samedi 2 octobre 2021

Tempêtes et Naufrages, une exposition du musée de la vie romantique en juin 2021

Une belle et riche exposition visitée et dont voici la présentation et la quasi totalité des œuvres présentées :

Le musée de la Vie romantique vous invite à découvrir l'une des plus puissantes sources d'inspiration de l'univers romantique : les tempêtes et les naufrages. La mer, par sa démesure et sa violence, fait écho aux tourments intérieurs des artistes qui s'emparent des motifs de coups de vent, de nuages menaçants, de pluie et de foudre, de vagues se brisant sur des récifs, de navires en perdition et de personnages en danger afin de créer des mises en scène sublimes et dramatiques.
Grâce à la sélection d'une soixantaine d'œuvres de plus de trente artistes des XVIIIe et xixe siècles, cette exposition propose un récit vivant et illustré de la tempête maritime. Elle présente d'abord les sources bibliques, historiques et littéraires du motif de la tempête avant d'inviter à la contemplation du spectacle des éléments déchaînes procurant de grands sentiments comme la terreur, le courage ou l'admiration devant la force et la beauté de la nature. Le parcours se termine en évoquant le moment d'après la tempête avec les épaves échouées sur le rivage et les naufragés secourus en mer ou à terre.

En écho aux tableaux de Joseph Vernet, Joseph Mallord William Turner, Théodore Géricault, Théodore Gudin, Eugène Isabey, Eugène Boudin ou Gustave Courbet, l'exposition met en avant des œuvres littéraires et musicales. Une sélection de textes de Denis Diderot, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Alphonse de Lamartine, Victor Hugo et Jules Michelet, avec la voix de Guillaume Gallienne de la Comédie-Française ainsi que des œuvres musicales réunies par la Médiathèque musicale de Paris attestent le rayonnement de cette thématique à travers les arts.

Pierre Paul Rubens (1577-1640)
Jonas jeté à l'eau, 1618-1619
Huile sur bois
Nancy, musée des Beaux-Arts

Artiste baroque flamand, Rubens représente le prophète Jonas sur un panneau de triptyque destiné à orner l'autel de la guilde des poissonniers de la ville de Malines, près d'Anvers. Désobéissant à l'ordre qui lui a été donné, Jonas provoque la colère divine qui se manifeste par une violente tempête. Jeté à la mer par ses compagnons de voyage pour apaiser cette fureur, le héros est ensuite englouti par un gros poisson, qui apparaît dans le coin inférieur droit de ce tableau. Le peintre montre avec une expressivité quasi théâtrale l'homme confronté à la furie de la mer, au tumulte des vents et au fracas du tonnerre.

Jean-Jacques Monanteuil
(1785-1860)
d'après Anne-Louis Girodet Trioson (1767-1824)
Scène de déluge, vers 1820
Huile sur toile
Montargis, musée Girodet

Élève de Girodet, qui l'’emploie à la réalisation de nombreuses œuvres, Monanteuil réalise une copie
du Déluge de son maître. Bien avant Le Radeau de La Méduse de Théodore Géricault, il illustre un fait divers une inondation, s'éloignant - de la référence biblique et désacralisant ainsi littéralement le genre. Au cœur d'un décor de roches géologiques quasiment photographique, sous un ciel menaçant zébré d'éclairs, une famille terrorisée, aux gestes et expressions outrés, tente d'échapper à la tempête sans espoir de salut.

Pierre Henri de Valenciennes (1750-1819)
Didon et Énée fuyant l'orage se réfugient dans une grotte, 1792
Huile sur toile
Poitiers, musées de Poitiers

Maître du paysage historique au xixe siècle, Valenciennes illustre un épisode de l'Énéide de Virgile. Le Troyen Énée, ayant survécu à la guerre de Troie, se réfugie à Carthage auprès de Didon, qui s'éprend de lui. Dans cette peinture, une tempête survient et force les amants à se réfugier dans une grotte pour se protéger d'un orage. L'éclair qui vient s'écraser sur un rocher, les chevaux pris de panique ou les arbres ployant sous l'effet du vent témoignent, par leur maîtrise technique, du soin apporté la représentation de violents phénomènes climatiques.

Adrien Manglard (1695-1760)
Le Naufrage, 1736
Huile sur toile
Guéret, musée d'Art et d'Archéologie

D'origine lyonnaise mais italien d'adoption, ce peintre de marines s'inscrit dans l'héritage de Claude Lorrain (1600-1682) et influence à son tour Joseph Vernet. Dans cette peinture, la tempête semble être en train de s'apaiser, les lourds nuages gris laissant la place à une éclaircie. Au sein de ce décor habilement mis en scène, encadré par des falaises
de part et d'autre, des personnages minuscules œuvrent dans le seul but de sauver le navire, rendant compte ainsi de la vulnérabilité de l'homme face aux éléments.

Jean Pillement (1728-1808)
Naufrage, 18e siècle
Huile sur toile
Dieppe, musée de Dieppe

Peintre décorateur et aquafortiste, Pillement est l'héritier d'une tradition lyonnaise de paysagistes, dans la continuité de l'école néerlandaise du 17e siècle. Il a aussi été le peintre du roi de Pologne et celui de la reine Marie-Antoinette. Il réalise des marines imaginaires inspirées de Joseph Vernet, son aîné. Des naufragés sur une barque tentent de lutter contre la houle, tandis que leur navire dématé s'enfonce au loin dans les vagues. Ce tableau donne à voir les dangers réels de la navigation et l'impuissance des marins face à l'issue fatale.


Philippe-Jacques de Loutherbourg (1740-1812)
Naufrage, 1769
Huile sur toile
Dieppe, musée de Dieppe

Peintre de paysages originaire de Strasbourg puis installé à Londres, Loutherbourg est fasciné par le spectacle déchaîné de la nature et s'inspire des scènes de naufrage de Joseph Vernet. Il dépeint ici toute la violence de la tempête : les flots se brisent contre les rochers, tandis que le mât d'un navire en perdition apparaît derrière les récifs. On aperçoit au premier plan un cadavre ballotté au milieu des eaux agitées, alors que d'autres personnages luttent encore pour leur survie. Ce tableau préfigure le drame romantique des premières décennies du 19e siècle.

Joseph Vernet (1714-1789)
Naufrage, 1750
Huile sur toile
Troyes, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie

C'est avec Vernet, qui devient peintre de marines du roi Louis XV en 1753, que les scènes de tempêtes et de naufrages deviennent un genre
part entière. Ce naufrage, inspiré d'une observation méticuleuse de la nature, est ensuite recomposé en atelier pour créer une marine idéale. Les vagues heurtent violemment les rochers, tandis que le navire aux voiles déchirées sombre dans la mer, et les personnages, aux attitudes théâtrales, affrontent les éléments déchaînés. La sensibilité du peintre au paysage, mêlée à un goût pour l'idéal des passions. inaugure l'esprit préromantique qui lui vaut une réputation partout en Europe.

Détail de l'œuvre précédente 

Aux sources de la représentation de la tempête

Si les représentations de mers agitées existent depuis la Renaissance, c'est à partir du xville siècle que les tempêtes et les naufrages deviennent l'un des sujets incontournables des peintures de marine. Alors que les voyages et le commerce maritime se développent et que les conditions de navigation s'améliorent, la mer en furie fournit un élément de décor, prétexte à un répertoire des émotions, et satisfait l'engouement croissant pour les catastrophes naturelles. Les artistes s'inspirent avant tout des récits
bibliques pour représenter l'impuissance de l'homme face
à la violence de la nature. Les compositions de Paul Rubens, de Jean-Jacques Monanteuil et de John Martin, véritables mises en scène dramatiques de la colère et du châtiment divin, associent la curiosité scientifique à la méditation sur la fragilité humaine.

Dans la lignée d'Adrien Manglard, c'est avec Joseph Vernet, peintre de marines du roi Louis XV, que les scènes de tempêtes et d'orages deviennent un genre à part entière. À partir d'une observation précise de la nature, Vernet recompose un naufrage idéal, selon une mise en scène théâtrale, appuyée sur une gestuelle outrée et une atmosphère apocalyptique. Jean Pillement et Philippe-Jacques de Loutherbourg figurent eux aussi, dans des compositions imaginaires, l'homme confronté à une nature impétueuse. Leurs œuvres annoncent le goût du sublime dans l'esthétique romantique des premières décennies du xixe siècle.

Ary Scheffer (1795-1858)
La Tempête, vers 1820
Huile sur toile
Paris, musée de la Vie romantique

Ce tableau du peintre romantique d'origine hollandaise Ary Scheffer, qui vécut dans cette maison, est une réplique réduite d'un tableau exposé au Salon de 1831. Malgré l'influence des œuvres littéraires dans les sujets représentés par l'artiste, il est peu probable que cette toile soit inspirée de la pièce La Tempête de William Shakespeare. Scheffer propose ici une scène de genre dans laquelle les personnages regardent avec inquiétude depuis la côte les flots déchaînés et semblent prier les cieux de calmer les éléments.

Louis Boulanger (1806-1867)
Le Roi Lear et son fou pendant la tempête, 1836 Huile sur toile
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

«Où est le roi? [...] Il lutte avec les
éléments et leur colère, il donne l'ordre aux vents de jeter d'un souffle la terre dans la mer; ou de gonfler haut sur le continent les eaux révulsées pour que tout change, ou cesse.» Comme de nombreux artistes romantiques, Boulanger puise des sujets picturaux dans les écrits de William Shakespeare. Cette toile s'inspire ainsi de l'acte III du Roi Lear en représentant le dénuement et la folie du roi après la trahison de ses deux filles. Véritable miroir de la déraison brutale du
protagoniste, le paysage rocheux et la tempête à l'arrière-plan figurent un décor hostile et dramatique.

Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre
(1737-1814)
Paul et Virginie, 1787
Impression sur apier vélin
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Cette gravure concentre en une seule
scène deux moments du récit:
à l'arrière-plan le naufrage du navire sur lequel a péri Virginie et la découverte de son corps, quelques heures plus tard, sur le rivage.
La main inanimée de l'héroïne tient encore un médaillon sur lequel est représenté Paul, son seul amour. Aux côtés de la dépouille, Paul et Domingue, son serviteur, sont désespérés. Repris dans de nombreuses illustrations de la pastorale Paul et Virginie, ces éléments iconographiques se diffusent dans l'imaginaire collectif du xixe siècle.

Virginie retrouvée
sur le rivage, entre 1824 et 1836
Céramique, décor imprimé
sur faïence fine
La Rochelle, musée du Nouveau Monde

Cette assiette ornementée illustre la diffusion très importante de l'iconographie liée au roman
de Bernardin de Saint-Pierre Paul et Virginie dans les arts décoratifs du xixe siècle. Le faible coût
de fabrication de ces assiettes les rend accessibles au plus grand nombre. Des séries numérotées de 1 à 12 reprennent les rebondissements de l'intrigue, parmi lesquels le moment le plus dramatique et populaire où Virginie est retrouvée morte sur le rivage. Les principaux éléments du récit sont figures sur ce décor: le naufrage. la nature exotique, la dépouille retrouvée de l'héroïne.

Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814)
Paul et Virginie, 1787
Imprimé
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Ce roman est à l'origine d'une abondante production graphique, encouragée par le développement du livre illustré au xixe siècle. Dans ce dessin de Pierre Paul Prud'hon, Virginie est figurée au beau milieu de la tempête, à l'avant du Saint
Géran déjà endommagé. Cette scène de naufrage nocturne constitue l'acmé du récit de Bernardin de Saint-Pierre. Sur le point d'être engloutie par les flots, l'héroïne est vêtue d'une longue robe qu'elle se refuse à enlever Semblant se résigner à sa disparition
imminente, Virginie apparait comme
une sainte auréolée de l'écume qui
jaillit à l'arrière-plan.

Victor Hugo (1802-1885)
Navire désemparé
dans la tempête
(«Ma première destinée»), 1856
Plume, barbes de plume, encre brune et noire sur carton
Paris, maisons de Victor Hugo Paris - Guernesey

Dès 1831, dans le recueil Les Feuilles
d'automne, Hugo compare son destin à celui d'un navire dans la tourmente. Caractérisé par une grande liberté des lignes et une légèreté apportée dans la blancheur de l'écume, ce dessin réitère et prolonge la comparaison. Le cartouche sous le dessin est un autographe de l'écrivain: "au revers de ce carton j'ai barbouillé ma propre destinée - un bateau / battu de la tempête au beau milieu du monstrueux océan, à peu près / désemparé, assailli par tous les ouragans et par toutes les écumes, / et n'ayant qu'un peu de fumée qu'on appelle la gloire, que le vent / arrache, - et qui est sa force -"

Estampes de Fortuné Louis Méaulle (1844-1916) d'après les dessins de Victor Hugo (1802-1885)
Les Travailleurs de la mer, 1882
Gravures sur bois, estampes en couleurs sur papier Japon
Paris, maisons de Victor Hugo Paris - Guernesey

Formé par le peintre romantique Eugène Isabey, Méaulle est un graveur sur bois de renom dans la deuxième moitié du xixe siècle. Il est sollicité pour réaliser la gravure des dessins de Hugo dans l'édition de ses Œuvres complètes chez l'éditeur Hugues. Ces soixante-deux gravures sont rassemblées dans un album paru en 1882 sous le titre Dessins de Victor Hugo: Les Travailleurs de la mer. Elles mettent en lumière des moments clés du roman, centré sur l'homme et la technique confrontés au déchaînement de la mer.

Eugène Isabey (1803-1886)
Brick échoué, vers 1836
Lithographie reproduite par photogravure dans Atherton Curtis (1863-1943), Some Masters of Lithography, New York, D. Appleton and Company, 1897
Paris, musée de la Vie romantique

Cette lithographie d'Eugène Isabey est présentée, avec vingt et une autres cœuvres, dans l'ouvrage du grand collectionneur d'estampes américain Atherton Curtis. Peintre de marines parmi les plus féconds du xixe siècle, Isabey associe habileté technique pour la gravure et expression de sa sensibilité. Sur un banc de sable, à flanc de falaise, un brick echoué est au centre de la composition. L'epave de ce voilier a deux mats, tres répandu jusqu'à la première moitié du xx siecle, exprime la desolation et la solitude.

Le spectacle de la tempête en pleine mer

À la différence de Joseph Vernet et ses émules, qui peignaient des naufrages depuis la côte, les artistes romantiques, épris de drame, nous transportent en pleine mer. Ils représentent cette « mer spectacle », selon la formule de l'historien des sensibilités, Alain Corbin, qui procure toute une gamme d'émotions et avant tout le plaisir d'avoir peur à la regarder déchaînée. Joseph Mallord William Turner, le peintre de la Marine Théodore Gudin ainsi que Paul Huet, considéré comme le grand rénovateur du paysage romantique, excellent à figurer dénuées de présence humaine et destinées à un public avide de terribles tempêtes maritimes, d'intempéries.
Les tableaux de Johan Barthold Jongkind et d'Eugène Boudin, inscrits pourtant dans la filiation de Théodore Gudin et d'Eugène Isabey, annoncent les prémices de l'impressionnisme par leur exécution plus libre et plus abstraite des formes de la couleur et de la lumière Gustave Courbet rompt quant à lui radicalement avec cette connotation romantique de la tempête, incompatible avec ses exigences naturalistes. Il donne une vision puissante et inquiétante de la mer orageuse, traduisant la sauvagerie et l'archaïsme des forces naturelles.
Au côté de ces paysages irréels célébrant la quasi toute-puissance de la nature, Théodore Géricault, Eugène Isabey ou Louis Garneray s'inspirent de faits divers à sensation pour leurs scènes de naufrages contemporains dans lesquelles les mâts brisés, les navires fracassés et les rescapés désorientés participent de cette dramaturgie romantique de la catastrophe.

Théodore Gudin (1802-1880)
Naufrage, 1831
Aquarelle et gouache sur papier
Paris, collection particulière Avec la courtoisie de la galerie La Nouvelle Athènes

Profondément influencé par la palette de couleurs de William Turner, d'une part, et marqué par l'expédition d'Alger à laquelle
il participe en 1830, d'autre part, l'ancien marin Gudin représente depuis la plage ce naufrage de deux grands voiliers pris au piège dans une mer tumultueuse. Cet élève de Girodet à l'École des beaux-arts, nommé peintre de la Marine par Louis-Philippe en 1830, excelle à traduire les grands drames de la mer par des cœuvres puissantes et tourmentées, destinées à un public avide de catastrophes.

Paul Huet (1803-1869)
La Barque en danger, 1826
Huile sur bois
Neuilly-sur-Seine, collection particulière, ancienne collection Perret Cornot

Artiste précoce, Huet se forme dans l'atelier de Pierre Narcisse Guérin puis dans celui d'Antoine Jean Gros. Voyageant sans cesse en France, notamment en Normandie, à la recherche de ces moments épiques où la nature transcende les sentiments, Huet dessine et peint à l'huile et à l'aquarelle de nombreuses marines où prédomine la violence des éléments. Sous un ciel gris uniforme, il représente une barque malmenée par les flots au large de Honfleur, avec une large touche, insistant sur le caractère effrayant d'une nature farouche.

Jean-François Hue (1751-1823)
Naufrage, 1823
Huile sur toile
Saint-Brieuc, musée d'Art et d'Histoire

Élève de Joseph Vernet, ce peintre de marines représente une scène de naufrage classique, directement inspirée de la manière de son maître. Le décor est campé de façon théâtrale: sous un ciel orageux percé d'éclairs, les rescapés d'un navire en train de couler tentent désespérément d'échapper à la fureur des flots. Une mère horrifiée pleure son enfant déjà mort, tandis que des marins hissent un de leurs compagnons naufragés sur un rocher. Ce sombre paysage inaugure la sensibilité romantique de la première moitié du xixe siècle.

Théodore Gudin (1802-1880)
Coup de vent à Sidi-Ferruch, le 16 juin 1830, 1830
Huile sur panneau de bois
Paris, collection particulière

Cette esquisse préparatoire au tableau présenté au Salon en 1831 et conservé au musée national de la Marine montre la vaste baie de la côte algérienne où ont débarqué les troupes françaises en juin 1830, sous le commandement de l'amiral Duperré. Le peintre, officiellement embarqué avec le corps expéditionnaire, représente depuis la côte la mer déchaînée. Il évoque les effets du vent, visibles à travers le mouvement des nuages, de la végétation et des mâts des navires, tandis que la petite mosquée et le mausolée à droite de la composition incarnent la résistance immuable de l'architecture au temps qu'il fait.

Louis Garneray (1783-1857)
Le Naufragé, vers 1800
Huile sur toile
Brest métropole, musée des Beaux-Arts

Bien avant Eugène Isabey et les autres romantiques, Garneray, ancien marin de la République devenu peintre de la Marine en 1814, embarque le spectateur en pleine mer, loin du rivage. L'artiste
représente la lutte désespérée d'un naufragé contre une déferlante sur le point de l'engloutir. L'homme est seul face à l'immensité de la mer et du ciel qui occupent tout l'espace de la toile, La puissance lyrique de cette composition repose en grande partie sur l'identification du spectateur à l'infortuné héros, dont le naufrage revêt un irrefutable sens moral.

Eugène Isabey (1803-1886)
Le Naufrage, 19e siècle
Huile sur toile
Dieppe, musée de Dieppe

Auteur du célèbre et dramatique Naufrage de l'Austria, Isabey représente ici un naufrage qu'il décrit à la manière d'une bataille navale. L'horizon est restreint de façon à concentrer l'attention sur les éléments brisés du navire et l'amas confus de personnages à l'eau tentant de rejoindre le canot de sauvetage. Au moyen d'une palette monochrome et d'une touche rapide, le peintre rend compte de la catastrophe où se mêlent le grondement de la mer et les cris de ceux qui périssent, le sentiment de
détresse et les tentatives de secours.

Théodore Géricault (1791-1824)
Le Radeau de La Méduse (esquisse)
Huile sur toile
Angers, musées d'Angers

En raison de sa dramaturgie, exceptionnelle, ce tableau constitue
l'archétype du naufrage romantique. Il représente le sauvetage de quelques rescapés de la frégate La Méduse, qui sombra le 2 juillet 1816 près des côtes du Sénégal, avec à son bord plus de cent cinquante soldats, victimes des éléments et de l'incompétence d'un officier. Le peintre saisit l'instant où un frêle espoir de sauvetage mobilise l'énergie des quinze survivants. En donnant à l'œuvre finale exposée au musée du Louvre un format de peinture d'histoire, alors que le drame maritime représenté est tout récent, Géricault détache son sujet de toute temporalité et le transforme en emblème romantique de désespoir.

Joseph Mallord William Turner (1775-1851)
Waves Breaking on a Shore, vers 1835 Huile sur toile
Londres, Tate

Particulièrement inspiré par les tableaux de tempête hollandais
du 17e siècle et par une conception cataclysmique de la nature, Turner peint plusieurs scènes de naufrage aux accents grandioses. Dans cette composition, il élimine toute présence humaine pour se concentrer sur les mouvements désordonnés, presque abstraits, des vagues contrariées par le vent. Avec des effets de lumière d'une grande liberté technique et une puissance évocatrice de la couleur naturelle, la mer et le ciel semblent se confondre ici dans une lutte insensée.

Eugène Boudin (1824-1898)
Un grain, 1886
Huile sur toile
Morlaix, musée de Morlaix

Ce tableau tranche avec les compositions tourmentées d'Eugène Isabey, le maître de Boudin. L'artiste s'attache au travail plus abstrait des formes, de la couleur et de la lumière, faisant écho à ses propres réflexions datées de 1856 dans son Journal: "Les romantiques ont fait leur temps. Il faut désormais chercher les simples beautés de la nature.". De même que Jongkind, Boudin appartient à la génération préimpressionniste.

Gustave Courbet (1819-1877)
La Trombe. Étretat, vers 1869-1870
Huile sur toile
Dijon, musée des Beaux-Arts

Lors d'un voyage à Trouville, en 1865
ou 1866, Courbet est témoin d'une violente trombe d'eau, colonne d'eau ou de vapeur tourbillonnante qui lie le ciel à la mer. Il peint ce phénomène à plusieurs reprises. Dans cette toile représentant le site d'Étretat, les falaises rugueuses à droite répondent aux nuées obliques du ciel qui déversent leurs trombes sur les flots. Le peintre s'intéresse à la matérialité des éléments, de la granulation lumineuse de l'écume des vagues à la minéralité brute de la roche, simplifiant les formes par de larges hachures aux empatements écrasés.

Johan Barthold Jongkind (1819-1891)
Le Grain, vers 1865
Huile sur toile
Reims, musée des Beaux-Arts

Peintre et graveur néerlandais, Jongkind s'installe à Paris en 1846 et devient l'élève d'Eugène Isabey. Entre 1862 et 1865, son goût des marines l'attire sur la côte normande où il libère sa facture et éclaircit sa palette de couleurs. Bien qu'inscrit dans la filiation romantique de son maître et de Théodore Gudin, ce tableau consacré au «grain » "terme" météorologique indiquant un vent violent de peu de durée, accompagné de grêle ou de pluie annonce les prémices de l'impressionnisme par
l'utilisation de tons plus clairs,
la juxtaposition de taches de couleurs et son exécution plus libre.

Paul Huet (1803-1869)
Brisants à la pointe de Granville (Manche), vers 1852
Huile sur toile
Paris, musée du Louvre, Département des peintures Don René-Paul Huet

Influencé par les paysagistes anglais, Paul Huet, surnommé le «Delacroix du paysage» avant d'être injustement oublié, contribué à renouveler l'art du paysage au 19e siècle. Véritable manifeste du romantisme exposé au Salon de 1853, ce tableau est la plus parfaite expression de cette nouvelle vision de la nature. Cette vague insaisissable et imprévisible montre le caractère tour à tour paisible et menaçant, poétique et tourmenté des éléments. Bien avant Courbet et sa série des «Vagues», Huet peint ainsi la mer sans l'anecdote d'un naufrage

Paul Huet (1803-1869)
Le Grain, 1847
Fusain, craie blanche, pastel sur papier, Neuilly-sur-Seine,
collection particulière, ancienne collection Perret Cornot

Huet peint à l'huile, à la gouache et à l'aquarelle. Il produit et reproduit eaux-fortes et lithographies, mais c'est peut-être dans ses esquisses peintes sur le motif ou ses pastels qu'il manifeste la plus grande liberté, avec une recherche des effets de lumière qui annonce l'impressionnisme. Dans ce pastel représentant un phénomène météorologique caractérisé par un accroissement brusque de la vitesse du vent, accompagné de grêle ou de pluie, il exprime toute sa fougue romantique dans la mise en scène de la mer agitée et du ciel obscur et tourmenté.

Eugène Isabey (1803-1886)
Barque par gros temps, vers 1828
Pinceau et encre brune, aquarelle, rehauts de gouache blanche sur une esquisse à la pierre noire sur papier
Paris, fondation Custodia, collection Frits Lugt

Fasciné par la mer, Isabey est connu pour ses représentations de batailles navales, de tempêtes ou de naufrages pour lesquelles il s'inspire des peintres anglais John Constable, William Turner et Richard Parkes Bonington. Cette esquisse à l'aquarelle du début de sa carrière est associée à l'huile Les Contrebandiers, exposée avec succès au Louvre en 1828. Le peintre représente une dizaine de marins à bord d'une barque perdue en pleine mer qui luttent contre les énormes vagues soulevant la proue.

Charles Collignon
Les Falaises d'Étretat par temps de tempête, 19e siècle
Encre bistre à la plume et aquarelle sur papier
Calais, musée des Beaux-Arts

Étretat peut être considéré comme l'un des deux sites les plus
emblématiques des paysages romantiques des côtes de la Manche, avec le Mont-Saint-Michel. De même que les peintres Eugène Isabey ou Eugène Le Poitevin, Collignon, qui expose au Salon de 1831 à 1847, représente lui aussi l'une des plus belles tempêtes romantiques du site. La mer démontée et le ciel bleu nuit semblent encercler la falaise au brun lumineux jusqu'au point de l'engloutir.

Lionel Aristide Le Couteux (1847-1909) d'après Eugène Delacroix
Le Naufrage, 1884
Eau-forte sur parchemin
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Eugène Delacroix s'inspire d'un poème inachevé en dix-sept chants de Lord Byron, Don Juan, pour son tableau Le Naufrage de Don Juan, présenté au Salon de 1841. Sur un bateau de fortune, perdu dans l'immensité, Don Juan et ses camarades, manquant de nourriture, tirent au sort celui d'entre eux qui sera sacrifié pour être dévoré. Malgré la monstruosité du sujet et le goût pour le morbide,
l'influence littéraire et l'interprétation à l'eau-forte de Le Couteux atténuent l'horreur de la scène.

René-Paul Huet (1844-1928)
Les Brisants de Granville. 1853
Eau-forte sur papier
Neuilly-sur-Seine,
collection particulière, ancienne collection Perret Cornot

Fils du paysagiste romantique Paul Huet, René-Paul Huet, élève aux Beaux-Arts, assiste son père en marouflant esquisses et toiles sur de meilleurs supports. L'interprétation à l'eau-forte du célèbre tableau de son père présenté au Salon de 1853 accentue l'aspect sensoriel et les contrastes de lumière de cette étude d'écume et de vagues se fracassant sur un amas de roches.

Louis-Philippe Crépin (1772-1851)
Sauvetage de la gabare l'Alouette, 1822 Huile sur toile
Paris, musée national de la Marine

Disciple de Joseph Vernet, formé par Jean-Baptiste Regnault et Hubert Robert, Crépin est un authentique marin instruit sur les vaisseaux de la République, de 1794 à 1798. Son art maîtrisé de la figuration réaliste de drames maritimes lui vaut de devenir l'un des deux premiers peintres officiels de la Marine avec Théodore Gudin, son cadet de trente ans. À côté des grandes compositions officielles, il réalise des oeuvres beaucoup plus romanesques, mêlant drame et pittoresque, comme le sauvetage de l'équipage de la gabare l'Alouette, naufragée le 6 juin 1817 près du cap Français, sur la côte nord de l'île de Haïti.


Après la tempête: épaves et naufragés

Les artistes n'imaginent pas figurer une tempête sans navire en détresse et sans naufrage, et les cœuvres d'Eugène Isabey et Pierre-Emile Berthélémy rappellent que la tempête est source de profits pour certaines populations du littoral, contre bandiers ou naufrageurs, dont les pratiques illicites séduisent les romantiques. En réaction à ces usages, le mouvement humanitaire qui naît en 1825 à Boulogne encourage le développement du sauvetage et proscrit le pillage des épaves.

Après le tumulte occasionné par la tempête, il reste les navires en perdition évoqués par Louis-Philippe Crépin et Ferdinand Perrot, les épaves échouées sur le sable figurées par Isabey et Berthélémy ainsi que le corps inanimé d'un naufragé rejeté par les flots dessiné par François Nicolas Feyen-Perrin. Le thème de la femme noyée, brillamment mis en scène par Joseph Vernet, est repris tout au long du xixe siècle, depuis les variantes morbides de Théodore Géricault, Paul Huet et Jean-Baptiste Carpeaux jusqu'à celle teintée d'érotisme de Jules Garnier.

Tandis que la tempête romantique jette ses derniers feux dans la deuxième moitié du xixe siècle, apparaît le sujet de la veuve éplorée et de l'orphelin. Dans les tableaux d'Ary Scheffer et d'Évariste Luminais, la tragédie humaine des disparitions en mer et l'expression exacerbée du sentiment de perte l'emportent sur les tourments de la nature. Le drame romantique fait place au pathétique et au sentimentalisme.

Ferdinand Victor Perrot (1808-1841)
Sauvetage d'un bateau de pêche bas-breton par le Neptune, navire danois, sur les côtes de la Basse-Bretagne, 1835, Huile sur toile
Nantes, musée d'Arts

Élève de Théodore Gudin, Perrot affectionne les peintures dramatiques de tempêtes et de naufrages. En 1835, année de création de la Société centrale et locale des naufrages et de la Société générale des naufrages et de l'union des nations, la commission du musée de Nantes lui commande cette grande toile, inspirée par une mésaventure survenue en Manche. Le peintre nantais propose cette composition spectaculaire dans laquelle l'écume de l'océan démonté semble faire écho à la bourrasque agitant le ciel, et les malheureux pêcheurs terrorisés sur leur frêle embarcation démâtée attendent le secours étranger.

Pierre-Émile Berthélémy (1818-1894)
Naufrage sur la côte bretonne, 1851
Huile sur toile
Morlaix, musée de Morlaix

Dans ce tableau présenté à la XIVe Exposition du musée de Rouen en 1851, le peintre normand, élève de Léon Cogniet à l'École des beaux arts, met en scène un spectacle côtier singulier. Scrutant l'horizon sur un promontoire rocheux, ces naufrageurs finistériens, gaffes à la main, attendent que le navire soit jeté à la côte pour le piller. La clarté du dessin alliée à la délicatesse de la touche, proche des effets de l'aquarelle, donne à cette peinture une expressivite truculente qui tempère le classicisme de sa composition.


Eugène Isabey (1803-1886)
Les Naufrageurs, 1845
Huile sur panneau de bois
Paris, musée national de la Marine

Isabey, l'un des peintres de marines les plus féconds du xixe siècle, s'intéresse à tous les sujets de la vie maritime. Cette esquisse préparant deux tableaux de taille plus importante intitulés Pendant la tempête figure des naufrageurs qui attendent les navires sur le rivage pour les piller. Outre l'aspect anecdotique et pittoresque de cette scène, Isabey use de son talent de paysagiste pour sublimer les vagues se brisant sur les rochers et les nuages mouvants, comme chassés par les vents.

Louis Duveau (1818-1867)
Famille bretonne surprise par la marée, non daté Huile sur toile
Rennes, collection Delouche

Formé dans l'atelier de Léon Cogniet aux Beaux-Arts, le peintre malouin détourne la figure de la naufragée en reprenant le thème de la marée montante surprenant les pêcheurs. Cette Bretonne et ses deux enfants, partis ramasser des coquillages, se retrouvent prisonniers sur un rocher alors que la mer est en train de monter. Dans une scène anecdotique, emblématique du romantisme pittoresque, le jeune adolescent tente d'attirer des secours à l'aide d'un morceau de tissu accroché sur une pique, tandis que sa mère, pour conjurer la peur, implore le ciel, serrant contre elle son plus jeune enfant.

Paul Huet
Vue des falaises de Houlgate, 1863
Huile sur toile
Bordeaux, musée des Beaux-Arts

Dans cette vue spectaculaire de la plage des Vaches noires à Houlgate, deux hommes portent le cadavre d'une femme sous le regard effrayé d'autres pêcheurs. Après avoir réalisé de nombreuses esquisses de ce paysage entre 1856 et 1862, influencé par les conseils de son ami Eugène Delacroix, Huet expose cette version définitive au Salon en 1863. La masse monumentale des falaises fermant tout horizon et l'obscure sauvagerie du ciel accentuent le caractère inquiétant du tableau, tandis que les puissants rouleaux qui viennent se briser sur la plage témoignent d'une étude attentive de la nature.

Eugène Isabey (1803-1886)
Une épave sur le rivage, 1860
Graphite, aquarelle et gouache
sur papier
Paris, fondation Custodia, collection Frits Lugt

D'une grande puissance graphique, cette aquarelle évoque une carcasse de bateau couchée sur le sable à la manière d'un immense squelette de mammifère marin échoué à terre. Malgré la composition minimaliste et le motif quasi abstrait, Isabey montre qu'il maîtrise ce goût pour le tragique.

Augustin Feyen-Perrin (1826-1888)
Après la tempête, avant 1865
Pastel sur papier marouflé sur toile
Rennes, musée des Beaux-Arts

Élève de son frère aîné Jacques Eugène Feyen puis de Léon Cogniet et d'Adolphe Yvon à l'École des beaux-arts, le portraitiste et aquafortiste nancéen Augustin Feyen-Perrin, installé à Cancale, est principalement connu pour ses scènes portuaires et ses portraits de Cancalaises. Il rompt ici avec la tradition du paysage d'après la tempête pour réaliser le portrait au pastel d'un cadavre gisant au bord de l'eau, Au-delà de cette image brutale de la mort, la composition mêlant le bleu turquoise de la mer à l'ocre roux du sable offre en réalité le prétexte à un nu académique, traité de façon magistrale.

Pierre-Émile Berthélémy (1818-1894)
Après la tempête, 1859
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts

Une épave de bateau est jetée sur la grève devant laquelle hurle un chien, assis près du cadavre de son maître, telle une figure pathétique de la déploration. Présentée au Salon des artistes français en 1859, cette toile propose une vision nettement moins excessive des effets de la tempête que celle des grands peintres romantiques. Le ciel apaisé aux tons pastel et la mer redevenue calme adoucissent cette image de désolation et de mort.

Ary Scheffer (1795-1858)
La Famille du marin, 1826
Huile sur toile
Paris, musée de la Vie romantique

Une jeune femme, les yeux baignés de larmes, est assise sur un rocher au bord d'une mer furieuse, tenant ses enfants serrés dans les bras. Leurs regards semblent implorer avec ferveur la protection du ciel, tandis qu'à l'horizon un vaisseau battu par les vagues est prêt à disparaître dans les profondeurs. Si Ary Scheffer (le peintre qui vécut dans cette maison) concentre l'essentiel de sa composition sur le rivage, soulignant la douleur de l'absence et rendant ainsi hommage aux familles des marins, toute la tension dramatique est encore tournée vers la tempête agitant le ciel et la mer.

Évariste Vital Luminais (1822-1896)
La Veuve ou Famille de pêcheurs,
vers 1865 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay

Aux antipodes de la fougue romantique de Scheffer, ce peintre nantais délaisse l'océan tempétueux et privilégie une composition sobre et classique, centrée sur l'expression du deuil d'une famille de pêcheurs. Dans un paysage intemporel de sable ou de vase, une veuve remonte sur une falaise escarpée, entourée d'autres femmes accablées qui la consolent. Tandis que le ciel couvert porte encore les traces de la récente tempête, le noyé est évoqué par une épave, discrètement visible derrière la silhouette de la veuve, et par son chapeau, que tient l'une des jeunes filles.

Eugène Isabey (1803-1886)
Paysage romantique. L'épave, 1825
Huile sur toile
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Artiste précoce qui envoie ses premières toiles au Salon en 1824 à l'âge de vingt et un ans, Isabey représente très jeune ce sombre paysage dans lequel le mât du bateau du premier plan ressemble étrangement à un crucifix qui flotte vers un imposant rivage rocheux battu par les vagues. La figure humaine, simplement suggérée par les débris d'un navire ayant chavire, renforce l'intensité de la catastrophe
et rappelle le pouvoir d'engloutissement de l'océan.

Théodore Géricault (1791-1824)
L'Épave, vers 1818-1819
Huile sur toile
Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Dans ce tableau appelé aussi La Tempête, Géricault perpétue l'héritage de Joseph Vernet en présentant des figures types du drame romantique. En resserrant considérablement le point de vue sur la femme noyée en partie dénudée et son nourrisson, étendus sur le sable, le peintre épure la scène de manière à la rendre plus bouleversante. Cette vision terrible et réaliste de corps inanimés rappelle certains détails de son Radeau de La Méduse,

Eugène Isabey (1803-1886)
La Tempête. Naufrage, 1835
Huile sur toile
Montpellier Méditerranée Métropole, musée Fabre

Peintre audacieux et mariniste de premier ordre, Isabey apprécie particulièrement le motif de l'épave, lieu d'expression d'un romantisme pathétique, qu'il décline dans de nombreuses œuvres. D'une grande force dramatique, cette scène laisse apparaître une jambe sous la voile d'un navire échoué sur le rivage. Il s'agirait d'une version de La Mort de Virginie, acquise par le collectionneur Alfred Bruyas, dans laquelle Isabey procède par allusion pour exprimer plus efficacement l'horreur.

Jules Arsène Garnier (1847-1889)
L'Épave, 1873 Huile sur toile
Dijon, musée des Beaux-Arts

Élève de Jean-Léon Gérôme à l'École des beaux-arts de Paris, le peintre académique expose son Epave au Salon de 1873. Cette mise en scène invraisemblable d'une jeune femme à l'abondante chevelure rousse et au teint laiteux posant langoureusement sur un rocher, sous le regard médusé de deux Indiens à la peau noire, tranche avec les compositions tragiques d'Eugène Isabey ou de Théodore Géricault. Si les débris de bois et de cordages qui l'entourent justifient le titre de l'œuvre et évoquent un naufrage maritime, l'artiste cherche surtout un prétexte pour exhiber un nu féminin dans un format de peinture d'histoire.

Théodore Gudin (1802-1880)
Tempête sur les côtes de Belle-Île, 1851 Huile sur toile
Quimper, musée des Beaux-Arts

Cette tempête de grand format, peinte par Gudin à Paris, d'après les études réalisées à Belle-Île, est un simple paysage, où le seul affrontement des éléments tient lieu d'action et où toute présence humaine est évacuée. Il choisit un point de vue en surplomb, accentuant la hauteur des vagues et celle de la falaise, plaçant de minuscules bateaux sur l'horizon ainsi que des oiseaux tournoyant devant les rochers pour donner l'échelle et dramatiser la scène. Par son sujet, la nature saisie dans l'une de ses convulsions les plus grandioses, cette peinture incarne le mouvement romantique finissant et, par ses effets recherchés de lumière, préfigure la démarche naturaliste des impressionnistes.
Détail du tableau précédent 

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