mercredi 9 mars 2022

Boilly, chroniques parisiennes, au musée Cognacq-Jay en mars 2022

Encore une jolie exposition dans ce charmant musée dédié au XVIIIème siècle et dont voici la présentation :

Autoportrait en muscadin, les cheveux poudrés
vers 1793-1795
Huile sur papier marouflé sur toile Lille, Palais des Beaux-Arts


Boilly en scène

L'exposition rend hommage à un amoureux de Paris. Originaire du nord de la France, Louis-Léopold Boilly part à la conquête de la capitale à la veille de la Révolution française, en 1785, pour ne plus jamais la quitter. Il a alors 24 ans. Autodidacte virtuose, artiste prolifique et inclassable, il se fait le chroniqueur enthousiaste de Paris pendant près de soixante ans, d'une révolution (1789) à l'aube d'une autre (1848). Il est à la fois le peintre de la vie quotidienne, le chantre d'un Paris moderne, le portraitiste de tous les Parisiens, mais encore l'auteur de caricatures piquantes et l'inventeur de trompe-l'oeil saisissants.

L'exposition propose d'explorer son œuvre foisonnant au gré de ses chroniques parisiennes, mettant en lumière la singularité de son approche et l'originalité de son regard, volontiers décalé, souvent mordant. Elle dévoile au fil de cette flânerie parisienne, le jeu raffiné auquel se livre l'artiste pour se mettre lui-même en scène. Auteur d'autoportraits singuliers, parfois teintés d'une dérision féroce, il multiplie les signatures et se glisse au milieu de ses contemporains, en véritable témoin de l'avènement d'une société nouvelle. Ces stratagèmes instaurent une relation complice entre le peintre et le spectateur.

Autoportrait en sans-culotte
vers 1793
Huile sur carton
Collection particulière

L'Ébahi
vers 1808-1810
Pierre noire, estompe de pierre noire, rehauts de craie blanche sur papier brun clair
Signé en bas à droite: L. Boilly Collection particulière

Étude avec cing autoportraits de l'artiste
vers 1823-1827
Pierre noire, estompe de pierre noire, rehauts de craie blanche sur papier brun clair Wiltshire, The Ramsbury Manor Foundation

Après le souper
après 1830
Huile sur toile
Signé en bas à droite sur le buffet:
 L. Boilly
 Collection particulière

Durant toute sa vie, Boilly s'est plu à se portraiturer et à jouer de son image. A plus de 70 ans, il poursuit ce travail d'introspection avec ironie. Ni artiste accompli, ni artiste bohème, il se met en scène au crépuscule de sa vie, assoupi à table, après le diner, devant une bouteille de vin à demi vide. L'artiste dépeint fidèlement sa propre salle à manger, ordonnée et cossue, décrivant notamment les meubles mentionnés dans son inventaire après décès. Il excelle dans le traitement quasi abstrait du jeu d'ombre et de lumière

Jean qui rit
vers 1808-1810 
Huile sur toile 
Collection particulière

Jean qui pleure
vers 1808-1810
Huile sur toile 
Collection particulière

Jean qui rit et Jean qui pleure renvoient à un poème de Voltaire évoquant la versatile de l'homme (1772). Boilly l'interprète, non sans humour, en opposant son autoportrait rieur au portrait en pleurs de son propre père, qu'il semble moquer en le pointant du doigt. Gravé dix ans plus tard sous le règne de Charles X, ce double portrait prend une coloration politique, en confrontant, comme l'indiquent de nouveaux titres, Le libéral, Boilly victorieux et goguenard  et L'Ultraroyaliste, figuré par son père mortifié suite à la défaite des Ultras face aux Libéraux en octobre 1818.

Chroniques parisiennes

Boilly dresse le portrait d'un Paris insolite. À la grande histoire, celles des hommes illustres, des hauts faits et des monuments, il préfère les petits spectacles de la vie quotidienne. En peintre de genre, attentif à l'anecdote de tous les jours, il s'attarde sur le passage d'une rue par temps de pluie, relate le va-et-vient incessant des fiacres, pénètre dans la cour d'une prison de femmes. La modernité de la ville, son effervescence, sa joie de vivre le fascinent. Il célèbre les nouveaux lieux de sociabilité comme les cafés, les théâtres, les salons ou encore les grands boulevards où se pressent les Parisiens. Tous les habitants de la capitale défilent sous nos yeux: élégants et indigents, bourgeois et hommes du peuple, révolutionnaires et royalistes, jusqu'aux proches de l'artiste - son épouse, ses enfants et ses amis -, qui se mêlent, le temps de l'arrivée d'une diligence, aux personnages aperçus cour des Messageries. Boilly documente une vision du Paris de son temps, celui dans lequel il aime à flâner. Quel que soit le sujet traité, le peintre scrute les réactions du public.

La Prison des Madelonnettes
vers 1815-1819
Huile sur papier marouflé sur toile Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Boilly prend ici pour sujet la prison pour femmes installée depuis 1795 dans l'ancien couvent dédié à l'ordre des filles de Marie-Madeleine, dit « Madelonnettes », réservé aux prostituées « repenties ». La composition traduit une étrange impression de monumentalité dramatique, Dans ce décor au clair-obscur théâtral, le peintre livre une scène de genre inédite, opposant du côté ensoleillé des prisonnières ou visiteuses badinant avec des gendarmes, et dans l'obscurité, des recluses au travail. Un gardien de dos semble désigner la pénombre comme un funeste présage.

Vue intérieure du Panthéon avec figures
vers 1806-1819 ou après 1830 Huile sur papier marouflé sur toile Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris
Détail du tableau précédent 

Distribution de vin et de comestibles aux Champs-Élysées, à l'occasion de la fête du roi
1822
Huile sur toile
Signé et daté en bas à droite: L. Boilly 1822 Paris, musée Carnavalet- Histoire de Paris

Boilly représente la distribution gratuite de vivres et de vin, organisée le 25 août, jour de la Saint-Louis ou fête du roi, sur les Champs-Elysées. Cette manifestation de largesse officielle, d'origine médiévale fut rétablie sous l'Empire et la Restauration Le véritable sujet de cette ambilleuse composition n'est autre que la foule parisienne, imprévisible, parfois comique, elle se presse sous les regards inquiets de passants huppés  Bolly saisit les tensions sociales sous jacentes entre les différentes classes sociales.

Détails du tableau précédent 

Les Coucous sur le quai des
Tuileries
vers 1807-1810
Esquisse au pinceau et à l'encre de Chine sur toile préparée 
Paris, musée Carnavalet 

Le spectacle des boulevards
Pour Boilly, comme pour tant d'interprètes du XIXe siècle, d'Honoré de Balzac à Charles Baudelaire, le véritable spectacle se déroule dans l'espace public des boulevards. Dès le début de sa carrière, Boilly vit dans le quartier des Grands Boulevards, haut lieu des divertissements dont il s'inspire. Il témoigne de l'engouement pour Guignol et révèle la fureur que suscite le théâtre, alors la distraction la plus courue de la capitale. Au delà des effets de foule, il s'intéresse aux qua lités théâtrales des faits et gestes du quotidien. Avec ses acteurs turbulents et ses grappes de spectateurs, la Scène du carnaval résume sa vision : le théâtre se trouve dans les rues de Paris, ses habitants en sont le principal divertissement. Boilly livre ici une  "comédie humaine" jubilatoire. Il signe cette œuvre manifeste, la plus ambitieuse de ses scènes de foule, à l'âge de 71 ans.

Une marchande de fleurs
vers 1803
Huile sur toile 
Paris, galerie Didier Aaron

La Descente de la diligence
vers 1803
Huile sur toile
 Collection particulière

Le Portefaix
vers 1803
Huile sur papier marouflé sur toile Collection particulière

Deux jeunes Savoyards assis
vers 1803
Huile sur papier marouflé sur toile Collection Annick Fabry

Guillaume Guillon dit Lethière
 et Carle Vernet
vers 1798
Huile sur papier marouflé sur toile Lille, Palais des Beaux-arts

Le Petit commissionnaire
vers 1803
Huile sur papier marouflé sur toile Collection particulière

Le Jeu du tonneau
vers 1828
Huile sur toile
Wiltshire, The Ramsbury Manor Foundation

L'Intérieur d'un cabaret
vers 1828
Huile sur toile
Paris, musée du Louvre, département des Peintures, legs Adrien Chevallier

L'Intérieur d'un café
vers 1824
Mine de plomb, plume et encre noire, lavis brun et noir, aquarelle sur papier brun clair Signé en bas à droite sur le montage : L. Bailly del Paris, musée Carnavalet- Histoire de Paris


L'Arrivée d'une diligence dans la cour des Messageries
1803
Huile sur panneau
Signé et daté en bas à droite: Louis Boilly 1803 Paris, musée du Louvre, département des Peintures

Detail du tableau précédent 

Le Passage de la planche
vers 1810-1814
Huile sur toile
Paris,musée du Louvre, département des Peintures, don de Mme Albert Lehmann

La rue parisienne est pour Boilly une source d'inspiration privilégiée. La simple traversée d'une rue après l'orage devient une véritable scène de théâtre, autant qu'un défilé de mode. En temps de fortes pluies, les rues de Paris sont impraticables, les trottoirs étant quasi inexistants, tout comme les égouts. Pour y remédier, des "passeurs" installent des ponts de fortune sur roulettes, appelés "ponts tremblants". La famille bourgeoise qui s'y aventure semble ici se donner en spectacle. L'intrigue réside dans l'interprétation du geste du père: est-il prêt à payer ou non

La Représentation des marionnettes
vers 1812
Huile sur papier marouflé sur toile Collection particulière

Scène du carnaval
1832
Huile sur toile
Signé et daté en bas à gauche : L. Boilly 1832
Wiltshire, The Ramsbury Manor Foundation

Détails du tableau précédent 

Le Spectacle ambulant de Polichinelle
1832
Huile sur toile
Signé et daté en bas à gauche : L. Boilly 1832
Wiltshire, The Ramsbury Manor Foundation

La Lanterne magique
vers 1808-1814
Huile sur une plaque de verre, avec au verso un dessin préparatoire à l'encre contrecollé et découpé suivant le contour légèrement réduit des silhouettes
Collection Robert Panhard

Le Passage du Pont royal
vers 1804-1814
Huile sur une plaque de verre, avec au verso un dessin préparatoire à l'encre contrecollé et découpé suivant le contour des silhouettes Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Détail du tableau précédent 

L'Entrée du théâtre de l'Ambigu-Comique à une représentation gratis
1819
Huile sur toile
Signé et daté en bas à droite: L. Boilly 1819 Paris, musée du Louvre, département des Peintures, legs Georges Heine

Le théâtre occupe une place de choix dans la vie et l'oeuvre de Boilly, durant toute sa carrière. L'Ambigu-Comique, situé sur le boulevard du Temple, est, avec ceux de la Gallé et de la porte Saint-Martin, le haut lieu du théâtre de boulevard, où s'enchainent les mélodrames à succès. Boilly peint ici une foule d'ouvriers et de petits commerçants assiégeant l'entrée un jour de représentation gratuite, sous le regard complaisant des bourgeois et de la police. L'artiste saisit l'occasion de dépeindre l'agitation de la foule dans toute la variété de ses expressions

Détail du tableau précédent 

La Marche incroyable
vers 1797
Huile sur panneau
Signature frottée en bas à droite: L. Boilly Collection particulière

Au lendemain de la Révolution, la société parisienne défile en parade. L'artiste joue sur le sens du mot incroyable : à la fois courant de mode caractérisé par ses extravagances vestimentaires à l'époque du Directoire (1795-1799) ot aspect insolite de cette assemblée. Boilly décrit en détail les costumes de ces vingt-et-un personnages de tous ages et de toutes catégories sociales. Un couple de sans-culot chaussés de sabols côtoie une merveilleuse, une élégante parée d'un costume à la grecque, des incroyables en redingotes, ou encore deux militaires, l'un fumant la pipe, l'autre reconverti en marchand de coco, une boisson populaire de l'époque.

Les visages des Parisiens

Boilly aime à scruter les lieux comme les visages de Paris. Devenu un portraitiste recherché de la capitale, en particulier par la nouvelle bourgeoisie, il tire le portrait de tous les Parisiens comme des personnalités de passage. L'artiste élabore un format inédit de portraits, qu'il produit pendant quarante ans. Il brosse ses petits portraits en buste au cours d'une séance de pose de deux heures et les présente systématiquement dans le même cadre. Cinq mille visages furent ainsi immortalisés par le pinceau de Boilly, dont près de mille sont aujourd'hui connus.

Du portrait à la caricature, Boilly se livre dans sa célèbre serie des Grimaces à un inventaire truculent des expressions, des passions ou des manies de ses contemporains, entre caractère intime et archétypes sociaux. Les bouches se tordent, les nez se plissent, les yeux clignent et roulent, offrant un contraste saisissant par rapport à la pondération de ses portraits. Se jouant des physionomies et des comportements, Boilly tourne en dérision, avec une même efficacité, un vice, tel que l'avarice, ou un métier, comme celui des antiquaires.

Johann Theodor Susemihl
1802
Lithographie tirée en noir Datée et signée en bas à gauche : 9 juin 1802 L. Boilly Paris, Bibliothèque nationale de France, dépar tement des Estampes et de la Photographie

Ce portrait de Johann Theodor Susemihl atteste de la curiosité de Boilly pour la nouvelle technique de la lithographie inventée en Allemagne en 1796. Datée du 9 juin 1802, il s'agit de la première épreuve connue en France. Boilly, en précurseur, s'empare de ce médium pour diffuser son œuvre, notamment sa série composée d'une centaine de lithographies intitulée Les Grimaces. Susemihl (1772-1848) se spécialise dans la gravure botanique et la peinture animalière. Dès les années 1805-1807, il s'intéressa à la lithographie à la suite de Boilly.

Seize portraits d'hommes
vers 1798
Pierre noire, estompe de pierre noire, rehauts de crale blanche sur papier brun clair Collection Véronique et Louis-Antoine Prat

Trompe-l'oeil en grisaille à l'imitation du crayon: "Trente-trois têtes d'expression"
vers 1820-1825
Huile, encre noire, lavis gris sur toile Collection particulière

Les Grimaces
vers 1823-1827
Ensemble de 20 lithographies,
 tirage en noir, tirage colorié 
Collection particulière

Les quatre-vingt-seize lithographies des Grimaces rencontrent un succès populaire des leur première publication entre 1823 et 1828 chez l'éditeur François Delpech, puis en 1837 chez Gabriel Aubert sous un nouveau titre : groupes physionomiques. Boilly connait les interprétations morphologiques de la physiognomonie de Kaspar Lavater (1741-1801) et la phrénologie de Joseph Gall (1758-1826) - discipline qui voyait dans la morphologie du crâne le reflet de certains traits de caractère.
 Comme ses prédécesseurs et contemporains -le sculpteur Messerschmitt, le graveur Rowlandson, le caricaturiste Daumier - Boilly interroge, par la grimace, les rapports entre physionomie et determination des comportements.



Osages, peuplade sauvage de l'Amérique septentrionale, dans l'État de Missouri, arrivés Paris le 13 août 1827
1827
Lithographie, tirage en noir, tirage colorié Collection particulière

La lithographie des Osages constitue une ex ception dans cette suite de Grimaces. Ici point de caricature, mais des portraits empreints de dignité. En 1827, l'arrivée à Paris d'un groupe de six Indiens d'Amérique septentrionale crée l'évènement. Leur succès est tel que d'autres artistes comme Horace Vernet les représentent à la même date. Boilly traite avec acuité les visages. les expressions, les parures, les coiffures et les vêtements dans un souci d'individuation sociale.

Petits Portraits
1800-1845 
Huile sur toile 
Collection particulière

Boilly innove à partir de 1800 en proposant à une clientèle de Parisiens ce format inédit de petits portraits. Il en fait la réclame dans le livret du Salon de 1800. « Tous d'une ressemblance parfaite » et d'un format identique. ils sont exécutés à l'huile en une séance de deux heures et toujours vendus dans un cadre doré Empire, orné de palmettes ou de feuilles A l'instar du miniaturiste Jean-Baptiste Isabey, Boilly entrevoit un débouché lucratif grâce à ce modèle standard de portrait au prix attractif, devenu sa marque de fabrique pendant trente-cing ans.

Petits portraits 

Grappe de raisin blanc
vers 1795-1800
Huile sur papier marouflé sur toile
Signé en bas à gauche: L. Boilly Pinx Rouen, musée des Beaux-Arts

Amphitrite sur les eaux
vers 1800
Huile sur papier marouflé sur toile
Signé en haut à droite sur un cartellino: L. Boilly
Collection particulière

Les paris de Boilly
Acteur et témoin du Paris des arts, Boilly nous invite à découvrir les ateliers de ses confrères peintres et sculpteurs. L'immense succès de la Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey au Salon de 1798 le temps fort de l'art contemporain - consacre sa carrière. Nouvel espace de sociabilité, l'atelier y est célébré pour la première fois comme « un panthéon de l'amitié ». Fort de ce triomphe, le peintre présente au Salon de 1800 Un Trompe-l'œil des plus singuliers. L'œuvre fait sensation. Il se joue des caractéristiques matérielles de son propre art : l'estampe, la peinture et le dessin deviennent le sujet même de son tableau. Plus que jamais, son œuvre invite à un regard critique du spectateur. Boilly fera de l'art du trompe-l'oeil l'une de ses spécialités, en l'élevant à un niveau de perfection et d'ingéniosité inégalé. Il y appose son nom à répétition et sur tous les supports. Alliant tour de force technique et stratégie publicitaire, il fait de la signature, au cœur du trompe-l'oeil, un lieu d'invention inédit.

Le Chat gourmand crevant une toile pour manger des harengs
vers 1800-1805
Huile sur toile
Collection Farida et Henri Seydoux

Un Christ
vers 1812
Huile sur toile
Signe sur le cartellino: L. Boilly.pinx:/rue Meslée, n°12/ À Paris
Collection Jean-Luc Baroni

La signature est la clef de lecture de la composition. Elle est inscrite sur un cartellino qui s'apparente à une carte de visite, indiquant l'adresse de Boilly. Modelée en relief comme le crucifix, elle le désacralise et fait la réclame de la virtuosité de l'artiste. Le tableau, qui perd son statut d'œuvre religieuse, évoque la période post-révolutionnaire marquée par la dispersion des objets ecclesiastiques. Présenté au Salon de 1812, ce Christ insolite - seul sujet religieux de toute la carrière de Boilly- révèle comment la signature participe chez lui d'une stratégie d'autopromotion

Un Trompe-l'oil
vers 1800
Huile, traits de crayon gras sur toile Signé à trois reprises: en bas à droite, L. Boilly: sur la marge de la fausse gravure et à gauche, Boilly pinx.; à droite, L. Boilly Sc. Collection David Lachenman

En 1800, Boilly est le premier artiste à présenter au Salon une oeuvre sous le titre de Trompe-l'oeil. Cet art de l'illusion est alors considéré comme un genre pictural mineur Le titre est novateur, puisque le terme trompe l'oeil - ne figure pas encore dans le dictionnaire, tout comme le sujet est insolite L'artiste peint, dans un grand format, un amas de dessins écornés, une esquisse peinte et une estampe, présentée sous une vitre brisée.

Détail du tableau précédent 

Jean-Antoine Houdon modelant le buste de Laplace
vers 1804
Huile sur toile
Lille, Palais des Beaux-arts

Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey

1 Etienne-Nicolas Méhul (Givet 1763- Paris 1817) Compositeur
6 Jean-Louis Demarne (Bruxelles 1752 - Paris 1829) Peintre
2 François-Benoit Hottman (Nancy 1760- Paris 1828) Homme de lettres
7 Pierre-Paul Prud'hon (Cluny 1758- Paris 1823) Peintre
3 Charles-Louis Corbet (Douai 1758- Paris 1808) Sculpteur
8 Nicolas-Antoine Taunay (Paris 1755- Paris 1830) Peintre
4 Jean-Baptiste Isabey (Nancy 1767- Paris 1855) Peintre-Miniaturiste
9 Francois Gerard (Rome 1770- Paris 1837) Peintre
5 Jacques Joseph-François Swebach (Metz 1769 - Paris 1823) Peintre
 10 Charles-Guillaume-Alexandre Bourgeois (Amiens 1759- Paris 1832) Peintre
6 Guillaume Guillon, dit Lethière (Sainte-Anne [Guadeloupe] 1760 Paris 1832) Peintre
11 Antoine-Charles-Horace, dit Carle Vernet
(Desdeaux 1758- Paris 1836) Peintre


Illusions d'optique
Curieux de son temps, Boilly est fasciné par l'actualité scientifique et les innovations techniques. En amateur, il collectionne de nombreux instruments optiques : chambres noires (il en possède une trentaine), télescopes, lorgnettes, pantographes ou zograscopes, autant d'objets nouveaux dont il mobilise les ressources afin d'atteindre la perfection illusionniste dans ses fameux trompe-l'oeil. L'ensemble de La Queue au lait, restitué pour la première fois en est une demonstration éloquente De sa version originale colorée à la grisaille jusqu'au trompe-l'oeil qui reprend le motif du cheval l'artiste met en scène avec humour et virtuosité "l'art de la feinte", sûr de sa technique et prompt à se jouer du spectateur. À l'âge de la reproduction avec l'émergence des nouveaux procédés de la lithographie (1796) et bientôt de la photographie (1826), Boilly propose une réflexion inédite sur son art et sur la reproductibilité.

L'Optique 
Jean-François Cazenave d'après Louis-Léopold Boilly
avant 1795
Gravure au pointillé, tirée en noir. Deuxième état : en bas à gauche, peint par L. Boilly;
Collection particulière

Boilly expose au Salon de 1793 un tableau, aujourd'hui disparu, titré L'Optique. Cette scène de genre témoigne de sa fascination à l'égard des inventions scientifiques. Elle représente une mère et son fils étudiant des vues d'optique à travers un zograscope. Figuré au centre de la composition, cet appareil composé d'une loupe convexe et d'un miroir incliné permet d'accentuer la profondeur de la vue, offrant une image en relief. Cette œuvre est l'une des rares représentations de cet instrument qui révèle un engouement pour la science et la diffusion des avancées techniques.

Un Trompe-l'oeil
vers 1800-1805
Huile sur toile
Signé en bas à droite sous l'enfant endormi : L. Boilly
Collection particulière

Détail du tableau précédent 

La Queue au lait
vers 1796 
Huile sur papier marouflé sur toile
 Collection particulière

En 1796, l'approvisionnement des vivres fait défaut à Paris. Des comités de bienfaisance aident les plus nécessiteux. Ici, les femmes et les enfants se pressent autour de la charrette d'une laitière dans l'espoir d'obtenir un peu de lait.
Comme par jeu, Boilly peint un tableau en couleur puis en exécute une version en grisaille à l'imitation de l'estampe. Dans le trompe-l'œil, Boilly s'amuse à reproduire à l'identique l'étude du cheval identifiable dans La Queue au lait, Ce procédé de « copier coller » ainsi que le rendu illusionniste de ses trompe-l'oeil laissent supposer l'utilisation d'une chambre noire ou d'un pantographe pour reproduire ses oeuvres.

Trompe-l'oeil en grisaille à l'imitation de l'estampe: "La Queue au lait"
vers 1796
Huile sur toile
Traces de signature en bas à gauche et d'une majuscule en bas au centre, sur la marge blanche
Collection particulière


Des boudoirs aux boulevards
Autodidacte, Louis-Léopold Boilly gagne la capitale pour parfaire son art. Il découvre avec enthousiasme dans les collections parisiennes les œuvres des peintres hollandais du XVII° siècle, connus pour leur métier précieux et leur facture « porcelainée ». Comme ses contemporains Jean-Honoré Fragonard et Marguerite Gérard, Boilly entreprend de rivaliser avec ses prédécesseurs en perpétuant une tradition libertine pour une clientèle connaisseuse des sous-entendus équivoques. Popularisées par la gravure, ses scènes galantes, à la manière précise et soignée, lui assurent une grande partie de ses revenus. Ces scènes de mœurs, interprétées dans un langage proche du théâtre de Beaumarchais, jouent avec originalité des subterfuges de l'amour et de la pluralité des plaisirs, féminins et masculins.
À la faveur des bouleversements engendrés par la Révolution, Boilly substitue au théâtre intime du boudoir le spectacle, public, des boulevards parisiens.

L'Indiscret
vers 1789-1793
Huile sur toile
Signé en bas à gauche: Boilly pinx Paris, musée Cognacq-Jay

Les motifs de la robe jetée sur la chaise, le carton débordant de rubans roses, la mule renversée témoignent de la virtuosité de Boilly à rendre les matières. La composition en trio - deux jeunes filles à demi dénudées et un jeune homme indiscret - correspond à un archétype théâtral, L'Indiscret appartient au répertoire des scènes galantes qui ont fait le succès de Boilly dans les années 1790. Ces couvres séduisent les amateurs, héritiers d'un goût associé aux dernières années de l'Ancien Régime.

Le Doux Réveil
vers 1789-1793
Huile sur toile Paris, 
musée Cognacq-Jay

La Lutte galante (Ça ira)
vers 1789-1793
Huile sur toile
Collection particulière

Deux Jeunes amies qui s'embrassent
vers 1789-1793
Huile sur toile Wiltshire, The Ramsbury Manor Foundation

Ce baiser entre deux femmes dans l'intimité d'une chambre au décor élégant interpelle par son caractère osé. Cette scène de genre libertine s'inscrit dans la tradition de la pein ture de cabinet produite dès le XVIIe siècle pour des amateurs masculins. La scène n'est plus suggestive mais explicite. Le spectateur est pris à partie dans sa condition de voyeur. Si le sujet des amours saphiques est présent dans la littérature du XVIII siècle, la repré sentation d'un baiser langoureux entre deux femmes reste rare à cette époque.

L'art de la miniature
La virtuosité de Boilly portraitiste se déploie dans toutes les typologies du genre, du petit portrait au portrait collectif, tel que L'Atelier d'Isabey, jusqu'aux miniatures ici présentées. D'un format extrêmement petit, elles sont peintes à l'huile sur différents supports comme le zinc ou l'ivoire. On en connaît à ce jour trente-huit réalisées par Boilly tout au long de sa carrière. L'identité de la plupart des modèles ne nous est pas connue.

 Boilly représente dans un tableau de famille, en trompe-l'œil, ses six fils à l'imitation de la miniature

La Descente de l'escalier
vers 1800-1810 Huile sur papier marouflé sur toile Paris, musée Cognacq-Jay
Un vieil homme aidé d'une canne descend un escalier. Le décor de ce lieu mystérieux se réduit à un mur de pierres orné d'un portrait d'homme âgé. Comme souvent dans les œuvres de Boilly, un chien, symbole de la fidélité, attend son maître au bas des marches. Le personnage dans l'ombre est éclairé à contre-jour par une source lumineuse située à l'arrière-plan. Le traitement contrasté de la lumière rappelle celui de l'Après-souper et confère à la scène une atmosphère crépusculaire. Est-ce une invitation à méditer la finitude de l'homme ?

On ne pouvait pas quitter ce musée sans aller voir les magnifiques portraits d'enfants de Jean-Baptiste Greuze :


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