Une exposition militante dont voici l'essentiel :
Parisiennes citoyennes! nous entraîne dans une ambitieuse traversée historique sur les traces des luttes que les femmes ont menées à Paris pour leur émancipation.
Parisiennes citoyennes! avec un point d'exclamation, pour se faire entendre, devenir visible, exister. Parce que c'est une histoire où l'on crie, de rage ou d'indignation, où l'on scande, où l'on chante ensemble ses espoirs - la révolution, la justice, la liberté, la république, la sororité - encore et encore, pour ne pas disparaître dans les limbes de l'histoire. Les femmes n'ont cessé de manifester leur désir de citoyenneté dans les contestations de l'ordre établi, parfois sous des formes institutionnelles et modérées.
Paris en tant que capitale est l'épicentre, en France, de ces combats. De la revendication du droit de cité à la loi sur la parité, des engagements individuels et collectifs, souvent méconnus, sont présentés ici à travers un choix d'œuvres, d'objets et de documents très variés.
DE LA RÉVOLUTION À LA COMMUNE: LE TEMPS DES UTOPIES (1789-1871)
1789, 1830, 1848, 1871 : les Parisiennes sont des actrices importantes de tous les bouleversements politiques que connaît la capitale. En dépit de leur engagement dans les révolutions qui scandent une histoire mouvementée, elles peinent à se faire entendre.
Certes, un nouvel horizon se
dessine avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Et les citoyennes? rétorque Olympe
de Gouges. En effet, dans Paris en
révolution, les femmes qui s'engagent sont nombreuses. Elles s'organisent, animent salons ou clubs, demandent plus d'instruction, et, pour les plus audacieuses, envisagent une égalité politique complète. Le mariage civil et le divorce favorisent l'émancipation.
Mais très vite, le retour à l'ordre patriarcal, étayé par le Code civil napoléonien, freine le mouvement, sans parvenir à éteindre l'espérance d'émancipation. Les brèches que sont les révolutions de 1830 et de 1848 ainsi que la Commune ouvrent le champ des possibles pour les Parisiennes éprises de justice.
Le Divorce républicain,
vers 1793-1794
Jean-Baptiste Mallet (1759-1835)
Dessin-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Club patriotique de femmes, entre 1789 et 1795
Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826)
Gouache sur carton-Musée Carnavalet Histoire de Paris
Le 10 mai 1793 est créée la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires. Le groupe, formé d'environ 170 femmes du peuple, est animé par Pauline Léon, marchande, et Claire Lacombe, comédienne. Il réclame l'égalité et le droit de participer à la défense nationale. Son existence est brève. Dès le 30 octobre 1793, les associations de citoyennes, jugées trop subversives, sont interdites.
Citoyennes
Être citoyenne, c'est avoir des droits politiques (le droit de vote, le droit d'être élue, la liberté d'opinion, de réunion et d'association), mais aussi des droits civils (se marier librement, divorcer et hériter). Dans l'histoire politique de la capitale, les Parisiennes participent à toutes les révoltes ! Elles créent des salons et des clubs de citoyennes pour défendre leurs idées. Parce que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 exclut les femmes des droits politiques, Olympe de Gouges rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Portrait présumé de Manon Roland, vers 1793
Anonyme
Peinture-Musée d'art et d'histoire Paul Eluard, Saint-Denis
Issue de la bourgeoisie parisienne, Manon Roland, femme des Lumières, tient un salon politique réservé aux hommes. Elle estime que les "mœurs [ne] permettent [pas] encore aux femmes de se montrer; elles doivent inspirer le bien et nourrir, enflammer tous les sentiments utiles à la patrie, mais non paraître concourir à l'œuvre politique". Elle est guillotinée le 8 novembre 1793 pour crime d'influence. Il existe plusieurs portraits présumés de Manon Roland qui témoignent de sa popularité.
Anne-Louise-Germaine Necker, dite Mme de Staël, entre 1818 et 1848
Marie Éléonore Godefroid (1778-1849), d'après un portrait de François Gérard
daté de 1813
Tableau-Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles
Reconnue comme l'un des plus brillants esprits de son temps, Germaine Necker (1766-1817), fille du ministre des Finances de Louis XVI, est issue d'une famille protestante, riche et lettrée. Comme sa mère, elle se passionne pour la politique et crée, elle aussi, son propre salon libéral et progressiste. Malgré l'opposition paternelle, elle devient sous le nom de Madame de Staël romancière et essayiste, tout en menant une vie amoureuse très libre. Partie en exil en 1793, elle revient à Paris en 1795 et s'oppose à Napoléon Bonaparte
La grande régression
La Révolution s'achève dans un climat de recul des libertés pour les femmes.
La Première République interdit en 1793 aux femmes de se grouper dans des clubs puis, à la suite d'émeutes, en 1795, de se rassembler à plus de cinq dans la rue et d'assister à des assemblées politiques.
La crainte des mouvements populaires de citoyennes est à son comble. Chaque sexe doit rester à « sa place ». Le risque de confusion est conjuré par le renouvellement de l'interdiction du travestissement.
En 1804, le code civil napoléonien inscrit dans le marbre la domination masculine : la femme mariée perd tous ses droits, sur elle-même et sur ses enfants.
Dans le Code pénal de 1810, l'avortement est puni comme un crime et le meurtre commis par le mari sur l'épouse infidèle jugé excusable. Le droit au divorce est restreint.
La Restauration (1815-1830) parachève ce retour en arrière, en supprimant notamment le divorce.
Code civil des Français. Édition originale et seule officielle, 1804
Imprimerie de la République
Ouvrage-Bibliothèque de l'Assemblée nationale
Art. 213: "Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance
à son mari."
Art. 298: "La femme adultère sera condamnée [...] à la réclusion dans une maison de correction, pour un temps déterminé, qui ne pourra être moindre de trois mois, ni excéder deux années. "
Art. 1428: « Le mari a l'administration de tous les biens personnels de la femme. Il peut exercer seul toutes les actions mobilières et possessoires qui appartiennent à la femme.
La monarchie de Juillet
Le 27 juillet 1830, Paris se couvre de barricades lorsque Charles X décide, entre autres, de supprimer la liberté de la presse et de limiter le corps électoral. Dans une atmosphère de guerre civile, le peuple insurgé, dont de nombreuses femmes, réclame une nouvelle Charte, c'est-à-dire un changement de Constitution, en brandissant le drapeau tricolore.
À l'issue de cette révolution, ce n'est plus un roi de France qui monte sur le trône mais un roi des Français. Louis-Philippe est-il aussi le roi des Françaises ? La féministe saint-simonienne Louise Dauriat pose la question dans une pétition.
Commence une période troublée, avec des libertés publiques retrouvées pour un bref moment, ouvrant un espace pour les revendications sociales et les espoirs d'émancipation. Tandis que la littérature, avec George Sand, porte un regard critique sur le "destin" féminin, les premiers mouvements socialistes forgent l'utopie d'un avenir égalitaire.
Une barricade en 1830,
Peinture à l'aquarelle-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
La présence des Parisiennes sur les barricades de 1830 fait l'objet de représentations qui visent à glorifier l'esprit révolutionnaire et ses visées émancipatrices. Sur la gravure, Delaporte figure des Parisiennes faisant preuve de courage patriotique, mais les représente élégantes, habillées et coiffées à la mode du temps. Pierre Manguin habille sa figure féminine de vêtements typiques des femmes du peuple des années 1830.
Portrait de Mme Dudevant (George Sand), 1837-1839
Auguste Charpentier (1813-1880)
Peinture-Musée de la Vie romantique
Indiana, en 1832, puis Lélia font de George Sand (1804-1876) une femme de lettres célèbre, dont la vie et l'œuvre scandalisent. Passionnée par la vie politique, elle s'engage en 1848 pour une république démocratique et sociale et écrit dans plusieurs journaux, dont le sien : La Cause du peuple par George Sand. Sa priorité féministe est l'égalité dans le mariage, non l'obtention du droit de vote et l'éligibilité pour les femmes. Elle s'impose comme la grande figure féminine du siècle.
Mme Flora Tristan, 1838
Aubert, imprimeur
Estampe-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
« Je suis convaincue que tous les malheurs au monde proviennent de cet oubli et mépris qu'on a fait jusqu'ici des droits naturels et imprescriptibles de l'être femme », écrit Flora Tristan (1803-1844). Elle qui a connu la condition de femme pauvre et survécu à un féminicide parle d'expérience. Prônant une solidarité sans frontière, elle a enquêté, voyagé, notamment à Londres et au Pérou. À Paris, elle tient un salon, 100 bis, rue du Bac (actuel 7° arr.), donne des conférences et publie des plaidoyers pour l'union ouvrière universelle.
Le Second Empire
(2 décembre 1852-4 septembre 1870)
Dans le Paris du Second Empire, les engagements pour l'émancipation des femmes ne manquent pas et les féministes de plume répondent avec fermeté à leurs détracteurs.
Avec la libéralisation des années 1860 resurgissent des initiatives concrètes de femmes progressistes, en particulier dans le domaine éducatif : elles créent les écoles maternelles, des cours secondaires et des formations professionnelles pour les jeunes filles. Le sort des femmes du peuple les indigne et les mobilise.
Les pionnières des droits des femmes revendiquent l'émancipation économique et défendent l'idée qu'à travail égal, le salaire doit être égal. Cette idée est alors minoritaire dans le mouvement ouvrier français, sous l'influence de Proudhon, très hostile au travail féminin.
Marie-Rosalie Bonheur, dite Rosa Bonheur, (1822-1899), peintre, 1850
Jean-Pierre Dantan (dit Dantan Jeune) (1800-1869) Sculpture-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Ce buste par Dantan montre que Rosa Bonheur est reconnue dès 1850 comme une grande peintre animalière, le sculpteur ayant fait figurer sur le socle un motif inspiré de son tableau, salué par la critique, Labourage nivernais. Très appréciée de l'impératrice Eugénie, elle est la première femme artiste à recevoir la Légion d'honneur, en 1865. Elle incarne la possibilité d'une vie libre, indépendante, anticonformiste, à l'image de son goût pour le costume masculin.
La Femme pauvre au XIXe siècle, 1866
Julie-Victoire Daubié (1824-1874)
Ouvrage-Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l'Arsenal
Dans Paris, grande ville ouvrière, les travailleuses sont "moitié moins rétribuées que les hommes remplissant des fonctions analogues ou exécutant les mêmes travaux ", écrit Julie-Victoire Daubié dans l'avant-propos de La Femme pauvre au XIXe siècle. Première femme titulaire du baccalauréat (1861), première licenciée en lettres et féministe engagée, elle a mené une enquête approfondie sur les conditions de vie des femmes des classes populaires.
Instruites
Apprendre à lire et à écrire et acquérir des connaissances sont indispensables à l'exercice de la citoyenneté. L'instruction permet une meilleure compréhension du monde et donne accès à des emplois qualifiés, à une autonomie financière. Marie Pape-Carpantier et Louise Michel militent pour une instruction gratuite et pour l'éducation des tout-petits. Élisa Lemonnier fonde l'enseignement professionnel féminin. Les lois Jules Ferry de 1881-1882 rendent l'école publique gratuite, laïque et obligatoire pour tous et toutes. Mais il faut attendre les années 1960-1970 pour que toutes les écoles soient mixtes.
Marie Pape-Carpantier, 1878
Charles Crès (1850-1907),
d'après Xavier-Alphonse Monchablon (1835-1907)
Peinture-Propriété Ville de La Flèche
Élisa Lemonnier (1805-1865), fondatrice des écoles professionnelles de jeunes filles, 1862
Thomas Casimir Regnault
(1823-1875)
Estampe-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Ouverture des cours pour les jeunes filles à la Sorbonne, 1869
Frédéric Lix (1830-1897), Auguste Trichon (1814-1898)
Estampe - Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Annonce de l'ouverture d'une « école des deux sexes » dans le 5° arrondissement, 1870
Les femmes de la Commune se mobilisent
Refusant la capitulation de la France devant la Prusse, et après un siège éprouvant, Paris se soulève le 18 mars 1871. Le 26, un conseil de la Commune est élu. Ni électrices ni éligibles, les Parisiennes sont néanmoins d'actives insurgées. Le 11 avril, Nathalie Lemel et Élisabeth Dmitrieff créent l'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, qui organise des secours et distribue le travail pour les ouvrières.
Dans les clubs mixtes ou féminins, des citoyennes de tous les milieux expriment leurs désirs, leurs révoltes et votent des motions. Elles écrivent dans la presse. André Léo, dans La Sociale, défend l'idée qu'il n'est pas de démocratie et de progrès sans les femmes. L'utopie se concrétise dans des mesures sociales audacieuses, mais l'attaque des troupes versaillaises y met fin, transformant Paris en un bain de sang.
Louise Michel entourée de Paule Minck et de Marie Ferré (assise), vers 1871
J.-M. Lopez
Photographie-Musée d'art et d'histoire Paul Eluard, Saint-Denis
Louise Michel (1830-1905), institutrice, écrivaine, militante infatigable de la justice sociale et de l'égalité, est portée par un idéal révolutionnaire dans lequel l'émancipation des femmes a toute sa place. Elle est photographiée ici à côté de sa compagne, Marie Ferré (1845-1882), et de Paule Minck (1839-1901), qui a rejoint le mouvement naissant en faveur des droits des femmes tout en créant pour celles du peuple une Société fraternelle de l'ouvrière.
Prison des Chantiers le 15 août 1871,
E. Appert (1831-1890)
Agrandissement d'une photographie Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Planches provenant d'un album contenant vingt portraits de femmes de la Commune de Paris photographiées à la prison des Chantiers à Versailles et portant l'inscription "Le peuple de Paris sait combattre et ne sait pas assassiner"
À partir de portraits individuels, Appert a réalisé un photomontage trompeur, pour discréditer les femmes de la Commune. Le cigare d'Hortense David est ainsi remplacé par une bouteille.
À partir d'août 1871, 1051 femmes ont été déférées devant des conseils de guerre et 160 d'entre elles ont été condamnées, dont une trentaine aux travaux forcés et une trentaine à la déportation, simple ou dans une enceinte fortifiée. La postérité retiendra surtout le terme de « pétroleuses », puisqu'on les accuse d'avoir incendié Paris.
Barricade sous la Commune, place Blanche, 19 mars 1871
Au dos, l'inscription: "Vue de ma fenêtre de la rue Blanche"
Jean-Baptiste-François Arnaud-Durbec (1827-1910)
Peinture à l'aquarelle-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
En mars 1871, la place Blanche est défendue par des femmes. Partisan de la Commune, le peintre Jean-Baptiste-François Arnaud-Durbec, qui habite 47, rue Fontaine, tout près de cette place, tient à témoigner de ce qu'il voit. En mai, pendant la Semaine sanglante, des Parisiennes reprennent les armes en un combat désespéré à armes inégales.
« La barricade de la place Blanche défendue par des Femmes », 1871
Série La Prise de Paris (mai 1871)
DROITS DES FEMMES ET RÉPUBLIQUE (1871-1914)
La Troisième République donne un nouveau cadre aux engagements des Parisiennes.
Sur le terrain politique, Hubertine Auclert est la première militante s'identifiant comme féministe. En 1882, elle parvient à imposer l'idée que le droit de vote et d'éligibilité des femmes est la clé de voûte de tous les autres droits. Le suffragisme devient, à l'aube du 20° siècle, le combat principal des féministes.
Sur le terrain social, les Parisiennes participent aux luttes pour l'amélioration des conditions de vie et de travail des ouvrières et des employées, par la grève, le syndicalisme, l'action pour de nouveaux droits.
Sur le terrain des savoirs, les progrès de l'instruction des filles sont spectaculaires : la République française veut << donner aux citoyens des mères et épouses éduquées >>. La capitale attire également des femmes qui se distinguent dans les domaines scientifique et artistique.
Marie Curie au milieu de ses élèves de l'école de Sèvres, 1904
Anonyme
Photographie-Prêt du musée Curie-Institut Curie-Paris
L'École normale supérieure de jeunes filles, créée en 1881 à Sèvres, a pour vocation de former les enseignantes destinées à exercer dans les lycées de filles. Y enseignent des personnalités renommées, comme la physicienne et chimiste Marie Curie. À l'issue de la formation, les élèves de Sèvres peuvent prétendre au certificat d'aptitude à l'enseignement secondaire de jeunes filles et tenter l'agrégation féminine. Les concours de l'agrégation ne deviennent totalement mixtes qu'en 1976.
Exposition universelle de 1889. Monographies pédagogiques : les écoles maternelles, décrets, règlement (anciennes salles d'asile), 1889
Pauline Kergomard (1838-1925)
Ouvrage-Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, Histoire, Science de l'homme
L'instruction, condition de l'émancipation
Dès 1868, Paris ouvre aux filles le certificat d'études, avec douze ans d'avance sur le reste du pays. Les excellents résultats des candidates sont soulignés. Les ressources financières de la ville permettent de recruter du personnel et l'offre d'écoles privées y est importante.
L'instruction est pour les féministes la base de l'émancipation. Les lois Ferry de 1881-1882 permettent aux filles d'accéder à l'école dans les mêmes conditions que les garçons : obligation jusqu'à 13 ans, gratuité, laïcité. Le retard de l'alphabétisation des filles sera vite comblé.
La révolution se poursuit avec l'accès aux études secondaires et supérieures, réservé à une élite féminine souvent acquise aux idées féministes.
Lettre de Camille Sée (1847-1919) relative à la nécessité d'ouvrir un lycée de jeunes filles à Paris, 10 juin 1881 (lettre contresignée notamment par Léon Gambetta, Victor Hugo, Louis Blanc, Georges Clemenceau, Benjamin Raspail)
Lettre manuscrite originale et reproduction du verso – Ville de Paris/Bibliothèque de l'Hôtel de Ville
« À l'Hôtel de Ville. Les examens de jeunes filles », Le Petit Journal, 28 juillet 1895
Féminismes en art: peintres et sculptrices
À Paris convergent au 19° siècle des femmes impatientes d'entreprendre leur éducation artistique. La capitale française fait rêver les femmes artistes du monde entier, de plus en plus nombreuses à avoir un atelier et à pouvoir diffuser leur travail grâce, entre autres, aux salons spécifiquement féminins qui leur donnent une chance d'être exposées. Surtout, les possibilités de formation sont plus importantes qu'ailleurs grâce à des écoles privées comme l'Académie Julian, qui dispense un enseignement reconnu attirant des élèves du monde entier.
En 1897, sous la pression féministe, l'École des beaux-arts de Paris s'ouvre enfin aux femmes, trente-six ans après celle de Londres.
Au tournant du siècle, la bohème artistique qui s'installe rive gauche, au Quartier latin et à Montparnasse, compte de plus en plus de femmes, dont de nombreuses étrangères en quête de liberté.
Autoportrait debout, vers 1880
Marie Bashkirtseff (1858-1884)
Peinture-Musée des Beaux-Arts Jules Chéret Ville de Nice
Sous le pseudonyme de Pauline Orell, Marie Bashkirtseff défend en 1881 dans La Citoyenne les carrières artistiques féminines. Venue d'Ukraine et installée à Paris en 1876, elle estime sa carrière freinée par le fait qu'elle est une femme : « Je voudrais être un homme, je sais que je pourrais devenir quelqu'un, mais avec des jupes, où voulez-vous qu'on aille ? » Cet autoportrait traduit l'ambition de la jeune artiste surdouée qui a livré dans son Journal un témoignage précieux de la vie des artistes femmes.
L'Atelier Julian, 1881
Marie Bashkirtseff (1858-1884)
Reproduction d'une peinture
Musée d'art de Dnipropetrowsk, Ukraine © akg-images
L'Académie Julian est fondée par Rodolphe Julia et Amélie Beaury-Saurel en 1866, au 36, rue Vivienne (2º arr.). Dix ans plus tard, elle ouvre un cours de peinture pour les femmes, leur offrant même l'accès à des modèles masculins qui posent presque nus, un scandale pour l'époque mais une nécessité pour une formation artistique reconnue. L'artiste Marie Bashkirtseff se représente ici de dos au premier plan du tableau.
Mme Léon Bertaux, née Hélène Pilate (1825-1909), sculptrice, vers 1863
Étienne Carjat (1828-1906)
Photographie (papier albuminé) - Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Hélène Bertaux est photographiée devant l'esquisse qu'elle a réalisée pour la fontaine Herbet, inaugurée en 1864 à Amiens. Elle est la première sculptrice à recevoir une telle commande publique. La même année, elle est la première à présenter au Salon un nu masculin. Féministe, elle ouvre en 1873 un cours de modelage pour femmes au 223, rue du Faubourg-Saint-Honoré (8° arr.) et crée en 1881 la première association féministe d'artistes : l'Union des femmes peintres et sculpteurs.
Camille Claudel (1864-1943) travaillant à Sakountala et son amie Jessie Lipscomb (1861-1952) dans leur atelier, 1887
Camille Claudel (1864-1943)
Sculpture-Musée Rodin, Paris, S.06291
Présentée au Salon en 1896, cette œuvre crée l'événement par sa modernité. Le critique Octave Mirbeau salue alors l'artiste : "Voici une jeune femme au cerveau bouillonnant d'idées, à l'imagination somptueuse, à la main sûre, assouplie à toutes les difficultés du métier de statuaire; une jeune femme exceptionnelle sur qui n'est demeurée l'empreinte d'aucun maître et qui prouve que son sexe est susceptible de création personnelle."
"Sarah Bernhardt faisant sa classe au conservatoire", Le Monde illustré, 2 mars 1907
Gismonda, de Victorien Sardou, avec Sarah Bernhardt, Théâtre de la Renaissance, 1894
Alphonse Mucha (1860-1939)
Affiche-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Cette affiche somptueuse d'Alphonse Mucha destinée aux colonnes Morris témoigne de la célébrité exceptionnelle de Sarah Bernhardt. Le nom de cette comédienne interprétant tour à tour des rôles d'hommes et de femmes sur scène est associé à toutes les libertés. Personnage extravagant, femme d'affaires, directrice de théâtre, elle est aussi une femme engagée. Soutien du capitaine Dreyfus, elle subit un antisémitisme qui associe émancipation féminine, liberté sexuelle et "influence juive"
"Femmes nouvelles"
Dans le Paris des années 1900, des femmes accèdent à des rôles de premier plan dans le monde du travail et de la culture. Avocates, scientifiques, doctoresses, écrivaines ou sportives, elles imposent leur image de "Femmes nouvelles", c'est-à-dire de femmes indépendantes et convaincues de l'égalité des sexes.
Certaines femmes connaissent la gloire et donnent l'exemple de carrières possibles, malgré les discriminations. Les femmes nouvelles se libèrent de leurs entraves, conquièrent le droit au mouvement. Elles se ruent vers les nouvelles pratiques sportives, n'hésitent pas à prendre part à des compétitions. Dans la capitale mondiale de la mode féminine, elles inspirent des transformations vestimentaires. Paris est au cœur de toutes ces nouveautés qui annoncent la modernité du 20° siècle.
Madeleine Brès, première femme française à accéder aux études de médecine, 1875
« La femme-avocat. Mlle Jeanne Chauvin », Le Petit Parisien Supplément Littéraire,
31 octobre 1897
"La première femme avocat. Prestation de serment de Mme Petit", Le Petit Journal, 23 décembre 1900
Colette (1873-1954), vers 1910-1912
Anonyme
Photographie-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Venue de Saint-Sauveur-en-Puisaye, Colette se métamorphose à Paris. À l'époque des Claudine puis de ses performances de mime, elle incarne la « femme nouvelle », avec des cheveux courts, en pionnière de la mode "garçonne". Son œuvre célèbre « ces plaisirs qu'on nomme, à la légère, physiques »; elle explore le genre, officiel ou secret, "l'être femelle" et "l'hermaphrodisme mental". Sa liberté personnelle fait d'elle une personnalité à part.
Marie Curie à l'Institut du radium, 1912
Henri Manuel (1874-1947)
Photographie-Prêt du musée Curie-Institut Curie-Paris
Seule femme ayant reçu deux prix Nobel (physique 1903, chimie 1911), Marie Curie est aussi la première professeure titulaire d'une chaire à la Sorbonne (1906). Jeune veuve, elle est attaquée sur sa vie privée lors d'une violente campagne sexiste et xénophobe et se voit refuser, en 1911, l'accès à l'Académie des sciences. Femme engagée dans et pour les sciences, elle équipe des ambulances en radiologie qui sauvent de nombreuses vies en 1914-1918 et transmet sa passion de la recherche à sa fille, Irène.
Sportives
Le sport a été inventé par et pour les hommes. Il promeut des valeurs supposées viriles : la force, l'honneur, le fair-play et l'esprit de conquête. Le sport intéresse aussi les femmes, mais la morale leur interdit longtemps les tenues adaptées à ces pratiques. À la fin du 19e siècle, certaines s'initient au vélo avec des pantalons courts bouffants, les "bloomers". Les sportives de la capitale créent leurs propres clubs (la première société de natation féminine en 1906) et organisent des compétitions souvent populaires, comme la course des midinettes en 1903.
Le Chalet du Cycle au bois de Boulogne, 1900
Jean Béraud (1849-1935)
Tableau-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
À femme nouvelle, allure nouvelle. L'ordonnance du préfet de police de Paris interdisant aux femmes le port du pantalon est contestée le 1er juillet 1887 par la féministe Marie-Rose Astié de Valsayre, qui en revendique l'usage pour l'escrime et le cyclisme. Elle demande dans une pétition aux députés le droit au costume masculin, qu'elle trouve plus décent, pratique et hygiénique que les atours des «esclaves du luxe ». La réforme vestimentaire est en marche, à l'initiative des féministes, sportives et hygiénistes.
L'émancipation à bicyclette Culotte de cycliste, vers 1895
Néva collaboratrice de « La Fronde» sur sa bicyclette, vers 1898
"La course des midinettes", Le Petit Journal, 8 novembre 1903
Camille Crespin du Gast lors du départ de la course Paris-Madrid, 1903
En 1893, la préfecture de police de Paris crée un certificat de capacité (ancêtre du permis de conduire), d'abord réservé aux hommes puis ouvert aux femmes quatre ans plus tard. Les conductrices peuvent alors participer aux compétitions. En 1901, Camille Crespin du Gast est remarquée sur le Paris-Berlin. Mais après le Paris-Madrid de 1903, jugé très dangereux, les femmes sont exclues des courses automobiles. L'Automobile Club de France refusant la mixité, les femmes créent en 1926 leur propre automobile-club.
L'essor du féminisme
Grâce aux libertés de réunion, de presse, de manifestation puis d'association, le féminisme devient un mouvement permanent bien organisé.
Autour du juriste Léon Richer et de l'oratrice Maria Deraismes, un mouvement républicain pour la défense des droits des femmes se structure. Paris voit naître une nouvelle vague d'associations féministes, de sensibilités diverses. La ville accueille des conférences, des réunions publiques et des congrès. En 1878, lors de l'Exposition universelle, le Congrès international du droit des femmes dure dix jours.
Le mouvement est aussi culturel : le féminisme est diffusé par la presse, la littérature, le théâtre. L'aile la plus radicale veut de l'action : Hubertine Auclert appelle le 14 juillet 1881 à prendre la « Bastille des femmes », visant « la loi, le Code civil ». C'est la première manifestation de rue féministe en France.
Marguerite Durand, directrice du quotidien féministe La Fronde, 1897
Jules Cayron (1868-1944) Peinture-Ville de Paris/Bibliothèque Marguerite Durand
Marguerite Durand, ex-jeune première à la Comédie Française devenue journaliste, est envoyée en 1896 par Le Figaro au Congrès féministe international de 1896 qui se tient 8, rue Danton (6° arr.). On attend d'elle un compte rendu sarcastique. Mais, impressionnée par la qualité des débats, elle se "convertit" au féminisme, se rapproche de la Ligue française pour
le droit des femmes et devient l'une des militantes les plus importantes de la Troisième République.
La journaliste Séverine, 1893
Amélie Beaury-Saurel (1848-1924)
Peinture-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Première journaliste professionnelle, Caroline Rémy, dite Séverine (1855 1929) s'est initiée auprès de Jules Vallès en travaillant pour Le Cri du peuple. Dreyfusarde, pacifiste, socialiste de sensibilité anarchiste, militante des droits humains et de la cause animale, elle est l'autrice d'environ 6 000 articles dans de nombreux journaux. Son féminisme s'ancre dans sa propre expérience de victime de violences conjugales. Elle est particulièrement sensible au droit des femmes à disposer de leur corps.
La Fronde, 1898
La Fronde, quotidien créé par Marguerite Durand, rédigé, composé et administré uniquement par des femmes, paraît de manière régulière de 1897 à 1903, puis épisodiquement. Servi par une publicité moderne, il tire jusqu'à 50 000 exemplaires. Installé dans un hôtel particulier 14, rue Saint Georges, le siège du journal est pourvu d'une salle de rédaction, d'un salon de thé, d'une salle d'exposition, d'une bibliothèque et d'une salle d'escrime. Les "frondeuses" sont recrutées parmi les meilleures plumes du temps.
Suffragettes
Dès la fin du 19e siècle, le mouvement féministe revendique pour les femmes le droit de voter et d'être élues. L'expression de son opinion par le vote s'appelle le suffrage. On désigne donc ces militantes sous le nom de «<< suffragistes » ou «
Hubertine Auclert (1848-1914), vers 1890
Venue à Paris pour défendre la cause féministe, Hubertine Auclert fonde en 1876 la société Le Droit des femmes et en 1881 le journal La Citoyenne. Pour elle, le féminisme concerne tous les enjeux de l'égalité des sexes : les droits civiques et civils, le droit au travail, l'évolution du costume, la féminisation de la langue... Très innovante, elle est la première suffragiste française, militant pour l'obtention par les femmes des droits politiques. Elle est aussi considérée comme la première suffragette (suffragiste prônant des méthodes radicales d'action).
«Maria Deraismes », Les Hommes d'aujourd'hui: portraits à charge,
1880
Maria Vérone et Marie Bonnevial dans la « baraque » féministe de la Ligue du droit des femmes, 1913-1914
Maria Vérone et Marie Bonnevial tiennent le stand de la Ligue du droit des femmes ouvert sur le boulevard Sébastopol, parmi d'autres "baraques du jour de l'An", entre le 20 décembre 1913 et le 10 janvier 1914.
Y sont vendus des affiches, des brochures, des buvards, mais aussi des savons, des crayons, de la lingerie fabriquée par une coopérative de femmes et portant des slogans en faveur du vote des femmes. L'initiative féministe attire la presse et le cinématographe.
« L'action féministe : les "suffragettes" envahissent une section de vote et s'emparent de l'urne électorale », Le Petit Journal, 17 mai 1908
« Je désire voter », résultat d'un référendum organisé par Le Journal du 26 avril au 3 mai 1914
«Candidate. Mile Jeanne Laloë haranguant les électeurs du quartier Saint-Georges, à Paris », L'Illustration, 9 mai 1908
Mme Maria Vérone à la tribune, 1910
Léon Fauret (1863-1955)
Peinture-Collection Les images de Marc
Ce tableau est reproduit dans Femina (1er avril 1910) pour illustrer l'article
"Le premier meeting des suffragettes françaises", qui s'est tenu le 11 mars 1910. Pendant la campagne électorale, sous la présidence de Marie Bonnevial, spécialiste reconnue du travail féminin et pionnière de la franc-maçonnerie mixte, Hubertine Auclert et Nelly Roussel prennent la parole. L'avocate Maria Vérone enflamme l'assemblée en remplaçant le mot « hommes » par « êtres humains » dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Affiche annonçant des meetings de Marguerite Durand dans le cadre des élections législatives ainsi qu'une conférence sur « Le Féminisme, les Femmes et la Politique », 1910
Les Résultats du féminisme
Film attribué à Alice Guy 1906
Production Gaumont
« Les femmes veulent la paix ! », 1936
Présidente de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, féministe aux sympathies communistes, Gabrielle Duchêne fonde la section française du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, cité Paradis (10° arr.). Elle est accompagnée, entre autres, de la chimiste, physicienne, Irène Joliot-Curie. Le congrès fondateur a lieu à la Mutualité, du 4 au 6 août 1934. L'objectif est de défendre un pacifisme réaliste et l'unité des féministes face au danger
Manifestation pour fêter les acquis
du Front populaire, 14 juillet 1936
"Semaine de grève", Vu, 10 juin 1936
Rose Zehner dans l'atelier de sellerie de l'usine Citroën quai de Javel, mars 1938
Willy Ronis (1910-2009)
Photographie-Médiathèque du patrimoine et de la photographie
La militante communiste et syndicaliste Rose Zehner (1901-1988) s'adresse aux ouvrières de Citroën à la veille d'une grève de protestation contre le recul des acquis sociaux. Willy Ronis se souvient : « Les gens criaient de colère. Je n'ai pas eu une vraie réaction de reporter: l'atmosphère était tellement tendue que je me suis senti de trop et suis parti. Je n'ai fait qu'une photo, celle-là. » Licenciée après cette grève, Rose Zehner ouvre un bistrot.
Garçonnes
Dans les années 1920, les jeunes Parisiennes révolutionnent la mode en s'appropriant des codes de l'apparence masculine : cheveux courts, allure filiforme, abandon du corset et des robes à traîne. Ces garçonnes affirment aussi un état d'esprit : elles sortent, fument, dansent, pratiquent une activité sportive ! Mais cette nouvelle mode, jugée scandaleuse, est porteuse à son tour de contraintes, quand la presse et les publicités s'en emparent, valorisant la minceur et la jeunesse. Loin de cette exploitation commerciale, des artistes comme Claude Cahun questionnent les apparences associées aux genres féminin et masculin.
Lily [sic]. Portrait de Lili Wegener, 1922
Gerda Wegener (1886-1940)
Peinture-Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne Centre de création industrielle
Tamara de Lempicka (1898-1980) photographiée dans son appartement, rue Méchain, vers 1929
Thérèse Bonney (1894-1978)
Photographie-Bibliothèque historique de la Ville de Paris
D'origine polonaise, Tamara de Lempicka s'est exilée à Paris après la révolution russe. Elle y fait son apprentissage et trouve sa voie artistique comme portraitiste Art déco. Bisexuelle, elle mène à Paris une vie mondaine très libre. Ici, elle peint Nana de Herrera, danseuse péruvienne de flamenco installée à la butte Montmartre en 1905.
Autoportrait, vers 1928
Lucy Schwob, dite Claude Cahun (1894-1954)
Photographie-Courtesy of the Jersey Heritage Collections
Claude Cahun est une artiste surréaliste qui participe aux revues homosexuelles Inversions et Amitié. Avec sa compagne, Suzanne Malherbe, dont le pseudonyme est Marcel Moore, elle s'installe en 1922 à Montparnasse, 70, bis rue Notre-Dame-des-Champs. Elles travaillent ensemble à la création d'autoportraits qui troublent les identités de genre.
Le Paris des garçonnes
Deuil, anxiété, mais aussi modernité et besoin de s'amuser : le climat de l'après-guerre est contrasté. Une atmosphère de libération sexuelle anime le Paris de la fête et de la bohème.
En 1922, Victor Margueritte en peint sa version dans La Garçonne, dont le succès scandaleux lui coûte sa Légion d'honneur. Le << Paris-Lesbos » défie la morale puritaine et l'ordre patriarcal. La capitale de la France, où l'homosexualité n'est pas légalement condamnée, est un espace propice à l'émancipation.
L'avant-garde littéraire pivote autour de couples de femmes de la rive gauche : Gertrude Stein et Alice Toklas, Sylvia Beach et Adrienne Monnier... Nombre de lesbiennes étrangères trouvent à Paris leur épanouissement amoureux et professionnel. "Il ne faut pas chercher Sapho ni à Mytilène, ni à Leucade, ni à Alexandrie, ni même dans les couvents... C'est une artiste. Donc elle a déménagé à Paris", écrit Maryse Choisy dans un numéro du Rire consacré aux "Dames seules" en 1932.
Boîte de nuit à Paris, « Le Monocle », cabaret féminin, 1933
Gyula Halász Brassaï (1899-1984)
Photographie-Estate Brassaï Succession
Certaines lesbiennes affichent ici des signes de masculinité: cheveux courts lissés par la gomina, pantalon, veste, cravate. Elles se retrouvent au Monocle, cabaret ouvert en 1932 par Lulu de Montmartre dans une ruelle de la Butte. Brassaï, photographe fasciné par le Paris nocturne, a réalisé une série de portraits des habituées de ce cabaret qui déménage ensuite au 60, boulevard Edgar-Quinet (14° arr.).
Premières femmes à porter un pantalon publiquement en 1933 place de la Concorde à Paris, en France, 1933
Cette photographie produite par une agence est issue d'une série sur "les jeunes Parisiennes en pantalon". C'est une image de commande, mise en scène, avec une légende trompeuse. Elle ne reflète en rien la réalité de l'habillement des femmes à Paris, où le port du pantalon reste très rare. La production et la diffusion de ce type d'images témoignent néanmoins d'un intérêt médiatique pour la visibilité et l'émancipation des femmes dans l'espace public.
Éventail publicitaire " Jeux Olympiques 1924 ", 1924
L'aviatrice suffragiste Maryse Bastié (1898-1952), 1930
Violette Morris et son avocat, Henri Lot, lors de son procès devant le tribunal civil de la Seine, février 1930
Violette Morris (1893-1944) brille dans de nombreuses disciplines: nage, cyclisme, waterpolo, lancer de poids, football, javelot, disque, course automobile, boxe... Sa popularite semble un temps protéger ses transgressions: son genre masculin, son ablation des seins, son homosexualité... Un bien mauvais exemple pour la jeunesse, estime la Fédération sportive féminine de France, qui prononce son exclusion. Violette Morris porte alors plainte, mais perd son procès, en 1930, l'accusation s'appuyant sur l'interdiction du port du pantalon.
Natalie Clifford Barney, 1920
Manteau non griffé ayant appartenu à Natalie Clifford Barney, vers 1937-1939
L'Américaine Natalie Clifford Barney, comme sa compagne, Romaine Brooks, ont trouvé à Paris un havre de paix pour vivre leurs amours féminines multiples. Expatriées et fortunées, elles ne craignent pas de défier la morale dominante et leur liberté paraît sans limites. Dans Éparpillements, recueil d'aphorismes (1910), Natalie Clifford Barney juge que "la vie la plus belle est celle que l'on passe à se créer soi-même et non à procréer"
Les liens de la sororité
Entre les deux guerres, les réseaux de femmes se multiplient dans la capitale. Les salons, comme celui de Natalie Barney, dévolu à la culture lesbienne, ou celui des sœurs Nardal, consacré à la négritude, prospèrent. Librairies et bibliothèques offrent des possibilités de rencontres, à la librairie Shakespeare and Co., fondée par l'Américaine Sylvia Beach, ou à la bibliothèque Marguerite Durand, "office de documentation féministe".
En ces temps où l'accès des femmes aux études et au monde du travail qualifié progresse, les associations et clubs professionnels non mixtes se structurent à Paris, la capitale servant généralement de siège national. La dynamique féministe encourage les femmes à cultiver l'amitié, la solidarité et la sororité, face aux règlements qui les excluent toujours de nombreux clubs et réseaux masculins.
Odette Simon-Bidaut, autrice de l'article "En France la femme ne peut pas"
Citoyennes en Résistance
Dans la France de Vichy, les changements législatifs restreignent les droits des femmes et des minorités sexuelles suivant un tournant pris dès les années 1920.
À Paris comme ailleurs, mouvements et réseaux de résistance gagnent en importance entre 1940 et 1944. Ils veulent libérer le territoire de l'occupant, encourager le patriotisme, dénoncer la barbarie nazie, défendre les valeurs démocratiques, réagir aux persécutions antisémites... Les femmes y sont bien présentes, même si le pouvoir reste masculin. Le Parti communiste (interdit en 1939), qui attire bon nombre d'opposantes au régime du maréchal Pétain, est à l'origine du seul mouvement féminin créé sous l'Occupation : l'Union des femmes françaises.
12% des cartes de combattants volontaires de la résistance sont attribuées à des femmes, mais de nombreuses résistantes ne l'ont pas demandée.
Joséphine Baker (1906-1975), 1948
Originaire de Saint-Louis (Missouri), naturalisée française en 1937, Joséphine Baker, célèbre artiste de music-hall, a donné des concerts pour l'armée française et participé au contre-espionnage dès 1939. En mai 1944, elle devient sous-lieutenante dans les Formations féminines de l'air et elle est décorée de la médaille de la Résistance française avec rosette le 5 octobre 1946. En 2021, elle est la sixième femme à entrer au Panthéon.
DE LA RÉSISTANCE À MAI 68: ENTRE DEUX VAGUES (1939-1968)
La défaite de 1940 enclenche une phase de régression pour les droits des femmes. C'est toutefois en citoyennes que certaines s'engagent dans la Résistance. Leur courage justifie la reconnaissance de l'égalité des droits civiques, en 1944. Mais le rôle alloué aux femmes dans la vie politique reste modeste. En revanche, dans les associations et les syndicats, les engagements féminins sont multiples.
Le baby-boom et le conservatisme moral dominant conduisent les femmes à chercher la conciliation entre vie professionnelle, personnelle et maternité. Parallèlement, le modèle familial traditionnel est critiqué par Simone de Beauvoir, qui publie Le Deuxième Sexe en 1949.
Les espoirs de la Libération
En 1945, au sein du Conseil municipal de Paris, alors majoritairement à gauche, les femmes sont environ 12 %. C'est plus que le pourcentage de femmes à l'Assemblée nationale ou au Conseil général de la Seine (environ 5 %). Le Parti communiste est le parti le plus féminisé. Ses élues parisiennes sont des militantes chevronnées, issues de la Résistance, avec de riches parcours associatifs (à l'Union des femmes françaises, notamment) et politiques. Plusieurs ont des mandats nationaux.
Moins nombreuses, les élues catholiques les plus progressistes sur le plan social sont actives au sein du Mouvement républicain populaire. L'Union féminine civique et sociale investit le terrain politique et ouvre, dès novembre 1944, un centre de formation civique pour les femmes à l'Institut catholique de Paris. La modernité de ces apprentissages citoyens entre souvent en conflit avec le discours conservateur du clergé.
Germaine Poinso-Chapuis sortant du Conseil des ministres à l'Élysée, 9 juin 1948
Cette ancienne résistante est la première femme ministre de plein exercice chargée de la Santé publique et de la Population (24 novembre 1947-26 juillet 1948). Après son départ, elle reste très active sur le plan parlementaire en faisant, entre autres, de nombreuses propositions de loi. Avocate, elle a incarné le féminisme et l'engagement politique au sein de la démocratie chrétienne. Elle défend, par exemple, la cause des enfants et des personnes handicapées.
Congrès international des femmes, 1945, meeting de clôture au Vélodrome d'Hiver, 1er décembre 1945
La Fédération démocratique internationale des femmes, d'obédience communiste, est fondée lors du congrès de Paris, entre le 26 novembre et le 1er décembre 1945.
Elle affiche une ambition féministe, prônant «l'égalité complète, en droits, des femmes et des hommes dans tous les domaines de la vie sociale, juridique, politique et économique »>.
Devant la Snecma (entreprise nationalisée comptant plusieurs usines à Paris et en banlieue) alors en grève, une militante communiste vend Femmes françaises, journal édité par l'Union des femmes françaises.
Scandaleuses
Après la Seconde Guerre mondiale, les femmes restent souvent enfermées dans un rôle d'épouse, de ménagère et de mère. Dans le livre Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir questionne ces rôles et leurs poids dans la vie des femmes. Cette réflexion fait l'effet d'une bombe. D'autres personnalités du monde culturel et artistique choisissent une vie indépendante : l'écrivaine Françoise Sagan ou la chanteuse Juliette Gréco font scandale par leurs œuvres, mais aussi par leur manière de vivre. La liberté sexuelle de ces femmes est au cœur du scandale: on n'accepte pas les amours libres, la bisexualité ou le choix de ne pas avoir d'enfants.
Simone de Beauvoir, 1948
Lorsque paraît Le Deuxième Sexe, en 1949, 22000 exemplaires sont vendus dès la première semaine. Dans ce livre qui affirme que "l'on ne naît pas femme, on le devient", Simone de Beauvoir analyse les entraves faites aux femmes, montre qu'elles peuvent prendre leur destin en main, qu'il n'est pas de fatalité biologique; elle appelle à des changements économiques et juridiques, à la maîtrise de la fécondité et à la liberté sexuelle. Cet essai savant et engagé fait scandale et devient la référence féministe la plus
Françoise Sagan dans son appartement boulevard Malesherbes, 25 juillet 1955
Sabine Weiss photographie Françoise Sagan (1935 2004), qui connaît un succès foudroyant avec son premier roman, Bonjour tristesse. L'écrivaine, qui incarne la jeunesse des clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés, est alors un véritable phénomène. Son hédonisme, ses excès, ses mœurs, sa silhouette androgyne détonnent dans une France plutôt étriquée, mais disent une modernité en marche. Sagan est aussi une citoyenne, engagée pour la paix en Algérie et pour le droit à l'avortement.
Juliette Gréco à Saint-Germain-des-Prés, 1947
Robert Doisneau (1912-1994)
Adoptée par les artistes de Saint-Germain-des-Prés, Juliette Gréco est marquée par la guerre (elle a été emprisonnée à Fresnes, séparée de sa mère et de sa sœur, déportées à Ravensbrück). Elle se lance de tout son être dans l'interprétation sur scène de chansons et de poésies et connaît un immense succès. Aux côtés d'autres personnalités du monde culturel et artistique, Juliette Gréco popularise l'image d'une Parisienne libre, peu soucieuse des convenances.
Étudiante dans un café du Quartier Latin, rue Soufflot, 1964
Janine Niépce (1921-2007)
Photographie-Bibliothèque nationale de France, département des Estampes
Brasserie Lipp, Saint-Germain-des-Prés, 1969
Maîtresses de leur corps
Le droit à la contraception, c'est-à-dire d'éviter une grossesse non désirée, et le droit à l'avortement sont au cœur de l'émancipation des femmes. Disposer de son corps est indispensable pour mener librement son existence. L'association Maternité heureuse donne naissance au Planning familial, qui informe sur la contraception et sur l'IVG (interruption volontaire de grossesse). Un centre de Planning familial ouvre à Paris en 1961. Grâce à la mobilisation militante, la contraception est autorisée en 1967 et le droit à l'IVG en 1979. Il existe aujourd'hui en France, et notamment à Paris, de nombreux centres de Planning familial.
Simone Veil dans l'émission « Faut-il décoloniser la femme ? »
1970
Renouveaux au creux de la vague
Les revendications des femmes dans le monde du travail trouvent, à partir de 1965, un écho au ministère du Travail. Un Comité d'études et de liaison des problèmes du travail féminin se met en place, présidé par Marcelle Devaud. Il est à l'origine du «<< féminisme d'État ». Le taux d'activité des Françaises est en hausse, c'est aussi la fin du baby-boom.
Au quotidien, l'une des préoccupations majeures des femmes est de concilier maternité et épanouissement personnel ou professionnel. C'est dans ce contexte que naît en 1956 l'association Maternité heureuse, devenue Mouvement français pour le Planning familial en 1960.
La situation politique est tendue dans un contexte de décolonisation, une cause qu'embrassent un certain nombre de Parisiennes : porteuses de valises, militantes communistes, intellectuelles, avocates ou encore artistes.
L'avocate Gisèle Halimi défend Djamila Boupacha, jeune militante engagée dans la lutte armée pour l'indépendance, arrêtée le 10 février 1960 à la suite d'un attentat manqué. Torturée et violée par des militaires français, son procès devient une tribune politique contre la guerre, la répression et les moyens d'action de l'État colonial.
Délégation de l'UJRF [Union des jeunesses ↑ républicaines de France] et [de l']UJFF [Union des jeunes filles de France] à Matignon, rue de Varenne, Paris 7, pour la Paix en Algérie, 28 avril 1956
Jeune couple en consultation à la Maternité heureuse, 1956
Le 8 mars 1956, les statuts de Maternité heureuse sont déposés par la doctoresse Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé et la sociologue Évelyne Sullerot. Sous couvert d'assurer l'équilibre psychologique du couple et de promouvoir la santé des femmes, l'association donne, entre autres, des informations sur la contraception, une pratique interdite par la loi de 1920. Elle ouvre en 1961 un centre de Planning familial à Paris. La contraception ne sera autorisée qu'en 1967 par la loi Neuwirth.
Nikki de Saint Phalle, dans une émission de télévision 1955 "pour le plaisir" : "Vous considerez que les femmes doivent se contenter se peindre des bouquets de fleurs ?"
En pleine guerre d'Algérie, la plasticienne Niki de Saint Phalle s'arme d'un fusil. Le premier tir a lieu le 12 février 1961 devant des photographes et des artistes, impasse Ronsin, à Montparnasse, où elle a son atelier. L'action consiste à tirer sur un support comportant des objets et des formes diverses en plâtre blanc qui libèrent de la peinture. « Un assassinat sans victime. J'ai tiré parce que j'aimais voir le tableau saigner et mourir. » L'une des cibles des Tirs représente son père, qui l'a violée alors qu'elle avait onze ans"
Mai 68
En 1968, la contestation éclate dans les milieux étudiants, ainsi que dans le monde du travail et de la culture. La grève générale transforme Paris en forum. Dans les assemblées générales, les manifestations, les affrontements de rue, les femmes sont partout.
Quelques réunions mixtes sur « les femmes et la révolution » ont lieu, mais le sujet est périphérique. Les hommes occupent le devant de la scène médiatique, tandis que les femmes gèrent l'intendance. Un tract à l'Institut d'études politiques ironise à ce sujet : "L'efficacité de la grève serait sans aucun doute plus radicale si toutes les femmes refusaient de faire la cuisine et laissaient s'empiler la vaisselle comme s'empilent les ordures dans la rue [...]. Souhaitons que les filles de Sciences Po, [...] abandonnent au plus tôt leur situation privilégiée de monopole dans leur confection des sandwiches et le service de balayage et de nettoyage de l'école."
Paris, mai 1968 (jeune femme qui lance un pavé),
LE TEMPS DU MOUVEMENT DE LIBERATION DES FEMMES (1970-2000)
Dans l'onde de choc des espérances révolutionnaires des années 1968, le féminisme resurgit, métamorphosé. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) se forme en 1970 et fait de la liberté de disposer de son corps un enjeu central. Paris accueille de vastes manifestations jusqu'à la confirmation, en 1979, de la loi Veil qui autorise l'interruption volontaire de grossesse.
Les mobilisations sont diverses et inédites: lesbiennes, femmes de ménage, femmes prostituées, femmes noires, femmes immigrées... La domination masculine dans le milieu culturel et intellectuel parisien est dénoncée, le statut des femmes réduites à des objets de fantasme critiqué.
Les mouvements de femmes se transforment à la fin du siècle. La création féminine s'impose dans les rues de Paris, car s'émanciper, c'est aussi se donner le droit d'occuper l'espace public pensé par et pour les hommes. Mais les inégalités entre femmes et hommes demeurent importantes dans de nombreux domaines. Ainsi, sur la scène politique, les femmes restent sous-représentées, ce qui justifie la campagne pour la parité, concrétisée par une loi en 2000.
Constitution du Comité international du droit des femmes (de gauche à droite : Simone de Beauvoir, Anne Zelensky, Benoîte Groult, Colette Audry), 1979
Le MLF : une révolution symbolique
Le MLF est non mixte et autogéré. Il veut porter la voix de toutes, mais, très vite, des personnalités comme Beauvoir, des journalistes, des avocates, des écrivaines, des sociologues incarnent dans l'opinion le nouveau féminisme. Des associations, comme Choisir la cause des femmes ou la Ligue du droit des femmes, représentent une partie du mouvement.
Rapidement des symboles s'imposent.
Le poing levé, symbole des luttes sociales, est fusionné par les féministes avec le signe de Vénus. Le nouveau symbole international du féminisme est présent sur la première affiche d'un meeting sur la libération des femmes à l'université de Vincennes, le 21 mai 1970, et sur la couverture de Partisans, trois mois plus tard. Il est repris par Yvette Roudy au ministère des Droits de la femme en 1981.
Ces mains dessinent une vulve. Alternative au poing levé, symbole phallique, le geste en forme de losange est repris dans les manifestations féministes.
Le torchon brûle, menstruel
n°1, 1971
Mouvement de libération des femmes (MLF)
Revue-Archives Recherches Cultures Lesbiennes
Et les Gouines rouges sont arrivées...
Les homosexuelles sont omniprésentes sur la scène féministe. Participer au mouvement des femmes répare un sentiment d'exclusion : l'homosexualité est alors stigmatisée et considérée comme une maladie mentale. Mais les préjugés existent aussi à l'intérieur du mouvement féministe.
En 1971 naît le premier groupe lesbien, les Gouines rouges, en même temps que le Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR) qui se réunit aux Beaux-Arts et à Vincennes, en rupture avec la modération de la seule association homosexuelle jusque-là existante, Arcadie. À partir de 1975, d'autres collectifs se forment comme le Groupe des lesbiennes féministes, puis le Groupe des lesbiennes de Paris, non sans tensions avec le féminisme. Un mouvement autonome lesbien est en gestation, la "visibilité lesbienne" sera le mot d'ordre des années 1980.
«Rencontre lesbienne les 21 et 22 juin à Paris, place des fêtes, 9 rue du Pré-Saint-Gervais »>, 1980
«Les Nanas beurs », vers 1995
La Marche pour l'égalité et contre le racisme, dite « marche des Beurs », se déroule du 15 octobre au 3 décembre 1983. Dans son sillage, de nombreuses associations de jeunes issus de l'immigration se constituent. Les Nanas beurs, réunissant des jeunes femmes féministes issues de l'immigration, sont une de ces nouvelles associations, fondée en 1985 à Boulogne-Billancourt par Souad Benani, d'origine marocaine et venue étudier la philosophie à Paris.
"D'ici et d'ailleurs" : femmes exilées, femmes immigrées, femmes noires
En 1976, une dizaine de femmes africaines, antillaises et afro-américaines créent la Coordination des femmes noires, à l'intersection de deux grandes causes. La première Journée des femmes noires a lieu le 29 octobre 1977. En 1978, Awa Thiam fonde le Mouvement des femmes noires. Le «<< féminisme noir »>, qui concerne à Paris des femmes d'origines très diverses, perce difficilement.
L'organisation des femmes racisées est facilitée après 1981 par le droit reconnu aux populations immigrées de se réunir en association loi 1901. Le nombre d'associations tenues par et pour des femmes étrangères, le plus souvent maghrébines, explose. En 1988, elles sont 48 en Île-de-France. Au premier plan, la satisfaction de demandes économiques, sociales, culturelles.
En 1984, un Collectif féministe contre le racisme se forme à Paris.
"Modefen, Mouvement pour la défense des droits de la femme noire", 1982
Manifestation organisée par un collectif de femmes étrangères,
1er juillet 1978
Malgré la révolution qu'a été la participation féminine à la guerre d'indépendance, l'Algérie ne respecte pas le droit des femmes à disposer d'elles-mêmes. C'est le constat amer que font les féministes algériennes à Paris qui critiquent la situation politique dans leur pays d'origine : une révolution trahie, un régime non démocratique et un Code de la famille inspiré par une morale religieuse traditionaliste. Organisée de manière autonome, la manifestation parisienne du 1er juillet 1978 exprime cette colère.
Femmes immigrées
Dans les années 1960 et 1970, les femmes immigrées se rassemblent lors de manifestations et au sein d'associations pour défendre leurs droits. Elles dénoncent les discriminations racistes et sexistes qu'elles subissent. Les femmes algériennes protestent contre la condition des femmes dans leur pays d'origine. Celles originaires d'Espagne et du Portugal, qui travaillent souvent dans les services domestiques (ménage ou garde d'enfants), militent contre la précarité et les salaires très bas. Elles revendiquent la limitation de la journée de travail à neuf heures et le bénéfice de la Sécurité sociale.
« Femmes victimes de violences, ne restons pas isolées! », 1978
Association Quand les femmes s'en mêlent
Affiche-Musée Carnavalet-Histoire de Paris
Contre le viol et les violences
La dénonciation des violences masculines prend une place centrale dans la nouvelle vague féministe. Elle rejoint en effet la lutte pour la liberté de disposer de son corps et le refus de toute fatalité biologique. Pour le MLF, il faut en finir avec le silence et la honte des victimes. Dès 1970, Emmanuèle Durand (Emmanuèle de Lesseps), dans le numéro de Partisans, raconte son expérience du viol.
Le besoin d'associations spécifiques se fait sentir. SOS Femmes alternative, avec une ligne d'écoute, est créé en 1975 par la Ligue du droit des femmes. Puis le Collectif contre le viol et les violences sexistes est formé à Paris. En 1978, le centre Flora-Tristan ouvre à Clichy. Allant dans le même sens, des livres paraissent, diffusant une analyse radicalement nouvelle du viol comme l'expression de rapports de pouvoir. Le 4 mars de la même année, des femmes organisent, pour la première fois à Paris, une manifestation nocturne pour revendiquer le droit de se promener en toute sécurité dans la ville la nuit.
Ras les globules, 2011
Nicole Peskine (née en 1943)
Montage photographique-Collection Nicole Peskine
Ce montage assemble une vingtaine de photographies prises lors des manifestations parisiennes de 1968, 1977, 1988, 2010 et 2011 où domine la présence des infirmières, devenue familières du pavé parisien à la fin du 20° siècle. Nicole Peskine y montre la récurrence de certaines luttes. Comédienne, militante à la Gauche prolétarienne, institutrice en région parisienne,
Femme ingénieure cheffe de travaux du bâtiment, Paris-La Défense, 1982
Janine Niépce (1921-2007)
Janine Niépce est une photographe engagée, résistante pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle s'intéresse aux luttes féministes, aux femmes dans le monde du travail. « Je photographie les femmes dans leur trajectoire complète, de l'enfance à la vieillesse et dans tous les milieux. Lorsque les hommes photographient les femmes, ce qui les fascine ceux sont leur corps, leur beauté, et, depuis quelque temps, même leur laideur, c'est la mode; en somme, toujours des femmes-objets.
"Le plan des patrons c'est : nous isoler [...] regroupées les femmes peuvent lutter", 1981
Femmes en lutte 13°
Affiche-Ville de Paris/Bibliothèque Marguerite Durand
« Conférence femmes travailleuses
des postaux de Paris, 6 octobre 87 »,
Confédération française démocratique du travail (CFDT)
Exister dans les assemblées élues
Dans les années 1970, les femmes sont quasi absentes de la vie politique française. Le MLF n'y change rien. En revanche, son existence stimule la révolte au sein des partis politiques.
L'alternance politique de 1974 ouvre la voie à une forme de << récupération » du féminisme par le pouvoir. La féminisation des gouvernements progresse légèrement. Françoise Giroud, la cofondatrice de L'Express, est nommée secrétaire d'État à la Condition féminine. Elle propose << 110 mesures pour les femmes >> mais peu seront mises en œuvre.
La même année, Arlette Laguiller se déclare "candidate à la présidence de cette République d'hommes". Elle est la première à le faire légalement.
Si le pouvoir reste masculin, le taux de féminisation de la vie politique parisienne est largement supérieur à celui du reste de la France.
Janine Debray à l'assemblée générale de Choisir la cause des femmes, 25 juin 1978
Janine Niépce (1921-2007)
Photographie-Bibliothèque historique de la Ville de Paris Janine Niépce/NA/Roger-Viollet
L'avocate Janine Alexandre-Debray, conseillère de Paris de 1947 à 1971, est la première femme élue vice-présidente du Conseil de Paris. En 1977, alors qu'elle est devenue sénatrice (à la suite du décès d'un sénateur dont elle était la suppléante), le Rassemblement du peuple français (créé par Charles de Gaulle) l'évince de sa liste pour les élections sénatoriales. Outrée, elle entame une grève de la faim pour contester cette décision et protester
contre le faible nombre de candidates sur cette liste.
Une sorcière comme les autres, 1975
Anne Sylvestre (1934-2020)
Disque vinyle 33 tours-Collection particulière
Avec l'aimable autorisation de BC Musique
En 1975, la chanson d'Anne Sylvestre Une sorcière comme les autres s'impose comme une grande chanson féministe. Sorcières, c'est aussi le titre de la revue féministe littéraire et artistique créée par Xavière Gauthier en 1975, et l'inspiration du nom de la librairie féministe Carabosses, ouverte en 1978. Les sorcières, persécutées pour leur indépendance et leurs savoirs, sont des figures inspirantes pour les féministes.
Hélène Cixous, université de Vincennes, 1975
En 1969, l'écrivaine et spécialiste de littérature anglaise Hélène Cixous participe à la création du Centre universitaire expérimental de Vincennes. C'est un tournant intellectuel et pédagogique, comme en témoigne cette photographie où les distances spatiales entre la professeure et son public sont abolies. En 1974, Hélène Cixous ouvre à Vincennes le Centre d'études féminines. Transférée à Saint-Denis, l'université de Paris 8 mais aussi Paris 7 sont pionnières dans l'enseignement et la recherche sur le genre.
Artistes
Pour redevenir actrices dans le monde de l'art et dans la représentation des femmes, des artistes mettent leur corps en jeu dans leurs œuvres. Elles réalisent ainsi ce qu'on appelle des performances. En 1977, Orlan propose aux spectateurs deux représentations d'elle même. Dans la première, elle est habillée à la manière d'une sainte, dans la seconde, elle s'est photographiée nue. Le public est invité à déposer un cierge à «Sainte ORLAN» ou à échanger un véritable baiser avec l'artiste, contre une pièce de 5 francs. Elle interroge ainsi le lien entre art et argent et les stéréotypes liés au sexe féminin.
Le Baiser de l'artiste. Le distributeur automatique ou presque !, n°2, 1977
ORLAN (née en 1947)
Photographie - Collection Maison européenne de la photographie, Paris Adagp, Paris, 2022
En 1977, ORLAN réalise un happening féministe à l'entrée de la Foire internationale de l'art contemporain (FIAC), au Grand Palais. Pour dénoncer la marchandisation du corps des femmes et l'absence des femmes artistes dans cette manifestation, elle propose Le Baiser de l'artiste, embrassant les visiteurs qui le souhaitent pour 5 francs. La performance fait scandale, et l'artiste perd son emploi d'enseignante. Quelque temps plus tard, elle s'imposera comme l'inventrice de «l'art charnel».
Yves Saint Laurent, Paris, 1975, pour Vogue Paris
Helmut Newton (1920-2004)
Photographie-Collection Maison européenne de la photographie.
Avec sa main dans la poche, sa façon de tenir sa cigarette, ses cheveux gominés, l'effacement de sa poitrine, la modèle et actrice danoise Vibeke Knudsen ressemble aux garçonnes des Années folles. La jeune femme porte un costume-pantalon à fines rayures avec une blouse à col noué.
Le smoking féminin d'Yves Saint Laurent est créé en 1966; sa version prêt-à-porter est vendue dans la boutique de la rue de Tournon (6° arr.). Il est un des symboles de la révolution des mœurs.
Foire des femmes à la Cartoucherie de Vincennes, 16-17 juin 1973
Pourquoi une « foire des femmes » ? "Pour danser, chanter, jouer, aimer, toutes ensemble. Pour retrouver notre goût du jeu, enfoui, mutilé, colonisé. Pour une prise de parole collective, où l'art ne soit plus coupé de notre réalité de femmes en luttes." Sur une estrade, des saynètes sont jouées, comme celle où Josy Thibaut et Christine Delphy réinterprètent Les Malheurs de Sophie, sous le regard bienveillant de Mère et petite mère, œuvre de Raymonde Arcier.
Mère et petite mère, 1970
Raymonde Arcier (née en 1939)
Sculpture en tissu-Collection de l'artiste
Raymonde Arcier travaille à Paris et étudie à Vincennes lorsqu'elle rencontre le MLF. Elle participe à l'aventure collective du journal Le torchon brûle. Les corvées domestiques, devenues un enjeu politique, l'inspirent particulièrement. Artiste autodidacte, plasticienne et poétesse, elle s'explique sur son art féministe en 1976: "Je tiens à mes aiguilles, on aura du mal à me les arracher. Je veux parler à partir de mon héritage de femme, il me pèse et je ne peux le renier sans me renier moi-même."
Ariane Mnouchkine, pendant une représentation du Songe d'une nuit d'été. Cirque Médrano, 1968
Martine Franck (1938-2012)
Photographie-Collection Maison européenne de la photographie
Ariane Mnouchkine crée le Théâtre du Soleil en 1964. C'est une expérience de gestion singulière pour une troupe de théâtre, la première coopérative dans ce milieu. Les décisions sont prises collectivement et les salaires identiques pour toutes et tous. La compagnie s'installe en 1970 à la Cartoucherie de Vincennes, et Ariane Mnouchkine devient alors une figure incontournable de la création théâtrale parisienne.
"Femmes prenons la nuit : le 8 mars, Journée internationale des femmes", 1979
Les féministes et l'espace public parisien
« C'est tout de même malheureux qu'on ne puisse pas se promener après 9 heures du soir », chantent en 1965 Les Parisiennes, quatuor yéyé. L'insécurité des femmes dans la rue est traitée sur un mode humoristique mais va bientôt devenir un enjeu politique. Les marches de nuit féministes appellent les femmes à agir. "Prendre la nuit", c'est rappeler que la ville appartient aussi aux femmes et qu'il n'est pas de véritable citoyenneté sans droit à la sécurité. Les cours de self-défense se multiplient d'ailleurs à partir des années 1970 dans la capitale.
Paris apparaît aussi comme une ville masculine en raison du sexisme en vitrine dans les commerces. En 1999, Mix-Cité s'en prend à un grand magasin qui a placé des mannequins vivants portant des sous-vêtements sexy en vitrine. La même année, Les Chiennes de garde s'en prennent au Fouquet's, qui refuse les femmes "non accompagnées".
« Dissolution Dans L'eau Pont Marie - 17 Heures », féministe du 11 mai 1978
Lea Lublin (1929-1999)
Photographies-Courtesy of Nicolas Lublin and gallery 1 Mira Madrid
Lea Lublin est une artiste performeuse féministe. En 1968, pour Mon fils, elle déambule au musée d'Art moderne de la Ville de Paris avec son enfant de sept mois pour questionner le rôle familial des femmes. En 1978, dans Dissolution dans l'eau, réalisé chez une autre artiste féministe, Françoise Janicot elle inscrit sur une feuille des clichés misogynes, puis, en procession avec un groupe de femmes, les jette dans la Seine, chargée de les dissoudre.
Mme Ève Labouisse-Curie, fille cadette de Marie Curie, inaugurant le nouveau nom de la rue Pierre-Curie, rebaptisée Pierre-et-Marie-Curie à l'occasion du centenaire de Marie Curie, en 1967
Sororité
La sororité, qui évoque les liens entre sœurs, est une notion importante pour les luttes féministes à travers l'histoire. Elle est présente dans ces collectifs que les femmes ont créés pour faire entendre leurs voix : clubs de la Révolution, institutions sportives, manifestations, associations, etc. Aujourd'hui, la sororité est l'alliance des femmes contre le sexisme dans les lois et au quotidien. C'est un outil de pouvoir qui propose aux femmes de s'unir et de se soutenir, quels que soient leur âge, leur orientation sexuelle, leur origine et leur milieu social.
'La poésie ébauche les contours d'une ville à colorier", 1992
Miss.Tic (1956-2022)
Palissade avec pochoir-Collection atelier Miss.Tic Adagp, Paris, 2022
À partir de 1985, les pochoirs de l'artiste urbaine Miss.Tic enchantent les murs de Paris. Ses silhouettes féminines sexy en rouge et noir sont accompagnées d'aphorismes qui affirment son désir de jouir de la vie et d'exister dans l'espace urbain: « J'écris à hauteur d'homme ». Poétesse souvent désenchantée, Miss.Tic refuse les étiquettes, mais sa révolte lui inspire des formules ravageuses et politiques. « L'homme est le passé de la femme » et « Le masculin l'emporte, mais où ? ».
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