samedi 2 octobre 2021

Femmes peintres au musée du Luxembourg en mai 2021

Encore une belle exposition dans cet espace culturel qui fait honneur au Senat !
En voici la présentation et la quasi totalité des tableaux :

Combat. Celui de peintres femmes entre la fin du Siècle des lumières et le seuil de la monarchie de Juillet. Certaines sont connues. La plupart ne le sont plus.

Mais il n'en fut pas toujours ainsi. Même si elles furent "empêchées" au nom de leur genre, nombre d'entre elles jouissaient à l'époque d'une reconnaissance qui contredit l'invisibilité dont le récit dominant de l'histoire de l'art les a frappées jusqu'à une période récente.

Ce combat est donc aussi, et d'abord, le nôtre.

Sortons du raisonnement circulaire autour du "féminin" qui continue à retrancher de l'histoire de l'art et de la mémoire collective des artistes et des œuvres de genres dits "mineurs". Résistons au concept rhétorique et politique de «grandeur ».

Ouvrons notre curiosité à autre chose qu'à l'exception qu'elles auraient représentée. Pour un jour ne plus avoir à préciser «peintres femmes ».

Redonnons voix aux controverses, à la multiplicité, à la singularité, à l'hétérogénéité des points de vue et des investissements.

Prenons connaissance de leur milieu, leur réseau de sociabilité, leur apprentissage, leur stratégie de carrière, leur clientèle, leur réception par le public et la presse, leur rôle dans les mutations que l'art enregistre entre 1780 et 1830. Les goûts, les modes, les idées, les codes sociaux, les clichés, les imaginaires : comment s'y prenaient-elles avec ces données, conscientes et inconscientes, pour que la peinture advienne sur leurs toiles ? Leur travail de peintre, c'était quoi ?

Contemplons leurs œuvres !

L'invention du dessin
Joseph-Benoît Suvée 

Débutante, une jeune femme grecque, fille d'un potier, est amoureuse. Avant que son amant ne parte, peut-être pour la guerre, elle trace le contour de son ombre. Son père, à partir de ce dessin, modèle la terre pour en faire le portrait qui immortalisera la ressemblance de l'être aimé. C'est ce mythe antique de l'origine de la peinture rapporté par Pline l'Ancien au ter siècle, souvent glosé et représenté de la Renaissance à l'âge classique, qu'a peint Joseph-Benoit Suvée. Il est le seul récit dont l'un des protagonistes est une femme. Son rôle est cependant accessoire car c'est au père que revient le rôle de donner au portrait le statut d'oeuvre d'art. C'est par le père que la peinture « finit par acquérir sa propre autonomie » (Pline l'Ancien).

Autoportrait de l'artiste peignant le portrait de l'impératrice Elsaveeta 
Elisabeth Vigée Le Brun 1800

Elisabeth-Louise Vigée Le Brun quitte volontairement la France révolutionnaire dès 1789: de l'Italie à la Russie, son talent et sa rage de peindre transforment cet exil en un parcours triomphal des cours européennes.

Origine, moyen et fin de la représentation, dominant la toile et son hors-champ, Vigée Le Brun affirme ici sa propre autonomie en tant qu'artiste et en tant que femme. S'emparant subtilement du mythe fondateur de la peinture - sujet de l'oeuvre accrochée ci-contre dans l'exposition - Vigée Le Brun se fait moderne et libre Dibutade : sans amant projetant son ombre à délinéer, ni père potier pour en achever le portrait. C'est sa propre ombre qui recouvre le portrait esquissé sur le chevalet. C'est en son autoportrait que la peinture, du dessin à la couleur, sur tout le champ de la toile, atteint sa complétude.

«Peindre et vivre n'a jamais été qu'un seul et même mot pour moi », écrivait-elle dans ses Souvenirs.

Portrait de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI
Elisabeth Vigée Le Brun 1782



Portrait de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI
Adélaïde Labille-Guiard 1788

« Nous félicitons Mme Guiard de la confiance que ces hommes aussi distingués témoignent en ses talents » écrit en 1783 le créateur du alon de la correspondance, Pahin de la Blancherie, dénonçant aussi « la fausse opinion [...] que le mérite de ses ouvrages était dû à une main étrangère ». Depuis 1777, la pastelliste se forme à l'huile auprès de l'académicien François-André Vincent, son ami d'enfance. L'Académie royale exige en effet une huile sur toile comme pièce de réception. Elle ambitionne d'y être admise. En 1782, Vincent sollicite auprès de quelques académiciens, dont Suvée, la faveur de poser pour elle. Les portraits sont un succès au Salon de la correspondance : les académiciens valident sa candidature en mai 1783.

LE DROIT D'ÊTRE PEINTRES

L'anti-académisme et la féminisation des beaux-arts

Autour de 1780, controverses et rivalités s'attisent, à l'extérieur comme à l'intérieur de l'Académie royale de peinture. Sa hiérarchie, ses privilèges et sa pédagogie suscitent un mécontentement qui n'est pas étranger à la crise sociopolitique en germe.

Dans le même temps, en marge du Salon officiel, le Salon du Colisée, l'Exposition de la Jeunesse, le Salon de la Correspondance suscitent l'engouement. On y découvre de jeunes peintres femmes de talent. La presse en parle.

L'admission en mai 1783 à l'Académie d'Élisabeth Vigée Le Brun et d'Adélaïde Labille-Guiard, déjà célèbres, crée l'événement. Le sujet passionne, déclenche les controverses. On limite à quatre le nombre d'académiciennes. La prééminence de la peinture d'histoire, fer de lance du programme de restauration de la grandeur de l'école nationale, est menacée, s'inquiète-t-on, par la féminisation croissante des beaux-arts.

L'étude du nu, préalable indispensable au grand genre, est en principe interdit au « sexe faible » car contraire à la morale. Comme l'est la mixité que favorise l'ouverture croissante des ateliers de formation aux demoiselles. Le débat fait rage, se politise.

La Révolution éclate. Le premier Salon libre ouvre en 1791, l'Académie royale de peinture est abolie en 1793. La même année, la Société populaire et républicaine des arts, mettant en balance vocation domestique et vocation artistique, interdit jusqu'en octobre 1794 aux femmes d'y adhérer. Mais rien ne les empêche désormais d'exercer professionnellement ni d'exposer: seulement une trentaine dans les salons révolutionnaires, elles seront deux cents au milieu des années 1820.

Portrait de femme 
Adélaïde Labille-Guiard 1787

Autoportrait en Aspasie 
Marie-Geneviève Bouliard 1794

Portraitiste renommée, l'artiste a une activité très intense pendant la période révolutionnaire.
Qu'elles prennent part au don patriotique des femmes à l'Assemblée nationale du 7 septembre 1789, qu'elles intègrent, comme Marie-Geneviève Bouliard ou Nanine Vallain, la Commune géné rale des arts (1790-1793), nombre de femmes artistes s'engagent alors dans la lutte contre les institutions artistiques de l'Ancien Régime.
Interprètes des valeurs et des iconographies révolutionnaires tant privées que publiques, elles y saisissent l'occasion d'une affirmation de leur statut d'artiste : pour Bouliard, c'est cet autoportrait allégorique en Aspasie, courtisane cultivée, compagne et conseillère influente de Péricles, grand stratège et homme d'État athénien du Ve siècle avant notre ère.

Portrait de Marie-Antoinette en robe de mousseline dite à la créole 
Elisabeth Vigée Le Brun 1783

Autoportrait 
Rosalie Filleul de Berne née  
Anne-Rosalie Bocquet 1775

"Mademoiselle Boquet avait un talent remarquable pour la peinture, mais elle l'abandonna presque entièrement après avoir épousé M. Filleul, époque à laquelle la reine la nomma concierge du château de la Muette.

Que ne puis-je vous parler de cette aimable femme, sans me rappeler sa fin tragique? Hélas! je me souviens qu'au moment où j'allais quitter la France, pour fuir les horreurs que je prévoyais, madame Filleul me dit: Vous avez tort de partir: moi, je reste; car je crois au bonheur que doit nous procurer la révolution. Et cette révolution l'a conduite sur l'échafaud! "
Élisabeth-Louise Vigée Le Brun, Souvenirs, Lettre II

L'élève intéressante 
Marguerite Gérard 1786

Après sa soeur Marie-Anne Gérard, miniaturiste, devenue l'épouse et la collaboratrice de Jean-Honoré Fragonard en 1769, Marguerite Gérard rejoint en 1778 l'atelier-logement du maître au Louvre pour l'assister. Elle grave d'abord des estampes, puis participe à l'exécution des tableaux et des secondes versions, excellant dans la manière fine des peintres hollandais qu'appré
cient les amateurs de la fin du XVIIIe siècle. À la fin des années 1780, elle se fait connaître et impose son individualité artistique. La mise en scène complexe de L'Elève intéressante, hommage foisonnant à l'univers de Fragonard, la montre, dans un reflet discret mais virtuose, occupant une place d'auteur au sein de l'atelier.

Autoportrait au chapeau de paille et à la palette 
Marie-Elisabeth Lemoine 
épouse Gabiou 1795

Resté dans la descendance de la famille de l'artiste, jusqu'à sa récente redécouverte, cet autoportrait est attribué à Marie-Elisabeth Lemoine, la jeune élève que sa sœur aînée, Marie-Victoire Lemoine, a représentée dans son autoportrait peint en 1789, L'intérieur d'un atelier d'une peintre femme. Dans les deux œuvres, à proximité de la toile vierge ou à peine esquissée, apparaît une table d'aquarelliste en acajou, meuble également demeuré dans la famille Lemoine jusqu'à une date récente. Transitant de l'œuvre de l'aînée à celui de la cadette, d'un dispositif maître/élève à une affirmation de la maîtrise acquise du métier, il est aussi l'indice de la collaboration artistique et du lien étroit unissant les deux soeurs : à partir de 1800, Marie-Victoire, célibataire, vivra au domicile familial de Marie-Elisabeth, épouse Gabiou.

Portrait de femme tenant un agneau
Jeanne Louise dite Nanni Vallain 
Épouse Pietre 1788

L'auteur à ses occupations
Marie-Nicole Vestier
Épouse Dumont 1793

Autoportrait présumé 
Adèle Romanée née Marie-Jeanne Mercier épouse Romany 1799

Autoportrait copiant le belisaire
Marie-Guilhemine Benoist
Née de la Ville Le Roulx 1786

L'enfant à la poupée 
Anne-Genevieve dite Ana Greuze
Fin XVIIIème 

APPRENDRE

Dilettantes et professionnelles

Dès les années 1780, la bourgeoisie, en pleine ascension sociale, s'approprie les signes de distinction des classes privilégiées: la maîtrise du dessin, l'érudition artistique, la fréquentation des expositions, connaissent une vogue croissante. Nombreuses sont les jeunes filles, nées hors de l'espace des beaux-arts, à se former à la peinture et aux arts graphiques, et à suivre les cours d'anatomie pittoresque. Elles sont encouragées par leur famille qui y voit, d'abord, un capital symbolique et matrimonial, puis, après la crise révolutionnaire, une profession rémunératrice.

Greuze, David, Suvée, Regnault, etc.: se substituant à l'ancien modèle de transmission familiale, des ateliers réputés s'ouvrent à ces demoiselles. Leur Interdiction par l'Académie, édictée en 1787 au nom de la bienséance, n'a que peu d'effet. Jeanne-Elisabeth Chaudet, Césarine Davin-Mirvault, Hortense Haudebourt-Lescot, Louise Hersent, etc. : à la suite des pionnières des années 1780, les peintres femmes forment aussi des élèves. Et dès 1800, les cours privés se multiplient et les maîtres en vue ouvrent des sections féminines, souvent supervisées par leur épouse ou une ancienne élève.

La pédagogie y est comparable à celle des sections masculines, jusqu'au nu et à la peinture d'histoire pour certains ateliers. La réputation du maître, le réseau de sociabilité qu'on tisse dans son atelier sont déterminants pour la carrière, la candidature au Salon, la constitution d'une future clientèle et la légitimité de la jeune peintre : l'amateure reste une femme, la professionnelle devient une artiste.

La suppliante d'après Greuze
Jeanne-Philiberthe Ledoux 
Fin XVIIIème 

La muse de la poésie pleurant la mort de Voltaire 
Marie-Renée-Geneviève Brossard 
de Beaulieu 1785

D'abord élève de son propre père, Marie Renée-Geneviève Brossard de Beaulieu intègre ensuite l'atelier de Greuze. Accueillant des élèves - dont toutes ne sont pas filles d'artiste- pour les former professionnellement dès les années 1770, Greuze précède de vingt ans David. 
« Elle s'approchera, si elle continue, de la manière du Corrège » (Bachaumont, 1786) : l'accueil enthousiaste au Salon de 1785 de La Muse de la Poésie n'épargne pourtant pas à l'artiste une carrière difficile. Elle persiste dans sa vocation mais, en 1820, sa situation est proche de l'indigence.

Si, pour David comme pour Greuze, l'ouverture d'un atelier féminin a pu procéder de leur hostilité envers l'Académie royale, leur rejet radical du dilettantisme les distingue des formations alors offertes au public féminin.
 
Mesdemoiselles Duval
Jacques-Augustin-Catherine Pajou
1er quart du 19ème siècle 

Portrait posthume de Jacques-Louis David, peintre
Marie Eléonore Godefroy
Début du 19ème siècle 

Portrait de Jean-Baptiste Regnault
Louis Hersent 19ème siècle 

Pendant plus de vingt ans, l'atelier féminin de Regnault, ouvert l'été 1787 au Louvre, est le plus prisé et une pépinière de talents: Pauline Auzou, Alexandrine Delaval, Henriette Lorimier, Adèle Romanée... Une trentaine d'élèves âgées de 14 à 25 ans, la plupart filles de famille aisées mais Clémence Delacazette donne des cours pour financer sa formation - y étudient sept à huit heures par jour sous la supervision de Sophie Regnault, l'épouse du maître qui leur rend régulièrement visite.

"Il fallait voir ces groupes animés ; l'un de jeunes filles rieuses, insouciantes de la vie qu'elles ne fesaient qu'entrevoir; l'autre de figures graves, réfléchies, vivant dans l'avenir, ne quittant le pinceau que pour charger la palette, et dont le front large reflétait de nobles, de grandes pensées. Celles-là, c'étaient des artistes" (Albertine Clément-Hemery, "Un atelier", Souvenirs de 1793 et 1794).

Portrait de François Gérard, peintre
Marie-Eléonore Godefroid non daté 

Petite-fille d'une restauratrice réputée nommée "Peintre restaurateur du roi", fille de peintre, et formée par son frère aîné dont elle devint l'assistante, Marie-Eléonore Godefroid vit au Louvre lorsqu'elle y rencontre Gérard, encore élève.

Enseignante pendant onze ans dans l'ins titution de madame Campan à Saint-Germain en-Laye, où Hortense de Beauharnais compte parmi ses élèves, elle devient en 1806 la collaboratrice de Gérard. Parallèlement à son propre travail, elle l'assiste dans ses commandes, sa correspondance et la direction de son atelier d'élèves. Dès 1812, elle vit avec le couple Gérard, partageant leur quotidien et leurs réceptions du mercredi soir qui attirent le Tout-Paris artistique et mondain.

Atelier de jeunes filles 
Catherine-Caroline Cogniet-Thevenin née Thévenin, 1836

Exerçant un quasi-monopole, Léon Cogniet a formé un millier d'élèves de 1822 à 1876 : des jeunes hommes, dans son atelier personnel et dans un autre qu'il ouvre pour accueillir les nombreux candidats ; puis des jeunes femmes à partir de 1834.

À l'instar d'autres ateliers dirigés par un binôme ou couple d'artistes, qu'ils soient amis (Gérard et Marie-Éléonore Godefroid, Girodet et Fanny Robert) ou mariés (les Suvée, Hersent, Augustin, Regnault), l'atelier féminin du maître Léon Cogniet est dirigé par une peintre femme : sa première élève et collaboratrice, sa sœur Marie-Amélie, que rejoint bientôt une autre élève et sa future épouse, Marie-Caroline Thévenin.

Jouissant d'un grand succès, l'enseignement de cet atelier est fondé sur la copie d'antiques, de gravures, et de tableaux du maître.

Intérieur de l'atelier de Léon Cogniet
Marie-Amélie Cogniet 1931

L'atelier d'Abel de Pujol
Adrienne-Marie-Louise GrandPierre Deversy épouse Pujol 1822

Portrait d'Augustine Dufresne
Baronne Gros
Antoine-Jean Gros, baron Gros 1822

Autoportrait 
Julie Duvidal de Montferrier 
Épouse Hugo, non daté 

Portrait d'Adèle Foucher
 Julie Duvidal de Montferrier 
Épouse Hugo, 1820

Naples vue du Pausilippe
Louise-Joséphine Sarazin de Belmont
Entre 1843 et 1858

Vue du forum le matin
Louise-Joséphine Sarazin de Belmont
Entre 1842 et 1860

Élève de Pierre-Henri de Valenciennes avant 1812, Louise-Joséphine Sarazin de Belmont se rend en Italie de 1824 à 1826: elle visite Rome et ses environs, Naples, la Sicile. En 1830, elle s'installe seule trois mois dans les Pyrénées : ses 119 esquisses à l'huile et 12 tableaux sont très remarqués au Salon de 1831. En 1834, c'est la forêt de Fontainebleau. En 1836-1837, la Bretagne. De 1841 à 1865, à nouveau l'Italie, où elle voyage avec ses amies rencontrées dans l'atelier de Gros, la sculptrice Félicie de Fauveau et Augustine Dufresne, devenue l'épouse du maître.

Au cours de sa longue carrière de 1812 à 1868, elle est très estimée de ses confrères masculins, et aussi des grandes collectionneuses que sont l'impératrice Joséphine puis la duchesse de Berry.

Le jeu de la main chaude
Hortense Haudebourt-Lescot
Née Hortense Viel  1912

Quand le peintre d'histoire Guillaume Guillon Lethière est nommé directeur de l' Académie de France à Rome en 1808, il invite une de ses élèves, la fille « d'excellents amis dont [il] cultive les talents depuis l'âge de huit ans » à l'y suivre pour parfaire sa formation.

Malgré les rappels à l'ordre que Dominique Vivant Denon, directeur des Musées, adresse à son maître, Hortense Haudebourt-Lescot demeure jusqu'en 1816 à Rome d'où elle fait des envois au Salon dès 1809, dont Le Jeu de la main chaude.

Pratiquant avec succès le genre, l'histoire et le portrait, elle tire une inspiration durable du pittoresque des coutumes et des moeurs comme de la lumière et des couleurs du paysage italien.

Scène d'atelier 
Marie-Gabriele Capet 1808

Marie-Gabriele Capet rend ici un hommage posthume à celle dont elle fut l'élève, la collaboratrice et l'amie la plus proche au point de vivre sous le même toit. Celle dont elle accompagna tous les combats pour l'accès des femmes à une formation et une carrière artistiques profession reles: Adélaide Labille-Guiard, madame Vincent depuis 1800.

Vingt-trois ans après
 l'autoportrait de l'académicienne avec ses deux élèves peint peu après leur rencontre et conservé au Metropolitan Museum of Art (New York), le tableau de Capet se fait subtilement récit de vie, mémoire de ce qui sest accompli et dans la solitude de son regard frontal, conscience de l'artiste qu'elle aussi est devenue dans cet atelier.

Mars et Vénus
Angélique Mongez née Angélique Levol, 1841

Réplique autographe de l'œuvre présentée au salon de 1814, à moins qu'il n'en soit, comme on en a fait l'hypothèse, la toile originale "rhabillée", ce tableau est offert par l'artiste au musée d'Angers un an avant sa mort. Tandis que les thèmes néo-classiques sont désormais boudés par le public, Angélique Mongez, qui fut, après un passage dans l'atelier de Regnault, l'élève brillante de David, témoigne ici de sa persévérance dans le genre de l'histoire, dont la pratique par les femmes est encore contestée. L'artiste et son époux Antoine Mongez entre tiennent des liens amicaux très étroits avec David, même durant son exil en Belgique (1816 1825). En 1824, c'est elle qui organise l'exposition à Paris de la dernière oeuvre bruxelloise de David, Mars désarmé par Vénus et les Grâces.

LE SALON

Un espace incontournable en mutation

Le Salon, au tournant du XIXe siècle, devient l'événement culturel majeur (plus de 22 000 visiteurs en 1804) et le seul espace d'exposition et de consécration des artistes vivants. Suite à la réorganisation révolutionnaire du système des beaux-arts, devenu dès 1802 une autorité administrative unique, la Direction des musées gère le Musée récemment créé et encourage l'art vivant exposé au Salon avec, à son issue, l'attribution des médailles, les commandes et les acquisitions par l'État.

De 300 exposants sous la Révolution, on passe à 700 au début de l'Empire puis 1 200 à la fin des années 1840. La multiplication exponentielle des tableaux, accrochés sur plusieurs rangs, seulement numérotés, et le succès de l'exposition bisannuelle expliquent le rôle déterminant de la critique naissante sur le goût du public comme sur la carrière des artistes.

De 9% dans les années 1790 à 15 % au milieu des années 1820, les exposantes y sont, d'abord, pour la plupart issues de classes favorisées, tandis que, durant les dernières années de l'Empire et sous la Restauration, les filles issues de la petite bourgeoisie ou du métier se font plus nombreuses.

Leur parcours est semblable à celui des hommes, bien qu'affecté par un taux de refus du jury plus élevé. Néanmoins, leur rôle est essentiel dans l'évolution du Salon vers un marché de l'art où le goût du public l'emporte sur les visées didactiques antérieures. En effet, participe de cette mutation l'envahissement du Salon par les scènes de genre, les portraits et les petits tableaux, qu'elles sont plus nombreuses à pratiquer que les hommes.

Thésée et Pirithoüs délivrant deux femmes de leurs ravisseurs 
Angélique Mongez 1806

Dès son premier Salon en 1802 jusqu'au dernier en 1827, Angélique Mongez, en représentante de "l'école moderne" initiée par David, expose de monumentaux tableaux d'histoire : la démarche, audacieuse pour une femme, suscita de vifs débats même si « la critique l'a moins traitée en femme qu'en artiste distingué » (La Revue philosophique, 1807).

Ce dessin préparatoire éclaire l'enjeu du débat : l'étude par une femme du nu. « Tandis que les artistes admirent le mérite toujours croissant de son dessin, et une vigueur de pinceau sans exemple dans une femme, les hommes austères se sont effrayés du genre d'études que toute cette science leur fait supposer » (Journal de l'Empire, 1806).

Femme et Cupidon 
Marie-Victoire Lemoine 1792

Mathilde surprise dans le jardin de Damiette par Malek-Adhel
Rosalie Caron 1817

Malvina, chant de douleur sur la perte de son cher Oscar
Alexandrine Delaval 1810

À l'opposé de l'héritage classique, l'histoire nationale, la littérature chevaleresque, le patri moine médiéval ou la culture celtique, comme ici les Poèmes d'Ossian, suscitent l'engouement de la fin du XVIIIe siècle jusqu'aux années 1840. Dans un cadre intimiste, ces sujets d'inspiration historique sont propices à l'expression de la sentimentalité et de la mélancolie.

Après le succès de la Valentine de Milan du peintre Fleury-Richard en 1802, le genre "troubadour", "anecdotique" ou "historique", abonde dans les Salons. De nombreuses peintres femmes dans les années 1800-1820 s'illustrent dans cette veine, souvent soutenues par des commanditaires puissants tels Hortense et Joséphine de Beauharnais.

La mort de Malek-Adhel
Césarine Davin-Mirvault 1814

Césarine Davin-Mirvault expose au Salon de 1798 à 1822. Elle reçoit une médaille d'or de 1re classe avec La Mort de Malek-Adhel en 1814.
Le sujet, aussi exploité par Rosalie Caron, s'inspire d'un roman à succès de Sophie Cottin, Mathilde ou Mémoires tirées de l'histoire des croisades (1805), qui narre la passion tragique de la soeur de Richard Coeur de Lion et du frère de Saladin. Exploitant la vogue du gothique et de l'orientalisme, sous l'apparence d'une anecdote sentimentale propre à la scène de genre mais d'inspiration historique, l'artiste trouve ici la voie pour déployer son talent dans le grand format de la peinture d'histoire. Tout en respectant un registre jugé plus convenable à son sexe...

Noves et Alix de Provence 
Pauline Auzou née Desmarquets

Formée dans l'atelier de Jean-Baptiste Regnault, Pauline Auzou participe à tous les Salons de 1793 à 1817, envoyant portraits, scènes de genre mais aussi sujets mythologiques, allégoriques ou tirés de l'histoire de France. En 1808, le critique Joachim Lebreton, salue sa capacité à s'éléver "aux idées et à la noble expression du style historique" (rapport à l'Empereur et au Roi sur les beaux-arts, 1808).

Mais ici, c'est au-dessus de l'attente convenue d'une interprétation dite « féminine » de la scène qu'elle s'élève avec assurance. Comme Jeanne-Élisabeth Chaudet dans son Portrait d'une dame en novice, son humour malicieux témoigne d'un jeu conscient et amusé avec les conventions de la scène de genre.

Tête d'Eve
Julie Duvidal de Montferrier 1822

Maternité 
Marguerite Gérard 1801

Le flambeau de Vénus 
Constance Mayer 1808

En dépit des préventions contre la pratique féminine du nu érotisé, le tableau présenté en 1808 avec son pendant Le Sommeil de Vénus (1806), aujourd'hui conservé au musée du Louvre, offre à Constance Mayer la consécration grâce à l'acquisition de l'ensemble par l'impératrice Joséphine.

Partageant avec Pierre-Paul Prud'hon le métier et la vie de peintre, elle est pourtant réduite au rang d'élève sans talent par une historiographie misogyne tandis qu'un révisionnisme lucratif a systématiquement attribué au maître toutes les œuvres et esquisses réalisées pendant leur collaboration.

Une esquisse de l'oeuvre attribuée à Prud'hon est ainsi conservée au musée Condé de Chantilly. Une lettre de lui affirme également que Le Flambeau de Vénus est d'elle et qu'elle seule y travailla.

La clémence de Napoléon envers Madame de Hatzfeld
Marguerite Gérard 1808

En 1806, la trahison du gouverneur civil à Berlin ayant été découverte par des lettres interceptées, sa femme intercéda : « Cette femme grosse de plus de huit mois s'évanouissait [...]. L'Empereur fut touché de son état. Eh bien, lui dit-il, vous tenez cette lettre, jetez-la au feu. » (livret du Salon de 1808). Illustrer la geste impé riale était un moyen de s'attirer publiquement les faveurs de Napoléon en visite au Salon.

Le sujet, congruent avec l'idée de subordination de la femme, fut abondamment représenté mais l'oeuvre de Gérard remporta les suffrages. L'iconographie des scènes de famille ou de maternité, sentimentales ou galantes, qui faisait son succès, croise ici habilement les desseins de la peinture d'histoire.

Une jeune fille à genoux 
Aimée Brune 1839

L'attrapeur de mouche 
Isabelle Pinson née Proteau 1808

Dotée d'une éducation raffinée grâce à une famille noble dont ses parents étaient les domestiques, la jeune Isabelle intègre l'atelier de Jean-Baptiste Regnault. Elle épouse en 1792 André-Pierre Pinson, chirurgien et artiste céroplasticien à l'École de médecine (ici, à l'arrière-plan). Elle expose de 1796 à 1812.

Un rendu virtuose du verre, qui se matérialise par son invisibilité même, un intérieur presque réduit à son ouverture sur l'extérieur, la solitude d'un corps soustrait à la vocation de faire sens, un geste « socialement » inutile : aux limites extrêmes du genre mineur, Pinson livre une œuvre métaphysique majeure sur la présence au monde et au temps. Et sur la peinture, toute distinction de genre étant abolie.

Portrait posthume de Madame de Stael, François Gérard 1817

Portrait de Madame de Stael d'après François Gérard, Marie-Eléonore Godefroid 1817

François Pouqueville à Janina
Henriette Lorimier 1830

L'acquisition en 1805 de La Chèvre nourricière (Salon de 1804) par Caroline Bonaparte, une médaille d'or en 1806 pour Jeanne de Navarre acquis par l'impératrice Joséphine en 1807, Henriette Lorimier est une artiste en vogue quand elle rencontre François Pouqueville, qui deviendra son compagnon jusqu'à sa mort.

Membre de l'expédition d'Égypte en 1798, prisonnier des Ottomans en Grèce puis à Constantinople jusqu'en 1801, médecin, archéologue, voyageur et écrivain philhellène, Pouqueville contribue à la révolution grecque par ses ouvrages et ses missions diplomatiques.

C'est en consul général de France à Janina, où il exerce auprès du sultan Ali Pacha de 1805 à 1815, que choisit de le dépeindre avec intensité sa compagne en 1830.

Portrait présumé de Madame Soustras laçant son chausson 
Marie-Denise,  dite Nisa, Villers née Lemoine, 1802

Nisa Villers, après une formation auprès de Girodet, Gérard et David, débute sa carrière en 1799 avec un prix d'encouragement et des éloges de la critique.

Au Salon de 1802, elle est très remarquée pour un tableau de genre et cette Étude de femme d'après nature. Se plaisant à brouiller les frontières entre portrait et peinture de genre, la figure féminine isolée saisie dans une occupation est un type de composition récurrent dans son oeuvre. Le surdimensionnement des hanches qu'enveloppe l'imposante masse noire, comme les disproportions anatomiques de la figure, rélèvent de l'audace plus que de la maladresse qu'y ont vue certains critiques : le regard hardi sous la voilette, la gorge claire et menue, le long bras sinueux jusqu'à la cheville érotiquement découverte, malicieux clin d'œil à l'antique Hermès rattachant sa sandale qui a rejoint le Louvre en 1798.

Portrait d'Abd el-Kader
Marie-Eléonore Godefroid 1844

«Le vent a dit le nom d'un nouveau Jugurtha», Rimbaud, 1869.

Lettré, mystique, héros de la lutte contre le colonialisme, Abd el-Kader (1808-1883) fascine ses contemporains. Dès 1832, il prend le commandement des tribus de l'Ouest contre l'incursion française à Alger puis dans la guerre totale qui fait de l'Algérie le champ de bataille de la monarchie de Juillet. Emprisonné abusivement à sa reddition fin 1847, on l'exile en 1853 en Turquie puis à Damas.

Inspiré d'un dessin de Léon Roches, secrétaire de l'émir de 1836 à 1840, l'œuvre inaugure une longue série de portraits iconiques caractérisés par la simplicité du costume, l'éclat des yeux, le "mélange d'énergie guerrière et d'ascétisme".


Portrait de Fleury, comédien 
Adèle Romanée née Marie-Jeanne Mercier 1818


Juliette Recamier 
Eulalie Morin fin du 18ème 

Portrait d'une dame en novice 
Anne-Elisabeth Chaudet 1811

Portrait d'une jeune femme 
Louise Hersent 1928

Portrait d'une dame portant sa fille sur les genoux 
Rose-Adélaïde Ducreux 1793

Dès son premier Salon en 1791, la fille et élève du portraitiste pastelliste renommé, Joseph Ducreux surpasse cette ascendance tant par le format monumental et la technique à l'huile que par son style.

Père et fille y exposent tous deux mais les critiques les opposent : « Chacun son genre, M. Ducreux réussit parfaitement dans celui de faire bâiller », « Melle Ducreux peut occuper une place très distinguée parmi les peintres » (Anon, « Exposition au Salon du Louvre », Affiches, annonces et avis divers..., 1791).

L'oeuvre de portraitiste de Rose-Adélaïde Ducreux illustre l'idée et le paradoxe - de la femme que la Révolution laisse en héritage au XIX siècle. Ainsi sujet créateur autonome, elle s'affirme dans l'espace public du Salon en représentant la mère et l'épouse vertueuse assignée à l'espace privé.

Portrait de Marie-Geneviève Lemoine et sa fille 
Marie-Victoire Lemoine 1802

MOI. PEINTRE

" Avant les femmes régnaient, la Révolution les a détrônées ". Au lieu de déplorer avec Élisabeth Vigée Le Brun le sort fait aux femmes par le siècle né en 1789, ne faut-il pas au contraire apprécier le champ des possibles qui s'y est ouvert ?

Sous l'Ancien Régime, ce pouvoir, seules quelques femmes artistes "d'exception" en ont joui comme les rois et leurs affidés en avaient le privilège. À l'exclusion de toutes les autres. Avec la naissance, longue et difficile, de l'ère républicaine, les termes de "femme extraordinaire", de « miracle de la nature », qui les retranchaient et de leur sexe et de la communauté ordinaire des artistes, entrent en contradiction avec les principes fondateurs d'universalité et d'égalité des individus.

Certes, au lendemain de 1789, les femmes sont exclues de l'espace politique et assujetties à la sphère domestique. Mais c'est précisément parce qu'il s'agit désormais de considérer la place et la fonction de toutes les femmes et non pas de quelques-unes qu'on se protège contre leur émancipation devenue pensable.

L'effacement du principe naturel ou divin devant le principe juridique et rationnel, l'articulation croissante du politique à l'économique créent une occasion inédite pour elles: débattre, parler, penser, créer, travailler en tant que sujet de droit. Apprendre à peindre et exposer parce qu'elles en ont le droit. L'opinion peut les railler, les discréditer, les effrayer, les dissuader - elle le fera encore longtemps : la société d'après 1789, en ses principes, peut-être sans l'avoir voulu, a ouvert un espace où il est légalement possible pour une femme de dire « Moi. Peintre ». Naissance d'un combat.

Autoportrait 
Elisabeth Vigée Le Brun 1790

Autoportrait 
Marie-Adelaïde Durieux née Landragin, 1798

Autoportrait 
Hortense Haudebourt-Lescot 1800

Autoportrait 
Constance Mayer 1801

Artiste peignant le portrait d'une musicienne, Marguerite Gérard 1800

Corrine au Cap Misène d'après François Gérard 
Marie-Victoire Jaquotot 1825

Portrait de la reine Marie Amélie 
Marie-Adelaïde Ducluzeau 1832

La sainte famille d'après Raphaël 
Marie-Victoire Jaquotot 1822

"Peintre de figures" sur des supports utilitaires, Marie-Victoire Jaquotot parvient à revaloriser son statut en exploitant, dès 1816, le procédé de la copie sur plaque de porcelaine, perfectionné par Alexandre Brongniart, directeur de la manufacture de Sèvres. Nommée «Peintre sur porcelaine du Roi» en 1817, elle choisit en 1822 de se consacrer aux seules copies d' œuvres anciennes et modernes : ses tableaux « inaltérables » sont exposés au Salon.

Se prévalant de sa mission patrimoniale, elle imposa des choix de travaux, des prix exorbitants et même le décrochage d'oeuvres du musée du Louvre pour les copier chez elle. Forte d'un succès européen, elle fut perçue comme l'égale de Raphaël par ses contemporains.

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