jeudi 8 septembre 2022

Gauguin et Bernard, l'éclosion du synthétisme au musée d'Orsay en septembre 2022

Je profite de cet escapade au MO pour découvrir la salle 40 au 5ème étage consacrée pour l'essentiel à Paul Gauguin et Émile Bernard.

Après des débuts impressionnistes, Paul Gauguin (1848-1903) développe dès 1886 en Bretagne, à Pont-Aven et au Pouldu, un art plus symboliste
qui s'éloigne de l'imitation de la nature. Il simplifie son dessin, privilégie l'usage de couleurs pures,
abandonne le modelé et la perspective traditionnelle.
Durant l'été 1888, il retrouve à Pont-Aven le jeune Émile Bernard (1868-1941), de vingt ans son cadet.
Peintre déjà très actif, Bernard oriente son travail dès 1886 vers une recherche de simplicité formelle.
Ces recherches trouvent leur prolongement dans le synthétisme, fruit d'une période d'intense émulation artistique entre Gauguin et Bernard. Ce style novateur
se traduit par des procédés picturaux inédits:
simplification des formes, utilisation de couleurs pures posées en aplats, emploi d'un cerne foncé pour délimiter les masses. Les deux artistes trouvent dans l'art
des émaux, les tapisseries et vitraux du Moyen Âge, les images d'Épinal ou encore les estampes japonaises
de nouvelles sources d'inspiration.

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Nature morte au chapeau rouge 1886
Huile sur toile
Cette nature morte est révélatrice des changements qui s'opèrent dans l'art de Gauguin lors de son premier séjour à Pont-Aven. La touche vibrante et fragmentée est encore impressionniste, mais il accentue l'usage de couleurs vives et contrastées. L'étrangeté du sujet et de sa mise en forme lui confèrent une dimension symboliste. La forme du chapeau renversé sur la table rappelle certaines céramiques que Gauguin produit au même moment, dans l'incessant dialogue qu'il entretient entre les pratiques artistiques.

Paul Gauguin
Paris 1848-Atuona, îles Marquises 1903
Nature morte à la mandoline 1885
Huile sur toile

Émile Bernard
 Lille 1868-Paris 1941
Moisson au bord de la mer
1891
Huile sur toile

Émile Bernard
Lille 1868- Paris 1941
Les Bretonnes aux ombrelles
1892
Huile sur toile

Émile Bernard 
Lille 1868 - Paris 1941
Le Pardon,
dit aussi Les Bretonnes dans la prairie
1888
Huile sur toile
Le jeune artiste de vingt ans exécute cette toile après avoir assisté le 16 septembre 1888 à la grande procession catholique du Pardon à Pont-Aven. Il fait preuve dans cette composition d'une audace sans précédent qui se traduit par une rupture définitive avec la représentation illusionniste de l'espace: aucune ligne d'horizon ni modulation de la couleur pour figurer le proche et le lointain. Quelques jours auparavant, Gauguin avait commencé à peindre un autre chef-d'œuvre du synthétisme, La Vision du sermon. La proximité stylistique entre les deux toiles n'a rien de fortuit: les deux peintres y ont travaillé côte à côte.

Paul Gauguin
Paris 1848-Atuona, îles Marquises 1903
Aline Gauguin
Vers 1881
Cire noire sur âme en plâtre et armature métallique, socle en bois

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Cadre aux deux «G» entrelacés
Vers 1881
Bois de noyer et photographie de Paul Gauguin par Julie Laurberg & Gad en 1885

Émile Bernard
Lille 1868-Paris 1941
Madeleine au Bois d'Amour
1888
Huile sur toile
Émile Bernard réalise cette toile de grand format lors de son séjour à Pont-Aven avec sa jeune sœur Madeleine. Telle une gisante de l'art funéraire chrétien, la silhouette raide et sculpturale du modèle rompt avec la verticalité des arbres. L'Aven, la rivière apparaissant à l'arrière-plan, traduit particulièrement les recherches de synthèse du peintre : les reflets sont traités en grands aplats posés schématiquement.

Paul Gauguin Paris 1848-Atuona, îles Marquises 1903
Au-dessus du gouffre, dit aussi Marine avec vache
1888
Huile sur toile
Cette toile est un exemple extrême du synthétisme radical adopté par Gauguin à l'été 1888. Le choix de la vue plongeante et le cadrage audacieux de la composition créent un effet de brouillage spatial sans précédent dans les œuvres du peintre. Rien ne subsiste des constructions traditionnelles de la perspective; seules les formes simplifiées et la couleur pure, traitée en aplats, orientent le regard dans ce paysage de côte bretonne dominé par l'écume du ressac.

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
La Belle Angèle
1889
Huile sur toile
Dans ce portrait de Marie-Angélique Satre, dont les parents tenaient un troquet à Pont-Aven, Paul Gauguin s'éloigne des codes picturaux en vogue dans la communauté d'artistes établie dans ce petit village breton. La jeune femme est représentée en costume traditionnel, mais Gauguin refuse tout pittoresque. Sa composition décorative rappelle autant les estampes japonaises que les vitraux médiévaux, et le peintre met en regard d eson modèle une poterie d'inspiration péruvienne.

Paul Gauguin
Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Les Alyscamps
1888
Huile sur toile


Paul Gauguin Paris 1848- Atuona, îles Marquises 1903
Soyez mystérieuses
1890
Bois de tilleul partiellement polychrome, traces de crayon de couleur sombre
Gauguin taille ce relief en Bretagne, au Pouldu, presque un an avant son premier départ pour la Polynésie. Le corps volontairement déformé aux tons ambrés annonce la sensualité des nus tahitiens. Il s'inscrit dans un paysage de vagues et de plantes marines dominé par la lune, symbolisée par un visage de profil. L'inscription << Soyez mystérieuses» invite au rêve et à l'immersion dans un monde magique.

Meijer de Haan
Amsterdam, Pays-Bas 1852 -1895
Nature morte aux carottes
Vers 1889
Huile sur toile

Meijer de Haan 
Amsterdam, Pays-Bas 1852 - 1895
Nature morte au lilas
1890
Huile sur toile

Paul Gauguin Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Portrait de l'artiste au Christ jaune
Entre 1890 et 1891
Huile sur toile
Gauguin se représente entouré de deux de ses œuvres créées en 1889. Le tableau Le Christ jaune, inversé ici par un jeu de miroir, est inspiré par le crucifix de la chapelle de Trémalo, proche de Pont-Aven. Le Christ représenté sous les traits de Gauguin souligne par cette assimilation la dimension sacrificielle de l'artiste, dévoué corps et âme à un art longtemps rejeté. Le pot à tabac anthropomorphe (de forme humaine) que Gauguin décrit comme "un pauvre diable ramassé sur lui-même pour supporter la souffrance" exprime de façon métaphorique la personnalité abrupte et sauvage de l'artiste.

Roderic O'Conor
Milton, Irlande 1860 - Nueil-sur-Layon 1940
Garçon breton de profil
1893
Huile sur carton
Nouvelle acquisition 

En 1891, le peintre irlandais Roderic O'Conor se rend pour la première fois à Pont-Aven. Il y séjournera à plusieurs reprises, assimilant dans sa peinture les apports du synthétisme et la touche expressionniste de Van Gogh. Ce portrait de jeune garçon frappe par sa grande radicalité : l'artiste use de larges touches en hachures et traite les ombres, notamment celles du visage, en un puissant contraste de couleurs complémentaires entre le rouge et le vert. Il rompt ainsi avec le traditionnel modelé de la figure et souligne d'un léger cerne vert le profil pour le distinguer de l'arrière-plan.
Paul Gauguin París 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Paysage de Bretagne. Le moulin David
1894
Huile sur toile

Émile Bernard
 Lille 1868 Paris 1941
Baigneuses à la vache rouge
1889
Huile sur toile
Cette toile constitue un fragment d'une grande composition qui décorait l'atelier de l'artiste à Asnières. Contrairement à ce qu'indique la signature de l'œuvre « EB 87 », Bernard réalise ces Baigneuses au cours de l'année 1889. L'influence de Cézanne y est manifeste tant dans le choix du sujet que dans la représentation des corps.

Émile Bernard
Lille 1868-Paris 1941
Autoportrait au tableau << Baigneuses à la vache rouge >>
Vers 1889
Huile sur toile
Nouvelle acquisition 

Émile Bernard peint cet autoportrait l'année de ses vingt et un ans, à son retour d'un séjour à Pont-Aven en Bretagne, où il a développé avec son aîné Paul Gauguin les principes du synthétisme en peinture. Le jeune peintre nous fixe ici avec assurance, posant devant un détail de l'une de ses créations les plus audacieuses du moment: un décor peint pour l'atelier qu'il vient de se construire dans le jardin de la maison familiale à Asnières. Le musée d'Orsay en conserve le panneau central intitulé Baigneuses à la vache rouge.

Paul Gauguin
 Paris 1848 - Atuona, îles Marquises 1903
Pot anthropomorphe, dit aussi Portrait de Gauguin en forme de tête de grotesque
1889
Grès glaçuré
L'observation attentive de ce vase irrégulier permet de déceler un visage déformé. Pour Gauguin, il s'agit de son alter ego, sombre et torturé : « Pauvre diable ramassé sur lui-même pour supporter la souffrance ». L'artiste s'identifie à ce monstre difforme approchant le pouce de la bouche dans un geste régressif. Gauguin affirme ainsi sa nature primitive et sauvage.
En prime quelques toiles de Paul Serusier au même étage :
Paul Sérusier et l'école de Pont-Aven

Les principes du synthétisme se diffusent très vite auprès d'une nouvelle génération de peintres rassemblés quelque temps autour de Paul Gauguin. Ces artistes sont ensuite réunis par la critique sous la bannière d'« école de Pont-Aven». Ils propagent les idées du maître en faveur d'une nouvelle peinture.

À l'été 1888, Paul Sérusier (1864-1927), élève de l'académie Julian, académie libre de peinture, quitte Paris pour Pont-Aven. À l'automne, il recueille la << leçon » de son aîné et peint un Paysage au Bois d'Amour qui devient bientôt son << talisman >>. Ce petit panneau de bois est alors érigé en témoin et passeur d'une nouvelle conception de l'art. Son caractère extrêmement novateur est un véritable catalyseur pour ses camarades de l'académie Julian avec lesquels il forme bientôt le groupe des Nabis (prophètes en hébreu). Ils voient dans ce paysage aux formes simplifiées le manifeste d'un art qui privilégie la perception visuelle à l'exactitude du rendu.

Les jeunes peintres réalisent leur tour de petites peintures, supports de leurs expérimentations les plus libres. Ces œuvres traitent de sujets très divers, scènes religieuses ou paysages, mais elles présentent toutes une même radicalité dans la composition et l'utilisation des couleurs.

Paul Sérusier
 Paris 1864-Morlaix 1927
Les Laveuses à la Laïta
1892
Huile sur toile

Paul Sérusier
 Paris 1864- Morlaix 1927
La Barrière
1890
Huile sur toile

Paul Sérusier 
Paris 1864-Morlaix 1927
Eve bretonne, dit aussi Mélancolie
1890
Huile sur toile
Esseulée, nue et prise d'un profond désespoir, la figure d'Ève contraste violemment avec les couleurs luxuriantes du paysage qui occupe l'essentiel de la composition. Les rochers massifs qui scandent la surface de la toile sont suggérés par de simples juxtapositions de teintes qui tendent vers l'abstraction. Les couleurs intenses suggèrent les formes plus qu'elles ne les délimitent et renforcent l'impression de mystère qui émane de cette œuvre aux accents symbolistes.

Paul Sérusier
Paris 1864-Morlaix 1927
La Lutte bretonne
1890-1891
Huile sur toile

Paul Sérusier 
Paris 1864-Morlaix 1927
Tétraèdres
Vers 1910
Huile sur toile
Peuplée d'objets flottants dans un espace sans repères, cette toile fait partie d'un cycle de peintures mystérieuses réalisées par Sérusier autour de 1910, où le symbolisme est poussé jusqu'à l'abstraction. Convaincu du caractère sacré des formes géométriques, Sérusier développe ici une réflexion sur les origines de la vie et de l'univers tandis que la gamme chromatique suit une progression vers la lumière en passant par toutes les teintes des plus froides aux plus chaudes.

Paul Sérusier
 Paris 1864- Morlaix 1927
L'Averse
1893
Huile sur toile

Paul Sérusier
 Paris 1864-Morlaix 1927
La Barrière fleurie, Le Pouldu
1889
Huile sur toile

Paul Sérusier 
Paris 1864-Morlaix 1927
Paysage au Bois d'Amour, 
dit aussi Le Talisman
1888
Huile sur bois
Cette composition peinte «< sous la direction de Gauguin» en octobre 1888 propose une représentation du paysage privilégiant la perception visuelle au détriment de l'exactitude du rendu. Maurice Denis en relate la création dans un texte de 1903 resté célèbre : "Comment voyez-vous cet arbre, avait dit Gauguin devant un coin du Bois d'Amour: il est bien vert? Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette; et cette ombre, plutôt bleue? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible."



mercredi 7 septembre 2022

Mariano Fortuny au musée d'Orsay en septembre 2022

La mémoire de l'Orient


Mariano Fortuny y Marsal est sans conteste,  au 19ème siècle, l'artiste espagnol à la plus grande
renommée internationale. Le Catalan reçoit à l'école des beaux-arts de Barcelone un enseignement classique et étudie auprès de Claudio Lorenzale, grand admirateur de l'âge d'or de la peinture néerlandaise. Lauréat d'une bourse en 1858, il part pour l'Italie avant que le gouvernement espagnol ne missionne ce jeune talent
pour l'expédition militaire au Maroc en 1860. Fortuny démarre ce périple par un voyage d'études à Paris.
Charismatique et ami fidèle, il s'entoure entre Paris, Rome Madrid et Grenade, d'artistes et d'amateurs
qui lui prodiguent leur bienveillance. Le marchand de tableaux Adolphe Goupil et le baron Davillier le placent. sous leur protection. Il rencontre Ernest Meissonnier,
Jean-Léon Gérome lui prête son atelier, Henri Regnault. l'admire, Georges Clairin voyage avec lui et Gustave Doré devient un proche. Il fréquente ses compatriotes
notamment Eduardo Zamaïcos et Giovanni Boldini, séduit par ses scènes de genre pittoresques.
Voyageur, collectionneur, connaisseur, l'œuvre de Fortuny
se situe à la confluence de plusieurs influences mais demeure l'expression d'une liberté de création.

Musiciens arabes devant un roi maure dans un palais de style oriental
Vers 1870-871
Plume et encre brune métallogallique sur papier vélin

Étude d'après un chapiteau arabe à l'Alhambra de Grenade ou Étude d'un chapiteau de la Cour des Lions à l'Alhambra 1870-1871
Aquarelle, rehauts de gouache blanche, tracé préparatoire à la mine graphite sur papier vélin épais

La galerie de la "Cour de Lions" est supportée par 124 colonnes en marbre blanc qui soutiennent des chapiteaux cubiques et de grands abaques, décorés avec des inscriptions et des motifs végétaux. Par cette minutieuse et riche étude à l'aquarelle, Fortuny restitue toute la finesse de l'ornement de l'architecture nasride qui le fascine: "les murs paraissent couverts de guipure". Dans la peinture Le Massacre des Abencérages (Musée national d'art de Catalogne, Barcelone) Boabdil se tient en observateur près de cette colonnade. Henri Regnault a également dessiné une aquarelle de ces chapiteaux (musée d'Orsay).

Arabe couché sur le sol, vêtu de vert et de rose
Vers 1870
Aquarelle et gouache sur papier aquarelle avec très léger grain
Prisonnier, joueur de castagnettes ou Abencérage égorgé dans la cour des lions, au moment où Fortuny réalise cette lumineuse aquarelle, il ignore encore le devenir de cet homme. L'artiste ne travaille jamais sans modèle. Lorsqu'un sujet retient son attention, il le retrace rapidement puis multiplie les essais de couleurs pour compléter sa première impression. Cette œuvre date du début du séjour de l'artiste en Andalousie. Les verts et roses tendres rehaussés de gouache blanche connotent les représentations pittoresques de l'Espagne que lui commande le marchand Goupil.

À son arrivée à l'Alhambra, Fortuny concède à la représentation de l'Orient des romantiques et travaille à une composition tirée des Aventures du dernier Abencérage (1826) de Chateaubriand. Le 22e émir nasride Boabdil, dernier sultan de l'Émir de Grenade préoccupé du pouvoir étendu de la tribu rivale des Abencérages les convoque dans son palai Ils sont reçus dans la Cour des Lions, où les esclaves du sultan les torturent, les ligotent puis les exécutent. Fortuny préfère porter son attention sur les arcs en ogives et les portiques de l'architecture nasride de la cour plutôt que sur le bain de sang qui selon la légende jaillissait de la fontaine des Lions.

Personnages devant des arcades à l'Alhambra ou Portique du patio des Arrayanes dans la cour des myrtes
1870-1871
Plume, encre brune et lavis brun, rehauts de gouache blanche, tracé préparatoire à la mine graphite sur papier beige
Fortuny arrive à Grenade au moment exact où le culte de l'Alhambra s'institutionnalise. Le palais est déclaré « monument national espagnol » le 12 juillet 1870 et le conservateur Rafael Contreras y Muñoz ferme l'enceinte au public pour entreprendre des travaux de restauration. Devenu ami avec Fortuny il l'autorise à aller et venir à son gré. En 1871, le peintre fait ainsi part à Davillier d'une ébauche de tableau dans la cour des myrtes pour son marchand d'art. Dans une harmonie de perspective et de reflets dans le bassin, ce patio servait de lieu d'attente pour les réceptions diplomatiques.

Duel à la lanterne :
deux hommes se battent à l'épée au coin d'une rue Avant 1867
Plume, encre brune et lavis brun sur papier vélin
Dans sa biographie, Davillier nous apprend qu'avant son mariage Fortuny habitait à Rome avec ses amis, les peintres espagnols Josep Tapiro et Tomas Moragas dans une maison située à l'angle de la rue de la Purification et de la rue Saint Isidore. Il a copié le médaillon aux Angelots qu'il observait depuis sa fenêtre puis a imaginé une rencontre en duel sous le motif.

Médaillon sculpté au coin de la rue de Purification à Rome
Avant 1867
Mine graphite sur papier vélin

Intérieur de sacristie ou Accrochage de cadres en bronze, étude pour la seconde version de la Vicaria
1867
Aquarelle, lavis d'encre, tracé préparatoire au crayon graphite sur carton

Fortuny prend souvent des croquis de détail à l'aquarelle pour noter des effets de couleur. Cet accrochage de cadres baroques se retrouve dans le dessin suivant à la plume représentant un prêtre devant un autel.

Procession dans une église, derrière une grille ou Étude pour la seconde version de la Vicaria
Vers 1867
Plume, encre brune, lavis brun sur papier vélin

En 1867, Fortuny épouse Cecilia Madrazo, la fille du peintre officiel de la cour espagnole alors directeur du musée du Prado. Durant les préparatifs du mariage, il visite les sacristies et a l'idée de la peinture sur bois La Vicaria qui représente la signature d'un contrat de mariage dans une sacristie à la fin du XVIIIe siècle. Pendant que le marié signe le document la jeune femme bavarde avec les élégants invités. Cette galerie de portraits montre le goût de l'artiste pour la peinture rococo aux teintes rose pâle et vert pistache. Jugeant le décor trop sobre, Fortuny réalise une seconde peinture qu'achète Goupil pour l'exposer dans sa galerie de l'Opéra en 1870.

Le musée d'Orsay conserve des études préparatoires à cette seconde version.

Prêtre officiant devant l'autel d'une sacristie ou Étude pour la seconde version de la Vicaria
Vers 1867
Plume, encre brune, lavis brun sur papier vélin

Études de pieds zoomorphes et un anneau ciselé pour un vase ou Études pour la reconstitution du vase de l'Albaicin
1870-1871
Plume, encre noire et lavis sur page de carnet en papier vélin
Fortuny rassemble les plus belles pièces de la céramique nasride à lustre métallique, les étudie, les dessine et les dispose dans les décors de ses peintures. Il envisage une restauration du vase de l'Albaicin, auquel il projette de restituer les ailerons latéraux et le col qui lui manquent. Il modèle des supports en bronze, inspirés des sculptures en marbre de la fontaine de la cour des Lions et remplit ses carnets d'études. La céramique figure, légèrement dissimulée derrière un chevalet au centre de la vue de l'atelier de Fortuny que peint son jeune beau-frère Ricardo de Madrazo en 1874.

Fortuny est ami avec les collectionneurs d'art islamique, hispanophiles qui voyagent fréquemment en Espagne. Albert Goupil le fils de son marchand d'art l'accueille rue Chaptal, dans ses salons oriental et Renaissance qui lui inspirent l'installation de son atelier à Rome. Le baron Jean-Charles Davillier lui fait connaitre les céramiques à lustre métallique dont il a publié la première étude sérieuse en 1861. Il lui demande conseil pour classer les objets d'art hispanique du Louvre. Il est l'auteur, en 1875, d'une biographie de Fortuny documentée par leur correspondance et leurs souvenirs de voyage. Enfin Fortuny est très lié à Gustave Doré qui se rend à Madrid avec les deux premiers en 1870.

Vase en forme de lampe de mosquée à trépied et appliques zoomorphes ou Reconstitution du vase nasride dit de l'Albaicin avec un trépied zoomorphe 1870-1871
Plume, encre noire et lavis sur page de carnet en papier vélin Fortuny acquiert un statut prééminent decollectionneur par sa capacité de découverte et d'expertise. Il repère dans une taverne de l'Albaicin, l'ancien quartier arabe de Grenade, un vase de faïence hispano-mauresque : « j'aurai la plus rare pièce de faïence qu'il y ait au monde. » Le vase à décor bleu orné de gazelles figure dans la vente de son atelier en 1875, Il devient une des œuvres emblématiques des premières expositions parisiennes d'art de l'Islam. Il est présenté dans la Galerie orientale du Trocadéro en 1878 ainsi que lors de l'exposition d'art musulman à Paris en 1893 et de l'exposition d'art oriental à Lyon en 1894.

Études d'un heaume à cimier en forme d'ananas, et profil d'homme casqué
Vers 1866 Plume, encre noire, lavis brun et mine graphite sur page de carnet en papier vélin

Étude de main gauche et d'armure
Vers 1866
Aquarelle, tracé préparatoire à la mine graphite sur carton

L'artiste catalan se passionne pour le travail du métal et l'orfèvrerie. Il est fasciné par les reflets du métal argenté qui compose les céramiques arabo-andalouses et possède une collection d'armures et d'armes anciennes et en façonne. La Bataille de Tétouan est pour lui l'occasion d'étudier l'attirail des cavaliers maures et hispaniques. La peinture est également le prétexte à une plongée historique dans la Renaissance espagnole, auprès des spadassins, ces hommes d'épées, amateurs de duels dont on louait les services pour leur protection.

Trois études de casque orné, et motifs décoratifs
Vers 1866
Plume, encre noire, lavis brun et mine graphite sur page de carnet en papier vélin

Grenade, procession pour un enterrement le jour du carnaval
1870-71
Encre brune, plume et lavis sur papier vélin à très léger grain
L'épisode de cette étude à l'encre a fortement impressionné Fortuny nouvellement arrivé en Andalousie. Comme il le raconte à Davillier, le jour du carnaval de Mardi Gras une procession déguisée a dépassé un cortège funèbre:  "Des masques, aux costumes grotesques, qui dansent en pleine rue, se croisent avec le convoi d'une jeune fille dont le corps est porté dans un cercueil ouvert". L'artiste témoigne de sa virtuosité à croquer les mouvements saccadés de la turbulente petite troupe. La scène est reprise dans la peinture Les contrastes de la vie restée inachevée dans l'atelier de la villa Martinori à Rome.

Rue de Grenade où trois femmes étendent du linge
1870-1872
Plume et lavis d'encre brune sur papier vélin

Dormeurs dans une rue
Vers 1872
 Plume et lavis brun
 sur papier vélin beige

Une rue à Séville, avec des figures assises ou debout le long d'un mur Vers 1870-1872
Plume et lavis brun sur papier vélin gris

Deux cavaliers au parloir se penchant
Vers 1866
Plume, encre brune, lavis brun sur papier vélin

Le picador blessé, soutenu par deux hommes
1867 ?
Aquarelle sur carton
Il est difficile de préciser pendant quel séjour en Espagne, Fortuny réalise ces scènes de tauromachie. Davillier cite plusieurs études de courses exécutées à Séville en 1867. Ce picador blessé soutenu par deux hommes fait suite immédiate à l'épisode d'une aquarelle du British Museum qui représente le même picador que l'on est en train de dégager sur son cheval. L'ensemble des scènes est une référence à Goya par la façon de camper en raccourci les personnages et de caricaturer les visages. Cette esquisse prise sur le vif est lavée d'un ton rose framboise très significatif du goût précieux de Fortuny.

Paysage d'Afrique du Nord
Après 1862
Aquarelle sur papier vélin épais
Cette vue panoramique est une étude préparatoire pour la peinture de la Bataille de Tétouan dont on distingue une des portes de la Medina. Lors de son premier séjour, Fortuny réalise une aquarelle du même point de vue. Captivé par la lumière vive, il emploie la gouache pour rendre la blancheur éclatante des constructions et des tentes baignées de soleil. Ce dessin semble plutôt avoir été réalisé au cours de son voyage avec Clairin en 1871. Le campement de l'armée espagnole, installé à l'extérieur des murailles de la ville a laissé place aux chameliers et c'est le papier en réserve qui apporte la luminosité.

La guerre coloniale et la propagande officielle ont conduit Fortuny en Orient. Le gouvernent espagnol missionne son talentueux espoir pour relayer la guerre d'Afrique menée contre le Maroc en 1859-1860. Pour honorer sa commande Fortuny se rend à la galerie des batailles de Versailles et prend modèle sur Horace Vernet relatant la conquête de l'Algérie. Le peintre ne se cantonne pourtant pas aux combats victorieux du corps de volontaires catalans du général Prim. Fait prisonnier, il apprend l'arabe et va à la rencontre des Marocains: soldat maure et Bouakher de l'armée noire, chamelier, prisonnier, commerçant, mendiant, femme et enfant, musicien. Il transmet sa propre vision.

Arabe en buste, de trois-quarts à droite
Vers 1870
Aquarelle et mine graphite sur papier aquarelle à très léger grain
Archéologue, ethnographe, peintre Fortuny passe ses journées dans le Palais de l'Alhambra. Il prend pour modèles les ouvriers qu'on emploie aux travaux de restauration. Ces anciens galériens à moitié libres posent tour à tour en esclave des tribus militaires marocaines, en Bouakher de la Garde sultanienne, en malfaiteur lié sur une chaise ou en musicien. Ce magnifique portrait introspectif a peut-être été réalisé avec un roseau fendu tel que s'en servaient les graveurs arabes. Fortuny a quelque fois repris cette technique notamment pour dessiner El Secuestrador (le Rançonneur).


À la différence d'Henri Regnault qui cède à la tentation d'idéaliser la culture orientale, Fortuny, conçoit les arts de l'Islam comme un enrichissement de son œuvre par des pratiques extra-picturales.

Il se livre à une passion ancrée dans sa collection et s'accomplit en artiste de l'Andalousie arabe des XIVe et xve siècles. Il dessine avec un roseau, incruste des épées pseudo nasrides, grave des ivoires avec des caractères coufiques, repousse du cuivre en forme de lampe de mosquée et s'essaye à la faïence aux reflets métalliques. Il contribue à élever les objets archéologiques au statut d'œuvre d'art, les restaure et les « expose » dans son atelier comme dans sa peinture.

Coin de cour mauresque ou Entrée d'une salle du Palais de l'Alhambra
1870-1871
Aquarelle, tracé préparatoire à la mine graphite sur papier vélin épais beige
En juin 1870, Fortuny s'installe à Grenade avec sa famille à la fonda de los Siete Suelos sur la colline de l'Alhambra. Il écrit au peintre Attilio Simonetti "Figure-toi, la Villa Borghèse au sommet d'une montagne entourée de tours moresques et au centre le plus beau palais arabe". Les azulejos du sol permettent d'identifier la cour d'entrée de son atelier. Cette retraite, coupée de la frénésie des visites mondaines constitue une parenthèse très heureuse pour le peintre catalan. Tout l'enchante, comme l'avait prévenu Henri Regnault, la tranquillité de la vie et l'exceptionnel héritage artistique de la ville andalouse.


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