vendredi 24 mars 2023

Pastels, de Millet à Redon au musée d'Orsay en mars 2023


Une belle exposition pour valoriser la collection permanente !


PASTELS DE MILLET À REDON
Ni véritablement dessin, ni peinture, le pastel est une technique graphique à part unissant la ligne et la couleur. La vibration de la «< fleur » des pigments formée à la surface du support offre un rapport direct à la matière et à la couleur pure qui stimule l'œil et en appelle aux sens.
L'art du pastel est multiforme, le trait se faisant ondulation, zébrure, strie, hachure, lorsque le pigment n'est pas concentré en aplat ou fondu par l'estompe. Sa souplesse d'utilisation le rend particulièrement apte à rendre les effets de matiere ou le velouté de la peau et à créer des effets de trompe-l'œil.
Triomphante au XVIIIe siècle avec Rosalba Carriera, Maurice Quentin de la Tour ou Chardin, qualifiés de << peintres au pastel », la technique passe de mode avant de connaître une véritable renaissance au milieu du XIXe siècle. Elle s'affranchit du portrait et s'étend à tous les sujets, comme le montre cette exposition de quatre- vingt-quinze œuvres parmi les plus importantes de la collection du musée d'Orsay


LE PASTEL PASTEL
Le pastel se présente sous forme de bâtonnets composés de pigments mélangés à une charge blanche comme de l'argile ou du kaolin, et à un liant, généralement de la gomme arabique, qui permet d'amalgamer cette poudre de couleur. Le type de liant utilisé et sa quantité déterminent le degré de dureté du pastel. Les pigments, d'origine minérale, végétale ou synthétique, sont à quelques exceptions près les mêmes qu'en peinture. Le pastel est une technique dite <
Ce médium, fragile dans le temps, pose des problèmes de conservation: certains pigments se dégradent à la lumière, il est sujet aux moisissures, et la poussière est son ennemi. Très sensible aux vibrations, le moindre choc, la moindre éraflure, peut endommager la «fleur du pastel >> Il doit donc être protégé par un verre, et exposé à une lumière réduite.

JEAN-FRANÇOIS MILLET 1814-1875
Le Bouquet de marguerites
vers 1871-1874
Pastel sur papier beige et châssis entoilé
Millet est l'un des grands initiateurs du renouveau du pastel, qu'il utilise de manière graphique, sans chercher à imiter la peinture par le biais de l'estompe, qui consiste à «fondre >> le pastel en l'étendant. Il joue ici sur la capacité du médium à créer l'illusion et à tromper l'oeil, le rebord de la fenêtre accentuant l'impression d'entrer dans l'espace du pastel. Le visage souriant de sa fille Marguerite s'efface derrière l'éclatant bouquet, dont la vibrante intensité rappelle que le terme de << fleur de pastel » pour désigner les pigments affleurant à la surface du papier est bien choisi.

JEAN-MARIE FAVERJON 1823-1873
Autoportrait en trompe-l'oeil vers 1868
Pastel, graphite, peinture dorée sur papier gouaché
Cet autoportrait, saisissant de vérité, surgit d'un cadre fictif qui renforce l'effet de trompe-l'oeil. Les doigts salis de pigments, Faverjon se représente montrant l'une de ses œuvres à sujet mythologique, suggérant peut-être par cette mise en abyme que le comble de l'art est l'illusion du réel.


1 SOCIABILITÉS
Le pastel prend son essor au XVIIe siècle et gagne ses lettres de noblesse au XVIIIe, traditionnellement considéré comme son âge d'or. Médium sans égal pour rendre les effets de matière et le velouté de la carnation, le pastel est alors presque exclusivement appliqué au portrait. Délaissé sous la révolution française, il revient en force pendant la seconde moitié du XIXe siecle qui renoue avec le genre du portrait dont la bourgeoisie, soucieuse d'asseoir sa nouvelle position dans la société, se montre particulièrement friande.

Des pastellistes comme Émile Lévy, Jacques-Emile Blanche, ou encore Louise Breslau s'inscrivent dans la tradition du portrait aristocratique avec de grands formats voués à rivaliser avec la peinture. Ils deploient l'extraordinaire souplesse de la technique pour mettre l'accent sur la richesse des intérieurs ou le raffinement des étoffes, tandis qu'un Manet, par exemple, privilégie les portraits en buste et les lignes épurées pour saisir le type de la «< parisienne ».

LOUISE BRESLAU 1856-1927
La petite fille au chien blanc ou portrait de Mlle Adeline Poznanska 1891
Pastel sur papier
Louise Breslau, artiste suisse, rencontre un grand succès avec ses pastels, jugés plus doux que ses peintures. Cette petite fille modèle est bien dans la tradition du portrait aristocratique, mais son exécution révèle aussi une admiration de Breslau pour Renoir. Les femmes sont nombreuses à s'imposer comme pastellistes au XIXe siècle, et exposent en force au Salon, le pastel étant longtemps perçu comme un art d'agrément. Mais la création de la société des pastellistes de France en 1885, avec de nombreux hommes parmi les sociétaires, signale la vogue de cette technique renouvelée.

ÉMILE LÉVY 1829-1890
Portrait de Marie de Heredia
1887
Pastel sur papier beige
Lévy est un grand pastelliste des années 1880. Son ami le poète parnassien José-Maria de Heredia, père de Marie, louera son aptitude à manier le « bâton versicolore... sans ternir sa fleur, son duvet velouté, sa brillante poussière d'aile de papillon ». Marie de Heredia, que Lévy représente ici avec la sagesse attendue d'une jeune fille de bonne famille, est la première femme à obtenir le prix de littérature de l'Académie française en 1918, sous son nom de plume, Gérard d'Houville. Épouse d'Henri de Régnier, elle fut une femme indépendante, intimement liée à Pierre Louys et Gabriele d'Annunzio.

MARIE BASHKIRTSEFF 1860-1884
Portrait de Madame X 1884
Pastel et fusain sur papier
Marie Bashkirtseff était la grande rivale de Louise Breslau à l'Académie Julian, l'une des rares écoles de peinture alors ouvertes aux femmes. La notoriété de cette artiste d'origine ukrainienne a pâti de sa mort précoce, à 25 ans, de la tuberculose, et de la destruction d'une partie de ses œuvres au cours de Seconde Guerre mondiale, ne laissant qu'un corpus d'oeuvres restreint à la postérité.

GEORGE DESVALLIÈRES 1861-1950
Portrait d'homme
1891
Pastel sur papier collé sur châssis entoilé
Don de M. Paul Brame, 1951

ÉDOUARD MANET 1832-1883
Portrait d'Irma Brunner,
dit aussi La Femme au chapeau noir vers 1880-1882
Pastel sur toile et chassis
Manet se tourne vers le pastel au tournant des années 1880, principalement pour des portraits de femmes en buste. On invoque ses difficultés à se tenir debout, conséquences de la syphilis, pour justifier le choix de ce medium. Pourtant, ce n'est pas que par « ou nécessité qu'il l'adopte, mais aussi par esprit d'émulation, en voyant les oeuvres de Degas et d'Eva Gonzalès, son élève, qui excelle dans cet art. Manet utilise souvent le pastel sur des toiles préparées pour la peinture, qui retiennent mal les pigments et posent de véritables défis de conservation.

ANTONIO DE LA GANDARA 1861-1917
Portrait de Marie-Louise Revillet, dite Sarah Valanoff vers 1888
Pastel sur papier marouflé sur toile
Sarah Valanoff (1862-1949) était une comédienne renommée pour sa blondeur, vénitienne à en juger par ce pastel d'Antonio de La Gandara. L'artiste était alors sensible à la sobriété des portraits peints par Whistler, jouant beaucoup du noir et de ses superpositions. La Gandara utilise quant à lui la matité et le velouté du pastel pour obtenir cette profondeur dans le portrait de Sarah Valanoff. Artiste et modèle eurent à cette époque une liaison dont naquit une fille à qui revint ce portrait.

ÉDOUARD MANET 1832-1883
Portrait de Madame Émile Zola
vers 1879
Pastel sur toile et châssis Legs de Mme Émile Zola, 1918

BERTHE MORISOT 1841-1895
Portrait de Madame Edma Pontillon, née Edma Morisot
1871
Pastel sur papier
Berthe Morisot réalise ce portrait alors que sa sœur Edma est confinée, peu avant l'accouchement de son deuxième enfant. Il s'agirait seulement de son troisième pastel sur près de deux cents. Il révèle déjà son aisance avec ce medium et sa capacité à en varier les effets. Elle l'utilise ici mouillé, en épaisseur pour le visage, et brosse les pigments qui forment les motifs fleuris du canapé. Le fond est traité en aplat de pigments gris pâle, un procédé qu'affectionne aussi son ami et futur beau- frère Edouard Manet.

PASCAL DAGNAN-BOUVERET
1852-1929
Portrait de jeune femme en deuil
1889
Pastel sur papier gris bleu collé sur châssis entoilé Legs de l'artiste, 1930

KARL BENNEWITZ VON LÖFEN
1856-1931
Portrait d'Yvette Guilbert 1899
Pastel sur carton
Yvette Guilbert fut une chanteuse de café-concert à l'immense popularité. Elle a été portraiturée par de nombreux artistes, notamment par Toulouse-Lautrec dont elle n'appréciait pas toujours l'image que le peintre renvoyait d'elle. En revanche, elle aimait tout particulièrement ce portrait par von Löfen qui trônait chez elle au-dessus d'une cheminée.

JACQUES-ÉMILE BLANCHE 1861-1942
Portrait de femme
1887
Pastel sur toile
Achat, 1893

2 TERRE ET MER
Au mitan du XIXe siècle, l'usage du pastel s'étend à tous les genres. Jean-François Millet l'utilise pour représenter la noblesse de la vie rurale, comme dans ses peintures. Certains critiques, comme Joris-Karl Huysmans, préfèrent d'ailleurs ses pastels à ses huiles: «dans le pastelliste, peignant la solitude, on trouve un suggestif et douloureux artiste, un maître terrien qui a senti la nature à certaines heures et l'a ... gravement, éloquemment rendue. >>
S'il est un pionnier, Millet n'est toutefois pas seul à s'intéresser aux paysans. Le choix de ces sujets nouveaux coïncide avec une période d'accélération de l'exode rural dans le sillage de la révolution industrielle. Emerge alors la nostalgie d'un mode de vie ancestral qui jusqu'alors semblait éternel. Le travail des moissonneurs et des pêcheurs est tantôt héroïsé, tantôt traité avec pittoresque. Les costumes des bretonnes et leurs coiffes frappent de nombreux pastellistes, qui chercheront à les immortaliser dans tout leur éclat de bleu roi, de jaune vif, et de blanc.

PAUL GAUGUIN 1848-1903
La Petite Gardeuse de porcs
1889
Pastel sur papier beige
Donation de Mlle Huc de Monfreid

CHARLES MILCENDEAU 1872-1919
Bretonne devant l'église de Pont-l'Abbé
1897
Crayon et pastel sur papier gris-beige

ODILON REDON 1840-1916
Jeune fille au bonnet bleu
Début des années 1890
Pastel sur papier
Redon joue ici du trompe-l'oeil. En dessinant des cadres qui semblent s'emboîter mais se chevauchent, il introduit différents niveaux de représentation. Comme à son habitude, il se laisse guider par le medium, ou ce qu'il nomme les «< incitations de la matière ». Après avoir abandonné une autre composition, un profil également, Redon a tourné cette feuille à 180° pour faire le portrait de son fils Arï, transformé ensuite en portrait de jeune femme à la coiffe bretonne d'un bleu profond et éclatant.

PIET MONDRIAN 1872-1944
Départ pour la pêche vers 1900
Pastel, aquarelle et fusain sur papier

JEAN-FRANÇOIS MILLET 1814-1875
La Baratteuse
vers 1866
Pastel et crayon noir sur papier brun et châssis entoilé
Millet adopte un grand format pour représenter une jeune paysanne barattant la crème de lait pour obtenir du beurre. La lumière tamisée provenant de la cour et d'une fenêtre, que l'on devine à gauche, poétise cette scène, qui évoque l'art hollandais et flamand du XVIIe siècle. La solidité de la figure est à l'opposé du «vaporeux»> si souvent reproché au pastel. Comme à son habitude, Millet part d'un dessin au crayon noir avant de le rehausser et de le construire au pastel, avec une palette de tons chauds volontairement réduite.

LÉON LHERMITTE 1844-1925
Moissonneurs
s.d.
Pastel sur carton

JEAN-FRANÇOIS MILLET 1814-1875
La Femme au puits vers 1866-1868
Pastel et crayon noir sur papier beige chamois

3 MODERNITÉS
Le XIXe siècle est pour le poète Émile Verhaeren celui des «Villes tentaculaires», qui se développent à mesure que les campagnes se vident. La population et le paysage urbains, la vie ouvrière, la société de loisirs et le monde du spectacle offrent autant de nouveaux sujets aux impressionnistes. Rejetant la peinture d'Histoire, leur quête du vrai en fait des observateurs du quotidien. Le pastel devient une technique privilégiée pour saisir ce monde en mouvement. Eugène Boudin, dont Monet dira qu'il lui a ouvert les yeux, leur montre la voie avec ses études en plein air, «
Degas, s'il a laissé des paysages au pastel, s'intéresse plus encore au travail des femmes, ce qui fait dire aux frères Goncourt, dans leur Journal, que cet <<énamouré du moderne >> a jeté «<[...] son dévolu sur les blanchisseuses et les danseuses >>. Il les observe inlassablement dans leurs activités quotidiennes, en retrait, et sans porter de jugement sur leur condition.

EDGAR DEGAS 1834-1917
La Repasseuse
1869
Fusain, craie blanche et pastel sur papier beige
Degas traite pour la première fois dans ce pastel le sujet moderne de la repasseuse, qu'il explorera jusqu'en 1895. Il observe le monde du travail avec acuité, sans idéalisation de ses modèles. Si ce thème est concomitant du naturalisme de Zola, Degas ne cède pas au misérabilisme. Il utilise ici le pastel de manière graphique et tire profit du papier beige laissé en réserve pour modeler la repasseuse au fusain et à la craie blanche et dénoter la robustesse de la jeune travailleuse.

EDGAR DEGAS 1834-1917
Chez la Modiste
vers 1905-1910
Pastel sur papier

CLAUDE MONET 1840-1926
Le Pont de Waterloo à Londres
1900
Pastel sur papier vergé beige rosé
Les pastels de Monet sont relativement rares. Il recourait ponctuellement à ce médium pour travailler sur le motif avec une grande rapidité d'exécution. Ici, à Londres, alors qu'il attend la livraison de sa caisse de matériel et de ses toiles, il se montre impatient de capturer les effets de brouillard sur la Tamise, plutôt que l'architecture du pont de Waterloo. Il y parvient avec une remarquable économie de moyens et une gamme restreinte de bleus et de blanc.

GUSTAVE CAILLEBOTTE 1848-1894
Le Nageur
1877
Pastel sur papier
Les critiques du XIXe siècle ont longuement débattu du mérite de l'inclusion du costume contemporain dans la peinture moderne, souvent jugé sans intérêt dans le cas des costumes noirs, voire disgracieux. Le costume rayé de ce nageur au bord de l'Yerres, dans ce cadrage audacieux, apparaît comme un clin d'oeil à ces critiques.

EUGÈNE BOUDIN 1824-1898
Plage
1862-1870
Pastel sur papier
Boudin se montre précurseur de l'impressionnisme dans son ambition de saisir la mouvance des nuages dans ses études en plein air: << Nager en plein ciel. Arriver aux tendresses du nuage. Suspendre ces masses au fond, bien lointaines dans la brume grise, faire éclater l'azur ». Il croque également ici en quelques traits les silhouettes de ses contemporains qui goûtent aux joies de la vie en bord de mer dans cette nouvelle société de loisirs.

EUGÈNE BOUDIN 1824-1898
Quai
s.d.
Pastel sur papier beige
Musée national du Luxembourg

EUGÈNE BOUDIN 1824-1898
Plage
1862-1870
Pastel sur papier bleu
Musée national du Luxembourg

EDGAR DEGAS 1834-1917
Étude d'un noeud de ruban
1887
Pastel bleu et fusain sur papier gris-bleu
La marque de la vente d'atelier de Degas en 1918 apposée à ce pastel ne respecte par l'orientation du dessin. Le ruban est en effet ici noué à la taille d'une danseuse assise et penchée en avant, comme dans le pastel Danseuse assise: penchée en avant, elle se masse le pied gauche accroché à proximité.

EDGAR DEGAS 1834-1917
Danseuses
entre 1884 et 1885
Pastel sur papier
Degas saisit sur le vif un groupe de danseuses en pleins préparatifs avant le ballet. Derrière elles, une fenêtre s'ouvre sur les toits de Paris. Leurs visages sont abstraits. L'artiste privilégie les effets de lumière en contre-jour sur le tulle blanc des tutus et la peau laiteuse des dos et des cous gracieux des jeunes femmes. Comme il le faisait souvent, Degas a rajouté des bandes de papiers en les <> pour permettre à sa composition d'évoluer.

DEGAS PASTELLISTE DEGAS
Le pastel est fondamental pour Degas: il utilise presque exclusivement ce médium à partir de 1888-1890, comme un aboutissement de ses recherches assidues sur le dessin et la couleur. Le pastel lui permet également de reprendre ses compositions de manière plus aisée que la peinture. Degas avait abordé la technique dans le respect des traditions avant de l'employer de manière radicale: le pastel est utilisé à sec ou délayé à l'eau, écrasé ou travaillé à la vapeur, par gommage, et avec des types de tracés multiples.
L'un de ses principaux apports au renouveau du pastel réside dans les techniques mixtes. Il n'est pas rare que Degas combine pastel et détrempe, ou peinture à l'huile. À partir du milieu des années 1870, il rehausse de pastel ses monotypes, qu'il décrit comme « des dessins faits à l'encre grasse [sur une plaque de métal] et imprimés». Il emploie aussi des supports très variés tels que des papiers colorés ou préparés, mais aussi des calques, afin de reporter rapidement des motifs qui lui sont chers.

EDGAR DEGAS 1834-1917
Portrait d'amis sur scène (Ludovic Halévy et Albert Boulanger-Cavé dans les coulisses de l'Opéra) 1879
Détrempe et pastel sur papier beige
Degas représente ici deux de ses amis les plus proches à l'Opéra Garnier, inauguré en 1875. À gauche, on reconnait l'écrivain et librettiste Ludovic Halévy, qui posséda ce pastel, devant un décor, en pleine conversation avec Albert Boulanger-Cavé, employé au ministère de l'Intérieur. Degas adopte un cadrage inattendu et une vue en plongée sur les coulisses. Il rehausse les tons foncés des costumes grâce aux deux points rouge vif des légions d'honneur et conçoit un cadre vert qui fait ainsi écho aux tons du décor.

EDGAR DEGAS 1834-1917
Danseuse assise: penchée en avant, elle se masse le pied gauche
vers 1881-1883
Pastel sur papier marron contrecollé sur carton

EDGAR DEGAS 1834-1917
Deux danseuses au repos
vers 1910-1912
Pastel et fusain sur papier chamois
Degas construit au fil des ans un répertoire de motifs qu'il reprend à l'envi, dans différentes techniques. Il y puise ici celui de la Danseuse assise qu'il avait traité vingt ans auparavant, et lui adjoint une seconde danseuse. Vers la fin de sa vie, Degas n'utilise pratiquement plus que le pastel, qui lui permet de fusionner ligne et couleur. Il semble que ses sérieux troubles oculaires aient joué un rôle dans l'emploi de teintes de plus en plus vives.

ESSENCE DE LA NATURE
Le faible encombrement du pastel le rend facilement transportable et adapté au travail en plein air. Réunissant, dans un même outil, la possibilité de la ligne et de la couleur il est idéal pour transcrire les changements atmosphériques et les effets de lumière en toute rapidité. Le paysage au pastel trouve sa source au début du XIXe siècle. Lors d'un voyage en Suisse en 1807, charmée par ce pays, Elisabeth Vigée Le Brun, dit y avoir réalisé «environ deux cents paysages au pastel». Delacroix fera lui aussi des pochades de ciels au pastel, et Eugène Boudin, que Corot appellait le << roi des ciels >>, se placera dans son sillage. Toutefois, à leurs yeux, ces œuvres ne sont pas vouées à être exposées: elles ont valeur d'études ou de souvenirs.
Des pastellistes comme Pierre Prins, Ernest Duez, ou encore Henri Gervex se mettent à l'école de la nature, sur le motif, dans un même souci de vérité que Boudin et les impressionnistes. Ils produisent des pastels très enlevés, traités avec vigueur. Mais la matière même de ce médium, fragile, éphémère, et sa propension à créer des surfaces aériennes peut aussi conférer au paysage un caractère étrange et éthéré qu'exploitent les artistes symbolistes comme Lévy-Dhurmer et Rippl-Ronaï.

PIERRE PRINS 1838-1913
Ciel breton au Pouldu
1892
Pastel sur papier gris
Pierre Prins, qui était proche de Manet, a fait de nombreux pastels révélant son intérêt tout particulier pour la lumière diffuse et les effets de soleil dans la brume marine. Il se montre toutefois ici le digne héritier de Boudin en prenant pour sujet les nuages cotonneux de Bretagne reflétés sur la mer.

EDGAR DEGAS
1834-1917
Un îlot en pleine mer
vers 1890

HENRI GERVEX 1852-1929
Paysage marin (Dieppe)
vers 1885
Pastel sur papier

ERNEST DUEZ 1843-1896
Paysage
vers 1885
Pastel sur papier
Parisien d'origine, Duez s'installe à Villerville au milieu des années 1870. Comme les impressionnistes, il est séduit par la beauté de la côte normande. Il s'y fait construire un atelier-verrière en bord de mer pour pouvoir continuer à travailler sur le motif pendant l'hiver. Ce paysage animé, probablement réalisé dans cette région, montre bien que Duez excelle à retranscrire au pastel les percées fugitives du soleil à travers des ciels orageux.

LUCIEN LÉVY-DHURMER 1865-1953
Le Lac Léman
1925
Pastel sur papier

LUCIEN LÉVY-DHURMER 1865-1953
La Calanque
vers 1936
Pastel sur papier et châssis entoilé
Lévy-Dhurmer réalise des croquis au crayon bleu des formations rocheuses, in situ, sur la Côte d'Azur. Il insère des notations de couleurs pour faciliter son travail en atelier. Malgré le réalisme de la calanque, les couleurs intenses et acides utilisées irradient le paysage d'une lumière surnaturelle et lui conférent une aura mystique. Il réalise un << quatuor » de pastels d'un même paysage à différents moments de la journée (Matin, 6 heures du soir, Crépuscule, Nocturne), sans doute en écho aux séries de Monet.

ANDRÉ DEVAMBEZ 1867-1944 Procession au crépuscule vers 1902
Pastel sur toile
Devambez s'essaya à toutes les techniques et à tous les genres mais les pastels sont rares dans son œuvre. Celui-ci date du début de sa carrière et représente une procession aux chandelles, peut-être à l'occasion des célébrations de l'Assomption de la Vierge. Devambez joue sur le contraste entre les tonalités bleutées que prend le paysage au crépuscule et le feu des derniers rayons de soleil sur le bouquet d'arbres au premier plan.

MARIA BOTKINA 1875-1952
Paysage d'automne
vers 1900
Pastel sur papier collé sur carton
Maria Botkina, dite Marie Botkine en France, est une artiste issue d'une famille de collectionneurs russes. Elle est moins connue pour ses pastels que ses céramiques et ses portraits réalisés par son ami Odilon Redon, Valentin Serov et Paul Troubetskoy. Les couleurs embrasées de ce pastel et la scansion des arbres décimés au premier plan évoquent l'esthétique nabi.

JÓZSEF RIPPL-RÓNAI 1861-1927 vers 1892-1895
Un parc la nuit
Pastel sur papier beige, marouflé sur toile
Rippl-Rónai, très lié à Vuillard, est surnommé le nabi hongrois; mais il est aussi proche du symboliste James Pitcairn-Knowles, qui lui fait découvrir Whistler. Cette influence s'observe dans ce nocturne qui joue sur le mystère et l'évanescence dans une gamme de couleurs réduite. Rippl-Rónai exploite la phosphorescence verte des arbres dans la lumière des réverbères. Il crée un paysage fantomatique faisant écho à la photographie pictorialiste, mouvement qui tend à rivaliser avec la peinture ou la gravure.

KER-XAVIER ROUSSEL 1867-1944
La Barrière
vers 1892
Pastel sur papier
Les pastels de Roussel des années 1890 sont rares, mais ils reflètent les recherches des nabis et sont parmi les plus audacieux de son œuvre. C'est tout particulièrement le cas pour La Barrière, une composition sans lignes de fuite et à la perspective aplatie, à la manière des estampes japonaises. Cette barrière ouverte semble paradoxalement verrouiller l'espace.

5 INTÉRIEURS
Parmi les nouveaux sujets investis par les pastellistes dans les dernières décennies du XIXe siècle figure l'univers domestique. Le portrait devient aussi plus intime, plus informel, reflétant un état d'âme. Le foyer et la vie familiale étant au cœur des valeurs bourgeoises, les artistes se tournent vers les scènes de genre et les intérieurs. Ces sujets semblent particulièrement privilégiés par les artistes femmes qui, dans le contexte de l'époque, restent encore largement associées à cette sphère. Ce phénomène est accentué par la réputation de << propreté » et de facilité d'usage du pastel, considéré encore comme un art d'agrément convenant tout particulièrement aux femmes jusqu'aux années 1880- moment où il jouit d'une popularité sans précédent chez les artistes, tous sexes confondus: «Le pastel peut se prendre et se quitter, gardant tout au long du travail toute la fraîcheur de son éclat et la fleur de son velouté >> (la Grande Encyclopédie, 1885). Il devient le médium de choix pour créer des instantanés de la vie quotidienne.

ODILON REDON 1840-1916 Camille Redon brodant 1880
Pastel sur papier
Redon, figure phare du symbolisme et maître de l'indéterminé, rechignait à donner des titres à ses œuvres ou à les dater. Ainsi, le titre du portrait de son épouse a sans doute été apposé ultérieurement, même si Redon a enfreint ses propres règles en le datant de l'année de leur mariage. S'il n'est pas certain que Camille Redon s'adonne ici à la broderie, activité toute domestique, il semble en revanche que la chaleur de leur foyer soit signifiée par la lueur orangé qui embrase ce pastel, d'autant plus intense qu'elle contraste sur un fond vert.

EUGÈNE LOUP 1867-1948
Mélancolie
vers 1901
Pastel sur toile
Eugène Loup fut très prisé pour ses scènes d'intérieur aux tons feutrés ou en grisaille, sur le thème de la solitude et de la mélancolie. Le pastel lui permet ici de créer une lumière tamisée faisant ressortir le visage doux et pâle et les mains blanches de son modèle, qui se détourne de sa tapisserie d'un air las. Les tons en sourdine des tentures et de sa robe kaki se marient dans des harmonies subtiles, mais contribuent aussi à intégrer la jeune femme à cet intérieur dont elle semble prisonnière.

GEORGES LE BRUN 1873-1914
Le Vestibule
1909
Fusain et pastel

AUGUSTE RENOIR 1841-1919
Portrait de jeune fille brune, assise, les mains croisées
1879
Pastel sur papier
Renoir ne recourt que rarement au pastel, et le réserve en règle général à des portraits informels. Ce portrait de petite fille, réalisé en pleine période impressionniste, témoigne de l'intérêt de Renoir pour la lumière et la couleur. La robe blanche de l'enfant se strie de vert, gris et bleu pour rendre compte des reflets de la lumière sur le tissu, alors que la tenture et le fauteuil sont traités de manière impressionniste sous forme de vigoureuses hachures multicolores.

MARY CASSATT 1844-1926
Portrait de Mademoiselle Louise-Aurore Villeboeuf
1902
Pastel sur papier beige et châssis

DANIEL DE MONFREID 1856-1929
Portrait de sa fille Agnès à trois ans 1902
Pastel sur papier vergé
Daniel de Monfreid, comme Mary Cassatt, apporte un regard renouvelé sur l'enfance, loin des codes du portrait aristocratique ou mondain. Il ne représente pas sa fille avec décorum, comme un membre d'une lignée vouée à se perpétuer, mais plutôt comme une enfant perdue dans ses rêveries, dans sa robe de tous les jours, sa poupée sur les genoux, dans l'attente de reprendre ses jeux l'instant suivant.

MARY CASSATT 1844-1926
Mère et enfant sur fond vert 1897
Pastel sur papier beige collé sur châssis entoilé
Le thème privilégié de l'impressionniste Mary Cassatt est celui de l'enfance et de la maternité. Il n'est pourtant pas toujours certain que les femmes représentées soient mères ou nourrices, comme dans cette œuvre dont le titre n'a pas été choisi par l'artiste. Cassatt donne un nouveau souffle à ce sujet. Les visages sont très travaillés, alors que les contours graphiques des silhouettes et les vigoureux zigzags de pastel rouge et vert sur la robe de la femme confèrent une grande spontanéité à cette scène qui semble saisie sur le vif.

MARY CASSATT 1844-1926
Femme et enfant devant une tablette où sont posés un broc et une cuvette
1889
Pastel sur papier beige collé sur châssis entoilé

ÉTIENNE MOREAU-NÉLATON 1859-1927 Portrait de Raymond Koechlin 1887
Pastel et crayon noir sur papier
Moreau-Nélaton, historien de l'art, était l'un des plus grands collectionneurs de son temps. Il fit don à l'État français d'une multitude de chefs d'œuvre, dont le Déjeuner sur l'herbe de Manet. Il était également un artiste de talent à ses heures perdues. Le modèle de ce pastel est Raymond Koechlin, posant vraisemblablement dans la bibliothèque de son appartement du boulevard Saint- Germain. Koechlin, fondateur de la Société des Amis du Louvre, fut également un grand amateur qui légua toute sa collection aux musées.

MARGUERITE CARPENTIER 1886-1965
Marguerite Cahun dans l'appartement du boulevard Raspail
1910
Pastel sur papier marouflé sur toile avec cadre

PAUL CÉSAR HELLEU 1859-1927
Femme accoudée à une table 1889
Pastel sur papier chamois collé sur châssis entoilé
Ce pastel représentant Alice Helleu, l'épouse de l'artiste, est proche d'un autre portrait d'elle, à l'huile, par John Singer Sargent, réalisé la même année. Le peintre américain ayant invité le jeune couple à le rejoindre dans ses quartiers d'été à Fladbury dans le Worcestershire, en Angleterre, on peut supposer qu'Helleu a croqué Alice entre deux séances de pose pour Sargent, ou en début de journée, devant un café et un abricot. Cet «instantané» pris lors d'un moment de détente contraste avec la plus grande formalité de son portrait à l'huile.

PAUL-CÉSAR HELLEU 1859-1927 Portrait de Madame Paul Helleu
1894
Pastel sur papier bleu
L'écrivain Edmond de Goncourt avait noté dans son journal à propos d'Alice Helleu: «elle ne pouvait faire un mouvement qui ne fût de grâce et d'élégance et dix fois par jour il [Helleu] s'essayait à surprendre ces mouvements dans une rapide pointe sèche>>. Il le fit aussi dans ses dessins et ses pastels. Helleu avait un penchant certain pour les chevelures rousses, qu'il prisait particulièrement chez ses modèles, son préféré demeurant Alice.

ÉDOUARD VUILLARD 1868-1940
Bouquet de soucis sur la cheminée
vers 1930
Pastel sur papier beige

ÉDOUARD VUILLARD 1868-1940
La Table servie
vers 1915
Pastel sur papier beige
L'univers pictural de Vuillard est dominé par les scènes d'intérieur mettant en scène son cercle intime et familial. Le cadrage audacieux de ce pastel ne permet pas d'identifier formellement la femme au centre de la composition, même s'il s'agit sans doute de la mère de l'artiste, que Vuillard a représentée plus de cinq cents fois en quarante ans, et avec qui il habitait. Les petites touches vives de pastel sur le papier beige suffisent à empreindre de gaieté cette scène du quotidien.

ARMAND GUILLAUMIN 1841-1927
Intérieur
1889
Pastel sur papier vergé crème


6 INTIMITÉ
Le pastel semble plus apte que tout autre médium à rendre le velouté de la peau et les teintes subtiles de sa carnation. Cette qualité explique naturellement sa grande popularité dans l'art du portrait, mais aussi dans celui du nu. Édouard Manet, Maurice Denis et Émile-René Ménard jouent de l'estompe pour donner un aspect poudreux et lumineux à la chair de leurs modèles, tandis que Degas utilise une grande variété de traits et des couleurs franches pour donner du relief à ses baigneuses aux postures prosaïques, sans idéaliser de leur corps.
Degas entre dans l'intimité de ces femmes à leur toilette sans qu'elles se sachent observées, ce qui l'amène à les comparer à des consœurs modernes de Suzanne au bain cette héroïne de l'Ancien Testament secrètement regardée par des vieillards. Si certaines de ses baigneuses semblent observées par une porte entrouverte, d'autres font l'objet d'hardies plongées. Les nus en buste de Manet et d'Aman-Jean sont tout-autre, soutenant notre regard dans le premier cas, et ayant conscience d'être observé pour le second.

EDMOND AMAN-JEAN 1858-1936
Farniente dit aussi Étude de femme drapée les mains levées
vers 1895
Pastel sur papier gris-beige collé sur toile


ÉMILE-RENÉ MÉNARD 1862-1930 Étude de nu dans un intérieur s.d.
Pastel sur papier collé sur châssis entoilé
Les nus dans l'oeuvre de Ménard trouvent habituellement leur place dans des scènes mythologiques comme Le Bain de Diane ou Le Jugement de Pâris. Ici, son modèle est situé dans un intérieur du XIXe siècle, mais l'Antiquité reste centrale dans la conception de son œuvre. Ménard joue en effet au Pygmalion dans ce pastel qui semble donner vie et chair à la statuaire grecque, tout particulièrement au célèbre torse en marbre d'après la
Vénus de Cnide de Praxitèle (Louvre, copie romaine d'après Praxitèle, Ve siècle av. J.-C.).

MAURICE DENIS 1870-1943
Nu, femme assise, de dos
1891
Pastel et fusain sur papier

EDGAR DEGAS 1834-1917
Femme se coiffant 1887-1890
Pastel sur papier beige collé sur carton

EDGAR DEGAS 1834-1917
Après le bain, femme nue s'essuyant la nuque 1898
Pastel sur papier vélin fin collé sur carton

EDGAR DEGAS 1834-1917
Baigneuse allongée sur le sol
vers 1886
Pastel sur papier beige

EDGAR DEGAS 1834-1917
Femme à sa toilette essuyant son pied gauche
1886
Pastel sur carton
Degas présente ce pastel à la huitième et dernière exposition impressionniste, en 1886, au sein d'une série intitulée «suite de nus de femmes se baignant, se lavant, se séchant, s'essuyant, se peignant ou se faisant peigner». L'approche sans fard de Degas sur le nu féminin lui vaut des accusations de misogynie, alors que le critique Huysmans perçoit au contraire la valeur de ce regard naturaliste et loue << la suprême beauté des chairs bleuies ou rosées par l'eau» et «la chair déshabillée, réelle, vive».

EDGAR DEGAS 1834-1917
Baigneuse s'essuyant vers 1900-1905
Fusain et pastel sur papier

EDGAR DEGAS 1834-1917
Danseuse en maillot
vers 1896
Pastel sur papier

EDGAR DEGAS 1834-1917
Femme nue debout vers 1880-1883
Pastel et fusain sur papier bleu-vert
Degas est porteur de la grande tradition du dessin, des anciens maîtres italiens qu'il copie assidûment jusqu'à Ingres, qui reste un modèle pour lui. Il ne déroge pas à cette tradition en préparant ses compositions en partant de figures nues, même si elles sont vouées à être vêtues dans les œuvres finales. Tout comme La danseuse en maillot, accrochée à côté, cette étude de nu est en lien avec des représentations de danseuses. Degas revient souvent aux mêmes motifs et cette posture de danseuse apparaît à plusieurs reprises, et ce dès 1873.

ÉDOUARD MANET 1832-1883
Buste de femme nue vers 1875
Pastel sur toile et châssis
Cette œuvre, comme un certain nombre de nus de Degas rassemblés ici sous le thème de l'intimité, a appartenu au grand collectionneur Isaac de Camondo. Manet y adopte la même approche que dans ses portraits au pastel. Il privilégie le portrait en buste et les harmonies de blanc et de gris, relevées de noir, et se concentre sur le regard de son modèle, de sorte qu'il n'est pas immédiatement apparent qu'elle est dévêtue.

8 ÂMES ET CHIMÈRES
La voie menant à une Arcadie utopique n'est pas la seule qu'aient empruntée les artistes peu enclins à tendre un miroir au monde transfiguré du XIXe siècle. Odilon Redon et Lucien Lévy-Dhurmer, tous deux en quête d'une réalité intérieure, adoptent le pastel pour donner corps à un imaginaire foisonnant, avec un vocabulaire visuel propre à chacun. Après Millet et Degas, ce médium <<<< caméléon » est une nouvelle fois renouvelé par ces deux grands pastellistes symbolistes à la fin du siècle.
Pour Lévy-Dhurmer, l'exploration de la vie intérieure passe souvent par le portrait et la figure humaine, y compris dans la représentation d'êtres hybrides comme sa célèbre Méduse. Redon exploite quant à lui l'extraordinaire plasticité du pastel pour donner forme à son imaginaire et insuffler une dimension personnelle au mythe, loin de l'allégorie. Son art repose sur l'indéterminé, avec une volonté de se laisser guider par le matériau.



LUCIEN LÉVY-DHURMER 1865-1953
La Sorcière
1897
Pastel sur papier
Ce pastel resté inachevé est une œuvre préparatoire à un relief en bronze réalisé par Lévy-Dhurmer, aux dimensions quasiment identiques; relief dans lequel il enlaidit considérablement son modèle, sans doute pour se conformer au stéréotype de la sorcière. Les esquisses de chauve-souris et du hibou montrent la manière gestuelle avec laquelle Lévy-Dhurmer construit son pastel.

LÉVY-DHURMER 1865-1953
Lucien Lévy-Dhurmer commence sa carrière artistique en tant que céramiste, sa pratique du pastel restant dans l'ombre jusqu'en 1896. Son talent dans cette technique éclate au grand jour lors d'une exposition qui lui est dédiée à la prestigieuse galerie Georges Petit à Paris.
L'art de Lévy-Dhurmer repose sur une grande maitrise du dessin et sur une ligne pure, aux contours très nets. Il lui arrive d'utiliser l'estompe pour traduire le grain de la peau et modeler ses visages, notamment dans le Portrait de Georges Rodenbach et La Femme à la médaille, mais il emploie également d'infimes traits de pastel imperceptibles de loin, de manière très graphique, pour modeler ses figures. La vibration de la matiere qui en résulte participe à l'aura de mystère de ses pastels. Dans ses œuvres plus tardives, comme La Calanque, il juxtapose une multitude de hachures ou de stries aux teintes vives et souvent complémentaires pour de surprenantes ondes de lumière.


LUCIEN LÉVY-DHURMER 1865-1953
Florence
vers 1898
Pastel sur papier
L'artiste personnifie ici la ville de Florence, visible en arrière-plan, avec à gauche, le palais de la Seigneurie, et à droite, la cathédrale et son campanile. Son modèle, couronné de lauriers, serait la comtesse Raymond de Beauchamp, née Thérèse Vitali. Le lys rouge qu'elle présente est l'emblème de la cité, alors qu'elle tient dans sa main droite les armes des Médicis. La ville de Florence reflète ici moins un état d'âme qu'elle ne souligne et glorifie les origines de la comtesse.

LUCIEN LÉVY DHURMER 1865 1953 Méduse, dit aussi Vague furieuse 1897
Pastel et fusain sur papier beige contrecollé sur carton
Ce pastel est l'un des plus audacieux et visionnaires de Lévy-Dhurmer. Son imagerie dépasse le mythe de la Gorgone pour exprimer la terreur et le désespoir d'une créature sur le point d'être engloutie par les flots, sous les algues et le corail. Les mains crispées par les dernières convulsions, son sang se mêle aux rouleaux qui déferlent, alors que son visage gris semble se pétrifier. Selon Geneviève Monnier, spécialiste de Lévy-Dhurmer, << cette vision est celle d'une mutation: passage de l'état d'un être humain à l'état de monstre ou... passage de la vie à la mort ».

LUCIEN LÉVY DHURMER 1865 1953
Le Silence
1895
Pastel sur papier
Lévy-Dhurmer, très attaché à ce pastel, ne s'en séparera qu'à la toute fin de sa vie. Le Silence est inspiré d'un masque sculpté d'Auguste Préault partageant le même titre, et destiné à une tombe. Si Lévy-Dhurmer reprend lui aussi l'iconographie traditionnelle du silence, les doigts posés sur les lèvres, la signification de cette œuvre reste mystérieuse. En 1899, le critique Achille Ségard écrit: «L'impression générale est la même que celle que donnent les sphinx accroupis depuis des milliers d'années dans le désert immense et vague».

LUCIEN LÉVY-DHURMER 1865-1953
La femme à la médaille, dit aussi Mystère 1896
Pastel et rehauts d'or sur papier contrecollé sur carton
Cette œuvre témoigne de l'intérêt de Lévy-Dhurmer pour les portraits de profil des XVe et XVIe siècles, de Piero della Francesca à Pollaiuolo et Holbein. L'artiste détourne cependant leurs codes en «< coupant » sa composition et en l'orientant horizontalement. La coiffe noire de son modèle évoque celles des pays germaniques du XVIe siècle. Le modèle montre sa médaille frappée d'un motif qui reste invisible au spectateur et effectue le signe de bénédiction symbolisant l'Incarnation, ajoutant ainsi au mystère.

LUCIEN LÉVY-DHURMER 1865-1953 Portrait de Georges Rodenbach vers 1895
Pastel sur papier gris-bleu
L'écrivain belge Rodenbach découvre les pastels de Lévy-Dhurmer en 1895 et une amitié se noue entre les deux hommes. Portrait et paysage ne font ici qu'un, tant les épaules de Rodenbach semblent se fondre dans les canaux de sa ville, à laquelle il consacra un roman, Bruges-la-Morte (1892). La Venise du Nord y est décrite <

7 ARCADIES
Le XIXe est un siècle d'instabilité politique et de profonds changements sociétaux. La révolution industrielle et l'expansion rapide des chemins de fer bouleversent le rapport au temps et à l'espace. Vers la fin du siècle émerge la crainte d'un effondrement de la civilisation, comparable à celui de l'Empire Romain. En réponse à cette crise des valeurs et en réaction contre le matérialisme ambiant, certains artistes rejettent les sujets contemporains pour se tourner vers un idéalisme arcadien, rêve antique d'une vie simple, en harmonie avec la nature, hors du temps.
Un artiste comme Osbert, qui souhaite << arriver à la Simplicité même, au grand Silence », développe une vision panthéiste et mystique peuplée de muses sur laquelle s'édifie son œuvre. Dans l'art de Degas, au contraire, le thème des baigneuses dans l'herbe et d'une possible symbiose avec la nature est une véritable rareté. Enfin, chez Desvallières et Rothenstein, la terre idyllique de l'Arcadie n'est pas sans présenter un caractère étrange voire menaçant, comme ébranlée par les secousses du XXe siècle approchant.

HENRI FANTIN-LATOUR 1836-1904
Les Filles du Rhin ou L'Or du Rhin 1876
Pastel et fusain sur lithographie sur papier
Fantin-Latour ressentit une révélation en 1876 au festival de Bayreuth, lors de l'ouverture de L'Or du Rhin de Wagner: « C'est de la sensation, pas de la musique, pas le décor, pas le sujet, mais un empoignement du spectateur>>. Il trouve alors les moyens de s'affranchir du principe de fidélité au réel, ce qu'il cherchait à faire depuis de nombreuses années. Cette libération passe par les arts graphiques, Fantin-Latour partant d'une lithographie qu'il recouvre entièrement de pastel dans cette scène enchantée.

ALPHONSE OSBERT 1857-1939
Au bord de la mer
1926
Pastel sur papier gris contrecollé sur carton

ALPHONSE OSBERT 1857-1939
Muse allongée sous les arbres
vers 1910
Pastel sur papier gris
La rencontre d'Osbert avec Puvis de Chavannes joua un rôle déterminant dans l'orientation idéaliste qu'allait prendre son art. Osbert est à la recherche d'un art spirituel, en retrait du monde. Cette spiritualité passe chez lui par la lumière qui irradie ses paysages peuplés de muses et que la «< fleur du pastel >> lui permet de diffuser.

PIERRE PUVIS DE CHAVANNES 1824-1898
Le Berger ou L'Orage
1887
Pastel sur papier beige collé sur châssis entoilé

LÉON LHERMITTE 1844-1925
Deux baigneuses au bord d'un étang vers 1893
Pastel et fusain sur papier brun
Lhermitte commence à utiliser le pastel vers 1885. À l'été 1893, il prend pour sujet des baigneuses au bord de la Marne. Le paysage idyllique dans lequel s'insèrent ici les deux femmes rappelle le naturalisme d'un Corot et ses harmonies bleutées. Leurs vêtements modernes escamotés, et le chignon à l'antique du modèle au premier plan donnent à cette scène un caractère intemporel évoquant le bain de la déesse Diane.

WILLIAM ROTHENSTEIN 1872-1945
Femme nue assise
1892
Pastel et peinture dorée
Ce dessin est en lien avec un grand pastel également sur fond doré, Parting at morning («< la séparation au matin », 1891, Tate). Il représente le même modèle, dont l'artiste anglais aimait la «>. L'or et l'azur dans cette œuvre ne suffisent pas à contrebalancer l'inquiétante étrangeté de cette Arcadie désertée.

ÉDOUARD VUILLARD 1868-1940
Deux femmes dans un bois
vers 1890
Pastel sur papier

EDGAR DEGAS 1834-1917 Deux baigneuses sur l'herbe
1896
Pastel sur papier brun
Les baigneuses en plein air de Degas sont rares dans son œuvre. Elles apparaissent tardivement, à une époque où la reprise de thèmes antérieurs, y compris du début de sa carrière, devient quasi-systématique. Ces baigneuses paisiblement alanguies dans l'herbe vert vif sont toutefois loin de la macabre Scène de guerre au temps du Moyen-Âge (vers 1865, musée d'Orsay), où des nus féminins jonchent le sol.

KER-XAVIER ROUSSEL 1867-1944
Scène mythologique, dit aussi Silène et l'Enfant
vers 1916
Pastel sur papier

GEORGE DESVALLIÈRES 1861-1950
Les Tireurs à l'arc
1895
Pastel sur papier gris-beige
Cet imposant pastel mêle idéalisme et académisme dans le traitement des nus masculins à la fois virils et gracieux. Les oiseaux menaçants et les silhouettes athlétiques des tireurs à l'arc évoquent invariablement le mythe des Douze travaux d'Hercule, dont l'un consistait à tuer les oiseaux maléfiques du Lac de Stymphale. Cette référence est toutefois brouillée par les multiples figures présentes dans cette scène de chasse antique.

REDON 1840-1916
Redon s'illustre d'abord avec ses «< noirs », fusains pénétrants et fantasmagoriques, avant de se tourner résolument vers la couleur à partir de 1890. Il privilégie toujours la matité, notamment grâce au pastel, qui partage la pulvérulence du fusain, « poudre volatile, impalpable et fugitive sous la main » dont l'absorption de la lumière créé un effet de profondeur comparable.
Redon utilise souvent des techniques mixtes. Dans ses œuvres, la transition des noirs à la couleur s'opère de manière progressive, et le fusain reste souvent présent dans ses pastels. Il rehausse aussi fréquemment ses peintures de pastel et fait usage également de crayons conté et de crayons de pastel pour créer des effets de superposition. Pour faire vibrer et animer la couleur dans sa plus grande intensité, il emploie la hachure et la strie. Après 1912, Redon se passe de fixatif, qui affecte souvent la couleur et aplatit la fleur des pigments. Il accorde toutefois un grand soin à l'encadrement de ses pastels pour les preserver.

ODILON REDON 1840-1916
La Coquille
1912
Pastel sur papier
Ce coquillage des Seychelles, offert par un ami en 1910, trônait sur le manteau de cheminée chez Redon. Il en a fait le sujet de deux autres pastels, qu'il détruira. Ce motif ressurgit autour de 1912 dans des œuvres se référant au thème de la naissance de Vénus. Sortie ici de la pénombre d'un univers sous-marin, cette coquille, souvent interprétée comme une représentation symbolique du sexe féminin et récemment mise en parallèle avec le tableau l'Origine du monde de Courbet, prend alors une tout autre signification.

ODILON REDON 1840-1916
Vision sous-marine vers 1900
Pastel sur papier gris
Les créatures sous-marines font des apparitions récurrentes dans l'imaginaire de Redon. Celle-ci évoque ses célèbres noirs (œuvres au fusain et lithographies), point de départ de son œuvre avant que ne jaillisse la lumière et la couleur du pastel. Tentant d'expliquer sa «rupture avec le charbon» du fusain, il écrit en 1902: << au fond, nous ne survivons que grâce à des matières nouvelles. J'ai épousé la couleur depuis, il m'est difficile de m'en passer».

ODILON REDON 1840-1916
Fleur de sang
1895
Pastel sur papier gris
Vision aquatique, ce pastel fait écho à l'illustration <

ODILON REDON 1840 1916 vers 1910 Pastel et détrempe sur toile
Redon avait pu admirer, alors qu'il était étudiant, le plafond de la galerie d'Apollon au Louvre par Delacroix. Il dira à propos de ce sujet : « c'est le triomphe de la lumière sur les ténèbres. C'est la joie du grand jour opposée aux tristesses de la nuit et des ombres, et comme la joie d'un sentiment meilleur après l'angoisse». Redon marie ici la peinture mate à la détrempe au pastel, dans l'une de ses compositions les plus solaires.

ODILON REDON 1840-1916
Parsifal
1912
Pastel sur papier

ODILON REDON 1840-1916
Femme voilée
s.d.
Pastel, détrempe, graphite et transferts carbone sur papier beige
Cette œuvre pourrait être le pastel Le Chemin ardent, que Redon avait inscrit dans ses registres avec la description suivante: «une femme dans un paysage, une sorte de buisson de feu, à terre devant elle». Comme dans l'une de ses célèbres lithographies Profil de lumière (1886), Redon joue sur le profil aigu et les yeux baissés de cette femme aux allures mariales pour créer une aura mystique que renforcent les couleurs intenses du pastel.

ODILON REDON 1840-1916
Le Bouddha
vers 1906-1907
Pastel sur papier beige
Redon revient plusieurs fois au thème bouddhique dans son œuvre sans pour autant faire profession de foi. Craignant la méprise, il rappelle que son art se veut ouvert et indéterminé: «J'ai fait quelquefois Vénus ou Apollon sans vouloir que l'on soit païen; j'ai aussi fait le Bouddha; et cette image, en son symbole, émeut encore les cœurs d'une part innombrable de l'humanité, et ces sujets (si sujets il y a) me sont aussi sacrés que les autres >>.

ODILON REDON 1840-1916
La Visitation ou Entretien mystique s.d.
Pastel sur papier beige, mise au carreau


PASTEL XXL
AVEC LES ÉTUDIANTS DES BEAUX ARTS DE PARIS
À l'occasion de l'exposition Pastels de Millet a Redon, huit étudiants des Beaux-Arts de Paris dialoguent avec les œuvres sur un support papier (224 gr/m2), d'un format panoramique de 10 mètres de long sur 1,50 mètre de hauteur.
De cette intervention originale naîtra au fil de l'exposition un pastel géant permettant au public d'apprécier toutes les variétés et les subtilités des usages de ce médium.





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