jeudi 8 septembre 2022

Gauguin et Bernard, l'éclosion du synthétisme au musée d'Orsay en septembre 2022

Je profite de cet escapade au MO pour découvrir la salle 40 au 5ème étage consacrée pour l'essentiel à Paul Gauguin et Émile Bernard.

Après des débuts impressionnistes, Paul Gauguin (1848-1903) développe dès 1886 en Bretagne, à Pont-Aven et au Pouldu, un art plus symboliste
qui s'éloigne de l'imitation de la nature. Il simplifie son dessin, privilégie l'usage de couleurs pures,
abandonne le modelé et la perspective traditionnelle.
Durant l'été 1888, il retrouve à Pont-Aven le jeune Émile Bernard (1868-1941), de vingt ans son cadet.
Peintre déjà très actif, Bernard oriente son travail dès 1886 vers une recherche de simplicité formelle.
Ces recherches trouvent leur prolongement dans le synthétisme, fruit d'une période d'intense émulation artistique entre Gauguin et Bernard. Ce style novateur
se traduit par des procédés picturaux inédits:
simplification des formes, utilisation de couleurs pures posées en aplats, emploi d'un cerne foncé pour délimiter les masses. Les deux artistes trouvent dans l'art
des émaux, les tapisseries et vitraux du Moyen Âge, les images d'Épinal ou encore les estampes japonaises
de nouvelles sources d'inspiration.

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Nature morte au chapeau rouge 1886
Huile sur toile
Cette nature morte est révélatrice des changements qui s'opèrent dans l'art de Gauguin lors de son premier séjour à Pont-Aven. La touche vibrante et fragmentée est encore impressionniste, mais il accentue l'usage de couleurs vives et contrastées. L'étrangeté du sujet et de sa mise en forme lui confèrent une dimension symboliste. La forme du chapeau renversé sur la table rappelle certaines céramiques que Gauguin produit au même moment, dans l'incessant dialogue qu'il entretient entre les pratiques artistiques.

Paul Gauguin
Paris 1848-Atuona, îles Marquises 1903
Nature morte à la mandoline 1885
Huile sur toile

Émile Bernard
 Lille 1868-Paris 1941
Moisson au bord de la mer
1891
Huile sur toile

Émile Bernard
Lille 1868- Paris 1941
Les Bretonnes aux ombrelles
1892
Huile sur toile

Émile Bernard 
Lille 1868 - Paris 1941
Le Pardon,
dit aussi Les Bretonnes dans la prairie
1888
Huile sur toile
Le jeune artiste de vingt ans exécute cette toile après avoir assisté le 16 septembre 1888 à la grande procession catholique du Pardon à Pont-Aven. Il fait preuve dans cette composition d'une audace sans précédent qui se traduit par une rupture définitive avec la représentation illusionniste de l'espace: aucune ligne d'horizon ni modulation de la couleur pour figurer le proche et le lointain. Quelques jours auparavant, Gauguin avait commencé à peindre un autre chef-d'œuvre du synthétisme, La Vision du sermon. La proximité stylistique entre les deux toiles n'a rien de fortuit: les deux peintres y ont travaillé côte à côte.

Paul Gauguin
Paris 1848-Atuona, îles Marquises 1903
Aline Gauguin
Vers 1881
Cire noire sur âme en plâtre et armature métallique, socle en bois

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Cadre aux deux «G» entrelacés
Vers 1881
Bois de noyer et photographie de Paul Gauguin par Julie Laurberg & Gad en 1885

Émile Bernard
Lille 1868-Paris 1941
Madeleine au Bois d'Amour
1888
Huile sur toile
Émile Bernard réalise cette toile de grand format lors de son séjour à Pont-Aven avec sa jeune sœur Madeleine. Telle une gisante de l'art funéraire chrétien, la silhouette raide et sculpturale du modèle rompt avec la verticalité des arbres. L'Aven, la rivière apparaissant à l'arrière-plan, traduit particulièrement les recherches de synthèse du peintre : les reflets sont traités en grands aplats posés schématiquement.

Paul Gauguin Paris 1848-Atuona, îles Marquises 1903
Au-dessus du gouffre, dit aussi Marine avec vache
1888
Huile sur toile
Cette toile est un exemple extrême du synthétisme radical adopté par Gauguin à l'été 1888. Le choix de la vue plongeante et le cadrage audacieux de la composition créent un effet de brouillage spatial sans précédent dans les œuvres du peintre. Rien ne subsiste des constructions traditionnelles de la perspective; seules les formes simplifiées et la couleur pure, traitée en aplats, orientent le regard dans ce paysage de côte bretonne dominé par l'écume du ressac.

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
La Belle Angèle
1889
Huile sur toile
Dans ce portrait de Marie-Angélique Satre, dont les parents tenaient un troquet à Pont-Aven, Paul Gauguin s'éloigne des codes picturaux en vogue dans la communauté d'artistes établie dans ce petit village breton. La jeune femme est représentée en costume traditionnel, mais Gauguin refuse tout pittoresque. Sa composition décorative rappelle autant les estampes japonaises que les vitraux médiévaux, et le peintre met en regard d eson modèle une poterie d'inspiration péruvienne.

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Les Alyscamps
1888
Huile sur toile


Paul Gauguin Paris 1848- Atuona, îles Marquises 1903
Soyez mystérieuses
1890
Bois de tilleul partiellement polychrome, traces de crayon de couleur sombre
Gauguin taille ce relief en Bretagne, au Pouldu, presque un an avant son premier départ pour la Polynésie. Le corps volontairement déformé aux tons ambrés annonce la sensualité des nus tahitiens. Il s'inscrit dans un paysage de vagues et de plantes marines dominé par la lune, symbolisée par un visage de profil. L'inscription << Soyez mystérieuses» invite au rêve et à l'immersion dans un monde magique.

Meijer de Haan
Amsterdam, Pays-Bas 1852 -1895
Nature morte aux carottes
Vers 1889
Huile sur toile

Meijer de Haan 
Amsterdam, Pays-Bas 1852 - 1895
Nature morte au lilas
1890
Huile sur toile

Paul Gauguin Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Portrait de l'artiste au Christ jaune
Entre 1890 et 1891
Huile sur toile
Gauguin se représente entouré de deux de ses œuvres créées en 1889. Le tableau Le Christ jaune, inversé ici par un jeu de miroir, est inspiré par le crucifix de la chapelle de Trémalo, proche de Pont-Aven. Le Christ représenté sous les traits de Gauguin souligne par cette assimilation la dimension sacrificielle de l'artiste, dévoué corps et âme à un art longtemps rejeté. Le pot à tabac anthropomorphe (de forme humaine) que Gauguin décrit comme "un pauvre diable ramassé sur lui-même pour supporter la souffrance" exprime de façon métaphorique la personnalité abrupte et sauvage de l'artiste.

Roderic O'Conor
Milton, Irlande 1860 - Nueil-sur-Layon 1940
Garçon breton de profil
1893
Huile sur carton
Nouvelle acquisition 

En 1891, le peintre irlandais Roderic O'Conor se rend pour la première fois à Pont-Aven. Il y séjournera à plusieurs reprises, assimilant dans sa peinture les apports du synthétisme et la touche expressionniste de Van Gogh. Ce portrait de jeune garçon frappe par sa grande radicalité : l'artiste use de larges touches en hachures et traite les ombres, notamment celles du visage, en un puissant contraste de couleurs complémentaires entre le rouge et le vert. Il rompt ainsi avec le traditionnel modelé de la figure et souligne d'un léger cerne vert le profil pour le distinguer de l'arrière-plan.
Paul Gauguin París 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Paysage de Bretagne. Le moulin David
1894
Huile sur toile

Émile Bernard
 Lille 1868 Paris 1941
Baigneuses à la vache rouge
1889
Huile sur toile
Cette toile constitue un fragment d'une grande composition qui décorait l'atelier de l'artiste à Asnières. Contrairement à ce qu'indique la signature de l'œuvre « EB 87 », Bernard réalise ces Baigneuses au cours de l'année 1889. L'influence de Cézanne y est manifeste tant dans le choix du sujet que dans la représentation des corps.

Émile Bernard
Lille 1868-Paris 1941
Autoportrait au tableau << Baigneuses à la vache rouge >>
Vers 1889
Huile sur toile
Nouvelle acquisition 

Émile Bernard peint cet autoportrait l'année de ses vingt et un ans, à son retour d'un séjour à Pont-Aven en Bretagne, où il a développé avec son aîné Paul Gauguin les principes du synthétisme en peinture. Le jeune peintre nous fixe ici avec assurance, posant devant un détail de l'une de ses créations les plus audacieuses du moment: un décor peint pour l'atelier qu'il vient de se construire dans le jardin de la maison familiale à Asnières. Le musée d'Orsay en conserve le panneau central intitulé Baigneuses à la vache rouge.

Paul Gauguin
 Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Pot anthropomorphe, dit aussi Portrait de Gauguin en forme de tête de grotesque
1889
Grès glaçuré
L'observation attentive de ce vase irrégulier permet de déceler un visage déformé. Pour Gauguin, il s'agit de son alter ego, sombre et torturé : « Pauvre diable ramassé sur lui-même pour supporter la souffrance ». L'artiste s'identifie à ce monstre difforme approchant le pouce de la bouche dans un geste régressif. Gauguin affirme ainsi sa nature primitive et sauvage.
En prime quelques toiles de Paul Serusier au même étage :
Paul Sérusier et l'école de Pont-Aven

Les principes du synthétisme se diffusent très vite auprès d'une nouvelle génération de peintres rassemblés quelque temps autour de Paul Gauguin. Ces artistes sont ensuite réunis par la critique sous la bannière d'« école de Pont-Aven». Ils propagent les idées du maître en faveur d'une nouvelle peinture.

À l'été 1888, Paul Sérusier (1864-1927), élève de l'académie Julian, académie libre de peinture, quitte Paris pour Pont-Aven. À l'automne, il recueille la << leçon » de son aîné et peint un Paysage au Bois d'Amour qui devient bientôt son << talisman >>. Ce petit panneau de bois est alors érigé en témoin et passeur d'une nouvelle conception de l'art. Son caractère extrêmement novateur est un véritable catalyseur pour ses camarades de l'académie Julian avec lesquels il forme bientôt le groupe des Nabis (prophètes en hébreu). Ils voient dans ce paysage aux formes simplifiées le manifeste d'un art qui privilégie la perception visuelle à l'exactitude du rendu.

Les jeunes peintres réalisent leur tour de petites peintures, supports de leurs expérimentations les plus libres. Ces œuvres traitent de sujets très divers, scènes religieuses ou paysages, mais elles présentent toutes une même radicalité dans la composition et l'utilisation des couleurs.

Paul Sérusier
 Paris 1864-Morlaix 1927
Les Laveuses à la Laïta
1892
Huile sur toile

Paul Sérusier
 Paris 1864- Morlaix 1927
La Barrière
1890
Huile sur toile

Paul Sérusier 
Paris 1864-Morlaix 1927
Eve bretonne, dit aussi Mélancolie
1890
Huile sur toile
Esseulée, nue et prise d'un profond désespoir, la figure d'Ève contraste violemment avec les couleurs luxuriantes du paysage qui occupe l'essentiel de la composition. Les rochers massifs qui scandent la surface de la toile sont suggérés par de simples juxtapositions de teintes qui tendent vers l'abstraction. Les couleurs intenses suggèrent les formes plus qu'elles ne les délimitent et renforcent l'impression de mystère qui émane de cette œuvre aux accents symbolistes.

Paul Sérusier
Paris 1864-Morlaix 1927
La Lutte bretonne
1890-1891
Huile sur toile

Paul Sérusier 
Paris 1864-Morlaix 1927
Tétraèdres
Vers 1910
Huile sur toile
Peuplée d'objets flottants dans un espace sans repères, cette toile fait partie d'un cycle de peintures mystérieuses réalisées par Sérusier autour de 1910, où le symbolisme est poussé jusqu'à l'abstraction. Convaincu du caractère sacré des formes géométriques, Sérusier développe ici une réflexion sur les origines de la vie et de l'univers tandis que la gamme chromatique suit une progression vers la lumière en passant par toutes les teintes des plus froides aux plus chaudes.

Paul Sérusier
 Paris 1864- Morlaix 1927
L'Averse
1893
Huile sur toile

Paul Sérusier
 Paris 1864-Morlaix 1927
La Barrière fleurie, Le Pouldu
1889
Huile sur toile

Paul Sérusier 
Paris 1864-Morlaix 1927
Paysage au Bois d'Amour, 
dit aussi Le Talisman
1888
Huile sur bois
Cette composition peinte «< sous la direction de Gauguin» en octobre 1888 propose une représentation du paysage privilégiant la perception visuelle au détriment de l'exactitude du rendu. Maurice Denis en relate la création dans un texte de 1903 resté célèbre : "Comment voyez-vous cet arbre, avait dit Gauguin devant un coin du Bois d'Amour: il est bien vert? Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette; et cette ombre, plutôt bleue? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible."



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