mercredi 13 octobre 2021

Paul Signac, collectionneur, au Musée d'Orsay en octobre 2021


Signac, peintre et collectionneur

Paul Signac collectionne surtout les œuvres de ses contemporains. Figure de proue du néo-impressionnisme, membre fondateur du Salon des Artistes indépendants (1884), grand organisateur d'expositions, il est en effet au cœur de l'actualité artistique. L'amitié jouant un grand rôle dans sa vie, les échanges entre peintres et les cadeaux contribuent largement à l'enrichissement de sa collection. Issu d'une famille de commerçants aisés, Signac achète aussi, auprès d'artistes souvent moins favorisés que lui ou sur le marché de l'art. En 1906, son ami, journaliste et critique d'art Félix Fénéon (1861-1944) est engagé par la célèbre galerie parisienne Bernheim-Jeune, et devient son marchand. Dès lors, Signac troque une part de ses gains contre des tableaux issus du stock de la galerie.

Sans surprise, ses choix reflètent une prédilection pour la couleur pure. Militant de la cause «néo», Signac aime convaincre ses interlocuteurs et les tableaux qu'il accroche à ses murs illustrent, à Paris comme à Saint-Tropez, les idées qu'il expose en 1899 dans D'Eugène Delacroix au néo impressionnisme. Il reçoit chez lui peintres, marchands et critiques d'art, notamment les premiers historiens de l'impressionnisme, Julius Meier-Graefe (1867-1935) et surtout John Rewald (1912-1994) qui, comme Signac, retient la filiation qui mène de l'impressionnisme au fauvisme, via le néo impressionnisme.

Paul Signac 1863-1935
Femmes au puits. Opus 238
1892 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, acquis de Mme Ginette Signac, fille de l'artiste, 1979

Signac a voulu célébrer Saint-Tropez,
où il passe la belle saison depuis 1892. Mais, au delà d'un hommage vibrant aux couleurs de la Méditerranée, la toile a un aspect étrangement contraint. Peinte peu après la mort de Seurat, elle exprime le trouble de Signac qui se lance ici dans la grande peinture décorative, une entreprise délicate pour un peintre autodidacte. Le souvenir du disparu hante L'artiste qui, inconsciemment, reprend la composition du Cirque, la dernière oeuvre de Seurat.
Paul Signac 1863-1935
Route de Gennevilliers
1883 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, acquis en vente publique, 1968

Le jeune Signac choisit souvent de représenter les paysages urbains:
vues de Montmartre et de la banlieue parisienne, notamment d'Asnières où il vit chez son grand-père avec sa mère. Cette vue de la banlieue Nord de Paris témoigne bien de cette période. L'influence de Monet, admiré depuis une visite dans les locaux de la revue La Vie Moderne en 1880 puis dans la galerie Durand-Ruel, est encore perceptible, ainsi que celle des banlieues peintes por Sisley, Pissarro ou Caillebotte une dizaine d'années auparavant, ce qui en fait l'une des oeuvres véritablement impressionnistes de Signas.
Paul Signac 1863-1935
Herblay. Brouillard. Opus 208
1889 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, acquis en vente publique avec la participation de Mme Ginette Signac, fille de l'artiste, et d'un amateur anonyme, 1958
Paul Signac 1863-1935
Les Andelys. La Berge
1886 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay,
accepté par l'État à titre de dation en paiement de droits de mutation, 1996
Paul Signac 1863-1935
Saint-Tropez. La Bouée rouge
1895 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, don du Dr Pierre Hébert 1957

En 1892, Signac découvre le village de Saint-Tropez, où il arrive à bord de son voilier Olympia. Pendant vingt ans, il y réside une grande partie de l'année et attire d'autres peintres. Là, il prend des libertés vis-à-vis des règles du néo-impressionnisme: sa touche s'élargit, ses couleurs deviennent plus chaudes, et peu avant de s'atteler à cette toile, il s'interroge: << Toujours à la recherche d'une facture plus libre, tout en conservant les bénéfices de la division et du contraste. Pour le ton sur ton cela va tout seul [...] mais quand il s'agit d'accorder deux teintes très contraires [...] bleu et orange par exemple [...] c'est bien difficile. >> (P. Signac, Journal, 5 juillet 1895).
Paul Signac 1863-1935
La Voile verte (Venise)
1904 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay,
don de Mme Ginette Signac,
fille de l'artiste, 1976
Paul Signac 1863-1935
Avignon. Soir (le château des Papes)
1909 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, acquis par l'État au Salon des Indépendants pour le musée du Luxembourg, 1912

Les Maîtres

Autodidacte, admirateur de Monet, Degas, Caillebotte et Guillaumin, Signac tente dès l'adolescence de convaincre sa famille d'acheter de la peinture impressionniste et se forme en regardant leurs œuvres dont certaines trouveront place dans sa collection. À la vente posthume de l'atelier de Manet (1841), il ne peut s'offrir qu'un dessin mais, dès qu'il reçoit, à vingt et un ans, une somme mise de côté pour lui, il achète La Plaine de Saint-Ouen-l'Aumône, un Cézanne, qu'il conservera toute sa vie. Monet, dont l'exposition dans les locaux de la revue La Vie moderne en 1880 décide de la carrière de Signac sera, pour des raisons financières, l'un des derniers à figurer dans sa collection, avec Le Village de Lavacourt, et Pommier en fleurs au bord de l'eau, acquis en 1932.

Guillaumin qu'il rencontre en 1884, est le premier peintre à le conseiller. Il acquiert alors Quai de la Rapée. Grâce à lui, il entre en relation avec Pissarro qui sera un maître bienveillant et auprès de qui il acquiert une œuvre néo-impressionniste, Le Troupeau de moutons. Éragny-sur-Epte (1888), ouvrant la voie à d'autres du même artiste. C'est par son intermédiaire qu'il achète son premier Degas en 1887, Avant le lever de rideau; plusieurs dessins suivront, notamment lors de la vente après décès de 1918.

Parmi les «maîtres » collectionnés, il faut citer Boudin (six œuvres), et Jongkind (une peinture, quinze dessins, deux eaux fortes et vingt-six aquarelles), auquel il consacre un ouvrage en 1927, ainsi que l'art du Japon (une quinzaine d'estampes et une vingtaine d'albums illustrés) qui est pour lui une source majeure d'inspiration.

Eugène Delacroix 1798 - 1863
Mazeppa Non daté
Plume et aquarelle sur papier
Collection particulière
Johan Barthold Jongkind 1819-1891
Le Chaland, canal de Willebroek
1866 Aquarelle et crayon sur papier
Collection particulière

La collection de Signac compta vingt six aquarelles, quinze dessins et une toile du peintre hollandais Jongkind. Les acquisitions commencées en 1898 se poursuivront toute sa vie. En 1927, Signac consacre un ouvrage monographique à ce précurseur tant admiré de l'impressionnisme, qui peut aussi se lire comme un traité de l'art de l'aquarelle. Ce livre aussi précis qu'enthousiaste, et cette collection impressionnante d'œuvres de Jongkind, expriment son sentiment de filiation vis-à-vis de ce «maître » dont il connaît profondément la technique et dont il se sent le porte-parole.
Johan Barthold Jongkind
1819-1891
Anvers 26 septembre 1866
 Aquarelle et crayon sur papier
Collection particulière
Eugène Boudin 1824-1898
Étude de ciel
Non daté Paste
Collection particulière
Eugène Boudin 1824 1898
Bateaux de pêche par temps gris
1888-1890 Huile sur bois
Collection particulière
Armand Guillaumin 1841-1927
Quai de la Rapée
Vers 1880-1881 Huile sur toile
Collection particulière
Camille Pissarro 1830-1903
Paysannes au bois 1881
Huile sur toile
Collection particulière
Paul Cézanne 1839-1906
Trois poires, dit aussi Les Trois Poires; Nature morte
1878-1879 Huile sur toile
Washington, National Gallery of Art. Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon
Pierre-Auguste Renoir 1841-1919
Deux paysages et une nature morte
Non daté Huile sur toile
Collection particulière
La Plaine de Saint Ouen-l'Aumône vue prise des carrières du Chou, dit aussi Auvers-sur-Oise
Vers 1880 Huile sur toile
Collection particulière

À vingt et un ans, Signac achète à la boutique du Père Tanguy (célèbre marchand de couleurs des impressionnistes) cette toile de Cézanne, qui restera l'une des favorites de sa collection; même aux heures les plus difficiles, il ne se résoudra jamais à s'en séparer. Deux autres rejoindront bientôt celle-ci: Trois poires (1878-1879) et Baigneur Debout (vers 1876). L'admiration de Signac pour Cézanne ne cessera de croitre. Le théoricien en lui qui admire dans la touche du maître Le trait d'union entre les modes d'exécution des impressionnistes et des néo-impressionnistes» sera tout aussi émerveillé plus tard par ses aquarelles.

Claude Monet 1840-1926
Pommier en fleurs au bord de l'eau
1880 Huile sur toile
Collection particulière

En 1880, la visite d'une exposition consacrée à Monet décide de l'avenir du jeune Signac: il sera peintre impressionniste. Dès lors, son admiration ne faiblit pas mais les tableaux du maître de Giverny sont hors de sa portée financière. Quand, en 1932, le galeriste Léon Marseille est ruiné et ne peut lui régler ce qu'il lui doit, Signac saisit l'occasion. En compensation, il choisit ce tableau qui figurait à l'exposition de 1880 et qui annonce par bien des aspects l'esthétique néo-impressionniste.

Camille Pissarro 1830-1903
Paysanne assise
Vers 1880-1882 Pastel sur papier
Collection particulière
Camille Pissarro 1830-1903
Enfants jouant, dit aussi
Enfants au jardin
1887 Aquarelle
Collection particulière

Camille Pissarro1830-1903
Paysans, retour de marché
Vers 1880-1885
Aquarelle et crayon sur papier
Collection particulière
Camille Pissarro 1830-1903
Le Troupeau de moutons, Éragny-sur-Epte
1888 Huile sur toile
Collection particulière

En 1885, Signac rencontre Camille Pissarro dans l'atelier du peintre Armand Guillaumin et lui présente Georges Seurat. Le vieil impressionniste s'intéresse aux recherches sur la couleur de ses jeunes confrères, au point d'adopter la touche divisée de Seurat. Grâce à lui, Seurat et Signac ont l'occasion de se faire connaître en exposaont leurs premiers stableaux divisés lors de l'exposition Impressionniste
Edgar Degas 1834-1917
Deux danseuses en maillot (Arlequin et Colombine) 1892
Fusain gras sur papier
Collection particulière
Edgar Degas 1834-1917
Nu de dos, dit aussi Fesses
Non daté
Sépia sur papier
Collection particulière
Édouard Manet 1832-1883
La Belle Polonaise Vers 1878
Lavis d'encre de Chine et crayon
sur papier Collection particulière
Edgar Degas 1834-1917
Femme accroupie Non daté
Dessin
Collection particulière

Danseuse s'habillant, dit aussi Danseuse se grattant le dos
Non daté
Pastel avec rehauts de gouache
Collection particulière
Utagawa Hiroshige 1797-1858
Épisode de la vie de Minamoto no Yoshitsune (1159-1189)
Non daté
Gravure sur bois en couleur 
Archives Signac

Katsushika Hokusai 1760-1849
La Manga
Deux des quatorze volumes d'illustrations publiés de 1814 à 1878
Archives Signac
Katsushika Hokusai
1760-1849 La Manga
Deux des quatorze volumes d'illustrations publiés de 1814 à 1878
Archives Signac

Néo impressionnistes

Signac aime s'entourer de "toiles amies" et les peintres néo-impressionnistes sont très logiquement au cœur de sa collection. Théo Van Rysselberghe, qui a longtemps été un de ses camarades de lutte les plus proches, lui offre l'admirable portrait, Signac à la barre de l'Olympia. En 1887, l'achat de L'Homme à sa Toilette signe le début de son amitié avec Maximilien Luce. Celui-ci adopte dès lors la touche divisée à laquelle il renonce dans les années 1890 pour une facture plus libre. Charles Angrand compte lui aussi parmi les premiers représentants du cercle néo. Mais, s'il dessine admirablement, il peint peu, au grand regret de Signac.

Henri-Edmond Cross entre dans le cercle néo-impressionniste relativement tard, en 1891 et se lie d'une étroite amitié avec Signac. Les deux peintres échangent des tableaux et se voient régulièrement dans le Midi où Cross accompagne la réflexion théorique de Signac sur la couleur. À partir de 1895, leurs touches s'élargissent et ils usent tous deux de polychromies libres et audacieuses. Après la mort de Cross en 1910, Signac continue d'acquérir ses toiles.

Parmi les peintres de la seconde génération néo-impressionniste, Signac apprécie particulièrement l'art de son amie et élève Lucie Cousturier.

Charles Angrand 1854-1926
La Grange sous la neige
1895 Crayon Conté sur papier
Collection particulière, Royaume-Uni, courtesy of Eric Gillis Fine Art

Signac apprécie particulièrement les dessins de son ami Charles Angrand, dont la sensibilité politique est proche de la sienne. À l'occasion d'une exposition chez Durand-Ruel en 1899, il note dans son Journal: "Ce sont [...] des poèmes de lumière, bien combinés, bien exécutés, tout à fait réussis [...] Nous devons trouver un dessin adéquat à notre peinture, dessin non d'imitation et d'exécution [...]. Et je crois bien qu'Angrand est en train de le trouver." Ce dernier s'était retiré en Normandie à St Laurent-en-Caux, lieu probable de cette grange enneigée, fantomatique et mystérieuse, dans la lignée de la technique de Seurat.
Charles Angrand 1854-1926
Lapins, soleil levant
1905
Crayon Conté sur papier
Collection particulière
Charles Angrand 1854-1926
Au champ 1906
Huile sur toile
Collection particulière
Henri-Edmond Cross 1856-1910
Côte provençale, le four des Maures
Juin 1906 - février 1907 Huile sur toile
Douai, musée de la Chartreuse, acquis en 1985
Henri-Edmond Cross 1856-1910
Toulon, matinée d'hiver
Décembre 1906
Huile sur toile
Collection particulière
Henri-Edmond Cross 1856-1910
La Ferme (soir)
Vers mai 1892 Huile sur toile avant mars 1893
Collection particulière
Henri-Edmond Cross 1856-1910
Le Naufrage
Juin 1906 février 1907 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, don de Mme Ginette Signac, fille de l'artiste, 1976
Henri-Edmond Cross 1856-1910
Blanchisseuses en Provence
Vers 1885-1889 Huile sur toile
Paris, musée des Arts décoratifs

Cross adopte la touche divisée en 1891 et refuse dès lors de montrer ses œuvres de jeunesse. La plupart ont disparu, à l'exception d'un ensemble de portraits de famille et de rares scènes de plein-air comme Blanchisseuses en Provence qui témoigne de l'intérêt précoce de Cross pour la lumière du Midi. On ne sait dans quelles circonstances ses amis Signac et Ker-Xavier Roussel entrent en possession de l'œuvre, mais c'est afin d'honorer la mémoire de Cross qu'ils l'offrent au musée des Arts décoratifs en 1929.

Maximilien Luce 1858-1941
L'Échafaudage, dit aussi Le Drapeau rouge, étude pour l'affiche La Bataille syndicaliste 1910
Huile sur papier marouflé sur toile
Roubaix, La Piscine, musée d'Art et d'Industrie André Diligent, don de Charlotte Hellman en 2020

Emblématique de la sensibilité aux difficultés de la vie ouvrière et des convictions anarchistes partagées par Signac et Luce, cette composition militante sera reprise par son auteur en 1911 pour une affiche et une carte postale en faveur de La Bataille syndicaliste. Dans une lettre à son épouse Berthe, Le peintre-collectionneur dit son plaisir d'avoir découvert cette très belle esquisse de Luce, des ouvriers arborant un drapeau rouge en haut d'un échafaudage. "Ca vaut un Delacroix, ou un Daumier", il continue ainsi indéfectiblement à soutenir la production de Luce et déplore d'être encore un de ses rares acheteurs.

Maximilien Luce 1858-1941
Portrait d'Henri-Edmond Cross
Vers 1898 Huile sur carton

Maximilien Luce 1858-1941
Portrait de Lucie Cousturier
Vers 1903 Huile sur carton
Saint-Tropez, musée de l'Annonciade, don de Ginette Signac, 10 mars 1977

Maximilien Luce 1858 - 1941
Le Louvre et le Pont Neuf la nuit
Vers 1891
Huile et gouache sur papier en forme d'éventail
Paris, musée d'Orsay, don de M Ginette Signac, 1976

Maximilien Luce 1858-1941
Saint-Tropez,  dit aussi 
Pins au bord de la mer
Vers 1890
Huile sur carton en forme d'éventail
Collection particulière

Théo Van Rysselberghe 1862-1926
L'Homme à la barre (Yves Priol, marin de Paul Signac)
1892 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, donation de Mme Ginette Signac
Théo Van Rysselberghe 1862-1926
En mer, portrait de Paul Signac, dit aussi Paul Signac à la barre de son bateau l'Olympia
1896 Huile sur toile
Archives Signac

Les deux peintres se lient d'amitié en 1887, lors de la présentation à Bruxelles de Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte de Seurat (1884 1886, Chicago, The Art Institute). Van Rysselberghe adopte la touche divisée l'année suivante et défend dès lors avec brio le néo-impressionnisme en Belgique. En 1892, il navigue avec Signac, qu'il quitte à Sète, peu avant l'arrivée à Saint Tropez. 
Théo Van Rysselberghe
1862-1926
Étude pour En mer, portrait de Paul Signac
1896 Sanguine
Archives Signac
Théo Van Rysselberghe 1862 1926
Portrait de Berthe Signac
Vers 1900-1902 Huile sur toile
Archives Signac
Maximilien Luce 1858-1941
L'Homme à sa toilette 1887
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais

Comme Signac, Maximilien Luce s'attache à montrer dans ses toiles les transformations économiques et urbaines. D'origine modeste, il commence sa carrière comme ouvrier graveur et connaît bien leurs conditions de vie. Il représente ici, probablement, le cordonnier Eugène Frédéric Givort (1858-1926), militant socialiste. Au Salon des Artistes indépendants, la toile est remarquée par l'écrivain naturaliste Paul Alexis: «Un prolo se lavant dans une terrine, [...] rude morceau de peinture!» (Le cri du Peuple, 26 mars 1887), et aussitôt achetée par Signac. Cette première acquisition marque le début d'une longue amitié et d'un soutien constant.
Maximilien Luce 1858 1941
Le Café 1892
Huile sur toile
Collection particulière
Maximilien Luce 1858-1941
Portrait de Paul Signac
 1889 Huile sur bois
Collection particulière
Henri-Edmond Cross 1856 1910
Baigneuses, dit aussi La Joyeuse Baignade
1899 1902 Huile sur toile
Collection particulière
Henri-Edmond Cross 1856-1910
Rivière de Saint-Clair
Mars-mai 1908 Huile sur toile
Henri-Edmond Cross 1856-1910
La Plage de Saint-Clair 1901
Huile sur toile
Collection particulière
Henri-Edmond Cross 1856-1910
Avant l'orage (La Baigneuse)
Novembre 1907 Huile sur toile
Collection Mr. and Mrs. Alon Zakaim
Henri-Edmond Cross 1856-1910
Étude pour Pins
Vers 1897-1899 Huile sur bois
Collection particulière

Étude pour Napées
Vers 1908 Huile sur bois
Collection particulière
Maximilien Luce 1858 - 1941
Le Seuil, rue Cortot
Vers 1890 Huile sur bois
Collection particulière
Louis Hayet 1940 1864
Paysage 1898
Huile sur panneau
Collection particulière

Fontaine Wallace 1899
Huile sur panneau
Collection particulière
Maximilien Luce 1858-1941
Nature morte, buisson de fleurs
Non daté Huile sur toile
Collection particulière
Juliette Cambier 1879 1963
Ma cheminée
1917 Huile sur toile
Collection particulière
Lucie Cousturier 1876 1925
Nature morte fruits
Vers 1903 Huile sur toile
Collection particulière

Peintre néo-impressionniste de la seconde génération, Lucie Cousturier était propriétaire de Un dimanche après midi à l'île de la Grande Jatte de Seurat et élève de Signac qui l'admirait: « Elle n'imite personne et d'elle-même va au juste, au beau, au vrai. [...] son talent la porte vers les plus fulgurantes colorations». Indépendante, Cousturier interprète à sa façon la théorie de la division de la couleur et se montre également l'autrice douée d'études monographiques consacrées notamment à Seurat et à Signac.
Lucie Cousturier 1876-1925
Nature morte fleurs
Vers 1900-1910 Huile sur toile 
Collection particulière 
Henri-Edmond Cross
1856-1910
Composition, dit aussi L'Air du soir
1893-1894 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, don de Mme Ginette Signac, fille de l'artiste, 1976

Matisse passe l'été 1904 à Saint-Tropez où il séjourne près de la villa de Signac. Il sympathise aussi avec Cross, qui le reçoit à Saint-Clair où il voit L'Air du soir. L'hiver suivant, Matisse peint dans son atelier parisien Luxe, Calme et Volupté, une toile d'allure néo-impressionniste, dont une des figures s'inspire de L'Air du soir. En 1905, Signac réaménage la salle à manger de sa villa La Hune et imagine un accrochage témoignant de la filiation des deux œuvres. Il a acquis un grand tableau pré-fauve de Valtat, Femmes au bord de la mer et décide de compléter le décor avec les œuvres de Matisse et de Cross. Il obtient Luxe, Calme et Volupté en échange d'une de ses toiles La Maison verte (Venise) et de 500 francs. Puis il troque un de ses tableaux, La Passerelle Debilly, contre L'Air du soir de Cross. Satisfait, il confie à Manguin «Quels somptueux repas maintenant [...] même si le menu est maigre.»
Henri Matisse 1869-1954
Luxe, calme et volupté
Hiver 1904-1905 Huile sur toile
Paris, Centre Pompidou,
musée national d'Art moderne / CCI,
Louis Valtat 1869-1952
Femmes au bord de la mer
Vers 1904 Huile sur toile
Collection particulière

Les surprises d'une collection

Co-fondateur puis président du Salon des Artistes indépendants à partir de 1908, Signac figure longtemps au carrefour des avant-gardes, et certains de ses choix témoignent d'engouements inattendus.

Proche de Vincent Van Gogh, qu'il fréquente à Paris dès 1887, il recevra en 1889 Deux Harengs, en souvenir d'une visite au peintre interné à Arles. Sensible à l'expressivité de la couleur, Signac a aussi privilégié les Fauves pour ses propres cimaises: Matisse, Camoin, Marquet, Puy, d'Espagnat et surtout Valtat. De Van Dongen, Signac obtient deux tableaux importants, Nu à la jarretière et Modjesko Soprano Singer, acquis chez Berheim-jeune en 1907 et 1908. Il aime aussi la céramique fauve et réunit un bel ensemble d'œuvres de son ami André Metthey.

La collection de Signac révèle son engouement pour le nu, genre qu'il a lui même rarement abordé, dont cet inquiétant Affaire de Camden Town, de Walter Sickert, trouvé grâce à l'écrivain et critique d'art Félix Fenéon, ainsi qu'un Vuillard réduisant un dos féminin à quelques aplats de couleur. Signac acquis aux idées anarchistes achète sans surprise des estampes de cette veine auprès de Vallotton, mais choisit étonnamment chez ce peintre Bateau à Honfleur, traité en aplats sombres. Et, s'il admire grandement Bonnard, ce ne sont pas ses toiles les plus lumineuses qu'il retient, mais celles aux teintes plus sourdes de gris et de verts. Il possèdera aussi trois œuvres de Denis et Roussel, deux artistes dont il est proche et, lui qui a tant raillé les symbolistes, possédait un chef-d'œuvre de Redon, un fusain intitulé Le Centaure.

Louis Valtat 1869-1952
Femme à la fourrure, esquisse de Femme au renard
Vers 1902 Huile sur bois
Collection particulière
Louis Valtat 1869-1952
Les Roches rouges de l'Esterel
1900-1901 Huile sur toile
Collection particulière
Georges d'Espagnat 1870-1950
Baigneuses
1909-1910 Huile sur toile
Collection particulière
Louis Valtat 1869-1952
Nocturne (effet de lune)
Vers 1900-1901 Huile sur toile
Collection particulière

Proche des peintres du groupe Nabi, Valtat est fidèle au Salon des Artistes indépendants où il expose depuis 1893. Il participe également au Salon d'Automne où il présente un tableau très proche de Nocturne en 1905, l'année de la naissance du fauvisme. À cette époque, Signac possède déjà une importante toile de Valtat, Femmes au bord de la mer. IL apprécie tout particulièrement les talents de coloriste du peintre qu'il voit volontiers quand il séjourne dans le Midi.
Henri Matisse 1869-1954
Notre-Dame
Printemps 1904 ou printemps 1905 Huile sur papier
Collection particulière
Albert Marquet 1875-1947
La Seine, temps gris, dit aussi Quai des Grands Augustins; Quais à Paris
Vers 1905 Huile sur toile
Collection particulière
Henri Matisse 1869-1954
Étude pour Le Goûter Été 1904
Aquarelle sur papier
 Collection particulière
Charles Camoin 1879-1965
La Rue Bouterie 1904
Huile sur toile
Collection particulière
Kees Van Dongen 1877-1968
Modjesko, Soprano
1908 Huile sur toile
New York, The Museum of Modern Art, don de Mr. and Mrs. Peter A. Rübel, 1955

Lorsque Signac achète ce portrait du chanteur travesti d'origine roumaine
connu pour sa voix de soprano et surnommé «la Patti Noire », il possède déjà le Nu à la jarretière de Van Dongen acquis l'année précédente. Le Signac théoricien du néo-impressionnisme, prosélyte de la couleur pure, se veut source d'inspiration pour la génération suivante à laquelle il s'intéresse de près, et ce tableau flamboyant semble bien faire écho à l'exhortation finale de son ouvrage: «Ce coloriste triomphateur n'a plus qu'à paraître: on lui a préparé sa palette.» (P. Signac, D'Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, 1899)
Kees Van Dongen 1877-1968
Nu à la jarretière 1907
Huile sur toile
Collection particulière
Félix Vallotton 1865-1925
Marée basse, Honfleur 1901
Huile sur carton
Collection particulière
Pierre Bonnard 1867-1947
Bateaux au port, Cherbourg 1910
Huile sur toile
Collection particulière
Jean Puy 1876-1960
Quai à Saint-Tropez, dit aussi Le Port de Saint-Tropez
Vers 1906 Huile sur toile
Collection particulière
Maurice Denis 1870-1943
Trestrignel jaune, dit aussi Jeunes femmes sur la plage
Vers 1897 Huile sur bois
Collection particulière
Félix Vallotton 1865-1925
La Charge 1893 Xylographie
Collection particulière
Félix Vallotton 1865-1925
L'Anarchiste 1892 Xylographie
Archives Signac
Maurice Denis 1870-1943
Soir de fête, en bord de Seine, dit aussi La Promenade; La Fête à Meulan, jaune Vers 1900
Huile sur carton parqueté
 Collection particulière

Les cheminements artistiques et idéologiques de Maurice Denis et de Signac semblent aux antipodes, pourtant leur amitié et leur estime réciproques ne cesseront de se renforcer, notamment pour la sauvegarde de l'atelier de Delacroix, place Furstenberg à Paris. En décembre 1901, Signac échange avec Lui ces deux panneaux contre un dessin de Seurat, et une aquarelle de lui-même. Les motifs de la mer et de la rivière ne sont certainement pas étrangers au choix de Signac qui écrivait au sujet de Denis: C'est toujours délicieux, d'un goût exquis, d'une belle pensée, de jolies teintes, d'un bon arrangement. (Journat, 8 avril 1897)
Edouard Vuillard 1868-1940
Nu au tabouret dans l'atelier
Vers 1900 Huile sur carton
Collection particulière
Odilon Redon 1840-1916
Le Centaure tirant à l'arc
Non daté Fusain et pastel sur papier
Collection particulière

Ce dessin onirique de Redon témoigne du lien entre deux artistes fort différents, qui ont pourtant participé ensemble à l'aventure des Indépendants ainsi qu'à la dernière exposition impressionniste en 1886. Dans l'ensemble, les «symbolards » (terme péjoratif pour désigner les symbolistes) sont à l'opposé des conceptions artistiques de Signac qui écrit pourtant dans son Journal en septembre 1895, à propos d'un "très beau Redon : La mise en page, savante, L'imprévu de l'arabesque, les superbes qualités des blancs et des noirs, leur parfaite distribution font que j'admire ce dessin entièrement [...]. C'est de la bonne peinture"
Ker-Xavier Roussel 1867-1944
Nymphes et satyres
Non daté Huile sur panneau
Collection particulière
Vincent Van Gogh 1853-1890
Deux harengs
1889 Huile sur toile
Collection particulière

En 1887, Van Gogh fait la connaissance de Signac. Une passion commune pour la couleur les rapproche et ils peignent côte à côte sur les bords de Seine. Quand son ami Vincent est interné à Arles en 1889, Signac lui rend visite. Bien que la porte de l'atelier de Van Gogh ait été mise sous scellés, les deux peintres en forcent l'entrée. En souvenir de cette journée mémorable, Van Gogh offre Deux harengs à Signac, parce que «cela représentait deux harengs fumés, qu'on nomme gendarmes».

Seurat

Signac rencontre Georges Seurat (1859 1891) en 1884, à l'occasion du premier Salon des Artistes indépendants. En dépit de formations et de tempéraments radicalement différents, ils se lient d'amitié et, ensemble, s'intéressent aux thèses scientifiques contemporaines, de Charles Blanc, Eugène Chevreul, Charles Henry et Ogden Rood concernant la perception de la couleur. À cette époque, Signac admire l'art de Claude Monet (1840-1926) et peint de façon impressionniste. Mais tout change au cours de l'hiver 1885-1886, quand Seurat reprend Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte (1884-1886, Chicago, The Art Institute). Il ponctue la toile de petites touches de couleurs pures, laissant à l'œil du spectateur le soin d'opérer, à distance, la fusion des tons. D'emblée, Signac adopte la nouvelle technique qui, bientôt baptisée « néo impressionniste », ne tarde pas à faire de nombreux adeptes. Quand Seurat meurt brutalement en 1891, Signac devient le chef de file du mouvement et défend la mémoire de son ami disparu. Très tôt, il collectionne ses œuvres, réunissant un ensemble exceptionnel de plus de quatre-vingt dessins, études, esquisses et tableaux, recouvrant tous les aspects et toutes les périodes de l'art de Seurat. 

Georges Seurat 1859-1891
Portrait de Paul Signac 1890
Crayon Conté sur papier
Archives Signac

Georges Seurat 1859 - 1891
Torse d'homme nu près d'un chevalet (étude pour Une baignade à Asnières?)
1882-1883 Crayon Conté sur papier
Collection particulière
Georges Seurat 1859 - 1891
L'Homme à la houe, dit aussi Le Laboureur 1881-1882
Crayon Conté sur papier
Paris, musée d'Orsay, don du Vicomte de Noailles par l'intermédiaire des Amis du Louvre en 1926
Georges Seurat 1859-1891
Abords du village
Vers 1883 Huile sur bois
Collection Inna Bazhenova
Georges Seurat 1859-1891
Le Fort Samson à Grandcamp
1885 Huile sur bois
Archives Signac
Georges Seurat 1859 - 1891
Gravelines: un soir, étude
1890 Huile sur bois
Paris, Centre Pompidou,
Georges Seurat 1859-1891
Couseuse, étude pour un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte
1884 Huile sur bois
Collection particulière
Georges Seurat 1859 - 1891
Trois dos, étude pour Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte
1884-1885 Huile sur bois
Collection particulière
Georges Seurat 1859 - 1891
Paysage, homme assis, femme étendue, étude pour Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte
1884 Huile sur bois
Paris, musée d'Orsay
Georges Seurat 1859-1891
La Seine à Courbevoie
1885 Huile sur toile
Collection particulière
Georges Seurat 1859-1891
Le Cirque
1891 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, legs John Quinn, 1924,

Quand Seurat meurt en 1891, son dernier tableau, Le Cirque, apparaît comme son testament artistique. Bouleversé, Signac s'efforce dès lors d'honorer la mémoire de son ami, collectionne ses œuvres avec passion et achète Le Cirque en 1900. Obligé de se séparer en 1923 de ce fleuron d'un ensemble de plus de 80 peintures et dessins de Seurat, il n'accepte de Le céder à John Quinn, un collectionneur américain, que sous la promesse de le léguer au Louvre. En 1924, Le Cirque est ainsi le premier Seurat à entrer dans Les collections nationales.
Georges Seurat 1859-1891
Chahut, esquisse
1889 Huile sur toile
Buffalo (New York),
Collection Albright-Knox Art Gallery

Si Signac s'intéresse de près aux travaux préparatoires de ses confrères, c'est notamment parce qu'il y trouve un enseignement. Ici, son choix s'est arrêté sur la seconde esquisse de Chahut (1889-90, Otterlo, Rijksmuseum Kröller-Müller), une grande toile de Seurat empreinte d'un humour caricatural. Tous les éléments de la composition finale sont déjà présents dans cette esquisse de moyennes dimensions, jusqu'à la bordure et au cadre peint, auxquels Seurat prête toujours un soin particulier.
Georges Seurat 1859 - 1891
Petite esquisse des Poseuses
1887 Huile sur bois
Collection particulière
Georges Seurat 1859 1891
Aman-Jean en Pierrot
Vers 1884 Huile sur bois
Collection particulière
Georges Seurat 1859-1891
Poseuse debout, esquisse, dit aussi De face
Fin 1886 Huile sur bois
Paris, musée d'Orsay, donation M. Philippe Meyer

Parmi les quatorze huiles sur toile et panneaux de Seurat de la collection de Signac figurent deux études pour les Poseuses qui, selon une liste établie par Signac en 1912, auraient peut-être été échangées avec Seurat peu avant sa mort. Signac semble aussi sensible aux études qu'aux toiles abouties, comme il le note lors d'une exposition de panneaux et de dessins de Seurat en 1895: «Quel charme se dégage de ces sourires et de ces pensées de peintre!>> (Paul Signac, Journal, 22 février 1895). En 1931, sous la contrainte de difficultés financières, en accord avec son épouse Berthe, il se résout à s'en séparer.
Georges Seurat 1859-1891
Le Tas de pierres, dit aussi Casseurs de pierres
Vers 1884 Huile sur toile
Schaan, Liechtenstein, Hilti Art Foundation
Georges Seurat 1859 1891
Tête 1877
 Crayon Conté sur papier
Collection particulière

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