jeudi 10 novembre 2022

Walter Sickert au Petit-Palais en novembre 2022

Comme d'habitude une magnifique exposition dans cette belle institution, un hommage à Delphine Levy, spécialiste de ce peintre, mais aussi une personnalité attachante qui a dynamisé la politique muséale de la ville de Paris.

WALTER SICKERT PEINDRE ET TRANSGRESSER

Walter Sickert (1860-1942) est une personnalité excentrique et mystérieuse, et un artiste singulier. Son indifférence aux conventions, ses techniques picturales sans cesse renouvelées et ses sujets énigmatiques font de lui un acteur de l'innovation artistique britannique pendant soixante ans.

Il se fait remarquer en Angleterre à la fin des années 1880 avec ses tableaux de music-halls, à une époque où ces lieux ne sont pas jugés dignes d'être peints. Il fait ensuite scandale au début du xx siècle en peignant des nus sombres et dérangeants dans de sordides chambres meublées de quartiers populaires. Son travail est alors influencé par la scène artistique française du tournant du siècle, dont il fait pleinement partie. Sickert vit un long moment en France, à Dieppe surtout, où il habite de 1899 à 1905, et à Paris, où il expose régulièrement au cours de la première décennie du xx siècle. Il est présent au Salon des indépendants ou encore au Salon d'automne, ainsi que chez ses deux marchands parisiens, Durand-Ruel et Bernheim-Jeune. Important pivot entre la France et la Grande-Bretagne, il noue des liens artistiques ou amicaux profonds avec de nombreux artistes français, en premier lieu avec son mentor Edgar Degas.

Après la Première Guerre mondiale, il définitivement en Angleterre où il devient un artiste reconnu et influent, tandis qu'en France il sombre dans un oubli relatif. Il déstabilise à nouveau le milieu de l'art anglais durant la dernière partie de sa carrière, avec des peintures aux couleurs étranges, faites à partir d'images de presse, temoignant d'une conception novatrice du processus créatif. Il continue ainsi à se renouveler et à incarner une certaine forme de modernité en modifiant ses thématiques et sa manière de peindre.

UNE PERSONNALITÉ ENIGMATIQUE
L'identité de Walter Sickert est complexe dès l'origine: né à Munich en 1860 d'un père artiste d'origine danoise et d'une mère anglo-irlandaise élevée à Dieppe, il grandit en Angleterre. À ce profil cosmopolite s'ajoute une personnalité énigmatique, à multiples facettes et faite de contradictions. Après une brève carrière d'acteur, dont il conserve le goût du déguisement et du jeu, Sickert se fait artiste, peintre et graveur, mais aussi critique et enseignant. Il endosse tour à tour ces professions, comme autant de rôles dans lesquels il s'implique avec ferveur.
Les autoportraits qu'il peint tout au long de sa vie se font le reflet sur la toile d'un personnage changeant. Il modifie en effet régulièrement son apparence, sa manière de s'exprimer, sa technique de peinture ou même ses opinions. Son ami le peintre français Jacques-Émile Blanche dit ainsi de lui: "Si Sickert devait écrire ses mémoires, ceux-ci rempliraient des volumes aussi romantiques que ceux de Casanova. Nous y verrions ce Protée, ce caméléon, traverser différentes scènes en Angleterre, à Dieppe, et à Venise [...], modifiant sa tenue vestimentaire et son aspect. Son génie pour le déguisement, dans ses habits, sa façon de porter ses cheveux et son élocution, rivalise avec celui de Fregoli. Il pouvait prendre l'apparence de l'empereur François-Joseph; il pouvait être aussi élégant que le mannequin d'un tailleur, aussi loqueteux qu'un clochard. On aurait pu le prendre pour un marin à Dieppe, ou un gondolier; mais par nature, il a toujours été un gentleman distingué."

WALTER  SICKERT (1860-1942)
Le Front de mer à Hove (Turpe Senex Miles Turpe Senilis Amor)
1930
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1932
Sickert séjourne à plusieurs reprises à Brighton avec sa troisième femme, Thérèse Lessore, qui est peut-être l'autre personnage assis avec lui sur le banc. Un écho se crée entre la figure de Sickert et les imposantes résidences de l'arrière-plan, témoins de la grandeur passée de ce quartier de la station balnéaire. Grand séducteur, Sickert subit à son tour l'épreuve du temps et cite en guise de titre, non sans ironie, un vers des Amours d'Ovide: "Un vieux soldat est une chose pitoyable, l'amour sénile l'est aussi."
Dans la suite de ce post, toutes les œuvres sont de Sickert sauf mention contraire. 

Autoportrait en grisaille
1935
Huile sur toile
Londres, National Portrait Gallery. Don de Sir Alec Martin/Art Fund, 1943
Dans cet autoportrait, le camaïeu de gris revendique la photographie comme source et matériau de prédilection de l'artiste. Ce dernier transpose en effet une photographie en noir et blanc, publiée dans The Star dans l'article relatant sa démission de la Royal Academy en 1935. Sickert se dirige droit vers le spectateur, appuyé sur sa canne et le visage à moitié dissimulé par son couvre-chef, dans une attitude qui peut évoquer aussi bien le défi que la défaite.

Autoportrait 
1882
Plume et encre sur papier
Londres, Islington Local History Centre
Ce premier autoportrait connu du jeune artiste est aussi un des plus anciens dessins que l'on conserve de lui. En 1882, Sickert a tout juste rejoint l'atelier de Whistler (1834-1903) dont il devient l'élève, et pris ses distances avec le monde du théâtre. La force de séduction du personnage est déjà apparente dans ce dessin, de même que la part de mystère qu'il cultive toute sa vie, comme semble l'évoquer le pan de son visage noyé dans l'ombre.

Autoportrait 
v. 1896
Huile sur toile
Leeds Museums and Galleries. Don de Miss Helen M. Heath, 1942
Avec ce sombre autoportrait peint vers 1896, Sickert revêt une nouvelle fois un visage mystérieux qui émerge à peine de l'obscurité. Il se représente comme un homme dans la tourmente, confronté à des difficultés artistiques, pécuniaires et conjugales. Il peine en effet à s'imposer comme portraitiste et à vendre ses œuvres. Face à ses tromperies répétées, sa première femme, Ellen Cobden, s'est séparée de lui puis divorce en 1899, et le prive de son soutien financier.

Le Peintre dans son atelier
1907
Huile sur toile
Canada, Ontario, Art Gallery of Hamilton. Don du Women's Committee, 1970
Sickert se représente ici en artiste, palette et pinceaux à la main. Le cadre du miroir de cheminée dans lequel il s'observe borde la gauche et le bas du tableau. Au premier plan, sur le dessus de cheminée, sont posés des moulages, notamment à droite une petite réplique de l'Esclave mourant de Michel-Ange. À l'arrière-plan, derrière sa tête, le peintre représente son tableau Théâtre de Montmartre. La superposition de ces éléments, entre reflet et espace réel, brouille la lecture de l'œuvre.

Autoportrait. Le Jeune Premier
1907
Huile sur toile
Southampton City Art Gallery
Le titre Juvenile Lead (le jeune premier), donné tardivement à l'œuvre en 1928, alors que Sickert fédère de jeunes peintres au sein du Fitzroy Street Group, est aussi un clin d'œil à sa carrière d'acteur. Avec son costume, son chapeau melon et ses lunettes rondes dont il n'avait pas besoin, il se donne une allure de gentleman anglais. Il a aussi décrit cet autoportrait comme un «punching-ball », à la fois défouloir et support d'introspection.

Autoportrait: le Buste de Tom Sayers
1913
Huile sur toile
The Ashmolean Museum, Université d'Oxford. Offert par le Christopher Sands Trust, 2001
Sickert, le menton relevé, semble adopter ici une attitude de défi face à son reflet et au spectateur. Cela fait écho au buste posé à droite, devant le miroir, qui représente le boxeur Tom Sayers, un héros local qui résidait à Londres, dans le quartier de Camden Town à la fin de sa vie. La large barbe rousse de Sickert, qu'il a fait pousser à Dieppe pendant l'été 1913, est une excentricité comme une autre. Il a successivement eu une épaisse chevelure ondulée, s'est rasé le crâne, s'est laissé pousser la barbe, et ainsi de suite.

Lazare rompant le jeûne
v. 1927
Huile sur toile
Collection particulière
Sickert endosse dans cet autoportrait le rôle biblique de Lazare, un homme ressuscité par Jésus, alors qu'il a lui- même été malade de longs mois. Il se représente voûté sur son écuelle, retrouvant son appétit et son envie de vivre. Pour cet autoportrait, Sickert part d'une photographie prise par sa troisième femme, Thérèse Lessore, laquelle joue un rôle de plus en plus important dans son processus créatif. Il abandonne alors progressivement le dessin comme étape préparatoire à la composition de ses peintures.

Le Serviteur d'Abraham
1929
Huile sur toile
Londres, Tate. Offert par les Amis de la Tate Gallery, 1959
Avec cet autoportrait, Sickert se représente sous les traits d'un autre personnage biblique. Il devient le d'Abraham, envoyé chercher une femme pour son fils Isaac. Son ceil gauche perçant évoque le rôle visionnaire de l'artiste. Cette peinture a elle aussi pour source une photographie mise au carreau. Cette dernière est reportée et agrandie sur la toile, à une échelle qui donne au visage de l'artiste des proportions monumentales. La grande barbe carrée de Sickert amplifie encore le caractère imposant de l'image.

LES ANNÉES D'APPRENTISSAGE DE WHISTLER À DEGAS
Après un passage de quelques mois à la Slade School of Fine Art, et auprès d'Otto Scholderer (1834-1902), peintre proche de son père et de l'école française, Sickert commence sa carrière en 1882 dans l'atelier de James Abbott McNeill Whistler (1834-1903). Même si ce compagnonnage auprès du peintre américain proche du symbolisme et de l'impressionnisme est de courte durée, il est essentiel pour le jeune artiste. Auprès de Whistler, Sickert travaille à la représentation de paysages, souvent urbains. Les petits panneaux peints de ces deux artistes manifestent leur proximité par le choix des sujets et par la technique, caractérisée par une peinture tonale virtuose, fondée sur une déclinaison de couleurs aux tonalités proches, et par une exécution rapide. Sickert apprend également la gravure auprès de Whistler, pour qui il imprime avant de réaliser lui-même des gravures dès le début de sa carrière.
En avril 1883, Sickert rencontre une première fois Degas, alors qu'il se rend à Paris pour apporter au Salon de la Société des artistes français Arrangement en gris et noir n°1. Portrait de la mère de l'artiste de Whistler. Après ce premier contact, Sickert noue un vrai lien avec Degas durant l'été 1885. Tous deux se côtoient dans le cénacle intellectuel et artistique réuni à Dieppe autour du peintre Jacques-Émile Blanche (1861-1942) et de la famille de et librettiste Ludovic Halevy (1834-1908). Ce cercle joue un rôle important dans le lancement de la carrière de qui y rencontre d'autres artistes, des collectionneurs et des marchands. Son amitié indéfectible avec Degas, dont l'influence éclipse progressivement celle de Whistler, a aussi un impact décisif sur sa peinture. Il retient de ce nouveau mentor l'emploi de couleurs plus franches, une composition plus construite et de nouveaux sujets.

Violettes blanches
v. 1884
Huile sur panneau The Courtauld (Samuel Courtauld Trust)
Cette œuvre très précoce de Sickert montre son apprentissage assidu auprès de Whistler. Il voue une grande admiration à son maître, personnage piquant et haut en couleur, proche des courants impressionniste et symboliste. Dans cette nature morte, il reprend les harmonies subtiles aux tonalités sourdes de Whistler, et peint par touches fluides et visibles les pétales des violettes.

Whistler Venise, La Petite Lagune, d'après Whistler
v. 1884
Pointe sèche
The Syndics of the Fitzwilliam Museum, Université de Cambridge
Lorsque Sickert intègre l'atelier de Whistler en 1882, il aide son maître à imprimer des gravures faites à Venise en 1879-1880. Il apprend à graver lui-même et est actif dans ce domaine jusqu'en 1929. Sur cette estampe d'après Whistler, l'émulation avec son maître est manifeste. Il reprend sa technique de l'essuyage irrégulier de la matrice, conférant au tirage un aspect brumeux, et reproduit même la marque en forme de papillon que Whistler utilisait en guise de signature.

Six pennies trois-quarts
1884
Eau-forte

L'Incendie de l'Exposition japonaise
1885
Eau-forte
The Syndics of the Fitzwilliam Museum, Université de Cambridge
Comme Whistler, Sickert saisit directement et librement son motif sur la plaque de cuivre, ici une devanture d'un magasin et une scène de rue. Il garde sur lui de petites plaques de cuivre et une pointe pour pouvoir graver à chaque instant, croquant de la même façon que son maître des scènes sur le vif, comme autant d'aperçus spontanés et fugitifs de la vie londonienne.

La Directrice de théâtre
1884
Eau-forte
The Ashmolean Museum, Université d'Oxford. Achat 1963
Cette gravure particulièrement aboutie montre les capacités acquises par Sickert dans le domaine de l'eau-forte. Loin d'une image fragmentaire saisie sur le vif, The Acting Manager présente une composition étudiée et démontre sa virtuosité technique. Grâce à un long travail de la matrice, il obtient un poignant effet de clair-obscur, attirant le regard sur la lampe et le visage partiellement éclairé d'Helen Couper-Black, la directrice d'une compagnie de théâtre qu'il fréquentait alors.

JAMES MCNEILL WHISTLER 
(1834-1903)
 Le Presbytère, Dieppe
1897
Huile sur bois
The Hunterian, Université de Glasgow
Ce paysage urbain de Dieppe, où il a séjourné avec Sickert, est pour Whistler le prétexte à une peinture tonale virtuose. Sur une sous-couche grise, il peint avec des couleurs au nombre restreint, délicates et étouffées, partiellement frottées pour les atténuer. La composition géométrique de l'œuvre tend à l'abstraction. Il amplifie l'effet d'horizontalité de son support, un petit panneau de bois, en plaçant parallèlement à ses bords les lignes de la rue pavée et de la façade de la maison.
JAMES MCNEILL WHISTLER (1834-1903)
Une boutique
1884-1890
Huile sur bois
The Hunterian, Université de Glasgow

La Boucherie, Dieppe
v. 1885
Huile sur bois
York Museums Trust (York Art Gallery). Offert par le Very Reverend Milner White, Dean of York, 1951
Cette vue d'une devanture de boucherie peinte sur un petit panneau de bois horizontal montre la proximité, voire l'émulation à l'œuvre, entre Whistler et Sickert. L'élève reprend de son maître le sujet banal de cette vue urbaine, la rapidité d'exécution apparente dans les traits de pinceau, et les subtiles variations de couleurs. Il assimile l'approche tonale de Whistler en préparant sa palette avant ses excursions. Le point de vue choisi est moins frontal et introduit une perspective.

JAMES MCNEILL WHISTLER (1834-1903)
Les Poteaux de baignade
1893
Huile sur bois
The Hunterian, Université de Glasgow
Dans ses nombreuses marines représentant différents fronts de mer, comme les plages bretonnes, Whistler porte toujours une attention particulière aux harmonies colorées: il joue sur des gammes de bleu et violet, d'argent et de bleu foncé, ou encore de vert et de gris. Cette vue rapidement brossée est animée par quelques voiles sur la ligne d'horizon, très haute, et par les silhouettes de deux troncs tortueux qui délimitaient la zone de baignade autorisée.

La Saison des bains, Dieppe
1885
Huile sur panneau
Brooklyn Museum. Don de Ferdinand Gottschalk, 18.37
Chez Whistler, le point de vue et le cadrage excluent souvent de ses marines la plage et ses occupants. Sickert choisit lui aussi une ligne d'horizon haute et joue de la même manière que son maître sur de subtiles harmonies colorées de bleu- vert et de gris, mais introduit la présence humaine. Derrière les cabines de bain, des silhouettes agglutinées au bord de l'eau animent le bas du panneau. Dieppe est alors une importante station balnéaire qui attire de nombreux touristes, notamment anglais.

Paysage maritime
v. 1887
Huile sur bois
Édimbourg, National Galleries of Scotland.
Legs du Dr Dorothea Walpole et de Mr R. H. Walpole, 1963

JAMES MCNEILL WHISTLER
 (1834-1903)
Une boutique avec balcon
1897-1899
Huile sur bois
The Hunterian, Université de Glasgow
Avec ce support de bois pris dans un sens vertical, Whistler opère le même jeu sur les lignes orthogonales de la rue et de la façade, parfaitement alignées avec les bordures du panneau de bois. Cette vue est animée par quelques figures: une femme et un chien dans l'encadrement de la porte, une femme et deux enfants au balcon, une autre figure sur le trottoir. Ce sujet quotidien, peint en de précieuses harmonies de violets, bruns et ocre, devient là encore prétexte à une recherche esthétique.

Une boutique à Dieppe
1885-1889
Huile sur bois
The Hunterian, Université de Glasgow
Sickert s'essaie lui aussi au format vertical. Il reprend ici le jeu de Whistler sur l'absence de profondeur en accentuant les lignes des façades et de la chaussée. Les harmonies tonales sont proches de celles de son maître, et il applique également la peinture de manière rapide et enlevée.

La Boutique rouge (ou Le Soleil d'octobre)
v. 1888
Huile sur panneau
Norfolk Museums Service (Norwich Castle Museum & Art Galler Legs de H. B. Broadbent, 1949
À côté des harmonies subtiles et étouffées des scènes urbaines voisines, ce panneau surprend par le rouge éclatan employé pour la devanture de la boutique. Cette couleur intense contraste avec les teintes ocre et brunes du reste de la rue et de ses bâtiments. Sickert, avec cette palette chromatique ravivée, utilise une gamme de couleurs qui prélude aux riches décors des salles de music-hall, qu'il commence à peindre à cette même période.

La Blanchisserie
1885
Huile sur panneau
Leeds Museums and Galleries. Achat 1937
À partir de l'été 1885, une relation durable se consolide entre Sickert et Degas. L'influence concurrente de ses deux mentors est sensible sur ce panneau. Sickert retient de Whistler le motif de la figure inscrite dans l'encadrement et les teintes subtiles, et de Degas l'importance du dessin et de la composition préalable. Sa peinture prend un aspect plus construit, moins immédiat. En 1897, Sickert rompt définitivement avec Whistler dont il s'était progressivement éloigné.

Devanture, La Blanchisserie
1885
Crayon graphite, plume et encre sur papier Londres, Islington Local History Centre


La Fin de l'acte ou La Directrice de théâtre
v. 1885-1886
Huile sur toile
Collection particulière
Ce panneau représente une femme épuisée assise sur un canapé: il s'agit d'Helen Couper-Black, la directrice d'une compagnie de théâtre que Sickert avait déjà représentée en gravure. Celle-ci encadrait notamment des conférences données par des intervenants dont Whistler faisait partie. Sickert emploie ici encore les harmonies tonales chères à Whistler, mais la composition travaillée et surtout le choix du sujet marquent son lien avec Degas: le monde du spectacle s'insinue dans son œuvre.

JAMES MCNEILL WHISTLER 
(1834-1903)
 Portrait esquissé de Walter Sickert
1886
Huile sur toile
Dublin, Hugh Lane Gallery
En 1877, Sickert découvre la peinture de Whistler à l'exposition inaugurale de la Grosvenor Gallery. Il s'enthousiasme pour son œuvre, le rencontre pour la première fois en 1879, puis intègre son atelier en 1882. Le maître peint à trois reprises le portrait de son élève et assistant. Il le représente ici de manière très spontanée, avec un choix de couleurs resserré, caractéristique de sa peinture tonale. Bien que leur relation se complique dans les années 1890, Sickert reste durablement influencé par Whistler.

MUSIC-HALL: LES ARTIFICES DE LA SCÈNE
Sickert lance véritablement sa carrière avec ses peintures de music-halls à la fin des années 1880. Il fait scandale en traitant de ce sujet subversif et inédit en Angleterre. En France, le sujet des cafés-concerts est déjà un motif récurrent de la modernité, notamment grâce à l'artiste Edgar Degas, nouveau mentor de Sickert. Le music-hall en revanche est un loisir populaire très décrié par la bonne société victorienne. Également débits de boissons et lieux liés à la prostitution, ces salles de divertissements font l'objet d'une réglementation de plus en plus répressive. Le choix d'un tel sujet révèle le goût de la provocation de Sickert, tout en se prêtant à son envie d'expérimentations plastiques. Il en explore toutes les facettes de manière obsessionnelle, concevant des compositions de plus en plus sophistiquées qui jouent des points de vue, des cadrages et des reflets. Il représente les artistes sur scène, aussi bien que la salle du music-hall, dont le public devient à son tour un spectacle à part entière. Ces œuvres controversées lui procurent une certaine notoriété, mais ne lui garantissent pour autant ni la reconnaissance du marché de l'art, ni la stabilité financière.

Vesta Victoria à l'Old Bedford
v. 1890
Huile sur toile
Burrows Collection
Dans ce tableau, la figure de la chanteuse Vesta Victoria, une des vedettes de l'Old Bedford, est quasiment engloutie dans une gamme d'ocre, de bruns et de rouges. Sickert offre une vision synthétique du music-hall, donnant à voir d'un seul coup d'oeil la scène, un musicien caché derrière la balustrade de l'orchestre, le décor de la salle ainsi que les spectateurs. Ces derniers, une femme vue de dos et de minuscules silhouettes pressées dans la galerie haute, se reflètent dans le grand miroir qui occupe le tiers gauche du tableau.

La Fosse de l'Old Bedford
v. 1889
Huile sur toile
Toulouse, Fondation Bemberg
Sickert condense ici tout ce qui l'intéresse des music-halls. Il représente les artistes, les musiciens dans la fosse, et peut-être la chanteuse sur scène, hors du champ du tableau, que l'on devine grâce à une ombre projetée sur le rideau. Dessinant lui-même depuis la salle, il inclut au premier plan un spectateur vu de dos. Enfin, il restitue les jeux de lumières sur le décor de l'Old Bedford, avec sa frise en vitrail au-devant de la scène et ses moulures dorées.

Bonnet et claque. Ada Lundberg au Marylebone Music Hall
v. 1887
Huile sur toile
Collection particulière
Ce tableau frappe par son gros plan sur des visages à l'aspect caricatural et simplifié. Sickert ne tente pas de dignifier le milieu du music-hall et les personnes qu'il représente. Le visage de la chanteuse Ada Lundberg, à droite, est englouti sous des anglaises et un chapeau. On ne voit d'elle qu'une bouche béante. L'arrière-plan est occupé par les visages fascinés des spectateurs que l'on devine bruyants et agités.

Les Coulisses du côté cour dans le miroir côté jardin
v. 1888-1889
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts
Des couleurs et lumières éclatantes animent l'arrière-plan de cette peinture. Elles attirent le regard sur une chanteuse en robe rouge, qui rappelle celle du Café-Concert des Ambassadeurs de Degas. Curieusement, les spectateurs au premier plan ne regardent pas dans sa direction, mais droit devant eux. Il s'agit une fois de plus d'une imbrication d'un reflet dans le tableau: la chanteuse est bien face aux spectateurs, l'arrière-plan est le reflet de la scène dans un miroir dont on aperçoit le cadre mouluré.

Le Balcon de l'Old Bedford
1894-1895
Huile sur toile
National Museums Liverpool, Walker Art Gallery
Progressivement, Sickert se focalise davantage sur les spectateurs et les décors des salles de music-hall plutôt que sur les artistes. Les harmonies ocre animées de touches de rouge sont caractéristiques de ses œuvres représentant ces salles au décor volontiers chargé, voire clinquant. Un grand miroir bordé de moulures dorées, servant à donner l'illusion d'un lieu de spectacle plus grand, occupe la moitié gauche du tableau. Ce jeu de reflet perturbe le regard et permet à Sickert de défier la surface en deux dimensions du tableau,

Noctes Ambrosianae
1906
Huile sur toile
Nottingham City Museums & Galleries
L'émergence du loisir de masse est un phénomène important du tournant des xixe et xx siècles. Sickert s'en empare et propose une vue surprenante de spectateurs chahutant dans la galerie du Middlesex Music Hall, en bordure du populaire quartier de Camden Town. L'éclairage fait vibrer autant les dorures des décors que les visages des spectateurs empilés derrière les balustrades. Leurs corps se fondent dans la pénombre de la galerie.

Théâtre de Montmartre
v. 1906
Huile sur toile
King's College, Université de Cambridge. Actuellement en dépôt au Fitzwilliam Museum, Cambridge

L'Eldorado
v. 1906
Huile sur toile
The Henry Barber Trust, the Barber Institute of Fine Arts, Université de Birmingham 
De nombreux artistes français ont déjà établi les théâtres et cafés-concerts parisiens en motifs récurrents de la peinture moderne, comme Degas et Toulouse-Lautrec. Sickert, fréquemment de passage à Paris, représente ici le très populaire café-concert L'Eldorado, au 4 boulevard de Strasbourg. Une harmonie de bleus, gris et ocre confère à la salle une ambiance enfumée. Le point de vue sur les balcons en arc de cercle renforce encore l'impression d'une foule dense et compacte de spectateurs.

Le Balcon de l'Old Mogul
1906
Huile sur toile
Collection particulière
Les music-halls londoniens commencent à diffuser des films à partir de 1896. Ce tableau, initialement intitulé Cinematograph, offre une rare et précoce représentation du cinéma. Sickert dépeint une masse de spectateurs, vus de dos, qui se pressent pour regarder l'écran sur lequel projeté un film, probablement un western. On entraperçoit à peine l'écran: le vrai sujet de cette peinture est la foule, absorbée par ce nouveau type de spectacle.

Gaîté Montparnasse
v. 1907
Huile sur toile
New York, The Museum of Modern Art. Mr and Mrs Allan D. Emil Memorial Fund, 1958

Gaîté Montparnasse,
 dernière galerie de gauche 
1907
Huile sur toile
The Ashmolean Museum, Université d'Oxford. Offert par Christopher Sands Trust, 2001
Pour Sickert, les music-halls et les cafés-concerts, leurs plâtres peints et leurs dorures clinquantes aux reflets exacerbés par l'éclairage électrique, sont prétextes à des recherches picturales sophistiquées. Il joue des lignes droites et courbes, à la limite de l'abstraction, et multiplie les points de vue étonnants. Un vertigineux effet de contre-plongée met ici en valeur la ligne serpentine du balcon, soulignée par les éclats de ses moulures dorées.

Le New Bedford
1907-1909
Huile et détrempe sur toile Leeds Museums and Galleries. Achat 1937

Le New Bedford
1907-1909
Huile et détrempe sur toile Leeds Museums and Galleries. Achat 1937
L'intérêt de Sickert pour les spectateurs des lieux de divertissement populaires persiste tout au long de sa vie. Il offre ici un aperçu du Vernet, un café-concert de Dieppe, situé au bout du quai Henri-IV, face au port. Sickert y passe ses soirées avant de se rendre au casino dont les tables de jeu n'ouvrent qu'à minuit. Les membres de l'assistance sont représentés de profil, captivés par ce qui se déroule hors du cadre du tableau, mais ce sont bien eux que le peintre observe: le spectateur devient le spectacle.

Eugene Goossens en train de diriger
1923-1924
Huile sur toile
Londres, Daniel Katz Gallery
Malgré sa prédilection pour les modèles féminins, les figures masculines du monde du spectacle, chanteurs, acteurs ou encore "lions comiques", acteurs de parodies qui moquent la haute société, attirent aussi l'attention de Sickert. Il représente ici le compositeur et chef d'orchestre anglais Eugene Goossens en adoptant un cadrage étonnant. Goossens apparaît de trois quarts dos, le profil révélé par des touches vert pâle. Son corps est caché derrière la balustrade qui entoure la fosse de l'orchestre et occupe toute la moitié inférieure du tableau.

Le Trapèze
1920
Huile sur toile
The Syndics of the Fitzwilliam Museum, Université de Cambridge
Ce tableau révèle le goût de Sickert pour le cirque, aussi bien en tant que divertissement qu'en tant que sujet artistique. La toile d'un vaste chapiteau constitue l'arrière-plan de cette peinture au cadrage très surprenant, presque photographique. Un effet de contre-plongée puissante donne l'impression d'être assis sur les gradins, parmi les spectateurs, la tête tournée vers le haut pour regarder le numéro de la trapéziste prête à s'élancer.

Les Pierrots de Brighton
1915
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1996, avec l'aide de Art Fund et des Amis de la Tate Gallery
L'engouement de Sickert pour le monde du spectacle, qui l'absorbe complètement de 1887 à 1889, ne se tarit pas par la suite. Pendant l'été 1915, il séjourne à Brighton et se rend tous les soirs pendant cinq semaines à un spectacle de Pierrots, qui lui fournit la matière pour cette ceuvre importante. Les costumes aux couleurs vives de la troupe et le ciel de fin de soirée aux harmonies acidulées montrent une évolution de la palette de Sickert.

Minnie Cunningham à l'Old Bedford
1892
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1976
Sickert se déplace volontiers pour aller voir ses vedettes préférées sur scène, comme Minnie Cunningham, une danseuse et actrice à succès. Il peut se rendre dans plusieurs lieux de spectacle la même soirée pour les suivre de représentation en représentation. L'artiste les invite aussi parfois dans son atelier pour des séances de pose, qui complètent les dessins qu'il fait d'elles sur le vif, pendant leur spectacle. Sickert entretient des liaisons amicales ou amoureuses avec plusieurs d'entre elles.

Little Dot Hetherington au Bedford Music Hall v. 1888-1889
Huile sur toile
Collection particulière
Le sujet de cette peinture, une chanteuse de music-hall se produisant sur la scène de l'Old Bedford, est populaire, mais le traitement adopté par Sickert est très sophistiqué. Il élabore ici pour la première fois un jeu de composition complexe grâce aux grands miroirs qui transfiguraient cette étroite salle de spectacle. Le bas de la peinture est occupé par des dossiers de fauteuils vus de face. Au-dessus, un miroir reflète la salle de spectacle, la chanteuse sous les feux des projecteurs et les têtes de l'auditoire.

Les Sisters Lloyd
v. 1889
Huile sur toile
UK Government Art Collection. Achat aux Leicester Galleries, décembre 1958
Les Sisters Lloyd étaient un groupe familial dont la composition a changé au fil des années. Les deux membres représentés ici dans leurs costumes assortis sont probablement les cousines Rosie Lloyd et Bella Orchard. Le spectacle de music- hall est alors exclu du monde culturel et généralement relégué dans le registre du loisir populaire. Seules quelques figures des milieux décadentistes ou symbolistes, comme Arthur Symons en Angleterre ou Stéphane Mallarmé en France, reconnaissent la poésie des chants de ces artistes.

PEINDRE L'ÂME
Au cours des années 1890, Sickert développe une activité de portraitiste, cherchant à s'établir une réputation dans ce genre particulier qui l'intéresse jusqu'à la fin de sa carrière. Il dessine alors des portraits d'artistes pour les journaux et magazines, et se lance dans la peinture de portraits de commande. L'irruption de ce nouveau genre répond à la situation financière de Sickert, qui se dégrade au même moment. Il ne parvient pas à vivre de son art, ses tableaux de music-halls ne trouvant pas leur marché. Sa condition se complique encore davantage lorsqu'il se trouve privé du soutien de sa femme, Ellen Cobden- Sickert, qui le quitte lorsqu'elle découvre ses infidélités répétées. Les commandes de portraits, a priori plus lucratives, lui apparaissent donc comme une solution. Le peintre tente alors de s'affirmer comme un grand portraitiste, capable de saisir l'âme de ses modèles, quitte à déplaire. Or la satisfaction du commanditaire n'étant jamais l'objectif de Sickert, sa stratégie commerciale est mise à mal. Son talent s'exprime davantage dans ses portraits intimes d'amis, issus des cercles artistiques et culturels anglais ou français, ou de modèles anonymes saisis dans leur environnement.

Merle noir de paradis
v. 1892
Huile sur toile
Leeds Museums and Galleries.
 Achat 1945
Ce portrait intense représente un modèle non identifié, peut-être une chanteuse. Le visage pâle de la femme, animé de touches rougeoyantes, dévoile un sourire étrange. Sa force expressive est amplifiée par une touche longue et assurée, presque abrupte. Un critique anglais y a vu un type humain de la catégorie la plus dégradée». Le titre de la peinture, tardivement attribué par Sickert, serait inspiré d'un de ses poèmes favoris, The Bird of Paradise de William Henry Davies.

Le Châle vénitien
1903-1904
Huile sur toile
Ivor Braka
En septembre 1903, alors qu'il a déjà voyagé et séjourné à Venise à plusieurs reprises, Sickert s'y installe pour un an. Durant l'hiver pluvieux, il y peint ses premières scènes d'intérieur ainsi que des portraits de femmes des classes populaires. Deux modèles l'intéressent particulièrement: les prostituées Giuseppina et Carolina. Dans ce tableau, il représente Carolina assise, accoudée sur l'extrémité d'un canapé. Son corps à demi étendu, pris dans la masse d'une robe et d'un grand châle noir, forme une grande diagonale.

La Giuseppina devant une carte de Venise
v. 1903-1904
Huile sur toile
Monsieur et Madame Michael Hughes
Giuseppina est une des deux jeunes prostituées vénitiennes bien identifiées que Sickert prend pour modèles l'hiver 1903-1904. Tout au long de sa carrière, Sickert choisit des modèles qu'il rémunère pour leur travail de pose et qui peuvent aussi devenir des amies ou des amantes. Ici, la jeune femme au chignon bouillonnant est représentée dans l'appartement de Sickert à Calle dei Frati. Elle est assise sur un canapé garni d'un flamboyant tissu à fleurs, devant un mur où est accrochée une carte de Venise.

Cicely Hey
1923
Huile sur toile
The Whitworth, Université de Manchester
Elle-même artiste, Cicely Hey (1896-1980) a rencontré Sickert en janvier 1923 lors d'une conférence donnée par le théoricien et critique d'art Roger Fry. Frappé par son visage aux traits particuliers, Sickert lui demande immédiatement de poser pour lui. Elle le fait à plusieurs reprises et devient rapidement une grande amie du peintre. Hey expliquera que pour Sickert, il ne s'agissait pas tant de faire son portrait que de saisir les jeux de lumières et de couleurs créés sur son visage par un feu de cheminée.

Israel Zangwill
v. 1896-1898
Huile sur toile montée sur panneau Leeds Museums and Galleries.
 Achat 1945
Israel Zangwill, auteur et théoricien du sionisme, était proche des Sickert. Le peintre le représente concentré, de profil, devant un arrière-plan de façades vénitiennes. Il s'agit peut- être de celles du Ghetto Nuovo, où les Juifs avaient un temps été ségrégués. Le dernier roman à succès de Zangwill, Les Enfants du Ghetto, avait pour décor les quartiers est de Londres où la communauté juive était particulièrement présente. Sickert dessine aussi un portrait de Zangwill publié dans Vanity Fair en 1897.

Aubrey Beardsley
v. 1893-1894
Détrempe sur toile
Londres, Tate. Achat 1932, avec l'aide de Art Fund
Avec des touches fluides et verticales, Sickert saisit la silhouette longiligne et élégante de son ami Aubrey Beardsley. Artiste provocateur à sa manière, ce dernier est connu pour ses dessins raffinés aux sujets souvent érotiques ou grotesques. Il apprécie lui-même le travail de Sickert et le fait participer à The Yellow Book, une revue esthétisante publiée à partir de 1894 et dont il est directeur artistique. Ce portrait témoigne de l'insertion de Sickert dans les cercles artistiques et littéraires anglais.

Jacques-Émile Blanche
v. 1910
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1938
L'amitié de Sickert et Jacques-Émile Blanche s'est nouée pendant l'été 1882. Dans le chalet dieppois du peintre et écrivain français, Sickert rencontre ses futurs galeristes parisiens, Durand-Ruel et Bernheim-Jeune, et des artistes comme Auguste Renoir, Claude Monet ou encore Camille Pissarro. Leur relation connaît des hauts et des bas, mais Blanche reste toujours un soutien fidèle pour Sickert. En 1922 et 1923, il donne au musée de Rouen plusieurs œuvres de son ami, le faisant entrer dans les collections publiques françaises.

Mrs Swinton
1906
Huile sur toile
The Syndics of the Fitzwilliam Museum, Université de Cambridge
Ce portrait romantique de la séduisante chanteuse Elsie Swinton, avec qui Sickert entretient une intense relation pendant plusieurs années, reprend une photographie en noir et blanc du modèle prise dans l'atelier du peintre. Le regard étrangement perdu, vêtue d'une robe au rouge intense, le corps de la jeune femme se détache devant un océan houleux où un bateau semble faire naufrage. Le peintre a inventé cet arrière-plan de tempête et de naufrage pour renforcer l'intensité dramatique du portrait.

Harold Gilman
v. 1912
Huile sur toile
Londres, Tate. Offert par les of the Chantrey Bequest, 1957
Harold Gilman (1876-1919) est un membre fondateur du Fitzroy Street Group et du Camden Town Group, qui réunissaient de jeunes peintres sur lesquels Sickert exerçait une forte influence. Ce portrait est un cadeau de Sickert à Gilman dont il a été un certain temps l'ami, avant que des dissensions artistiques ne les éloignent. Avec de brèves touches de couleurs, comme en clin d'oeil à la touche postimpressionniste des jeunes artistes du groupe de Camden Town, Sickert intensifie le regard écarquillé de ce peintre novateur.

Victor Lecourt
1921-1924
Huile sur toile
Manchester Art Gallery. Legs de George Beatson Blair, 1941
La prestance de ce modèle, patron d'un restaurant familial près de Dieppe, attire l'attention de Sickert. Dans ce portrait dignifié, Victor Lecourt est représenté en pied dans l'appartement dieppois du peintre, rue Aguado. L'arrière-plan, riche en couleurs et en motifs, rappelle les intérieurs des nabis Pierre Bonnard et Édouard Vuillard que Sickert connaît bien. L'artiste travaille près de trois ans à ce portrait et rencontre un grand succès lorsqu'il le présente à la Royal Academy en 1925.

L'Américaine
1908
Huile sur toile
Londres, Tate. Legs de Lady Henry Cavendish-Bentinck, 1940
À Londres, Sickert choisit également des modèles issus des classes populaires. Il a une prédilection pour les coster girls, des vendeuses ambulantes de fruits, légumes ou encore de poissons. Il multiplie les études et portraits de ces femmes dans des intérieurs modestes. Parmi elles, il s'attache particulièrement à deux coster girls dont les chapeaux en paille, appelés sailor hats, le ravissent.

Jeanne. La Cigarette
1906
Huile sur toile
New York, The Metropolitan Museum of Art. Legs de Mary Cushing Fosburgh, 1978 (1979.135.17)
En 1906, dans le quartier populaire de Soho, Sickert rencontre deux sœurs belges, Jeanne et Hélène Daurmont, qu'il prend pour modèles. Jeanne est ici portraiturée dans une palette chromatique dominée par les bruns-gris et les bruns-verts. Le tableau est animé par le ruban rouge du chapeau et la sous-couche rouge du corps dénudé du modèle. Un dessin préparatoire indique qu'elle portait un habit rouge, peint dans un premier temps puis recouvert par Sickert, qui a ainsi transformé ce portrait informel en nu.


PAYSAGES. DIEPPE, VENISE, LONDRES ET PARIS
À la suite de ses difficultés conjugales et économiques, et d'un essoufflement de son inspiration dans la représentation de la figure humaine, Sickert se tourne vers la peinture de paysages à la fin des années 1890. Ses séjours réguliers à Venise entre 1894 et 1904, et ceux de plus en plus longs à Dieppe et ses alentours, où il emménage de manière permanente entre 1898 et 1905, accompagnent cette transition. Lors de son installation à Dieppe, il écrit: « Je vois ma ligne. Pas de portraits. Des œuvres pittoresques. » Il espère pouvoir vendre plus facilement ces représentations pittoresques d'une station balnéaire française alors au sommet de sa gloire, et celles de la mythique cité des Doges. Il garde son attachement à la peinture de paysages lorsqu'il revient à Londres en 1905. Sickert a par ailleurs la conviction que l'environnement urbain est aussi profondément évocateur. Il éprouve une véritable passion pour l'architecture, qu'il s'agisse de monuments importants auxquels il s'attache tout particulièrement, comme Saint-Marc de Venise et Saint- Jacques de Dieppe, ou de rues ordinaires. Les tableaux de Sickert alors de petits formats relativement sombres vers des tableaux plus grands, plus clairs et colorés, sous l'influence d'abord des impressionnistes français, des fauves et des nabis, puis de la jeune garde britannique.



St Jacques, rue Pecquet, Dieppe
1907
Huile sur toile
Chichester, Pallant House Gallery collection particulière 

The Façade of St Jacques La Façade de Saint-Jacques
1902-1903
Huile sur toile
Collection particulière

La Façade de Saint-Jacques
1899-1900
Huile sur toile
The Whitworth, Université de Manchester

La façade de l'église Saint-Jacques à Dieppe
1899-1900
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts (en dépôt au château-musée de Dieppe)

L'église Saint-Jacques est le motif architectural dieppois auquel Sickert s'est le plus attaché. À l'occasion de ses nombreux séjours à Dieppe, il en multiplie les représentations. Même si la façade est son point de vue préféré, il en peint aussi le portail sud, vu depuis la rue Pecquet. Il anime la place de passants ou la laisse vide, change les harmonies chromatiques, restitue des effets de lumière de manière plus ou moins impressionniste.

La Façade de Saint-Jacques
1902
Huile sur toile
Collection particulière
En 1882, Sickert retrouve à Dieppe Jacques-Émile Blanche,
qu'il avait rencontré à Londres et par l'intermédiaire duquel il fait la connaissance de Renoir, Monet et Pissarro. Ces représentants de l'impressionnisme ont une influence certaine sur Sickert. Il choisit pour cette vue de la façade de Saint-Jacques une lumière de fin de journée qui anime de manière éclatante sa rosace. Ce tableau fait partie de la commande de M. Mantren pour décorer le restaurant de son Hôtel de la Plage.

Saint-Marc
1901
Huile sur toile
Collection particulière
Sickert revient à plusieurs reprises à Venise et à ses motifs favoris dans cette ville. Il peint dix tableaux représentant ce même pan de la façade de la basilique Saint-Marc. Ici, il choisit des couleurs claires et séduisantes. Il cherche alors à convaincre son marchand parisien, Durand-Ruel, de son potentiel commercial. Ses vues de Venise connaissent de fait un certain succès. Elles sont appréciées de collectionneurs et artistes comme son ami Jacques-Émile Blanche et l'écrivain André Gide.

Les Chevaux de Saint-Marc
1901-1906
Huile sur toile
Bristol Culture: Bristol Museums & Art Gallery
Sickert varie les points de vue sur la façade de la basilique Saint-Marc de Venise. En isolant certains fragments, il explore plus en détail le traitement des surfaces et volumes. Il réalise ainsi une série de neuf tableaux représentant cette vue des chevaux de bronze de Saint-Marc. Le choix du cadrage et du point de vue, en contre-plongée et de biais, est audacieux et amplifie l'impression de monumentalité du motif. Sickert pratique déjà la photographie à cette époque.

(Pax Tibi Marce Evangelista Meus) Saint-Marc, Venise 
1896
Huile sur toile
Londres, Tate. Legs du General Sir lan Hamilton GCB, GCMG, DSO, 1949
Sickert peint à de très nombreuses reprises la basilique Saint-Marc. L'ensemble évoque la série des Cathédrales de Rouen de Claude Monet, qu'il a probablement vues à Paris en 1895, chez Durand-Ruel, avant de partir à Venise. Contrairement au peintre français, il ne travaille pas sur le motif. Il peint ses tableaux d'après des études, une fois de retour dans son atelier à Venise ou même à Londres. Ce travail sériel est en fait une recherche sur la technique picturale à partir du motif vénitien préféré de Sickert.

Baigneurs, Dieppe
v. 1902
Huile sur toile
National Museums Liverpool, Walker Art Gallery
Cette œuvre, peinte par Sickert dans le cadre de sa commande pour la décoration de l'Hôtel de la Plage à Dieppe, se démarque des fronts de mer de sa période whistlérienne par son format et sa technique picturale. La peinture est moins diluée, posée par touches en une riche accumulation de bleus, de verts, de violets et de blancs et gris. Une fois encore, le point de vue qui exclut la ligne d'horizon et le cadrage qui joue sur le hors-champ évoquent la photographie.

Le Théâtre des jeunes artistes
1890
Huile sur toile
Southport, The Atkinson Art Gallery

L'Hôtel Royal, Dieppe
v. 1894
Huile sur toile
Sheffield Museums Trust
Les œuvres dieppoises expérimentent des techniques et des factures diverses. Les tableaux, peints souvent sur le motif, offrent des vues de repères architecturaux et de scènes de la vie urbaine, comme une fête foraine et un spectacle de rue, ou encore des lieux de tels le Café suisse et l'Hôtel royal. Ce dernier est un haut lieu du tourisme balnéaire qui fait la renommée de Dieppe. Sickert le représente ici avec des couleurs frappantes: sa façade bleu-vert contraste avec un ciel violacé.

Les Arcades et la Darse
v. 1898
Huile sur toile
Toulouse, Fondation Bemberg

Le Grand Duquesne
1902
Huile sur toile Manchester Art Galleries
Le Grand Duquesne, montrant cette sculpture d'Antoine Laurent Dantan placée au milieu de la place nationale de Dieppe, fait partie de la commande de M. Mantren à Sickert. Ce patron de l'Hôtel de la Plage souhaite décorer son restaurant avec des vues de Dieppe de grand format. Les œuvres plaisent si peu au commanditaire, qui imaginait des peintures gaies, proches des affiches publicitaires destinées à faire la réclame de la station balnéaire, qu'il les revend et les disperse immédiatement.

La Fête foraine de nuit
v. 1902-1903
Huile sur toile
Touchstones Rochdale Art Gallery, Link4Life. Achat sur les arrérages du legs Ogden, 1942

Célébrations, Dieppe
1914
Huile sur toile
Collection particulière. Courtesy Piano Nobile, Londres

Café des Arcades (or Café Suisse)
v. 1914
Huile sur toile
Leeds Museums and Galleries.
 Achat 1942

Nuit d'amour 
v. 1920
Huile sur toile
Manchester Art Gallery. Achat grâce à une subvention du Heritage Lottery Fund et avec l'aide des National Art Collections Fund et Friends and Patrons and Associates of Manchester Art Galleries
Nuit d'amour tire probablement son titre d'un passage des Contes d'Hoffmann d'Offenbach et représente le Vernet, un café-concert de Dieppe. Le tableau joue sur les contrastes. Dans l'ambiance nocturne paisible de la ville, une foule de têtes de spectateurs laisse deviner l'animation concentrée derrière les fenêtres de la salle. Son éclairage vif et le faisceau net d'un lampadaire dans la rue obscure font subtilement éclater les teintes violettes, vertes et jaunes choisies par Sickert.

Rowlandson House, 
Coucher de soleil
1910-1911
Huile sur toile
Londres, Tate. Legs de Lady Henry Cavendish-Bentinck, 1940
Sickert est un enseignant charismatique, apprécié et controversé. Il donne des cours dès 1890 et prodigue toute sa vie des conseils aux artistes dont il est proche. De 1910 à 1914, il fait de son atelier de Hampstead Road une école de gravure, de dessin et de peinture, qu'il baptise Rowlandson House, en hommage à l'illustrateur et caricaturiste anglais Thomas Rowlandson (1756-1827). Dans cette vue de l'école, la masse sombre de ce bâtiment du quartier de Camden Town se détache sur une végétation et un ciel vibrants.

Le Jardin de l'Amour ou 
Le Jardin de Lainey
v. 1927-1928
Huile sur toile
The Syndics of the Fitzwilliam Museum, Université de Cambridge
Sickert retourne définitivement à Londres en 1922, après le décès de sa mère. Les paysages urbains londoniens remplacent les vues dieppoises. Ce tableau représente le jardin de Sickert et de sa troisième femme, l'artiste Thérèse Lessore. La scène d'extérieur est délimitée par l'encadrement de la fenêtre. L'inclusion d'un pan de rideau rend le cadrage étrange. La silhouette de Thérèse, surnommée «Lainey » par Sickert, se détache à peine dans un camaïeu de violets et de verts.

Pâques
v. 1928
Huile sur toile
Courtesy of Board of Trustees of National Museum of Northern Ireland

Maple Street, Londres
1916
Huile sur toile
New York, The Metropolitan Museum of Art. Don d'Emma Swan Hall, 1998 (1998.451.2)

La Gare de Queen's Road, Bayswater
1915-1916
Huile sur toile
Londres, The Courtauld, (Samuel Courtauld Trust)
Ce tableau rappelle les scènes londoniennes gravées par Sickert au début de sa carrière. Le décor est celui d'une des premières stations du métro souterrain de la capitale anglaise. Queen's Road, appelée aujourd'hui Queensway, était alors la plus proche du domicile de l'artiste à Kildare Gardens. Sur le quai d'en face, à côté de nombreuses affiches, un panneau de signalétique indique le nom de la station dans un rectangle bleu placé sur un losange rouge; son design n'a presque pas changé depuis.

Rue Notre-Dame-des-Champs, Paris. Entrée de l'atelier de Sargent
1907
Huile sur toile
The Ashmolean Museum, Université d'Oxford. Offert par le Christopher Sands Trust, 2001
Sickert peint peu de paysages parisiens, bien qu'il y enseigne, y expose et même y loge par intermittence. Pendant ces séjours, il préfère représenter des salles de théâtre et des nus féminins dans des intérieurs meublés. Ce tableau est une rare exception. Il s'agit d'une vue nocturne de la rue Notre-Dame- des-Champs, depuis l'entrée du 73 bis où le peintre anglais John Singer Sargent occupait un studio de 1877 à 1883. Sickert se plaisait à désigner les lieux par le nom des artistes qui l'y avaient précédé.

LE NU MODERNE
De 1902 à 1913, le nu domine l'œuvre de Sickert. Ce dernier commence à explorer ce genre à Dieppe, puis surtout à Venise. Ses nus prennent le contre-pied de ceux que l'on peut voir à Londres à la fin de l'époque victorienne, qui conservent le prétexte des sujets mythologiques, allégoriques ou littéraires. En France en revanche, une rupture a déjà eu lieu dès le milieu du XIX siècle. Courbet, Manet ou encore Degas et Bonnard ont une influence considérable sur Sickert qui se fait à son tour le pionnier du nu moderne en Angleterre. À propos de ses peintures de nus, il parle d'ailleurs de « période française ».
De retour à Londres, Sickert poursuit entre 1905 et 1913 les recherches entamées à Dieppe et à Venise. Il choisit des modèles ordinaires, systématiquement désérotisés et saisis dans des poses naturelles. Les traits de leurs visages sont fréquemment effacés, les coups de brosses visibles, et les couleurs sourdes. Les cadrages sont atypiques, voyeuristes et distordent parfois les corps. Ceux-ci sont mis en scène dans le décor intime de chambres populaires, soigneusement sélectionnées par Sickert pour leur éclairage et pour leur évocation de la misère sociale contemporaine. Mais s'il aime fréquenter et représenter les milieux populaires, et si son allusion à la prostitution recherche la transgression, sa démarche n'est ni engagée ni moralisatrice.

Le Petit Lit
1902
Crayon graphite et pierre noire sur papier Université de Reading Art Collection UAC/10520
En 1902, alors qu'il est à Dieppe et à Neuville, Sickert commence à explorer le thème du nu. C'est un retour à la figure humaine après une période qu'il a davantage consacrée au paysage. Ce dessin est une de ses premières études de nu féminin sur un lit. Le corps de la femme s'ancre dans un contexte réaliste, à l'opposé du nu allégorique, mythologique ou littéraire. Dès l'étape du dessin, il porte une attention soutenue aux masses sombres et claires.

EDGAR DEGAS (1834-1917)
Après le bain, femme nue couchée
1855-1890
Pastel sur papier contrecollé sur carton Collection David & Ezra Nahmad
Degas reste une des grandes influences artistiques de Sickert. Il l'a notamment influencé dans son traitement du nu et de la figure humaine de manière générale. À propos de ses pastels, dont cette représentation d'une femme étendue est un bon exemple, Degas lui disait qu'il voulait "regarder par le trou « de la serrure". Représentées dans le cadre intime de chambres meublées, les femmes peintes ou dessinées par Sickert sont elles aussi saisies dans des poses naturelles, donnant le sentiment d'une intimité violée.

Fille vénitienne allongée 
1903-1904
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts
En septembre 1903, Sickert se rend à Venise où il reste un an. Il y peint notamment des prostituées qui posent pour lui, habillées ou nues, dans le cadre réaliste d'une chambre. Ici, deux femmes sont sur un lit. Celle qui est vêtue et assise, sur la gauche du tableau, est coupée au-dessus de la taille. Le regard se focalise davantage sur le corps à peine couvert d'une femme dévêtue, étalée en travers du lit. Le point de vue adopté est provocateur, guidant l'œil vers son sexe à peine dissimulé.

PIERRE BONNARD (1867-1947)
Femme assoupie sur un lit 
1899
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay. Achat 1947
Les nus féminins que Sickert situe dans des contextes réalistes révèlent aussi l'influence des nabis Pierre Bonnard et Édouard Vuillard. Tous trois exposent aux mêmes endroits, partagent le même marchand, Bernheim-Jeune, et plusieurs collectionneurs. Sickert retient d'eux les sujets intimistes et les points de vue atypiques. Il a certainement vu ce nu très audacieux de Bonnard, à la pose décontractée, saisi en surplomb, exposé comme ses propres tableaux au Salon d'automne de 1905.

Femme se lavant les cheveux
1906
Huile sur toile
Londres, Tate. Légué en 1940 par Lady Henry Cavendish-Bentinck
Lors de ses séjours parisiens, Sickert peint surtout des salles de spectacle et des nus caractérisés par un voyeurisme désérotisé. Woman Washing her Hair, dont le décor est son hôtel du quai Voltaire, fait écho aux œuvres de Degas sur le thème de la toilette. Le point de vue au niveau de la serrure de la porte ouverte suggère que le modèle est observé à son insu. Le cadrage surprenant choisi par Sickert dissimule le haut de son corps et cache derrière un mur le sujet même de la toile.

La Maigre Adeline
1906
Huile sur toile
New York, The Metropolitan Museum of Art. Legs de Scofield Thayer, 1982 (1984.433.24)

Cocotte of Soho
1905
Pastel sur carton
Collection particulière

Femme assise à une fenêtre
v. 1908-1909
Huile sur toile
Paris, Petit Palais, don à la mémoire de Delphine Lévy, 2022
Sickert revient en Angleterre à la fin de l'année 1905, et s'installe au 6 Mornington Crescent, à Camden Town. Il y poursuit sa peinture de nus dans des chambres meublées de quartiers populaires. Ce tableau représente une femme au buste dénudé, assise sur le rebord d'un lit, sous lequel on aperçoit un pot de chambre. Le visage tourné vers une fenêtre, elle semble perdue dans ses pensées. Sa poitrine nue vivement éclairée contraste avec le reste de la toile aux teintes sombres et étouffées.

Le Lit de fer 
1905
Pastel sur papier
Collection particulière

Le Lit de cuivre 
v. 1906
Huile sur toile
Prêt des Royal Albert Memorial Museum & Art Gallery, Exeter City Council

Dans ce pastel, on reconnaît le lit métallique au cadre courbe de l'atelier de Sickert au 8 Fitzroy Street. L'œuvre, exposée au Salon d'automne de 1905, évoque la prostitution, ou du moins une certaine misère sociale par le biais de ce lit modeste. L'artiste expérimente alors le pastel qui lui permet un traitement rapide. Il reprend ce motif de la femme nue sur un lit métallique dans Le Lit de cuivre, et tente de conserver une même vivacité dans son application de la peinture à l'huile.

Nu s'étirant: La Coiffure
1905-1906
Pastel sur papier
Collection particulière

L'Atelier: peinture d'un nu
v. 1906
Huile sur toile
Collection particulière. Courtesy Piano Nobile, Londres
Dans ce tableau à la construction sophistiquée, le premier plan est violemment barré par la diagonale sombre du bras du peintre tenant un pinceau. Au second plan, derrière ce fragment d'autoportrait, une femme nue, à contre-jour, se tient debout au milieu de l'atelier. À l'arrière-plan, un grand miroir reflète le dos en pleine lumière du corps nu. Cette forme claire attire l'attention davantage sur le reflet que sur le modèle et complexifie la lecture de l'œuvre.

Le Lit de fer
v. 1906
Huile sur toile
Collection particulière. Courtesy Hazlitt Holland-Hibbert

Nu à Mornington Crescent
v. 1907
Huile sur toile
The Syndics of the Fitzwilliam Museum, Université de Cambridge
Sickert a peint de nombreuses figures dans son studio du 6 Mornington Crescent, dans le quartier de Camden Town. Il multiplie alors les ateliers dans des chambres meublées qui fournissent un cadre naturel, mais les agrémente volontiers d'accessoires chinés qui renforcent leur aspect souvent étouffant. Il affectionne cette chambre pour son décor et pour son éclairage particulier. Le contre-jour est ici frappant: le corps nu est comme auréolé par les reflets pâles des draps.

La Hollandaise
v. 1906
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1983
Ce nu dérange par ses couleurs terreuses, par la facture brutale de sa peinture et par les particularités physiques du modèle. La lumière éclaire violemment une cuisse et un sein, tandis que les traits du visage sont effacés par l'obscurité. Le corps, vu en raccourci depuis le pied du lit, est étrangement déformé. Le spectateur a l'impression de pénétrer une chambre par effraction et d'y surprendre une femme dans son intimité: celle-ci semble se redresser sur un bras pour regarder un intrus.

LUCIAN FREUD (1922-2011)
Portrait nu
1972-1973
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1975
Sickert a eu une influence durable sur l'art figuratif anglais. Sa représentation de sujets controversés a renouvelé la représentation de la figure humaine, offrant une vision plus crue, sans tabou. Les célèbres nus de Francis Bacon et de Lucian Freud en sont de bons exemples. L'impact de Sickert sur Freud est très perceptible dans ce tableau, avec la pose atypique, la distorsion du corps, le cadrage et le point de vue étranges, et enfin une vision dépassionnée du corps féminin nu.

LES CONVERSATION PIECES:  "SCENES DE LA VIE INTIME"
Après avoir représenté le spectacle vivant dans les années 1880 avec les music-halls, et avant de renouer ses liens avec le théâtre dans les années 1930, Sickert fait de sa toile le lieu de représentations complexes. Les mises en scène qu'il crée dans son atelier, notamment au cours des années 1910, s'inspirent du théâtre intimiste anglais de l'époque. Leur décor sobre et réaliste laisse la place au développement de la psychologie des personnages qui y figurent. Elles ont une dimension narrative certaine, bien que celle-ci ne soit jamais explicite.
Sickert s'inscrit alors dans une tradition anglaise bien établie de la scène de genre et notamment de la conversation piece: portrait de groupe saisi dans une forme d'intimité quotidienne. Là encore, il recherche l'innovation et détourne ce genre apaisé et codifié. Il représente des situations. ambigues, parfois sordides, plus souvent méditatives, soulignant simplement la complexité de l'existence et des relations humaines, notamment entre les hommes et les femmes. Virginia Woolf, amatrice de la peinture de Sickert, écrit ainsi au sujet d'Ennui, une de ses peintures les plus célèbres: «L'horreur de la situation tient au fait qu'il n'y a pas de crise; de mornes minutes passent, de vieilles allumettes s'entassent avec des verres sales et des mégots de cigares.»>

Fillette à la fenêtre, 
la petite Rachel
1907
Huile sur toile
Londres, Tate. Accepté par le gouvernement britannique en lieu et place des droits de succession et attribué à la Tate Gallery en 1991

Persuasion. La Belle Gâtée Persuasion. 
 Qu'allons-nous faire pour le loyer ?
Une consultation 
Conversation
1908
Pierre noire et craie blanche sur papier violet Bristol Culture: Bristol Museums & Art Gallery
Ces quatre dessins témoignent de l'intérêt de Sickert pour les classes populaires et pour le thème sous-jacent de la prostitution. L'artiste joue du contraste d'une figure nue et d'une figure habillée dans le cadre d'une chambre. Conversation montre une femme habillée debout et une femme nue allongée qui semblent converser. La juxtaposition d'un homme vêtu et d'une femme nue sur un lit amplifie une connotation sexuelle. Les titres changeants adoptés successivement par Sickert colorent la perception des œuvres.

Deux femmes sur un canapé 
v. 1903-1904
Huile sur toile
Londres, Tate. Legs de Sir Hugh Walpole, 1941
Dès son séjour à Venise en 1903, Sickert représente des figures des classes populaires dans des intérieurs, par exemple deux femmes dans une chambre. Contrairement à d'autres représentations, dans ce tableau elles ne sont pas en train d'échanger ou de se regarder. Leur expression est illisible, brouillée par la matière posée en larges touches. L'œuvre donne une impression étrange d'ennui et de détachement. Son caractère étouffant et méditatif annonce d'autres scènes d'intérieur londoniennes.

Deux marchandes des quatre-saisons
v. 1907-1908
Huile sur panneau
UK Government Art Collection. Achat à la Fine Art Society, mai 1979

Granby Street
V. 1912-1913
Huile sur toile
Collection particulière

En route pour le pub
1911
Huile sur toile
Londres, Tate. Offert par Howard Bliss, 1943

 Quelques mots: En route pour le pub
v. 1912
Huile sur toile
Collection Nicholas et Margo Snowman
Dépassant le fait divers sordide, Sickert poursuit son exploration de la condition humaine et des relations entre homme et femme. Il s'attache à la vie domestique et conjugale dans tout ce qu'elle peut avoir de plus glaçant, comme les conflits larvés du quotidien. Dans ce tableau, il représente un homme dans l'encadrement d'une porte, prêt à quitter domicile et femme pour se rendre au pub. La distance entre les deux figures semble être autant spatiale qu'émotionnelle.

Ennui
v. 1914
Huile sur toile
Londres, Tate. Offert par la Contemporary Art Society, 1924
Pour ce qui est son œuvre la plus célèbre, Sickert fait poser deux de ses modèles favoris: Marie Hayes, femme de ménage, et Hubby, ancien délinquant, entrés au service du couple Sickert. Les deux figures s'inscrivent dans le cadre claustrophobe d'un séjour petit-bourgeois. Elles fusionnent par un effet de perspective, mais cette unité de forme contraste avec un isolement et un éloignement sentimental L'artiste met en scène la solitude au sein de la vie conjugale, et plus généralement la difficulté
de la communication entre les êtres.

Baccarat
1920
Huile sur toile
Collection particulière. Courtesy of Grant Ford Ltd

Baccarat - la cape de fourrure
1920
Huile sur toile
Londres, Tate. Legs de Lady Henry Cavendish-Bentinck, 1940
Sickert passe de nombreuses soirées de l'été 1920 au casino mauresque de Dieppe. Ce lieu de divertissement attire les estivants, comme les Anglais qui se rendent à Dieppe en ferry. L'artiste croque discrètement les participants, puis, dans son atelier, les représente de dos ou le visage baissé. Les jeux d'argent sont alors illégaux en Angleterre. Sickert, qui garde un intérêt nourri pour le scandaleux et l'immoral, se focalise particulièrement sur le baccarat, un jeu auquel se livrent les plus aisés.

Le Système
1924-1926
Huile sur toile
Édimbourg, National Galleries of Scotland. Accepté par le gouvernement britannique en lieu et place des droits de succession et attribué à la Scottish National Gallery of Modern Art en 2009
Sickert ne transmet pas de morale dans ses œuvres, mais il semble porter un regard plus humain et compatissant sur cette victime du vice du jeu. Le désespoir qui émane de ce vieil homme est poignant. Le visage caché derrière une main, écrasé sous l'éclairage électrique, il a visiblement perdu son argent à l'issue d'une partie de boule. La moitié inférieure de la toile est occupée par la table de jeu. Un effet de perspective donne l'impression que cette dernière s'élève et engloutit les figures humaines.

L'Armoire à glace
1924
Huile sur toile Londres, Tate.
 Achat 1941
Cette œuvre est structurée par les lignes verticales qui enserrent la figure assise, comme avalée par le décor. Elle révèle les liens plus ou moins assumés de Sickert avec la littérature et la peinture narrative. Il la décrit en effet comme «une sorte d'étude à la Balzac », et raconte l'histoire d'une femme de la classe moyenne française, entourée, voire écrasée, par son mobilier. C'est Marie Pépin, la bonne du couple Sickert à Envermeu, qui a posé pour ce tableau.

Le Dessus de cheminée
v. 1906
Huile sur toile
Southampton City Art Gallery
Ce tableau est une plongée dans un intérieur de Camden Town. Une femme se regarde dans un miroir posé sur un dessus de cheminée. Ce dernier est encombré de bibelots dont les reflets animent la toile. Un lieu de vie se dévoile dans ce miroir imbriqué dans le tableau. Les scènes d'intérieur de Sickert sont autant de réflexions sur la condition humaine. Ses représentations de figures isolées, comme une femme face à son reflet, font de la solitude, de l'ennui et de la relation à soi des thèmes récurrents.

Le Meurtre de Camden Town
v. 1907-1908
Huile sur toile Daniel Katz Family Trust
Le titre de l'œuvre évoque un fait divers sanglant: le meurtre de la jeune prostituée Emily Dimmock, retrouvée le 12 septembre 1907 la gorge tranchée, nue, sur son lit, dans son studio de Camden Town. Sickert s'en empare tout en préservant l'ambiguïté du sujet. Il change le titre de ses œuvres au fil des années, brouillant leur lecture. Leur iconographie est elle-même trouble. Plus qu'un meurtre ou une scène de prostitution, ce tableau pourrait simplement représenter un couple dans son modeste intérieur.

L'Affaire de Camden Town 
1909
Huile sur toile
Collection particulière
Ce tableau fait partie de l'ensemble inspiré par le meurtre d'Emily Dimmock. Malgré une allusion à la prostitution ou à un rapport de domination, avec cet homme surplombant une femme nue sur un lit, il n'y a pas de signe explicite de violence physique. Avec l'ambiguïté typique de son art, Sickert décrit aussi simplement le quotidien d'un couple dans un quartier pauvre de Londres. Le lit métallique, le pot de chambre et la chaise où s'entassent les habits évoquent ainsi un lieu de vie restreint à une pièce unique.

Dawn, Camden Town
v. 1909
Huile sur toile
Collection particulière. Courtesy Hazlitt Holland-Hibbert

Jack Ashore
1912-1913
Huile sur toile
Chichester, Pallant House Gallery. Don Wilson/Art Fund, 2006

 Les Prussiens en Belgique
v. 1912
Huile sur toile
Collection particulière. Courtesy Hazlitt Holland-Hibbert
Le titre de The Prussians in Belgium évoque une peinture d'histoire davantage qu'une scène de genre. Sickert le choisit a posteriori, après qu'a éclaté la Première Guerre mondiale. Il influence ainsi la lecture de l'œuvre qui prend alors une portée allégorique. En effet, il introduit l'idée d'un rapport de force subi par la femme dénudée. Avec leurs sujets ambigus et avec leurs titres changeants, Sickert empêche une interprétation facile et univoque de ses scènes d'intérieur.

Deux femmes sur un canapé
 - Le Tose
v. 1903-1904
Huile sur toile
Londres, Tate. Legs de Sir Hugh Walpole, 1941
Dès son séjour à Venise en 1903, Sickert représente des figures des classes populaires dans des intérieurs, par exemple deux femmes dans une chambre. Contrairement à d'autres représentations, dans ce tableau elles ne sont pas en train d'échanger ou de se regarder. Leur expression est illisible, brouillée par la matière posée en larges touches. L'œuvre donne une impression étrange d'ennui et de détachement. Son caractère étouffant et méditatif annonce d'autres scènes d'intérieur londoniennes.

La Marchande de fleurs
1911
Huile sur toile
Collection particulière
De retour à Londres, Sickert prend volontiers pour modèles des femmes des classes populaires londoniennes, notamment des marchandes ambulantes. Il développe aussi les mises en scène réunissant deux personnes. Il représente ici deux marchandes de fleurs, peut-être une mère et sa fille, assises sur un lit au cadre métallique. Le papier peint fait un clin d'œil à leur profession. Cette œuvre a un caractère plus enjoué, avec une matière posée par touches aux tonalités roses et violettes étonnantes.

TRANSPOSITION: LES DERNIÈRES ANNÉES
À partir de 1914, Sickert met au point ce qu'il appelle « le meilleur moyen du monde de faire un tableaux, Sa méthode consiste à peindre un premier camaieu délimitant les zones claires et les zones sombres de la composition, puis à ajouter les lignes, et enfin à poser les couleurs. Il travaille alors de plus en plus à partir de photographies ou d'illustrations de presse qu'il transpose en peinture. Ce procédé de transposition se double d'un agrandissement de l'image d'origine qui se traduit aussi par de plus grands formats. Le choix de tels documents de départ lui permet de traiter d'actualités, notamment politiques, auxquelles il n'aurait pas pu avoir accès autrement, ou encore de revenir à sa passion pour le théâtre. Durant l'entre-deux-guerres, il multiplie en effet les tableaux de théâtre, à partir d'illustrations anciennes qu'il baptise Echoes, de photographies réalisées par lui-même ou des assistants pendant des répétitions, ou encore d'images trouvées dans la presse. Son emploi assumé et revendiqué d'images préexistantes est résolument moderne et provocateur. Il remet alors en question le rôle de l'artiste. Il est par ailleurs de plus en plus aidé par des assistants et par sa troisième femme, Thérèse Lessore. Bien qu'il soit alors pleinement reconnu en tant qu'artiste, Sickert fait face à une critique violente à l'égard des tableaux réalisés selon ce procédé de transposition, avant que celui-ci ne soit banalisé par les artistes des générations suivantes, comme Andy Warhol et Gerhard Richter.

Variation sur Othello
v. 1933-1934
Huile sur toile
Bristol Culture: Bristol Museums & Art Gallery
Dans ce Sickert réunit en une scène imaginaire des acteurs d'époques différentes: Ira Aldridge, acteur afro- américain né d'un esclave affranchi, dans le rôle d'Othello qu'il avait joué en Europe en 1852, et Valerie Tudor, actrice contemporaine de Sickert dans le rôle de Desdémone qu'elle n'a jamais joué. Ce spectacle est donc créé de toutes pièces par Sickert, peut-être en réponse aux critiques racistes qui attaquaient alors l'acteur afro-américain Paul Robeson, comme Aldridge avant lui.

Hamlet
v. 1930
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay. Achat 1932
Ce tableau est acheté à Sickert par le Louvre pour le Jeu de Paume en 1932. C'est un signe fort de reconnaissance, alors même que l'artiste s'est éloigné la France. Les Echoes, bien que discutés par la critique, ont rencontré un certain succès. L'œuvre reprend une illustration de John Gilbert, cité par son monogramme « JG », en bas à droite de la toile. Elle représente la scène du cimetière de la pièce Hamlet de Shakespeare, à une période où Sickert retrouve sa passion pour le théâtre.

Le Séducteur
v. 1929-1930
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1989
Les Echoes couvrent la majeure partie de la production de Sickert pendant les treize dernières années de sa carrière. Ces peintures revendiquent l'utilisation de sources extérieures, des illustrations victoriennes transposées directement sur la toile. Il cite le dessinateur dont il se veut le transcripteur, ici John Gilbert (1817-1897), une de ses principales références. Sickert avait d'ailleurs rencontré l'artiste vieillissant au début de sa carrière pour en faire un portrait publié dans le Pall Mall Budget.

L'Intégrité de la Belgique
1914
Huile sur toile
UK Government Art Collection. Achat à Phillips, 5 novembre 1991
Fils d'un père allemand et danois et d'une mère anglaise, attaché à la France et proche de la femme de Winston Churchill, profondément cosmopolite, Sickert est très affecté par la Première Guerre mondiale. Il conçoit cette œuvre pour la «War Relief Exhibition» (Exposition au bénéfice des victimes de la guerre) organisée à la Royal Academy en janvier 1915. Un soldat, genou à terre, vu en contre- plongée, observe le champ de bataille avec ses jumelles. Il incarne la résistance héroïque de la Belgique face à l'Allemagne.

Soldats du roi Albert Jer
1914
Huile sur toile
Sheffield Museums Trust
Sickert peint ce tableau montrant des soldats belges au début de la Première Guerre mondiale. Il fait poser dans son studio un soldat et acquiert des accessoires, comme des uniformes belges ou encore une roue de charriot. À partir d'études, il crée une composition qu'il reporte sur la toile de grand format par le biais d'une mise au carreau. Il peint selon une technique qu'il a perfectionnée durant des années et qui consiste à définir les masses claires et sombres de l'œuvre avec une sous-couche en camaïeu, ici de rose et de bleu.

Juliette et sa nourrice
v. 1935-1936
Huile sur toile
Leeds Art Fund. Prêt de Leeds Museums and Galleries. Achat 1937

"La Mégère apprivoisée"
v. 1937
Huile sur toile
Bradford District Museums and Galleries, CBMDC
Le théâtre revient aussi dans la peinture de Sickert grâce à la photographie. Il utilise ici une photographie publicitaire de Houston Rogers de la représentation de La Mégère apprivoisée de Shakespeare, mise en scène populaire par Claude Gurnay au New Theatre en 1937. L'image est transposée sur la toile grâce à une mise au carreau qu'il laisse transparaître. Les couleurs éclatantes et acidulées sont quant à elles inventées par Sickert, la photographie initiale étant en noir et blanc.

Miss Gwen Ffrangcon-Davies en Isabelle de France
1932
Huile sur toile
Londres, Tate. Offert The Art Fund, Contemporary Art Society et C. Frank Stoop pour Contemporary Art Society, 1932
L'actrice Gwen Ffrangcon-Davies devient le nouveau modèle favori de Sickert peu après leur rencontre en avril 1932. Pour ce portrait, il choisit une photographie de presse de l'actrice répétant en costume pour Edward II de Shakespeare. Il la recadre en coupant la robe à paniers, augmentant la monumentalité de sa figure. Il la transfère sur la toile de très grand format et colore le tout en un camaïeu qui reprend la trame de la mise au carreau et évoque la photographie en noir et blanc. La source de l'image est citée à même la toile.

Encore Gwen
1935-1936
Huile sur toile
Collection particulière

Sir Thomas Beecham en train de diriger
1938
Huile sur toile de jute
New York, The Museum of Modern Art. Bertram F. and Susie Brummer Foundation Fund, 1955
Sickert revient surtout au théâtre, mais les arts du spectacle dans leur ensemble l'intéressent toujours. Il peint ici le portrait du compositeur et chef d'orchestre Thomas Beecham, directeur de l'Orchestre philharmonique de Londres qu'il a fondé en 1932. Sickert reprend pour cela une photographie du chef prise depuis la fosse des musiciens, en contre- plongée, devant un fond rouge intense. Sa posture, les bras levés et écartés, emplit le format du tableau et accentue la théâtralité de l'œuvre.

LES PROCÉDÉS DE TRANSPOSITION DE SICKERT
Sickert s'aide de procédés de transposition tout au long de sa carrière de peintre. utilise d'abord une chambre claire universelle, un dispositif optique qui l'aide à dessiner sur une feuille le sujet observé. Malgré une méfiance initiale, due à l'importance qu'il accorde au dessin préparatoire et à la mise à distance du réel, il utilise également très tôt des photographies. Il transpose celles-ci sur la toile grâce à une minutieuse mise au carreau, une technique de quadrillage qu'il utilise également pour transposer des dessins, ou plus tard des illustrations anciennes qui servent de point de départ à ses tableaux. Il s'exerce lui-même à la photographie à Venise au début du XX" siècle, puis à Londres dans les années 1920. Il ne semble pas avoir été particulièrement doué dans ce domaine et préfère avoir recours à des photographes professionnels pour lui fournir des images. Sickert utilise aussi à plusieurs reprises une lanterne de projection pour projeter sur la toile une photographie sous la forme d'une plaque de verre. Ce procédé lui permet de peindre directement sur la toile sans avoir à reporter une image par le biais d'une mise au carreau préalable. Sickert revendique pleinement l'utilisation de la photographie à la place du dessin préparatoire à partir du milieu des années 1920. Il encourage de jeunes artistes dans cette voie en enseignant à la Royal Academy, dont il devient membre à part entière en 1934.

Lanterne de projection Projection Lantern
1890
Paris, Cinémathèque française
Les lanternes de projection sont des appareils utilisés d'abord pour des spectacles. Elles permettent de projeter à travers une lentille des images, peintes ou fixées sur des plaques de verre, rétroéclairées par une source lumineuse. Elles sont les ancêtres des projecteurs de diapositives. Sickert s'en sert quant à lui pour projeter sur sa toile des photographies sous forme de plaques de verre. Il peut ainsi peindre directement, sans reporter son image par le biais d'une mise au carreau.

L'Arrivée de mademoiselle Earhart
1932
Huile sur toile
Londres, Tate. Achat 1982
Bien après l'affaire du meurtre de Camden Town, Sickert s'inspire encore des événements illustrés dans la presse, qu'ils soient exceptionnels ou anecdotiques, comme une scène de mariage ou le baiser d'un mineur à sa femme après un mouvement de grève. Il reprend ici une photographie qui a fait la première du Daily Sketch le 23 mai 1932. Elle représente l'accueil par la foule anglaise de l'aviatrice américaine Amelia Mary Earhart, la première femme à avoir traversé seule l'océan Atlantique.

Le Vice-Amiral Lumsden, C.I.E., C.V.O.
1927-1928
Huile sur toile
Devon, Collection particulière
Ce portrait n'est pas peint d'après une photographie: Sickert, alors qu'il est aux bains de Brighton, rencontre un homme dont les tatouages l'impressionnent. Il lui propose de poser pour lui, et est surpris de le voir arriver à son atelier vêtu d'un uniforme. Son modèle s'avère être un amiral retraité. L'ironie de la situation a dû amuser Sickert. Il en fait un grand portrait en pied à échelle 1 et définit alors la méthode pour ses grands portraits de commande.

Le Roi George V et le directeur de ses Écuries de course: une conversation piece à Aintree
1929-1930
Huile sur toile
Prêt de Sa Majesté le Roi Charles III
 Le Roi George V et la reine Mary
1935
Huile sur toile
Collection particulière
Sickert peint volontiers les personnalités qui font l'actualité. Il portraiture notamment la royauté, non pas sur commande mais de sa propre initiative, d'après des photographies de presse dont il apprécie le caractère spontané. Il choisit ici un gros plan sur le visage du roi George V, en pleine conversation avec le manager des Royal Racing Stables (Écuries royales de course). Il cite à même la toile la source de cette photographie et revendique ainsi son procédé de transposition novateur et alors mal accepté.

Sa Majesté le roi Édouard VIII
1936
Huile sur toile
Collection particulière

Pimlico
v. 1937
Huile sur toile
Aberdeen City Council (Aberdeen Archives, Art Gallery & Museums Collections). Achat sur les arrérages du legs Macdonald, 1938

Le Mineur
v. 1935-1936
Huile sur toile
Prêt du Birmingham Museums Trust pour le Birmingham City Council

Jack et Jill
v. 1937-1938
Huile sur toile
Laura and Sel Oskowitz
Sickert peint ce tableau à partir d'une image publicitaire pour le film de 1936 Bullets or Ballots (Guerre au crime) de William Keighley (1889-1984). Comme souvent, il recadre légèrement l'image de départ, et en modifie plusieurs détails: il place un cigare dans la bouche de l'homme, une fleur au chapeau de la femme, dont il entrouvre la bouche pour lui donner l'air surpris ou effrayé. L'homme se fait dominateur, la femme affaiblie. La simplification des couleurs évoque le noir et blanc du cinéma.

Hugh Walpole
1929
Huile sur toile
Prêt de Glasgow Life (Glasgow Museums) pour le Glasgow City Council. Achat 1947

Portrait de Degas en 1885
v. 1928
Huile sur toile
Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
Sickert peint des portraits de personnalités qui lui sont proches, par exemple l'écrivain anglais Hugh Walpole, collectionneur d'œuvres de Sickert, ou son mentor Edgar Degas. Pour le premier, Sickert se sert d'études faites pendant des séances de pose. Pour le second, il travaille à partir d'une photographie: son mentor est alors décédé depuis plus de dix ans. Il utilise donc un portrait photographique fait en 1885 d'Edgar Degas, l'année même où des liens d'amitié se tissaient entre eux.

High-Steppers
V. 1938-1939
Huile sur toile
Édimbourg, National Galleries of Scotland. Achat 1979

Variation sur Peggy
1934-1935
Huile sur toile
Londres, Tate. Legs de Peggy Ashcroft, 1992
Peggy Ashcroft est l'actrice que Sickert a le plus fréquemment représentée, à la scène comme à la ville. Pour ce portrait, il choisit une photographie en noir et blanc publiée dans The Radio Times en novembre 1934. L'actrice y est montrée en vacances, à Venise, sur le Pont de l'Académie, devant la silhouette de Santa Maria della Salute. Le noir et blanc de la photographie d'origine est remplacé par trois couleurs choisies arbitrairement par Sickert: le rose, le bleu et le vert.

 La Résurrection de Lazare
v. 1929-1932
Huile sur toile
Melbourne, National Gallery of Victoria
Sickert a l'idée de cette scène de la résurrection de Lazare lorsqu'il reçoit dans son atelier un mannequin d'artiste, livré enveloppé dans un papier évoquant un linceul. Il conçoit alors une mise en scène minutieusement. Il pose dans le rôle du Christ, en haut d'une échelle, et demande à son amie Cicely Hey de jouer la sœur de Lazare. Le mannequin emballé et violemment éclairé semble flotter entre eux. Sickert fait photographier cette composition spectaculaire puis la transpose sur la toile. L'œuvre fait partie d'une série d'autoportraits bibliques qui font référence au renouvellement de l'artiste dans la dernière partie de sa vie.

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