samedi 2 octobre 2021

L'heure bleue au musée Marmottan en juin 2021

Une belle exposition sur ce peintre danois attachant ! 
En voici un reportage :


Peder Severin Krøyer (1851-1909) est, avec Vilhelm Hammershøi  (1864-1916), le plus plus célèbre artiste danois de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle. 
Hammershøi, chantre des intérieurs et de l'intimité, a déjà eu droit à plusieurs expositions parisiennes; la monographie que le musée Marmottan Monet consacre à Krøyer, poète des grands espaces, de la lumière et des bords de mer, est la première offerte au public parisien.

Le peintre - peint ici par son ami Laurits Tuxen (1853-1927) - n'est pas un inconnu à Paris. Il y a souvent exposé de son vivant. Depuis, il a régulièrement été présenté dans des manifestations évoquant le Danemark de la fin du xixe siècle. Enfin, chacun peut admirer un de ses chefs-d'œuvre au musée d'Orsay, Bateaux de pêche, qui lui valut une médaille d'honneur à l'Exposition Universelle de 1889, une des nombreuses récompenses qui sont venues confirmer les liens étroits que Krøyer a entretenus avec la France.
NB tous les tableaux sont de Krøyer sauf mention contraire 
Laurits TUXEN (1853-1927)
Portrait du peintre Peder Severin Krøyer, 1904
Huile sur toile
Budapest, Szépművészeti Múzeum

Les peintres danois Tuxen et Krøyer se sont connus lorsqu'ils fréquentaient l'Académie des beaux-arts de Copenhague, au début des années 1870. Tous deux se sont retrouvés, à Paris dans l'atelier de Bonnat, entre 1876 et 1878 et ont souven participé aux mêmes expositions. Dans ce tableau, Tuxen représente Krøyer avec son costume blanc préféré, sa boîte de peinture portée à l'épaule et sa blouse bleue sous le bras. Il apparaît au moment de prendre le chemin du retour après être allé peindre sur la plage de Skagen.

Soleil d'après-midi sur mer calme,
1899
Huile sur panneau Kerteminde, Johannes Larsen Museet

Autoportrait, avril 1879
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Le 10 juin 1877, Krøyer arrive en France. Il découvre Paris, visite le Salon ainsi que le musée du Luxembourg et rencontre le peintre Léon Bonnat dont il devient l'élève. Durant l'été, il voyage en Bretagne puis quitte la France pour l'Espagne au début de 1878. Il est de retour en septembre et, durant une année, il part à la découverte des colonies d'artistes. C'est lors d'un séjour à Cernay-la-Ville, où Léon Germain Pelouse a attiré nombre de jeunes paysagistes, qu'il peint et dédicace ce portrait.

Autoportrait, 1889
Huile sur bois Skagen, Skagens Kunstmuseer

Marie Krøyer, 1889
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Après un début d'année parisien, Krøyer retourne au Danemark d'où il part pour Augsbourg, en Allemagne. C'est là que le 23 juillet il épouse Marie Triepcke, peintre, elle aussi, dont tout le monde admire la beauté. Le jeune couple rejoint Copenhague avant de se diriger vers Stenbjerg, au nord du Danemark, où tous deux se consacrent à leur art. C'est l'occasion pour Krøyer de réaliser plusieurs portraits de sa femme, dont ce premier qu'il dédicace à ses beaux-parents pour leurs noces d'argent.

À la découverte de Skagen

Après avoir voyagé en Allemagne et aux Pays-Bas, Krøyer arrive à Paris en 1877 et entre l'atelier de Bonnat. Il ne séjourne pas seulement à Paris mais aussi à Cernay-la-Ville et en Bretagne où son art s'imprègne du naturalisme ambiant. Jusqu'en 1903, il revient régulièrement à Paris et séjourne dans différentes villes d'Europe où il expose, mais son port d'attache est désormais Copenhague qu'il quitte à la belle saison, à partir de 1882, pour retrouver la colonie d'artistes installée à l'extrême nord du Danemark, à Skagen. Là, il réalise de nombreux portraits de pêcheurs et multiplie scènes de genre et études qui vont lui servir à réaliser de grands formats destinés aux expositions. En 1889, il épouse Marie Triepcke (1867-1940). Avant de partir pour un grand tour d'Italie à la fin de l'année, ils voyagent à travers le Danemark, Krøyer multipliant autoportraits et portraits de son épouse, tous deux mettant la main au double autoportrait où chacun a représenté son conjoint.


Petite fille debout sur la plage de Skagen, Sønderstrand, 1884
Huile sur bois Skagen, Skagens Kunstmuseer

Krøyer, au tout début des années 1880, brosse plusieurs grands tableaux dans lesquels il met en scène le pénible travail des pêcheurs qu'ils côtoient à Skagen. En 1884, il délaisse ces sujets pour une vision plus joyeuse des bords de mer. Aux marins succèdent les enfants pour qui la mer est source de divertissements. Cette petite fille de profil est une étude pour Jour d'été sur la plage sud de Skagen (1884, Copenhague. Der Hirschsprungske Samling) qui enchanta les visiteurs du Salon parisien de 1887.

L'heure bleue 1907, Huile sur toile 

Devant la maison de Christoffer à Skagen, soirée d'été, 1885
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Krøyer entretint une correspondance suivie avec une de ses tantes, qui fut aussi sa mère adoptive. Grâce à ses lettres, son travail nous est bien connu; ainsi, le 15 septembre 1885 à l'issue d'un été maussade à Skagen, lui écrivit-il: « Bien qu'elle ne soit pas grande, cette peinture m'a pris plus de temps que n'importe quelle autre, en partie parce que c'est difficile en soi de rendre l'atmosphère du crépuscule, en partie parce que les soirées belles et calmes ont été très rares cet été. »

Oscar Björck peignant à Skagen, Sønderstrand, 1882
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Le Déjeuner des artistes à Cernay, dit aussi Un Déjeuner d'artistes à l'hôtel Léopold de Cernay-la-Ville, 1879
Huile sur bois Skagen, Skagens Kunstmuseer

Lors de son premier séjour parisien, Krøyer se rendit à Cernay la-Ville, dans la vallée de Chevreuse, où un groupe de jeunes artistes travaillaient le paysage. Installés en ville, ils avaient colonisé les murs des auberges en y installant leurs cœuvres. Cette évocation d'un déjeuner réunissant ces peintres et certaines de leurs compagnes, fut offerte par Krøyer au propriétaire du Rendez-vous des artistes, plus célèbre sous son surnom d'Auberge Léopold, hommage à son propriétaire Léopold Lequesne.

Artistes sur la plage de Skagen, Sønderstrand, 1882
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Marie Krøyer peignant sur la plage, Stenbjerg, 1889
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Peint aussi durant leur voyage de noces, ce petit panneau de bois conserve le souvenir d'une de leurs rares séances de travail sur la plage de Stenbjerg que tous deux estimaient trop éloignée de leur auberge. Exceptionnellement, ils s'y sont rendus avec leur matériel et Krøyer profite de la concentration de Marie, occupée à peindre, pour la saisir à l'œuvre en compagnie de Hvaps, son chien de chasse. Sentimentalement, le regard du chien comme les pas imprimés sur le sable, lient les mariés.

Étude de mer, 1885
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Des Œuvres pour le Salon parisien

Afin de participer aux Salons et expositions qui se tiennent dans Af l'ancien château de Charlottenborg, à Copenhague, et un peu partout en Europe, Krøyer brosse, dans les années 1880, de grandes toiles où il représente la dure existence des marins-pêcheurs de Skagen. Plusieurs d'entre elles figurent sur les cimaises du Palais de l'Industrie, à Paris, tels ses Bateaux de pêche de 1884 que le public découvre avec admiration la même année et revoit lors de l'Exposition Universelle de 1889. Chacune de ses peintures est longuement préparée au moyen de dessins, de pastels et de nombreuses esquisses qu'il réunit sur la toile définitive, certains détails pouvant apparaître à plusieurs reprises. Très vite, Krøyer choisit un moment particulier de la journée pour installer ses compositions. Il s'agit de ce moment, entre chien et loup, où le bleu du ciel se fait plus intense et la nuit plus claire. C'est la fameuse << heure bleue » qui donne une lumière toute particulière à ses peintures et colore les ombres des pêcheurs à la tâche.

La Plage de Skagen au clair de lune, 1899 Huile sur panneau Copenhague, Statens Museum for Kunst

Ambiance vespérale à Skagen, 1893
Huile sur panneau Copenhague, Statens Museum for Kunst

L'arrivée du chemin de fer à Skagen et les travaux d'agrandissement de l'auberge qui appartenait aux parents d'Anna Ancher, attira, dès 1891, une foule considérable de touristes. Krøyer et sa femme décidèrent, dès lors, de s'éloigner du centre-ville et de découvrir, vers l'ouest, de nouveaux lieux tels ce marais et cette lande couverte de bruyères. Le jeu des couleurs qui anime le premier plan se retrouve dans le ciel où le soleil couchant projette ses derniers rayons sur la couverture nuageuse.

Pêcheurs de Skagen, Danemark, coucher de soleil, 1883
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Le 19 juin 1882, Krøyer arrive pour la première fois à Skagen, petite ville de pêcheurs située à l'extrémité septentrionale du Danemark, à la pointe nord du Jutland, village isolé qui ne sera desservi par une ligne de chemin de fer qu'en 1890. Dès 1883, il peut envoyer cette scène de pêche sur la plage nord de Skagen à l'exposition de printemps qui se tient à Copenhague. L'année suivante, le lieu, déjà évoqué par le peintre suédois Gegerfelt au Salon de 1880, est présenté avec succès au Salon parisien. Krøyer est médaillé.

Une barque blanche sur la plage, le soir, 1895 Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Pêcheurs sur Nordstranden, soir d'été,
1891 Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseum

Bateaux de pêche, 1884
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, don du peintre Albert Besnard, 1899

Exposé au Salon de 1886 où la critique le couvrit d'éloges, ce tableau ne trouva pas preneur. Krøyer décida de le confier à son ami, Albert Besnard, qui le prêta à l'Exposition Universelle de 1889. À l'issue de la manifestation, Krøyer le lui offrit et reçut, en échange, un portrait de femme aujourd'hui conservé à la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague. En 1899, Besnard offrit les Bateaux de pêche au musée du Luxembourg.

Retour de pêche 

Entre amis

En 1884, les amis peintres de Krøyer, Michael (1849-1927) et Anna Ancher (1859-1935) achètent une maison à Skagen et, durant l'été, invitent leurs amis à fêter l'événement. Ce n'est cependant pas là, mais dans le jardin de l'hôtel Brandum qui appartenait aux parents d'Anna Ancher, que Krayer réalise les premières esquisses de l'œuvre qu'il achève en 1888. Le lieu n'est pas la seule incartade hors de la vérité du peintre puisqu'il ajoute aussi certains amis absents comme Christian Krohg (1852-1925) ou Thorvald Niss (1842-1905), tandis qu'il en supprime d'autres. Quant à son portrait, sur l'axe central de la composition, il le peint d'après celui réalisé par l'artiste suédois Oscar Björck (1860-1929). Présentée à l'Exposition Universelle parisienne de 1889, l'œuvre soulève l'enthousiasme de la critique qui admire un « ceil aussi fin et aussi juste que la main est adroite, une entente remarquable à traduire tous les modes lumineux, à y faire mouvoir des formes vivantes» (André Michel, Journal des Débats, 29 août 1889).


Autoportrait, 1909
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Krøyer peint son dernier autoportrait à Skagen et le dédicace dans la partie supérieure « à Michael Ancher, le 8 juillet 1909, de la part de Søren», utilisant le surnom par lequel l'appelaient ses confrères et qui explique les nombreuses toiles qu'il a signées SK. Alors qu'il n'a pas quitté Skagen depuis plus d'un an, Krøyer se rend à Venise en mai 1909. Il revient à Skagen avant la fin du mois et malgré la maladie trouve encore le courage de peindre jusqu'à son décès le 21 novembre, à l'âge de 58 ans.

Femmes au jardin. Marie Krøyer et sa mère, 1891, Huile sur toile
Lübeck, Die Lübecker Museen/Museum Behnhaus Drägerhaus, Kulturstiftung Hansestadt Lübeck

Après la mort de son beau-père, Wilhelm Triepcke, à la fin mars 1891, Krøyer revient au Danemark avec sa femme, accompagné de sa belle-mère Minna et de son beau-frère, Valdemar. Fin mai, ils s'installent tous les quatre dans la maison de madame Bendsen, à Skagen. Si la plupart des scènes de genre peintes à Skagen par Krøyer le sont dans un format horizontal témoignant de l'immensité du paysage, il utilise ici un format vertical et une vue en contreplongée qui favorise la dynamique de cette paisible scène intimiste.

Portrait de Marie Krøyer, femme de l'artiste, 1889
Huile sur toile New York, Collection Ambassador John L. Loeb Jr.

Au nombre des portraits les plus joyeux de Marie - que la peintre norvégienne Kitty Kielland considérait comme «très belle, trop belle et tellement convaincue de sa beauté qu'elle y faisait toujours référence », il faut aussi compter cette autre cœuvre peinte durant leur voyage de noces à Stenbjerg. Cadrée de près, entre deux sources de lumière, Marie apparait dans toute la fraîcheur de sa jeunesse. Jamais exposé et conservé par le peintre, ce portrait n'apparut qu'en 1910, lors de sa vente après décès.

Hip, hip, hip, hourra! Déjeuner d'artistes, Skagen, 1885-1888
Huile sur toile
Göteborg, Göteborgs Konstmuseum

Krøyer travailla de 1885 à 1888 à cette toile qu'il expose ensuite à plusieurs reprises sous le titre Hip, hip, hip, hourra! parfois accompagnée de la mention Un déjeuner d'artistes. À l'automne 1888, elle est présentée à Göteborg par son propriétaire suédois. Le tableau est de retour à Copenhague fin janvier et embarque bientôt pour l'exposition décennale de l'Exposition Universelle de Paris qui ouvre le 5 mai 1889. Elle participe pour beaucoup au succès de Krøyer et à l'obtention d'une médaille d'honneur.

La Table est mise, 1887
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Krøyer a multiplié les études de petit format dont plusieurs figurent dans cette exposition, afin de préparer Hip! hip! hip! hourra! Études des différents personnages ou du cadre qui les accueille, elles sont toutes traitées d'une touche rapide et dans une gamme de couleurs claires. Cette esquisse particulière où figure au premier plan un fauteuil de style dit « viking » laissera finalement place à un simple banc.

Étude pour un portrait d'Helene Christensen, vers 1884
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Étude. Anna Ancher avec sa fille Helga sur ses genoux, 1884
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Soleil, joie, jeunesse

Le succès des tableaux peints à Amalfi durant son séjour du mois de juillet 1890, représentant des baignades d'enfants, incite Krøyer à multiplier ce type d'évocation où lumière rime avec joie et jeunesse. Il n'hésite pas, dès lors, à reprendre le sujet à plusieurs reprises les années suivantes, y compris dans des formats ambitieux de la taille des tableaux de Salon. Ainsi, en 1892, il peint des Enfants se baignant (localisation inconnue) dont nous conservons plusieurs esquisses préparatoires, au pastel ou à l'huile, très abouties où se lit la technique très en pâte de l'artiste. Cette série de petits baigneurs n'occupe Krøyer qu'un court moment mais a une grande influence sur les développements de la peinture de plein-air au Danemark. Elle marque, en particulier, le mouvement vitaliste qui inspire le peintre Jens Ferdinand Willumsen (1863-1958) dans son Soleil et Jeunesse (1909, Göteborg, Göteborgs Konstmuseum).



Garçons se baignant un soir d'été sur la plage de Skagen, 1899
Huile sur toile
Copenhague, Statens Museum for Kunst

Le temps du bonheur

D urant ses séjours à Skagen, Krøyer travaille avec ardeur aux grandes toiles qu'il adresse aux expositions, mais trouve aussi le temps de peindre de plus petits formats, reflets de sa vie intime et des moments paisibles que vit le couple bientôt rejoint par une enfant, Vibeke, qui voit le jour en 1895. Bien d'autres relations et amis passent aussi, que le peintre photographie et dont certains, comme sa belle-mère, figurent dans ses tableaux.

Le plus célèbre tableau évocateur de ces tendres moments, Roses, représente Marie Krøyer vêtue de rose, assise dans une chaise longue dans le jardin de la maison qu'ils louaient à madame Bendsen. Mais le personnage principal est, plus que son épouse, l'immense rosier en fleurs qui occupe le premier plan et dont les branches envahissent la toile. Cette composition peut être rapprochée de plusieurs toiles de Claude Monet (1840-1926) et, en particulier, de La Liseuse (1870, Baltimore, Walters Art Gallery) que Krøyer put voir, en 1889, à la galerie Georges Petit.


Poulets sous les arbres dans le jardin de madame Bendsen, 1893
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Dans le jardin de Skagen, 1893
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Oscar Björck peignant dans le jardin des Brøndum, 1884
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Michael Ancher, Helene Christensen et Anna Ancher dans le jardin des Brøndum, 1885
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Helene Christensen, est une figure incontournable de Skagen dont on retrouve les traits non seulement dans les tableaux de Krøyer- elle est un des modèles de Hip! hip! hip! hourra! - mais aussi dans ceux d'autres artistes de la colonie. Elle est souvent mentionnée comme professeur -quelques années plus tard, elle fut la répétitrice de Vibeke, la fille des Krøyer-et comme organiste. Elle demeura proche du peintre jusqu'à son décès et fut aussi très liée aux Ancher qu'elle avait connus depuis l'enfance.

Tir à la cible, 1883
Huile sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Roses, 1893, Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Durant les étés passés dans la maison de madame Bendsen, à Skagen, Krøyer multiplie les photographies. Il s'en inspire pour peindre un quotidien heureux en compagnie de Marie installée dans le jardin où elle est toujours accompagnée par le chien de l'artiste. Bien qu'il ait beaucoup voyagé avec succès hors du Danemark, par exemple à Chicago en 1893 et en 1895 ou à Cincinnati en 1896, ce tableau demeura propriété de l'artiste et ne changea de main qu'en 1910, lors de sa vente après décès. 
Ps la photographie ne rend pas justice à ce magnifique grand format qui suscite spécialement l'admiration des visiteurs...

L'Heure Bleue


Une partie de la notoriété de Krøyer repose sur quelques tableaux emblématiques peints durant l'été sur la plage située au sud de Skagen. Le sable blond, où se repèrent les traces de pas de promeneurs disparus, traverse la toile en diagonale, ne laissant qu'une petite portion de l'espace à la mer et au ciel aux tonalités avivées par le phénomène atmosphérique qu'est l'« heure bleue ». Plus ou moins décentrés, un ou plusieurs personnages - le plus souvent d'élégantes jeunes femmes, Marie Krøyer et Anna Ancher, mais parfois aussi le peintre et sa femme - se promènent entre terre et mer, silhouettes minuscules dans l'immensité de l'espace.

La première de ces compositions a été peinte en 1893. Il s'agit du tableau ici exposé, aujourd'hui intitulé Soirée calme sur la plage de Skagen, Sønderstrand préparé par plusieurs photographies et esquisses. C'est à Paris que le tableau fut exposé pour la première fois, sur les cimaises du Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1895.

Soirée calme sur la plage de Skagen, Sønderstrand (Anna Ancher et Marie Krøyer marchant), 1893
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Avant de peindre, en 1893, ce grand tableau, Krøyer se livra à de nombreuses études. Elles révèlent ses recherches de cadrage et la difficulté qu'il rencontra, non pour peindre le groupe des deux femmes qui demeure toujours le même-reprise exacte d'une photographie -, mais pour savoir à quelle hauteur de la plage le placer dans le tableau final. Présenté à Paris, au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts de 1895, ce paysage idéalement harmonieux et recueilli (A. Michel)», séduisit les visiteurs.

Pêcheurs sur la plage de Skagen, après-midi d'été, 1883
Huile sur toile
Alkersum/Föhr, Museum Kunst der Westküste

"Attendez-nous !", 1892
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Ce tableau est la reprise d'un détail du tableau de 1892, Enfants se baignant (localisation inconnue), qui fut exposé à Copenhague et à Stockholm avant de partir à destination de Budapest, en novembre de l'année suivante. Cette irruption d'enfants sur une plage, sans autre ressort narratif, était probablement inspirée des théories hygiénistes ou vitalistes contemporaines qu'illustrèrent à cette époque les artistes du nord au sud de l'Europe, de Jens Ferdinand Willumsen à Joaquin Sorolla y Bastida.

Le portraitiste

Krøyer fut d'abord portraitiste. L'appel de la nature modifia son intérêt pour la figure. Les portraits ne furent bientôt qu'un élément des  scènes de genre. Il n'en oublia pas pour autant ce thème qui réapparait à différents moments et donne lieu à des portraits d'apparat qu'il adresse aux expositions. Ses qualités de portraitiste sont néanmoins telles qu'il doit, à la fin des années 1880 et dans les années 1890, renoncer à des sujets personnels pour brosser de grandes toiles réunissant de nombreuses personnalités du monde industriel et culturel danois.

Sa fille Vibeke, comme les enfants de ses amis, occupe une place importante dans son travail de peintre de portrait. Souvent représentés en extérieur, la lumière et le paysage qui les entourent, contribuent à évoquer les meilleurs moments de l'enfance. Vêtue et prête à sortir, Tove Benzon (1889-1973), la fille de l'écrivain Otto Benzon (1856-1927), a un statut spécial qui est tout à la fois un souvenir d'une peinture de l'américain Whistler (1834-1903) et un hommage à Bastien-Lepage (1848-1884).

Portrait de Tove Benzon, 1894
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kusntmuseer


Portrait de Holger Drachmann, 1895
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Drachmann débuta sa formation de peintre à l'Académie royale des Beaux-Arts de Copenhague au milieu des années 1860 avant de se consacrer à la poésie. Il découvrit Skagen, en 1872, mais c'est à Saint-Malo qu'il rencontra Krøyer en 1877. Ce dernier brossa alors un premier portrait de ce nouvel ami qu'il peignit encore à de nombreuses reprises, plus particulièrement à Skagen, après 1900. Dans cette composition, c'est probablement au peintre de marines, que Drachmann aurait voulu être, que Krøyer rend hommage.

Portrait des deux filles d'Alfred Benzon, Else et Hanne, 1897
Huile sur toile Danemark, Faenoe Estate

Les frères Benzon, Otto et Alfred, avaient fait fortune en créant l'industrie pharmaceutique danoise. Tous deux avaient d'autres passions, littérature et peinture, et étaient collectionneurs. Trois ans après que Krøyer ait peint le portrait de Tove, la fille d'Otto, son aîné, Alfred, commanda, en 1897, le portrait de ses filles au bord de la mer. Le lieu favorisa une évocation en extérieur, au soleil et au sein d'une nature abondante, qui en fait la plus grande réussite de l'artiste en la matière.

Plein-air et atelier

Peder Severin Krøyer doit être considéré comme appartenant au mouvement naturaliste qui, suivant l'exemple de Jules Bastien-Lepage (1848-1884), s'est répandu en Europe à partir des années 1880. Il n'en a pas pour autant oublié sa formation académique, et l'ensemble des études présentées ici révèlent sa dette envers une formation jamais oubliée. Dans le processus créatif qui fut le sien, il ne peut y avoir de tableaux sans études préparatoires, aussi les multiplia-t-il sur le motif et sur de petits formats qu'il pouvait ranger dans sa boite de peinture. Il ne se contentait pas de saisir la réalité mais l'arrangeait selon une composition précise destinée à être intégrée à son œuvre définitive. L'intérêt pour la lumière et ses variations se manifeste dans les études de ciel auquel il se livra, comme nombre de ses contemporains. Il l'applique aussi à des paysages qui se dissolvent dans de subtils écarts chromatiques et n'existent plus qu'à travers leur mention, tel l'Étude de ciel. Coucher de soleil sur Nakkehoved.

Boîte de peinture de Peder Severin Krøyer Bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Krøyer, durant ses voyages, a acheté plusieurs boîtes de peinture à Copenhague comme à Paris ou à Berlin. De nombreuses photographies le montrent, sur les plages de Skagen, déambulant ou installé avec tout le matériel du peintre de plein air, cette boîte, portée à l'épaule ou posée sur ses genoux, mais aussi avec le tabouret pliant et le parasol. L'exemplaire du musée de Skagen conserve, dans son couvercle, un petit panneau de bois peint tel que les peintres pouvaient en glisser pour leurs études sur nature.

Étude de ciel, le soir, 1873
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

En 1873, Krøyer remporte une médaille d'or et une bourse de l'Académie des Beaux-Arts de Copenhague. Fort de ce pécule, il décide de partir passer l'été à Hornbæk, ville côtière au nord de Copenhague, et y demeure finalement six mois en compagnie d'autres jeunes artistes, dont certains comme Frans Henningsen ou Viggo Johansen deviendront ses amis. Abandonnant l'enseignement traditionnel et le romantisme dans lequel il a baigné, il privilégie dans ses études la nature et une vision réaliste.

Paysage de Stenbjerg sous la lune, 1889
Huile sur bois Skagen, Skagens Kunstmuseer

Ciel couvert, le soir, 1873
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Étude de ciel. Coucher de soleil sur
Nakkehoved, 1873, Huile sur toile
Skagen, Skagens

La Lande au nord de Skagen, minuit, 1885
Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer

Pleine lune, 1894
Huile sur bois Skagen, Skagens Kunstmuseer

Chemin à travers les dunes de Stenbjerg, temps couvert, 1889
Huile sur toile Skagen, Skagens Kunstmuseer

Autoportrait au chevalet, 1902
Huile sur toile
New York, Collection Ambassador John L Loeb Jr.

En 1888, Krøyer peint un autoportrait (Florence, Galerie des Offices) où il se représente, vêtu de blanc, sur la plage sud de Skagen. Dans un format modeste, il insère son portrait de face sur fond de mer et de ciel, prêt à peindre. Cette version sera reprise, avec des variations, à plusieurs reprises. En 1902, il tente de gommer les effets du temps et de la maladie et affiche sa réussite à travers la présence de plusieurs bijoux en or et d'une montre de gousset avec sa chaîne d'argent.

On ne pouvait pas quitter ce délicieux musée sans faire un tour dans les belles collections permanentes quasi désertes - ici les salles consacrées aux Nymphéas et autres tableaux de jardin de Monet qui ont été réaménagés astucieusement 

Évidemment, petit hommage à impression soleil levant

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