mercredi 24 novembre 2021

Georgia O'Keeffe au centre Beaubourg en novembre 2021



J'ai été emballé par certains tableaux, très lumineux de cette artiste, notamment la partie sur le monde végétal. Le circuit de l'exposition est un peu compliqué et je ne suis pas sûr d'avoir respecté l'ordre chronologique de cette rétrospective. Une belle découverte en tout cas :

Georgia O'Keeffe est l'une de ces figures altières et conquérantes qui ont forgé la mythologie américaine. Dès la fin des années 1910, elle est au cœur du premier art moderne aux États-Unis, dont elle contribue à l'émergence, puis à l'affirmation. Sa peinture s'inscrit très tôt dans la tradition du premier paysagisme américain, développant un sentiment fusionnel avec la nature dans la lignée du romantisme. O'Keeffe est la première femme à s'imposer auprès des critiques, des collectionneurs et des musées d'art moderne. Une consécration pour laquelle sa personnalité compte presqu'autant que son œuvre. Après des années d'immersion au sein de l'avant-garde new-yorkaise, il lui faut l'audace des "pionniers" pour s'installer au Nouveau-Mexique et affronter la solitude et la nature sauvage. Au début des années 1950, le "minimalisme" de ses tableaux lui vaut la reconnaissance d'une nouvelle génération d'artistes américains. Face à l'objectif des plus importants photographes de l'époque, elle cultive une image d'amazone, de Calamity Jane moderne, de sage orientale et prend place dans la légende américaine.



La galerie 291

Créée en 1905 par le photographe Alfred Stieglitz, la galerie 291 (en référence au numéro de l'immeuble qui l'accueille sur la Cinquième Avenue de New York) est le premier lieu de diffusion et de pédagogie de l'art moderne aux États-Unis. Après Rodin (en 1908). Matisse (en 1908, puis en 1910), Cézanne (en 1911), Stieglitz organise entre autres les premières expositions américaines de Picasso (1911), Picabia (1913) et Brancusi (1914). Georgia O'Keeffe découvre la galerie en 1908, durant ses études à l'Art Students League de New York. Elle en suivra dès lors les expositions et les publications, notamment la revue Camera Work, qui publie les premières études consacrées aux artistes des avant-gardes européennes. À son amie artiste Anita Pollitzer, O'Keeffe écrit : « Je désire exposer à 291 plus que n'importe où à New York. »Du Texas, où elle enseigne, elle adresse en 1916 à Pollitzer une série de dessins au fusain afin qu'elle les soumette à Stieglitz. Le jour où le photographe les découvre marque le début d'une relation entrée dans la légende. Stieglitz présente la série dans une exposition de groupe dès 1916. De 1923 jusqu'à sa mort, en 1946, il consacrera chaque année une exposition à l'oeuvre d'O'Keeffe. Il dira qu'elle « incarne l'esprit de 291 ».
Charles Demuth
Red Gladioli, 1928
Aquarelle et graphite sur papier.
Whitney Museum of American Art, New York

Pablo Picasso (1881-1973)
Nu debout, Cadaquès, été 1910
Encre de chine
Musée national Picasso Paris. Dation Pablo Picasso

Pablo Picasso (1881-1973)
Nature morte, 1910-1911
Encre, crayon graphite et fusain sur papier Musée national Picasso-Paris Dation Pablo Picasso, 1979. 

Pablo Picasso (1881-1973)
Nature morte: bouteille et verre,
Paris, printemps 1911
Encre sur papier
Musée national Picasso Paris Dation Pablo Picasso, 1979.

Paul Cézanne
Le Four à plâtre, vers 1890-1894
Aquarelle sur tracés au crayon noir sur papier vélin crème, épais, irrégulier sur le bord supérieur Paris, musée d'Orsay, legs du comte Isaac de Camondo, 1911

Auguste Rodin
Femme nue sur le dos de face et les jambes repliées et écartées, s. d.
Crayon au graphite sur papier vélin Musée Rodin, Paris

Nude Series VIII, 1917
Aquarelle sur papier
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of the Burnett Foundation and The Georgia O'Keeffe Foundation

Les nus à l'aquarelle comptent parmi les rares œuvres de Georgia O'Keeffe représentant explicitement la figure humaine. Ces lavis translucides font écho aux dessins d'Auguste Rodin qu'elle a découverts en 1908 à la galerie 291. Lyriques et nébuleux, ses nus sont empreints de l'érotisme des dessins de Rodin ; ils s'en éloignent aussi fondamentalement: O'Keeffe s'est entièrement débarrassée de la ligne pour mettre en oeuvre la libre expression de la couleur pure.

Nude Series IX, 1917
Aquarelle sur papier
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

Black Lines, 1916
Aquarelle sur papier
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

Special No. 9, 1915
Fusain sur papier
The Menil Collection, Houston

Cherchant à rompre avec sa formation académique, Georgia O'Keeffe a puisé « au plus profond d'elle-même » pour développer cette série de fusains qui évoque la croissance et les mouvements de la nature au moyen de formes abstraites. Les Specials combinent l'immédiateté de ses sensations physiques et les idées qui ont nourri sa réflexion - notamment l'enseignement du peintre Arthur Wesley Dow fondé sur les conceptions orientales de l'harmonie et l'expression subjective prônée par Vassily Kandinsky. Impressionné par ces dessins, Alfred Stieglitz les expose à sa galerie 291, lançant la carrière de l'artiste et ancrant son art dans l'avant-garde new-yorkaise.

Alfred Stieglitz
Equivalent, 1933
Épreuve gélatino-argentique The Metropolitan Museum of Art, New York. Alfred Stieglitz Collection, 1949

Marsden Hartley
Painting, Number 5, 1914-1915
Huile sur toile de lin
Whitney Museum of American Art, New York. 

Arthur Dove
Orange Grove in California, by Irving Berlin, 1927
Huile sur panneau Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid

Alfred Stieglitz
Snapshot - In the New York Central Yards, 1903 (tirage de 1907)
Photogravure
The Metropolitan Museum of Art. New York Gift of J. B. Neumann, 1958

Premières oeuvres

Les fusains que Georgia O'Keeffe soumet au jugement d'Alfred Stieglitz en 1916 témoignent de l'ancrage de ses œuvres dans une tradition marquée par le naturalisme et le vitalisme de l'Art nouveau, découvert durant ses premières années de formation à Chicago. En cette fin des années 1910, l'art d'O'Keeffe s'attache tout à la fois à l'érotisme présent dans les aquarelles d'Auguste Rodin et à la synthèse formelle, au mouvement vers l'abstraction dont témoignent les oeuvres d'Arthur Dove, un membre de l'"écurie" Stieglitz. Les aquarelles que réalise O'Keeffe au Texas, où elle enseigne de 1912 à 1914, puis de 1916 à 1918, sont inspirées par les mouvements des étoiles et des astres, et les espaces infinis. Elles renouent avec le sentiment panthéiste et sublime des premiers paysages de l'école américaine du 19 siècle (Frederic Edwin Church, Albert Bierstadt) et avec le « transcendentalisme » des écrits du poète et philosophe Ralph Waldo Emerson.

Series I - No. 4, 1918
Huile sur panneau
Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau, Munich.
Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation, 1995

Series I- No. 3, 1918
Huile sur panneau, Milwaukee Art Museum Gift of Jane Bradley Pettit Foundation and The Georgia O'Keeffe Foundation

Series - No. 8, 1919
Huile sur toile
Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau, Munich Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation, 1995

Dans ses peintures de 1919, Georgia O'Keeffe cherche à créer des équivalents visuels de la musique. Ses recherches synesthésiques rejoignent notamment les préoccupations de Francis Picabia qui avait exposé en 1913 à la galerie 291 une série de tableaux inspirés par la musique. Cette abstraction organique traduit les pulsations harmoniques de vagues sonores résonnant dans l'air. Les couleurs pures et les contours fluides évoquent une mélodie tant intérieure qu'extérieure. Elles portent à son plein épanouissement ce qu'O'Keeffe nomme sa propre tonalité ».
Series I White & Blue Flower Shapes, 1919
Huile sur panneau
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Georgia 0'Keeffe Foundation

Blue Line, 1919
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation and The Georgia O'Keette Foundation

Inside Red Canna, 1919
Huile sur toile
Sylvia Neil and Daniel Fischel Collection

Abstraction. Blind I, 1921
Huile sur toile
Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid

Corn, Dark, No. 1, 1924
Huile sur panneau de fibres de bois
The Metropolitan Museum of Art, New York. Alfred Stieglitz Collection, 1950

Skunk Cabbage, 1922
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe Gift of The Burnett Foundation

Vers l'Abstraction

Fin 1912, dans la revue Camera Work, Georgia O'Keeffe découvre la traduction d'un extrait du livre Du Spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier publié quelques mois plus tôt à Munich par Vassily Kandinsky. Elle en retient qu'il existe deux voies tracées pour l'art moderne : celle de la « Picasso-forme » - voie ouverte par le cubisme, conduisant à une négation du réel au profit de sa métamorphose analytique et plastique et celle issue de la « couleur Matisse »>, à l'héritage de laquelle Kandinsky a associé l'expression de la vie et de l'âme des objets. Par leur biomorphisme, les peintures que produit 0'Keeffe à la fin des années 1910 montrent qu'elle a fait le choix d'un art résolument attaché au monde sensible et à ses ressources symboliques. Interrogée sur le caractère «abstrait » de ses œuvres, O'Keeffe aime à répondre qu'elle est toujours surprise de voir comment les gens séparent l'abstraction du réalisme ».
 « L'abstraction » n'est pour elle qu'un moyen, le fruit d'un éloignement de la source de ses formes, d'une séparation, d'une décantation.

Black Abstraction, 1927
Huile sur toile
The Metropolitan Museum of Art, New York. Alfred Stieglitz Collection, 1969

"J'étais sur une civière dans une grande pièce, deux infirmières au-dessus de moi, sous un immense puits de lumière [qui] commença à tournoyer et à devenir de plus en plus petit dans un espace noir. Alors que le puits de lumière devenait un petit point blanc dans une pièce noire, j'ai levé mon bras gauche au-dessus de ma tête. Quand il commença à retomber et que le point blanc devint très petit, j'étais partie. Quelques semaines plus tard, tout ceci devint la Black Abstraction."
Georgia O'Keeffe, 1927

Ossements et coquillages

La vie, dans son mouvement, ses cycles, est le premier sujet de la peinture de Georgia O'Keeffe. La croissance d'un végétal, l'épanouissement d'une fleur disent autant du vivant que la spirale d'un coquillage mort ou les os blanchis d'un bovin. Au Nouveau Mexique, elle a l'intuition de cette continuité du cycle vital: « Les ossements semblent tailler au cœur de ce que le désert a de profondément vivant ». En 1943, elle peint pour la première fois un os de bassin collecté lors d'une marche dans le désert. S'il ne devient pas la métaphore directe des temps de guerre, le ciel qu'elle entrevoit dans la cavité de l'os brandi à bout de bras devient pour elle « ce Bleu qui sera toujours là comme il est maintenant même après que les hommes en auront fini avec leurs destructions >> : la vie, au-delà de la mort.

Ram's Head, White Hollyhock-Hills (Ram's Head and White Hollyhock, New Mexico), 1935
By Ms rf Lem and Mun Low

Dans le desert du Nouveau Mexique, Georgsa O'Keeffe collecte quantité de cranes, as et bois d'animaux qui lui inspirent une sèrie de tableaux. Leurs formes célèbrent la beauté du désert, des créatures qui l'habitent et témoignent du cycle qui intrique la vie et la mort. Le crane flottant au-dessus des mesas est omné d'une rose blanche qui renvoie aux fleurs artificielles avec lesquelles les Hispaniques décorent les tombes. La vie s'épanouit par-dela In mort, fait d'elle la promesse d'une vie nouvelle.

Clam and Mussel, 1926
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

En 1926, O'Keeffe peint ses premiers coquillages rapportés des plages du Maine. Elle en magnifie les formes parfaites, les luisances délicates. Elle les soumet à l'effet de « zoom » qu'elle vient d'appliquer à ses fleurs, en révèle les plus subtils détails. Elle dit rechercher alors des sujets capables de couper court à l'interprétation freudienne, sexuelle de ses peintures de fleurs. C'était compter sans la charge symbolique des coquillages qui, de la coque de Vénus au symbole de son sexe, se colore d'une charge érotique. Comme le seront les crânes et les os qu'elle peindra bientôt, les coquillages sont la mémoire de la croissance, des métamorphoses du vivant.

Pelvis with the distance, 1943
Huile sur toile
Indianapolis Museum of Art at Newfields. Gift of Anne Marmon Greenleaf in memory of Caroline Marmon Fesler

En pleine guerre mondiale, O'Keeffe se décide à faire des ossements d'animaux qu'elle collecte depuis des années un motif de sa peinture. Elle établit une relation entre ces os et les évènements de l'époque, précisant que l'intérêt qu'elle leur prête réside d'abord dans les « trous dans les os - ce que je voyais au travers [...] Ils étaient tout à fait merveilleux sur le Bleu - ce Bleu qui sera toujours là tel qu'il est maintenant quand toute la destruction humaine aura pris fin. » Recherchant un sens à l'iconographie des os de bassin évidés, l'auteur Julia Kristeva les rapproche d'une maternité, qu'en dépit de son désir, O'Keeffe n'a jamais pu concrétiser.

Pelvis IV, 1944
Huile sur panneau Georgia O'Keeffe Museum. Gift of The Burnett Foundation

L'association d'un os de bassin et de la lune donne à cette peinture d'O'Keeffe une saveur surréaliste. Si elle dément tous liens de son art avec le surréalisme, le mouvement, lui, reconnaît en elle une compagne de route. En 1944, la revue View, organe du surréalisme en exil, reproduit en couverture une de ses peintures d'os de bassin. Hors de tout automatisme (bien que les Specials puissent s'y apparenter) et de tout onirisme (à part peut-être dans Ladder to the Moon, 1958), les affinités d'O'Keeffe avec le surréalisme tiennent plus profondément aux relations qu'entretient son art avec l'héritage du romantisme allemand et à son naturalisme, son mysticisme ».

Abstraction, 1945
Fusain sur papier
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

Stables, 1932
Huile sur toile
Detroit Institute of Arts. Gift of Robert H. Tannahill

Nature Forms – Gaspé, 1932
Huile sur toile
Collection particulière


Ranchos Church No. 1, 1929

Huile sur toile Norton Museum of Ar, West Palm Beach, Floride, Bequest of R.H. Norton

O'Keeffe consacre huit tableaux à la petite église de Ranchos fondée à Taos en 1710, pour elle « l'un des plus beaux bâtiments laissés aux États-Unis par les premiers Espagnols.» Elle choisit de représenter le chevet de l'église, là où la masse d'adobe (briques de terre séchée) semble s'être développée organiquement à partir du sol. Les couleurs ocres qu'elle emploie renforcent cette impression d'un bâtiment émergeant de la terre. Ses formes arrondies semblent être la prolongation de celles des nuages. La fusion de l'édifice avec le site et les éléments qui l'ont façonné evoque la forte identification de la culture amérindienne à la nature, aux forces qui l'animent. Pour O'Keeffe, cette église est la synthèse accomplie entre la spiritualité panthéiste des cultures indiennes qui la fascine et son propre héritage catholique.

Taos Pueblo, 1929/1934
Huile sur toile
The Eiteljorg Museum of American Indians and Western Art, Indianapolis, Indiana

Black Mesa Landscape New Mexico, Out Back of Marie's II, 1930
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

Soft Gray, Alcalde Hill, 1929-1930
Huile sur toile
Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution. Washington, D.C. Gift of Joseph H. Hirshhorn

The Mountain, New Mexico, 1931
Huile sur toile Whitney Museum of American Art, New York. Purchase


Un monde végétal

Alors qu'elle peint des fleurs de façon réaliste depuis 1919, Georgia O'Keeffe réalise, après avoir vu les fleurs de Charles Demuth lors d'une visite à son atelier en 1923, que la seule façon pour elle de continuer à les peindre serait de trouver une approche totalement personnelle et originale. Deux ans plus tard, elle soumet ses fleurs à une vision rapprochée. Ce passage au gros plan s'opère sous l'effet conjoint de l'influence du modèle photographique et d'une attention à sa perception de la ville moderne. S'inspirant de l'usage du blow up» (agrandissement) pratiqué par une nouvelle génération de photographes (Paul Strand, Edward Weston, Ansel Easton Adams), elle recourt à de nouveaux cadrages ». Impressionnée par l'essor et la hauteur vertigineuse des buildings. à New York dans les années 1920, elle déclare à propos de ses fleurs «[...] j'eus l'idée de les agrandir comme d'énormes immeubles en construction. Concédant d'abord que son art traite « essentiellement de sentiments féminins », elle dément bientôt. avec vigueur l'interprétation obsessionnellement « érotique » que la critique livre de ses fleurs.

Bear Lake, New Mexico, 1930
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

Dead Cottonwood Tree, 1943
Huile sur toile
Santa Barbara Museum of Art. Gift of Mrs. Gary Cooper

Dark and Lavender Leaves, 1931
Huile sur toile
Collection of the New Mexico Museum of Art. Gift of the Georgia O'Keeffe Estate, 1993

Dark Tree Trunks, 1946
Huile sur toile
Brooklyn Museum. Bequest of Georgia O'Keeffe

White Birch, 1925
Huile sur toile
Amon Carter Museum of American Art, Fort Worth, Texas. Gift of Ruth Carter Stevenson

Autumn Trees - The Maple, 1924
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation and Gerald and Kathleen Peters

The Chestnut Tree - Grey, 1924
Huile sur toile Myran Kunin Collection of American Art Minnespolia


De New York à Lake George

A partir de 1920, Georgia O'Keeffe et Alfred Stieglitz partagent leur temps entre New York et Lake George, lieu de villégiature de la famille Stieglitz dans l'État de New York. O'Keeffe peint en alternance les mouvements du ciel et de l'eau, des fruits et des feuilles, et les gratte-ciels qu'elle peut contempler depuis les fenêtres du Shelton Hotel à New York, où elle habite désormais avec Stieglitz, après leur mariage en 1924. Ses peintures témoignent de l'intérêt qu'elle porte aux artistes de la galerie 291, au naturalisme d'Arthur Dove ou de John Marin, aux formes rectilignes, aux surfaces unifiées puisées dans le spectacle de l'Amérique industrielle et urbaine. Les granges qu'elle peint à Lake George concilient ses souvenirs d'enfance et les formes cristallines héritées du cubisme chères aux peintres Charles Demuth et Charles Sheeler. Ses buildings réalisés a Manhattan dessinent d'immenses « canyons » sous la voûte étoilée, O'Keeffe demeurant fascinée par le ciel infini et la puissance du cosmos qui l'ont marquée au Texas.


East River from the Shelton (East River No. 1), 1927-1928
Huile sur toile
New Jersey State Museum. Purchased by the Association for the Arts of the New Jersey State Museum
with a gift from Mary Lea Johnson

Ritz Tower, Night, 1928
Huile sur toile Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe

New York Street with Moon, 1925
Huile sur toile
Carmen Thyssen-Bornemisza Collection, on loan at the Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid


My Shanty, Lake George, 1922
Huile sur toile
The Phillips Collection, Washington, E.C. Acquired 1926

Storm Cloud, Lake George, 1923

Huile sur toile

Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

De 1918 à 1934, chaque été, Georgia O'Keeffe et Alfred Stieglitz passent plusieurs mois dans le nord de l'État de New York, sur les rives du lac George. Alternant avec les mois passés au cœur de la métropole new-yorkaise, les séjours estivaux du couple leur permettent de répondre à l'appel de Ralph Waldo Emerson et de Henry David Thoreau à retrouver la solitude et le contact avec la nature. En 1925, elle écrit à Anita Pollitzer: « Ce joli paysage n'est pas pour moi. » Lassée par une verdeur envahissante, une « petitesse » qui finit par l'étouffer, O'Keeffe découvre à la fin des années 1920 l'immensité des paysages du Nouveau-Mexique. Au critique Henry McBride, elle écrit: « Tu sais, je ne me suis jamais pleinement sentie chez moi sur la côte Est comme je m'y sens ici -et finalement je me sens à ma place - je me retrouve enfin. »

Lake George - Autumn, 1922
Huile sur toile
The Jan T. & Marica Vilcek Collection. A Promised Gift to The Vilcek Foundation

Farmhouse Window and Door, October 1929
Huile sur toile
The Museum of Modern Art, New York. Acquired through the Richard D. Brixey Bequest. 1945

En octobre 1929, au retour de son premier séjour au Nouveau Mexique, O'Keeffe peint un tableau dont le  "minimalisme" annonce un art qui se développera quelques décennies plus tard. Couronnant cet exercice de pure géométrie, une série de volutes vient rappeler l'attachement de l'artiste au Modern Style qui a marqué ses années de formation à Chicago. Daniel Catton Rich, conservateur à l'Art Institute de Chicago, a vu dans cette composition austère un autoportrait révélateur de la solitude qu'éprouvait alors l'artiste. Les tonalités sourdes et froides évoquent les photographies que Stieglitz a réalisées du même motif. Contrastant avec les peintures lumineuses, hautement colorées qu'elle rapporte du Nouveau-Mexique, ce tableau dit la mélancolie d'O'Keeffe à l'évocation d'une culture de la Nouvelle-Angleterre marquée par le puritanisme, par ses propres souvenirs, par un monde qui ne satisfait plus aux attentes de son art.

Blue II, 1916
Aquarelle sur papier Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

Red, Yellow and Black Streak, 1924
Huile sur toile
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de la Georgia O'Keeffe Foundation, 1995

From the Lake No. 1, 1924
Huile sur toile
Nathan Emory Coffin Collection of the Des Moines Art Center. Purchased with funds from the Coffin Fine Arts Trust

East River from the Shelton Hotel, 1928
Huile sur toile
The Metropolitan Museum of Art, New York. Alfred Stieglitz Collection. Bequest of Georgia O'Keeffe, 1986

Red and Orange Streak, 1919
Huile sur toile
Philadelphia Museum of Art. Bequest of Georgia O'Keeffe for the Alfred Stieglitz Collection, 1987

Series I-From the Plains, 1919
Huile sur toile Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation
Georgia O'Keeffe commence à peindre à l'huile en 1918. Encouragée par Alfred Stieglitz, elle maîtrise rapidement cette technique et réalise une série de compositions rythmiques et puissamment colorées. Series I-From the Plains et Red and Orange Streak ont été peints à New York en 1919, mais prolongent les sensations éprouvées face aux ciels orageux du Texas observés quelques mois plus tôt. Les formes renvoient à des impressions sonores - ici aux meuglements des vaches séparées de leur veau des cris qui ont longtemps hanté l'artiste. Les arcs dentelés qui traversent la toile traduisent de manière abstraite les résonances de ces appels.

Blue and Green Music, c. 1919-1921
Huile sur toile
The Art Institute of Chicago. Alfred Stieglitz Collection. Gift of Georgia O'Keeffe

Abstraction, 1916, 1979-1980
Bronze laqué blanc,
Georgia O'Koeffe Museum, Santa Fe. Gift of the Burnett Foundation

En 1917 Georgia O'Keeffe adresse à Alfred Stieglitz un étrange objet. Pour certains, la sculpture est une réminiscence du Balzac de Rodin, admiré par la peintre et le photographe, le symbole de leur connivence de goût. L'amie de Georgia, Anita Pollitzer, prête à l'objet une autre signification. Elle y voit : « la gousse d'un truc qui se tient verticalement, comme en érection, et sans assistance. Le genre de machin que je nommerais concombre». Stieglitz interprète à son tour le concombre », le photographiant devant une toile de Georgia qui évoque irrésistiblement le sexe féminin. Ce faisant, il inverse la polarité sexuelle qu'il avait, deux ans plus tôt, mise en scène dans sa célebre photographie de l'urinoir de Duchamp. Ainsi rapprochée de Fontaine, la sculpture de Georgia pouvait annoncer « l'objet-dard » que réalisera Duchamp en 1951.

Jack-in-the-Pulpit No. IV, 1930
Huile sur toile
National Gallery of Art, Washington, D.C. Alfred Stieglitz Collection. Bequest of Georgia O'Keeffe

Si O'Keeffe peint des fleurs depuis ses années de formation, c'est à partir de 1924 qu'elle entreprend d'en changer l'échelle. Sa fréquentation des photographes de la « Straight Photography »> (Strand, Sheeler, Weston) la conduit à adopter leurs cadrages et leurs effets de « blow-up » (comme une loupe appliquée aux motifs). Gonflées d'une sève dionysiaque, les fleurs d'O'Keeffe suscitent des interprétations à caractère sexuel, que l'artiste alimente en peignant une série de Jack-in-the-Pulpit dont les formes renvoient aux organes génitaux. Les fleurs passent insensiblement du réalisme le plus cru à l'abstraction la plus radicale progressant à l'intérieur de la fleur, la transformant en un jeu de lignes et de lumières.
White Iris No. 7, 1957
Huile sur toile
Museo Nacional Thyssen- Bornemizsa, Madrid

Oriental Poppies, 1927
Huile sur toile
Collection of the Frederick R. Weisman Art Museum at the University of Minnesota, Minneapolis.
Museum purchase
Yellow Jonquils No. 3, 1936
Huile sur toile
Kemper Museum of Contemporary Art, Kansas City, Missouri. Bebe and Crosby Kemper Collection. Gift of the Enid and Crosby Kemper Foundation and the R. C. Kemper Charitable Trust
Jimson Weed/White Flower No. 1, 1932
Huile sur toile
Crystal Bridges Museum of American Art, Bentonville, Arkansas
Les fleurs de datura semblent avoir fasciné Georgia O'Keeffe. Elle les cultive dans son jardin d'Abiquiú, les laisse fleurir, jusqu'à ce qu'elle en découvre la toxicité. Cette dualité de la plante. le rôle qui lui revient dans les cérémonies indiennes, conduisent l'artiste à leur accorder un intérêt tout particulier. Inquiétantes et attractives, les daturas résument les sentiments que le Nouveau Mexique inspire à O'Keeffe. C'est en connaissance de cause qu'elle choisit ces fleurs comme sujet du grand panneau décoratif que lui commande Elizabeth Arden pour son salon de beauté new yorkais en 1937. L'alliance de la beauté et du poison comme métaphore du monde du luxe et de la mode ?

The White Calico Flower, 1931
Huile sur toile
Whitney Museum of American Art, New York Purchase

Oak Leaves, Pink and Gray, 1929
Huile sur toile
Collection of the Frederick R. Weisman Art Museum at the University of Minnesota, Minneapolis Museum purchase

Autumn Leaves - Lake George, N.Y.,
1924
Huile sur toile
Columbus Museum of Art, Ohio. Museum Purchase, Howald Fund II

Au fil des années, Georgia O'Keeffe collecte des objets naturels qui constituent un réservoir de formes pour son art. Coquillages, pierres, plumes, feuilles et as deviennent les attributs d'un lieu, les vestiges de leurs souvenirs, Son maître Arthur Wesley Dow appuyait son enseignement sur les principes de la composition par l'étude des feuilles. Le jeu de courbes et de contrecourbes d'Autumn Leaves semble annoncer les papiers découpés des dernières années d'Henri Matisse, artiste avec lequel elle partage naturalisme et goût pour le décoratif. A l'instar des os qu'elle peindra au Nouveau-Mexique, les feuilles, entre vitalité printanière et dégradation automnale, constituent le maillon d'un cycle de la vie, de l'éternel renouveau de la nature qui n'a jamais cessé d'êt le premier sujet de Georgia C'Keeffe

Black Place I, 1944
Huile sur toile
San Francisco Museum of Modern Art. Gift of Charlotte Mack

Black Place III, 1944
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

En 1937, au cours d'un voyage aux Badlands de Bisti, en pays navajo, Georgia O'Keeffe découvre cette longue chaîne de collines, où elle campera plusieurs fois avec son assistante Maria Chabot. Elle nomme ce site sombre et reculé « The Black Place ». Durant quatorze ans, il lui inspirera une multitude d'œuvres, dans lesquelles la crevasse irrégulière divisant les deux collines prendra un aspect de plus en plus abstrait. La forme que l'érosion a donnée aux collines semble mettre la terre à nu, révéler le moment de genèse du paysage lui-même. Black Place devient une « origine du monde : deux jambes ouvertes sur une fissure offerte à tous les désirs, exposée à toutes les violences.

Black Place II, 1945
Huile sur toile
The Vilcek Foundation Collection

Waterfall I, 1952
Huile sur toile
The Baltimore Museum of Art. Edward Joseph Gallagher III Memorial Collection
Waterfall I, 1952
Huile sur toile
The Baltimore Museum of Art. Edward Joseph Gallagher III Memorial Collection

Gray Cross with Blue, 1929
Huile sur toile,
Albuquerque Museum, museum purchase. 1983 & 1985 General Obligation Bonds, Frederick R. Weisman Foundation, Ovenwest Corporation, and The Albuquerque Museum Foundation

Church Steeple, 1930
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

Éduquée dans la foi catholique, Georgia O'Keeffe voit dans la croix un symbole puissant. Elle est le sujet de nomoreuses peintures aux atmosphères les plus variées. Church Steeple, qui montre un clocher et une croix s'élançant vers un ciel bleu vif, est une œuvre lumineuse, qui dégage un sentiment de sérénité et de joie. Les croix de pénitents, peintes à la même période, témoignent d'un sentiment tout autre. Elles dressent au-dessus du désert leurs silhouettes menaçantes, sur le fond d'un ciel crépusculaire. Pour O'Keeffe, elles sont le « fin et sombre voile de l'Église catholique étalé sur le paysage du Nouveau-Mexique. »

Grey Hill Forms, 1936

My Front Yard, Summer, 1941
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

Blue Sky, 1941
Huile sur toile
Worcester Art Museum, Worcester, MA. Gift of Mr. and Mrs. Robert W. Stoddard

Black Hills with Cedar, 1941-1942
Huile sur toile
Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington, D.C. The Joseph H. Hirshhorn Bequest, 1981

Grey Hills, 1941
Huile sur toile
Indianapolis Museum of Art at Newfields. Gift of Mr. and Mrs. James W. Fesler

O'Keeffe a peint les mesas et les montagnes reculées du Nouveau-Mexique, mais jugea longtemps ses premières tentatives infructueuses. Il lui faut passer plusieurs étés à Taos avant de retirer quelque satisfaction d'une série de panoramas du désert. Usant d'une touche large et ample, et éliminant au fil des toiles les traces de coups de pinceau, elle confère un aspect organique aux masses terrestres parcourues de froncements et de plis. Déclivités et flancs des collines arrondies semblent épouser les contours d'un corps. Baignés de lumière, ces paysages paraissent suspendus dans le temps, immobiles et éternels.

Cosmos

L'œuvre de Georgia O'Keeffe des décennies 1950 et 1960 est marquée par un parti pris de simplification, une grande synthèse formelle qui met son art en phase avec les recherches d'une nouvelle génération d'artistes américains, notamment le peintre Ellsworth Kelly. L'abstraction à laquelle elle soumet ses motifs traduit la spiritualité, le sentiment mystique auquel elle les associe. Sa fascination pour une porte ouvrant sur le patio de sa maison d'Abiquiú donne lieu à une variation qui résume ses réflexions sur l'ombre et la lumière, sur les rapports du vide et du plein - principes qui n'ont cessé de nourrir son art. L'"élévation" littérale que lui offrent ses nombreux voyages en avion inspire à O'Keeffe des sujets inédits: lits de rivières, dont le dessin reproduit celui des ramures des arbres, et nuages qui, vus d'en haut, réconcilient le ciel et la terre.

Road to the Ranch, 1964
Huile sur toile
Myron Kunin Collection of American Art, Minneapolis

My Last Door, 1952-1954
Huile sur toile Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation

En 1945, 0'Keeffe fait l'acquisition d'une maison partiellement en ruines à Abiquiú (Nouveau-Mexique). Le patio central la séduit au point de justifier à lui seul cette acquisition. La texture propre à l'adobe, ses proportions équilibrées et son ouverture vers le ciel lui offrent un motif qu'elle devait longuement exploiter. Entre 1946 et 1960, elle produira environ vingt tableaux du patio. Guidée par le désir quasi obsessionnel de saisir l'harmonie de sa structure, O'Keeffe mêle dans ces peintures l'intimité de la maison en terre et l'infinité du ciel. Dans My Last Door, elle place porte noire au centre d'un champ horizontal blanc traversé d'une bande de tuiles qui impriment son rythme à la toile. Baignées de lumière. dépouillées à l'extrême, ces oeuvres annoncent le minimalisme américain des années 1960.

Black Door with Red, 1954
Huile sur toile
Chrysler Museum of Art, Norfolk, Virginie. Bequest of Walter P. Chrysler, Jr.

Sky Above Clouds/Yellow Horizon and Clouds, 1976-1977
Huile sur toile
Georgia O'keeffe Museum, Santa Fe Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

Georgia O'Keeffe a toujours trouvé dans le ciel une source d'inspiration, depuis sa jeunesse jusqu'à sa dernière série inspirée par ses voyages en avion et dépeignant un ciel déroulé sous un lit de nuages. Elle réalise trois Sky Above Clouds en 1963 et un quatrième de plus de sept mètres de long deux années plus tard. A l'âge de 90 ans, devenue presque aveugle, l'artiste peint cette ultime version avec l'aide de ses assistants. Le tableau place le spectateur dans une position aérienne comme pour l'inviter à éprouver cette fusion de l'être dans ce qu'O'Keeffe appelle l'inexpliqué de la nature », en harmonie avec le cosmos. Les ciels qu'elle peint dans les dernières années de sa vie apparaissent comme un ultime hommage à Stieglitz et à ses photographies de nuages du début des années 1920.

Green Yellow and Orange, 1960
Huile sur toile
Brooklyn Museum. Bequest of Georgia O'Keeffe

Pink & Green, 1960
Huile sur toile
Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Burnett Foundation Accession

Certaines des oeuvres tardives les plus novatrices de Georgia O'Keeffe lui ont été inspirées par le spectacle qu'elle découvre derrière les hublots des avions. Dans les années 1950, après la mort d'Alfred Stieglitz survenue en 1946, l'artiste commence à voyager, d'abord en Europe (1953), puis autour du monde (1959). Survolant les déserts du Proche-Orient, elle est émerveillée par les tracés des rivières qui sinuent sur la terre aride. Ces visions aériennes conduiront à des dessins bientôt transposés dans une douzaine de peintures. Comme souvent dans son travail, O'Keeffe s'empare d'un motif puisé dans la nature pour un faire le symbole du cosmos tout entier.

It Was Yellow and Pink I 1959

Patio with Cloud, 1956
Huile sur toile
Milwaukee Art Museum. Gift of Mrs. Edvard R. Wehr

Winter Road I, 1963
Huile sur toile
National Gallery of Art. Washington, D.C. Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

Les motifs de routes succèdent aux rivières dans les oeuvres de Georgia O'Keeffe des années 1960. Saisis obliquement plutôt qu'en vue aérienne, ils traversent la toile en formant un arc linéaire bien marqué. La route enneigée figurée dans cette peinture est visible depuis la fenêtre de son atelier d'Abiquiú. L'angle qu'elle adopte vient d'une photographie qu'elle a prise avec l'appareil incliné. Traversant une vaste surface blanche en aplat, sa courbe évoque les déliés délicats d'une calligraphie japonaise. La pureté minimaliste de la composition confine à l'abstraction. Marquées par les contrastes entre ombre et lumière, ces peintures ont été réalisées alors que la vue d'0'Keeffe commençait à décliner.

Poupée rituelle kachina, population Hopi, Arizona, début du xx siècle
Paul's Kachina, 1931
Huile sur panneau Georgia O'Keeffe Museum, Santa Fe. Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

O'Keeffe s'intéresse également aux poupées en bois sculpté et décoré, qui servent à l'enseignement de la mythologie aux enfants hopis et zuñis. Cette Kachina jaune aux yeux dépareillés lui est offerte par son ami le photographe Paul Strand. C'est l'une des premières qu'elle peint, parmi les dix-sept représentations qu'elle fera de ces poupées jusqu'en 1945. L'art des indiens apparaît comme une source d'inspiration pour les artistes et écrivains américains en quête d'un art émancipé du modèle européen. Au milieu des années 1940, alors que s'impose l'École de New York, le peintre Jackson Pollock s'inspirera directement des formes et des mythologies indiennes.

Untitled (City Night), 1970s
Huile sur toile Georgia O'Keeffe
Museum, Santa Fe Gift of The Georgia O'Keeffe Foundation

In the Patio IX, 1950
Huile sur toile
The Jan T. & Marica Vilcek Collection. A Promised Gift to The Vilcek Foundation

Facsimile de la lettre de Georgia O'Keeffe à Alfred Stieglitz datée du 1er février 1916
Alfred Stieglitz/ Georgia O'Keeffe archive, Yale Collection of American Literature. Beinecke Rare Book and Manuscript Library.

Monsieur Stieglitz,

J'aime ce que vous m'écrivez-Peut-être n'ai-je pas tout compris- mais j'aime ce que j'en comprends-j'aime votre interprétation de mes dessins... Je suis tellement surprise que vous ayez pu les voir-et tellement fière qu'ils aient retenu votre attention-qu'ils vous aient donné du plaisir. Je suis si contente d'avoir pu, ne serait-ce qu'une fois, apporter à la galerie 291 ce qu'elle m'a tant de fois donné... Vous n'imaginez pas comme tout cela me surprend.

Je n'ai fait qu'essayer d'exprimer ce que j'ai au plus profond de moi ... J'ai tant de choses à dire, vous savez-les mots et moi n'avons jamais été bons amis, excepté pour quelques personnes - Je dois le dire d'une façon ou d'une autre - L'année dernière j'étais folle de couleur- mais j'ai détesté penser à la couleur depuis l'automne dernier -j'ai trimé sur mon violon-m'efforçant d'en tirer quelque chose - qu'est-ce que j'aimerais pouvoir vous dire les choses telles que je les ai ressenties... Les dessins ne sont pas importants - c'est la vie - qui seulement importe - Dire les choses ainsi peut être un soulagement... ça peut être intéressant de voir comment les gens y réagissent... Je suis contente qu'ils vous parlent. -Je pense tellement toute seule - travaille toute seule - suis si seule-sauf avec les lettres- que je ne suis pas toujours sûre que je pense correctement-c'est fantastique - J'aime ça- La nature est merveilleuse - et je commence seulement à penser à des choses auxquelles j'aurais dû penser depuis longtemps-le sentiment confus que certaines de mes idées flirtent avec la folie- ajoute à la drôlerie de la chose et la perspective de parler vraiment à nouveau avec un être humain vivant peut-être dans le futur est fantastique ... - Hiberner en Caroline du Sud est une expérience que je recommande à quiconque - L'endroit est tellement insignifiant--sauf pour la nature qu'on a la possibilité de sacrer esprit, son temps, et son attention à tout ce que l'on veut.

Je ne peux pas vous dire à quel point je suis désolée de ne pas pouvoir vous parler-ce à quoi j'ai pu penser m'étonne tellement a été tellement amusant-et parfois même douloureux qu'il serait génial de pouvoir vous le dire.... Certains des champs sont verts-très très verts, incroyablement verts comparés à l'obscurité des pins- et il fait bon-l'air est si chaud et si doux-et si agréable...

Je me demande si le Woolworth building peint par Marin est à nouveau saisi de la fièvre printanière cette année... j'espère que c'est le cas

Sincèrement

Georgia O'Keeffe

J'ai mis ça dans l'enveloppe - je me suis étirée et j'ai ri.

C'est si drôle de pouvoir vous écrire comme je le veux. Je me demande si beaucoup de personnes le font.. Vous voyez - J'entrerais pour vous parler si je pouvais-et je déteste en être empêchée par cette petite chose qu'est l'éloignement.


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