dimanche 14 novembre 2021

Cave Canem, une exposition du château-musée de Fontainebleau en novembre 2021

Plus encore que son arrière grand-père Louis XIV, Louis XV est un roi passionné de chasse. Il courre le cerf cinq fois par semaine dans les forêts du royaume, crée de nouveaux équipages pour le daim ou le chevreuil, agrandit le chenil de Versailles et en crée un nouveau pour les jeunes chiens de ses meutes. On compte sous son règne pas moins de onze meutes différentes. Si la vènerie demeure le plaisir favori, la chasse à tir, qui se développe à la faveur du perfectionnement des armes à feu, gagne en popularité. Elle se pratique dans un cercle plus intime, avec une trentaine d'invités à qui le roi fait « porter les fusils » la veille de la chasse. Le souverain chasse en compagnie des chiens, braques ou épagneuls le plus souvent, dotés d'un flair hors pair pour débusquer et rapporter le gibier à plume. Il entretient avec eux une forte complicité.

Ces chiens sont dits «couchants » et, contrairement aux chiens de meute, «courants», ils ne vivent pas au chenil mais élisent résidence au château. En témoignent les commandes de précieuses niches, de coussins, de tabourets installés à Versailles, Marly, Compiègne ou Fontainebleau dans des cabinets de chiens. A Fontainebleau, jusque dans le salon du conseil, les chiens tiennent compagnie au roi alors qu'il exerce son gouvernement. Le roi nourrit aussi lui-même ses bêtes favorites, comme le rapportent les mémorialistes de l'époque, Saint-Simon, le marquis d'Argenson ou le duc de Luynes, avec des petits biscuits secs parfumés au citron et à la fleur d'oranger, les gimblettes et biscotins. Il commande également à ses peintres les portraits de ses chiens favoris.

POLYDORE 1728
Chien courant de type foxhound Huile sur toile

Chien de chasse, employé pour le courre du cerf, Polydore porte sur son pelage, la marque de la vènerie royale, un triangle pointe en bas centré d'une croix. Il occupe presque la totalité de la toile et se dresse fièrement devant le spectateur. Jean-Baptiste Oudry représente avec une très grande précision la morphologie du chien courant, dont les quali tés premières doivent être la puissance et la rapidité. Sous la peau très fine du chien, Oudry souligne chacun des ten dons des pattes. Il représente même sur l'avant-bras de l'ani mal la veine céphalique bleutée, détail qui montre sa force et son impétuosité dans l'effort. Son regard est néanmoins très doux, illuminé par la belle tache blanche qui se détache sur la pupille ambrée. Louis XV vouait une affection particulière à Polydore.


LISE 1725
Chien blanc du Roy
Huile sur toile

Le « chien blanc du Roy » est employé en France dans les meutes royales depuis le règne de Louis XII. Selon la théorie des humeurs développée dans l'Antiquité par Hippocrate, les animaux blancs ont un tempérament considéré comme calme et flegmatique. On préférait bien souvent les chiens au morphe sombre, réputés plus sanguins et énergiques. Les chiens blancs du Roy constituent ainsi une exception. En effet, contrairement aux autres, ils pouvaient « garder le change », c'est à dire se concentrer sur une seule proie, en demeurant indifférents aux clameurs des autres bêtes. Ils étaient ainsi plutôt utilisés pour la chasse à courre en grand équipage. Lise est ici représentée sur le point de lever deux perdrix tapies dans les herbages. Les détails osseux du genou, les mamelles rosées, la tension des pattes montrent l'animal concentré sur ses proies. La queue est également bien tendue, en action. Elle est d'ailleurs taillée, pratique qui avait pour but d'éviter que les chiens ne s'accrochent dans les ronces lorsqu'ils chassent mais qui a également un objectif esthétique.

GREDINET, PETITE-FILLE ET CHARLOTTE
1727
Gredinet et Charlotte : épagneuls gredin
Petite-Fille: épagneul français
Huile sur toile

Trois épagneuls folâtrent dans la nature, pourchassent une perdrix et jouent avec un papillon. Ce tableau témoigne du caractère facétieux des portraits de chiens d'Oudry. On le retrouve en effet dans plusieurs tableaux du peintre. Les ébattements de ces petits chiens dans les parcs des châteaux amusaient beaucoup la cour. Les épagneuls étaient très populaires sous le règne de Louis XV et le « gredin » noir au poil soyeux était réputé pour manquer un peu de docilité. Louis XV, toujours attentif à la santé de ses compagnons à quatre pattes écrit en 1729 au comte de Toulouse, à propos de l'un de ces chiens : « mon petit Gredinet est boiteux d'une course qu'il fit hier après des perdrix, des lièvres, lapins et chevreuils dans le parc de la Muette ». Peintre de chiens mais aussi peintre de paysages, Oudry livre égale ment sur ce tableau une superbe étude d'épis de seigle et de coquelicots dans lesquels tente désespérément de se sauver une petite perdrix.

CADET ET HERMINE 1732 ?
Deux épagneuls gredin
Huile sur toile

Cadet et Hermine sont deux épagneuls du type « gredin », une race très appréciée à la cour de Louis XV. On les reconnaît à leur poil noir long, aux taches blanches qu'ils portent sur le ventre et à leurs longues oreilles. Le tableau montre les deux chiens en arrêt, à l'orée d'une forêt aux frondaisons lumineuses, devant un élégant faisan de Colchide qu'ils sont sur le point de lever. Réduite en hauteur de quarante-cinq centimètres et en largeur de trente, l'oeuvre a quelque peu perdu de la grande perspective paysagère qui s'ouvrait derrière les chiens. Son remarquable état de conservation permet néanmoins d'apprécier la technique picturale hors pair de l'artiste. Dans ses conférences à l'Académie Royale, Oudry expose à ses élèves sa méthode précise pour peindre l'animal, depuis l'ébauche jusqu'à la retouche et au vernis.

Installé à partir de 1733 dans le cabinet du Jeu au château de Compiègne, le tableau disparaît durant la Révolution française et ne réapparaît qu'au milieu du XIXe siècle, dans les collections de Jean-René Maurice de Kerret, officier dessinateur pour la Marine, qui l'installe dans les lambris de la salle à manger de son château de Quillien dans le Finistère. Par descendance, traversant les générations, Cadet et Hermine passe ensuite entre les mains des Moustier et finalement du comte Robert de Moustier, amoureux du XVIII ècle français. A l'automne 2020, alors que s'ouvre la saison des chasses, le tableau rejoint le château de Fontainebleau, la « vraie demeure des rois » mais définitivement aussi, « la vraie demeure des chiens ».

Probablement peint à la fin de la série avec Perle et Ponne (qui n'est pas présenté ici), Cadet et Hermine est un portrait de chiens qui fait la part belle au faisan. Dans sa conférence donnée à l'Académie royale de peinture, Oudry dissocie la technique du peintre pour représenter les bêtes à poil et celle des bêtes à plumes. Pour ces dernières en effet, il faut rendre le caractère lisse du plumage. La peinture doit être plus chargée en liant pour ne pas être pâteuse, les passages d'une couleur à l'autre doivent être faits avec dextérité, à l'aide de petits glacis offrant à la peinture par endroits une grande transparence. Le coloris est en effet virtuose, il n'y a qu'à regarder de plus près la tête du faisan avec sa crête mélant le vert, le bleu et l'orange, qui se fondent délicate ment dans le blanc ou le cerne de rouge qui entoure l'oeil vif du volatile. Quant aux deux gredins qui l'entourent, le poil soyeux et touffu est peint avec une matière plus épaisse et sur laquelle de nombreux coups de pinceaux viennent encore donner du relief au pelage.

MIGNONNE ET SYLVIE
1728
Mignonne: levrette italienne / Sylvie : levrette whippet
Huile sur toile

Sur ce double portrait, l'artiste joue d'un élégant effet de contraste pour mettre en scène les deux chiennes. Mignonne avec son pelage noir se détache sur le fond clair du paysage tandis que le pelage fauve de Sylvie crée de la lumière sur les ombres des arbres. Sylvie s'élance dans un «galop volant ». Cette technique utilisée par les artistes pour représenter le cheval dans sa course, les membres tendus vers l'avant, presqu'entièrement détachés du sol est adaptée ici au lévrier, chien longiligne, gracile aux longues pattes musclées. Le thorax de Sylvie habilement modelé attire l'oeil, grâce aux petits poils d'un blanc brillant qui l'entourent. Jean-Baptiste Oudry donne par ailleurs à chacune des chiennes une expression bien particulière. Malicieuse, la bondissante Sylvie esquisserait presqu'un sourire. Mignonne quant à elle est fermement campée sur le sol et semble plus impérieuse. Ses pattes sont décrites avec une virtuosité remarquable. Le peintre, exceptionnel observateur de la nature, a représenté les petits os très fins de la main de la chienne et les phalanges arquées aux petites touches rosées.

MISSE ET TURLU
1725 Deux levrettes greyhound
Huile sur toile Inv. 7022

Misse et Turlu est le premier tableau de la série des chiens du Roi. Il est peint en présence de Louis XV lui-même, avant d'être présenté au château de Versailles. Les lévriers sont parmi les chiens les plus racés et aristocratiques. Chiens de la chambre, placés sous la direction du « capi taine des levrettes de la chambre », ils sont installés dans de précieuses niches, sont toilettés et portent des colliers précieux. La mise en scène soignée évoque le portrait de société: terrasse dominant le paysage, grand vase en por phyre cannelé et beau rosier en fleurs placé entre les deux chiennes. Les poses sont étudiées, que l'on s'attache la queue de Misse qui épouse les cannelures du vase ou aux pattes finement déliées et croisées de Turlu. Observateur hors pair du monde animal mais aussi grand technicien de la peinture, Oudry démontre sur ce tableau sa virtuosité de coloriste. Sur les pelages au poil ras des deux chiennes, les blancs se fondent en nuances rosées, bleutées ou encore beige-doré. Des coups de pinceaux blancs énergiques dans les taches fauves font vibrer les surfaces et traduisent la finesse de la peau des chiennes.


JEAN-BAPTISTE OUDRY PEINTRE DE CHIENS"

Formé entre 1707 et 1712 par Nicolas de Largillière (1656-1746), Jean-Baptiste Oudry, fils d'un marchand de tableaux, est reçu en 1719 à l'Académie royale de peinture et de sculpture. Il s'illustre d'abord dans le portrait et la nature morte. Ses rencontres avec Louis Fagon, l'intendant des finances du jeune Louis XV, et Henri-Camille de Beringhen, son premier écuyer, en 1723 sont décisives. Il obtient un atelier aux Tuileries et s'initie à la peinture de chasses. Il peint l'année suivante pour le duc de Bourbon-Condé, à la demande de Louis XV, trois toiles cynégétiques destinées à la salle des gardes du château de Chantilly. Sa faveur auprès du roi de France ne se dément plus.

A partir de 1725, il commence la série des portraits des chiens du roi. Trois ans plus tard, il se voit confier par le souverain ce qui sera le projet le plus important de sa carrière : la réalisation des cartons de la tenture des Chasses Royales de Louis XV. Oudry accompagne le roi à la chasse, passe de longues heures d'étude aux chenils et travaille d'après nature. Il est nommé en 1734 directeur de la manufacture royale de tapisserie de Beauvais et commence à enseigner en 1739 à l'Académie royale. Les deux conférences qu'il y prononce en 1749 et 1752 apportent une vision très personnelle et pragmatique du métier de peintre, révélant sa passion pour la couleur. << Tu ne seras jamais qu'un peintre de chiens » lui avait lancé son maître Largillière. Jusqu'à sa mort en 1755, Jean-Baptiste Oudry peint de mbreux portraits de chiens et élève ce genre, pourtant mineur, à une place importante. Ses œuvres remportent un grand succès au Salon et en 1752, alors qu'il livre l'un de ses derniers chefs-d'oeuvre, la Lice protégeant ses petits, admiré par Diderot, il est même comparé à Rembrandt. Il est alors devenu le plus grand des peintres de chiens.

En prime, quelques oeuvres de la collection permanente









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