mercredi 28 septembre 2022

Sam Szafran, obsessions d'un peintre à l'Orangerie en septembre 2022



Ateliers, escaliers, feuillages, la virtuosité au service de l'obsession, des beaux grands formats, une exposition agréable dont voici un aperçu :


La trajectoire de Sam Szafran n'est comparable à aucune autre. Enfant d'une famille juive polonaise,
il a connu pendant la guerre l'ébranlement d'un monde
et l'écroulement de l'enfance. La pratique du dessin et de la peinture lui a offert cet ancrage dans le réel qu'une vie menacée par les dangers de l'Histoire lui avait refusé.
En autodidacte, avide de savoir, il a tenu le cap de sa création, retiré dans son propre univers. Dans le secret de l'atelier, Sam Szafran a poursuivi les obsessions dont son œuvre est empli sans détourner le regard. Laissant de côté les débats
de son temps, il a choisi la figuration dans une période qui y avait renoncé ou qui l'entraînait dans de tout autres directions.
Contemporain des dernières avant-gardes, le peintre s'en est tenu à l'écart tout en les observant avec attention, cultivant un goût pour les techniques passées de mode comme le pastel et l'aquarelle.
Szafran a élaboré un vocabulaire fidèle au regard qu'il portait sur le monde, celui qui l'entourait au plus près : ateliers reflétant ses états psychiques, escaliers en colimaçon devenus labyrinthes, espaces envahis par la végétation, boîtes de pastels métamorphosées par un jeu de perspective...
Trois ans après sa disparition, cette exposition pose un premier regard sur l'œuvre désormais achevée.

1934-1951 enfance révoltée

Le 19 novembre 1934, Sami Max Berger nait à Paris Enfant ainé de parents émigrés Juifs polonais, il grandit dans le quartier des Halles ou il est élevé surtout par sa grand-mère maternelle. Pendant la guerre, il échappe à la rafie du Vel d'Hiv et se cache à la campagne, dons le Loiret, puis dans le Lot. Après un court emprisonnement à Drancy, il est libéré par les Américains. Son père et une grande partie de sa famille trouvent la mort dans les camps nazis
Après la guerre, la Croix-Rouge l'envoie en Suisse, à Winterthur, où il commence à dessiner.
En 1948, il part avec sa mère et sa sœur à Melbourne en Australie, chez un oncle. Il y est très malheureux et fait plusieurs fugues. De retour à Paris, une existence rude et précaire le pousse à la délinquance, Voyant le vélo qu'il a décoré en Australie, un chef de bande lui dit :
-Quand on a un talent comme toi on ne tombe pas dans le banditisme.»

1951-1960
Le bouillonnement de Montparnasse

Szafran vit d'expédients et travaille dans des ateliers de fortune; après avoir essayé en vain d'entrer dans une école d'art, il suit les cours du soir de la Ville de Paris. De temps en temps, il est accueilli à l'Académie de la Grande Chaumière dans l'atelier d'Henri Goetz et fait la connaissance de nombreux artistes de la seconde École de Paris. Pour rendre hommage à sa grand-mère, il décide de signer du nom de «Szafran». Poètes et artistes l'initient à la peinture et à la littérature dans les cafés et les galeries de Montparnasse. Il s'intéresse à tout, sans a priori.
Ses premières œuvres laissent transparaître les influences plurielles de l'École de Paris, l'informel, l'art brut et l'abstraction. Une boîte de pastels reçue en cadeau déclenche une véritable passion pour ce médium alors peu usité. Il exécute ses premières séries sur le thème des choux et découvre les pastels Roché.

1961-1980 Obsessions et séries
Szafran fait le choix de la figuration après sa rencontre, déterminante, avec Alberto Giacometti.
En 1963, il se marie avec Lilette Keller, originaire du Jura suisse, qu'il a rencontrée au bal des artistes. L'année suivante, leur fils Sébastien vient au monde, gravement handicapé.
Jacques Kerchache organise en 1965 la première exposition personnelle de Szafran qui, peu après, entre à la galerie Claude Bernard qui le représentera jusqu'à la fin de sa vie. L'œuvre se resserre autour de thèmes issus du quotidien du peintre ses ateliers, l'imprimerie Bellini, et l'escalier du 54 rue de Seine, adresse de son ami, le poète libanais Fouad El-Etr, directeur de la revue La Délirante. Enfin, les premiers feuillages voient le jour En 1974, il s'installe définitivement à Malakoff dans une ancienne fonderie de métaux. En expérimentateur passionné, il commence à travailler l'aquarelle et cherche à l'associer au pastel.

1980-2019 Consécration

En 1982, quatre pastels sont montrés à la Biennale de Venise. Szafran reçoit le Grand Prix des Arts de la Ville de Paris en 1993. Les œuvres s'agrandissent, il adopte la soie chinoise comme support pour ses aquarelles et réalise des paysages urbains de grand format.
Jean Clair lui consacre en 1996 une monographie et signe en 1999 la première rétrospective à la fondation Pierre Gianadda à Martigny, puis à la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence. À Paris, le musée de la Vie romantique l'expose deux ans plus tard. En 2006, Szafran conçoit deux céramiques monumentales avec le céramiste Jean Gardy Artigas pour la fondation Gianadda. En 2010, invité par le musée Max Ernst en Allemagne, il accepte d'y exposer. Une grande rétrospective lui est consacrée à la fondation Gianadda en 2013 avant l'ouverture d'une salle consacrée à son œuvre en 2015. Il est promu commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres.
Szafran meurt chez lui le 14 septembre 2019.


Sans titre
vers 1959
Fusain sur papier
 Paris, galerie Claude Bernard

Bustes
vers 1960-1962
Bronze, patine noire,
 Collection Lilette Szafran

L'Atelier de la rue du Champ-de-Mars (Second Orage)
1969-1970 Fusain sur papier, Collection particulière
En 1969-1970, Szafran occupe quelques mois un atelier situé rue du Champ-de-Mars, qui lui inspire une des premières séries au fusain. Avec ses tréteaux, chevalets, chaises et cadres, l'atelier nous est montré dans des états de chaos, ravagé par la tempête, inondé par la pluie ou sous des flocons dansants, métaphores de la psychologie changeante de l'artiste.

L'Atelier de la rue du Champ-de-Mars (Homme allongé)
mars 1970
Fusain sur papier
 Collection particulière

L'Atelier, rue du Champ-de-Mars
1970
Fusain sur papier 
Collection particulière
Le poète libanais Fouad El-Etr (né en 1942) directeur de la revue de poésie La Délirante - est un ami proche de Szafran. Il lui rend souvent visite rue du Champ-de-Mars et écrit dans un poème "Il neige dans la chambre". Szafran a souvent souligné l'importance de la poésie pour son travail. Pour les éditions de La Délirante, il illustre plusieurs recueils de poésie.

L'Atelier de la rue du Champ-de-Mars
1970
Fusain sur papier
 Collection particulière

Le chaos apprivoisé
 L'atelier de la rue de Crussol
Les ateliers que Sam Szafran occupe à Paris et celui qu'il achète rue Vincent Moris à Malakoff forment plus qu'une série ou un sujet. Il s'agit d'un thème qui traverse l'œuvre de l'artiste, au cœur de sa vie quotidienne, jusqu'à devenir un exercice d'introspection. Regardés, scrutés, analysés, ces lieux fournissent les multiples facettes d'une observation qui prend, sur le papier et sous le bâtonnet de pastel, la forme d'une figuration constamment renouvelée.
L'atelier de la rue de Crussol, petit espace prêté pour un temps par le peintre américain Irving Petlin, se métamorphose en théâtre de ses créations, qu'il décrit avec précision : "On y trouve les motifs qui deviendront récurrents selon les séries: les châssis retournés le long des murs (ici ceux de Petlin), le tub suspendu en hommage à Degas (La Bassine), le poêle à charbon, élément central de ce décor surréaliste, les boîtes de bâtonnets de pastel et les livres d'échantillons À La Gerbe qui se reflètent inversés, dans la verrière zénithale mal colmatée, la chaise longue capitonnée trouvée chez Madeleine Castaing où repose une figure amie..."

L'Atelier de la rue de Crussol
janvier 1971
Pastel sur calque contrecollé sur carton Collection Julia Louis-Dreyfus et Brad Hall

L'Atelier de la rue de Crussol
janvier 1971
Pastel sur calque contrecollé sur carton Collection Julia Louis-Dreyfus et Brad Hall

Interior II L'atelier de la rue de Crussol
mai 1972
Pastel sur calque contrecollé sur carton New York, The Metropolitan Museum of Art, Jacques and Natasha Gelman Collection, 1998
«Les différents états d'ordre et de désordre de cet atelier à travers les onze variations qu'il m'a inspirées - ton général, lumière du jour, lueur de nuit, compositions ordonnées ou déchiquetées expriment la palette d'émotions vives qui étaient miennes en ce moment, allant de la stabilité relative, sinon de la sérénité, à la colère et au drame passionnel le plus aigu» (Sam Szafran, 2000).

L'Atelier de la rue de Crussol
février-mars 1972
Pastel sur calque contrecollé sur carton Collection particulière

L'Atelier de la rue de Crussol
avril 1972 Pastel sur calque contrecollé sur carton 
Collection particulière

Funambule (Philippe Petit)
1969
Fusain sur papier
Collection Irène et Jacques Elbaz
En 1971, le funambule Philippe Petit parcourt sur un fil la distance entre les deux tours de la cathédrale de Notre-Dame à Paris. Il est ami avec Szafran qui le prend comme sujet et que l'on retrouve dans certains pastels de la série de l'atelier de la rue de Crussol. Hantant ses œuvres, l'image de l'équilibriste s'exerçant dans l'atelier fait figure de métaphore de la difficulté du juste équilibre dans son art.

L'Atelier de la rue de Crussol
février 1972
Pastel sur calque contrecollé sur carton Collection particulière

Les recherches du peintre et pastelliste Edgar Degas constituent pour Szafran une source d'inspiration durable. La lecture de Degas à la recherche de sa technique, publié en 1945 par Denis Rouart, est un jalon de son évolution artistique. C'est ainsi qu'il découvre par exemple l'usage du papier calque. Le tub souvent représenté par Degas apparaît dans certaines de ses compositions, allusion explicite au virtuose du 19ème siècle.

L'imprimerie Bellini
En 1970, Szafran reprend avec des associés une ancienne fabrique de lithographies au 83 rue du Faubourg-Saint-Denis. Y furent imprimées à la fin du 19ème siècle des lithographies des affichistes Steinlen, Chéret et Lautrec, puis des affiches de cinéma. Ce lieu inspire à Szafran une importante série de vues d'atelier, qu'il nomme Imprimerie
Bellini en hommage au peintre vénitien de la Renaissance.

Contrairement aux ateliers de la rue de Crussol - variations à partir d'un même point de vue, cette série invite le spectateur à arpenter l'espace, petit à petit, du rez-de-chaussée au sous-sol. Avec précision, Szafran se consacre aux verrières et aux presses d'imprimerie, outils, bassins et pierres lithographiques, n'oubliant pas les amis et ouvriers qui accomplissent leur travail.

L'influence du cinéma est perceptible, l'artiste s'appropriant les lieux en fixant comme en travelling différentes perspectives. « Mon premier contact avec l'art a été le cinéma», confie l'artiste, qui cite parmi ses maîtres à penser les cinéastes Serguei Eisenstein, Orson Welles, ou Alfred Hitchcock.

Imprimerie Bellini
juillet-septembre 1972 Pastel sur calque contrecollé sur carton Collection particulière

L'Imprimerie Bellini
1972
Pastel sur papier Collection Irène et Jacques Elbaz

L'Escalier Bellini
juillet-septembre 1972
Pastel sur papier Paris, Galerie DIL, Collection Arlette Boumendil

L'Escalier Bellini
1974
Pastel sur papier Collection particulière

Imprimerie Bellini
1972
Pastel sur papier
 Collection particulière

Les œuvres de la série des Imprimeries Bellini décrivent le travail dans un atelier d'estampes sous différents aspects. Certains pastels montrent les machines et les hommes au travail tandis que plusieurs autres mettent au cœur de la composition les boîtes de pastels, technique que Sam Szafran a choisie à contre-courant de son époque. Placées au bas de l'escalier dans la lumière, elles resplendissent comme un trésor.

Imprimerie Bellini
1972-1974
Pastel sur calque contrecolle sur carton 
Collection Irene et Jacques Elbaz

Imprimerie Bellini
juillet-septembre 1972 Pastel sur calque contrecollé sur carton Collection particulière
La série des Imprimeries Bellini offre une particularité dans l'œuvre de Szafran : elle est plus narrative qu'à son habitude. Au-delà de vues d'intérieurs virtuoses, tant par la composition que par l'usage du pastel dans de si grandes dimensions, ce sont de véritables scènes. Elles témoignent d'une époque et de l'ambiance de travail collectif qui régnait dans cet atelier parisien,

L'Imprimerie Bellini avec le peintre Olivier 0. Olivier
1974
Pastel sur calque contrecollé sur carton Collection particulière

Le vertige de l'espace L'escalier de la rue de Seine
Le poète Fouad El-Etr s'adresse à Szafran au sujet des dessins qu'il a exécutés au début des années 1970 pour sa revue de poésie, La Délirante: «Prenons le thème de l'escalier par exemple, celui du 54 rue de Seine. Te rappelles-tu le jour où tu es revenu épingler sur les murs mansardés de ma chambre les premiers croquis, comme des squelettes, avec une rampe pour toute épine dorsale, afin d'apprivoiser ce nouveau modèle et de choisir la meilleure mise en page pour illustrer une couverture ? ».
L'escalier y est décrit au fusain en suivant assez respectueusement les codes traditionnels de la perspective. Cette œuvre est pourtant devenue le préalable à des expériences formelles toujours plus complexes que l'artiste, presque quarante ans plus tard, place sous le signe du regard: "J'ai toujours pensé, comme Alberto Giacometti le disait, que la réalité est beaucoup plus forte que l'utopie, que le rêve ou le fantastique. Ce qui m'importait c'était moins de réussir une œuvre que de donner la possibilité aux gens de regarder un peu mieux. Le rôle de l'artiste c'était de donner un autre regard, un regard qui permette de voir autrement".

Escalier
1974
Pastel sur papier 
Collection particulière

Escalier-Ville
2012-2015
Aquarelle et pastel sur soie Martigny, Fondation Pierre Gianadda, don de Daniel Marchesseau en 2015
Les motifs étudiés sans relâche par l'artiste se fragmentent et se démultiplient. Ils se confrontent et se conjuguent dans une recherche qui tente de représenter simultanément le temps et l'espace. Szafran intègre pleinement dans son art les principes de la vision cinématographique, usant des effets de plongée et contre-plongée, zoom, gros plans, travellings et panoramiques.

Le poète (La Délirante)
1967
Fusain sur papier
Collection Irène et Jacques Elbaz
Ce fusain au sujet énigmatique montre un homme qui marche à grands pas poursuivant sa propre parole. Il est reproduit sur la couverture du premier numéro de la revue de poésie La Délirante (1967-2000), à laquelle Szafran a contribué jusqu'en 1983. Ce dessin est devenu l'emblème de La Délirante.

Le poète (La Délirante)
1967
Fusain sur papier
Collection Irène et Jacques Elbaz

Ce fusain au sujet énigmatique montre un homme qui marche à grands pas poursuivant sa propre parole. Il est reproduit sur la couverture du premier numéro de la revue de poésie La Délirante (1967-2000), à laquelle Szafran a contribué jusqu'en 1983. Ce dessin est devenu l'emblème de La Délirante.

Escalier de La Délirante
1972
Fusain sur papier
Collection Fouad et Martine El-Etr

En 1972, Szafran exécute le dessin d'un escalier situé au 54 rue de Seine. C'est là qu'habite le poète Fouad El-Etr, éditeur de la revue de poésie La Délirante. Pour en illustrer un numéro, il a proposé à l'artiste de représenter le palier devant son appartement. Dessiné ici au plus près du motif, le thème de l'escalier est devenu celui d'une des plus grandes séries de Szafran.

Escalier de la rue de Seine
1975
Fusain sur papier
Collection Stéphane Dykman

Escalier, 54 rue de Seine
1974
Fusain sur papier
 Collection particulière


Déformations de la vision

Le motif de l'escalier est au cœur de l'œuvre de Szafran, à la croisée de ses préoccupations formelles, et ancré dans son histoire personnelle. L'artiste se souvient, alors qu'il était enfant, avoir été tenu suspendu dans le vide de la cage d'escalier par son oncle le menaçant de le lâcher. Il souligne d'autre part : "Personne avant moi n'avait fait des escaliers, et moi j'ai toujours vécu dans les escaliers. C'est le côté territorial, physique, la survie, les petites bandes de mômes qui tiennent un territoire".

Pour rendre les déformations de la vision - point central de ses obsessions, Sam Szafran rompt avec la tradition du dessin perspectif, en distordant l'espace. Il transcrit les sensations du vertige et de la chute en utilisant l'anamorphose et la dynamique en coup de fouet de la «ligne serpentine », empruntée aux peintres maniéristes italiens. Grâce à une technique virtuose, d'abord au pastel puis à l'aquarelle, il cherche à toujours affiner la précision des images formées par son regard.

Escalier
1981-1982
Pastel sur papier 
Collection Pierre Boudriot

Szafran explique comment il procède pour représenter l'espace de la cage d'escalier : "Alors, pour pouvoir faire l'ensemble, je me « suis mis à bouger. J'étais obligé de m'identifier à une araignée, qui monte et descend au bout de son fil, dans la cage de l'escalier, qui peut voir par-dessous et par-dessus. Et donc, j'ai commencé à me mobiliser, comme si j'étais une caméra, à bouger, à tourner...".

Escalier
1981
Pastel sur papier
 Collection particulière

Sans titre
(Escalier)
1981
Pastel sur papier
Paris, Centre Pompidou, musée national d'Art moderne / Centre de création industrielle, achat, 1982

Escalier
1980
Pastel sur papier
 Collection particulière

Multipliant les escaliers, Szafran se livre à des expériences au travers desquelles il cherche à mettre en lumière les mécanismes de la vision, par la remise en cause des lois de la perspective, héritées de la Renaissance. "Une interprétation vertigineuse, relève-t-il, en illusion d'optique, des perspectives traditionnelles - européenne ou arabe -, que je n'ai en vérité jamais apprises".

Escalier, 54 rue de Seine
1990
Aquarelle sur soie
 Collection particulière

Escalier avec Jacques Kerchache, François Barbâtre et l'artiste
1993
Aquarelle sur soie 
Collection particulière

Sans titre
(Escalier)
1993
Aquarelle sur soie
 Collection particulière

Escalier avec rampe et fenêtre
1990-1992
Aquarelle sur soie 
Collection Irène et Jacques Elbaz
Dans l'œuvre de Szafran, l'escalier devient parfois non plus un objet du quotidien mais un objet de contemplation quasi abstrait. L'espace est ici recomposé suivant la rampe qui, détachée de la structure architecturale, prend son indépendance et s'élève en volute dans les airs. Il devient impossible de déterminer le point où se tiendrait le spectateur. Celui-ci se transforme en œil flottant librement dans l'espace.


Paysages urbains

"Et puis il y a la rue. De plus en plus, le paysage urbain m'intéresse. Je remarque d'ailleurs qu'en peinture il y a beaucoup de choses à faire, qui n'ont pas encore été faites. "

À partir du début des années 1990, l'artiste mène de nouvelles expériences autour de vues d'extérieurs, progressivement apparues par les fenêtres des escaliers qu'il a représentés. Désormais, Szafran utilise presque exclusivement l'aquarelle sur un support de soie, que lui fait découvrir l'artiste chinois Sze To Lap. Cette technique autorise des compositions de plus en plus grandes où il tente de conjuguer simultanément l'espace, le temps et le mouvement. Comme un tourbillon d'images, les divers fragments du tableau deviennent partie intégrante d'un grand tout en mouvement. Anciens lieux familiers, souvenirs, choses réelles et irréelles, détails anecdotiques ou concrets, sont des éléments qui viennent composer l'œuvre peinte.

Sans titre
(Rue de Seine)
1997-1998
Aquarelle sur soie
 Collection particulière

Sans titre
2012
Aquarelle et pastel sur soie
 Paris, galerie Claude Bernard

Sans titre (Malakoff)
2013
Aquarelle sur soie
 Paris, galerie Claude Bernard

Szafran, grand admirateur de l'écrivain Georges Perec (1936-1982), travaille dans ses paysages urbains des questions comparables à celles qu'énonce l'écrivain : « L'espace de notre vie n'est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ?» (Espèces d'espaces, 1974).

L'invasion de l'intérieur Serres et feuillage
Au printemps 1966, le peintre chinois Zao Wou-Ki prête son ateiler parisien à Szafran Le lieu recèle une découverte décisive: «j'ai été absolument incapable d'y travailler. j'étais fasciné par un magnifique philodendron qui resplendissait sous la verrière et qu'il m'était impossible de dessiner. Cette impuissance était devenue une obsession>>: Pendant un demi-siècle, l'artiste a ensuite remis sans relâche sur le métier la représentation de plantes, principalement des philodendrons Monstera et ces aralias, Les feuillages sont prétextes à des images foisonnantes, bien que Szafran s'oblige à décrire chaque << individu» précisément. où la feuille elle-même est l'objet de compositions fondées sur la répétition.
La prolifération des végétaux sur le papier donne lieu à plusieurs ensembles. Le premier associe pastel et fusain dans un jeu sur le contraste du noir et du bleu, sans lien avec un quelconque naturalisme. Puis vient la série des feuillages bleus beu abondante et la multiplication. Seule une présence humaine, surtout celle de Lilette dans son manteau japonais, offre une respiration dans des peintures inextricables.

Végétation à la Besnardière
1968-1969
Pastel et fusain sur papier
 Collection Lilette Szafran
Claude Bernard, le marchand de Szafran depuis 1965, l'invite régulièrement à travailler en Touraine dans sa maison de campagne, La Besnardière. Dans le jardin d'hiver les premières compositions au fusain et au pastel comprenant philodendrons et aralias voient le jour, laissant apercevoir l'architecture des serres et occasionnellement le portrait de l'hôte des lieux, ou du poète Jean Paget.

Personnage dans la végétation
octobre 1971
Pastel et fusain sur papier
 Collection particulière

La Serre
1969
Pastel et fusain sur papier
 Collection particulière

L'Atelier du graveur
1967
Pastel et fusain sur papier
 Collection particulière
En 1966, le collectionneur et marchand d'art Jacques Kerchache met à la disposition de Szafran un hangar où son jeune cousin Serge Kantorowicz vient poser. Le jeune homme, qui vient d'être embauché à l'imprimerie de la galerie Maeght, endosse pour Szafran le rôle du graveur, que ce dernier traduit en conjuguant le fusain et le pastel, annonçant les premiers feuillages bleus.

Lilette dans les feuillages
1974
Pastel sur papier 
Collection Phoebe Louis-Dreyfus

Feuillages avec escalier et boîtes de pastel
(Plantes, philodendron, escalier)
1978
Pastel et fusain sur papier The William Louis-Dreyfus Foundation

Feuillages avec personnage
1984
Pastel sur carton
 Collection particulière

La série des pastels bleus de Szafran constitue un ensemble énigmatique et restreint, d'une grande sophistication technique. L'artiste recouvre d'abord une feuille de pastel (n°7261 Roché) broyé puis travaille en transférant la couleur sur le support de la composition. En répétant cette opération, il crée une forêt de feuilles entrelacées : une jungle dense, impénétrable, à l'effet onirique.

Sans titre
(Jean Paget dans les feuillages)
juillet 1971
Pastel sur calque contrecollé sur carton
 Collection particulière, courtesy galerie Claude Bernard

Feuillages à l'atelier
"Puis il y a un saut dans l'univers du végétal, observe l'écrivain américain James Lord. Des plantes! Des juxtapositions à l'infini de feuilles avec leur palpitation, leur perfection et profusion à la limite du perceptible, chaque feuille enluminée dans l'air vibrant, avec une précision jardinière." Pour que ses compositions deviennent encore plus foisonnantes, Szafran envisage des formats de plus en plus importants, qu'il est impossible d'exécuter au pastel. Il se tourne vers l'aquarelle, qui permet des dimensions plus grandes et lui offre une nouvelle voie d'expérimentation technique.
Il n'abandonne pourtant pas le pastel et se lance le défi d'associer les deux au sein de certaines œuvres, jonglant entre le sec et le mouillé. Szafran peint les plantes de son propre atelier, qui dans la réalité et sur le papier, deviennent monumentales. Il ne cesse jusqu'à la fin de sa vie de revenir aux motifs végétaux dans un permanent "clin d'oeil à Matisse", qui l'avait précédé dans le goût pour les grandes plantes ornementales dans l'atelier.

Sans titre (L'Atelier à Malakoff)
1999
Aquarelle et crayon sur papier
Collection particulière

Feuillages
1986-1989
Aquarelle sur papier 
Collection particulière

Détail du tableau précédent 

Sans titre
(Lilette dans l'atelier de Malakoff)
1998
Aquarelle et crayon sur papier Collection particulière

Détail du tableau précédent 

Lilette dans l'atelier
1997-1998
Aquarelle sur papier
 Collection particulière
Sans titre
1989
Aquarelle sur papier 
Collection Julia Louis-Dreyfus
 et Brad Hall

Lilette dans les feuillages (Hommage à Georges Perec)
février-août 2003
Aquarelle sur papier Collection particulière
Szafran a souligné l'importance de la poésie et de la littérature pour son travail. Lorsqu'il se trouve dans une impasse, c'est vers les écrivains qu'il se tourne pour trouver une solution plastique. Ainsi, il reprend le credo de Georges Perec : « Il faut regarder le monde en biais, c'est alors qu'il apparaît en grand relief ». Il rend ici hommage à l'auteur d'Espèces d'espaces (1974) - titre qu'il aurait pu faire sien.

Détail du tableau précédent 

Hommage à Jean Clair pour son exposition "Cosmos"
2012
Aquarelle et pastel sur soie Collection particulière

Szafran décrit son hommage à son ami Jean Clair, membre de l'Académie Française, comme "une expérience métaphorique liée à l'exposition que Jean Clair a organisée sur l'idée du ciel, du cosmos, l'idée de l'espace, de la lumière, idée qu'on retrouve dans la peinture au cours des siècles. (...) On retrouve dans ce projet ce que j'aime, à savoir le mélange entre les disciplines, entre les scientifiques et les artistes."

Détail du tableau précédent 


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