Né dans le Massachussetts, James Abbott Whistler, qui ajoutera le patronyme "McNeill" de sa mère à celui de son père, grandit entre les États-Unis, la Russie et l'Angleterre. Il se rend à Paris en 1855, où il se forme dans l'atelier de Gleyre, copie au Louvre, et se lie avec Courbet, Fantin Latour et Legros. Installé à Londres à partir des années 1860, il est un trait d'union entre l'avant-garde britannique (préraphaélisme et aesthetic movement) et le réalisme français. À mi-chemin entre les deux courants, son tableau, La dame blanche (Washington, National Gallery of Art) fait scandale à Paris au Salon des refusés (1863).
Dans les années 1870, avec ses paysages de la Tamise et de grands portraits aux titres musicaux (Symphonie », « Nocturne », <
Ces audaces lui valent longtemps des critiques acerbes, mais il gagne patiemment des soutiens à Londres et à Paris et accède à une renommée mondiale autour de 1900. Revenu quelques années à Paris à la fin de sa vie, le dandy Whistler devient l'un des « phares » de la jeune génération symboliste qui voit dans son art une forme de rejet du monde moderne. Whistler meurt à Londres en 1903.
Arrangement en gris et noir ou Portrait de ma mère, dit aussi Arrangement en gris et noir n°1: portrait de la mère de l'artiste
1871 Huile sur tolle
Paris, musée d'Orsay, acquis de l'artiste par l'État pour le musée du Luxembourg en 1891
Anna McNeill a 67 ans lorsqu'elle pose pour ce portrait. Veuve, elle s'est installée chez son fils à Londres. Elle s'occupe de la maison, se passionne pour son art et tente aussi de lui faire adopter une vie plus chrétienne. Dans une lettre à sa sœur, Anna McNeill dit avoir occupé ses séances de pose à prier. Whistler représente sa mère dans son atelier, simplement décoré d'un textile japonais et de quelques-unes de ses gravures. Il supprime tout détail narratif ou sentimental. Renouant avec l'austérité des portraits hollandais et espagnols du xvII* siècle, et regardant aussi du côté de Fantin Latour et de Manet, il réduit sa palette à une austère harmonie de tons noirs, gris et blancs tout juste rehaussée des tons de chairs. Réduit à quelques lignes, formes et couleurs, le tableau proclame la supériorité des éléments plastiques de l'œuvre sur le sujet. C'est dans cet esprit que Whistler expose pour la première fois le tableau sous le titre abstrait Arrangement en gris et noir en 1872.
Tête de vieux fumant une pipe dit aussi L'Homme à la pipe
Paris, musée d'Orsay, accepté par l'État à titre de legs de Charles Drouet au musée du Luxembourg en 1909
Arrivé à Paris en 1855, à vingt-et-un ans, Whistler apprend le dessin et la peinture dans l'atelier du peintre académique Charles Gleyre, mais il trouve ses véritables maîtres parmi les peintres flamands et hollandais du XVII" siècle vus au Louvre, et auprès de Courbet et des « réalistes » français. On décèle ces influences dans cette trogne » d'un colporteur rencontré aux Halles qui est aussi l'une des premières peintures connues de l'artiste qui pratiquait alors surtout la gravure. Whistler finit par prendre ses distances avec le réalisme et rejette même à partir de 1067 toute influence de Courbet sur son art.
Variations en violet et vert
1871 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, acquis par les musées nationaux avec le concours du Fonds National du Patrimoine et la participation de Philippe Meyer en 1995
Au début des années 1870 Whistler renoue avec l'inspiration de ses paysages chiliens (voir Symphonie en gris et vert: l'Océan), en peignant un ensemble de vues de la Tamise, à partir d'esquisses faites lors de ses excursions nocturnes où de mémoire. À propos de certaines d'entre elles, baptisées Nocturne, il écrit: « En utilisant le mot "nocturne", je voulais uniquement exprimer un intérêt pictural, en laissant le tableau libre de tout propos anecdotique extérieur qu'on aurait pu lui attribuer par ailleurs. Un nocturne est tout d'abord un agencement de lignes, de formes et de couleurs. La peinture est un gigantesque problème que j'essaie de résoudre. ». Ces peintures seront très critiquées lors de leur première présentation à Londres en 1872, puis à Paris l'année suivante.
Nocturne
La PetiteVenise
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Dans le domaine de la gravure, Whistler se montre particulièrement novateur dans son emploi d'encres de surface. Laissant sur certaines zones, voire sur la totalité de la plaque, une fine couche d'encre, il fait apparaître des zones ombrées, des reflets, des effets de crépuscule ou de nuit, comme dans Nocturne, eau-forte dont on connaît des variantes, parfois très obscurément encrées. Qualifiée d'impure ou de trop picturale par certains graveurs ou critiques du temps, cette technique héritée de Rembrandt est également prisée par Edgar Degas.
La Petite Lagune
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin, Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Pour ses eaux-fortes et ses pastels, Whistler varie ses sujets et ses compositions. Les vues les plus éloignées de la ville sont sans doute parmi les premières. L'extrême dépouillement visible dans La Petite Venise et La Petite Lagune fait davantage écho à ses dernières vues de la Tamise qu'à la tradition des vedutte vénitiennes. Les silhouettes de bateaux ou d'architectures, réduites à de minuscules griffures de la plaque, flottent dans un espace vide et calme. Whistler se détourne des sites touristiques, hormis pour quelques vues comme La Piazzetta ou La Riva. Certaines estampes de la Suite vénitienne s'attachent aux figures de mendiants, de gondoliers ou d'enfileurs de perles.
Symphonie en gris et vert: l'Océan
1866 Huile sur toile
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Lors de la guerre de 1866 entre le Chili et l'Espagne, Whistler fait un incroyable voyage, participant à une expédition à Valparaiso planifiée par d'anciens soldats américains confédérés (dont son propre frère), pour vendre des torpilles aux chiliens. Le projet avorte, mais F'artiste reste à Valparaiso d'où il ramène une série de marines qui ne laissent rien deviner du bombardement de la ville par les espagnols, dont il a été témoin. Whistler réduit la composition en grandes zones colorées simplement animées par une jetée, quelques vagues et la discrète silhouette de navires tournés vers l'horizon. L'espace est aplani comme dans les estampes japonaises, une influence visible également dans la branche de bambou ajoutée au premier plan, et dans le décor du cadre conçu par Whistler lui-même, sur lequel figure san monogramme au papilfon et un motif de selgaina (vagues de mer bleues).
Le Mât
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
À la fin des années 1870, Whistler est ruiné par un procès retentissant engagé contre le critique Ruskin, qui l'avait qualifié d'escroc. Il perd aussi le soutien de son mécène Leyland, avec qui il s'est querellé. La commande par la Fine Art Society d'une série d'eaux-fortes de Venise vient à point nommé et lui permet de séjourner dans la cité des doges de septembre 1879 à novembre 1880. Il en revient chargé de quelques peintures, d'une centaine de pastels et de près de cinquante estampes. Une première « Suite vénitienne » de douze gravures est éditée à une centaine d'exemplaires à partir de 1880, puis vient une seconde série en 1886. Pour ces tirages, Whistler s'adjoint l'aide de jeunes artistes, I'Australien Mortimer Menpes et l'anglais Walter Sickert.
La Piazzetta
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Arrangement en brun et noir: portrait de Miss Rosa Corder
1876-1878 Huile sur toile
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Avec ce portrait de la peintre anglaise Rosa Corder, Whistler prolonge ses recherches sur les « Arrangements en noir » débutés avec le portrait de sa mère. La palette est réduite aux bruns, aux noirs avec quelques touches de rose et de blanc. Le modèle est vêtu d'un ensemble de jour à la mode proche d'une tenue d'amazone, dont la sobriété et la monochromie plaisent à Whistler. Perfectionniste, l'artiste épuise par quarante séances de pose la jeune femme qui, après plusieurs malaises, ne revient à l'atelier que sur ses supplications. La critique est enthousiaste lors de l'exposition du tableau à Londres en 1879; elle y voit un grand morceau d'exécution digne de Velázquez ».
Symphonie en couleur chair et rose : portrait de Mrs. Frances Leyland
1871-1874 Huile sur toile
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Ce portrait est celui de l'épouse du riche armateur et amateur d'art de Liverpool Frederick Leyland, l'un des principaux mécènes de Whistler. Dans sa quête de perfection formelle, le peintre a choisi chaque élément du tableau: la décoration de la pièce (le salon de Whistler à Londres), la pose originale, de dos, avec le visage de profil, qui met en valeur la robe qu'il a lui-même dessinée. À l'opposé des silhouettes corsetées de la mode victorienne, l'artiste choisit une robe d'intérieur (teg gown) fluide et ample, en mousseline blanche et rose, parsemée de fleurs. A partir de la chevelure auburn et du ton de chair de la jeune femme, l'artiste compose une « Symphonie en couleur chair et rose rehaussée par des tons de blancs, de gris et quelques touches de vert.
Arrangement en noir et or: comte Robert de Montsquiou-Fezensac
1891-1892
Huile sur toile
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Ce portrait, l'un des derniers grands portraits réalisés par Whistler, représente Robert de Montesquiou-Fezensac, membre d'une grande famille aristocratique française, et flamboyant dandy homosexuel du Paris fin-de-siècle. Poète et esthète « décadent », il inspire à Huysmans le personnage de Des Esseintes et à Proust celul du baron de Charlus. Fasciné par Whistler, Montesquiou lui commande un portrait qu'il veut unique et atemporel, Whistler le peint en habit de soirée, portant au bras un manteau en chinchilla appartenant à sa nièce la comtesse Greffulhe, fixant le spectateur. L's or mentionné dans le titre du tableau serait celui du cadre, qui contribue à l'harmonie générale de l'œuvre. Par sa luminosité, il tient à distance le modèle qui reste enveloppé d'une aura de mystère et dont seul le visage, la cravate blanche et le gant gris émergent véritablement de l'ombre.
Les mendiants
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
La Riva
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
La Traghetto, n°2
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Nocturne : Venise
1880
Pastel sur papier teinté brun
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Le Cimetière: Venise
1879
Pastel et traces de dessin au crayon graphite sur papier teinté brun
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
À Venise, Whistler travaille sur le motif malgré le froid de l'hiver, sa boîte de pastels ou sa plaque de cuivre et son stylet de graveur en poche. À la recherche de visions nouvelles de la ville, il s'aventure sur les petits canaux où se trouvent des façades décaties et des cours secrètes, loin des clichés touristiques. Il multiplie les points de vue en dessinant depuis une gondole, tel Le Cimetière, réalisé lors d'un déplacement vers l'ile de San Michele, ou d'une fenêtre, dans Nocturne: Venise, une vue croquée depuis l'appartement qu'il occupe à la Casa Jankovitz, au bout de la Riva delgi Schiavoni.
Canal venitien
1880
Craie noir et pastel sur papier teinté brun
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
Whistler utilise des papiers teintés brun-roux comme base tonale de ses pastels. Avec une grande économie de moyens, il indique les contours des éléments d'architecture à la craie noire, puis ajoute quelques touches de tons plus vifs. À propos des couleurs de Venise, Whistler écrit à sa mère: «Après la pluie, les couleurs des murs et leurs reflets dans les canaux sont plus somptueux que jamais - et quand le soleil brille sur le marbre poli, mêlé aux briques aux riches tonalités et au plâtre, cette stupéfiante ville de palais se transforme en un royaume féérique dont on dirait qu'il a été créé tout spécialement pour le peintre.
Le Porche
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
À Venise, Whistler s'intéresse aux façades et porches de palais décatis et révèle la poésie de ces lieux rarement représentés. Dans Le Porche, il joue du contraste entre une façade richement ornée et l'intérieur obscur et simple où s'aperçoit l'atelier d'un fabricant de chaises. Le peintre a animé le premier plan d'une silhouette de jeune fille qui apporte une touche de lumière au centre de la composition. Cette gravure est caractéristique du style de Whistler qui varie les traits longs ou courts, précis ou tremblés, et les types de hachures, parallèles ou croisées, supprimant même parfois les contours des objets pour n'en garder que les ombres.
Deux porches
1880
Eau-forte et pointe sèche sur papier vélin Inclus dans Venice, A Series of Twelve Etchings (First Venice Set)
New York, The Frick Collection, Legs Henry Clay Frick
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