Joseph Beuys (1921-1986) a réalisé au cours de sa vie plus de 10 000 dessins. Ce volume permet d'apprécier la place centrale de cette pratique, et constitue une source inépuisable pour la compréhension de cet artiste, l'un des plus emblématiques du xx siècle. L'oeuvre de Beuys, comme le personnage public qu'il a façonné, acteur engagé du débat politique, ont acquis valeur de mythe, et ne peuvent se résumer en une forme finie. La centaine d'oeuvres exposée ici n'offre donc qu'une vue partielle de sa production dessinée. mais elle a un caractère hautement symbolique. puisqu'elle est issue de la collection personnelle de la famille Beuys, des dessins conservés par l'artiste, sans doute en raison de lour caractère intimiste, et dont la plupart sont montrés pour la première fois en France. Cet ensemble met en lumière l'usage que Beuys a pu faire du dessin dans son travail, comme une matrice reliant ses activités entre elles : explorations de formes et de symboles, partitions pour des actions ou des installations, notes pour une conférence.
Pendant plus de cinquante ans, Bouys a traduit ses idées sur le papier avec une grande liberté d'espression et une précision du trait. Dessiner était sa façon de comprendre le monde. Selon lui, les dessins (étaient) plus proches de la réalité que d'autres genres de la prétendue réalité », Eva Beuys, sa femme, rapporte qu'il dessinat constamment, même pendant une conversation. un entretien, ou devant la télévision, Alors que certains dessins semblent n'être que la traduction de gestes spontanés ou de simples évocations, d'autres apparaissent plus aboutis, bien que cette distinction n'eût pas de réel sens pour l'artiste
Beuys conservait ses dessins en pile, s'en servant comme d'une réserve à idées, motifs, qu'il pouvait réinsuffler dans le reste de son oeuvre, parfois des années plus tard. C'est pour cette raison qu'ils sont regroupés selon des thèmes qui traversent l'ensemble de son oeuvre végétaux, animaux, montagnes, humains plutôt que chronologiquement.
Cette exposition a été organisée en collaboration avec le Kupferstich-Kabinett, Staatlische Kunstsammlungen Dresden dans le cadre des célébrations liées au centenaire de la naissance de Beuys, qui ont donné lieu à de nombreux événements à travers l'Allemagne et dans le monde.
Benjamin Katz
Joseph Beuys lors de la préparation de l'exposition "Westkunst", Cologne
1981
Épreuve gélatino-argentique
Sans titre 1947/1966
Peinture à l'huile bleue et grise sur papier monté sur carton, inscription sur le carton de fond: Beuys 1966; inscription au revers: Beuys 1947
2 Mineralien [2 minéraux]
Sans titre [Croix]
Non daté [1985-1986]
Bois de rose, fer
Au cours de la dernière année de sa vie, Beuys a réalisé une croix en raccordant une branche de rosier et un long clou de fer. La forme de l'oeuvre, les matières qui la constituent convoquent
immédiatement les images de la Passion du Christ, de la couronne d'épines et de la Crucifixion.
La croix est un symbole récurrent dans l'oeuvre de Beuys, qu'il assigne à l'humanité entière. Elle n'est pas simplement un symbole de sacrifice, mais aussi de régénération. La simplicité ainsi que sa religiosité sous-jacente, en font peut-être l'oeuvre la plus personnelle de Beuys, qui s'exprimait artistiquement là pour la dernière fois. L'attitude et la foi,
la matière et l'art s'interpénètrent
Sans titre [Agenda] 1985
Crayon sur papier, carnet relié en cuir
Sculptural
Beuys, qui avait obtenu, en 1961, un poste de professeur de sculpture monumentale à I'Académie des beaux-arts de Düsseldorf, assimilait l'ensemble de son travail à la sculpture : c'est le concept de "sculpture sociale" qu'il développe tout au long de son œuvre. "Avec la sculpture, on peut arriver à faire quelque chose. Tout est sculpture ! " disait-il dans son dernier discours. L'œuvre de Beuys en tant que sculpteur est étroitement liée à ses dessins, qui en constituent la source ; c'est de là que s'est développée toute sa démarche artistique : "De mes dessins ont découlé des concepts, une théorie de la sculpture."
La sculpture peut avoir différents sens. Pour Beuys, le dessin sur papier n'était pas à comprendre uniquement comme une œuvre en deux dimensions, il avait un potentiel d'incarnation. Il réalisait ses œuvres avec différentes substances dotées de propriétés ou de symboliques spécifiques : cristallines ou amorphes, froides ou chaudes, rigides ou fluides. Toute oeuvre est sculpture en ce qu'elle inspire la pensée, constitue un point de départ à partir duquel « une discussion sur les rapports de pouvoir peut s'engager >> (Beuys). Cet ensemble de dessins illustre des aspects fondamentaux de sa pensée et nous invite à débattre du lien entre l'art et la vie, de l'abrogation des frontières étroites entre les genres.
Sans titre Non daté [vers 1959/1960]
Deux parties; aquarelle violette et crayon sur plusieurs couches de papier gris-vert,
collage avec papier-calque
Sans titre Non daté
Cinq feuilles de plantes ligneuses, sur les côtés: espèce non indigène de frêne (Fraxinus). au centre de gauche à droite: arbousier (Arbutus unedo) et 2 feuilles indéterminées sur une feuille d'information orange d'une compagnie de gaz, portant l'inscription partiellement cachée par les feuilles de frêne : Gelber Tiger China [Tigre jaune de Chine]
Sans titre Non daté
Feuille, vraisemblablement de laurier des Açores (Laurus azorica), sur fiche cartonnée lignée brunie
Lignes de terre
Le groupe des Dessins de montagnes
- ainsi dénommés par la famille - explore le thème du paysage. Une ligne d'horizon donne une échelle humaine, mais la nature reste vierge de tout signe de population, de plantes, d'arbres ou d'animaux. La structure linéaire tènue suggère un environnement naturel sans l'illustrer précisément. Pour Beuys, l'essentiel était de saisir le paysage comme une totalité et ces dessins sont la transcription de séismes ou de l'énergie qui fait surgir les roches-ils nous font ressentir les convulsions internes de la Terre. Parfois, certaines formes peuvent évoquer des paysages anthropomorphes.
Beuys était plutôt marqué par les plaines du Rhin inférieur, proches de la frontière hollandaise, dont il était natif. Ses dessins au crayon plus tardifs constituent une expérience du paysage fondamentalement différente. Les dessins de montagnes proviennent majoritairement de carnets de croquis. Ils ont pu être esquissés lors de ses voyages, mais il peut aussi s'agir de dessins très personnels évoquant, au-delà de représentations concrètes de paysages, des blocages et des crises personnelles, "les montagnes intérieures de l'être" (Beuys).
Glacier 1950
Gravure sur bois, impression par frottement, encre noire sur papier
Matières végétales
Beuys décelait le principe du changement, de la croissance et de la métamorphose dans la nature, y compris dans les collages de matières végétales pressées, séchées, qui traversent tout son oeuvre. Il réalise les premières œeuvres de ce type dans les années 1940, alors qu'il a renoncé à des études de sciences naturelles pour se consacrer à l'art. Ces œuvres, qui sont bien plus qu'une simple documentation du monde naturel et de la flore, ouvrent une réflexion sur l'essence de la matière naturelle - sur les propriétés curatives, la signification des plantes soigneusement collectées. Ses œuvres rappellent les herbiers artistiques de la Renaissance, qui présentaient et indexaient les végétaux de différentes contrées, se fondant sur les principes de collection et de méthodologie proto scientifiques. Beuys, qui militait pour le développement d'une conscience sociale et écologique portée par la créativité, continue à réaliser des collages de plantes dans les années 1980. Cette activité peut être reliée à certaines de ses actions les plus impor tantes, en particulier celle réalisée pour la Documenta 7 de Cassel, en 1982, au cours de laquelle il inaugura le projet de plantation de 7 000 chênes. Certaines œuvres exposées ici se réfèrent à Difesa della natura (Défense de la nature), un projet au long cours que l'artiste développa dans les Abruzzes en Italie entre les années 1970 et 1980, où il entreprit de planter 7 000 arbres et arbustes en voie de disparition.
Sans titre Non daté
Trois feuilles d'arbre sur un sac en papier gris foncé monté sur carton, à gauche et à droite: feuilles de citron vert kaffir (Citrus hystrix), au centre: orange trifoliée ou orange amère (Poncirus trifoliata)
Sans titre Non daté [1984]
Deux parties; deux pétales de pavot (Papaver rhoeas) sur deux cartons d'invitation imprimés : J. Beuys Difesa della natura, 13 maggio 1984 - Bolognano (Pescara)
Sans titre 1960
Peinture à l'huile et crayon sur papier calque monté sur carton
Lignes du corps
Les dessins de figures humaines témoignent d'une intense préoccupation de Beuys pour l'individu en tant qu'être pensant et communiquant, en relation avec son environnement. Ils montrent des corps en mouvement - denses et vivants - et abordent des dualités comme le lien et l'isolement, la transformation et la permanence, la raison et le jeu, et naturellement, la vie et la mort. Beuys était aussi intéressé par le métabolisme humain, la circulation et la croissance. Avec le corps féminin, il traite de la natalité et de l'allaitement. Beuys utilisait aussi bien le papier-calque, les pages de carnets de croquis ou de blocs-notes, le papier à lettres et le carton épais comme supports. Il employait le crayon et le pinceau pour aquareller ses dessins, ainsi que certaines matières liquides parfois difficiles à identifier. Les qualités matérielles du médium contribuent souvent au contenu expressif des dessins. Dans ces compositions, les lignes recréent la structure et le squelette de l'être humain, les substances aqueuses suggèrent la croissance et le changement.
La Petite Folle
1956
Aquarelle jaune et bleue sur papier-calque monté sur papier ligné, portant inscription Die Kleine Närrin (La petite folle)
La petite figure féminine danse sur la pointe des pieds, une balle à la main et agite les bras en Fair. Les jaunes et les bleus de l'aquarelle se confondent et rappellent la théorie des couleurs de Goethe où le bleu représente la sensualité et la fantaisin et le jeune la raison et intellect. On peut imaginer la jeune fille en train de tourner sur elle-même.
Sans titre [Plantation d'une noix de coco]
Non daté [1980]
Gravure sur bois, impression par frottement, encre noire, crayon et aquarelle verte sur papier
Sans titre
Non daté [vers 1981-1984]
Crayon et aquarelle sur deux pages d'un carnet de croquis superposées ligne de perforation fermée à gauche, le coin supérieur droit de la couche supérieure est manquant
Rencontres animales
Avec "leur capacité instinctive à percevoir l'âme et leur superpouvoir d'orientation" (Beuys), les animaux, reliés aux humains par la perception sensorielle, occupent une place centrale dans l'univers conceptuel de l'artiste. Le travail de Beuys s'est particulièrement concentré sur un petit groupe d'espèces qui lui étaient familières : l'abeille, le cerf, l'élan, l'ours, la chèvre, le mouton, le cygne, l'oie, le canard, le lapin ou le loup. Beuys attribuait un sens symbolique aux protagonistes de son monde artistique, auxquels étaient associées des caractéristiques spécifiques : « L'abeille est industrieuse, le cerf est fier et le lapin apporte les œufs de Pâques. » (Beuys)
Dans ses dessins, Beuys se révèle observateur sensible de ces différentes espèces. Il avait accès à de nombreux ouvrages spécialisés et aux descriptions scientifiques d'animaux, grâce notamment à son beau-père, le zoologiste Hermann Wurmbach. Certains dessins datant de la fin des années 1950 ont été réalisés pour servir de supports pédagogiques à Eva Beuys, au moment où elle commençait une formation d'enseignement de l'art aux enfants.
D'autres sont liés à l'histoire personnelle de la famille Beuys, comme cette tortue tamponnée sur une feuille de Stephania enduite de fard à paupières, que Beuys avait offerte à sa fille Jessyka en souvenir d'un séjour aux Seychelles.
Sans titre 1959
Deux parties; crayon sur papier, deux feuilles reliées par une aiguille, feuille supérieure inscrite au revers: Joseph Beuys für Evchen, 1959; feuille inférieure inscrite au revers: für Evchen 1959 [Pour ma chère Eva 1959]
Zirkulationszeit - Temps de circulation
A plusieurs reprises, Beuys a rassemblé des dessins d'époques, de formats, de thématiques différents pour les mettre en dialogue sous forme d'expositions ou de publications. Ces ensembles constituent des oeuvres transversales, que Beuys considérait comme des outils de connaissance du monde et de lui-même, telle la suite Zirkulationszeit.
Publiée en 1982, elle présente 21 dessins, remontant pour la plupart à ses débuts, et reproduits en gravures à l'eau-forte. Tous ces dessins, sauf un, sont conservés dans la collection de la famille Beuys.
Le Temps de circulation » est un terme économique qui désigne la période pendant laquelle le capital circule sous la forme de marchandise, sans profit financier, avant d'être reconverti en capital. Les dessins représentent principalement des êtres vivants, humains et animaux. L'importance. de la figure du cerf, alter ego animal de l'artiste, témoigne de la dimension personnelle de cette suite. L'enjeu économique est au coeur de la réflexion de Beuys sur la valeur et le rôle de l'art, comme moyen de lutte et de critique du capitalisme.
Coups parallèles Temps de circulation [Coups parallèles]
1965
Stylo plume à l'encre bleue, cachet Hauptstrom [courant principal]
Sans titre [Ours]
Non daté [1950]
Encre noire sur feuille de noisetier (Corylus avellana)
Sans titre [Ange de mer, Concombre de mer]
1948
Aquarelle et crayon sur papier
Sans titre [Ange de mer deux phoques]
Non daté [1948]
Aquarelle et crayon sur papier bruni quadrillé, provenant d'un bloc à spirales
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