mardi 23 juillet 2024

Whistler, l'effet papillon au musée des Beaux-Arts de Rouen en juillet 2024


La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent,la moitié de l'art,
dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable.
Charles Baudelaire, 1821-1867 poète et critique d'art

Personnalité charismatique, James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) est un artiste d'origine américaine formé en France, dont la carrière s'est développée principalement entre la capitale britannique et Paris. Il est aujourd'hui considéré comme l'une des figures majeures de l'art de la seconde moitié du 19e siècle.
Évoluant au sein d'une société dans laquelle se côtoient de multiples nationalités et personnalités, Whistler en devient rapidement une figure centrale. L'art singulier de l'artiste marque durablement les peintres, écrivains et esthètes, à Paris comme à l'étranger. Privilégiant les harmonies colorées au sujet représenté, il devient l'incarnation du peintre moderne. L'exposition Whistler, l'effet papillon met en lumière la proposition esthétique radicalement nouvelle de l'artiste qui se distingue des autres mouvements artistiques de l'époque (naturalisme, symbolisme et impressionnisme) et révèle son rayonnement international. Il s'agit de donner à voir et à comprendre les résonances whistlériennes, non seulement au cœur de la peinture, mais aussi en photographie, littérature et musique, et de dévoiler l'impact de l'art de Whistler.
Whistler signe parfois ses oeuvres d'un papillon aux ailes déployées, héritage des cachets figurant sur les estampes japonaises qu'il collec- tionne avec passion. Métaphore de la délicatesse d'un souffle d'air, le papillon a pour équivalent poétique l'éventail. Figurant sur nombre des grands portraits féminins de Whistler, ce dernier est aussi un motif de prédilection pour Stéphane Mallarmé (1842-1898). Grand ami du peintre, le poète trace à la plume ses portraits sur cet accessoire incontour- nable de l'élégance féminine. Proposés tout au long de notre parcours, des éventails nous rappellent les affinités entre deux artistes engagés à dépeindre non tant la chose, mais l'effet qu'elle produit.

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Red and Black: The Fan Rouge et noir: l'éventail, 1891-1896
Huile sur toile
Glasgow, The Hunterian, University of Glasgow, GLAHA: 46386
Cette œuvre inachevée présente les caractéristiques majeures de la maturité artistique de Whistler: élégance du modèle, pose hiératique et solennelle, délicate luminosité de la carnation, rendu sensible des étoffes. Autant de particularités qui seront reprises par les disciples du peintre. La réduction de la palette est soulignée par le titre de l'oeuvre: à l'identité du modèle se substituent une harmonie colorée et la présence de l'éventail.

Stéphane Mallarmé (1842-1898)
Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898)
James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Éventail d'Anna Rodenbach, fin du 19° siècle
Papier à motifs japonais
Bruxelles, fonds Georges Rodenbach, dépôt KBR - Bibliothèque royale aux Archives et musée de la Littérature

Détails de l'éventail 

Paul-César Helleu (1859-1927)
Alice Helleu en robe blanche, vers 1902
Huile sur toile
Beyone musée Bonnat-Helleu, 2010

Jacques-Emile Blanche (1861-1942)
Portrait présumé d'Henriette Chabot, 1886
Huile sur toile
Paris, musée de la Vie Romantique,

Sir John Lavery (1856-1941)
Miss Eileen Lavery, 1906
Huile sur toile
Musee Rodin Meudon

Sidney Starr (1857-1925)
Study in Blue and Grey
Étude en bleu et gris, 1891
Huile sur toile
London, Tate

Sir William Rothenstein (1872-1945)
Charles Conder, 1915
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, don de M. Edmund Davis, 1915,

Olga Boznańska (1865-1940)
Petite Fille au mouchoir blanc,
Pastel
Vers 1890
Collection particulière

Andrée Karpelès (1885-1956)
Symphonie en blanc, 1908
Huile sur toile
Don de l'artiste en 1931
Nantes, musée des Beaux-Arts, 2071
Cette Symphonie en blanc constitue l'un des rares témoignages de l'appropriation par une femme du modèle whistlérien de la Symphonie en blanc, qui connaît une postérité toujours importante plus de quarante ans après sa première présentation au public en 1863 à Paris. Le titre de l'oeuvre, le choix d'une palette monochrome, la position du modèle résonnent comme un hommage appuyé à l'œuvre de Whistler. La dimension érotique de l'œuvre, implicite chez Whistler, est ici rendue manifeste par l'expression du modèle et par le mouvement du châle qui, en glissant, la dénude.

Olga Boznańska (1865-1940)
Jeune Femme en blanc, 1912
Huile sur carton
Paris, musée d'Orsay, RF 1980 71

John White Alexander (1856-1915)
Portrait gris, 1893
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 1151

Sir John Lavery (1856-1941)
Her First Communion
Sa Première communion, 1902
Huile sur toile
Dublin, National Gallery of Ireland, NGI.2018.35
Le peintre irlandais John Lavery présente cette œuvre au Salon parisien de 1902, puis à Londres au sein de l'International Society of Sculptors, Painters and Gravers fondée par Whistler. Ce portrait en pied met en scène sa fille, Eileen (1890-1935), dont les vêtements immaculés de première communion contrastent avec le fond sombre. La composition, directement inspirée par Harmonie en gris et vert: Miss Cicely Alexander peinte en 1872 par Whistler, est certainement la plus whistlérienne de sa carrière.

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Harmony in White and Blue Harmonie en blanc et bleu, 1872-1874
Huile sur toile
Leeds Museums and Galleries (Leeds Art Gallery).

Paul-César Helleu (1859-1927)
Portrait de Marie Jeanne Gouzien,
Pastel sur papier
Rennes, musée des Beaux-Arts, 1981.2.1


Odilon Redon (1840-1916)
Le Corbeau ou Eleonora, 1882
Fusain, craie noire et craie blanche sur papier chamois Paris, musée d'Orsay, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Walter Richard Sickert (1860-1942)
Minnie Cunningham at the Old Bedford Minnie Cunningham à l'Old Bedford, 1892
Huile sur toile
London, Tate: Purchased 1976, T02039
Sickert se fait remarquer à la fin des années 1880 avec ses tableaux de scènes de music-halls. La palette chromatique du portrait est dominée par la tonalité rouge: la robe vermillon du modèle - la chanteuse de cabaret Minnie Cunningham (1870-1954)- est éclairée par la lumière artificielle provenant de la scène, son profil se détachant sur un fond sombre. La composition sophistiquée qui tend à affirmer la planéité du support pictural instaure un dialogue fécond avec le tableau de Whistler Harmonie en rouge: éclairage de lampe.

Romaine Brooks (1874-1970)
Le Chapeau à fleurs,
Huile sur toile
Collection Lucile Audouy

Baron Adolf de Meyer (1868-1946)
Portrait of Olga Caracciolo Portrait d'Olga Caracciolo, vers 1900
Tirage platine-palladium
London, V&A South Kensington, RPS.2983-2017
Ce portrait d'Olga Caracciolo (1871-1931) est réalisé par le photographe Adolf de Meyer à l'époque de leur union. Ce tirage original témoigne de l'influence de Whistler dans le champ de la photographie pictorialiste, courant qui cherche à rivaliser avec la peinture. Pose et élégance évanescente du modèle, cadrage, arrière-plan en subtils camaïeux et contours estompés expriment cette filiation esthétique.

Henri Evenepoel (1872-1899)
Louise en deuil, 1894
Huile sur toile
Anvers, musée royal des Beaux-Arts
- Communauté flamande, 2813

Edmond Aman-Jean (1858-1936)
Thadée-Caroline Jacquet, 1892
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay

Nous reconnaissions en lui le plus grand artiste de notre temps.
John Lavery, 1856-1941


Cette déclaration de l'artiste irlandais John Lavery illustre la fascination exercée par Whistler dans la seconde moitié du 19e siècle.
Propulsé au rang de modèle à suivre, Whistler devient le symbole de l'opposition à l'académisme. À la fois peintre, dessinateur, graveur, décorateur et scénographe, il remet en question la hiérarchisation des pratiques. Artiste moderne par excellence, il questionne la finalité mimétique de l'art, allant jusqu'à revendiquer son autonomie. Avec une palette restreinte de couleurs et une matière picturale faite de glacis superposés, il élabore une esthétique de référence diffusée par ses nocturnes et ses portraits monochromatiques. Les subtiles harmonies colorées de son œuvre, sa grâce et son mystère, la gamme des sensations qu'elle fait naître suscitent la fascination de ses contemporains. Whistler devient alors une source d'inspiration privilégiée pour les artistes qui reconnaissent en lui une figure émancipatrice.
Grâce au relais des revues et des expositions à la renommée internatio- nale (Munich, Bruxelles, Vienne, Paris et Londres), son œuvre rayonne dans toute l'Europe et aux États-Unis, touchant des artistes aussi divers que l'Américain John White Alexander (1856-1915), la Polonaise Olga Boznańska (1865-1940), le Français Jacques-Émile Blanche (1861-1942) et l'Anglais Walter Sickert (1860-1942).
Le whistlérisme, terme invente par la critique d'art dans les années 1880, est dès lors un courant artistique à part entière. Il regroupe des artistes qui privilégient une palette sombre et atonale, une matière picturale fine et lisse, les genres du portrait et du paysage, adoptant les concep- tions artistiques défendues par Whistler.
La fascination pour cette peinture ouvre une voie distincte de l'impres- sionnisme et du naturalisme, qui se développent à la même période.



William Turner Dannat (1853-1929)
La Dame en rouge, 1889
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 867

Le dandysme est un soleil couchant; comme l'astre qui décline,
il est superbe,
sans chaleur et plein de mélancolie.
Charles Baudelaire, 1821-1867 poète et critique d'art
Le puissant magnétisme exercé par l'oeuvre de James Whistler entre les années 1870 et la veille de la Première Guerre mondiale tient aussi à la personnalité hors du commun du peintre dandy, suscitant fracas et scandales. S'inspirant des Scènes de la vie de bohème (1851) de l'écri- vain Henry Murger (1822-1861), Whistler éprouve la nécessité absolue de se distinguer, tant par son art que par sa personnalité.
En 1863 déjà, dans l'Hommage à Delacroix peint par Henri Fantin- Latour (1836-1904), l'artiste americain apparaît comme un personnage singulier. C'est en effet un Whistler échevelé qui figure au premier plan au milieu d'artistes, poètes et critiques, dont Édouard Manet (1832- 1883) et Charles Baudelaire. Le jeune peintre apparaît comme un médiateur entre Eugène Delacroix (1798-1863), le grand aîné de la modernité artistique, et le spectateur pris à témoin.
La canne de l'artiste présentée au centre de la salle devient l'incarnation du dandysme, tel que Barbey d'Aurevilly (1808-1889) l'a théorisé en 1844. Bien plus que simple élégance vestimentaire, le dandysme est en effet une manière d'être, où fusionnent les mouvements de l'esprit et du corps. Attribut masculin ainsi que bâton de défense, la canne révèle aussi le caractère volontiers belliqueux de Whistler, notamment face aux critiques. S'il a de brillants soutiens tels Baudelaire, Mallarmé (1842-1898) ou Mirbeau (1848-1917), il essuie les critiques féroces de l'illustre théoricien de l'art britannique John Ruskin (1819-1900). En 1877, à l'occasion de l'exposition à Londres de l'audacieux Nocturne en noir et or: la fusée qui retombe, Ruskin qualifie l'œuvre de Whistler de «pot de peinture jeté à la face du public». Un procès en diffamation oppose le critique et l'artiste. Si Whistler l'emporte, il en ressort ruiné et plus célèbre encore.

Henri Fantin-Latour
Hommage à Delacroix
1864
Huile sur toile
H. 160,0 ; L. 250,0 cm.
Donation Etienne Moreau-Nélaton, 1906
© Musée d’Orsay
Edouard Manet, Auguste Renoir, Claude Monet, Henri Fantin-Latour et  autres peintres impre666ssionnistes 

Bernard Partridge (1861-1945)
James Abbott McNeill Whistler
fin des années 1880
Aquarelle
London, National Portrait Gallery, NPG 3541

Giovanni Boldini (1842-1931)
Portrait of James McNeill Whistler
Portrait de James McNeill Whistler,
1897
Huile sur toile
New York, Brooklyn Museum. Gift of A. Augustus Healy, 09.894
Le portraitiste italien Giovanni Boldini livre une image informelle de son ami. Vêtu d'un costume de soirée, Whistler pose dans une attitude désinvolte qui contraste avec son statut de maître officiel de la peinture, mis en lumière par la touche rouge de la rosette de la Légion d'honneur. Boldini réalise plusieurs portraits du maître, notamment des gravures, qui témoignent de son affection pour lui. 

Utagawa Hiroshige (1797-1858)
Feu d'artifice au pont Ryogoku, 1858
Gravure sur bois polychrome
Paris, Bibliothèque nationale de France

John Duncan Fergusson (1874-1961)
Dieppe, 14 July 1905: Night
Dieppe, 14 juillet 1905: nocturne, 1905
Huile sur toile
Edinburgh, National Galleries of Scotland.
Purchased 1978, GMA 1713

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
La Salute: Dawn, 1886
Eau-forte
Paris, Bibliothèque nationale de France inv. RESERVE FOL-EC-123 (3)
C'est à la suite d'une commande de douze gravures par la Fine Art Society de Londres que Whistler part pour Venise en septembre 1879. Ce dernier y séjourne pendant quatorze mois, période durant laquelle il produit plus de cinquante eaux-fortes. De manière singulière, il incise les plaques de cuivre directement sur le motif. À la recherche des arrière-cours, des canaux reculés, des palais délabrés, tentant de saisir le charme particulier de la cité, l'artiste déclare: «J'ai appris à connaître une Venise dans Venise que les autres semblent n'avoir jamais perçue.» Ce séjour vénitien marque un tournant: la technique de Whistler devient plus allusive, utilisant majoritairement la réserve, procédant ainsi à une véritable économie de moyens qui tranche avec les productions contemporaines.

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
San Biagio, 1886
Eau-forte
Paris, Bibliothèque nationale de France
inv. RESERVE FOL-EC-123 (2)

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Ponte del Piovan, 1886
Eau-forte
Paris, Bibliothèque nationale de France

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Upright Venice, 1886
Eau-forte
Paris, Bibliothèque nationale de France

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
The Piazzetta, 1880
Eau-forte
Paris, Bibliothèque nationale de France

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Fishing Boat, 1886
Eau-forte
Paris, Bibliothèque nationale de France

Éventail de Madeleine Roujon
non daté
Éventail
Paris, chancellerie des universités de Paris - bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, collection Henri Mondor, MO 105

Antonio de La Gandara (1861-1917)
Jean Lorrain, 1898
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, don de M. Yvon Lambert, 1990, RF 1990 3
Antonio de La Gandara réalise, au tournant des 19 et 20° siècles, de nombreux portraits de personnalités du monde artistique, dont celui de Robert de Montesquiou dans un style inspiré notamment de Whistler. On reconnaît ici Jean Lorrain (1855-1906) élégamment fardé et corseté. Dandy sulfureux né à Fécamp, poète et écrivain ouvertement scandaleux, il reste célèbre pour avoir affronté Marcel Proust (1871-1922) en duel en 1897.

Jacques-Émile Blanche (1861-1942)
Louis Metman, 1888
Huile sur toile
Dieppe, Musée Château, Inv. 960.5.1

Romaine Brooks (1874-1970)
Autoportrait,
vers 1912
Huile sur toile
Collection Lucile Audouy
Née aux États-Unis, Romaine Brooks passe la plupart de son existence à Paris où elle adopte une apparence androgyne venant défier les conventions sociales. Jacques-Émile Blanche (1861-1942) est d'ailleurs frappé par cette artiste post-whistlérienne: «Je fus tout de suite fixé en voyant ses cheveux coupés courts, sa robe de chambre d'homme.» Empruntant les attributs du dandy, le style de Brooks évoque à la fois une culture élitiste et une identité homosexuelle dont Montesquiou (1855-1921) en France et Wilde (1854-1900) en Angleterre sont les figures de proue.

London Stereoscopic
& Photographic Company
Portrait de Whistler,
Photographie
non daté
Paris, galerie Talabardon et Gautier, collection Patrick Maisonneuve

<< Le dandy doit aspirer à être sublime,
sans interruption. Il doit vivre et dormir devant un miroir. »>
Charles Baudelaire, poète, Mon Coeur mis à nu, 1864
Enfilez votre tenue de dandy pour une visite chic et choc! Utilisez les vêtements et accessoires qui vous plaisent le plus et observez le résultat dans le miroir

J'ai gardé ses jolis gants gris,
que j'ai perdus depuis.
Marcel Proust, 1871-1922 écrivain
Marcel Proust aurait formulé ces mots à propos de James Whistler. S'ils ne se sont rencontrés qu'une seule fois, on sait l'ascendance du peintre dans l'élaboration du texte de À la recherche du temps perdu (1906-1922).
À l'instar des personnages de Swann et du peintre Elstir, du narra- teur, et de Marcel Proust durant sa jeunesse, Whistler fréquente les salons mondains et littéraires parisiens de la Belle Époque (1871-1914). Il y côtoie une société cosmopolite et internatio- nale où peintres, poètes et critiques, musiciens et intellectuels élaborent les contours esthétiques d'un monde en perpétuelle métamorphose.
Dès 1883, le poète Stéphane Mallarmé (1842-1898) reçoit au 89 rue de Rome à Paris. S'y tiennent ce que l'histoire retiendra comme «>. Cette sociabilité particulière a ses succursales. À Bruxelles, le Groupe avant-gardiste des XX, réuni autour du critique Octave Maus (1856- 1919), diffuse la peinture de Whistler. À Londres, où le peintre expose régulièrement, commanditaires et mécènes font appel aux talents du portraitiste américain. C'est là encore que, grâce à l'écrivain Henry James (1843-1916), le peintre fait connaissance avec la collectionneuse Isabella Stewart Gardner (1840-1924). Il y rencontre aussi Jacques- Émile Blanche (1861-1942). De l'autre côté de la Manche, Dieppe et ses alentours resteront le terrain fertile de l'esprit de la Belle Époque. Jusqu'à la fin des années 1930, Jacques-Émile Blanche y recevra l'avant- garde artistique et mondaine, en fera le savoureux récit, et exécutera les portraits de célébrités d'alors, dont le musée des Beaux-Arts de Rouen conserve une importante collection.


James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Éventail de Madame Mallarmé, 
non daté
Paris, chancellerie des universités de Paris - bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, collection Henri Mondor

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Gants de Suède, 1890
Lithographie
Paris, Bibliothèque nationale de France

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
The Toilet, 1878
Lithographie
Paris, Bibliothèque nationale de France

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Reading,
vers 1879-87
Lithographie sur Chine appliqué
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, PPG888
Le critique Théodore Duret (1838-1927), défenseur des impressionnistes, joue un rôle-clé dans la reconnaissance de Whistler en France. Présentées par Manet (1832-1883), les deux personnalités entretiennent une amitié féconde. Si Whistler réalise le portrait du critique en 1883, Duret lui consacre de nombreux articles qui vantent sa singularité. En plus de soutenir publiquement l'artiste, Duret acquiert des gravures aujourd'hui conservées au musée du Petit Palais ainsi que quatre peintures dont un Nocturne.

Théo Van Rysselberghe (1862-1926)
Portrait d'Octave Maus, 1885
Huile sur toile
Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, 6383
Cette œuvre porte des caractéristiques whistlériennes: portrait en pied, élégance du modèle, inspiration japonisante du décor, harmonieuse et délicate réduction de la palette, effacement des contours dans les reflets du miroir. Son modèle est l'infatigable animateur du Groupe des XX, cercle bruxellois auquel est associé Rysselberghe dès sa fondation en 1883. Agitateurs opposés à tout académisme, les vingtistes participent à la diffusion des idées avant-gardistes en Europe, dont celles de Whistler.

Edmond Aman-Jean (1858-1936)
Portrait de Madame Aman-Jean,
Huile sur toile
Collection Lucile Audouy

Jacques-Émile Blanche (1861-1942)
Étude pour un portrait de Stéphane Mallarmé et ses amis de La Revue Indépendante, 1889
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts, 1923.1.16
Grâce à cette étude, nous pénétrons au 89 rue de Rome à Paris, nous prenons place à la table des «mardis» et sommes intégrés au cercle. Une génération sépare Whistler et Blanche, qui font connaissance en 1884. À travers ses portraits d'une société artiste et mondaine réalisés dès les années 1880, Blanche sera l'un des plus importants ambassadeurs de Whistler en France. Il fait résonner non seulement son style, mais aussi un art de vivre hérité de la Belle Époque qui survivra jusqu'à la fin des années 1930.

Jacques-Émile Blanche (1861-1942)
Rose Blanche allongée,
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts, 2005.4.1

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Rose et gris. Portrait de Geneviève Mallarmé, 1897
Huile sur bois
Vulaines-sur-Seine, musée départemental Stéphane-Mallarmé, 2019.1.1

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
The Dancing Girl, 1890
Lithographie
Paris, Bibliothèque nationale de France

Billet à Whistler
De Stéphane Mallarmé

Pas les rafales à propos
De rien comme occuper la rue
Sujette au noir vol de chapeaux;
Mais une danseuse apparue

Tourbillon de mousseline ou 
Fureur éparses en écumes 
Que soulève par son genou 
Celle même dont nous vécûmes

Pour tout, hormis lui, rebattu Spirituelle, ivre, immobile 
Foudroyer avec le tutu,
Sans se faire autrement de bile

Sinon rieur que puisse l'air
De sa jupe éventer Whistler


Jacques-Émile Blanche (1861-1942)
Georges Moore, 1889-1890
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts, 1932.1.1

John Singer Sargent (1856-1925)
Portrait de Jacques-Émile Blanche, 1886
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts, 1922.1.27

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Portrait Sketch of Walter Sickert Portrait esquissé de Walter Sickert
1894-1895
Huile sur toile
Dublin, Hugh Lane Gallery, Reg. 281

Walter Richard Sickert (1860-1942)
Philip Wilson Steer,
Huile sur toile
London, National Portrait Gallery, NPG 3116

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
The Winged Hat, 1890
Lithographie
Bruxelles, fonds Georges Rodenbach, dépôt
KBR - Bibliothèque royale aux Archives
et musée de la Littérature

Japonaiserie for ever.
Jules de Goncourt, 1830-1870 écrivain et critique d'art
Après la réouverture du Japon au commerce occidental en 1854, les marchands de curiosités français et anglais proposent des «japonaiseries», à l'instar de la boutique Desoye (Paris) que Whistler fréquente. Le critique Ernest Chesneau (1833-1890) cite le peintre parmi les amateurs et les collectionneurs de la première heure. Cependant Whistler n'a jamais entrepris de voyage au Japon; il retranscrit une vision fantasmée d'un exotisme vu depuis l'Occident très caractéristique de son temps.
Les produits du Levant affluent à l'Exposition universelle de 1862 à Londres puis à celle de Paris en 1867 qui présente céramiques, textiles et estampes. La vogue du japonisme, terme inventé par le critique d'art Philippe Burty (1830-1890), se répand rapidement dans les milieux artistiques. Dans le Paris du milieu des années 1860, cette mode est omniprésente et suscite l'intérêt des artistes et des lettrés tels que Baudelaire (1821-1867), Bracquemond (1833-1914) ou encore les frères Goncourt. Porcelaines, paravents, estampes, éventails et kimonos apparaissent dans les œuvres de Whistler comme éléments de décor, mêlant inspirations orientales et occidentales. Les estampes japonaises lui servent de ressources pour ses paysages des bords de la Tamise: le japonisme conduit Whistler vers une recherche de la simplification de ses compositions.
Certaines estampes d'Hokusai (1760-1849) mettent en scène divers animaux dont les paons, que Whistler reprend comme motif central pour La Salle des paons (Peacock room) réalisée en 1878 pour le mécène anglais Frederick Richards Leyland (1831-1892). Ce décor se caractérise par un arrangement or et bleu, dans lequel la collection de porcelaine de l'amateur est présentée. À travers la Peacock room, Whistler réalise une synthèse inédite de ses inspirations qui annonce les premiers jalons de sa quête d'un art total.


Giuseppe De Nittis (1846-1884)
Les Chauves Souris, vers 1896
Gouache rehaussée d'or sur soie Collection Lucile Audouy

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Variations en violet et vert, 1871
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 1995 5
Ce paysage au format vertical représente un thème de prédilection de l'artiste, les bords de la Tamise. Whistler transpose dans ses peintures les principes de simplification des estampes japonaises qu'il collectionne: positionnement de la ligne d'horizon placée très haut et étagement des plans. Le cadre doré, conçu spécialement par l'artiste, est recouvert de motifs japonisants et orné de sa signature papillon. L'œuvre dialogue avec celle de Walter Greaves (1846-1930), Japanese Figures on Chelsea Embankment, qu'elle a pu inspirer.

Katsushika Hokusai (1760-1849)
Sous le pont Mannen à Fukagawa
vers 1831-1834
Gravure sur bois polychrome
Paris, Bibliothèque nationale de France inv. BOITE FOL-DE-10 (1)
Whistler a compté parmi les premiers collectionneurs d'art japonais et d'estampes en Europe. Ces dernières constituent, avec ses porcelaines chinoises, les éléments importants de la décoration de son intérieur qui impressionnent ses visiteurs. Hokusai compte, avec Hiroshige (1797-1858) et Utamaro (1753- 1806), parmi les peintres les plus admirés de ce «monde flottant» (ukiyo-e). Whistler en premier lieu, mais aussi Degas (1834-1917) et Monet (1840-1926), seront particulièrement marqués par cette nouvelle approche de la composition.

Paul Burty-Haviland (1880-1950) Florence Peterson allongée, en kimono à fleurs, 1910 Florence Peterson, 1910 Florence Peterson de profil, tenant un miroir, 1910
Cyanotypes
Paris, musée d'Orsay,
PHO 1993180
PHO 1993181
PHO 1993 144
Paul Burty-Haviland contribue, aux côtés d'Alfred Stieglitz (1864-1946), à la reconnaissance de la photographie comme un art à part entière et non comme un simple moyen de reproduire le réel. Séduit par la poésie des images bleues des cyanotypes - procédés photographiques monochromes il crée un ensemble d'oeuvres dans lesquelles il met en scène son modèle de prédilection, Florence Peterson (dates inconnues). Dans cette photographie, la pose et l'ambiance japonisante font écho à l'esthétique de Whistler et
notamment à Symphonie en blanc n°2: la petite fille blanche.

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Harmony in Flesh Colour and Red Harmonie en couleur chair et rouge
vers 1869
Huile et pastel sur toile
Boston, Museum of Fine Arts. Emily L. Ainsley Fund
Cinq éventails, dessinés au crayon, figurent sur le mur à l'arrière-plan. Dès 1864, Whistler introduit des compositions décoratives dans ses scènes d'intérieur, leur conférant ainsi un certain exotisme. Trois femmes européennes dont les attitudes évoquent les tanagras, des statuettes antiques grecques drapées, sont disposées dans un intérieur indéterminé, vigoureusement peint, donnant à l'ensemble un caractère inachevé.

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Note in Red: The Siesta La Note rouge: la sieste, 1884
Huile sur panneau
Chicago, Terra Foundation for American Art, Daniel J. Terra Collection, 1999.149
Le terme note fait référence aux panneaux de petit format utilisés par l'artiste travaillant sur le motif. Le tableau, à la composition ondulante, donne à voir une femme vêtue d'une robe blanche étendue sur une chaise longue tapissée d'un tissu rouge, tonalité dominante. Son visage est négligemment tourné vers la gauche, créant une distance avec le spectateur. Le modèle, Maud Franklin (1857-1939), la compagne de Whistler, s'adonne à une rêverie solitaire. Ce sujet intime, inspiré de la vie quotidienne, devient le prétexte à une recherche esthétique.

Henri Evenepoel (1872-1899)
Intérieur d'atelier
ou La Robe blanche, 1897
Huile sur toile
Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Projet pour une mosaïque
vers 1888-1891
Graphite, crayon noir et pastel sur papier vélin
Le Havre, musée d'Art moderne André-Malraux. Collection Olivier Senn. Donation Hélène Senn-Foulds,

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Symphony in White No. 2: The Little White Girl Symphonie en blanc n°2: la petite fille blanche, 1864
Huile sur toile
London, Tate: Bequeathed by Arthur Studd 1919, N03418
Si Whistler expose ce tableau sous le titre La Petite Fille blanche à la Royal Academy en 1864, il choisit de le désigner comme Symphonie en blanc nº2 à partir de 1867. Ce changement de dénomination révèle la rupture du peintre avec le réalisme. Joanna Hiffernan (1843-après 1903), modèle, muse et une des compagnes de l'artiste, arbore un éventail japonais, typique des objets fabriqués spécialement pour l'exportation. L'oeuvre inspire à Algernon Swinburne (1837- 1909) son poème Devant la glace, que Whistler fait figurer directement sur le cadre doré, mêlant ainsi peinture et poésie.

Félix Bracquemond (1833-1914)
Assiettes creuses,
 entre 1866 et 1875

Camille Moreau-Nélaton (1840-1897)
Plat «Paris: chouette observant la ville», 1886
Faïence, or, platine, argent
Rouen, musée de la Céramique, C.2021.2.1

Harry Bedford Lemere (1865-1944)
The Peacock room, 49 Princes Gate, London, 1892
Photographie
London, V&A South Kensington, 240-1926
Ce cliché témoigne de la magnificence de La Salle des paons, décor réalisé par Whistler achevé en 1878 pour la demeure londonienne de son mécène l'armateur et collectionneur anglais Frederick Richards Leyland (1831- 1892). Initialement conçue pour servir d'écrin à la collection de porcelaine bleue et blanche de son commanditaire, elle est aujourd'hui conservée à la Freer Gallery à Washington où elle a été reconstituée en 1923. Ce manifeste esthétique reflète l'idéal de l'œuvre d'art totale prôné par Wagner (1813-1883).

John Singer Sargent (1856-1925)
Madame Katharine Moore, née Robinson, 1884
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts, D.2000.1.4

Joaquín Sorolla y Bastida (1863-1923)
Portrait de Madame Dequis, 1913
Huile sur toile
Bordeaux, musée des Beaux-Arts, Bx E 1487

William Merritt Chase (1849-1916)
L'Éventail de plumes, 1916
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, don de M. Roland Knoedler, 1921, RF 1980 81
Artiste cosmopolite, formé à Munich avant de devenir professeur à New York, Chase, à l'instar de Whistler, est également fasciné par l'art de Velázquez (1599-1660) et notamment par ses portraits d'enfants. Admirateur de longue date de Whistler, qu'il découvre grâce à l'exposition du portrait Harmonie en gris et vert: Miss Cicely Alexander à Londres, Chase se souvient de ce double modèle pour élaborer L'Éventail de plumes. Il représente une jeune fille vêtue d'une robe blanche, assise sur un coussin en soie aux motifs japonisants, tenant dans ses mains un éventail.

Jean-Jacques Henner (1829-1905)
Nicolas Leroux, 1884
Huile sur toile
Paris, musée national Jean-Jacques-Henner, JJHP 1935-1

William Merritt Chase (1849-1916)
Lydia Field Emmet, 1892
Huile sur toile
New York, Brooklyn Museum. Gift of the artist, 15.316

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Arrangement in Black No. 3: Sir Henry Irving as Philip II of Spain Arrangement en noir n°3: Sir Henry Irving en Philippe II d'Espagne
1876 (repris en 1885)
Huile sur toile
New York, Lent by The Metropolitan Museum of Art, Rogers Fund, 1910, 10.86
En réalisant le portrait d'un des acteurs les plus célèbres de son temps, Whistler apporte une contribution majeure au genre du «portrait de théâtre», en vogue en Angleterre depuis le milieu du 18° siècle. Sir Henry Irving (1838-1905) est ici représenté en Philippe II (1527-1598), personnage de la pièce de Tennyson (1809-1892) La Reine Marie, créée en 1875. 

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
The Artist in His Studio L'artiste dans son atelier, 1865
Huile sur toile
Dublin, Hugh Lane Gallery. Lane Gift, 1912. Reg.6
La scène se situe au coeur de l'atelier de Whistler à Londres, point de ralliement de ses admirateurs et lieu d'exposition de sa collection de japonaiseries. La composition de l'œuvre se réfère aux Ménines (1656) de Diego Velázquez (1599-1660): l'artiste se tient debout accompagné de ses attributs, une palette à la main, un pinceau dans l'autre, le chevalet hors-champ. Il est entouré de deux modèles, sa compagne Joanna Hiffernan (1843- après 1903), assise sur le canapé, et Emelie Eyre Jones (1850-1920), transposant ainsi les Ménines au sein d'un décor japonisant.

Nous n'avions pas appris à distinguer l'impressionnisme de Whistler
de celui de Vélasquez [...].
Frank Rutter, 1876-1937 critique d'art
Dans cette seconde moitié du 19e siècle, Whistler comme Manet (1832- 1883) participent à la redécouverte de la peinture espagnole du Siècle d'or (16 et 17e siècles) qui est dès lors comprise comme un jalon essen- tiel de l'art moderne. Si Vélasquez (1599-1660) a connu un grand succès de son vivant, ce n'est qu'au 19e siècle qu'il accède au statut de maître incontesté de la peinture. Dans un ouvrage monographique consacré à l'artiste espagnol en 1895, le critique d'art britannique Robert Alan Mowbray Stevenson (1847-1900) le considère comme le premier impressionniste et le compare aux figures de la peinture contempo- raine, dont Whistler, qu'il cite à maintes reprises.
Dix années auparavant, Théodore Duret (1838-1927), avec sa Critique d'avant-garde (1885), n'hésitait pas non plus à rapprocher Whistler et Monet (1840-1926) de Vélasquez. Bien que le peintre américain n'ait jamais entrepris le voyage jusqu'à Madrid pour découvrir les chefs- d'œuvre de la peinture espagnole, il découvre les toiles du maître en Angleterre et conserve dans son atelier plusieurs reproductions de ses œuvres, dont une photographie du Pablo de Valladolid.
Les critiques et les biographes de l'artiste ont perpétué cette filiation: Carl Sadakichi Hartmann (1867-1944) analyse dans son ouvrage The Whistler Book (1910) les portraits de Whistler «peints sous l'influence de Vélasquez», ajoutant qu'à travers ces oeuvres, l'art du maître espagnol s'est trouvé réactualisé. Whistler retient notamment de Vélasquez les modèles immobiles et majestueux, l'intériorité silencieuse des Ménines, ainsi que les arrière-plans sombres et indéfinis sur lesquels se détachent les figures.


James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
An Arrangement in Grey and Green. Portrait of John James Cowan
Un arrangement en gris et vert. Portrait de John James Cowan
1893-1900
Huile sur toile
Edinburgh, National Galleries of Scotland. Presented by Miss Birnie Philip, associating Mr Cowan's name with the gift 1930. NG1744
Whistler reçoit la commande du portrait de Cowan (1846-1936) par l'intermédiaire du peintre whistlérien John Lavery (1856- 1941). OEuvre de maturité, ce portrait en pied représente un homme déterminé en costume gris se détachant sur un fond sombre. Il requiert plus de soixante séances de pose sur une période de dix années, comme en témoigne Cowan dans ses mémoires. L'industriel et collectionneur d'art est l'un des premiers mécènes écossais de Whistler, rendant
accessibles ses œuvres aux artistes, notamment aux «Glasgow Boys dont fait partie Lavery.

Notre bataille
commence
avec Whistler,
le délicat,
le "maître" classique.
Ezra Pound, 1885-1972
poète et critique d'art
MUS
AIR
«Qui eût prévu que Cézanne et Whistler seraient, au 20e siècle, des chefs de file?» Cette remarque de Jacques-Emile Blanche (1861-1942) témoigne du retentissement posthume de l'oeuvre de Whistler, compris tel un maître classique de la peinture dont la France, l'Angleterre et les États-Unis se revendiquent.
L'année 1905 est celle de la consécration du peintre, disparu le 17 juillet 1903. Cette même année, deux grandes expositions lui rendent hommage. La première, organisée à Londres par l'International Society of Sculptors, Painters and Gravers, présidée par Rodin (1840-1917) et fondée par Whistler en 1897, est suivie d'une autre à Paris. La relecture de son œuvre qui s'élabore à cette occasion tend à canoniser Whistler et à l'intégrer au sein de l'histoire de l'art française, comme le démontre l'ouvrage de Camille Mauclair (1872-1945), De Watteau à Whistler, publié en 1905.
Tous deux élèves de l'École spéciale de dessin et de mathématiques dite la «Petite École», à Paris, Rodin et Whistler se côtoient à partir des années 1880. Whistler contribue à faire connaître son ami sculpteur sur la scène artistique anglaise, notamment en exposant certaines de ses œuvres à l'International Society. Rodin semble ainsi être tout désigné pour lui rendre hommage. Il entreprend des séances de pose avec Gwen John (1876-1939), artiste anglaise passée par l'atelier de Whistler à l'Académie Carmen, ouverte en 1898 sous l'impulsion de la modèle Carmen Rossi.
En 1908, Rodin expose le premier état de La Muse, qui constitue l'élément principal d'un monument dédié à Whistler. Constamment retardé dans sa réalisation, ce dernier ne verra jamais le jour. Le comité de l'International, en proie à des difficultés financières, a trouvé le prétexte des parties inachevées du monument pour le refuser. Le décès de Rodin en 1917 laisse La Muse de Whistler en suspens.


Gwen John (1876-1939)
Chloë Boughton-Leigh, 1910-1914
Huile sur toile
Leeds Museums and Galleries (Leeds Art Gallery). Bought, 1955. LEEAG.1955.0002
Formée à l'Académie Carmen en 1898, Gwen John est profondément marquée par la méthode de Whistler, et particulièrement par sa façon de construire ses harmonies colorées. Cela est notamment remarquable dans la profondeur des camaïeux de gris mis en œuvre dans ce portrait. Autour des années 1910, elle se consacre à la réalisation de portraits féminins assis et traités dans une gamme colorée restreinte et sourde qui permet de révéler l'intensité psychologique de ses modèles.

Auguste Rodin (1840-1917)
Buste de Gwen John,
Tête de la Muse Whistler, 1906-1907
Marbre
Paris, musée Rodin, S.00462
Au décès de Whistler en 1903, Rodin lui succède en tant que président de l'International Society de Londres. L'institution le charge de créer un monument à la mémoire de l'artiste en 1905. Les différentes études entreprises par Rodin font état d'une figure féminine en ronde bosse gravissant la montagne de la Gloire. Un autel funéraire, moulage d'une antiquité romaine de la collection de Rodin, un linge couvert d'une couche de plâtre et une guirlande de lierre viennent achever la composition, comme le dévoilent les photographies réalisées après le décès du sculpteur.

Auguste Rodin (1840-1917)
Torse de la Muse nue, 1906-1907
Bronze, fonte au sable Meudon, musée Rodin, S.05852

Henry Lerolle (1848-1929)
Portrait de la mère de l'artiste, 1895
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 941

Edmond Aman-Jean (1858-1936)
Portrait de femme, vers 1891
Huile sur toile
The Cleveland Museum of Art,
Mr. and Mrs. William H. Marlatt Fund, 1972.120

Les gris argentés, les noirs verdâtres, les lignes simples et nobles
qui forment son rythme,
séduisirent, à leur apparition,
autant que les polyphonies
impressionnistes
et prirent dans leur réseau
arachnéen la jeunesse artiste.
Jacques-Émile Blanche, 1861-1942 peintre et écrivain
En 1891, l'État français acquiert Arrangement en gris et noir n°1: portrait de la mère de l'artiste, peint par Whistler vingt ans plus tôt. Grâce à une véritable campagne publicitaire émanant de ses fidèles soutiens - les poètes Mallarmé (1842-1898) et Montesquiou (1855-1921), les critiques d'art Roger Marx (1859-1913) et Théodore Duret (1838-1927) -, l'œuvre rejoint les collections du musée du Luxembourg à Paris. La nouvelle de l'acquisition connaît un retentissement considérable. Elle est rapidement relayée par la presse spécialisée en France, en Angleterre et aux États-Unis, qui élève le tableau au rang de chef-d'œuvre et de modèle digne d'être observé par la jeune génération d'artistes.
Arrangement en gris et noir n°1: portrait de la mère de l'artiste devient le prétexte à de nombreux hommages peints réalisés par des disciples de Whistler mais aussi par des artistes plus académiques. Pourtant, certaines œuvres contredisent la démarche artistique de Whistler, qui appréhendait ce portrait comme un manifeste de sa peinture, le réduisant à un arrangement de lignes et de couleurs et évacuant de fait tout sentimentalisme par rapport à l'identité du modèle, sa propre mère Au cours du 20e siècle, Arrangement en gris et noir n°1: portrait de la mère de l'artiste est réduit au symbole de la maternité, et par extension, de la dévotion filiale. Du timbre postal à la sculpture en passant par les longs-métrages tels que le film récent du réalisateur turc Ali Kemal Çinar (né en 1976) intitulé Before the night (2021), Arrangement en gris et noir n°1: portrait de la mère de l'artiste est aujourd'hui l'un des chefs-d'oeuvre les plus connus de l'histoire de l'art: il est sans cesse cité et réinterprété par les artistes. La raison d'une telle popularité résulte d'une diffusion à échelle mondiale de l'oeuvre, et ce, dès sa création.



Aristide Maillol (1861-1944)
Tante Lucie,
Huile sur toile, traces de crayon
Paris, galerie Dina Vierny

Jean-Pierre Laurens (1875-1932)
Portrait de ma mère [titre actuel]; femme à la chaise longue, 1902
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux-Arts, 1975.2
Le modèle figuré de profil et les harmonies colorées réduites à deux teintes majeures témoignent de l'impact du tableau de Whistler sur Laurens. Cette œuvre s'en distingue néanmoins par son traitement réaliste qui permet d'identifier, grâce son appareillage
de briques et silex, la villégiature néo-médiévale des Laurens à Yport.
Ce portrait a pour auteur le fils du célèbre peintre d'histoire, Jean-Paul Laurens (1838- 1921). Ce dernier s'installe à Yport dans les années 1870, attirant toute une communauté d'artistes, notamment Corot (1796-1875) ou encore Gide (1869-1951)

Fernand Khnopff (1858-1921)
Marie Monnom, 1887
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 1982 10

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Arrangement en gris et noir n°1: portrait de la mère de l'artiste, 1871
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 699
L'achat de cette œuvre par l'État français intervient après l'acquisition d'Arrangement en gris et noir n°2, variante masculine du portrait, par la ville de Glasgow. Le choix d'une pose de profil, d'une composition géométrique et dépouillée qui met en lumière une harmonie colorée plutôt qu'une narration développée fait office de manifeste. Au cours du 20° siècle, l'oeuvre a fait l'objet de multiples expositions à travers les États-Unis, la faisant accéder au statut d'icône de la peinture

Paul Leroy (1860-1942)
Portrait de la mère de l'artiste, 1883
Huile sur toile
Rennes, musée des Beaux-Arts, 1973.45.1

[...] aux confins de la peinture
qui semblait s'évaporer
en d'invisibles fumées de couleurs [...].
Joris-Karl Huysmans, 1848-1907 romancier, poète et critique d'art
MUS
AR
LET
Joris-Karl Huysmans s'est inspiré de Whistler pour créer le personnage de Des Esseintes, figure de l'esthète décadent du roman A rebours, paru en 1884. Il souligne combien l'artiste est transgressif pour son époque par son œuvre à la frontière du néant et du réel, imprégnée de brouillard, révélant l'invisible, jouant entre peinture et poésie.
Lors de son installation à Londres en 1859, Whistler est marqué par les fumées de charbon qui enveloppent la ville. Les bords industriels de la Tamise sont pris dans un mélange de brume et de pollution, le «smog >> (contraction de smoke, fumée, et fog, brouillard). Il intègre dans une première série de gravures le sujet de l'environnement pollué à son langage artistique.
Les paysages nocturnes, auxquels se consacre l'artiste dès le début des années 1870, radicalisent encore sa peinture: désormais établie aux limites de la figuration, elle métamorphose la perception du réel. Whistler donne la priorité à l'atmosphère au détriment d'une trop grande précision dans la représentation des lieux. Son influence sera considérable sur les artistes européens et surtout états-uniens qui feront, jusque dans les premières années du 20° siècle, de la thématique de la nuit une véritable signature.
Même si leurs échanges ont été fertiles, le peintre se distingue des impressionnistes par sa méthode de travail - puisqu'il élabore ses peintures de mémoire dans l'intimité de son atelier - et par sa technique - la fluidité de sa matière picturale révélant la texture et la planéité de la toile. Les impressionnistes expriment l'aspect changeant des effets atmosphériques grâce à la fragmentation de la touche et à la juxtaposition de couleurs pures. Whistler propose pour sa part des arrangements colorés, camaïeux, harmonies de tons dégradés et contours floutés, nous menant aux confins de l'effacement.


James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Westgate, fin du 19e siècle
Aquarelle
London, V&A South Kensington

Charles Lacoste (1870-1959)
Londres, la lumière sous la nuit, 1896
Huile sur toile sur châssis
Beauvais, MUDO - Musée de l'Oise

Walter Greaves (1846-1930)
Nocturne in Blue and Gold
Nocturne en bleu et or, 1870-1879
Huile sur toile
York, York Museums Trust (York Art Gallery). Presented by the Very Reverend Eric Milner-White, Dean of York, 1963. YORAG: 1028

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Limehouse,
Maisons au bord de la rivière
vers 1878
Jame
Lithotinte noir et blanc
Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville
de Paris, PPG893
Eau-forte Paris

Marguerite Verboeckhoven (1865-1949)
Temps clair, 1913
Huile sur toile
Saint-Josse-ten-Noode, musée Charlier, L-418-1996

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Grey and Silver: Chelsea Wharf, Gris et argent: le quai de Chelsea
vers 1864-1868
Huile sur toile
Washington, National Gallery of Art, Widener Collection, 1942.9.99
Ce paysage des bords industriels de la Tamise à Battersea Reach (Londres) est un sujet privilégié par Whistler au cours des années 1860 et 1870. La grève de Chelsea forme une large oblique sur laquelle évoluent des silhouettes fantomatiques rapidement brossées, tandis que l'arrière-plan est dominé par les cheminées d'où s'échappent des volutes de fumées évoquant l'activité industrielle. Cette œuvre presque monochromatique illustre une peinture de paysage repensée par Whistler via le prisme du Japon, se caractérisant par son économie de moyens et sa verticalité.

William Merritt Chase (1849-1916)
Untitled (Harbor Scene)
Sans titre (scène portuaire),
Huile sur toile
Chicago, Terra Foundation for American Art.

Mark Rothko (1903-1970)
Light Red Over Black, 1957
Huile sur toile
London, Tate: Purchased 1959, T00275
Finesse de la couche picturale, lumières et formes spectrales, contours évanescents sont les caractéristiques formelles communes aux oeuvres de Whistler et de Rothko.
Dès les années 1950, la critique américaine souligne la filiation entre Whistler et l'expressionnisme abstrait new-yorkais,
dans lequel les artistes s'expriment sur et la matière.

Paul-César Helleu (1859-1927)
Sur la plage, Dieppe, impression mer grise, 1885
Huile sur toile
Rouen, musée des Beaux Arts

Claude Monet (1840-1926)
Le Parlement de Londres, 1903
Huile sur toile
Le Havre, musée d'Art moderne André-Malraux, A 487
Claude Monet a séjourné à plusieurs reprises à Londres entre 1870 et 1901. Dans les années 1900, trois motifs retiennent particulièrement son attention: le pont de Charing Cross, celui de Waterloo, et enfin le Parlement.

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