jeudi 25 novembre 2021

Georg Baselitz au centre Pompidou en novembre 2021


À la découverte des avant-gardes

En août 1961, dans le contexte politique tendu de la construction du mur de Berlin, l'étudiant en art à Berlin-Ouest nommé Hans-Georg Kern prend comme pseudonyme « Georg Baselitz », en hommage à son village natal Großbaselitz renommé Deutschbaselitz en 1948 et par la suite situé de l'autre côté de la frontière, en République démocratique d'Allemagne (RDA). Réfutant l'idéologie véhiculée par l'Union soviétique à travers la peinture du réalisme socialiste, il découvre après son passage à l'Ouest, en 1957, l'avant-garde moderne et abstraite qui n'était pas enseignée en RDA, et bientôt l'expressionnisme abstrait américain. Alors que le débat artistique est polarisé entre les défenseurs de l'art abstrait-langage plastique commun aux démocraties incarnant une forme de résilience face au passé national-socialiste - et les peintres figuratifs qui rejettent la doctrine imposée par I'URSS, l'artiste cherche sa voie. Il commence par s'intéresser aux artistes singuliers comme Antonin Artaud, Jean Dubuffet ou les surréalistes et s'imprègne de leurs travaux. L'ouvrage Bildnerei der Geisteskranken [Expressions de la folie] que le psychiatre et historien d'art Hans Prinzhorn consacre en 1922 à sa collection d'œuvres réalisées par des personnes atteintes de troubles mentaux le marque tout particulièrement.


Cet ensemble de tableaux frappe par la violence de ce qui est donné à voir des pieds, ou fragments de pieds dont les blessures et amputations apparaissent comme les traces d'une grande brutalité imposée à la chair La série évoque les souvenirs de guerre d'une part, mais aussi les oeuvres préparatoires réalisés par le peintre Théodore Géricault pour Le Radeau de La Méduse (1818 1819) et les bœufs écorchés peints par Rembrandt et Chaïm Soutine que Baselitz découvre lors de ses voyages à Amsterdam (1960) et à Paris (1981). Par son pouvoir d'evocation, ce motif de corps violentés traduit un état de souffrance universel..

Autoportraits d'un vécu 
En octobre 1961, Baselitz rédige avec son ami Eugen Schönebeck un texte engagé et centré sur la situation post apocalyptique de l'Allemagne en 1945: le Premier manifeste pandémonique. Dans un style littéraire emprunté aussi bien aux poètes et dramaturges Samuel Beckett, Antonin Artaud qu'aux Chants de Maldoror de Lautréamont, ce manifeste engendre une série d'œuvres sombres, dont les titres sont souvent précédés des initiales P.D., en référence à la capitale imaginaire des enfers : le Pandémonium.

À partir de motifs inspirés de la Saxe de son enfance et de ses souvenirs de la guerre, Baselitz imagine un langage plastique alliant pratique informelle et éléments de figuration naïve. Ses motifs outrepassent les limites morales de l'époque jusqu'à créer le scandale lors de sa première exposition à la galerie berlinoise Werner & Katz, en 1963. S'ensuit un procès médiatisé qui donne à Baselitz l'image d'un artiste provocateur qui ne le quittera plus.

G. Antonin, 1962
Huile sur toile de jute /Oil on hessian canvas Collection particulière, courtesy David Zwirner

Le début du travail de l'artiste est placé sous l'étoile du dramaturge et poète Antonin Artaud. À travers la découverte d'une nouvelle poétique, Baselitz vise une nouvelle peinture, plus existentielle et plus ancrée dans les sens que les images issues des  "additions de l'histoire de l'art" ressassées par une abstraction exsangue. Avec Antonin Artaud se trouvent invoquées l'expérience vécue et les créations déviantes- selon les normes communes-d'autres grandes figures atteintes de troubles de natures différentes, tels que les peintres Ernst Josephson, et Vincent van Gogh, mais aussi l'écrivain August Strindberg et le poète Friedrich Hölderlin, ainsi que celles des inconnus décrits par Hans Prinzhorn.

G.- Kopf [Tête - G.], 1960-1961
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière
Pour cet autoportrait dont le titre se réfère à l'initiale de son prénom Georg, Baselitz s'inspire de l'image du cas 13 illustration 56 du texte scientifique publié en 1922 dans le catalogue de la collection de Hans Prinzhorn. Une partie de cette collection avait été présentée dans l'exposition d'« art dégénéré » conçue en 1937 par le régime national-socialiste, destinée à humilier les avant-gardes artistiques. Sur ce fond historique lourd, la tête isolée de tout corps flottant dans un espace renvoie ainsi à la difficulté de peindre des motifs en cette période d'après-guerre.

Hommage à Charles Meryon, 1962-1963
Huile sur toile/Oil on canvas
Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich Prêt du Nittelsbacher Ausgleichsfonds

Baselitz s'attache à rendre hommage à des artistes dont il admire l'œuvre. Ici, l'artiste fait honneur au graveur français Charles Meryon (1821-1868) et s'inspire plus précisément de l'ambiance inquiétante de son dessin Bateau de pêche aux voiles gonflées par mer houleuse (1857, Paris, Musée d'Orsay). Alors que dans l'oeuvre de Meryon, les tons blancs, bleus et gris dominent, Baselitz utilise ici des tons rouges-bruns. Il évoque ainsi le daltonisme de Meryon et transforme le paysage maritime en une scène inquiétante.

Die große Nacht im Eimer [La Grande Nuit foutue], 1962-1963
Huile sur toile/ Oil on canvas Museum Ludwig, Cologne. Don de la collection Ludwig, 1976

Révolté par la découverte des horreurs commises par Adolf Hitler et le régime national-socialiste, Georg Baselitz exprime ici sa colère. Pour créer ce personnage abîmé, il s'inspire de l'anecdote d'une lecture du poète irlandais Brendan Behan (1923-1964) pendant laquelle celui-ci a ouvert son pantalon. La première exposition de cette ceuvre dans une jeune galerie à Berlin-Ouest en octobre 1963 fait scandale et déclenche un procès très médiatisé pour atteinte à la pudeur. Lorsque Baselitz revisitera cette œuvre dans la série Remix en 2005, le personnage prendra plus clairement l'allure du dictateur.

Oberon (1. Orthodoxer Salon 64 - E. Neijsvestnij) [Oberon (1 salon orthodoxe 64 - E. Neïzvestny)], 1963-1964
Huile sur toile/Oil on canvas
Städel Museum, Francfort-sur-le-Main. Entré en 2010 grâce à un don de Dorette Hildebrand-Staab

Dans cet autoportrait hallucinatoire, Baselitz se représente en Obéron, roi des elfes, démultiplié en quatre têtes au regard vitreux et au cou démesurément long. Le sous-titre fait référence à l'exclusion du sculpteur soviétique Ernst Neïzvestny (1925-2016) de l'Union des artistes, ses œuvres ayant été jugées « dégénérées » par Nikita Khrouchtchev. Baselitz souligne ici, comme dans G. -Kopf [Tête-G.], les conséquences néfastes des idéologies sur l'art, et établit un parallèle entre les régimes totalitaires national-socialiste et soviétique. L'artiste déclinera peu après ce motif de manière magistrale dans sa toute première série de vernis mous qui inaugure son œuvre gravé.

Der Haken [Le Crochet], 1962
Hulle sur toile/Oil on canvas Collection Würth

Der nackte Mann [L'Homme nu], 1962
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière 

S-Bild [S-portrait], 1965
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière, Hambourg

3-Des héros déchus
3- Fallen Heroes
Fixe Idee [Idée fixe], 1964-1965
Huile sur toile /Oil on canvas Hall Collection

Dans ce tableau, Baselitz s'inspire librement d'un motif découvert dans
l'ouvrage Expressions de la Folie (1922), que l'historien d'art Hans Prinzhorn consacre à sa collection d'oeuvres réalisées par des personnes atteintes de pathologies psychiatriques. À l'instar du dessinateur anonyme dont les dessins sont analysés par H. Prinzhorn, Baselitz bouscule ici tous les codes. Réalisé pendant le procès très médiatisé pour atteinte à la pudeur dont le jeune artiste est victime, ce tableau témoigne de son choix assumé d'enfreindre les conventions morales Baselitz y mêle ainsi éléments figuratifs et abstraits, dans un style jugé rétrograde par son professeur à l'école des Beaux Arts de Berlin Ouest.

Der Dichter [Le Poète], 1965
Huile sur toile / Oil on canvas Collection particulière, Hambourg
En 1965, lors de son séjour à Florence, Baselitz se prend d'intérêt pour les peintres maniéristes, qui, au 16° siècle, ont délibérément rompu avec l'exactitude des proportions dans la représentation des corps nus afin de provoquer l'émotion. Baselitz s'inspire ici de la Déposition de croix (1521; collection Pinacothèque communale de Volterra) réalisée par le peintre maniériste Rosso Fiorentino (1494-1540), pour représenter l'extase de l'acte sexuel et de la création artistique. Dans cette version hallucinatoire, le poète, en figure christique, tend ses bras et ses organes génitaux, pris au piège du vortex.

Die Peitschenfrau [La Femme au fouet], 1964-1965
Huile sur toile / Oil on canvas
Museum Ludwig, Cologne. Don de la collection Ludwig. 1976

Des héros déchus
En 1965, Georg Baselitz obtient une bourse pour séjourner six mois à la Villa Romana de Florence. Sensible à la démarche volontairement non académique des peintres maniéristes au 16 siècle, c'est pour lui l'occasion d'étudier leurs motifs et la manière dont ils utilisent les distorsions dans leurs compositions. Dès son retour à Berlin, il peint l'œuvre B.j.M.C - Bonjour Monsieur Courbet (1965) qui contribue à la création d'un nouveau corpus d'œuvres intitulé de manière provocatrice Ein neuer Typ [Un nouveau type], plus tard connu sous l'appellation des Helden [Héros]. Baselitz prend ici comme point de départ l'iconographie des représentations romantiques, voire pathétiques, de l'«< homme parfait »>. Cette nouvelle galerie de personnages - partisans, peintres ou poètes - erre dans des campagnes ou forêts dévastées. Avec le tableau-manifeste Die großen Freunde [Les Grands Amis] (1965), l'artiste dit peindre une « parade sociale » où l'individu est toujours seul face à l'Histoire.

Die großen Freunde [Les Grands Amis], 1965
Huile sur toile /Oil on canvas
Museum Ludwig, Cologne. Don de la collection Ludwig. 1994
Ce tableau-manifeste constitue l'aboutissement de la série de peintures réalisées en 1965-1966, environ cinq ans après la construction du mur de Berlin. Intitulée Ein neuer Typ [Un type nouveau], cette série est destinée à créer une nouvelle peinture allemande. Debout dans un champ de ruines, un drapeau rouge rapiécé gisant à leurs pieds, ce couple de survivants blessés incapables de se prendre par la main symbolise la division tragique de l'Allemagne d'après-guerre. Le grand format, qui est celui de la peinture d'histoire, est aussi celui utilisé pour L'Exécution de Maximilien (1868-1869; coll. Kunsthalle Mannheim) peint par Édouard Manet. Le décor est inspiré d'une lithographie d'Henri Rousseau (1844-1910). La Guerre, publiée dans le numéro 2 de la revue L'Ymagier, fondée par Rémy de Gourmont et Alfred Jarry.

Die Hand - Die Hand Gottes [La Main-La main de Dieu], 1964-1965
Huile sur toile /Oil on canvas Städtisches Kunstmuseum Bonn. Prêt permanent de la Stiftung Kunst der Sparkasse Köln/Bonn

Der Baum [L'Arbre], 1966
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière
Der Baum fait partie d'une série de tableaux d'arbres dont les branches coupées giclent de sang. Les attributs qui les accompagnent attestent de la violence humaine et symbolisent à la fois la fin de la guerre et les blessures matérielles et spirituelles qui subsistent. La forme de cet arbre aux branches nues est inspirée d'un tableau que Baselitz découvre à l'adolescence et qui le marque profondément Jagdpause im Wermsdorfer Wald (Halte de chasse dans la forêt de Wermsdorf) (1859; Paris, musée de la Chasse et de la Nature), du peintre saxon Louis-Ferdinand von Rayski (1806-1890). Ce même tableau lui inspirera aussi sa première peinture inversée, Der Wald auf dem Kopf [La Forêt sur la tête), en 1969.

B.j.M.C. - Bonjour Monsieur Courbet,
1965
En 1965, lors de son séjour à la Villa Romana de Florence, Baselitz lit Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de l'artiste et écrivain Giorgio Vasari (1511-1574) et découvre les destins souvent rudes des contemporains de l'auteur, auxquels il s'identifie. De retour à Berlin. il peint ce tableau, s'inspirant du motif du marcheur dans la peinture du 19 siècle. L'auvre évoque aussi bien le tableau La Rencontre (1854; collection Musée Fabre, Montpellier) de Gustave Courbet que Teich im Riesengebinge (Etang dans le Riesengebirgel (1839 cellection Nationalgalerie, Berinj d'Adnan Ludwig Richter, artiste peintre et graveur saxin de la période romantique
Partisan, 1965
Collection Lisa and Sven Tananbaum

Dans le cadre de la série Ein neuer Typ [Un nouveau typel, plus tard connue sous l'appellation de Helden (Héros), Baselitz s'attache à la représentation du partisan, généralement représenté comme fort et invincible dans les régimes totalitaires. Marqué par ses souvenirs d'enfance de soldats blessés et traumatisés au retour de la guerre, à l'instar de son père, l'artiste choisit ici une iconographie volontairement opposée à celle du réalisme socialiste ou du régime nan Le partisan de Baselitz est meurtri, errant et solitaire Les brodequins datés et posés près d'un brasier, il porte à présent une pantoufle, signe du retour dans sa patrie en ruines.

Images fracturées
En 1966, afin de retrouver le calme après le procès qui l'a meurtri, Georg Baselitz déménage avec sa famille à la campagne, à Osthofen, en Rhénanie-Palatinat. Il y réalise une suite de grands tableaux aux motifs ruraux des forestiers, des chiens, des arbres - où les changements de sens de lecture se multiplient. Ces tableaux le mènent vers un nouveau cycle, celui des Frakturbilder [Tableaux fracturés], dont les motifs brisés évoquent des destins tragiques dans une Allemagne divisée. Ce cycle témoigne d'une volonté de casser les conventions de la figuration, en empruntant au principe du cadavre exquis, une méthode développée par les artistes surréalistes au début du 20e siècle. Il annonce le renversement complet des peintures qui deviendra la marque de fabrique de Baselitz.

Waldarbeiter [Ouvriers forestiers], 1969
Fusain et peinture à dispersion sur toile / Charcoal and dispersion paint on canvas The Art Institute of Chicago. Purchased with funds provided by Mrs. Frederic G. Pick, Walter Aitken Fund, 1987.14

En 1966, Baselitz se réfugie à la campagne afin de s'éloigner du scandale médiatique déclenché par le procès lié à sa première exposition à la galerie Werner & Katz. Il peint entre 1966 et 1969 une série de tableaux aux motifs ruraux- ouvriers forestiers, chiens, arbres - parmi lesquels se trouve cette représentation de forestiers. Elle intrigue par ces deux silhouettes mutilées qui flottent à l'horizontale et en hauteur devant un arbre, préfigurant l'inversion complète du motif.

Waldarbeiter [Ouvriers forestiers],
1967-1968
Fusain et peinture à dispersion sur toile / Charcoal and dispersion paint on canvas
The Museum of Modern Art, New York. Gift of Jo Carole and Ronald S. Lauder, Leon Black Donald L. Bryant, Jr.. Thomas W. Weisel, Doris and Donald Fischer, Mimi and Peter Haas and Enid A Haupt Fund, 1999

B für Larry [B pour Larry], 1967
Huile sur toile/Ol on canvas c Collection particulière
Baselitz rend ici hommage à des artistes qu'il admire : il peint cette toile après avoir vu des œuvres des peintres américains Larry Rivers et Jasper Johns. Il réinterprète ici, à l'aide de ses motifs de prédilection, leurs compositions volontairement disloquées et abstraites. On retrouve dans cette image le motif du héros, mais aussi l'arbre et les chiens qui imprègnent ses oeuvres de 1966-1967. Ces diverses composantes du tableau apparaissent simultanément mais de façon fragmentée, certaines changeant de sens, comme si elles peinaient à exister ensemble. C'esti finalement le ciel qui fait office de liant pour tous ces éléments qui semblent en surgir de manière explosive.

Zwei Meißener Waldarbeiter [Deux ouvriers forestiers de Meissen], 1967
Craie de couleur et peinture à dispersion sur toile /
Colored chalk and dispersion paint on canvas Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne

Der Mann am Baum [L'homme contre un arbre], 1969
Huile sur toile /Oil on canvas
Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich Wittelsbacher Ausgleichsfonds, collection François de Bavière

Dans ce tableau, Baselitz procède pour la première fois à un renversement complet du sens de lecture du personnage central. Cette œuvre annonce en cela les portraits renversés que peindra l'artiste à partir de photographies, tout en évoquant des images Saint-Pierre, crucifié la tête en bas. Le jeune homme (on peut penser qu'il s'agit de Baselitz lui-même) semble s'appuyer contre un arbre dont seulement quelques touffes de feuilles verdâtres semblent subsister. Le reste disparaît dans le fond uni du tableau. L'arbre, symbole de la relation entre ciel et terre, mais aussi de la grandeur allemande, se trouve ici presque effacé, en plus d'être renversé.

Erstes Frakturbild - Der neue Typ (Maler im Mantel) [Premier tableau fracturé - Le nouveau type (Peintre en manteau)], 1966
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière, Berlin

En 1966, dans une Allemagne divisée où de nombreuses familles ont été séparées, le peintre débute le cycle des « tableaux fracturés » dans lequel il déconstruit le motif. Ce tableau est parmi les premiers d'une série de grands formats dont les motifs deviennent de plus en plus ruraux et représentent par la suite des ouvriers forestiers, chiens ou arbres. Pendant ces années, été comme hiver, Baselitz porte un manteau qu'il affectionne particulièrement. Contrairement à l'Autoportrait au col de fourrure (1500: coll. Alte Pinakothek, Munich) d'Albrecht Dürer, qui reflète la position d'un peintre confirmé, ce tableau du jeune artiste semble exprimer les doutes auxquels il est alors confronté.

Drei Streifen - Der Maler im Mantel (Zweites Frakturbild) [Trois bandes - Le peintre en manteau (Deuxieme tableau fracturé)], 19`6
Huile sur toile/Dil on canvas Collection particulière, Berlin
Ce tableau est le deuxième de la série des Frakturbilder [Images fracturées), que Baselitz peint lorsqu'il quitte Berlin pour s'installer avec sa famille dans le village d'Osthofen, connu pour avoir abrité le premier camp de concentration dans lequel étaient envoyés les opposants politiques sous le régime nazi. Reprenant la technique du cadavre-exquis, l'artiste fait disparaître la partie médiane du corps du peintre au profit du tronc d'arbre qu'il décale légèrement vers le côté et dont les branches giclent de sang. Cette mise en scène évoque le sentiment de déracinement du personnage. ainsi que les blessures multiples liées à la fin de la guerre et à la division récente de l'Allemagne.

Renverser l'image
Baselitz s'obstine à renouveler la peinture quand les tenants de l'art conceptuel la déclarent morte. À 30 ans, il cherche ainsi le moyen de rompre radicalement avec une représentation fidèle de la réalité : "Pour moi, le problème consistait à ne pas peindre de tableau anecdotique ou descriptif. D'un autre coté, j'ai toujours détesté cet arbitraire nébuleux des théories de la peinture abstraite. Le renversement du motif dans le tableau m'a donné la liberté de me confronter à des problèmes picturaux". Tout en restant à distance du pop art et du réalisme capitaliste, il produit ses premiers tableaux aux motifs renversés d'après photographies en 1969. Présentés dès 1970 à Cologne par le marchand et collectionneur Franz Dahlem, ils créent l'événement. Dès lors, l'artiste qui peinait encore à vivre de son art, va voir les institutions et certains collectionneurs influents s'intéresser à son travail.

Afin d'éviter d'être associé à un même « style » tout au long de sa carrière, il prend la décision et la liberté d'en changer régulièrement. S'il conserve systématiquement le principe du motif renversé, l'artiste varie désormais ses méthodes au gré de la gestuelle, de la composition de l'image et des composants de la peinture. Ces procédés créent des résultats esthétiques volontairement aléatoires, propices à ce que l'artiste appelle des « images nouvelles ».

Fertigbetonwerk [Usine de béton préparé], 1970
Peinture à dispersion et peinture bronze d'aluminium sur toile / Dispersion paint and aluminum bronze paint on canvas Museum Frieder Burda, Baden-Baden

En 1968, avec l'aide de Karl Ströher, un de ses premiers mécènes, Baselitz reçoit une bourse du cercle culturel de la Fédération nationale de l'industrie allemande lui permettant de procéder à de nouvelles recherches picturales qui le mènent à l'inversion du motif. Dès 1970, il peint ce paysage représentant de manière schématique une usine en béton préfabriquée, comme pour l'ériger en exemple pour ces bâtiments impersonnels qui rythment les environs et qui sont à la base de la réussite économique allemande. Peint dans des tons gris, avec seulement quelques légers rappels dans les tons vert et marron, le tableau est structuré par des traits de pinceau esquissant le bâtiment et les alignements de pierres qui se répondent à travers des diagonales, donnant à l'ensemble une ambiance désenchantée.

Industrielandschaft [Paysage industriel], 1970
Peinture à dispersion sur toile / Dispersion paint on canvas Collection particulière


Dreieck zwischen Arm und Rumpf [Triangle entre bras et tronc], 1973
Huile et fusain sur toile /Oil and charcoal on canvas Heidi Horten Collection

Si l'artiste conserve toute sa carrière le principe du motif inversé, il lui tient à cœur de changer régulièrement de style, comme dans ce tableau où il expérimente la peinture au doigt. Dans cet autoportrait, Baselitz met l'accent sur l'espace (le triangle) délimité par son torse et son bras tendu, où semble se dessiner une aile d'oiseau, signe du lien étroit de l'artiste avec la nature. L'aile d'oiseau, l'un des motifs préférés de Baselitz depuis ses premières peintures, devient ici un moyen de symboliser << l'envol >> de la notoriété de l'artiste. Le geste volontaire du bras tendu, poings serrés, souligne sa détermination.

Birke [Bouleau], 1970
Huile sur toile / Oil on canvas Udo und Anette Brandhorst Sammlung

Da. Portrait (Franz Dahlem) [Portrait de Da. (Franz Dahlem)], 1969
Peinture à dispersion sur toile /Dispersion paint on canvas The Metropolitan Museum of Art, New York. Gift of the Baselitz Family, 2020 2020.129.5
Fünfziger Jahre Porträt - M. W. [Portrait des années 1950-M. W.], 1969
Peinture à dispersion sur toile /Dispersion paint on canvas
The Metropolitan Museum of Art, New York.
Gift of the Baselitz Family, 2020
Der werktätige Dresdener - Porträt M.G.B. [Le Travailleur de Dresde Portrait de M.G.B.], 1969


En 1969, Baselitz réalise d'après des photographies la première série de tableaux aux motifs entièrement inversés. Évitant par l'inversion le rapprochement avec le style de la peinture photoréaliste émergeant aux États-Unis et du réalisme socialiste appliqué dans les pays de l'Est, il réussit ainsi un pied de nez vis-à-vis de la scène artistique de l'époque, en démontrant qu'il est possible de conjuguer figuration, abstraction et démarche conceptuelle. Cette série comprend plusieurs portraits, dont celui d'une connaissance de Dresde, puis ceux de ses galeristes Michael Werner et Franz Dahlem. En 1970, ce dernier lui organise l'exposition des premières œuvres inversées (comprenant cet ensemble) à Cologne, créant l'événement.

Fingermalerei - Apfelbäume [Peinture au doigt - Pommiers], 1973
Huile sur toile /Oil on canvas Udo und Anette Brandhorst Sammlung

Wacholderbüsche und Steine [Genévriers et pierres], 1970
Peinture à dispersion sur toile/Dispersion paint on canvas Georg Baselitz Treuhandstiftung

Der Falke [Le Faucon], 1971
Huile et peinture à dispersion sur toile / Oil and dispersion paint on canvas San Francisco Museum of Modern Art, San Francisco The Doris and Donald Fisher Collection at the San Francisco Museum of Modern Art

Fingermalerei - Adler [Peinture au doigt - Aigle], 1972
Huile sur toile / Oil on canvas
Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich Prêt du Wittelsbacher Ausgleichsfonds

Ce tableau fait partie de série des peintures aux doigts (Fingermalerei) qui permet à l'artiste d'expérimenter une nouvelle technique. Baselitz joue ici avec l'ambiguïté induite par l'inversion de la peinture : cet aigle est-il en train de s'envoler ou bien de chuter du ciel? S'agit-il d'un motif inspiré du blason et symbole de l'Allemagne ou bien d'un souvenir de son enfance à la campagne où, au bord d'un étang, Baselitz observait les oiseaux ? Présent dès ses premières peintures, ce motif emblématique revient régulièrement dans l'œuvre de l'artiste.

Entre abstraction et figuration
En 1975, Georg Baselitz entreprend son premier voyage à New York et à São Paulo pour participer à la Biennale d'art contemporain avec l'artiste allemand Sigmar Polke.
Avec sa femme Elke et ses deux fils, il s'installe dans le château de Derneburg, en Basse-Saxe. Il y débute une série de nus de lui-même et d'Elke qui témoignent, dans un style proche de l'expressionnisme abstrait, d'une approche du corps et d'une intimité nouvelles. Le geste, devenu plus libre et énergique, crée des compositions régies par des jeux de clair-obscur, avec une palette de couleurs volontairement plus réduite.

Männlicher schwarzer Akt [Nu masculin noir], 1977
Huile sur toile / Oil on canvas Collection Ealan and Melinda Wingate

Weiblicher Akt - liegend [Nu féminin - allongé], 1977
Huile et tempera sur toile / Oil and tempera on canvas Collection Thaddaeus Ropac, Londres Paris Salzbourg Séoul

Ohne Titel - Weiße Frau
[Sans titre-Femme blanche], 1980
Tempera sur toile / Tempera on canvas
Saint Louis Art Museum, Saint Louis. Funds given by Mrs. Alvin R. Frank, Bruce and Kimberly Olson, and Mr. and Mrs. Thomas K. Langsdorf

Birke - russisches Schulbuch [Bouleau-livre scolaire russe], 1975
Huile sur toile / Oil on canvas
Collection particulière

Au-delà de l'abstraction
Dès 1977, Baselitz réunit une collection d'art africain qui compte aujourd'hui parmi les plus importantes au monde et qui l'a considérablement inspiré pendant la naissance de son travail de sculpteur, ainsi qu'au fil de ses différents motifs. En 1980, pour représenter la RFA à la Biennale de Venise, il expose sa première sculpture Modell für eine Skulptur [Modèle pour une sculpture], seule au centre du hall du pavillon allemand. Inspiré de figures lobi qui lèvent le bras pour tendre la paume de la main vers le ciel, le geste representé, trop proche du salut hitlérien, déclenche un nouveau scandale médiatique. Cette fois cependant, l'inventivité dans la manière de créer un lien entre la sculpture tribale, l'art brut et la sculpture en bois de l'Allemagne médiévale apporte à l'artiste une renommée internationale.

Ses motifs picturaux variant entre des autoportraits et des représentations de corps dans diverses positions (à la plage, buvant) s'inscrivent sur des fonds abstraits dont la palette évoque celle des peintres expressionnistes.

Adieu, 1982
Huile sur toile / Oil on canvas Tate: Purchased 1983
Parallèlement à son travail de sculpteur inspiré notamment par sa collection de figures africaines, Baselitz crée cette composition à partir de deux personnages esquissés qu'il place sur un fond abstrait, évoquant le damier d'un plateau de jeu peint en jaune et blanc. Le mouvement qu'il forme à partir des gestes des deux personnages - l'un nous salue de face et l'autre semble s'en aller - correspond au titre de l'œuvre et ouvre un champ d'interprétations possibles.

Mein Vater blickt aus dem Fenster / [Mon père regardant par la fenêtre I], 1981
Huile et tempera sur toile /Oil and tempera on canvas Collection particulière

Dans la série Mon père regardant par la fenêtre, Baselitz reprend un motif utilisé à plusieurs reprises par le peintre Edvard Munch, simplifiant le personnage et son environnement jusqu'à la caricature. Comme Munch, il en peindra de nombreuses variations, notamment au niveau des contrastes de couleur. La série témoigne de la relation de Baselitz avec son père et de la nostalgie qu'il ressent en pensant à sa famille restée en Saxe et contrainte dans ses mouvements à cause de la guerre froide.

Modell für eine Skulptur [Modèle pour une sculpture], 1979-1980
Bois de tilleul et tempera/Lime wood and Tempera Museum Ludwig, Cologne, prêt de la Peter and Irene Ludwig Stiftung, 1985

En 1980, Baselitz est invité à represénter la République fédérale d'Allemagne à la Biennale de Venise, aux côtés de l'artiste Anselm Kiefer. Inspiré par la sculpture médiévale germanique, ainsi que par les sculptures africaines que l'artiste collectionne depuis 1977, il crée sa première sculpture en bois qu'il décide de présenter seule au milieu de la salle centrale du pavillon allemand. Son titre, Modèle pour une sculpture, souligne son caractère volontairement inachevé. Elle est réalisée à partir de troncs d'arbre, taillés à la hache et au ciseau, et aspergés de peinture rouge et noire. Avec sa couleur jaunâtre du bois, la sculpture réunit les couleurs du drapeau allemand. L'ambiguïté du geste du personnage et ses références iconographiques déclencheront un débat d'idées dans les médias qui apportera à Baselitz une notoriété internationale.

Mein Vater blickt aus dem Fenster IV [Mon père regardant par la fenêtre IV], 1981

Huile et tempera sur toile / Oil and tempera on canvas Collection particulière, courtesy Galerie Michael Werner, Märkisch Wilmersdorf, Cologne et New York

Gebeugter Trinker [Buveur penché], 1982
Huile sur toile / Oil on canvas Collection particulière


Frau am Strand [Femme à la plage], 1981
Huile sur toile / Oil on canvas Marieluise Hessel Collection, Hessel Museum of Art, Center for Curatorial Studies, Bard College, Annandale-on-Hudson, New York

Dès 1980, Baselitz commence à utiliser des motifs inspirés de son quotidien, un prétexte pour expérimenter des nouvelles techniques et compositions d'images. Dans la série des Strandbilder [Tableaux de plage], il s'intéresse aux diverses positions du corps, les inscrivant sur des fonds abstraits avec une palette vive qui évoque celle des peintres expressionnistes, à l'instar d'Emil Nolde.

Die Mädchen von Olmo II [Les Filles d'Olmo II], 1981
Huile sur toile/Oil on canvas Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris

Le tableau Les Filles d'Olmo Il a été inspiré à l'artiste par l'observation de jeunes filles aux vêtements bariolés circulant à vélo autour de la place d'un village italien. Suite à des croquis préparatoires, Baselitz transforme ces silhouettes féminines en des corps charnus, correspondant davantage aux formes des sculptures inspirées par sa collection d'art africain qu'il réalise à la même époque. La vivacité du chromatisme évoque celle utilisée par les peintres expressionnistes allemands, notamment ceux du groupe Brücke.

La poésie du quotidien

Parallèlement à la peinture, Georg Baselitz crée des dessins et gravures à travers lesquels il explore davantage les motifs qui le préoccupent périodiquement. Au début des années 1980, il s'intéresse à la représentation du corps dans des actions volontairement banales, dévoilant ses maladresses. L'artiste expose ainsi sa vision théâtrale et poétique de la vie quotidienne et de la condition humaine.

Orangenesser (KON-GO KON-GO) [Mangeur d'orange (KON-GO KON-GO)], 1981
Linogravure à partir de deux plaques/Linocut from two plates
Collection particulière


Zeitgeist
En 1982, Baselitz crée Le Joueur de tambour (1982) montrant un homme nu tambourinant (ou luttant ?) entre des aplats de couleurs, le noir, le rouge et l'or évoquant le drapeau. allemand. La même année, pour l'exposition « Zeitgeist >> au Martin-Gropius-Bau, alors situé à proximité immédiate du mur de Berlin, Georg Baselitz crée la série Mann im Bett [Homme au lit] (1982). Installées en hauteur lors de leur présentation initiale, ces peintures monumentales semblent flotter dans l'espace telles des fenêtres inaccessibles montrant des individus isolés, menacés et exclus de la société. Les titres et motifs des tableaux correspondent librement avec Plainte (II) (1914), l'un des derniers poèmes du poète expressionniste austro-hongrois Georg Trakl.

Kopf in der Sonne [Tête au soleil], 1982
Huile sur toile / Oil on canvas Collection Zadig et Voltaire, Paris

Mann im Bett [Homme au lit], 1982
Huile sur toile / Oil on canvas Collection particulière, courtesy Skarsted, New York

Der Trommler [Le Joueur de tambour], 1982
Huile sur toile /Oil on canvas
Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich. Acquis avec le soutien de PIN Freunde der Pinakothek der Moderne für die Sammlung Moderne Kunst 1993

Ohne Titel [Sans titre], 1982-1983
Bois de tilleul et peinture à l'huile /Lime wood and oil painting Tate: Acquired by purchase and gift from Hartmut and Silvia Ackermeier, Berlin 1993

À partir de 1982, Baselitz crée un nouvel ensemble de sculptures sur bois à partir de troncs d'arbres. Cette sculpture monumentale à l'aspect brut est travaillée au burin et au ciseau à partir d'un tronc de tilleul, puis peinte à l'huile. Baselitz laisse apparentes les traces de son processus de création. Inspiré par sa collection d'art africain, mais aussi par la sculpture gothique germanique, Baselitz joue encore une fois sur l'ambiguïté du geste du bras, comme auparavant avec Modell für eine Skulptur [Modèle pour une sculpture].

Adler im Fenster [Aigle dans la fenêtre], 1982
Huile sur toile/Oil on canvas
The Metropolitan Museum of Art, New York. Gift of The Jerry and Emily Spiegel Family Foundation, 2007

Franz im Bett [Franz au lit], 1982
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière, courtesy Skarstedt, New York

Weg vom Fenster [S'éloigner de la fenêtre], 1982
Huile et tempera sur toile / Oil and Tempera on Canvas Fondation Beyeler, Riehen/Basel. Beyeler Collection

L'espace des souvenirs
En novembre 1989, alors que le mur de Berlin vient de tomber, Baselitz plonge dans ses souvenirs d'enfance, ceux de la ville de Dresde détruite après les bombardements de 1945, qu'il découvre à l'âge de sept ans. Pendant l'année 1990, il poursuit ce travail de mémoire en rendant hommage aux Trümmerfrauen, ces femmes qui ont déblayé les villes pierre par pierre et activement participé à leur reconstruction, avec la série de sculptures intitulée Dresdner Frauen [Femmes de Dresde] (1990).

Entre 1991 et 1995, l'artiste cherche à traduire son ressenti et crée un ensemble de 39 tableaux monumentaux, Bildübereins [Tableau-sur-un-autre]. Il y superpose des têtes, bustes ou corps de facture toujours plus abstraite, parfois réduits à des tâches de couleurs, à des grilles de motifs abstraits - que l'artiste appelle des « ornements ». Ces grands formats nécessitent un travail au sol, pratique que l'artiste utilise encore aujourd'hui.

Dresdner Frauen - Besuch aus Prag [Femmes de Dresde - Visite de Prague], 1990
Bois de frêne et tempera / Ash wood and tempera Collection Fielding Mellish, courtesy Holtermann Fine Art, Londres

En octobre 1989, la République démocratique allemande fête son 40" anniversaire dans une atmosphère de soulèvements populaires qui aboutissent à la chute du mur de Berlin en novembre. En octobre 1990. l'Allemagne est officiellement réunifiée. Pendant cette année particulière, Baselitz revient à ce moment sur ses souvenirs d'enfance, qui lui inspirent la série de sculptures Les Femmes de Dresde. Marqué par les images des ruines de la ville de Dresde qu'il a traversée en février 1945 peu après les bombardements, l'artiste rend ici hommage aux femmes qui, à la fin de la guerre, étaient réquisitionnées pour aider à reconstruire les villes démalies et qui sont appelées les « Trümmerfrauen» [Femmes des ruines]

Bildsechsundzwanzig [Tableau-vingt-six], 1994
Huile sur toile / Oil on canvas Collection particulière

Bildzwölf [Tableau-douze], 1992
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière

Bildacht [Tableau-huit], 1991
Huile sur toile/Oil on canvas Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich. Michael & Eleonore Stoffel Stiftung

Ralf 1969, 2018
A. Schönberg, 2018
Henri Rousseau, 2018
Mine graphite et encre de Chine sur papier /Graphite and India ink on paper Skarstedt, New York

L'année de son 80° anniversaire est l'occasion pour Georg Baselitz de rendre hommage aux artistes auxquels il voue une admiration
particulière, en réalisant une série de peintures et dessins d'après
leurs autoportrait intitulées Devotion [Dévouement].

E. L. K., 2018
Mine graphite et encre de Chine sur papier / Graphite and India ink on 

Franz Marc, 2018
Sch. R. und seine Frau [Sch. R. et sa femme], 2018
F. P., 2018
Erich Heckel, 2018 
Mine graphite et encre de Chine sur papier /Graphite and India ink on paper Courtesy Gagosian
Collection particulière

Marcel Duchamp 2001

Remix
Baselitz poursuit son travail sur la mémoire qui le mène à matérialiser des réflexions sur les idéologies dans l'art, qu'elles soient propres à l'art, comme chez Marcel Duchamp (Marcel Duchamp, 2001), ou véhiculées par l'art, dans le cas de Frida Kahlo (Die Ideologie, die Jungfrau [L'idéologie, la vierge], 2001).

À partir de 2005, l'artiste réinterprète ses propres œuvres avec le cycle Remix. Il y reprend des compositions en changeant de rythme ou en y introduisant des références nouvelles, souvent provocatrices.

Moderner Maler (Remix) [Peintre moderne (Remix)], 2007
Huile sur toile/Oil on canvas Collection particulière

Ce tableau est un « remix » de l'œuvre Peintre moderne, créée en 1966, dans laquelle un soldat à l'uniforme racommodé s'accroupissait sur le sol, le bout des doigts s'enfonçant dans des pièges posés sur de la terre noire. Dans cette image « nouvelle », le personnage central est peint avec des couleurs pastel sur un fond uni blanc et sa position est identique. Il 'est plus attrapé par des pièges au sol mais cerné par des traces rouges évoquant des giclures de sang.

Anxiety I (Korzhev) [Anxiété I (Korzhev)], 1999
Huile et fusain sur toile / Oil and charcoal on canvas Collection particulière

Dans sa série Russenbilder [Tableaux russes] (1998-2005), Baselitz revisite des images de propagande diffusée par la République démocratique allemande, après avoir découvert les dossiers le concernant établis par la Stasi. Ici, il s'intéresse à une composition du peintre Gely Korzhev (1925-2012), communiste convaincu, associé au néo-réalisme socialiste et membre de l'« École sévère ». Dans son œeuvre emblématique intitulée Angoisse (1965), Korzhev expose le contraste entre les sentiments d'un père militaire qui a vécu la guerre et ceux de sa jeune fille au regard plein d'espoir. Baselitz reprend ce motif en le renversant à 90 degrés et le fait flotter sur un fond blanc entouré de deux grandes taches rouges.


Des Tableaux russes à Remix
Choqué par la découverte des dossiers le concernant établis par la Stasi en RDA, Baselitz écrit en mars 1997 le texte Wir besuchen den Rhein [Nous visitons le Rhin]. Il y évoque la façon dont cette expérience influence son état d'esprit comme son travail. À partir de 1998 et jusqu'à 2005, il revisite les souvenirs de sa jeunesse est-allemande et l'imagerie de propagande diffusée en RDA dans un cycle intitulé Russenbilder [Tableaux russes].

En 2006, Georg Baselitz et sa femme vendent le château de Derneburg et emménagent sur les rives de l'Ammersee, en Bavière. Cette nouvelle étape inspire à l'artiste un travail d'introspection sur ses sources d'influences et ses propres tableaux qui donne naissance au cycle Remix - selon le terme utilisé en musique. Baselitz joue avec les compositions. existantes, y ajoute des références nouvelles et rend hommage à des artistes qu'il vénère, tel Otto Dix (1891-1969).

Pauls Hund (Remix) [Le Chien de Paul (Remix)], 2008
Huile sur toile / Oil on canvas
Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Munich. Acquis avec le soutien de PIN. Freunde der Pinakothek der Moderne für die Sammlung Moderne Kunst, 2013

Au sein du cycle Remix, certaines oeuvres introduisent dans leur composition des références nouvelles, parfois provocatrices. C'est le cas ici: déjà amorcé par un jeu de lignes dans l'œuvre Das Motiv: Pauls Stuhl [Le motif: la chaise de Paul] (1988) inspiré du tableau La Chaise de Paul Gauguin (collection Van Gogh Museum, Amsterdam) que Vincent van Gogh peint en 1888, un svastika émerge désormais des lignes prolongées de la chaise. Baselitz joue ici sur l'ambiguité des symboles : Le svastika étant utilisé par de nombreuses cultures ancestrales pour sa symbolique de puissance et de paix, il a été modifié par les nazis qui l'ont tourné à 45 degrés vers la droite pour créer leur emblème. C'est en ce sens que Baselitz fait également un clin d'œil à son compatriote, l'artiste Martin Kippenberger, dont le tableau Ich kann beim besten Willen kein Hakenkreuz entdecken [Je ne peux pas découvrir de croix gammée avec la meilleure volonté du monde] (1984) jouait avec l'ambiguité d'une croix gammée cachée dans une composition abstraite.

Olmo-Mädchen (Remix) [Filles d'Olmo (Remix)], 2006
Huile sur toile / Oil on canvas Lah Contemporary, courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, Londres Paris Salzbourg • Séoul

Cette œuvre est une réinterprétation du tableau Die Mädchen von Olmo II [Les Filles d'Olmo II] (1981), inspiré d'une scène observée en Italie pendant laquelle de jeunes filles à vélo tournent sur une place de village. Le tableau originel est peint dans une palette vive rappelant celle de l'expressionnisme allemand. Ici, le dessin des personnages et du sol en noir sur fond blanc et avec un ciel jaune délavé contraste avec les couleurs vives dans la première version du tableau. Comme sur les croquis réalisés par l'artiste en 1981 et contrairement au tableau initial, les filles ont dans cette nouvelle version des cheveux longs et des silhouettes fines. L'artiste leur attribue même des talons, soulignant l'aspect caricatural de la scène.

Modell war ein Roter (Remix) [Le modèle était un rouge (Remix)], 2008
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière

Elkeporträt [Portrait d'Elke], 2010
Huile sur toile / Oil on canvas Collection particulière

Suite au travail d'introspection sur ses sources d'influences et autour de ses propres tableaux, amorcé avec le cycle Remix, Baselitz revisite ici le premier portrait peint de sa femme en 1969 qui apparaît comme en négatif. Appliquée avec une gestuelle rapide, la peinture avec laquelle il travaille, fluide et visuellement proche de l'aquarelle, marque une différence notable par rapport à l'œuvre originale. L'image, toute en jeu de transparence, semble comme brouillée, altérée par le temps qui passe.

In der Tasse gelesen, das heitere Gelb [Lu dans la tasse, le jaune enjoué], 2010
Huile sur toile/ Oil on canvas Collection particulière, Hong Kong

Plongé dans ses souvenirs et dans la réinterprétation de ses anciens tableaux, Baselitz reprend ici le premier double autoportrait qu'il peint de lui et sa femme en 1975, intitulé Schlafzimmer [Chambre à coucher]. Alors que le tableau de 1975 représentait le couple nu, assis dans une posture souple, dans des couleurs pures et vives, ici, les deux amants semblent vieillis et fatigués. Sur un fond blanc, peints dans des couleurs froides très diluées, ces deux personnages âgés - cette fois entièrement vêtus évoquent aussi le portrait peint par Otto Dix de ses propres parents (Les Parents de l'artiste, 1924), assis sur un canapé, le regard fixe, les mains sagement posées sur les genoux.

Irgendwann vergessen - Sandteichdamm [Oublié un jour - Digue du Sandteich], 2009
Huile sur toile / Oil on canvas
Mumok -Museum moderner Kunst Stiftung Ludwig, Vienne. Don de la Galerie Thaddaeus Ropac, 2010.

L'un des motifs de prédilection de l'artiste est la vue de l'étang près du village de Deutschbaselitz où il a grandi et au bord duquel il a commencé à peindre en 1955. En 2009, l'artiste crée une nouvelle variation de ce motif à partir d'une palette réduite en noir et blanc grâce à laquelle l'aspect général devient plus contrasté et graphique, proche d'anciennes photographies. Ce tableau, très différent du modèle initial, fait ressurgir avec force le souvenir si cher, mais aussi de plus en plus abstrait et effacé, de ce lieu emblématique de son enfance.


Ce qui reste
À partir de 2014, l'artiste crée un cycle d'œuvres dont les motifs suggèrent son vieux corps fragile avec une matière qui exhale le plaisir de peindre. Ce motif de silhouette évanescente, qui obsède l'artiste ces dernières années, lui a été inspiré par un rêve. Baselitz se souvient « d'une peau, [la sienne], qui était déchirée par le milieu, fendue en deux » et dont le caractère anatomique reflète à ses yeux son état physique. Que ce soit par l'autoportrait ou le double-portrait avec sa femme Elke, ce motif sera ensuite abondamment décliné sur des très grands formats à l'aide de matrices dont les empreintes sont appliquées sur des fonds unis, évoquant les compositions verticales du peintre Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553). Les peintures sont retravaillées avec un vaporisateur créant des effets de voiles, faisant disparaître le corps progressivement dans l'obscurité.

Gold drauf und drunter [Or par-dessus et par-dessous], 2019
Huile et vernis doré sur toile / Oil and gold varnish on canvas
Collection particulière

Cette œuvre fait partie de la série de tableaux présentée dans le cadre de l'exposition « Time » à la galerie Thaddaeus Ropac à Pantin, en 2019-2020. Ici, fonds et les contours des corps vieillissants sont travaillés avec le vernis doré, matière lumineuse et vibrante. Comme l'indique le titre du tableau, Baselitz joue de la superposition du noir et du doré. Les empreintes des corps semblent ainsi disparaître dans les profondeurs de l'obscurité.

Springtime of the Black Mountain lake [Printemps au lac de Black Mountain], 2020
Huile sur toile, colle à dispersion et bas nylon sur toile / Oil on canvas, dispersion glue and nylon stockings Courtesy Gagosian

Baselitz ne cesse de chercher de nouvelles techniques pour renouveler sa peinture. Dans cette œeuvre récente, il utilise pour la première fois la technique du collage, en intégrant dans la peinture à l'huile des bas de nylon. Les tons gris et beiges, présents à travers les différentes matières de la peinture et du nylon, évoquent ici la vieillesse, mais également certains collages dadaïstes de l'artiste Hannah Höch (1889-1978).

Winterschlaf [Hibernation], 2014
Huile sur toile 

Depuis 2011, Georg Baselitz crée des bronzes à la patine d'un noir charbonneux dont les matrices ont été taillées à vif dans le bois. Winterschlaf prend pour motif un fagot de bois, non sans évoquer la nostalgie émanant de la sculpture de Joseph Beuys intitulée Schneefall [Chute de neige] (1965; coll. Kunstmuseum Basel, Bâle), composée de branches de bouleau partiellement recouvertes d'une couverture, ou encore de l'œuvre Das Eismeer [Mer de glace] (1823-1824; coll. Hamburger Kunsthalle, Hambourg) peinte par Caspar David Friedrich, dont le titre (erroné) jusqu'en 1965 était Die gescheiterte Hoffnung [L'espoir déçu].

Ach, rosa, ach rosa [Ah, rose, ah rose], 2015
Huile sur toile / Oil on canvas
 Collection particulière, France

Wagon-lit mit Eisenbett [Wagon-lit au lit en fer], 2019
Huile sur toile / Oil on canvas
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Don de l'artiste. 2021

Depuis la série des autoportraits créés en 2014 et intitulés Avignon (en référence à l'œuvre tardif vivement critiqué de Picasso), de nombreux tableaux aux silhouettes évanescentes suggèrent le vieux corps fragile de l'artiste ou celui de sa femme. Dans Wagon-lit au lit en fer réalisé après un séjour à l'hôpital de sa femme Elke, l'artiste confronte le corps de son épouse aux lignes dures et géométrisées d'un lit d'hôpital. Pour ce monotype à l'huile, l'artiste utilise une matrice reprenant les formes de sa silhouette, et joue avec le contraste des couleurs évoquant une image radiographique. Tel un souvenir imprimé sur la toile, la peinture traduit une image mentale de l'artiste.

Schatten ist nicht drin [Dedans il n'y a pas d'ombre], 2019
Huile et vernis doré sur toile / Oil and gold varnish on canvas Collection particulière

Sandteichapotheke I [Pharmacie du Sandteich I], 2018
Huile sur toile /Oil on canvas Collection particulière

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