dimanche 24 avril 2022

Musée d'Orsay 3 Gaudí en avril 2022



Intéressante exposition pour le grand admirateur de la Sagrada Familia que je suis ! Très complète avec de nombreuses informations sur les autres édifices que ce génial architecte a construit. En voici l'essentiel :


Artiste emblématique de Barcelone, Antoni Gaudí (1852 1926) est toujours l'un des architectes les plus célèbres au monde. Pour populaire qu'il soit, il n'en reste pas moins un artiste déroutant, échappant aux classifications habituelles de l'histoire de l'architecture et des arts décoratifs. S'il appartient historiquement au courant du modernisme catalan et à la vaste nébuleuse de l'Art nouveau européen, il se distingue par une œuvre proprement originale et personnelle, Il ne fit l'objet d'aucune exposition monographique en France, sinon de manière modeste lors du Salon national des Beaux-Arts en 1910. Son oeuvre fut présentée par des photographies à plusieurs reprises dans des expositions consacrées à la naissance de l'art moderne, notamment dans l'exposition "Pionniers du xx siècle", organisée en 1971 par le musée des arts décoratifs, qui présentait Gaudí auprès de Guimard, Horta et Van de Velde.

Cette plongée dans l'œuvre si singulière de Gaudí est possible grâce au Museu Nacional d'Art de Catalunya (MNAC). De l'intimité de sa démarche créatrice à ses réalisations les plus iconiques, son univers se dévoile peu à peu et révèle toute sa richesse.

ANTONI GAUDÍ
(CONCEPTION),
JOSEP MARIA JUJOL (1879-1949) (CONCEPTION), ATELIER CASAS I BARDÉS
(ÉBÉNISTES)
Boiseries pour le vestibule d'un appartement de la casa Milà, 1906-1910
Chêne sculpté, verre cathédrale et éléments de serrurerie en laiton
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya, dépôt de la Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família, 2019
Barcelone, Museu del Disseny, dépôt de la Cátedra Gaudí, 2018
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya
Dans la suite de ce post, toutes les œuvres présentées sont de Gaudi sauf mention contraire


AU SEUIL DE L'ŒUVRE

Pour introduire l'univers de Gaudí, cet étonnant vestibule tout en boiseries est ici remonté pour la première fois. Dû à Gaudí et Josep Maria Jujol (1879-1949), l'un de ses plus proches collaborateurs, cet espace déroutant conduisait le visiteur au sein de l'un des appartements de la Casa Milà (1905-1910). L'impressionnante porte vitrée en angle coulissait pour donner accès à une chapelle privée, à laquelle les bancs faisaient face. Plus discrètes, les autres portes menaient aux pièces de réception ou de service. Ces boiseries surprennent par leur asymétrie systématique et leur parfait ajustement à la pièce. D'une apparente sobriété, le bois de chêne est sculpté avec une grande virtuosité et semble presque « modelé ». Malgré la fantaisie des formes, des éléments rationnels sont lisibles : le bois habille les piliers de pierre qui portent le bâtiment et l'artiste y a ménagé des éléments utilitaires comme les bancs, placards et bouches d'aération. Esthétique non conventionnelle, qualité de mise en œuvre et attention au matériau sont des caractéristiques constantes du travail de Gaudi

GAUDÍ À L'ŒUVRE L'ATELIER

Gaudí occupa plusieurs ateliers à Barcelone. Il finit toutefois par s'installer essentiellement dans celui de la Sagrada Família, où il vécut même ses derniers mois. Lieu de travail de Gaudí et de ses collaborateurs, c'est un condensé de son univers où l'on retrouve ses outils de travail, ses principales sources d'inspiration et des échos de ses autres projets. Il s'agissait d'un espace complexe, détruit par un incendie en 1936, au moment de la guerre civile, essentiellement connu par une série de photographies prises juste après sa mort en 1926. Construit à côté de la basilique, le petit édifice abritait trois espaces contigus: l'atelier, la réserve des moulages et le studio de photographie. Dans la crypte de la basilique en construction prenait place l'atelier des moulages et des maquettes, autre espace de travail et d'expérimentation. Gaudí y mettait en œuvre des méthodes de travail atypiques, à même de servir l'originalité de sa démarche. Il privilégie l'élaboration des projets en trois dimensions, utilisant des maquettes pour calculer la stabilité de ses structures. Gaudí emploie également la photographie dans l'élaboration de la structure et du décor. Il dessine sur des tirages photographiques, processus qui permet à sa vision initiale de s'incarner.

FERRAN
Vue de l'Atelier de Gaudí à la Sagrada Família, 1926
Épreuves photographiques
Barcelone, Arxiu Històric del Col·legi d'Arquitectes de Catalunya

Reconstitution du dispositif aux miroirs utilisé par Gaudí

L'utilisation de la photographie est primordiale dans les travaux préparatoires de Gaudí. Afin d'avoir des images fiables et complémentaires, il imagine un dispositif de miroirs lui permettant d'obtenir plusieurs vues simultanées sur une même photographie. Les miroirs étant mobiles, ils offrent différents plans de l'objet ou du modèle vivant situé au centre. L'image, dans laquelle le mouvement est perceptible, permet aussi d'anticiper les difficultés au moment du moulage.

Les modèles utilisés par Gaudí

Vue photographique de l'atelier 

LA BIBLIOTHÈQUE DE GAUDÍ
C'est à partir du riche fonds de la bibliothèque de l'École d'Architecture de Barcelone où étudiait Gaudí que sont retracées ses lectures. Au-delà d'ouvrages techniques tel que L'art de bâtir de Rondelet (1802), l'on sait que Gaudí prit connaissance des écrits contemporains de grands architectes ayant formé la pensée rationaliste. Viollet-le-Duc constitue sa référence première avec le Dictionnaire raisonné de l'architecture française (1858) et les Entretiens sur l'architecture (1863). Ces ouvrages, illustrés, sont la source commune des architectes de la seconde moitié du xixe siècle attentifs aux modes constructifs et aux références antiques et médiévales. Gaudí a aussi regardé les ouvrages des artistes anglais comme John Ruskin et Les Sept lampes de l'architecture (1849) ou Owen Jones avec La Grammaire de l'ornement (1861). Leur influence est prédominante dans sa réflexion sur le rapport entre l'artisanat et l'industrie. À cela s'ajoute la curiosité de Gaudí pour les recueils consacrés à l'art non européen comme Architecture arabe ou monuments du Kaire de Pascal Coste (1839) ou encore la célèbre Description de l'Egypte (1809). Il connaissait par ailleurs très bien les recueils d'art mudejar et mozarabes dont l'Espagne offrait des exemples précieux tels qu'à l'Alhambra de Grenade.

CLOVIS PRÉVOST
(NÉ EN 1940)
Reproduction de photographies de travail pour le décor sculpté de la Sagrada Família, 1968
- Modèle pour la sculpture de Thaddée
- Modèle du Christ?
- Modèles pour les apôtres Joseph, Mathias, Simon, Barnabé
Épreuves photographiques montées sur bristol
Paris, musée d'Orsay, fonds Gaudí-Prévost

OPÉRATEUR MAS
Photographie de travail pour le décor sculpté de la Sagrada Família, 1905
Épreuve photographique
Barcelone, Institut Amatller d'Art Hispànic

ATELIER
D'ANTONI GAUDÍ
Moulage original pour une sculpture de jeune fille, 1898-1900
Moulage sur plâtre
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

Le moulage sur nature permettant d'élaborer une sculpture est une technique ancienne, sujette à débats. C'est une opération délicate puisqu'il s'agit de prendre l'empreinte de modèles vivants. Le principe consiste à appliquer du plâtre mêlé de filasse sur les différentes parties du modèle, afin d'en obtenir des morceaux que Gaudí assemble ensuite. Il en tire des ébauches qu'il fait disposer directement sur la façade de la Sagrada Família. Si cela fonctionne visuellement, les sculpteurs utilisent alors ces moulages comme modèles pour les tailler dans la pierre.

ATELIER D'ANTONI GAUDÍ
Moulage original pour une sculpture
d'homme, 1898-1900 Moulage sur nature en plâtre et armature en fer
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

ATELIER D'ANTONI GAUDÍ
Moulage original pour une sculpture
d'homme, 1898-1900 Moulage sur nature en plâtre et armature en fer
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

ATELIER D'ANTONI GAUDÍ
Moulage pour la clé de voûte du déambulatoire de la crypte de la Sagrada Família (modèle original
dans cadre récent), 1898-1900
Plâtre
Barcelone, Fundació Junta Constructora
del Temple Expiatori de la Sagrada Família

FORMATION ET PREMIERS PROJETS
Après une scolarité classique à Reus (Tarragone), Gaudí entre à l'École provinciale d'architecture de Barcelone créée par l'architecte Elies Regent en 1871. Il y exécute de nombreux travaux qui révèlent un dessin maîtrisé et un goût pour la couleur. Quand il en sort en 1878, au moment de la remise du diplôme, le directeur se serait écrié : « C'est un génie, ou un fou ! ». Diplômé, Gaudí rompt les liens avec l'école et ses membres et se lance dans la vie professionnelle. D'origine modeste, il se doit de travailler rapidement pour gagner sa vie. Il assiste divers architectes tels que Josep Fontserè i Mestre dans le parc de la Ciutadella, Paula i Villar au monastère de Montserrat, ou Joan Martorell pour la restauration de la façade de la cathédrale de Barcelone. Ce dernier joue un rôle important auprès de Gaudí en le sensibilisant à une architecture renouvelée, respectueuse du passé mais porteuse de formes nouvelles, comme l'arc parabolique, et d'un vocabulaire ornemental neuf. Un groupe d'artistes se crée autour de Martorell qui se démarque de l'enseignement académique et donne naissance, aux côtés de Lluís Domènech i Montaner et de Josep Puig i Cadafalch, au Modernisme catalan.

OWEN JONES
(1809-1874)
"Roman n°1", The Grammar of Ornament, planche XXVI, 1856
Photographies collées sur carton Londres, Victoria & Albert Museum

OWEN JONES
(1809-1874)
"Arabian nº 2", The Grammar of Ornament, planche XXXII, 1856
Encre, plume et mine graphite
Londres, Victoria & Albert Museum

EUGÈNE-EMMANUEL VIOLLET-LE-DUC
(1814-1879)
Escargots, grenouille et crocodile (dessins préparatoires au bestiaire du porche du château d'Abbadia à Hendaye), folio 77 de l'album 5 du fonds Duthoit, 1869
Encre, plume et rehauts de blanc sur calque
Amiens, collection des musées d'Amiens

Viollet-le-Duc (1814-1879), dessina un bestiaire foisonnant pour le château d'Antoine d'Abbadia à Hendaye (Pyrénées Atlantiques), construit en partie avec son élève et confrère Edmond Duthoit (1837-1889). Ces dessins sont exceptionnels. Ils montrent comment Viollet le-Duc utilise la référence à la sculpture médiévale en la traitant de manière rationaliste, en lien avec l'architecture : les escargots sont des culs de lampe, le bélier, une gargouille, et le crocodile s'étend sur la rampe de l'escalier, comme la salamandre de Gaudí pour la fontaine du Park Güell, qui tire peut-être son inspiration de ces réalisations.

ANONYME
Grenade, porte de la salle de justice (Alhambra), 
vers 1870, Épreuve sur papier albuminé
Paris, musée d'Orsay

Projet pour un embarcadère, détail (dessin d'école), 1876
Encre, plume et aquarelle
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

Manuscrit avec dessins et croquis, 1873-1879
Encre, plume, mine graphite sur papier Reus, Museu de Reus (IMRC)

Projet de fin d'études pour un amphithéâtre universitaire, coupe transversale, 22 octobre 1877
Mine graphite, aquarelle et gouache Barcelone, Cátedra Gaudí, ETSAB, UPC

Gaudí effectua des études d'architecture traditionnelles en suivant l'enseignement académique de l'école d'architecture de Barcelone. L'amphithéâtre d'une université est un thème classique dans un exercice d'école, pour aborder l'architecture publique dans toutes ses composantes et fonctions : rassembler (format circulaire avec arcades), laisser passer la lumière (lanterne), orner (coupole peinte). Les influences sont également de mise: référence directe à l'Antiquité avec le Parthénon, ou indirecte avec l'architecture néo-classique de Léo von Klenze (1784-1864), la Renaissance (Raphaël), ou encore le Moyen Age arabisant avec les arcs ajourés.

Projet pour le patio du conseil provincial de Barcelone, détail (dessin d'école), 1876
Encre, plume et aquarelle
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

BARCELONE
En moins de quarante ans, Barcelone connaît une expansion urbaine et architecturale hors norme. Confrontée à la nécessité d'offrir un cadre propice à l'essor de son industrie, notamment textile, la ville, qui conserve encore sa muraille défensive et ses quartiers médiévaux, lance un concours d'agrandissement en 1859. L'ingénieur Ildefonse Cerdà est désigné pour réaliser l'Esanche (extension, Eixample en catalan). Le << Plan Cerdà >> est un damier fait de blocs, qui invite à la construction de nombreux immeubles, le long de voies larges et aérées dont la plus célèbre est le Passeig de Gràcia. Aux industriels bourgeois et aristocrates qui font la nouvelle ville, s'oppose une partie de la population, de milieu plus modeste, anarchiste et anticlericale, à la recherche d'une identité que l'Espagne-nation ne lui procure pas. La Renaixença, mouvement politique et culturel, favorise alors la « renaissance » de la langue et des traditions catalanes. Elle encourage l'organisation de l'Exposition universelle de 1888 qui consacre Barcelone comme ville moderne. Mais la situation politique internationale, la perte des colonies notamment, touche durement la Catalogne. Des attentats à la bombe marquent la ville de Barcelone, ainsi que les émeutes de la Semaine tragique durant l'été 1909, dont Gaudí sort ébranlé. Il renonce alors à toute commande et se consacre au projet de la Sagrada Familia.

Moulage de l'enseigne du pavillon de la Compagnie transatlantique espagnole pour l'Exposition universelle de 1888,
Plâtre
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

RAMON CASAS (1866-1932)
La Procession du Corpus Christi quittant l'église de Santa Maria del Mar, vers 1896-1998.
Huile sur toile Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya

Le peintre Ramon Casas s'empare ici d'un sujet d'actualité : le 7 juin 1896, un attentat anarchiste atteint la procession du Corpus Christi. La scène représente le moment qui précède tout juste le lancement d'une bombe de type "Orsini" qui fit de nombreuses victimes. Le climat de tensions sociales et politiques grandissantes entre la riche bourgeoisie industrielle cléricale et la population ouvrière luttant pour sa survie fut le terreau d'une vive contestation sociale. Certains contestataires choisirent la voie de l'anarchisme violent et Barcelone connut plusieurs attentats spectaculaires.

ANTONI CASTELUCHO VENDRELL
(1835-1910)
Vue de Barcelone à vol d'oiseau, avec le projet du parc de la Ciutadella, 1882
Lithographie
Arxiu Històric de la Ciutat de Barcelona

EUSEBI ARNAU
(1863-1933)
Buste de matrone représentant Barcelone, 1897
Bronze et pierre de Montjuïc
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya

Bombe de type "Orsini" utilisée lors de l'attentat du théâtre du Liceu, 1893 Acier
Barcelone, Museu d'Història de Barcelona

Barcelone fut « la ville des bombes » au tournant du xxº siècle, et ce modèle d'explosif, qui a ravagé le théâtre le Liceu en 1893, en est le symbole. Dans la caricature reproduite, c'est un chapelet de bombes qui encadre le corps allégorique de la ville déchue, gisant à terre. La ville est alors déchirée entre l'anarchie et la tradition conservatrice catholique.

GAUDÍ ET GÜELL PRELUDES
Eusebi Güell i Bacigalupi (1846-1918), industriel du textile, bourgeois-aristocrate, littéraire et mélomane, est le dandy de la Catalogne identitaire. Ayant voyagé en Europe, il devint familier de l'art du xvIII siècle mais aussi du mouvement Arts and Crafts anglais. Lors de l'Exposition universelle de 1878 à Paris, il remarque une vitrine ornementale conçue par Gaudí pour la Ganterie Esteban Comella. On dit que Güell souhaita rencontrer le jeune architecte et qu'ils ne se quittèrent plus. Leurs tempéraments singuliers les lièrent en un duo indéfectible, le mécène et l'artiste, partageant deux fondamentaux : leur passion pour la Catalogne en tant que patrie méditerranéenne et leur foi religieuse. Güell confie à Gaudí, dès 1881, l'aménagement des abords de propriétés agricoles héritées de son père, aux environs de Barcelone. La Finca Güell devient rapidement célèbre avec le dragon de la porte métallique accueillant les hôtes. Parallèlement, Gaudí entame des chantiers avec son professeur, l'architecte Martorell, auprès de la famille du marquis López de Comillas, à Santander (Cantabrie), une famille liée à celle des Güell par le mariage d'Eusebi avec la fille du marquis. C'est une fructueuse collaboration qui démarre alors, portée par l'amitié et l'amour de la poésie contemporaine.



GAUDÍ ET GÜELL
L'EXPOSITION DE 1910
Au Grand Palais à Paris, en 1910, se déroule le Salon annuel de la Société nationale des Beaux-Arts. Une salle entière est pour la première fois consacrée à Gaudí, sous la houlette de l'architecte Anatole de Baudot, responsable de la section "Architecture". C'est une décision d'Eusébi Güell que d'exposer les réalisations et les projets de Gaudí à l'étranger. La présentation consistait en l'accrochage de nombreuses photographies, de quelques dessins et de maquettes dont celle, monumentale, de la façade de la Nativité de la Sagrada Família peinte par le collaborateur de Gaudí, Josep Maria Jujol. La réaction des critiques d'art est globalement interrogative et parfois admirative. Ainsi du Petit Parisien: << [...] rien du passé, tout du présent: le résultat parfois imprévu, est toujours équilibré, logique et artistique » ou de la Gazette des Beaux-Arts « On est en présence du seul créateur de lignes et de formes de notre temps ». Des photographies de très grand format sont réalisées à cette occasion offrant des vues sidérantes du Park Güell. Malgré tout, l'exposition est vécue comme un échec par Gaudí qui considéra, au vu des critiques, que les Français manquaient de culture artistique.

ADOLF MAS (1861-1936)
Photographies du Park Güell pour l'Exposition de Paris de 1910
Épreuves photographiques
Barcelona, Cátedra Gaudí, ETSAB, UPC


GAUDI ET GÜELL
LE PALAIS GÜELL
Il s'agit de la première réalisation complète conçue par le duo intellectuel que forment Güell et Gaudi.
Bâti en plein quartier médieval de Barcelone, le palais s'annonce comme un palais de la Renaissance italienne, discret voire austère en façade, vaste et riche à l'intérieur. Un escalier monumental dessert l'étage noble destiné aux salles de réception, organisées elles-mêmes autour d'un espace central s'élevant à plus de quinze mètres, sous une coupole ajourée, telle une voûte étoilée. Y sont aménagés un orgue et une chapelle aux portes amovibles, richement ornée de dorures et de peintures. La symbolique cosmique est très clairement exprimé Dans les salles d'apparat et les chambres, distribuées dans les différents étages autour de la salle de musique, Gaudi met en oeuvre ce qui deviendra sa marque de fabrique rationaliste: il dédouble les espaces par des colonnes formant galeries au droit des fenêtres, il utilise des matériaux d'artisan tels que la pierre naturelle, le bois, le métal et le verre et crée un décor et un mobilier dans la veine de l'Art nouveau naissant. L'inspiration générale emprunte toutefois encore à fart gothique et à l'art mudejar comme dans la Casa Vicens. L'aménagement des écuries en sous-sol, auxquelles les chevaux accédaient par une rampe hélicoidale, est spectaculaire par l'emploi virtuose de la brique.

JOSEP PARERA
(1830-1902)
Caricature d'Eusebi Güell i Bacigalupi,
vers 1889
Mine graphite et aquarelle Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya

OPÉRATEUR MAS
Intérieur du Palais Güell (photographie pour l'exposition de Paris de 1910)
Épreuves photographiques
Barcelone, Institut Amatller d'Art Hispànic

ALEIX CLAPÉS I PUIG
(1846-1920)
Hércules buscando a las Hespérides [Hercule cherchant les Hespérides], vers 1890
Huile sur toile
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya

Contrairement à ce que laisse croire le titre de l'esquisse, cet Hercule, muni d'une torche et d'une massue, s'apprête à tuer l'Hydre de Lerne et non à ramener des pommes d'or du Jardin des Hespérides. La confusion vient de la référence faite par le peintre à l'Atlantida, du poète Verdaguer (1845-1902), qui situe dix des travaux d'Hercule dans la péninsule ibérique. La peinture définitive, commandée par Güell, occupait une façade latérale du Palais. Elle a disparu, mais l'esquisse montre qu'elle s'inspirait d'un cycle de peintures de Zurbarán (1598-1664) conservé au Prado (Madrid). Ici, Hercule symbolise la monarchie espagnole tout en étant le fondateur mythique de Barcelone.



ANTONI GAUDÍ (CONCEPTION) JOSEP MARIA JUJOL (1879-1949) (CONCEPTION) ENTREPRISE PUJOLS I BAUCIS (FABRICANT DE CÉRAMIQUE)
Éléments de trencadís pour le Park Güell, vers 1903 Céramique émaillée sur ciment Portland Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya, dépôt de la Cátedra Gaudí, 2011 Barcelone, Cátedra Gaudí, ETSAB, UPC

FERNÁNDEZ DE VILLASANTE JULIO MOISÉS
(1888-1968)
Portrait d'Eusebi Güell, 1913
Huile sur toile Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

Tel un prélat, Güell se fait représenter assis en majesté dans un fauteuil, les avant-bras bien calés sur les accoudoirs, vêtu de noir et tenant dans la main droite l'une de ses publications scientifiques, à la manière des grands portraits de Vélasquez. Un rideau, à l'arrière droit, sépare le personnage de son œuvre, la colonnade dorique du Park Güell. La prééminence de la salle hypostyle, renforcée par le traitement du ciel en toile de fond, d'un bleu doré étincelant, positionne Güell en mécène, créateur d'un lieu faisant explicitement référence aux sites sacrés grecs comme Delphes.


GAUDÍ ET GÜELL
LE PARK GÜELL
Ce lieu emblématique témoigne de l'engagement sociétal de Güell dans la cité. Conseiller municipal puis député, Güell avait le souci de créer des aménagements collectifs. Il se lance ici dans la transformation d'un parc naturel désertique (la "Montagne pelée"), aux limites de la ville, pour y créer une villa-jardin. Elle est destinée aux propriétaires aisés aspirant à un lieu de vie dans la nature, à la manière anglaise, relié par des chemins arborés à des espaces communs dédiés à la culture (théâtre) et à la beauté visuelle (point de vue sur la ville). Sur soixante parcelles envisagées, seule deux furent achetées. Cet échec commercial n'empêcha pas une réalisation ambitieuse, à dimension symbolique. En effet, pour Güell, la montagne représente la Catalogne et la rusticité du lieu l'inspire pour y créer un jardin romantique et sacré à la fois. Le rapport au paysage est traité par l'émergence de passages et de galeries où nature et architecture s'interpénètrent. Les piliers inclinés, les arcs paraboliques, la pierre brute associée à la terre, constituent la synthèse architecturale de la pensée de Gaudí. La présence d'une source lui permet de faire s'écouler l'eau, symbole vital originel, depuis les grottes jusque dans la fontaine à la salamandre de l'entrée.

Coiffeuse pour le Palais Güell, 1886-1884 Bois, laiton et miroir
Collection particulière

Conçu pour Isabel Güell i Lopez, l'épouse d'Eusebi, ce meuble est l'un des plus étonnant créé par Gaudí. Cette coiffeuse, asymétrique et composée de courbes, semble prête à s'animer. tant ses pieds, au nombre surprenant de cinq, ressemblent à des pattes animales. Faite d'éléments juxtaposés, dont le miroir "posé" de biais en partie haute, elle reste néanmoins harmonieuse et s'intégrait idéalement au cadre raffiné et fantaisiste du Palais Güell.


LES HÔTELS URBAINS
LA CASA VICENS
Plusieurs familles bourgeoises prospères confièrent la réalisation de leur demeure à Gaudí, qui créa leur cadre de vie dans un nouveau quartier, l'Eixample. Ces maisons portent encore aujourd'hui le nom de leur commanditaire. La Casa Vicens est la première, conçue pour Manuel Vicens i Montaner qui demande à Gaudí d'imaginer la maison de campagne familiale sur un terrain dont il vient d'hériter dans le village de Gràcia. Gaudí conçoit le projet entre 1878 et 1880 mais il n'est mis à exécution qu'entre 1883 et 1889. Stylistiquement, cette construction est encore très marquée par l'orientalisme et l'influence du style mudejar (art des chrétiens hispaniques de langue arabe). Espaces intérieurs et extérieurs se complètent pour faire de cette demeure une résidence d'été agréable. Gaudí soigne les éléments permettant de profiter du jardin : la tribune dotée de jalousies en bois, la fontaine de l'entrée et une cascade monumentale (démolie en 1925). Il a mobilisé un impressionnant ensemble de techniques pour le décor de l'intérieur, notamment des pièces de réception (salle à manger, salon, fumoir): ébénisterie, céramique, carton-pierre, sgraffite... L'ensemble contribue à un décor opulent, et riche d'allusions à la faune et la flore. La Casa Vicens et son jardin ont été largement modifiés au xx° siècle.

 ATELIER JOAN OÑOS (SERRURIER)
Grille de la Casa Vicens,
vers 1883-1885
Fer forgé
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya
Dans le projet de la Casa Vicens, le jardin a une importance fondamentale. Cette résidence d'été fait constamment le lien entre les espaces intérieurs et extérieurs. Avant les transformations du xx siècle, le jardin était vaste et comprenait notamment une spectaculaire cascade artificielle conçue par Gaudí. Pour l'enciore, l'architecte imagina une grille à partir des palmes poussant sur place. Il fit mouler l'une de ces palmes qui lui servit à construire la grille, dont elle est à la fois l'élément structurel et l'ornement décoratif.

OPÉRATEUR MAS
Fumoir de la Casa Vicens, 1936
Épreuve photographique
Barcelone, Institut Amatller d'Art Hispànic

Carreaux pour la façade de la Casa Vicens, 1883-1888
Carreau de revêtement mural pour la villa "El Capricho", 1883-1885
Céramique 
Barcelona, Museu Nacional d'Art de Catalunya. dépôt de la Generalitat de Catalunya

Jardinière et support pour la Casa Vicens, entre 1883 et 1888
Fer forgé, faïence
Barcelone, Casa Vicens Gaudí

LES HÔTELS URBAINS
LA CASA CALVET
En 1898, Gaudí commence la construction de la Casa Calvet rue Casp. Il s'agit d'un immeuble d'habitation qui abrite également une boutique en rez-de-chaussée et des bureaux. Bien que cet immeuble doive s'intégrer dans un quartier déjà construit, Gaudí livre une œuvre très personnelle, faite de références à l'architecture baroque, de sculpture symbolique et de fantaisie. La façade sur rue, faussement sage, est animée par un décor sculpté, rythmée par le percement des baies, et se termine en partie haute par deux pignons d'inspiration flamande. Le plan et la distribution des appartements restent classiques, organisés autour de la cage d'escalier principale et des puits de lumière. Le décor de l'édifice, pour lequel Gaudí dessine un important mobilier est, lui, très original. L'entrée principale est théâtrale. Elle met en valeur la cage d'escalier et l'ascenseur central grâce à l'emploi de colonnes torses et composites; un décor polychrome de céramique et de fresques anime cet espace. Gaudí dessine les aménagements intérieurs jusque dans le moindre détail, inventant des formes originales pour les judas, marteaux de porte, poignées... La Casa Calvet obtint en 1900 le prix de la municipalité de Barcelone pour son originalité et la qualité de sa réalisation.

CLOVIS PRÉVOST
(NÉ EN 1940)
Reproduction d'une photographie de 1921 représentant le hall d'entrée de la Casa Calvet, 1968
Épreuve photographique
Paris, musée d'Orsay, fonds Gaudí-Prévost

ATELIER CASAS I BARDI
(ÉBÉNISTES)
Mobilier pour la Casa Calvet
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya, dépôt de la Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família, 2014
Cet ensemble de mobilier fut conçu par Gaudí pour le salon de réception de la famille Calvet. Ici sont représentés les principaux types de sièges qui déclinent différents usages à partir des mêmes principes constructifs et esthétiques. Ils se réfèrent au passé, notamment à la tradition du XVIIIe siècle par l'utilisation du bois doré, mais ils font aussi un pas décisif vers la modernité. Gaudí n'hésite pas en effet à employer une structure en métal, clairement visible, et à composer lignes et motifs selon son propre goût ornemental.

ATELIER CASAS I BARDI
(ÉBÉNISTES)
Mobilier pour la Casa Calvet
Barcelone
Pour les bureaux situés au rez de-chaussée de la Casa Calvet, Gaudí conçoit un mobilier entièrement en chêne massif. Le bois est travaillé dans les trois dimensions, sculpté et pour ainsi dire "modelé" pour accueillir ceux qui viendraient s'y asseoir. Ces meubles déploient une riche ornementation, et les courbes et contre-courbes se répondent dans un jeu de construction virtuose. Gaudí veut mettre le matériau à l'honneur : il utilise le fil du bois comme un élément esthétique, particulièrement dans la composition des dossiers.

LES HÔTELS URBAINS
LA CASA BATLLÓ
Josep Batlló contacte Gaudí en 1904 pour réamé nager un immeuble de 1877 situé sur le Passeig de Gràcia. Gaudí choisit de ne pas détruire cet ancien immeuble mais d'en transformer profondément l'esthétique et les fonctionnalités. La façade sur rue frappe par sa polychromie et l'audace des formes courbes et organiques, en particulier les piliers évoquant des os qui ouvrent la large baie du salon sur la ville. À l'arrière, la terrasse répond à la façade colorée comme un jardin urbain. Pour l'intérieur, Gaudí réalise la synthèse de ses conceptions esthétiques et pratiques en soignant la circulation de l'air et de la lumière. Il utilise en partie haute l'arc caténaire, issu de ses recherches sur le voûtement. Les portes et boiseries proposent un univers onirique, d'inspiration marine, effet accentué par l'emploi de verres colorés. Le patio central, qui abrite l'axe de circulation vertical, est orné d'un dégradé de céramiques allant du blanc nacré en partie basse au bleu profond en partie haute afin de conduire la luminosité vers les étages bas. Le mobilier fait écho aux courbes du bâtiment tout en étant ergonomique pour ses utilisateurs. Par son caractère synthétique, la Casa Batlló reste l'un des édifices les plus représentatifs de l'oeuvre de Gaudí.
Façade de la Casa Batlló, élévation, 1904
Crayon graphite
Barcelone, Cátedra Gaudí, ETSAB, UPC
L'immeuble est construit en 1877 par l'architecte Emili Salas Cortès. L'industriel Josep Batlló l'achète en 1903 et décide de le faire transformer par Gaudí pour rivaliser avec le voisin, très prégnant: la Casa Amatller de Josep Puig i Cadafach. Gaudí le persuade de rhabiller la façade et surhausser l'immeuble sans le démolir. Les trois grandes phases de réécriture de la façade sont les ouvertures, la toiture et l'entrée. Gaudí dessine un habillage aux formes ondoyantes, structuré par des colonnettes, Des garde-corps ouvragés marquent les baies des étages. La toiture est ondulée et débordante.

OPÉRATEUR MAS
Intérieur de la Casa Batlló, 1927
Épreuves photographiques
Barcelone, Institut Amatller d'Art Hispànic

Jardinière pour la Casa Batlló, 1904-1906 Ciment incrusté d'un miroir circulaire
et de fragments de verres polychromes,
de faïence, de porcelaine
Paris, musée d'Orsay

JOSEP LLIMONA I BRUGUERA (1864-1934) (SCULPTEUR)
<< Sacras » (texte liturgique) pour l'oratoire de la Casa Batlló, 1904-1906
Plâtre peint
Barcelone, Fundació Junta Constructor. del Temple Expiatori de la Sagrada Família

Ces textes étaient destinés à être lus par le prêtre et ses acolytes au moment de la consécration des especes (le pain et le vin) durant l'Eucharistie. Immuables dans le canon liturgique, ils furent utilisés jusqu'au concile de Vatican II (1962). La Casa Batlló possédait un oratoire situé dans un léger renfoncement de l'un des salons. Il était orné d'un bas-relief représentant la Sainte Famille. Les "Sacras" étaient spécialement sortis au moment de la messe et disposés sur l'autel. La plupart des maisons bourgeoises de l'époque avaient leur lieu de prière.

LES HÔTELS URBAINS
LA CASA MILÀ
Amis de Josep Batlló, l'entrepreneur Pere Milà i Camps et son épouse Roser Segimon i Artells furent probablement séduits par la Casa Batllo alors en travaux. Ils demandèrent à Gaudí de concevoir un important immeuble à quelques centaines de mètres, sur le Passeig de Gràcia. Entre 1906 et 1910, Gaudí dirigea donc cette construction destinée à accueillir des boutiques au rez-de-chaussée, le logement des propriétaires à l'étage principal et des appartements à louer dans les étages supérieurs. La structure témoigne des recherches de Gaudí qui utilise le béton pour les fondations, puis la pierre et le métal, complétés par la brique et la tuile traditionnelles. Le voûtement des combles, entièrement en arcs caténaires, leur donne une forme singulière. La façade, à l'angle de deux voies, est étonnamment monochrome, animée par des baies et des garde-corps aux formes ondulantes. Elle valut à la demeure son surnom de "Pedrera" (carrière). Le toit est orné d'édicules couronnant les cages d'escalier et les voies d'aération, aux formes graphiques étonnantes. Avec cet édifice hors normes, Gaudí se heurta non seulement aux autorités de la municipalité mais aussi à ses commanditaires dont il épuisa la patience.

OPÉRATEUR MAS
Hall principal de la Casa Milà, 1914
Épreuve photographique
Barcelone, Institut Amatller d'Art Hispànic

ATELIER ESTEVA FIGUERAS Y SRES DE HOYOS
(FABRICANTS)
Piédestal pour la Casa Milà, 1905-1910
Plâtre polychrome
Collection Abel Solans

Casa Milà, Éléments de parquet de l'étage principal, vers 1912
Chêne et peuplier
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya, dépôt de la Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família. 2019

Casa Milà, Paroi modulable, 1909 Chêne, verre cathédrale rose pâle Collection Kiki et Pedro Uhart

Les aménagements intérieurs de la Casa Milà répondaient aux courbes mouvementées de sa façade. Gaudí avait souhaité un olan le plus libre possible, limitant au maximum les murs porteurs. Les formes des pièces et des éléments structuran's donnaient une impression de mouvement: murs courbes, plafonds ondulants, en stuc, agrémentés de «vagues » ... À cela s'ajoutaient des boiseries, portes, cloisons coulissantes et paravents ajourés afin de filtrer la lumière et de moduler l'organisation de l'espace.

ATELIER BADIA GERMANS (SERRURIER)
Grille pour les baies du rez-de-chaussée de la Casa Milà, vers 1910
Fer forgé
Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya, dépôt de la Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família, 2014




LA GRANDE ÉGLISE
PREMIERS PROJETS RELIGIEUX
Dès 1878, à sa sortie de l'École d'architecture, Gaudí écrit un texte intitulé "Ornementation" dans lequel il énonce l'envie de construire un édifice religieux qui sera son oeuvre. La «Grande Église», en tant que lieu fédérateur de la foi chrétienne et création architecturale, lui est une évidence. Ses premières expériences dans le domaine religieux se font auprès de son professeur Joan Martorell à qui est confiée la restauration de la façade de la cathédrale de Barcelone. Précédemment, vers 1876- 1877, Gaudí avait élaboré des projets de restauration du monastère de Montserrat (Catalogne) auprès de Paula del Villar, puis travaillé au mobilier de la chapelle funéraire des Comillas à Santander (Cantabrie). Les commandes de mobilier religieux sont relativement nombreuses. Son intérêt pour la réforme de la liturgie le conduisit à partir de 1903 à Majorque (Baléares), où l'évêque lui demande de restaurer le choeur de la cathédrale. Multiplicité et réemploi de matériaux naturels, travail de la lumière, intérêt pour l'acoustique, caractérisent son approche. Gaudí fut également appelé par l'Église pour des projets architecturaux complets tel que le Palais épiscopal d'Astorga à Léon en 1887, le collège des Thérésiennes à Barcelone en 1889, ainsi qu'un projet non abouti à Tanger pour les missions catholiques d'Afrique, en 1892-1893.

JOAQUÍN TORRES GARCÍA (1874-1949) IU PASCUAL I RODÉS (1883-1949) JAUME LLONGUERAS I BADIA (1883-1955) (RÉALISATION)

Cathédrale de Majorque, Vitrail de Saint Paul apôtre et Saint Valérien martyr, 1903 Verres colorés montés au plomb Palma, cathédrale de Majorque

Gaudí arrive en 1903 à Majorque à la demande de l'évêque Campins pour restaurer le chœur et faire entrer la lumière, selon l'évolution de la liturgie. Il y travaille avec deux architectes, Rubió i Bellver et Jujol, jusqu'à l'arrêt du chantier en 1914.
Gaudi crée un vitrail expérimental constitué de la superposition de cinq feuilles de verre. Le résultat donne des transparences très diversifiées selon que le verre est épais, mince, travaillé, et des rendus se rapprochant du papier découpé ou de la photographie. Ce vitrail constitue l'esquisse des vitraux pour la chapelle royale du chœur, représentant les litanies de la Vierge avec Saint-Paul et Saint-Valérien.

Siège épiscopal pour la Cathédrale de Majorque, vers 1904-1908
Chêne, bronze doré, assise en cuir
Palma de Majorque, cathédrale de Majorque, collection Gaudí

OPÉRATEUR MAS
Collège des Thérésiennes, 1927
Épreuve photographique
Barcelone, Institut Amatller d'Art Hispànic

L'ÉGLISE DE LA COLONIA GÜELL
La cité ouvrière attenante à l'usine de velours de Santa Coloma de Cervello (Catalogne), conçue par Güell en 1898, manquait d'un vaste lieu de culte. Gaudi dessine alors un projet situé hors du centre de la colonie, en hauteur, au milieu de pins. La première pierre est posée en 1908. La crypte est construite, mais le projet reste inachevé en Cette église est pour l'architecte un véritable laboratoire sur la statique architecturale (la colonne, la voûte, la gestion des charges) dont il tire des enseignements pour la Sagrada Familia. La crypte est constituée d'une forêt de pillers, tant intérieurs qu'extérieurs, aux formes et aux matériaux multiples. L'ensemble est rustique et sophistiqué à la fois, défiant en apparence les lois de la statique et de la pesanteur par l'utilisation de colonnes inclinées. Le dedans et le dehors s'interpénétrant, Installant une relation avec le paysage, grâce à des bales dessinées comme de larges yeux ouverts que des céramiques colorées viennent souligner. Le portal de l'église supérieure renvoie à f'architecture mycénienne (Grèce, 1550-1050 av. J.-C.) dont les bloos massifs tiennent par leur propre masse. La force tellurique que dégagent la crypte et ses abords éclate dans les précieux dessins sur photographie que Gaudi élabore comme documents de travail. Le résultat est vertigineux car précurseur de sa Grande Église, la Sagrada.

FERNANDO MARZÀ
ET DANIEL GIRALT-MIRACLE (CONCEPTION) AURELIA MUÑO (RÉALISATION)
Maquette polyfuniculaire, selon les expérimentations aérostatiques de Gaudí
 Corde, plombs et acier Barcelone, Fundació Catalunya La Pedrera

Le dispositif mis en place par Gaudí est le fruit de plusieurs années d'expérimentations. Soucieux d'élever des voûtes à grande hauteur sans avoir besoin de recourir à des arcs-boutants, il transpose en maquette le poids des charges généré par des arcs paraboliques. Ces derniers sont matérialisés par des cordelettes et du tissu au bout desquels sont suspendus des sachets de plombs. En renversant l'image, apparaîssent la forme et la structure des élévations de la future construction. L'architecte Berenguer i Mestres accompagna Gaudí dans cette expérimentation. La maquette originale a aujourd'hui disparu.


LA SAGRADA FAMÍLIA
Le projet d'une église dédiée à la Sainte Famille est lancé par l'association des Dévôts de Saint-Joseph sous l'égide de Josep Maria Bocabella, éditeur, catholique engagé. Ce dernier acquiert en 1881 un terrain excentré et fait appel à l'architecte diocésair Paula del Villar qui conçoit un projet néo-gothique. En 1883, la crypte terminée, Villar se dessaisit du chantier qu'il propose à Martorell, lequel le confie à Gaudí. Le jeune architecte va pouvoir réaliser son vœu de grande œuvre religieuse. Il se consacre exclusivement à ce chantier à partir de 1910 et habite sur place définitivement à la fin de sa vie. Conscient que l'œuvre ne sera pas achevée de son vivant, Gaudí décide de construire une façade en entier, celle de la Nativité. Dans son atelier, et sur le chantier, collaborateurs et artisans fourmillent autour des maquettes, moulages et réalisations in-situ. L'œuvre de Gaudí est autant plastique qu'architecturale, populaire qu'érudite. Son souhait étant d'introduire la théologie chrétienne dans la vie quotidienne des Catalans, il s'inspire des passants, de leurs animaux et de la nature environnante, en y intégrant de la couleur. En termes constructifs, il élabore un temple aux multiples tours et aux murs sans arcs-boutants, grâce à une forêt de piliers, à l'image des arbres et de leur branchage.

Le chantier de la Sagrada Família reprit quelques années après la mort de Gaudí et continue de se dérouler.

JOAQUIM MIR (1873-1940)
La Catedral dels pobres [La Cathédrale des pauvres],
vers 1898
Huile sur toile
Barcelone, collection Carmen Thyssen-Bornemisza en dépôt au Museu Nacional d'Art de Catalunya, 2004

Présentée à l'exposition des Beaux-Arts de 1898, la peinture de Mir a touché le public pour deux raisons : elle figure le chantier de la Sagrada Família, baignée d'une lumière chaude, et témoigne d'une population aux conditions de vie difficiles, représentée ici dans l'ombre, errant dans une ville chaotique. Ces miséreux évoluent au milieu de la réserve de pierres où ils demandent l'aumône. Ils donnent le sens de l'oeuvre en devenir, la "cathédrale des pauvres", placée sous la protection de la Sainte famille. Gaudí trouvera certains de ses modèles parmi ces personnes.

Photos d'archives sur la construction de la Sagrada familia

JOAQUIM MIR
(1873-1940)
Abside de la Sagrada Família en construction, n.d.
Fusain, blanc d'argent et pastel
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

Candélabre pour la crypte de la Sagrada Família, vers 1898 Fer forgé partiellement doré
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Tempie Expiatori de la Sagrada Família

ATELIER DE MAQUETTES DE LA SAGRADA FAMÍLIA
Maquette des baies pour la nef centrale de la Sagrada Família (deuxième version), vers 1913-1915
Plâtre
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

L'élévation de la nef a donné lieu à plusieurs versions, traduites dans des maquettes en plâtre. Comme la majeure partie des moulages et des dessins de Gaudí, celles ci disparurent dans l'incendie de l'atelier au début de la guerre civile, en 1936. La reconstitution de quelques parties grâce aux fragments subsistants permet d'observer le travail de Gaudí sur la lumière qui facilite son passage en multipliant les ouvertures dans le mur, relativement petites et répétitives. Les colonnes sont inclinées et disposées par quatre, de façon à pouvoir se répartir les charges du mur.

ATELIER DE MAQUETTES DE LA SAGRADA FAMÍLIA
Maquette des baies pour la nef centrale de la Sagrada Família (deuxième version),
vers 1913-1915
Plâtre et armature métallique
Barcelone, Fundació Junta Constructora del Temple Expiatori de la Sagrada Família

ANTONI TÀPIES
Tríptic, 1948
Huile sur toile
Barcelone, Fundació Antoni Tàpies

Avec cette œuvre, le jeune Tàpies, qui prend alors sa place dans l'avant-garde picturale barcelonaise, salue la figure tutélaire de Gaudí de manière à la fois monumentale et ironique. On retrouve dans ce triptyque retable des allusions mêlées à Barcelone et à Gaudí: les collines dont celle de Montjuïc, la silhouette de la Sagrada Família, et une colonne ionique rappelant l'influence grecque méditerranéenne, Sur le panneau de droite, la figure de Gaudí, couronné et décoré, continue de montrer du doigt le chemin, à la manière des Christ romans.


ÉPILOGUE
L'œuvre de Gaudí fut construite sur le paradoxe: ombre et lumière, raffinement et austérité, orgueil et humilité. Sa fin fut accidentelle et tragique: renversé par un tramway le 7 juin 1926, il mourut trois jours plus tard, suscitant une grande émotion à Barcelone. Sa postérité est complexe, entre ferveur populaire pour le personnage et désintérêt précoce pour son œuvre. Redécouvert par les surréalistes, il est surtout remis à l'honneur par son compatriote Salvador Dalí (1904-1989) qui, des années 1930 aux années 1960, favorise la reconnaissance de Gaudí comme l'un des pionniers de la modernité. De Paris à New-York, les avant gardes du xx siècle finirent par regarder son œeuvre comme un jalon de l'architecture moderne. Ironie du sort, cette reconnaissance s'est accompagnée d'un certain accaparement de Gaudí par ceux là même qui, après l'avoir ignoré, passèrent son œuvre au crible d'une histoire dans laquelle il n'avait jamais cherché à s'inscrire. Aujourd'hui, accepter la complexité de cette œuvre dans son entièreté revient à assumer sa mystérieuse autonomie qui resisté et tisse continuellement des liens entre deux siècles.

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