dimanche 15 décembre 2024

L'âge atomique, les artistes à l'épreuve de l'histoire au MAM en décembre 2024

Impressionnante exposition du MAM sur les horreurs découlant de la découverte du pouvoir destructeur de l'atome dont voici la présentation et une sélection d'oeuvres :

L'ÂGE ATOMIQUE
L'âge atomique ne connaîtra jamais de fin. Déclenché par la détonation du premier essai atomique dans un désert du Nouveau-Mexique le 16 juillet 1945 à 5 h 29 min et 45 s, son impact sur la vie sur Terre se mesure en centaines de milliers d'années. Produit de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, il s'étend désormais à une échelle temporelle proprement insaisissable. L'exposition explore cette nouvelle expérience du temps à travers l'art des xx et xxx siècles, ainsi que ses liens inextricables avec la science, la politique et la culture de masse. Elle se divise en trois parties, à la fois chronologiques et thématiques.
Atome. À l'aube du xx siècle, l'art moderne cherche à échapper aux formes fixes, à l'opacité, ainsi qu'à la pesanteur des apparences. La radioactivité et la décomposition de l'atome lui offrent une légitimité indéniable. Quand rien n'est stable ni définitif, l'utopie d'un monde nouveau et malléable s'avère inséparable de l'anxiété d'un monde en crise, dépourvu d'assises solides. 
Bombe. L'invention de la bombe atomique et son utilisation dévastatrice contre le Japon par les États-Unis en août 1945 marquent une phase nouvelle de la maîtrise occidentale de l'atome. Les artistes se saisissent de cette gravité du destin, où l'homme est à la fois le bourreau et la victime. Certains se fascinent pour la nouvelle physique. D'autres critiquent le mécanisme du militarisme destructeur. Le grand champignon atomique devient une image omniprésente, qui inscrit la réalité complexe du nucléaire dans banale de la propagande, de la consommation et du spectacle. Nucléarité. Dès la fin des années 1960 se dessine une conscience écologique accrue de la menace constante et invisible que représente l'énergie nucléaire pour le vivant dans son ensemble. L'imaginaire du nucléaire devient diffus, enfoui et persistant. Il va de pair avec des formes artistiques au croisement de plusieurs médias et avec la formation de mouvements et de collectifs pacifistes, antinucléaires, contre-culturels, féministes et anticoloniaux.
Aujourd'hui, l'histoire géopolitique nous ramène au cœur du sujet :
la menace et la dissuasion nucléaires ravivées par la guerre en Ukraine entrent en résonance avec les bouleversements provoqués par l'action, sur le vivant, de pays technologiquement avancés. L'âge atomique est notre présent.

Barnett Newman
Pagan Void / Vide païen
1946
Huile sur toile / Oil on canvas
National Gallery of Art, Washington, don d'Annalee Newman, en l'honneur du 50 anniversaire du musée, 1988.57.1
Pagan Void représente le gouffre au-dessus duquel l'humanité est suspendue depuis août 1945. Pour le créateur de mythes Barnett Newman, le grand "vide" est survenu après que deux bombes atomiques américaines ont frappé le Japon. L'abandon progressif des formes primitivistes et des références directes à la mythologie antique dans l'expressionnisme abstrait se fait au profit d'une abstraction sobre, capable d'exprimer «l'homme moderne », « devenu sa propre terreur » (1946). Pour Newman, la terreur primitive, le sublime irreprésentable et le destin tragique de l'homme constituent cependant la condition métaphysique nécessaire à la création du Grand Art.


LA DÉSINTÉGRATION DE LA MATIERE
Nombre de physiciens européens démontrent, à partir de 1890, que l'atome n'est pas l'élément ultime constitutif de la matière, que celle-ci peut être pénétrée par des rayons invisibles ou imprégnée de radioactivité. Il est ainsi devenu clair que la réalité matérielle n'est ni aussi solide ni aussi impénétrable qu'on le supposait jusqu'alors. Les artistes, cherchant à s'échapper de l'imitation des apparences de la nature, trouvent dans ces découvertes scientifiques une légitimité précieuse. Deux voies s'en dégagent. Alliant science, mysticisme et occultisme, Vassily Kandinsky, Hilma af Klint et Mikhail Larionov traduisent la réalité comme un monde relationnel, spirituel et vivant. Quant à Marcel Duchamp, il forme sa vision de « l'inframince »>, cherchant à rendre sensible l'imperceptible, quel qu'il soit, et abandonne progressivement la peinture au profit du ready-made et d'autres démarches conceptuelles. Enfin, la danseuse Loïe Fuller traduit dans sa Radium Dance la radioactivité comme un moyen d'enchantement du monde moderne, tout en donnant une expression à la conception dynamique de la nouvelle réalité énergétique. Ces différentes démarches continuent à inspirer les travaux d'artistes contemporains tels que Sigmar Polke et Pierre Huyghe.

Hilma af Klint
Série sans titre I
15 mars 1917
24 février 1917
29 mars 1917 19 février 1917
17 mars 1917
26 mars 1917
29 mars 1917 9 mars 1917
Série sans titre II 25 juillet 1917
Aquarelle, mine de plomb et peinture métallique sur papier / Watercolor, graphite and metallic paint on paper
The Hilma af Klint Foundation, Stockholm

Détail 

Eugène Thébault
Radio-terreur 
1929 Livre 
Fayard
Musée Curie Paris

Jean Schwartz
La Danse du radium [pour piano] : dansée dans "Piff-paff - pouf"
Partition 
Bibliothèque nationale de France,
département de la Musique

Loïe Fuller (chorégraphie de)
La Danse Serpentine The Serpentine Dance
Production Pathé frères
1905
Film couleur, muet, 1 min 45 s / Colour film, silent
Fondation Jérôme Seydoux Pathé
" Soudain une apparition se présente à la vue. C'est une forme vague, que l'on distingue seulement grâce aux centaines de minuscules vers luisants qu'elle semble transporter sur ses atours flottants. Le voile d'étoiles scintillantes flotte autour d'elle, tournoie, frôle le sol, ou bien est soulevé pour former une sorte de grand vase lumineux. L'on ne voit jamais le visage de la danseuse, l'on devine sa silhouette lorsque la soulignent les lumières éclatantes. L'apparition s'évanouit, pour être remplacée par une autre, plus étrange encore. Au-dessus d'une tête parfaitement invisible, dont on suppose simplement la présence, luit un halo bleuâtre. Au-dessous, enveloppant une figure indiscernable, se trouve une longue robe, qui n'est qu'un seul large pan de la même lumière fantomatique. L'apparition se déplace lentement à un rythme solennel, semble invoquer le ciel [...]. Quand s'évanouit le second fantôme, un troisième apparaît, une énorme phalène luisante, avec des antennes brillantes de trente centimètres de long, des yeux qui sont des globes de lumière, et des ailes de près de deux mètres de haut, que font étinceler des volutes lumineuses de toutes les couleurs. [...] Les lampes se rallumant, nous quittons la contrée des fantômes et sommes ramenés à la réalité, et, ayant l'occasion d'examiner les robes de la danseuse, découvrons qu'elles ont été confectionnées dans une sorte de soie singulière entièrement imprégnée de sels fluorescents. Dans l'obscurité la plus totale, seules les parties du tissu ainsi rendues lumineuses sont visibles."

Vassily Kandinsky Jüngster Tag
[Le Jour du Jugement dernier] / [Judgement Day]
1912
Peinture à l'eau et encre de Chine Water paint and Indian ink
Legs de Nina Kandinsky en 1981 Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle
En 1913, Vassily Kandinsky note : « Un événement scientifique me débarrassa de l'un des obstacles qui obstruaient mon chemin : l'atome est devenu sécable. Cette divisibilité de l'atome ébranla mon âme comme l'effondrement du monde entier. D'un coup soudain les murailles les plus lourdes, et toutes choses, devenaient incertaines, chancelantes, inconsistantes. » La découverte par Ernest Rutherford de la véritable structure interne de l'atome renforce la volonté de l'artiste d'explorer de nouvelles voies artistiques, notamment celle de l'abstraction.

Marcel Duchamp
Air de Paris / Air of Paris
1919/1964
Verre / Glass
Achat en 1986
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle

Marcel Duchamp
 La Boîte-en-valise 
1936/1968
Boîte à tirettes en carton recouverte de cuir vert à l'extérieur, de lin vert à l'intérieur,
contenant des répliques miniatures d'oeuvres, 80 items (photographies, documents, objets)
Musée d'Art moderne de Paris

Vassily Kandinsky
Bild auf hellem Grund [Tableau sur fond clair] [Painting on Light Ground]
1916
Huile sur toile / Oil on canvas
Donation de Nina Kandinsky en 1976
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle
En dépôt au musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg

Mikhail Larionov
Journée ensoleillée / Sunny Day
1913-1914
Huile et collages de pâte à papier sur toile / Oil and paper pulp
collages on canvas
Achat en 1986
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne /
Centre de création industrielle
Mikhail Larionov pose en 1909-1910, avec Nathalie Gontcharova, les bases d'un nouveau mouvement, le rayonnisme, considéré comme l'une des toutes premières manifestations de la peinture abstraite. Il cherche à matérialiser le rayonnement lumineux et énergétique qui émane de tout objet physique palpable. Selon lui, la représentation du monde ne repose plus sur les formes et les textures de la matière, mais est constituée par l'entrecroisement des rayons qu'elle émet. L'artiste devient alors médiateur entre le visible et l'invisible, la matière et son énergie.

Minoru Nakahara
Atomic n° 2
1925
Huile sur toile / Oil on canvas Museum of Contemporary Art Tokyo
Après des études de dentiste à l'université de Harvard, Minoru Nakahara se rend en Europe, en 1918, pour soigner les soldats en tant que médecin de l'armée française. Profondément marqué par son expérience de la guerre, où les corps déchiquetés sont pour lui un fait quotidien, il développe une conception plus philosophique et distanciée de l'existence humaine, basée sur la science. Dans ses peintures, il représente des fragments de dessins scientifiques et d'instruments de mesure, qu'il réunit dans un même univers.

Sigmar Polke Uranium (Pink) Urangestein (Rosa)
1992
Tirage chromogène en couleurs / Chromogenic print in colour Collection Hesta AG, Suisse
Tout au long de sa carrière, l'artiste allemand Sigmar Polke expérimente le matériel photographique, le faisant souvent réagir avec divers produits toxiques. Dans ses Uranografien (uranographies), il reprend le processus photographique par lequel Becquerel a découvert la radioactivité un siècle auparavant. En déposant des sels d'uranium sur une surface photosensible, les formes obtenues rendent visible la radioactivité. Elles révèlent également la fascination de l'artiste pour le nucléaire, puisque sa collection personnelle comprend un certain nombre d'œuvres sur l'énergie atomique, ainsi que des verres uranifères.

LE PROJET MANHATTAN
La découverte de la fission nucléaire, en 1938, fait de l'invention d'une bombe atomique une hypothèse crédible. Albert Einstein et d'autres physiciens émigrés aux États-Unis alertent le président Roosevelt sur les avancées de l'Allemagne hitlérienne dans ce domaine. À partir de 1942, le gouvernement américain lance le « projet Manhattan »>, l'un des plus ambitieux du xx siècle, combinant expertise scientifique, production industrielle et efforts militaires dans le but de fabriquer la bombe A. Cette opération tentaculaire, répartie sur plusieurs sites à travers les États-Unis, se déroule dans le plus grand secret. Le laboratoire de Los Alamos, dirigé par J. Robert Oppenheimer, en est le cœur. À la fin de la guerre, plus de 2500 personnes y travaillent, marquant le début de la Big Science américaine. Le projet Manhattan a également signifié le commencement de l'ère atomique avec «< Trinity », le premier essai nucléaire, dans le désert du Nouveau-Mexique le 16 juillet 1945 à 5 h 29 min et 45 s.

Leslie R. Grooves, chef militaire, et Robert Oppenheimer, chef scientifique de Los Alamos, le 9 novembre 1945 sur le site de l'essai nucléaire Trinity

LA BOMBE
L'usage destructeur de la bombe atomique contre le Japon par les États-Unis les 6 et 9 août 1945 marque un point de bascule dans l'histoire moderne de l'atome, qui coïncide avec la guerre froide. L'art, la science et la politique deviennent plus inextricables que jamais. Les réactions des artistes sont très variées, tant dans leurs choix esthétiques que dans leurs orientations idéologiques. Les artistes modernistes d'après-guerre s'intéressent davantage au potentiel formel de l'énergie revélée par la nouvelle physique. Mais le grand champignon dans le ciel, créé par d'innombrables essais, ne constitue pas moins un «< méga-événement >> occupant tout le champ du sensible. Coïncidant avec la mondialisation de la guerre et des communications, l'explosion devient image culturelle omniprésente, presque autant que le globe terrestre lui-même. Le caractère « exceptionnel >> de la bombe et les politiques d'entraînement collectif que justifie cette dernière deviennent diffus et se banalisent. Dans les années 1950, en Europe et dans les milieux de la contre-culture aux États-Unis, des démarches artistiques à forte connotation politique commencent à émerger. Au Japon, la photographie documentaire devient un moyen privilégié pour témoigner de la réalité post-atomique. Dans les années 1960 des collectifs << anti-art >> mettront en cause le nouveau colonialisme américain dans son pacte avec le militarisme japonais, qui fut, pendant la guerre, l'allié de l'Allemagne nazie et responsable de crimes de guerre en Chine et en Corée.

U.S. Army Hiroshima
6 août 1945
Tirage gélatino-argentique / Silver gelatin print
Collection Daniel Blau, Salzbourg

HIROSHIMA, LE 6 AOÛT 1945 - NAGASAKI, LE 9 AOÛT 1945
Le 6 août 1945, les États-Unis larguent une bombe atomique sur le port de Hiroshima, et trois jours plus tard sur Nagasaki. Le rayonnement thermique, les ondes de choc et la radiation de cette arme aux effets alors inconnus détruisent les deux villes et tuent instantanément ou lentement des dizaines de milliers de personnes. Les cinq premiers clichés de Hiroshima sont pris le jour même par le reporter local Yoshito Matsushige. Les deux événements seront documentés par l'armée américaine, les autorités japonaises et des particuliers. N'envisageant pas encore de capituler, l'armée japonaise envoie à Nagasaki l'écrivain Jun Azuma, le photographe Yosuke Yamahata et le dessinateur Eiji Yamada pour rendre compte de la catastrophe. Beaucoup de films ont été détruits par l'armée d'occupation américaine et les autorités japonaises entre septembre 1945 et avril 1952, date à laquelle la censure imposée par les États-Unis est levée et le Japon cesse d'être sous la tutelle américaine.

Toshifumi Goto
Une gigantesque colonne de fumée s'éleva rapidement dans le ciel, provoquant la formation de nuages orageux qui s'amoncelaient tout en s'étendant. Dans ses tourbillons, des étincelles oranges, rouges et bleues fusaient dans toutes les directions, comme des éclairs. En s'agrandissant, cette étrange masse prit la forme d'un champignon.

Chizuko Sasaki
Cadavres charriés par le courant.


Nakano Kenichi
Je me suis agenouillé sur la rive et j'ai joint les mains pour prier, car c'était la première fois de ma vie que je voyais une scène pareille. Certaines personnes avaient été projetées là par l'explosion de la bombe, d'autres s'étaient noyées après avoir sauté dans l'eau pour échapper à la chaleur. Les rivières de la ville étaient pleines de ces gens mourants. Puissent leurs âmes reposer en paix.

Kazuo Matsumuro
« Où puis-je incinérer le corps de mon enfant ? » Des asticots blancs se tortillaient sur les brûlures du visage de l'enfant qu'elle portait sur son dos. Elle avait probablement ramassé le casque de métal afin d'y déposer les os de son enfant. Elle avait dû marcher longtemps avant de trouver du combustible pour le feu.

Kiyomi Kono
Sur le parterre circulaire à l'entrée de l'hôpital de la Croix- Rouge, des cadavres de collégiens de première et deuxième année avaient été empilés comme des rondins de bois. Ils ne portaient aucune trace de blessure ou de brûlure. Sur leur badge était indiqué «Deuxième Collège d'Hiroshima »

Harue Takashiba
Rivière éclairée par des lanternes en mémoire des personnes.

BOMBE, TETE HUMAINE
Une analogie formelle et conceptuelle persistante - entre le champignon atomique, la tête humaine, le globe et l'atome - se dessine à travers une série d'œuvres d'artistes très différents. L'invention de la bombe transforme l'homme en agent terrestre (on parle, aujourd'hui, d'«< anthropocène »>, cette ère géologique formée par l'action des pays industriellement avancés). De même, la bombe atomique, dont les effets sont potentiellement universels, est l'un des agents de la globalisation. BOMBHEAD de Bruce Conner donne ainsi au corps impersonnel de la technoscience et de la bureaucratie la tête d'un champignon tout spectaculaire. Le graphiste Herbert Matter représente la tête humaine de profil, remplie de nuages atomiques ressemblant aux continents qu'elle regarde : séparée du globe, elle fait de ce dernier une image. Henry Moore fusionne la forme sphérique de l'atome avec celle d'un crâne et d'une cathédrale. Enrico Baj attribue à une explosion atomique la forme d'un foetus. Cette analogie énonce un changement anthropologique majeur, qui passe par le changement du rapport de l'homme à la Terre. Extrait de la planète qu'il habite, l'homme occidental la transforme en un objet qu'il possède et qu'il regarde


Bruce Conner
BOMBHEAD
2002
Impression numérique avec ajouts de peinture acrylique / Digital print with acrylic paint additions Taille originale / Original size : 80,8 x 63,8 cm (composition) 97,3 x 79,1 cm (feuille/sheet)
The Museum of Modern Art, New York. John B. Turner Fund, 2024 Digital image, The Museum of Modern Art, New York

Robert Brownjohn, Ivan Chermayeff, Thomas Geismar
Artist's proof for the cover of Common Sense and Nuclear Warfare by Bertrand Russell / Épreuve d'artiste pour la couverture de Common Sense and Nuclear Warfare de Bertrand Russell
Vers 1957-1960
Lithographie / Lithograph
The Museum of Modern Art, New York.
Don de Don Goeman, 2011

László Moholy-Nagy Nuclear I, CH
1945
Huile et mine de plomb sur toile / Oil and graphite on canvas
The Art Institute of Chicago, don de Mary et Leigh Block
Lorsque Nagasaki et Hiroshima sont bombardées, l'artiste hongrois habite à Chicago, ville où, dans le cadre du projet Manhattan, le physicien Enrico Fermi a mis au point la toute première pile atomique. Créée en 1945, Nuclear I, CH commente à la fois les avancées scientifiques et les bombardements atomiques. La grille, motif moderniste par excellence, représente ici le plan urbain de Chicago, tandis que la sphère qui la surplombe correspond à la menace que le nucléaire fait naître à l'échelle mondiale. Cette menace se conjugue cependant à une valorisation de la science: Moholy-Nagy est traité par radiothérapie pour la leucémie dont il souffre et qui l'emportera bientôt.

Richard Pousette-Dart The Atom. One World / L'Atome. Un monde
1947-1948
Huile sur toile de lin / Oil on linen canvas
Peggy Guggenheim Collection, Venise Solomon R. Guggenheim Foundation, New York

Asger Jorn
Le Droit de l'aigle / The Power of the Eagle
1952
Huile sur Masonite / Oil on masonit Kunsten Museum of Modern Art Aalborg
Opposant de l'intégration du Danemark à l'OTAN, Jorn représente la guerre froide par un aigle à deux têtes. Symbole de souveraineté, l'aigle évoque aussi un monstre et un champignon atomique : "Le tableau a été peint quand je croyais encore en la supercherie psychologique de la prétendue "Guerre froide", avec ses bombes atomiques et tout le reste. J'avais vraiment peur de la guerre. C'était autour de 1949. Puis vint une profonde anxiété personnelle. Je me sentais plus faible sans savoir pourquoi et je suis devenu enragé. Il y a rage et anxiété mortelle dans ce tableau."

Kazuo Shiraga
Kanesada
1961
Huile sur toile / Oil on canvas
Axel & May Vervoordt Foundation

Wols (Alfred Otto Wolfgang Schulze, dit)
Grenade bleue / Blue pomegranate
1946
Huile sur toile / Oil on canvas
Achat en 1971
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle

Francis Bacon
Three Studies for
a Portrait / Trois études pour un portrait
1976
Huile sur toile / Oil on canvas Collection particulière, courtesy Skarstedt
Pour Trois études pour un portrait, Francis Bacon a immortalisé le modèle britannique Henrietta Moraes. Il s'est notamment inspiré d'un plan du film d'Alain Resnais Hiroshima mon amour (1959), où l'actrice Emmanuelle Riva apparaît avec une mèche serpentine de cheveux mouillés descendant au centre de son visage. Dans l'œuvre de Bacon, le thème de la perte amoureuse est fréquent, reflétant l'impact profond du suicide de George Dyer, l'amant de l'artiste. La perte d'un être cher peut ainsi être liée à l'une des plus grandes tragédies de l'humanité.

Wifredo Lam
L'Indésirable / The Undesirable
1962
Huile sur toile / Oil on canvas Musée d'Art moderne de Paris
René Char écrit La Provence Point Oméga en 1965, contre l'implantation du site des missiles nucléaires au plateau d'Albion. Le peintre cubain Wifredo Lam s'engage aussi avec lui contre le nucléaire. Dans son imaginaire, le spectre de la Terre devenue inhabitable fusionne avec celui de l'apocalypse nucléaire fulgurante, surtout après que la crise des missiles de Cuba a amené les États-Unis et l'Union soviétique au bord d'une guerre nucléaire en 1962. Ses illustrations des livres d'André Pieyre de Mandiargues et de Ghérasim Luca, ainsi que nombre de ses tableaux, imbriquent formes animales, missiles et ailes d'avion dans la vision d'une nouvelle Apocalypse séculière.

Stefan Rinck
Troglodyte with Nuclear Bomb / Troglodyte avec bombe nucléaire
2017
Diabase
Collection FRAC CORSICA

REPRÉSENTATIONS PICTURALES DE LA PHYSIQUE NUCLÉAIRE I
Ces peintres exposés recherchent une représentation picturale adéquate à la physique nucléaire, évoquant par leurs procédés et par leurs formes la déflagration et l'animation énergétique de la matière, ainsi que la connexité du monde. Recourant souvent à une peinture gestuelle, ils attribuent à cette gestualité une valeur d'analogie avec le cours élémentaire de la nature. Ce qui différencie Paalen, Jorn ou Gallizio des premiers peintres abstraits est leur connaissance approfondie de la physique et leurs efforts pour tisser des liens précis entre l'art et la science. Dalí et le Movimento Nucleare, aussi éloignés soient-ils dans leurs approches politiques et esthétiques, mettent également la nouvelle physique au cœur de leur art. Ces œuvres peuvent frôler l'esthétisme, se focalisant bien plus sur l'énergie atomique que sur son usage destructeur avéré.

Gianni Dova
Composizione nucleare / Composition nucléaire
1952
Huile et émail sur toile / Oil and enamel on canvas
Collection particulière

Giuseppe Pinot Gallizio
Sans titre / Untitled
1958
Aniline et technique mixte sur rayonne / Aniline paint and mixed technique on rayon Archivio Gallizio, Turin
Ces trois toiles, réalisées sur de la soie artificielle, font partie de La Caverne de l'antimatière que Pinot Gallizio installe à la galerie Drouin à Paris en 1959. Elles ont été réalisées au Laboratoire de l'Internationale situationniste à Alba, dans le Piémont, en Italie. Inspiré du physicien Francesco Pannaria, théoricien de l'antimatière, Gallizio représente dans sa Caverne les échanges énergétiques entre le sol (la matière) et le plafond (l'antimatière). Cette vision physique d'échanges moléculaires a pour corollaire politique le rejet de l'équivalence capitaliste ainsi que l'idéal d'un échange énergétique créatif entre l'artiste et les spectateurs. La Caverne a aussi la fonction symbolique d'abri: l'âge atomique réactive la préhistoire inquiétante.

Enrico Baj
Esplosione / Explosion
1951
Huile et émail sur toile / Oil and enamel on canvas Archivio Baj, Vergiate, Italie

Salvador Dalí
Uranium and Atomica Melancholica Idyll / Idylle atomique et uranique mélancolique
1945
Huile sur toile / Oil on canvas
Museo Nacional Centro de Arte
Reina Sofía, Madrid
Salvador Dalí Legacy, 1990
«La première explosion atomique m'ébranla de façon sismique », dit Dalí. Dans Uranium and Atomica Melancholic Idyll, elle est représentée dans une image noire dont les creux bleu ciel s'ouvrent vers une autre réalité, plus mystique, que celle associée à la guerre. Dalí abandonne rapidement la mélancolie du nucléaire au profit de l'autopromotion. Mêlant iconographie catholique, désintégration de la matière et dissolution de la gravité, il va jusqu'au Vatican pour présenter au pape en 1949 la « Madone à l'enfant de l'âge atomique ». En 1951, il se proclame "premier peintre de l'âge atomique" et expose sa théorie du «mysticisme nucléaire» dans des manifestes et une grande tournée à travers les États-Unis.


Wolfgang Paalen
Nuclear Wheel / Roue nucléaire
1942
Huile sur toile / Oil on canvas Parker Family Collection
Qualifié par Roberto Matta de «premier peintre de l'Âge atomique », Wolfgang Paalen est un dissident surréaliste installé au Mexique durant la Seconde Guerre mondiale. À la différence de ses confrères, Paalen s'exprime sur la situation moralement précaire des recherches en physique nucléaire, même avant 1945 et la première explosion atomique. Dans la revue Dyn - du grec dunaton, «possible », référence aux perspectives ouvertes par la nouvelle physique nucléaire -, qu'il fonde en 1942, il souligne l'équilibre périlleux entre les préoccupations artistiques et les théories scientifiques de Niels Bohr, ou encore de Werner Heisenberg, figure clé des recherches autour d'une bombe atomique nazie. Produite pendant cette période, la peinture Nuclear Wheel exprime aussi l'intérêt de l'artiste pour les cosmogonies indigènes de son pays d'adoption, le Mexique.

Asger Jorn Chaosmos
1961
Acrylique sur toile /
Acrylic on canvas
Secher Fine Art & Design, Copenhague

Roberto Matta
L'impensable ou
Le Doute du oui en face du doute du non / The Unthinkable or: The Uncertainty
of Yes in the Face
of the Uncertainty of No
1958
Huile sur toile / Oil on canvas Musée d'Art moderne de Paris
Né au Chili et devenu citoyen français, Roberto Matta combine dans ses peintures surréalisme, abstraction et engagement politique. Son enthousiasme pour la presse scientifique reflète son vif intérêt pour la théorie de la relativité et de la quatrième dimension. Il illustre les Lettres sur la bombe atomique de Denis de Rougemont, écrivain suisse, qui paraissent en 1946. Dans L'Impensable, l'artiste nous plonge dans un monde où l'imagination et la réalité se confondent. Cette peinture propose une vision saisissante de l'infini cosmique, des angoisses collectives et des doutes existentiels.

Jackson Pollock
Number 26 A, Black
and White / Numéro 26 A, noir et blanc
1948
Peinture glycérophtalique
sur toile / Alkyd paint on canvas
Dation en 1984
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle
«Il me semble que le peintre moderne ne peut pas traduire cette époque, l'avion, la bombe atomique, par les formes anciennes de la Renaissance ou d'une autre culture du passé. À chaque époque sa technique », déclare Jackson Pollock en 1951. La même année, l'article «The Artist and the Atom >> écrit par le critique Peter Blanc commence avec la comparaison classique de deux images: une peinture faite par la technique du « dripping» (égouttement) de Pollock et une radiographie d'électrons, les deux signifiant la dématérialisation de la nature.

Enrico Baj
Senza titolo / Sans titre
1952
Encre de Chine sur papier /
Indian Ink on paper
Archivio Baj, Vergiate, Italie

Isidore Isou
Polythanasie atomique (29) Atomic Polythanasy (29)
1974
Gouache sur report photographique sur toile / Gouache on photographic transfer on canvas
Archives Frédéric Acquaviva, Londres
Poursuivant ses efforts d'anéantissement méthodique, Isou propose comme représentation de son Manifeste de la polythanasie et du ciselant atomique et électronique une série de quarante et une toiles où le même poème lettriste est reproduit industriellement et où, sur chacune de ses toiles, Isou a biffé chacun des quarante et un signes (ponctuation comprise) contenus dans ce poème phonétique. Ainsi, selon Isou, « une série de toiles, fondée sur un thème unique, dont nous avons effacé périodiquement un caractère différent, nous semble apte à prendre place dans le système constituant la polythanasie atomique », convaincu que d'"inédites joies esthétiques peuvent surgir de nos découvertes ciselantes et polyautomatiques, atomiques et électroniques".

Enrico Baj
Atomo / Atome
1952-1953
Eau-forte sur papier /
Etching on paper
Archivio Baj, Vergiate, Italie

«ALT», Galleria
La Maggiolina, Alexandrie, 30 avril-9 mai 1955
Affiche de l'exposition /
Exhibition poster
Centre Pompidou/MNAM-CCI/ Bibliothèque Kandinsky

REPRÉSENTATIONS
DE LA PHYSIQUE NUCLÉAIRE II
La fascination de ces artistes pour la nouvelle physique ne passe plus par la gestualité, mais par la réduction des formes et la dématérialisation La monochromie blanche, la représentation de la lumière et du vide ou encore la mise à distance de la main au profit du feu sont autant
de démarches qui cherchent à saisir le monde infrasensible.

Yves Klein
F 74, Peinture de feu sans titre /
 F 74, Untitled Fire Painting
1961
Carton brûlé sur bois / Charred card on wood
Don de Mme Rotraut Klein-Moquay en 1984 Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne /
Centre de création industrielle
Pour le catholique Yves Klein, l'ombre d'un homme imprimée sur la pierre est l'incarnation ultime, où la chair devient image - comme le monochrome. Il réalise deux peintures anthropométriques (terme désignant << la technique des pinceaux vivants >>) avec le titre Hiroshima. À une plus grande échelle, «l'âge atomique » est celui où «tout ce qui est matériel et physique pourrait disparaître du jour au lendemain pour n'être remplacé par rien d'autre que l'abstraction la plus ultime qu'on puisse imaginer». En attendant, Klein revêt le double rôle du démiurge et du bouffon en proposant aux autorités concernées d'utiliser son « bleu Klein >>> pour effectuer les essais atomiques : des peintures célestes ou atmosphériques pourraient voir le jour.

Alberto Burri Plastica
1964
Polychlorure de vinyle calciné / Charred polyvinyl chloride
Don de l'artiste en 1978
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle

LE SPECTACLE NUCLÉAIRE
L'imaginaire nucléaire naît de l'image obsédante du champignon atomique, diffusée par les technologies photographiques et cinématographiques: plus de cinquante caméras immortalisent le «< Trinity Test ». La bombe devient rapidement un objet photogénique, se propageant à travers des périodiques à distribution massive, tel Life, ou des films promotionnels de l'armée américaine, qui dispose de son propre studio de cinéma à Hollywood, le Lookout Mountain Laboratory. À Las Vegas, les heures des explosions sur le terrain d'essai voisin du Nevada sont annoncées comme un spectacle auquel l'on peut assister depuis les terrasses des hôtels. Des concours de beauté Miss Atomic Bomb sont organisés. La propagande atomique se poursuit dans les expositions promotionnelles de l'énergie nucléaire, en Europe comme aux États-Unis, notamment à la suite du discours des << atomes pour la paix »> prononcé par le président Dwight David Eisenhower devant l'assemblée générale des Nations unies en 1953.

Jim Shaw
I'll Build a Stairway to Paradise / Je construirai un escalier vers le paradis
2022
Mousse, résine, fibre de verre, bois, plastique et acrylique sur mousseline / Foam, aqua resin, fiberglass, wood, plastic and acrylic on muslin
Courtesy Gagosian

Don English, La ballerine Sally McCloskey exécute
sa « Danse de l'ange» au sommet du mont Charleston, avec un champignon atomique en arrière-plan,
le 6 avril 1953

Don English, Photographie de "Miss Atomic bomb" coïncidant avec l'opération Plumbbob sur le site d'essai du Nevada, le 24 mai 1957

Photographe anonyme,
 L'amiral Blandy
et son épouse découpant un gâteau en forme de champignon atomique le 7 novembre 1946 pour célébrer l'opération "Crossroads", sous le regard du vice-amiral Frank J. Lowry

Photographe anonyme, L'actrice Marie Wilson posant avec un compteur Geiger afin de promouvoir le tourisme atomique
à Las Vegas, le 10 février 1955

Photographe anonyme, Personnel militaire observant le nuage Yukon de l'Opération Dominic (Atoll Johnston, Ile Christmas, Maui, Hawaii) depuis l'Île Christmas, 
1946-1962

Photographe anonyme, La chanteuse d'opéra américaine Marguerite Piazza posant en tant que « Miss Radiation » avec des militaires, le 29 mars 1955

Unidentified photographer/ Photographe non identifié
A Metropolis in Snowy Cloak /
 Une métropole sous
un manteau de neige

Charles Bittinger
Late stage of Baker
Dernière phase du tir Baker
1946
Huile sur toile / Oil on canvas Courtesy of the Navy Art Collection

Photographie aérienne du bombardement d'Hiroshima publiée dans Life, 20 août 1945, p. 26

Reproduction de trois pages du manga Gen d'Hiroshima [Hadashi no Gen] (tome 1), créé par Keiji Nakazawa / Reproduction of three pages from the manga Barefoot Gen [Hadashi no Gen] (volume 1), created by Keiji Nakazawa

Reproduction de deux doubles pages du manga AKIRA (tome 1), créé par Katsuhiro Otomo /
Reproduction of two double- page from the manga AKIRA (volume 1), created by Katsuhiro Otomo

ABRIS ET CENTRALES
Tout au long de la guerre froide (1947-1991), un dialogue s'instaure entre architecture et défense atomique. La peur de l'attaque nucléaire s'installe dans la vie quotidienne, et l'abri antiatomique devient le fer de lance de la protection de l'individu et de sa famille. Amalgamant les sphères militaire et domestique, l'abri prétend préserver ceux que Guy Debord désigne comme « l'aristocratie des cavernes ». Le fondateur de l'Internationale situationniste saisit la coïncidence paradoxale de l'âge atomique avec la préhistoire. La valeur commerciale des abris n'échappe pas à certaines agences d'architecture qui créent des habitats souterrains imperméables aux vicissitudes extérieures. En parallèle poussent les premières centrales nucléaires à travers le monde. Les puissances nucléaires affirment ainsi leur pouvoir à l'ère postcoloniale. Les compagnies nationales d'électricité font appel à des architectes de renom, tel Claude Parent, qui conçoit, pour le compte d'EDF, ses centrales sur le modèle du temple. À distance de l'humain, les centrales ne domestiquent pas moins l'atome et diffusent l'idée d'une énergie inépuisable.


Thomas Schütte
Blauer Bunker / Bunker bleu
1984
Peinture synthétique sur papier, latex sur plâtre, bois / Synthetic paint on paper,
latex on plaster, wood
Collection Van Abbemuseum, Eindhoven

LA NUCLEARISATION DU MONDE 
La "Bombe" administrée par les puissances nucléaires devient une réalité banalisée, immiscée dans le moindre pli de la vie quotidienne et de la nature. Perdant les contours d'un objet unique, elle commence à montrer son caractère complexe. La «nucléarité » est une notion allant des mines d'extraction des minéraux jusqu'au stockage des déchets, en passant par les essais nucléaires, la fabrication des missiles et l'implantation des centrales.
Dès les années 1960, un tournant écologique s'opère autour de la perception des technologies nucléaires. La vision d'une « biosphère nucléaire globale >> s'instaure grâce aux avancées scientifiques, mais aussi à cause des accidents nucléaires civils. En pleine guerre froide, l'hypothèse scientifique d'un "hiver nucléaire" suggère une Terre plongée dans une nuit sans fin. Les «méga-accidents» de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011), aux conséquences mondiales, marquent les esprits, sapant le mythe étatique du "bon atome".

Tetsumi Kudo
Grafted Garden / Pollution- cultivation-nouvelle écologie / Jardin greffé
1970-1971
Fleurs et objets divers en plastique, Isorel, contreplaqué, métal, grillage, ficelles, lumière noire électronique, ampoules, écriteau avec texte / Flowers and various objects in plastic, hardboard, plywood, metal, wire mesh, black electronic light, bulbs, sign with a text
Achat en 1992
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne
Centre de création industrielle

On Kawara Thanatophanies
1955-1995
Portfolio de 30 gravures, eau-forte sur papier tissé / Portfolio of
30 prints, etching on woven paper Collection particulière

Détail de l'œuvre précédente 

Détail de l'œuvre précédente 

Miriam Cahn Atombombe
1991
Aquarelle sur papier /
Watercolour on paper
Centre national des arts plastiques
En dépôt au MUba Eugène Leroy, Tourcoing

Brion Gysin
Atomic Desert
1958
Huile sur toile / Oil on canvas
Musée d'Art moderne de Paris

Viatcheslav Syssoev
Sans titre / Untitled
Vers 1984
Encre de Chine, aquarelle
et lavis sur papier d'aquarelle / Indian ink, watercolour and wash on watercolour paper
Achat en 1985
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle

Alexander Zhitomirsky
Ferocious Appetite / Appétit féroce
1969
Photocollage sur carton mat / Photocollage on matboard
Collection Zimmerli Art Museum at Rutgers University, Norton and Nancy Dodge
Collection of Nonconformist Art from
the Soviet Union

Susanne Kriemann Lupin, fougère, genêt / Lupin, Fern, Broom
2024
Installation (impression pigmentaire d'archivage, photogrammes, sérigraphies, monotypes) / Installation (archival pigment print, photograms, screen prints, monotypes)
Collection de l'artiste
Lupin, fougère, genêt est une œuvre spécifiquement créée pour cette exposition, dans le cadre d'un projet de recherche artistique de longue haleine, le cycle de Pechblende, réalisé sur les terres uranifères de l'Allemagne de l'Est, plus précisément la Thuringe et la Saxe. Ces régions ont fourni la matière première du programme soviétique nucléaire entre 1946 et 1991. Au cours d'expéditions avec une équipe de géologues et de mineurs, l'artiste a étudié l'accumulation de métaux lourds dans la végétation pendant le processus de renaturalisation, qui devrait s'achever en 2045. S'intéressant à l'invisibilité de la radioactivité et à ce qui advient après l'extraction de l'uranium, Kriemann a travaillé sur plusieurs cycles, en lien avec des plantes peuplant ces territoires irradiés.



Hans Grundig
Ächtet die Atombombe! [Bannissez la bombe atomique !]
1954
Huile et tempera sur toile contrecollée sur bois / Oil an tempera on canvas glued on wood
Staatliche Museen zu Berlin, Neue Nationalgalerie

POSITIONS CRITIQUES ET ACTIVISMES
Dès les années 1960, des demarches artistiques et politiques contestatrices s'affirment face à ce qui est nommé « la culture de la bombe » (Bomb Culture). Des artistes pop investissent le caractère spectaculaire de la nucléarité. Fabriqué par l'industrie culturelle, le « spectacle >> hypnotise et incite à la consommation de moyens supposément protecteurs. Des femmes artistes et des collectifs féministes attaquent le militarisme viril à l'origine de la bombe, tout en déconstruisant le façonnage par les médias et le cinéma de la femme en « bombe sexuelle ». Des collectifs autochtones dans des terres colonisées aux États-Unis, en Afrique ou dans le Pacifique dénoncent le nucléaire comme une poursuite du colonialisme avec d'autres moyens : les essais nucléaires sont produits dans ces territoires, et les minéraux nécessaires à cette industrie sont extraits de leurs sous-sols. Enfin, le milieu de la contre-culture souligne la continuité entre la «culture de la bombe» et le totalitarisme.

Richard Hamilton
Portrait of Hugh Gaitskell as a Famous Monster
of Filmland / Portrait de Hugh Gaitskell en
célèbre monstre de l'écran
1964
Huile et collage sur photographie sur panneau / Oil and collage on photograph on panel
Arts Council Collection, Southbank Centre, Londres
Membre du collectif britannique Campaign for Nuclear Disarmament, connu pour ses longues marches antinucléaires de Londres à Aldermaston, l'artiste pop Richard Hamilton fait le portrait du chef du parti travailliste Hugh Gaitskell, après son refus d'adopter une ligne franchement antinucléaire. Il le représente en monstre, grâce au collage d'éléments issus du magazine Famous Monsters of Filmland, de l'une de ses photos de presse et du film Creature with the Atom Brain (1955). La science-fiction façonne profondément la perception du nucléaire. Outre la morale défaillante, la monstruosité évoque ici l'angoisse de mutation.

Richard Hamilton
Portrait of Hugh Gaitskell as a Famous Monster
of Filmland / Portrait de Hugh Gaitskell en
célèbre monstre de l'écran
1964
Huile et collage sur photographie sur panneau / Oil and collage on photograph on panel
Arts Council Collection, Southbank Centre, Londres
Membre du collectif britannique Campaign for Nuclear Disarmament, connu pour ses longues marches antinucléaires de Londres à Aldermaston, l'artiste pop Richard Hamilton fait le portrait du chef du parti travailliste Hugh Gaitskell, après son refus d'adopter une ligne franchement antinucléaire. Il le représente en monstre, grâce au collage d'éléments issus du magazine Famous Monsters of Filmland, de l'une de ses photos de presse et du film Creature with the Atom Brain (1955). La science-fiction façonne profondément la perception du nucléaire. Outre la morale défaillante, la monstruosité évoque ici l'angoisse de mutation.

György Kemény
Hommage à Oppenheimer / Homage to Oppenheimer
Vers 1967-1968
Panneau de fibres, collage de photographies et d'objets (assemblage) / Fibreboard, photo and object collage (assemblage) Museum of Fine Arts, Budapest Hungarian National Gallery, Hongrie
Représentant le plus fidèle du pop art hongrois des années 1960, György Kemény réalise des affiches, des collages d'objets et des peintures sur panneaux. Hommage à Oppenheimer est un collage complexe dans lequel Kemény a combiné des photographies découpées dans des magazines (principalement Paris Match, qui était disponible en Hongrie à l'époque) avec une variété d'objets colorés. Le résultat est une icône pop à l'humour ironique qui << rend hommage» au père de la bombe atomique, Robert Oppenheimer, décédé en 1967

Atsuko Tanaka
Denkifuku (Robe électrique) / [Electric Dress]
1956 / 1999
Ampoules de couleur, linolites vernies en huit teintes, feutre, câble électrique, métal, bois peint, boîtier électrique / Coloured bulbs, varnished linolites in eight shades, felt, electric cable, metal, painted wood, electric box
Achat en 2006
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle
Atsuko Tanaka est une artiste majeure du groupe Gutaï, mouvement artistique d'avant-garde japonais, fondé en 1954, sur le principe du corps comme instrument. Pour produire une série de vêtements de scène pour les représentations théâtrales du groupe, elle utilise son propre corps comme outil d'expérimentation, au point d'incarner littéralement la technologie, avec tous les risques qu'elle comporte. Constituée d'ampoules électriques et de tubes lumineux clignotants, la robe électrique a été portée par l'artiste elle-même lors de la deuxième exposition de Gutaï en octobre 1956.

FÉMINISME: ÉCOLOGIE ET ANTIMILITARISME
Les questions de la santé de la reproduction, de la santé des enfants et des êtres chers, du sort des générations futures [...] ont conduit les femmes à prendre une part active dans la lutte contre la diffusion des armes nucléaires et contre les centrales nucléaires », écrit dans les années 1980 Carolyn Merchant - auteure qui a marqué le tournant ecoféministe. Dès les années 1970, alors que le mouvement antinucléaire commence à prendre une ampleur mondiale, des collectifs de femmes se mobilisent contre la menace nucléaire. Ces groupes relèvent que la domination patriarcale est exercée à la fois sur les femmes et sur la nature. Puis ils abolissent la distinction artificielle entre le «bon >> atome civil et le « mauvais >> atome militaire. De nouvelles formes de militantisme s'inventent, à la lisière de l'art et de l'activisme, privilégiant des formats flexibles et transportables, des émissions de radio, des performances ou encore des cartes postales. Ces collectifs entretiennent souvent des liens transnationaux entre eux et sont parmi les premiers à allier la pensée anticoloniale à la lutte antinucléaire.

Hélène de Beauvoir Les Mortifères / The Mortiferous
1977
Huile sur toile / Oil on canvas Collection particulière
Militante pour les droits des femmes et écologiste antinucléai la jeune sœur de Simone a consacré sa vie à la peinture. Son triptyque, dont Les Mortifères fait partie, rappelle l'atmosphère des chasses aux sorcières médiévales, symbolisant les persécutions et les souffrances endurées par les femmes au cours des siècles. La représentation d'hommes habillés en travailleurs du nucléaire évoque le débat actuel autour de la centrale de Fessenheim en Alsace. Les thèmes du nucléaire et des violences faites aux femmes renforcent l'engagement et la résonance contemporaine de l'œuvre.

Sisters Of Survival
Sisters Of Survival est un groupe féministe de performances antinucléaires, fondé par Jerri Allyn, Nancy Angelo, Anne Gauldin, Cheri Gaulke et Sue Maberry en 1981 à Los Angeles. Évoquant la figure de la nonne avec leurs tenues colorées, elles se pensent comme une sororité contre l'armement nucléaire. Leur palette arc-en-ciel évoque tant l'espoir pour un futur dénucléarisé qu'un idéal de diversité. Au cours des années 1980, elles organisent des tournées en Europe et aux États-Unis, en s'associant à différents groupements antinucléaires, tel le camp de femmes pour la paix
à Greenham Common, en Angleterre. La cassette You Can't Kill the Spirit, l'enregistrement d'une émission radio produite par les SOS, recense ces rencontres, mêlant témoignages militants et chants antinucléaires

Nancy Spero
Bomb, Canopic Jar, Victims Bombe, vase canope, victimes
1967
Encre et gouache sur papier / Ink and gouache on paper
The Estate of Nancy Spero, Courtesy Galerie Lelong & Co., Paris - New York

Margaret Raspé Augenhöhe / À hauteur d'yeux
1988
Photomontage
Galerie Molitor, Berlin
L'oeuvre de Margaret Raspé est protéiforme, composée de films, performances, installations et photographies. Dans les années 1970, ses films documentent des scènes domestiques, auxquelles elle associe une certaine violence, représentant l'aliénation des femmes au foyer. Dans les années 1980 et 1990, elle s'intéresse à l'oppression de la nature, homologue à la condition féminine. Pour Augenhöhe (A hauteur d'yeux), l'artiste tourne sur son propre axe et documente les alentours de la centrale nucléaire de Brokdorf, en Allemagne, lieu de lutte antinucléaire. Elle souligne la présence invisible, mais menaçante, de la radioactivité.

Détail de l'œuvre précédente 

COLONIALISME NUCLÉAIRE
Les activités nucléaires ont souvent dévasté les populations autochtones et leurs terres. Dans Our Nuclear Future (1958), Edward Teller, père de la bombe H, éclaire le choix des sites d'essais en soulignant qu'« on y trouve généralement du soleil et de la solitude ». Déserts, steppes et océans : ces lieux sont estimés vides. Les Britanniques font des essais dans
les terres aborigènes en Australie, les Français dans le désert algerien, les Soviétiques dans la steppe kazakhe et les Américains dans le Pacifique. Souvent, ce sont les mêmes populations qui habitent les scènes des explosions et qui travaillent dans les mines d'uranium dans des conditions de sécurité minimales. C'est ce qu'on voit dans les photographies prises par Lee Marmon à Laguna Pueblo, au Nouveau-Mexique. Dans les années 1980, des cercles militants autochtones formulent la notion de « colonialisme nucléaire », désignant par ces termes le système de domination à la fois technologique et territoriale exerce à travers le nucléaire. L'héritage toxique de ces activités, aux conséquences sanitaires et environnementales perpétuelles, fait l'objet de résistance en Algérie, en Polynésie, sur la côte ouest américaine ou en Afrique du Sud.


Justino Herrera
That Is No Longer Our Smoke Sign / Ceci n'est plus
notre signal de fumée
Vers 1950
Aquarelle et crayon sur carton / Watercolour and crayon on card
Smithsonian American Art Museum, Collection Corbin-Henderson, don d'Alice H. Rossin
Originaire de Cochiti, au Nouveau-Mexique, non loin du laboratoire de Los Alamos, Justino Herrera est l'un des premiers artistes autochtones à produire des œuvres sur la violence infligée à son peuple par la bombe atomique. Cette aquarelle représente les institutions coloniales - le prêtre, l'institutrice... - face à un champignon atomique, qui devient ici le prolongement de siècles de colonisation. Au milieu de la composition, le couple Pueblo, habillé en tenue traditionnelle, souligne la résilience des populations autochtones en pointant du doigt la manifestation d'une nouvelle forme de colonialisme, à présent nucléaire.

Marcel Duchamp
Ready-mades et éditions de et sur Marcel Duchamp / Ready-Mades and publications by and on Marcel Duchamp
1967
Affiche offset / Offset poster
Collection David Fleiss, Paris
C'est vers la fin de sa vie que Marcel Duchamp réalise cette affiche pour la galerie Givaudan. Paume tendue, cigare entre les doigts, l'image comporte des évocations sexuelles. Entre bouffée de cigarette et fumée post-explosion, le champignon atomique apparaît comme le souffle insouciant de la puissance nucléaire française. Visuellement, cette affiche fait écho à l'imagerie associée à la «Gerboise rouge >>, nom du troisième test nucléaire français en Algérie, le 27 décembre 1960, et qui fut largement diffusée à la télévision. Elle révèle subtilement la prégnance du sujet.

Mouvement de la Paix / Movement for Peace
«Arrêt des essais nucléaires. Mururoa pacifique »> /
"End of nuclear tests. Peace in Moruroa"
1988
Affiche / Poster
Lyon, Observatoire des armements / CDRPC

Julian Charrière
Lacrosse - First Light / Lacrosse - Point du jour
2016
-
Photographie couleur, double exposition avec matériau radioactif, tirage pigmentaire d'archives sur papier Hahnemühle Photo Rag, monté sur panneau d'aluminium Dibond, cadre plaqué en bois de palmier rouge / Large-format color-photograph, double-exposed through radioactive material, archival pigment print on Hahnemühle Photo Rag, mounted on aluminium 

Julian Charrière
Ivy King - First Light /
Ivy King
-
Au point du jou
2016
Photographie couleur, double exposition avec matériau radioactif, tirage pigmentaire d'archives sur papier Hahnemühle Photo Rag, monté sur panneau d'aluminium Dibon, cadre plaqué en bois de palmier rouge / Large-format color-photograph, double-exposed through radioactive material, archival pigment print on Hahnemühle Photo Rag, mounted on aluminium Dibond, Red Palmira
veneered frame
Perrotin
Les paysages contaminés et leur matérialité sont au cœur de la démarche artistique de Julian Charrière. Dans cette série de photographies, cocotiers, sable fin et plages tropicales de l'atoll de Bikini représentent le tourisme et la présence militaire à l'ère postcoloniale comme deux faces d'une réalité commune. Avant de développer chaque photographie, l'artiste disperse sur le négatif de la terre radioactive récoltée. Les taches de lumière ainsi créées révèlent les forces invisibles d'une réalité politique qui continue d'agir sur le paysage représenté.

Jürgen Nefzger
Fluffy Clouds,
Nogent-sur-Seine, France / Nuages floconneux
2003
Tirage pigmentaire contrecollé sur aluminium / Pigment print glued on aluminium
Collection de l'artiste,
courtesy Galerie Françoise Paviot

Jessie Homer French
Memento Mori
2022
Huile sur toile / Oil on canvas
Collection particulière
Courtesy M. Ars S

Jessie Homer French Chernobyl Spring / Printemps à Tchernobyl
2018
Huile sur toile / Oil on canvas
Collection Almine et Bernard Ruiz-Picasso

LE NUCLÉAIRE
<< CIVIL » - BOMBE À RETARDEMENT?
"CIVILIAN" NUCLEAR POWER - A TIME BOMB?
Quelques jours après la catastrophe de Tchernobyl, le cinéaste Vladimir Shevchenko survole les ruines en hélicoptère. Il filme le paysage dévasté dans un documentaire qui devient un «< témoin matériel » du désastre : la radioactivité, sous forme de pointillés blancs, marque la pellicule, en effaçant progressivement l'image, et s'entend dans la bande-son. Aujourd'hui, les centrales nucléaires peuplent nos paysages. Face à la menace, à la fois présente et latente, d'un rejet irréversible et incontrôlable de radioactivité, les artistes contemporains inscrivent leurs pratiques dans l'environnement nucléaire, en utilisant ses matériaux, ses sites et l'appareil scientifique censé l'évaluer. Certains s'immiscent dans des zones d'exclusion irradiées. D'autres abordent la temporalité incertaine des matières radioactives. La question des déchets nucléaires devient centrale, la durée de leur toxicité coïncidant avec cette «< éternité » qui constituait jadis le privilège de Dieu.



Luc Tuymans
Eternity Eternité
2021
Huile sur toile / Oil on canvas
Pinault Collection
Luc Tuymans, peintre figuratif belge, explore le pouvoir des images liées à des moments historiques marquants. Plus conceptuelles qu'expressives, ses œuvres encouragent une observation attentive et proposent une interprétation des questions sociopolitiques. Eternity nous invite à réfléchir sur la dualité entre création et destruction. Le dôme évoque un modèle utilisé par le physicien allemand Werner Heisenberg pour ses recherches atomiques sous le Ille Reich. Pionnier de la physique quantique, Heisenberg a joué un rôle majeur dans le «projet Uranium», lancé par Hitler en 1939 dans le but de développer une bombe nucléaire allemande

Gerda Dassing
The Last Photo / La dernière photo
1983
Affiche / Poster
Collection International Institute
of Social History, Amsterdam


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

L&#39;âge atomique, les artistes à l&#39;épreuve de l&#39;histoire au MAM en décembre 2024

Impressionnante exposition du MAM sur les horreurs découlant de la découverte du pouvoir destructeur de l'atome dont voici la présentati...