vendredi 24 mars 2023

Léon Monet, collectionneur au musée du Luxembourg en mars 2023

Une jolie exposition, l'occasion de (re)voir des beaux tableaux et d'en apprendre un peu plus sur cette attachante famille Monet.

LÉON MONET
FRÈRE DE L'ARTISTE et COLLECTIONNEUR 
Le Musée du Luxembourg propose une exposition inédite sur Léon Monet (1836-1917), le frère aîné de Claude Monet. Au moment où celui-ci, de retour au Havre, peint Impression, soleil levant, Léon fonde la Société industrielle de Rouen. Il s'associe à la puissante société suisse Geigy & Co, spécialisée dans les couleurs synthétiques à l'aniline et décide alors d'apporter un soutien actif à son frère et à ses amis impressionnistes. Ce sont les prémices de la constitution d'une remar- quable collection d'art moderne. Les peintures et dessins de Monet, Sisley, Pissarro et Renoir issus de sa collection, mais aussi des estampes japonaises, des livres de recettes de couleurs, des échantillons de tissus, des documents d'archives et de nombreuses photographies de famille apportent un éclairage inédit sur cette personnalité haute en couleurs.

UNE JEUNESSE HAVRAISE
En 1845, Adolphe Monet, son épouse et leurs deux enfants, Claude et Léon, s'installent au Havre, accueillis par Jacques et Marie-Jeanne Lecadre, la demi-sœur d'Adolphe. Propriétaires de plusieurs magasins d'épicerie en gros, les Lecadre, sans descendance, prennent sous leur aile leurs neveux parisiens. Travailleur, le jeune Léon est recruté comme commis dans l'entreprise familiale. Il choisit bientôt une voie différente et décide d'étudier la chimie des couleurs. De son côté, Claude est un élève dissipé qui s'adonne à la caricature sur les bancs de l'école. Les feuilles de l'adolescent sont bientôt recherchées par les notables havrais qui n'hésitent pas à débourser un louis pour leur portrait satirique. En 1856, la rencontre avec le peintre Eugène Boudin est décisive pour le jeune artiste. Celui-ci l'incite à abandonner la caricature et lui propose de l'accompagner peindre en plein-air. II apprend le dessin et noircit sur le motif de nombreux carnets de cro- quis d'arbres, de bateaux et de roches sur la grève. La même année, Gustave Le Gray photographie la mer au Havre, relevant un double défi technique, celui de capter le contraste et le mouvement. En 1858, Monet présente à l'exposition de la Société des Amis des Arts du Havre son premier tableau, Vue prise à Rouelles, réalisé aux côtés de Boudin. Ce dernier présente des peintures dont Gibier et fruits sur une table dont Claude Monet s'inspirera pour sa Nature-morte aux perdrix de 1861-1862, acquise par Léon Monet.


CLAUDE MONET JARDIN EN FLEURS, ASAINTE-ADRESSE
Vers 1866 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, 1949 MNR 216, dépôt au musée Fabre, Montpellier

GUSTAVE LE GRAY LE SOLEIL COURONNÉ. NORMANDIE
1856-1857
Tirage sur papier albuminé d'après un négatif sur verre au collodion Marseille, MUCEM - musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, dépôt au musée des Beaux-Arts, Troyes

GUSTAVE LE GRAY 
LES BAINS DUMONT
 À SAINTE-ADRESSE OU
PLAGE DE SAINTE-ADRESSE
1856-1857
Tirage argentique sur papier albuminé
d'après un négatif sur verre au collodion Ville de Sainte-Adresse, dépôt au MuMa musée d'art moderne André Malraux, Le Havre

LE 1ER ALBUM DE DESSINS
L'album de cuir noir qui renferme 45 feuillets dessinés à la mine de plomb est une émouvante découverte. Il s'agit du premier carnet de dessins du jeune Monet, âgé de quinze ans. Six dessins portent la date de 1856, avec parfois la précision du jour - du 4 juillet au 9 août - qui permet de situer l'exécution de l'ensemble de ces croquis à l'été 1856. Les mentions précises de dates et de lieux semblent bien renvoyer à autant de séances de travail sur le motif. Comme à son habitude, Léon appose une mention, ici sur la page de garde « Acheté au Havre en 1893 - albums de dessins de mon frère Claude Monet. L. Monet ». On imagine la satisfaction du collectionneur d'avoir pu acquérir les deux plus anciens carnets de dessins de son frère, les dévoilant ponc- tuellement à quelques amateurs. Témoignage de leur affection mutuelle, Claude le dédicace << Souvenir de jeunesse, À mon cher « frère, ce 20 septembre 95. Claude Monet >>.

CLAUDE MONET ÉTUDE D'ARBRES
1857
Crayon sur papier Honfleur, musée Eugène Boudin, don Michel Monet, 1956

LA FAMILLE MONET
En 1836, un an après leur union à Paris, Louise Justine et Adolphe Monet accueillent un premier fils, Léon Pascal et en 1840, un second garçon, nommé Oscar Claude. Alors que Claude se destine très jeune à une carrière artistique, Léon choisit d'étudier la chimie des couleurs. En 1865, ce dernier épouse à Paris Etiennette Joséphine Robert dont Joseph Delattre fait un portrait au pastel quelques années plus tard. Le couple s'installe en 1869 à Déville-lès-Rouen, où Léon est représentant de commerce pour la société suisse Geigy & Co. Lorsque son employeur ouvre en 1892 une usine à Maromme, dans les environs de Rouen, Léon en est nommé directeur et recrute à ses côtés son neveu Jean, le fils de Claude qui le secondera comme chimiste. En 1897, deux ans après la mort de sa première femme, Léon se remarie avec Aurélie Blis. Déja mère d'Adrienne, âgée de 11 ans, Aurélie donne naissance à Louise Monet en 1901. La famille est établie sur le site de l'usine, dans une belle maison de maître en pierre et brique entourée d'un grand jardin, située le long de la rivière du Cailly. Parmi les familiers des lieux, on compte Blanche Hoschedé-Monet, que Léon côtoie très régulièrement depuis qu'elle a épousé son neveu Jean en 1897, mais également Claude qui, lors de ses nombreux séjours à Rouen, ne manque pas une occasion de partager la table de son frère. Ernest et Mary Billecocq et leurs enfants sont également des amis fidèles de Léon et Aurélie Monet.

CLAUDE MONET
 PORTRAIT D'ADOLPHE MONET
1865
Huile sur toile New Brunswick, Zimmerli Art Museum, don du Dr Ralph André Kling
Portraituré seul à deux reprises en 1865, Adolphe Monet apparaît ici à mi-corps sur un fond neutre. L'expression de son visage un peu figée se rapproche d'une photo- carte de Joseph et Émile Tourtin de 1869 (vitrine arbre généalogique). Claude conserve ce portrait de son père jusqu'à sa mort tandis que l'autre version, plus esquis- sée, est acquise par Léon. Adolphe pose aussi pour deux grands paysages de 1867, la Terrasse à Sainte-Adresse et Jardin à Sainte-Adresse, ce dernier acquis également par Léon Monet.

CLAUDE MONET 
PORTRAIT DE MICHEL MONET EN BONNET À POMPON
1880
Huile sur toile Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966

CLAUDE MONET 
PORTRAIT DE JEAN MONET
1880
Huile sur toile Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966

CLAUDE MONET
 PORTRAIT DE BLANCHE HOSCHEDÉ ENFANT
1880
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, dépôt au musée des Beaux-Arts, Rouen - Réunion des Musées Métropolitains (RMM)

CLAUDE MONET
 PORTRAIT DE MICHEL MONET ET DE JEAN-PIERRE HOSCHEDÉ
1880 Pastel sur toile Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966

AUGUSTE RENOIR 
CLAUDE MONET
1875 Huile sur toile Paris, musée d'Orsay, legs de M. et Mme Raymond Koechlin, 1931

AUGUSTE RENOIR 
PORTRAIT DE MADAME CLAUDE MONET
Vers 1873 Huile sur toile Paris, Musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966
Renoir est l'artiste qui a le plus souvent portraituré Claude Monet et son épouse. La dizaine de tableaux qu'il leur dédie date des séjours de Renoir à Argenteuil où le couple réside de 1871 à 1877. Représentés en buste, les modèles se détachent sur des fonds neutres et arborent des poses recherchées. L'artiste lit le jour-nal L'Évènement en fumant la pipe. Camille, souriante, paraît se tourner vers son époux. Ces toiles, qui semblent former une paire, ont d'ailleurs été réunies un temps dans un seul cadre. Offertes par Renoir à Monet, elles sont à la fois des « portraits de famille » mais aussi un jalon important dans la genèse de la collection impressionniste de Claude Monet.

AUGUSTE RENOIR
 CLAUDE MONET LISANT
Vers 1873 Huile sur toile
Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966

LES CARICATURES BILLECOCO
Par leurs dimensions, leur sujet et leur style, les «< caricatures Billecocq », signées « O. Monet » forment un groupe homogène exécuté vers 1857. Constitué de seize dessins, dont six exem- plaires sont présentés ici, l'ensemble a été acquis par Ernest Billecocq, qui fut un intime de Léon Monet. D'une feuille à l'autre apparaît le microcosme portuaire du Havre avec ses indivi- dus issus d'horizons et de milieux différents : des baigneurs, un anglais à favoris ou à moustache, un marin ou une jeune normande, représentés en buste ou en pied, de profil ou de face, autant de silhouettes croisées sur les quais du port. Les rehauts de gouache blanche ou ocre apportent une touche colorée et joyeuse à ces croquis «vivement » campés sur des feuilles de papier gris et leur confèrent déjà une tonalité picturale.

CLAUDE MONET
 ANGLAIS À FAVORIS
Vers 1857
Crayon et rehauts de gouache sur papier gris Collection particulière

CLAUDE MONET
 FEMME À LA BROCHE
Vers 1857
Crayon et rehauts de gouache sur papier gris Collection particulière

CLAUDE MONET 
PROGÉNITURE ANGLAISE
Vers 1857
Crayon et rehauts de gouache sur papier gris Collection particulière

LA VOLONTÉ DE TRANSMETTRE
La petite-fille de Léon Monet, Françoise, a grandi dans le souvenir et l'admiration de son grand-oncle Claude Monet. Choisissant d'étudier la médecine et plus spécialement la dermatologie, elle soigne et répare la peau, munie d'un scalpel ou d'un bistouri. Avec la même assurance, la même passion, elle manie les crayons et les pinceaux. S'initiant au dessin académique dans l'atelier du peintre Robert Savary, directeur des Beaux-Arts de Rouen, elle poursuit sa formation au-près de László Mindszenti. Françoise aime dessiner les oiseaux et les fleurs, les tissus et les chapeaux, avec des couleurs vives et gaies. Elle dessine constamment; son trait est précis, son regard souvent mo- queur. En 1951, Françoise se marie. La cérémonie se déroule dans la propriété de Maromme en présence d'Aurélie Monet, sa grand- mère, de ses parents et de son frère cadet Philippe. Une photographie réunit les jeunes mariés devant le portrait de Léon par Claude Monet, immortalisant ce moment de bonheur familial. Le 21 décembre 2017, Françoise décède près de Rouen, à l'âge de quatre-vingt-onze ans, non sans avoir émis un souhait, ou plutôt deux. Celui de voir un jour l'histoire de Léon et de Claude Monet, son grand-père et son grand- oncle, révélée. Et celui que le portrait de Léon Monet, peint par Claude en 1874, exposé pour la première fois aujourd'hui, rejoigne un jour les collections publiques francaises.

FRANÇOISE CAUVIN 
AUTOPORTRAIT, COIFFURE COURTE
Gouache, feutre noir et crayon blanc sur papier gris Collection particulière

La famille Monet

FRANÇOISE CAUVIN 
FEMMES ET OISEAUX BLEUS
1987
Encre de Chine et aquarelle sur papier Collection particulière

ADOLF RINCK 
PORTRAIT DE LOUISE JUSTINE AUBRÉE, ÉPOUSE D'ADOLPHE MONET
1839
Huile sur toile Giverny, Académie des Beaux-Arts

ADOLF RINCK 
PORTRAIT D'ADOLPHE MONET
1839
Huile sur toile
Giverny, Académie des Beaux-Arts

JOSEPH DELATTRE 
PORTRAIT DE MADAME LÉON MONET
Vers 1885
Pastel sur papier
Rouen, collection particulière Ancienne collection Léon Monet


LE PORTRAIT REFUSÉ
LE CHEF-D'ŒUVRE INEDIT
Ce portrait inédit est la seule représentation de Léon Monet par son frère Claude. Il est daté de 1874, une année décisive dans la carrière des deux hommes. Claude présente Impression, soleil levant, qui fait scandale à Paris. La même année, Léon commercialise les nouvelles couleurs à l'aniline de Geigy & Co et, en homme de réseaux, fonde la Société industrielle de Rouen. C'est ce frère au tempérament fort et trempé que Claude saisit. Léon porte une redingote, ornée d'une chaîne de montre et d'une épingle bien visibles sur l'étoffe sombre ainsi qu'un chapeau melon en feutre noir. L'intensité du regard est soulignée par le sourcil relevé qui traduit une certaine autorité chez le personnage. Après avoir esquissé le portrait en plein air dans le jardin de Maromme, Claude décide de le reprendre en atelier. Le peintre rouennais Joseph Delattre rapporte que Renoir et Sisley s'y opposèrent. Le portrait est ainsi resté tout imprégné d'une extraordinaire vitalité. Est-ce son aspect inachevé qui déplu à Léon au point que celui-ci décida de le cacher? Il faut davantage y voir une réaction spontanée de rejet devant la vision presque caricaturale que son frère donna de lui.

CLAUDE MONET
 PORTRAIT DE LEON MONET
1874 Huile sur toile Collection particulière Ancienne collection Léon Monet

LÉON MONET COLLECTIONNEUR
Léon Monet fait partie de la première génération de collectionneurs impressionnistes. Il acquiert très tôt un certain nombre de paysages et de natures mortes exécutés par son frère, à l'époque où celui-ci travaille au Havre à Honfleur et à Étretat, et peine à trouver des clients pour ses œuvres. Ces premiers achats, dont le caractère intime et familial ap- paraît d'emblée, sont vraisemblablement conclus vers 1870. L'amateur apprécie la peinture de Camille Pissarro, d'Alfred Sisley et d'Auguste Renoir, et cherche à les promouvoir localement, malgré l'indifférence des institutions. En 1872, Léon expose quatre peintures impressionnistes de sa collection à la 23° Exposition municipale de Rouen. Le 24 mars 1875, il est présent à la première grande vente impressionniste qui s'ouvre à l'hôtel Drouot, à Paris. Il acquiert au moins cinq peintures, se position- nant juste après le marchand Paul Durand-Ruel qui n'en achète pas moins de 18. De Renoir, Léon Monet emporte Paris, L'Institut au quai Malaquais et de Monet, Navires en réparation. Par ailleurs, des peintures et des- sins d'artistes rouennais, moins connus mais ayant de réelles qualités ar- tistiques, constituent un ensemble cohérent au sein de sa collection: on découvre ainsi les noms de Georges Bradberry, Marcel Delaunay, Joseph Delattre, Charles Frechon ou Narcisse Guilbert. Mais le sou-tien indéfectible de Léon envers son jeune frère Claude Monet, dont il acquiert plus d'une vingtaine d'œuvres, donne toute son unité et sa singularité à cette collection.

CLAUDE MONET 
VUE DE SAINTE-ADRESSE
1864 Huile sur toile Collection particulière Ancienne collection Léon Monet

MARCEL DELAUNAY
 VUE DE ROUEN AU BOUQUET DE DAHLIAS
1907
Huile sur toile
Collection particulière
Ancienne collection Léon Monet

GEORGES BRADBERRY 
LA PLAINE EN SEPTEMBRE
Vers 1908
Pastel sur papier marouflé sur toile
Collection Arnaud Tellier
Ancienne collection Léon Monet
Bradberry est originaire de Maromme, ville industrielle de la banlieue rouennaise où Léon Monet s'installe en 1892. Il aime peindre la campagne normande, notant les plus sensibles variations atmosphériques. Maniant avec virtuosité le pastel, Bradberry signe des oeuvres baignées d'une couleur et d'une lumière intenses. En 1907, il participe à la fondation de la Société des Artistes rouennais où il expose régulièrement. En 1909, il présente ce grand pastel, acquis probablement par Léon Monet à l'issue de l'exposition.

ALFRED SISLEY 
ROUTE DE LOUVECIENNES, EFFET DE NEIGE
Huile sur toile
1874 Potsdam, Museum Barberini Collection Hasso Plattner Acquis par Paul Durand-Ruel
à la vente du 24 mars 1875, 210 francs

CLAUDE MONET
 NAVIRES EN RÉPARATION
1873
Huile sur toile Édimbourg, National Galleries of Scotland, Ancienne collection Léon Monet Acquis à la vente du 24 mars 1875, 190 francs

CLAUDE MONET
 LA PLAGE DE SAINTE-ADRESSE
1864 Huile sur toile Tochigi, Tochigi Prefectural Museum of Fine Arts. Ancienne collection Léon Monet
Monet s'est placé sur la grève, en contrebas des falaises du cap de la Hève. Cette extrémité sud de la côte d'Albâtre, ce « bout du monde », est un lieu que l'artiste affectionne tout particulièrement et qu'il choisit comme sujet de plusieurs dessins et de son premier tableau de Salon, La Pointe de la Hève à marée basse, en 1865. Léon Monet acquiert de son frère quatre paysages normands exécutés en 1864, à un moment où les amateurs sont encore rares.

VILLÉGIATURES NORMANDES
Le village des Petites-Dalles, situé dans une échancrure géologique formée de très hautes falaises, jouit d'une situation exceptionnelle. À la fin du XIXe siècle, alors que l'aristocratie et la bourgeoisie découvrent les plaisirs balnéaires, Léon Monet tombe sous le charme du lieu qui a conservé son caractère authentique. En 1875, il acquiert un terrain et fait construire au bord de l'eau une petite maison en briques, baptisée la << Maison rose ». Claude Monet rend visite à son frère en 1880 et, séduit par le site, revient l'année suivante et de nou- veau en 1884. Chaque année, il peint les hautes falaises crayeuses et restitue habilement la grandeur sauvage des lieux. Léon acquiert deux des peintures de la série, l'une représentant la Falaise d'Aval, l'autre la Falaise d'Amont (collection particulière). Camille Pissarro, invité par Léon en septembre 1883, pose lui aussi son chevalet face à la mer. Malgré une pluie battante, il peint les ma- jestueuses parois de calcaire et la grève sombre en contrebas, tout comme Blanche Hoschedé-Monet le fera de manière plus synthétique. En 1897, Léon Monet revend la maison des Petites-Dalles. Dès lors, Léon et Aurélie Monet, accompagnés de leurs deux filles Adrienne et Louise, souvent rejoints par Jean et Blanche Monet, décident de passer la période estivale à Étretat, à Pourville et Varengeville (1903, 1904 et 1905) ou à Villers-sur-mer (1907).

LÉON MONET
LETTRE À CAMILLE PISSARRO AVEC DESSIN
Claude en train de peindre sur le motif aux Petites Dalles 21 octobre 1884 Encre noire sur papier Collection Géraldine Lefebvre
Un an après le séjour de Pissarro aux Petites-Dalles en 1883, Léon écrit au «soldat impressionniste » et lui renouvelle son invitation. Il illustre sa lettre d'un dessin à l'encre représentant son frère Claude en train de peindre devant la falaise et d'une devinette: « Qui que c'est que ça?» - immortalisant par ces quelques traits à l'encre noire la figure de l'artiste impressionniste dans le paysage.

AUGUSTE RENOIR 
PARIS, L'INSTITUT AU QUAI MALAQUAIS
1872
Huile sur toile Collection particulière, courtesy of Connery & Associates. Ancienne collection Léon Monet Acquis à la vente impressionniste de 1875, n°37, 70 frs.
Lors de la vente impressionniste de 1875, Léon Monet acquiert deux toiles de Renoir dont cette Vue de Paris (Institut). Renoir organise l'espace en différents plans et la profondeur est donnée par le subtil échelonne- ment des personnages qui, d'imposant au premier plan, deviennent de minuscules silhouettes sur le pont des Saints-Pères. Sur l'autre rive de la Seine, le beffroi de Saint-Germain l'Auxerrois, récemment construit (1861), se détache à contre-jour sur l'éclatante blancheur des nuages.

LA COLLECTION DANS LA MAISON DE MAROMME
En décembre 1892 la famille Monet s'installe à Maromme dans une maison à proximité immédiate de la manufacture. Une photographie de l'intérieur du salon, sur laquelle Léon pose aux cotés de son épouse Aurélie, nous apporte des renseignements importants sur la collection. L'accrochage en tapissage carac- téristique du XIXe siècle apparaît particulièrement soigné : les petits formats sont installés à hauteur de vue, sous les formats plus importants, encadrant au centre deux œuvres majeures l'une de Monet Villas à Bordighera et l'autre de Renoir, Paris, l'Institut au quai Malaquais (exposée). De part et d'autre, en hauteur on découvre deux toiles de 1872, de Renoir Boulevard des Italiens, et de Pissarro, Vue de Louveciennes. En-dessous, deux œuvres de Pissarro des Environs de Rouen de 1883 (exposée). Dans la partie basse du mur,en partie cachée, on dis- tingue une petite toile de Claude Monet, Vue de Sainte-Adresse (exposée) de 1864, qui représente le paysage que l'on pouvait admirer depuis la maison de la tante Lecadre, située dans le vallon de cette petite localité touristique. Et de la même année à peine visible, une toile qui a pu être identifiée Étretat (exposée), de datation, de dimensions et d'encadrement identiques au paysage de Sainte-Adresse. L'amateur réunit ici les pay- sages, reléguant les natures mortes dans la salle à manger et les portraits de famille dans les espaces plus intimes de la maison. S'il ne se formalise d'aucune chronologie pour les deux œuvres centrales, les petits paysages sont associés par paires selon leurs dimensions et dates de création, 1864 1872 et 1883.


BERTHE MORISOT 
SUR LA PLAGE, LES PETITES-DALLES.
1873
Huile sur toile
Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, collection de M. et Mme Paul Mellon Acquis par Gustave Manet à la vente du 24 mars 1875, 80 francs

NARCISSE GUILBERT 
ÉTRETAT. PORTE D'AMONT
Vers 1907
Huile sur toile
Collection particulière
Ancienne collection Léon Monet Acquis probablement à l'issue de l'Exposition de la Société des Artistes rouennais de 1908

CLAUDE MONET
 ÉTRETAT
1884
Huile sur toile Honfleur, musée Eugène Boudin, don Michel Monet, 1964

CLAUDE MONET
 ÉTRETAT
1864
Huile sur toile Collection « Peindre en Normandie »>, dépôt au musée Les Franciscaines, Deauville Ancienne collection Léon Monet
En 1864, Monet découvre le village d'Étretat et exécute deux petites toiles. À la recherche de motif insolite, l'artiste peint ici la falaise d'Amont vue depuis sa face nord avec au premier plan l'anse du «chaudron» à marée basse. Monet revient à Étretat en 1868, puis entre 1883 et 1885, peignant près de quatre-vingt-dix toiles du site, privilégiant les motifs des spectaculaires falaises de calcaire, la porte d'Aval et l'aiguille, ainsi que Ja Manneporte.

BLANCHE HOSCHEDE-MONET 
LES PETITES-DALLES
1885-1890
Huile sur toile Collection Anaïs Mary

CHARLES FRECHON
 FENAISON, ROUEN DEPUIS LA RIVE GAUCHE
1891-1895
Huile sur toile Rouen, collection particulière

ROUEN LA VALLÉE AUX CENT CHEMINÉE
Claude Monet s'intéresse peu à l'aspect industriel de la ville de Rouen. Seules quelques toiles, comme Le Ruisseau de Robec ou Le Convoi de chemin de fer et les deux carnets de dessins du musée Marmottan- Monet, à Paris, illustrent l'environnement dans lequel vivait et travail- lait Léon Monet. L'industrialisation des grandes villes au XIXe siècle n'est pas un thème central de la production de Claude, contraire- ment à Pissarro qui, lors de ses séjours à Rouen en 1883 et surtout en 1896 et 1898, est captivé par les cheminées fumantes des usines de la rive gauche. Aussi bien dans ses peintures que dans ses dessins et estampes, celui-ci cherche à montrer l'extension des villes et les nouveaux quartiers qui se forment autour des gares. En octobre 1883, fraîchement arrivé, il est convié à dîner chez Léon Monet à Déville-lès- Rouen. L'amateur lui dévoile sa collection, « des Monet et des petits Renoir superbes ! », l'occasion pour Pissarro de revoir une de ses pein- tures, une Vue de Louveciennes, acquise par Léon Monet en 1872. Les peintres Joseph Delattre, Charles Frechon et Georges Bradberry, par ailleurs dessinateurs de motifs décoratifs pour l'industrie textile, ont largement représenté la ville de Rouen et ses faubourgs.

CAMILLE PISSARRO
 PAYSAGE À ROUEN (CÔTE SAINTE-CATHERINE)
1885
Eau-forte et brunissoir
Rouen, musée des Beaux-Arts
Réunion des Musées Métropolitains (RMM)

CAMILLE PISSARRO 
LE COURS-LA-REINE OU BORDS DE LA SEINE À ROUEN
1884
Eau-forte et aquatinte
Rouen, musée des Beaux-Arts Réunion des Musées Métropolitains (RMM)

CAMILLE PISSARRO
 ROUEN, LA CÔTE SAINTE-CATHERINE
1883
Aquarelle papier sur
Rouen, musée des Beaux-Arts
Réunion des Musées Métropolitains (RMM)

BLANCHE HOSCHEDÉ-MONET 
VUE DU PORT DE ROUEN (LE PONT TRANSBORDEUR)
Vers 1900
Huile sur carton Collection Philippe Piguet

JOSEPH DELATTRE 
VUE DE ROUEN
Huile sur toile Rouen, galerie Bertran

CAMILLE PISSARRO
 LE PONT DE PIERRE ET LES BARGES À ROUEN
1883
Huile sur toile
Columbus, Columbus Museum of Art, don de Howard D. and Babette L. Sirakt

BLANCHE HOSCHEDE-MONET VUE GÉNÉRALE DE ROUEN
Vers 1902
Huile sur toile Collection particulière

Contre la rivière, un petit pavillon toujours clos, où se fabriquaient en secret les couleurs. exhalait une odeur bizarre et que l'on finissait par aimer. [...] je serais volontiers resté des heures à contempler le passage des toiles sous les rouleaux de cuivre brillant qui les chargeaient de couleur et de vie... >>
André Gide, Si le grain ne meurt, dans Journal 1939-1949. Souvenirs, Paris, Gallimard (Bibl. Pléiade), 1954, p. 349.

CAMILLE PISSARRO
 ENVIRONS DE ROUEN
1883
Huile sur toile
Collection particulière Ancienne collection Léon Monet Acquis auprès de l'artiste en 1883
Lors de son premier séjour à Rouen, en 1883, Pissarro exécute quinze toiles représentant presque uniquement la ville de Rouen. Pissarro aime la ville industrielle, les fabriques avec leurs cheminées fumantes et les grandes péniches multicolores sur les berges de la Seine. Seules les deux peintures acquises par Léon Monet, représentent la campagne dans les Environs de Rouen. Installé sur les hauteurs de Canteleu, Pissarro esquisse le panorama qui se déploie devant lui: une colline verdoyante qui descend doucement vers la petite cité industrielle de Déville-lès-Rouen. Le clocher polygonal de l'église Saint-Pierre avec sa longue flèche pyramidale se dresse à proximité d'une usine en briques rouges.

CLAUDE MONET
 INTÉRIEUR OU MÉDITATION OU MÉDITATION. MME MONET AU CANAPÉ
Vers 1871
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, legs de M. et Mme Raymond Koechlin, 1931 Ancienne collection Léon Monet

LES CRÉPONS JAPONAIS. PAPIER OU TISSU?
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, artistes, marchands et collectionneurs se passionnent pour les éventails uchiwa, les estampes ukiyo-e et les crépons japonais chirimen-e. Léon, qui a très certainement admiré à Giverny, l'impressionnante col- lection d'estampes constituée par son frère, est davantage séduit par les crépons, dont il acquiert au moins quinze pièces. Découvert en France vers 1860, le crépon est un simple papier d'emballage illustré protégeant les marchandises importées du Japon. L'estampe, sur ce papier crêpé, proche de l'étoffe, se caractérise par ses couleurs éclatantes à base d'aniline. On comprend dès lors l'intérêt de Léon pour cette production en provenance d'Extrême-Orient. Elles représentent - à l'excep- tion d'une scène guerrière - des figures féminines, prenant le frais sur une terrasse, visitant un jardin de pivoines ou occupées à la sériciculture.

OCHIAI YOSHIIKU
L'ÉLEVAGE DES VERS À SOIE: ESSAI DES GRAINES (CEUFS) DE SOIE
1868
Cachet d'éditeur: Kiya Bakurô yon (Kiya Sojirô) Cachet de graveur: Tatekawa Hori Hatsu

TOYOHARA KUNICHIKA ET TOYOHARA CHIKANOBU LA LUNE À LA RIVIÈRE SUMIDA
Cachet d'éditeur: Kiya Bakurô yon (Kiya Sojirô) Cachet de graveur: Hori Ei (Watanabe Eizo)

UTAGAWA KUNISADA II GENJI MODERNE. VISITE DU JARDIN
Cachet d'éditeur: Isetatsu
Gravures sur bois, tirages sur papier crêpe Collection particulière Ancienne collection Léon Monet

JOSEPH DELATTRE (TATIAS) 
L'ÉGLISE DE CANTELEU
Vers 1882
Huile sur bois Rouen, galerie Bertran

CLAUDE MONET À ROUEN UNE RÉVOLUTION DE CATHÉDRALE
En 1864, Claude se rend pour la première fois à Rouen. Il s'agit d'une halte sur la route du Havre en compagnie de son ami Frédéric Bazille. En 1872, alors qu'il présente à l'exposition municipale deux de ses peintures dont Méditation, Monet met à profit son séjour pour peindre des vues de la ville depuis le fleuve dont La Seine à Rouen (Shizuoka Prefectoral Museum of Art). Il faut ensuite attendre presque vingt ans pour qu'il revienne peindre à Rouen. En février 1892, après avoir exé - cuté deux vues génerales de la ville (Rouen, musée des Beaux-Arts), Monet se concentre sur la cathédrale (Paris, musee d'Orsay). Prenant pour sujet la façade du monument de pierre, l'artiste en fixe les plus fugaces variations lumineuses. En 1895, il expose à la galerie Durand- Ruel à Paris le fruit de ses campagnes de 1892 et 1893, provoquant, pour reprendre le titre de l'article élogieux de Georges Clemenceau, une Révolution de cathédrale dans le monde de l'art.

CLAUDE MONET 
LA CATHÉDRALE DE ROUEN. LE PORTAIL ET LA TOUR SAINT-ROMAIN. PLEIN SOLEIL
1894
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay,
legs du comte Isaac de Camondo, 1911

CLAUDE MONET
 LA SEINE À ROUEN
1872
Huile sur toile
Shizuoka, Shizuoka Prefectoral Museum of Art
Sur les onze peintures exécutées en 1872, huit sont des vues de la Seine et de ses eaux aux reflets changeants. Monet construit sa composition selon une diagonale formée par les masses sombres des piquets d'amar- rage des bateaux. Contrairement à Pissarro, Monet ne prête guère attention à l'agitation des quais et porte plutôt son regard sur les majestueuses silhouettes des trois-mâts qui mouillent dans le port et la flèche de la cathédrale qui se dessine déjà à l'arrière-plan.

CLAUDE MONET
 VUE GÉNÉRALE DE ROUEN
1892
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts
Réunion des Musées Métropolitains (RMM)

CLAUDE MONET À GIVERNY. PEINDRE LA COULEUR
En 1899, Monet commence à peindre son jardin de Giverny qui devient rapidement son unique thème d'inspiration. Il travaille alors ses motifs dans des formats variés de plus en plus grands. En 1912, on lui diagnostique une cataracte qui altère sa perception des couleurs. Ayant de plus en plus de mal à reconnaître les nuances et les teintes, Monet se fie uniquement aux étiquettes de ses tubes de couleurs et à l'ordre qu'il adopte sur sa palette. Il peint la première série de la Maison vue du jardin aux roses en 1922, en s'installant sous les tilleuls au sud-ouest de sa maison. Avant d'entamer la seconde série sur le même thème, l'artiste exécute Le Jardin à Giverny, qui sans rompre avec le sujet est une de ses toiles les plus expressément abstraite. La touche large et libre s'affirme de manière autonome par rapport au sujet et tend à s'imposer de plus en plus en une gestuelle. Monet invente ici un nouveau langage pictural en éliminant les détails réa- listes des peintures précédentes - la maison, le ciel, les bosquets et les roses - pour ne conserver que les masses colorées, les vert, rouge et jaune comme autant de signes d'une nature foisonnante.


CLAUDE MONET 
BASSIN AUX NYMPHÉAS
1918-1919
Huile sur toile
Paris, Musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966
Cette peinture traduit l'audace de Monet dans sa der- nière période, tant dans la couleur que dans la touche picturale. Dans cette partie du bassin, la courbe de la rive est ornée de nymphéas jaunes et rouges et de bou- quets d'herbes aquatiques aux différentes nuances de vert. La composition, rythmée essentiellement par les rouges exacerbés, ne fait état d'aucun repère spatial et se rapproche d'un monochrome abstrait. La touche extrêmement libre et l'aspect non fini de cette toile incitent à la rapprocher des Ponts japonais exécutés entre 1918 et 1924.

CLAUDE MONET
 LE JARDIN DE GIVERNY
Vers 1922-1926
Huile sur toile Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966

CLAUDE MONET
 LA MAISON DE L'ARTISTE VUE DU JARDIN AUX ROSES
Vers 1922-1924 Huile sur toile,
Paris, musée Marmottan Monet, legs Michel Monet, 1966

SACHA GUITRY 
CEUX DE CHEZ NOUS. MONET À GIVERNY
1915
Film documentaire muet 50 mm.
En 1914, Sacha Guitry décide de créer une encyclopédie vi- vante, présentant ceux qui incarnent le génie intellectuel et artistique français. Prenant sa caméra, il immortalise entre autres Auguste Rodin et ses gestes agacés, Claude Monet, peignant dans son jardin. Sur la pellicule, Monet s'anime, sourit ou peint en fumant sa cigarette. En 1952, Guitry commentant les séquences, ne tarit pas d'éloges sur le maître de Giverny, avant de conclure: << Son jardin était un des plus beaux du monde. Il en décidait la cou- reu. quelques mois à l'avance. >>

LA PALETTE DE CLAUDE MONET: PIGMENTS NATURELS OU SYNTHÉTIQUES?
Claude Monet ne s'exprime guère, dans ses écrits et sa corres- pondance, au sujet des couleurs qu'il utilise. Il a pourtant évo- lué dans un milieu particulièrement intéressé par ces questions. Au Havre, ses mécènes Francois et Joachim Gaudibert sont marchands de couleurs; à Paris, Ernest Hoschedé, client de la première heure, dirige une maison, spécialisée dans le com- merce des indiennes. À Maromme, Léon Monet commercialise les couleurs synthétiques d'aniline qui permettent de produire une grande diversité de bleus, violets, mauves et rouges. Au cours du XIXe siècle, ces pigments synthétiques attirent l'atten- tion des artistes par leurs propriétés, et notamment leur éclat. Ce qui est en jeu n'est pas tant le « rouge », par exemple, mais l'opposition entre pigments naturels (vermillon, cochenille, ga- rance) et pigments synthétiques (l'alizarine, le rouge de garance obtenu chimiquement). L'examen de la palette impressionniste a confirmé que la presque totalité des pigments utilisés par les artistes était synthétiques. Il est toutefois impossible d'affir- mer que Claude Monet s'est servi des couleurs mises au point et commercialisées par Léon Monet. Mais l'hypothèse est plus que séduisante, et n'attend qu'une analyse pigmentaire de la palette de Claude Monet.




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