samedi 2 octobre 2021

Les harmonies colorées de Signac au musée Jacquemard André en mai 2021

Belle exposition comme d'habitude dans ce splendide hôtel particulier du boulevard Haussmann.

1- Après l'impressionnisme, un nouveau mouvement 

C'est en 1880, après avoir visité la première exposition personnelle de Claude Monet, que Paul Signac décide de devenir peintre. L'admiration qu'il porte à son illustre prédécesseur est déterminante pour ce jeune autodidacte qui débute sa carrière en s'appropriant la manière impressionniste. En témoignent la touche vigoureuse et les couleurs lumineuses avec lesquelles il construit ses premières œuvres (Palette. Aux Tuileries et Saint Briac. Le Béchet).

En 1884, Signac participe à la création de la Société des artistes indépendants, unis par la volonté de mettre en place un Salon annuel « sans jury ni récompense ». À cette occasion, il se lie d'amitié avec Georges Seurat et c'est ensemble qu'ils s'intéressent aux travaux du chimiste Eugène Chevreul sur la perception des couleurs. Au cours de l'hiver 1885-1886, Seurat est le premier à appliquer le principe de la division des couleurs, en juxtaposant de petites touches de couleur pure sur sa toile et en laissant à l'œil du spectateur le soin d'accomplir le mélange optique des tons. Synthétisant les lignes du paysage dans des toiles d'une remarquable économie de moyens (Avant du Tub et Saint-Briac. Les balises), Signac adopte à son tour cette nouvelle technique, tout comme Camille Pissarro.

Rencontré en 1885, ce dernier ouvre aux jeunes artistes les portes de la huitième exposition de peinture impressionniste en 1886. Regroupés dans la dernière salle, ils assurent l'effet de nou veauté produit par leurs toiles. L'adjectif « néo-impressionniste >> apparait sous la plume du critique Félix Fénéon en septembre 1886. Le principe de la division des tons se diffuse large ment et nombreux sont les peintres qui y adhèrent, comme Maximilien Luce, Henri-Edmond Cross, mais aussi Théo Van Rysselberghe, qui devient l'un des principaux représentants du néo-impressionnisme en Belgique.

Portrait de Georges Seurat
Maximilien Luce 1890

Formé à l'École des Beaux-Arts de Paris, Georges Seurat se fait connaître grâce à ses remarquables dessins au crayon Conté, comme celui-ci qui représente sa mère: les formes y sont définies non par le tracé d'un contour, mais par l'opposition de zones d'ombre et de lumière. Refusé au Salon de 1884, Seurat participe avec Signac à la première exposition du groupe des Artistes indépendants. L'Introduction à une esthétique scientifique de Charles Henry passionne les deux artistes, mais c'est Seurat qui, le premier, applique la théorie de la division des tons au cours de l'hiver 1885-1886 dans Un dimanche après-midi sur l'ile de la Grande Jatte. Exposé à la huitième et dernière exposition impressionniste en 1886, ce tableau devient d'emblée le manifeste du mouvement néo-impressionniste. Seurat meurt brutalement en 1891, quelques jours après l'ouverture du Salon des Indépendants.

La concierge 
Georges Seurat 1884

La mère de l'artiste assise
Georges Seurat 1892

Portrait de Paul Signac 
Maximilien Luce 1925

Autoportrait 
Theo Van Rysselberghe 1916

Portrait de Camille Pissarro 
Maximilien Luce 1895

Portrait de Maximilien Luce
Paul Signac 1890

Portrait d'Henri Edmond Cross
Maximilien Luce 1898

Saint Briac - le Béchet

À l'été 1885, Signac se rend en Bretagne où il réalise une série de marines. Bien qu'il ait déjà rencontré Seurat et que leurs échanges artistiques soient intenses, la technique de Signac est encore pleinement impressionniste à cette date, ce dont témoigne Saint-Briac - Le Béchet. La composition, très frontale, se distingue par la vivacité des tons et la géométrie des formes. Motif de prédilection pour Signac, la mer, dont il restitue les vagues en touches virgulées, denses et régulières, occupe les deux tiers de la toile. Alors que le traitement de l'eau confine à l'abstraction, l'artiste donne de la profondeur à sa composition grâce au rocher qui se détache au premier plan, dans un procédé hérité de l'estampe japonaise.

Saint Briac Les balises
Paul Signac 1890

Après y avoir peint des marines impressionnistes en 1885, Signac se rend à nouveau à Saint-Briac en 1890. Il travaille désormais dans une technique résolument néo-impressionniste, qu'il développe brillamment dans Saint-Briac. Les balises. Opus 210. Si l'artiste a transcrit le paysage avec précision, il en offre une vision toutefois synthétique, réduite à l'essentiel, le sable, le ciel et l'eau. Il structure sa composition en jouant sur les lignes verticales des balises et les lignes horizontales des rochers et de l'horizon. Cette géométrie austère est adoucie par l'arabesque de la rive. Le raffinement chromatique et la luminosité délicate confèrent au tableau une musicalité abstraite. Depuis 1886, Signac attribue d'ailleurs des numéros d'opus à ses toiles, soulignant ainsi qu'un tableau, comme une composition musicale, constitue un ensemble expressif de tons et de rythmes abstraits.

Application du cercle chromatique de M. Charles Henri, programme du cercle libre, Signac 1888

Cette lithographie reproduit une illustration de Signac pour le programme de la saison 1888-1889 du Théâtre-Libre d'André Antoine. Comme l'indique très clairement l'artiste en bas de l'image, il s'agit d'une application du cercle chromatique proposé par le jeune savant Charles Henry. Sur un mode mineur, Signac fait ici la démonstration de sa science des lignes et des couleurs. La nuque d'un spectateur vu de dos s'y détache à contre-jour devant un flamboyant rideau de scène. Le bleu contraste avec l'orangé et l'ombre s'oppose à la lumière. L'encadrement comme le traitement des lettres T-L sont prétextes à de subtiles combinaisons des couleurs primaires et de leurs dérivées. Signac nous enseigne ainsi que la science de l'harmonie et du contraste des couleurs peut s'appliquer à l'art de l'affiche et de l'illustration.

Au Tuileries, Palette
Signac 1883

L'épanouissement d'un style
C'est sur les rives de la Seine que Signac réalise une première série de paysages néo-impressionnistes, parmi lesquels Les Andelys. Soleil couchant, en travaillant peut-être sur le motif. Mais la technique de la division des couleurs ne se prête guère à une pratique en plein air, plusieurs étapes étant nécessaires pour éviter le mélange des pigments. L'artiste, qui a gardé la sensibilité impressionniste de ses débuts, va donc multiplier les études d'après nature avant d'entreprendre la composition finale à l'atelier. Ces travaux préparatoires, pour des paysages (Concarneau) ou des scènes de la vie contemporaine (La Salle à manger), dénotent une approche libre et directe qui précède l'élaboration de compositions plus méditées à l'atelier.

En 1892, Signac, qui a largement exploré le littoral breton et les bords de Seine, découvre le port de Saint-Tropez. C'est une révélation pour le peintre, comme l'indique la gamme chromatique de Soleil couchant sur la ville. Au cours des cinq années qui suivent, Signac consacre exclusivement son travail à Saint-Tropez, variant les points de vue et les effets. Il entreprend en 1893 une ambitieuse composition décorative et philosophique destinée à célébrer la vie qu'il mène sur le rivage méditerranéen et qu'il intitule Au Temps d'Harmonie. À cette époque, sa technique évolue et sa touche s'élargit pour donner toujours plus d'impact à la couleur comme l'attestent Saint Tropez - Après l'orage et Saint-Tropez - Fontaine des Lices.

En 1897, Signac reprend ses pérégrinations et consacre une série de tableaux au Mont-Saint-Michel. Si la compositio reste sensiblement la même, la gamme chromatique varie d'une toile à l'autre selon les effets de la lumière, retranscrits dans Mont-Saint-Michel - Brume et soleil par une délicate monochromie.
En 1893, Signac entreprend une grande toile destinée à célébrer la vie simple qu'il mène sur le rivage méditerraneen. En 1895, il achève le tableau aujourd'hui à la mairie de Montreuil. L'artiste l'intitule Harmanie (l'age d'or n'est pas  dans l'avenir). Issu d'un texte de l'écrivain Charles Malato, le sous-titre de l'oeuvre illustre clairement les convictions politiques

Fécamp soleil 
Signac 1886

Avant du Tub
Signac 1888

Sous l'influence de Seurat, Signac a adopté la technique de la division des tons dès janvier 1886. Sa touche s'est faite plus méthodique et la géométrie du paysage s'accentue dans ses toiles, caractéristique qui s'affirme dans Avant du Tub. Opus 176. Signac y représente Asnières, où il réside avec sa mère et son grand-père, sous un ciel couvert, dans une harmonie colorée aux tons froids-gris, bleus et verts. Cette gamme restreinte est rehaussée de touches orangées, sur les berges et les toits, qui viennent animer la composition. L'arrangement complexe des lignes, tout en diagonales et verticales, oriente le regard du spectateur vers l'île de la Grande Jatte, qui apparaît à l'arrière-plan, au centre du tableau. Cette allusion au tableau-manifeste de Seurat souligne la pleine adhésion de son ami Signac aux principes du néo-impressionnisme.

Étude pour la salle à manger 
Signac 1887

Concarneau calme du soir
Signac 1891

La technique de la division des couleurs exige une approche réfléchie et rigoureuse: pour éviter le mélange des pigments et préserver leur pureté, elle implique en effet de ménager un temps de séchage entre l'application des différentes couleurs et demande ainsi une progression par étape. Avant d'entreprendre la composition finale à l'atelier, Signac multiplie donc les études sur le motif. Il aime ce travail, qui demande décision et rapidité: quand il peint en plein air, il abandonne la touche divisée et retrouve la façon de travailler de ses premières années impressionnistes, comme en témoigne Concarneau. Calme du soir (étude). D'emblée, il met en place l'harmonie chromatique ainsi que les grandes lignes de la composition qui caractériseront l'oeuvre achevée.


Soleil couchant sur Saint Tropez, Signac 1892

Concarneau étude 
Signac 1891

Saint Tropez Fontaine des Lices
Seurat 1895

Comme Saint-Tropez - Après l'orage, ce tableau marque un tournant dans l'œuvre de Signac.
Si la couleur est ici aussi au centre de ses préoccupations, il en offre un traitement très différent et complémentaire. Il ne privilégie pas une teinte dominante, mais associe les sept couleurs du prisme, affirmant le rôle de chacune d'elles dans l'équilibre chromatique général. Le peintre pose ses couleurs en traits brefs et entrecroisés, créant ainsi un effet de vibration plus ample que ne lui permettait jusque-là la juxtaposition de petits points. Signac livre ici une toile presque géométrique, dans laquelle il oppose un fond vivement éclairé à une zone d'ombre à dominante indigo, au premier plan. Y évoluent quelques silhouettes féminines, dont la présence, rare dans les tableaux de l'artiste, anime la composition.


Samois, études  Signac 1899

Mont Saint Michel brume et soleil, Signac 1897

Saint Tropez après l'orage 
Signac 1895

Cette toile appartient à la série de tableaux peints par Signac à Saint-Tropez en 1895, après qu'il a achevé sa monumentale composition Au Temps d'Harmonie. À cette date, la technique de l'artiste évolue: sa manière s'élargit, les points cédant la place à des touches plus amples. Cette nouvelle technique, plus proche des études qu'il peint sur le motif, offre à Signac plus de liberté. Dans cette vue du port de Saint-Tropez, Signac s'est attaché à restituer un effet atmosphérique qu'on ne retrouve que rarement dans ses marines méditerranéennes, le plus souvent baignées de soleil. La toile est peinte dans une tonalité bleu ardoise que réchauffent quelques touches de rouge. A la sobriété des tons répond celle des lignes qui structurent la composition: l'horizontale du quai, au centre, et la scansion verticale des mâts qui se reflètent dans l'eau.

Les Andelys, soleil couchant 
Signac 1886

Une avant-garde aux multiples facettes

En parallèle de sa pratique artistique, Signac milite pour une large diffusion de la technique de la division des tons. Un engagement qui lui vaut le surnom de «Saint-Paul du néo impressionnisme» décerné par Thadée Natanson, fondateur de la Revue blanche, publication littéraire et artistique de sensibilité anarchiste. En tant que responsable d'expositions, notamment au Salon des Artistes indépendants qui ne tarde pas à devenir la tribune du mouvement, Signac exerce une influence décisive sur la scène artistique parisienne. Doté d'un tempérament enthousiaste, il partage volontiers sa connaissance des principes fondamentaux de la division et du contraste des couleurs.
La première génération de peintres néo-impressionnistes compte des personnalités aux objectifs parfois divergents. Camille Pissarro est le premier d'entre eux à adopter la touche divisée de Seurat, dans des paysages ruraux tels La Briqueterie Delafolie ou Le Troupeau de moutons à Éragny. Mais il sera aussi le premier à y renoncer vers 1890, vraisemblablement sous la pression de son marchand Paul Durand-Ruel, champion de l'impressionnisme.
Au-delà de ce noyau dur, d'autres artistes rallient la mouvance néo-impressionniste. Louis Hayet propose ainsi ses propres atlas chromatiques, laissant la part belle au gris dans Au café. Isolé dans sa région natale du Sud-Ouest de la France, Achille Laugé développe également une interprétation personnelle, d'inspiration rurale et naïve, de la division des couleurs, dont L'Arbre en fleur est un vibrant exemple.


Étude pour au temps d'Harmonie - le joueur de boule penché, Signac 1894

En 1893, Signac entreprend une grande composition destinée à célébrer la vie simple et authentique qu'il mène sur le rivage méditerranéen. Quand, en 1895, il achève le tableau aujourd'hui conservé à la mairie de Montreuil, l'artiste l'intitule Au Temps d'Harmonie (l'âge d'or n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir). Issu d'un texte de l'écrivain anarchiste Charles Malato, le sous-titre de l' œuvre exprime clairement les convictions politiques de l'artiste. À son habitude, Signac multiplie les travaux préparatoires, comme cette savoureuse Étude pour « Au Temps d'Harmonie » (le joueur de boules penché)

Au café, Louis Hayet, 1888

 L'arbre en fleurs 
Achille Laugé, 1893

Originaire de l'Aude, Achille Laugé se forme à l'École des Beaux-Arts de Toulouse, puis à Paris Déçu par l'enseignement traditionnel qui y est professé, il visite en 1886 le Salon des Indépendan où il découvre le tableau-manifeste de Seurat. Mais c'est seulement après son retour dans sa province natale, en 1888, que Laugé s'essaye à la division du ton. Il recompose avec un certain empirisme la théorie des couleurs de Seurat et Signac, sans probablement les avoir jamais rencontrés. Il produit alors des paysages, comme L'Arbre en fleur, mais aussi des natures mortes et des portraits - une pratique originale dans le courant divisionniste français. Sa technique très personnelle, juxtaposant les trois couleurs primaires en tout petits points ou en treillis, est alors mal comprise et ses envois aux Salons parisiens déclenchent refus ou critiques.

Le troupeau de mouton à Eragny, Pissaro, 1888

La Briqueterie Delafolie à Éragny Pissaro, 1888

À la suite de Seurat, Camille Pissarro est l'un des premiers, avec Signac, à adopter la touche divisée début 1886. Son adhésion au néo impressionnisme s'inscrit dans la continuité de ses recherches précédentes dans lesquelles il recourait à des touches croisées de couleur pure. Elle offre une visibilité inespérée aux représentants de cette jeune école qui peuvent, grâce à son entremise, exposer leurs premières œuvres à la huitième exposition impressionniste. Dans ce tableau, il modernise un thème qu'il avait déjà traité à la manière impressionniste, mais il développera une approche encore plus radicale dans Le Troupeau de moutons à Éragny, construit selon une rigoureuse géométrie jouant sur l'ombre et la lumière. Les exigences de cette technique vont toutefois le conduire à s'éloigner du néo impressionnisme dès le début des années 1890.

Baie de Saint Jean de Luz
Georges Lacombe 1904

Promenade sur bord de mer
Georges Lemmen 1891

Le café 
Maximilien Luce 1892

L'acierie
Maximilien Luce 1899

Issu d'un milieu modeste, anarchiste engagé, Maximilien Luce rencontre en 1887 Signac qui lui présente « ses amis du mouvement néo impressionniste ». Comme Pissarro, il fait partie des figures saillantes de la première génération des peintres pratiquant la division des tons. Cette adhésion sera temporaire, jusqu'au milieu des années 1890, période à laquelle il se détache de la technique néo-impressionniste pour revenir à un mode d'expression plus libre. Cette liberté stylistique est à l'œuvre dans L'Aciérie, peinte dans une touche souple et ample, qui traduit autant la fascination de l'artiste pour les feux de la forge qu'une dénonciation des conditions de travail des ouvriers. Son intérêt pour le monde du travail demeurant l'une de ses sources constantes d'inspiration, Luce enrichit le mouvement néo impressionniste de thèmes sociaux.

Amitiés artistiques
Animé par un grand sens de l'amitié, Signac s'entoure d'artistes avec lesquels il développe de solides compagnonnages. Ainsi, dès 1892, il accueille à Saint-Tropez son ami Luce, que le petit port varois séduit à son tour. Le chantre du monde ouvrier en tire des compositions aussi lumineuses qu'harmonieuses, habitées de personnages populaires. Quand il revient, au milieu des années 1890, à une facture plus traditionnelle, son amitié avec Signac n'en est pas affectée.

Henri-Edmond Cross, quant à lui, adhère tardivement au néo-impressionnisme, en 1891, mais son engagement est définitif, jusqu'à sa mort en 1910. Il devient un intime de Signac, prenant en quelque sorte auprès de lui la place laissée vide au décès de Seurat en mars 1891, et s'impose comme l'une des personnalités majeures du mouvement. Les échanges entre les deux artistes sont déterminants lors de la rédaction D'Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, traité théorique que Signac publie en 1899. Lui aussi très inspiré par les paysages du Midi, où il s'est installé dès 1891, Cross utilise dans ses toiles des couleurs pures qu'il pose à larges touches. Théo Van Rysselberghe mène avec Signac un combat commun, l'un militant à Paris, l'autre à Bruxelles, aux Salons des XX puis de La Libre Esthétique. Connu essentiellement pour son talent de portraitiste, Van Rysselberghe excelle égale ment dans le paysage où il fait preuve d'un art remarquablement synthétique, souvent teinté de japonisme. Grâce à son action efficace, la Belgique est considérée comme la seconde patrie du néo-impressionnisme.

Saint Tropez la route du cimetière 
Maximilien Luce 1892

Le port de Saint-Tropez 
Maximilien Luce 

Peintre du monde du travail, Luce est également un excellent paysagiste, qui restitue les effets de la lumière avec une grande sensibilité. À l'été 1892, Signac l'invite à Saint-Tropez: comme son ami, Luce tombe sous le charme de ce petit port de pêche que baigne la lumière méditerranéenne. Il lui consacre plusieurs œuvres, où il donne la pleine mesure de son talent de coloriste. Dans Le Port de Saint-Tropez, il crée une vibration à la surface de la toile en associant les couleurs complémentaires bleu et orangé, qui soulignent la blancheur de la voile au centre du tableau. Cette dynamique colorée est renforcée par le jeu des lignes verticales des mâts qui structurent et rythment la composition, animée par les nombreuses silhouettes déambulant sur le quai.

La mer clapotante 
Henri-Edmond Cross 1905

Henri-Edmond Cross participe à la création de la Société des Artistes indépendants en 1884 et rencontre à cette occasion Signac et Seurat. S'il assiste à la naissance du néo-impressionnisme, il continue à peindre dans une technique traditionnelle jusqu'en 1891, date à laquelle il adopte la division des couleurs. Il se rapproche alors de Signac avec qui il se lie d'une solide amitié: il s'installe dès l'automne 1891 dans le Midi et encourage son ami à l'y rejoindre. De santé fragile, introverti et sensible, Cross trouve une inépuisable source d'inspiration dans la nature méditerranéenne et peint des œuvres qui sont autant d'évocations d'une Arcadie intemporelle. Au tournant du siècle, son art évolue vers un lyrisme coloré, comme dans cette Mer clapotante, qui se libère du naturalisme et annonce la violence des fauves.


Paysage avec le cap Nègre 
Henri-Edmond Cross 1906

Le moulin du Kalf à Knokke
Théo Van Rysselberghe 1894

Canal en Flandre
Théo Van Rysselberghe 1894

Né à Gand et formé à l'Académie de Bruxelles, Théo Van Rysselberghe découvre le néo impressionnisme en visitant la huitième exposition impressionniste à Paris en 1886. Il fait la connaissance de Signac l'année suivante, lors de l'exposition annuelle des XX à Bruxelles: c'est le début d'une longue et fructueuse amitié, faite aussi de connivence politique. Van Rysselberghe pratique la division des couleurs dès 1888 et produit de nombreux portraits dans cette technique. Il s'illustre également dans l'art du paysage: le Canal en Flandre, qui représente le canal de Damme non loin de Knokke-le-Zoute, compte parmi ses chefs-d' œuvre. La composition synthétique du paysage, réduit à ses lignes essentielles, y est mise en valeur par une gamme chromatique finement nuancée, qui traduit la luminosité particulière du site.

Lorsqu'il découvre Saint-Tropez, en 1892, Signac peint ses premières aquarelles. Cette technique, qui occupe une place grandissante dans sa production, lui permet d'élaborer sur le motif une documentation qui lui sera ensuite utile à l'atelier. Signac, qui apprécie particulièrement le plein air, multiplie les occasions de s'y exercer. Il réalise ainsi des aquarelles indépendantes, d'une maîtrise et d'une délicatesse rares, les considérant comme des œuvres abouties qu'il tient à exposer comme telles, à l'instar d'Antibes. Il varie les formats et les supports, se plaisant à peindre des éventails raffinés, aux couleurs iridescentes ou flamboyantes.

Signac et la tentation de l'aquarelle 
Entreprenant son propre catalogue, il exécute de délicieux  "portraits" de ses tableaux, accompagnés de leurs titre, dates et localisation. Il reproduit ses compositions à l'aquarelle, avant de les souligner à l'encre, comme le montre la feuille qui fait écho à la célèbre toile Avignon- Matin.

Coucher de soleil (éventail)
Signac 1905

Avignon matin et soir
Signac 1909

Antibe Signac 1910
Les cyprès de Sainte Anne 
Saint-Tropez Signac 1905

Venise La Dogana
Signac 1906

Venise San Giorgio éventail
Signac 1904

A la recherche de nouveaux motifs

Au tournant du siècle, Signac est devenu une figure de la scène artistique parisienne et plusieurs galeries lui consacrent des expositions monographiques, en 1902, 1904 et 1907. II a également conquis un succès international et ses œuvres sont régulièrement présentées à Bruxelles, à Vienne et en Allemagne. Lui qui a toujours beaucoup voyagé poursuit sa quête de nouveaux motifs. Peintre de l'eau, de la couleur et de la lumière, il choisit de visiter de grands ports européens, et en premier lieu Venise, où il séjourne en 1904 et en 1908. La Sérénissime lui inspire des compositions polychromes, dont l'éblouissant Arc-en-ciel. Venise, où les couleurs du prisme s'organisent en de somptueux bouquets.

En parallèle, l'œuvre graphique de Signac s'enrichit, l'artiste variant les approches et les techniques. A partir de 1907, il réalise de grands lavis d'encre de Chine, tels Le Pont Royal. Inondations. Véritables cartons préparatoires exécutés selon la tradition de la peinture classique, ils préludent à l'élaboration de ses tableaux. Chantre de la couleur, Signac n'en n'apprécie pas moins le contraste du noir et du blanc, qu'il maîtrise avec autant de talent.

Quand il travaille sur le motif, l'artiste privilégie l'aquarelle, une technique qu'il pratique assidûment depuis 1892 et qui occupe une place grandissante dans son œuvre. Le dernier grand projet de Signac est la série des Ports de France qui réunit plus de deux cents aquarelles représentant une centaine de ports. Grâce à ce fascinant reportage réalisé de 1929 à 1931, nous pouvons le suivre de jour en jour le long des rivages qu'il connaît parfaitement, de Sète à Menton et de Dunkerque et à Concarneau.


En 1928, Signac fait la connaissance de Gaston Lévy, créateur de la chaîne de magasins Monoprix et grand collectionneur. Partageant de nombreux engagements artistiques, les deux hommes développent rapidement une relation privilégiée. Signac propose alors à son nouvel ami de soutenir un projet qui lui tient à cœur, « une suite importante d'aquarelles sur "Les Ports de France" », en réalisant dans chacun d'eux deux aquarelles, l'une pour lui et l'autre pour son mécène. Gaston Lévy accepte immédiatement de financer ce projet, qui occupe l'artiste de 1929 à 1931 et marque le couronnement de son travail d'aquarelliste. Au fil de ses pérégrinations, Signac restitue toute la diversité des villes et des gréements, du modeste port de pêche aux grands établissements industriels, sans oublier le port militaire de Toulon et toute la gamme des ports bretons et méditerranéens.

La rade de Toulon 
Signac 1931

Sète Signac 1929

La Ciotat Signac 1930

Paimpol Signac 1929

Villefranche sur mer
Signac 1931

Morlaix Signac 1929

Douarnenez Signac 1929

Nice Signac 1929

Le Bono Signac 1931

Concarneau Signac 1929

Menton Signac 1931

Saint-Malo Signac 1929

Dunkerque Signac 1930

Arc en ciel, Venise 
Signac 1905

Au début du XXe siècle, le rôle de la couleur anime le cœur des débats et des pratiques artistiques: l'œuvre et le travail théorique de Signac sont plébiscités par une jeune génération d'artistes qu'on appellera bientôt les « fauves ». Conscient de ces enjeux, Signac confère une puissance renouvelée à la couleur dans ses tableaux. Dans cette toile éclatante, l'artiste choisit de restituer un effet atmosphérique, l'arc-en-ciel, dont les sept couleurs font écho à celles de sa palette. Signac les distribue en véritable feu d'artifice sur l'ensemble de la toile, si bien que l'arc-en-ciel lui-même semble pâlir au cœur d'une composition qui orchestre les contrastes des tonalités les plus intenses.

Le pont Royal, inondation 
Signac 1926

Libération de la couleur 
Depuis 1895, l'art de Signac évolue dans le sens d'une libération de la couleur qui se dégage de plus en plus nettement du motif observé. Conforté par l'exemple de Turner, dont il a découvert les œuvres à l'occasion d'un voyage à Londres en 1898, l'artiste poursuit sa quête: « il faut être libre de toute idée d'imitation et de copie, et [...] il faut créer des teintes» note-t-il dans son journal. L'artiste s'éloigne donc progressivement du naturalisme et, pour cela, il adopte deux approches complé mentaires dans la composition de ses œuvres.

La première consiste à choisir, pour structurer sa toile, une couleur dominante déclinée en un large éventail de nuances. Les œuvres que Signac élabore selon cette technique tendent à la monochromie, comme Antibes. Matin, Marseille. Le Vieux Port ou Avignon. Matin, caractérisées par une harmonie rose, évocatrice de la lumière matinale. À l'inverse, Signac se plaît à construire d'autres toiles dans une polychromie audacieuse. Dans ces œuvres, la couleur s'émancipe de la réalité; l'imagination du peintre et l'organisation des formes y sont soumises à un équilibre rigoureux, qui s'inspire du paysage classique. La composition de Sainte-Anne (Saint-Tropez) et celle de Juan les-Pins. Soir (première version) répondent ainsi à une même exigence de symétrie.

La Première Guerre mondiale donne un coup d'arrêt brutal à cette dynamique. Pacifiste convaincu, Signac est profondément déprimé par les événements et sa production ralentit de façon drastique. Après-guerre, l'artiste reprendra ses activités au Salon des Indépendants et sillonnera la France au volant de son automobile dans sa recherche permanente de nouveaux motifs.

Antibe matin
Signac 1903

Sainte Anne Saint-Tropez 
Signac 1905

Si Signac a beaucoup représenté le port de Saint Tropez, il s'est aussi intéressé à des sites moins connus, comme la chapelle Sainte-Anne, située sur les hauteurs de la ville, à l'écart des plages. Celle-ci offre un point de vue inattendu et privilégié sur le golfe et le village, dont on aperçoit le clocher au centre de la composition. Les cyprès, dans l'ombre au premier plan, structurent la composition en encadrant le paysage baigné de lumière à l'arrière-plan. Peinte dans des tons bleus et roses réchauffés d'éclats dores, cette toile illustre chez Signac une inépuisable recherche d'harmonies chromatiques.

Juan les pins Signac 1914

D'une grande puissance novatrice, les œuvres de Signac témoignent aussi d'une réelle
connaissance de l'histoire de la peinture, et en particulier de la peinture classique du XVII° siècle. S'inspirant de la tradition du Grand Siècle, Signac réalise à l'encre de Chine de véritables cartons préparatoires. Ces rares dessins, aujourd'hui encore méconnus, font pleinement partie du processus créatif de l'artiste depuis 1907. Signac conçoit en effet ces lavis aux dimensions de l'œuvre définitive, à côté de laquelle il se plaît souvent à les exposer. Ici, la mise en regard du lavis préparatoire et du tableau achevé souligne le travail d'organisation formelle par l'artiste : les lignes souples des pins maritimes qui encadrent une ouverture vers la mer confèrent à la composition une certaine symétrie, éclairée par la fraîcheur des couleurs utilisées.


Juan-les-Pins soir
Signac 1914

Avignon matin
Signac 1909

Fidèle à sa première phase impressionniste, Signac ne se lasse pas d'analyser la variété des effets chromatiques autour d'un motif, au fil des heures et des changements du climat. Il a ainsi choisi de peindre le palais des Papes d'Avignon le matin et le soir, dans des tonalités très différentes. Pour traduire la luminosité particulière d'un matin ensoleillé, l'artiste adopte une gamme de tons pâles, dans les bleus, les roses et les jaunes, que viennent réveiller des couleurs plus soutenues utilisées pour représenter la végétation des jardins. Signac se livre ici à une étude subtile des tonalités, dans une toile presque monochrome.

Marseille le vieux port
Signac 1906

Signac à la barre

Et pour se faire plaisir, quelques tableaux de la collection permanente : Botticelli, Viger Lebrun, Van Dick, Rembrandt, Greuze...






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