, où la solidité des formes - leur évidente présence- va de pair avec une liberté aventureuse de la matière colorée. Ici, tout n'est que nuances, infiniment delicates, jeu de textures et de ton, bonheur de la peinture

Le Pont des Arts la nuit / The Pont des Arts at Night
Paris, 1954
Huile sur toile
Collection particulière
Le noir est un lleu: un espace profond d'où peut surgir un monde. Dans ce nocturne parisien, peint entre deux échappées au Sud et au Nord, l'artiste cherche les conditions d'une apparition. Le bleu du olel renforce le noir des bâtiments, tandis que le blanc des tours de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle suffit à éclabousser la nuit de sa lumière. Le noir, qui était si présent dans les premières années, revient loi sous une allure nouvelle: non plus opaque, mals profond, spatial et lumineux

Calais
1954
Huile sur toile
Collection particulière

Nature morte au billot / Still Life with Chopping Block
Paris, 1954
Huile sur toile
Collection particuliere

La Palette / The Palette
Paris, 1954
Huile sur toile
Collection particulière

Etude de nu / Study of a Nude
Antibes, 1955
Fusain sur toile
Collection particulière

Nus de profil / Nude in Profile
Antibes, 1955
Fusain sur toile
Antibes, musée Picasso Achat, 1988

Table à palette / Table with Palette
1954
Fusain sur papier
Paris, Centre Pompidou Musée national d'art moderne Centre de création industrielle Dation, 2014

Études de profil/ Study of a Profile
1954
Pinceau et encre de Chine sur papier
Collection particulière

Nu couché bleu / Blue Reclining Nude
Antibes, 1955
Huile sur toile
Collection particulière
Si Staël fit parfois appel à des modèles, le nu demeure indissociable de sa rencontre avec Jeanne Polge, en Provence, en 1953. Ce choc amoureux mêle une double fascination pour le paysage du Midi et pour la femme rencontrée. Le peintre reprend ici l'ancienne tradition picturale du nu couché, tout en portant à son comble la fusion femme-paysage. Jeanne est la, pur bloc de présence énigmatique, sur lequel un homme viendra buter.

1954-1955
ANTIBES
En septembre 1954, pour se rapprocher de Jeanne Polge, Nicolas de Staël s'installe seul dans une maison sur les remparts d'Antibes, face à la mer. La vie s'organise autour de son atelier et de sa liaison passionnelle, bouleversante. Alors que Jeanne prend peu à peu ses distances, Staël travaille avec acharnement : « Les tableaux foncent, écrit-il, il faudra bien leur donner tout ce que j'ai, le reste m'est odieux à présent. >>
Cherchant la fluidité et la transparence, le peintre utilise du coton et des tampons de gaze pour étaler la couleur. Marines et natures mortes se succèdent, Staël peignant alternativement les bateaux zébrant la Méditerranée ou les objets de l'atelier. Ses tableaux accueillent la vie sa quotidienneté, son intimité, son immensité. Si l'homme privé est désespéré par un amour impossible, l'artiste demeure, dans sa peinture, intact malgré tout. Les tableaux d'Antibes témoignent de la permanence de son émer-veillement devant le monde.
Le 16 mars 1955, Staël se tue en se jetant du toit-terrasse de son atelier, laissant derrière lui de nombreux tableaux en cours. Dans la lettre qu'il laisse à son marchand, Jacques Dubourg, il écrit : « Je n'ai pas la force de parachever mes tableaux. >>

Nature morte en gris/ Still Life in Gray
Antibes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière

Coin d'atelier fond bleu / Corner of the Studio Blue Background
Antibes, 1955
Huile sur toile
Paris, Centre Pompidou Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle Dation, 2014

La Bouteille noire / The Black Bottle
Antibes, 1955
Huile sur toile
Collection particulière

Le Bocal / The Jar
Antibes, 1955
Huile sur toile
Collection privée /
courtesy Applicat-Prazan, Paris

Le Saladier/ The Salad Bowl
Antibes, 1954
Huile sur toile
Collection particullere
Jaillissant dans le geste du peintre, le coup de pinceau coincide lcl avec la forme elle-même, celle d'une feuille de salade. Dans ce tableau, Staël conjugue ambition picturale et émervelllement devant la vie la plus triviale. Il est le peintre des choses, de l'enchantement qu'elles procurent à qui sait vraiment les regarder. Il est aussi ce chercheur inlassable qui, s'affrontant à un genre aussi classique et codifle que la nature morte, parvient à donner présence, densité et fraicheur à ce qu'll peint.

Nature morte au pot et pinceaux / Still Life with Pot and Brushes
Antibes, 1955 Huile sur toile
Collection particulière

Nature morte en gris / Still Life in Gray
Antibes, 1955
Huile sur toile
Suisse, collection particulière / courtesy Ekaterina Klim


L'Etagère / The Shelf
Antibes, 1955
Huile sur toile
Cologne, Museum Ludwig Acquisition avec le soutien de l'État de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à l'occasion du 150e anniversaire du Wallraf-Richartz-Museum, 1974

Pots et pinceaux dans l'atelier / Pots and Brushes in the Studio
Antibes, 1955
Huile sur toile
Courtesy Catherine & Nicolas Kairis / courtesy Applicat-Prazan, Paris

Les Poissons / Fish
Antibes, 1955
Huile sur toile
Collection particulière

Marine la nuit / Seascape at Night
Antibes, 1954
Huile sur toile
Collection particulière
Nicolas de Staël n'a eu de cesse de faire de son art une pratique aventureuse, ouverte à l'invention et au risque. Dans cette marine, sujet tant de fois affronté par le peintre, ce dernier aborde le motif du bateau de façon nouvelle. Travaillé en masses colorées bleu-vert, sous lesquelles se nichent des rose-orange, le navire est à la limite de la dislocation, comme si la nuit s'emparait de lui. Comme si, plus encore, le travail d'étalement de la couleur, cette recherche d'une qualité picturale particulière, venait l'emporter sur la construction de la forme.

Le Fort Carré d'Antibes
Antibes, 1955
Huile sur toile
Antibes, musée Picasso Achat, 1984

Bouteilles grises Gray Bottles
Antibes, 1955
Huile sur toile
Collection particulière

Bateau de guerre / Warship
Antibes, 1955
Huile sur toile
Suisse, collection particulière

Les Mouettes / The Seagulls
Antibes, 1955
Huile sur toile
Collection particulière

Le Concert / The Concert
Antibes, 1955
Huile sur toile
Antibes, musée Picasso Achat, 1986
Le 16 mars, Nicolas de Staël se suicide, laissant de nombreuses toiles inachevées, dont son fameux Concert le plus grand tableau qu'il ait jamais entrepris. Encore plein de l'émotion éprouvée au Théâtre Marigny à Paris, les 5 et 6 mars 1955, où l'on jouait Webern et Schönberg, l'artiste condense sous une forme renouvelée sa longue passion pour la musique et son spectacle visuel.
Cette œuvre monumentale a rejoint les collections du musée Picasso d'Antibes en 1986 et y est depuis exposée de maniere permanente. a quelques pas du dernier atelier de Staël

"Toute ma vie j'ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m'aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les sensations, toutes les inquietudes auxquelles je n'ai jamais trouvé d'autres issues que la peinture. "
Nicolas de Staël



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