Découverte de ce sculpteur un peu obsessionnel et répétitif dans cette rétrospective dont voici la présentation et quelques œuvres :
À l'occasion de la première rétrospective en France consacrée au sculpteur suisse Hans Josephsohn (1920-2012), le Musée d'Art Moderne de Paris confie le commissariat artistique à Albert Oehlen qui propose une exploration centrée sur la matérialité de l'oeuvre, libre de toute narration.
Albert Oehlen, né en 1954, est un artiste majeur qui a contribué au renouvellement de la peinture allemande dans les années 1980. Admirateur de Hans Josephsohn, il découvre son travail
au Kesselhaus Josephsohn de Saint-Gall (Suisse) où il réside. Ce lieu dédié aux oeuvres du sculpteur est à la fois un espace de monstration et de conservation d'où provient la majeure partie des sculptures prêtées pour l'exposition.
L'intensité de l'oeuvre de Josephsohn trouve son origine dans la vie de l'artiste tourmentée par l'histoire, et une vocation chevillée au corps qui va l'enraciner dans son atelier durant plus de soixante ans.
Né en 1920 à Königsberg (actuelle Kaliningrad russe), qui était alors la province allemande de Prusse orientale, Hans Josephsohn grandit dans l'Allemagne nazie des années 1930 au sein d'une famille juive. Très tôt attiré par la sculpture, il se voit refuser l'accès à une école d'art en raison de ses origines. Après avoir benéficié d'une bourse d'études artistiques à Florence en 1938, il est contraint de fuir l'Italie à l'automne de la même année, du fait de la promulgation des lois raciales par le régime fasciste. Arrivé en Suisse, il s'installe à Zurich où il réside jusqu'à sa disparition, en 2012.
Sans titre (Mirjam)
1953
Plâtre
Kesselhaus Josephsohn,
Saint-Gall
Les figures féminines des débuts se caractérisent par une réduction des formes. Hans Josephsohn s'attache à restituer l'essence des êtres et traduit ainsi ses recherches entre 1947 et 1953:
"Chaque fois que je voyais une modèle mince, svelte et très belle, j'avais l'irrésistible envie de la réduire à l'extrême, ou de la transformer de telle manière qu'il ne reste plus que le noyau de cette chose. Les gens disaient que c'était juste une stèle. Mais en fait, je ne voulais pas créer une stèle, je voulais seulement aller au fond des choses et ne pas me contenter de simples vues extérieures de la nature." La volonté de saisir la présence du modèle rejoint la démarche d'Alberto Giacometti (1901-1966), à qui on le compare parfois bien qu'il n'ait pas été influencé par son œuvre. Les deux artistes puisent toutefois dans un répertoire commun de formes dont fait partie la sculpture de l'Égypte ancienne.
Relief
(Figure assise en face d'un objet, Seated figure in front of an object) 1948-1949
Plâtre, Plaster
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
Sans titre Untitled
1948
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn,
Saint-Gall
Sans titre Untitled 1952
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn,
Saint-Gall
La forme épurée et allongée de la figure est une réminiscence de la silhouette de Mirjam Abeles. Ce traitement montre aussi une certaine porosité avec la création de l'époque traversée par différentes formes d'abstraction (Constantin Brancusi, Jean Fautrier) et aussi par un retour à la figure (Alberto Giacometti, Germaine Richier). Cependant Hans Josephsohn n'a pas fréquenté les artistes de son temps et a conservé une distance avec les avant-gardes. Ses interrogations sur le socle l'amènent à opter pour une solution radicale et personnelle en proposant, comme ici, une synthèse du socle et des pieds.
La figure peu individualisée, la frontalité et le hiératisme renvoient à la statuaire égyptienne ancienne qu'il découvre d'abord à travers des ouvrages dans l'atelier du sculpteur suisse Otto Müller (1905-1993), chez qui il se forme de 1939 à 1943. Dès la fin de la guerre il se rend au British Museum à Londres et visite les salles assyriennes et égyptiennes qui lui font une forte impression.
Sans titre 1950-1951
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
Tel un contrepoint aux figures, les reliefs déploient un registre narratif qui donne à l'artiste un sentiment de liberté. Deux personnages, parfois trois, s'inscrivent dans une architecture sommaire. D'abord esquissées sur le papier ou sous la forme d'études modelées en argile, les saynètes lui permettent de représenter des événements liés à sa vie intime: des actions, des conflits ou des scènes érotiques. Quasiment abstrait, ce relief est représentatif des oeuvres réalisées entre 1951 et 1953 alors que sévit la guerre de Corée. Cet événement ravive un traumatisme chez Hans Josephsohn, qui cherche du sens hors du réel.
Sans titre1962
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
Cette sculpture est l'une des rares figures masculines représentées par l'artiste. L'homme passait régulièrement devant l'atelier de Hans Josephsohn, tirant derrière lui un chariot de linge qu'il livrait à l'hôpital. L'artiste est immédiatement frappé par la forme tubulaire du pantalon et s'interroge sur la façon de la représenter par le modelage. Il demande à l'ouvrier de poser pour lui durant ses pauses déjeuner. Plusieurs variantes en résultent, qui montrent l'attention portée au volume et au rendu du vêtement. Josephsohn s'attache aussi à restituer la position de l'homme au dos voûté et à la tête projetée vers l'avant.
Sans titre (Mirjam)
1950
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn,
Saint-Gall
En 1943, l'artiste fait la connaissance de Mirjam Abeles qui devient sa compagne puis son épouse en 1954. La silhouette élancée de la jeune femme lui inspire les figures stylisées des débuts. Ce buste, pour lequel Mirjam a posé, est constitué d'une tête détaillée et d'un bloc géométrique irrégulier qui synthétise le haut du corps. L'ensemble joue sur un contraste entre la partie supérieure et inférieure de la figure. Au fil du temps, l'artiste s'aperçoit qu'il travaille autant sur la la partie inférieure qu'il décrit par «< cette chose apparemment sans forme » que sur la tête. Le détail du collier de perles ajoute un élément distinctif et décoratif inhabituel chez Hans Josephsohn qui caractérise le portrait.
Sans titre 2005
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
L'artiste admirait l'inventivité de l'architecture romane, qui fleurit autour de 1100, et de ses décors sculptés dont la narration restituait la vie : « J'ai commencé à percevoir les églises comme des collections de blocs de formes qui s'assemblent progressivement pour former un tout. >> Au cours de ses voyages en France, il aimait visiter notamment les églises romanes de la région de Saintonge en Charente-Maritime. La figure, encadrée par des éléments architecturaux, flotte dans l'espace comme dans la plupart des reliefs. La composition, qui s'appuie souvent sur un linteau et un pilier pour séparer parfois deux personnages, pourrait laisser penser ici que la scène est un fragment d'une frise ou d'un bandeau.
Sans titre (Ruth) 1975
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn,
Saint-Gall
Ruth Jacob, qui fut d'abord le modèle de Hans Josephsohn à partir de 1956, puis sa compagne jusqu'à leur séparation en 1976, a posé pour ce buste. Ses formes représentent un nouvel idéal chez l'artiste et sont l'instrument
d'une transformation plastique qui incarne une massivité et une expressivité. Le travail de la matière en est le vecteur, le sculpteur opère par ajout et retrait de plâtre, sa matière de prédilection, générant ainsi une surface dynamique et accidentée.
Sans titre Untitled 1974
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
L'image de Ruth Jacob, sa compagne, au repos, inspire à Hans Josephsohn la représentation du nu couché. La scène va durablement imprégner l'imaginaire de l'artiste qui en fait une description précise: « Elle se reposait, allongée sur un canapé en soutenant sa tête et en regardant autour d'elle.»> Ainsi le nu couché vient enrichir le répertoire typologique des figures dans les années 1960 et 1970. La séparation avec Ruth Jacob, en 1976, marque une interruption dans la réalisation de ces figures. Plus tard, au milieu des années 1990, après avoir revu son ancienne compagne, Josephsohn s'empare à nouveau de cette scène.
Sans titre (Ruth) Untitled (Ruth) 1960
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn,
Saint-Gall
Au tournant des années 1960, l'oeuvre de Hans Josephsohn connaît une profonde transformation marquée par une vision mimétique du corps et un certain réalisme. Les figures gagnent en volume et en physicalité. Le sculpteur suisse cite notamment le Français Aristide Maillol (1861-1944), dont il a pu voir les œuvres lors de voyages effectués à Paris dès 1950. Il admirait "l'unité et la simplification" de ses nus et "le grand calme de ses sculptures". Josephsohn comme Maillol cherchent à dépersonnaliser le modèle. Le sculpteur suisse affirme l'importance de maintenir une certaine distance pour mieux percevoir une présence. Mais alors que Maillol vise à rendre les idées par le mouvement, les nus de Josephsohn affichent une verticalité.
Sans titre 1960
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
Sans titre
Untitled 2006
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
L'artiste reprend le motif de la figure couchée au milieu des années 1990 après une interruption de près de vingt ans, qui date de sa rupture avec Ruth Jacob. Des esquisses trouvées dans son atelier montrent que Hans Josephsohn ne faisait plus appel à des modèles. Réalisés d'abord dans un petit format, les nus couchés comme les demi-figures sont progressivement agrandis. Les traces de la spatule créent des aspérités laissant apparaître les tumultes de la matière. Alors que le sculpteur est concentré sur les proportions, le rapport des volumes, l'équilibre ou le déséquilibre des masses, et que la matière prend l'ascendant sur le sujet, certains auteurs perçoivent une puissance minérale et évoquent des sommets montagneux.
Sans titre 1946-1947
Plomb, Lead
Kesselhaus Josephsohn
Sans titre 1947
Plomb, Lead
Kesselhaus Josephsohn
Sans titre 1956
Plâtre, Plaster
Kesselhaus Josephsohn,
Une série de têtes entreposée sur une étagère des réserves du Kesselhaus Josephsohn à Saint-Gall attire l'attention d'Albert Oehlen alors qu'il visite les lieux. L'ensemble réunit des pièces datées du début des années 1940 à la fin des années 1960, auxquelles Josephsohn ne donne pas, pour la plupart, un statut d'oeuvres mais qu'il considère plutôt comme des études. Différents visages se côtoient et leur diversité offre une galerie de portraits formée par l'entourage amical de l'artiste et des personnalités de Zurich.
Les têtes révèlent des détails d'exécution et portent la trace des recherches qui occupent l'artiste. Certaines le conduisent à travailler la condensation des formes caractéristiques de sa création dans les années 1950, d'autres l'amènent à se concentrer sur le volume ou sur un détail, d'autres encore montrent qu'il cherche à saisir plus fidèlement l'expressivité du modèle. Albert Oehlen choisit d'extraire des réserves l'ensemble tel qu'il l'a découvert : il met en lumière une partie habituellement occultée de la production et donne ainsi accès à l'atelier. Les têtes et leurs variantes témoignent d'un apprentissage de la sculpture par une pratique quotidienne. Copier une tête est un exercice classique d'apprentissage. Le sujet, banal, s'avère être l'un des plus complexes. Le visage traduit l'insaisissable intériorité de l'être. Josephsohn, qui ne vise pas la ressemblance et l'imitation de la nature, confie les difficultés qu'il rencontre. Après une première ébauche facilement exécutée, les défauts lui apparaissent et il doit alors s'attacher à reprendre patiemment les détails sans en maîtriser totalement le résultat et la temporalité.
Sans titre Untitled 1979
Plâtre, Plaster
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
À l'aube des années 1980, Josephsohn trouve un vocabulaire plastique singulier. Il poursuit la voie d'une abstraction conservant quelques éléments figuratifs. Seuls le nez, la bouche et le menton structurent le visage. Il commence par réaliser des figures de petites dimensions comme celle-ci avant d'agrandir le format. Cette demi-figure ovoïdale, bâtie par l'adjonction d'amas de plâtre non modelé, dégage une forte matérialité. La virtuosité du geste tend vers une vibration de la matière, crée des volumes, favorise des pleins et des vides sans clairement distinguer la tête et le torse. Ce renouveau stylistique coïncide, en 1978, avec l'arrivée dans la vie de Josephsohn de sa dernière compagne, épouse et modèle Verena Wunderlin. La disparition de la figure libère un champ formel dont historiens et artistes pointent la proximité avec des éléments ou des objets marqueurs des origines: blocs géologiques et Vénus préhistoriques. Le jaunissement de la surface est dû à l'application d'une gomme laque qui permet de durcir le plâtre et de poser sans danger le moule en silicone.
Sans titre Untitled 1998
Laiton, Brass
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
Dans les dernières années, les reliefs comme les figures, sont soumis à un processus de transformation qui oriente leur aspect vers une forte materialité. Si le changement est visible dans la forme, la composition des hauts reliefs de la dernière période reste proche de celle des reliefs géométriques des années 1950 et des suivantes. Dans cette œuvre, on retrouve le linteau, une pièce architecturale de soutien qui délimite la scène, et trois éléments au rendu sommaire et indistinct: à gauche, le modèle occupe toute la hauteur et fait face à la sculpture posée sur son socle. A droite, la figure réduite du sculpteur semble tapie derrière l'oeuvre. Comme dans les bas-reliefs égyptiens la taille des éléments répond à des codes. Faut-il percevoir ici une réflexion de Josephsohn sur la place du sculpteur, entre présence et effacement, devant l'oeuvre qui le dépasse ? Régulièrement, et de façon presque obsessionnelle, l'artiste modelait en argile de multiples reliefs de petites dimensions n'excédant pas la taille de la main.
Sans titre
2005
Plâtre, Plaster
Kesselhaus Josephsohn, Saint-Gall
Sans titre Untitled 1995
Plâtre, Plaster
Kesselhaus Josephsohn,
Saint-Gall
REBECCA WARREN
Clouseau
2014
Bronze peint à la main sur socle en MDF, Hand-painted bronze on MDF plinth
Collection. Esther et Albert Oehlen
Située à la fin du parcours, cette sculpture << totémique >> de l'artiste anglaise Rebecca Warren (née en 1965) est issue de la collection d'Esther et Albert Oehlen. Elle présente dans le traitement du corps féminin des affinités formelles avec l'oeuvre de Hans Josephsohn. Stylisant la figure humaine en une forme verticale, entaillée, piquetée et fondue, l'oeuvre de Rebecca Warren a assimilé les enseignements des maîtres de la modernité. La représentation d'un corps en bronze peint avec son entrelacement complexe de couleurs et de motifs et son agglomérat d'attributs féminins est associée au titre Clouseau en référence au sympathique et maladroit, inspecteur du film La Panthère rose. Elle joue sur l'humour et la transformation, et évoque des itinéraires parfois imprévisibles qui mènent au succès.
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