Conçue dans le cadre du centenaire d'Ellsworth Kelly (1923-2015) cette exposition regroupe plus d'une centaine de peintures, sculptures, dessins, photographies et collages réalisés par l'artiste américain entre 1949 et 2015.
Près de dix ans après sa disparition, ses œuvres exercent toujours la même fascination, par leur intensité, leur sensibilité paradoxalement exprimée dans la rigueur, les espaces qu'elles créent. La Fondation Louis Vuitton a la chance d'en témoigner quotidiennement grâce à la présence dans son auditorium d'une œuvre pérenne, sa dernière commande et une des plus importantes en Europe.
À partir de l'observation de son environnement, naturel et construit, Ellsworth Kelly a redéfini l'abstraction dans la seconde moitié du XXe siècle. Tout au long d'une carrière de soixante-dix ans, il a conduit ses formes épurées, aux couleurs souvent éclatantes, au-delà des attendus de la peinture et de la sculpture.
Black over White, 1966
Huile sur toile, deux panneaux joints | Oil on canvas, two joined panels Collection particulière | Private collection
White Relief with Black III, 1993
Huile sur toile, deux panneaux joints | Oil on canvas, two joined panels Glenstone Museum, Potomac, Maryland
XXIe siècle
Pendant plus d'un demi-siècle, Kelly a développé et affiné un vocabulaire de formes et de couleurs. La voie qu'il a tracée dans l'abstraction a été influente tant par ses réalisations que par la transmission de sa liberté. « Je pense que ce que nous attendons tous de l'art, c'est un sentiment de fixité, une opposition au chaos de la vie quotidienne, disait-il. C'est une illusion, bien sûr. La toile pourrit. La peinture change de couleur. Mais vous continuez à essayer de figer le monde comme si vous pouviez faire durer éternellement. Dans un sens ce que j'ai essayé de , c'est la réalité du flux, pour que l'art reste une situation et incomplète, pour atteindre le ravissement de la vision
Untitled, 1983
Acier patiné | Weathering steel
Collection particulière | Private collection Courtesy Matthew Marks Gallery
Blue Curve, 1996
Huile sur toile | Oil on canvas Glenstone Museum, Potomac, Maryland
Pour un mur
Dès les années 1950, Ellsworth Kelly veut dépasser le format habituel du tableau. Pour lui, l'expérience de la vision se
passe dans l'espace, entre la surface de la peinture et l'œil. L'architecture donne l'échelle de son œuvre. Le mur - comme fond sur lequel il pose une forme - en est un composant. Les formats de Spectrum IX (2014) ou White Form (2012) en témoignent. Quant au polyptyque Color Panels for a Large Wall II (1978), il a été réalisé parallèlement à une commande monumentale, similaire mais trois fois plus grande, visible désormais dans le patio de la National Gallery of Art (Washington, DC). La version présentée ici a été peinte à l'échelle de son atelier afin de s'assurer d'une vue d'ensemble pendant la réalisation.
Color Panels for a Large Wall II, 1978
Huile sur toile, dix-huit panneaux | Oil on canvas, 18 panels
Collection particulière | Private collection
Courtesy Matthew Marks Gallery
White Form, 2012
Aluminium peint | Painted aluminum Collection particulière | Private collection
Spectrum IX, 2014
Acrylique sur toile, douze panneaux joints Acrylic on canvas, 12 joined panels Glenstone Museum, Potomac, Maryland
Window, Museum of Modern Art, Paris, 1949
Huile sur bois et toile, deux panneaux joints Oil on wood and canvas, two joined panels
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle. Don de l'artiste, 2015
En 1949, visitant le Musée national d'art moderne, à Paris, Kelly déplace son regard vers le bâtiment et s'arrête sur ses fenêtres. Il décide d'appliquer leur composition à l'échelle d'un tableau. << La peinture telle que je l'ai connue est finie pour moi [...]. Partout où je regardais, ce que je voyais devenait quelque chose à faire, et à faire exactement tel quel, sans rien ajouter » expliquait-il. Ce principe de transfert de l'espace tridimensionnel aux deux dimensions s'appliquera ensuite dans une série de travaux.
Les années françaises (1948-1954)
Diplômé de l'École des beaux-arts de Boston, initié aux grands développements de l'art moderne, Ellsworth Kelly part vivre à Paris en 1948. Il passera six années en France, une période fondatrice pour son œuvre. Ni expressionniste, ni ordonné par des systèmes, le langage abstrait qu'il met en place se nourrit de son environnement visuel immédiat (un détail architectural, un fragment, le passage d'une ombre, un reflet...). Il recourt aussi au hasard. S'il noue des liens avec la génération d'avant-guerre (Jean Arp, Constantin Brancusi, Alexander Calder, Georges Vantongerloo), il développe un travail dont la singularité tient autant à l'origine de ses formes, prises dans le réel, qu'à l'ambivalence de ses œuvres. Elles sont à la fois objets et tableaux.
Gironde, 1951
Huile et ripolin sur aggloméré | Oil and Ripolin on Masonite
Collection particulière | Private collection
Courtesy Matthew Marks Gallery
La Combe I, 1950
Huile sur toile | Oil on canvas
Whitney Museum of American Art, New York.
Gift of The American Contemporary Art Foundation, Inc., Leonard A. Lauder, President
Le dessin des ombres d'une rampe projetées sur les marches d'un escalier est à l'origine de La Combe I et La Combe II. À partir de dessins réalisés tout au long de la journée, Kelly prélève des instants visuels pour les transférer par la peinture sur la toile. L'emploi du rouge éloigne les formes de leur origine fugace (des ombres noires), mais la bichromie maintient le contraste. Avec La Combe II, il réemploiera la même source mais la déploiera sur un paravent. Cette construction annonce aussi l'usage fréquent qu'il fera du polyptyque et de l'assemblage de panneaux.
Yellow Curve, 1990
Acrylique sur toile sur bois | Acrylic on canvas on wood Glenstone Museum, Potomac, Maryland
Yellow Curve a d'abord été pensée pour le centre d'art de Portikus de Francfort. Les dimensions de la salle ont dicté celles de l'œuvre et les deux sont ici recréées. Une fois encore, Kelly interroge les liens de sa peinture avec l'environnement qu'elle partage avec les visiteurs. Mais il modifie un paramètre attendu de la peinture : elle n'est plus au mur mais au sol. Ce faisant, il démultiplie la sensation provoquée par sa forme et sa couleur. Avec son jaune saturé, la fraction de courbe irradie dans l'espace.
Méditerranée, 1951-1952
Huile sur bois, neuf panneaux joints, trois en relief
Oil on wood, nine joined panels, three in relief Tate Presented by the artist and Jack Shear in honour of Sir Nicholas Serota (Tate Americas Foundation
Transatlantique (1952-1958)
En France, Kelly réalise son premier monochrome, inspiré par une visite de l'atelier et du jardin de Monet à Giverny (Tableau Vert, 1952). Dans le sud du pays, il réalise quelques-unes de ses expérimentations chromatiques les plus abouties, jouant avec le hasard et employant le relief (Méditerranée, 1951-1952). C'est sur la base de cette palette vive, de ces formes tranchées et de ces formats singuliers qu'il poursuit son œuvre une fois rentré aux États-Unis. Il est alors en dissonance avec l'expressionnisme abstrait dominant. Ses compositions sont fluides mais il n'y a aucune improvisation chez lui, il construit précisément son œuvre en amont.
Sanary, 1952
Huile sur bois | Oil on wood
Collection Marguerite and Robert Hoffman
Comme plusieurs œuvres réalisées à Sanary (Var) pendant l'hiver 1951-1952, cette toile débute par un collage d'échantillons de papiers selon un mode aléatoire et géométrique. Toutefois, le hasard est circonscrit par une composition volontairement marquée par trois rangées aux valeurs plus sombres. La proximité de certaines couleurs implique des effets proches du cannage d'une chaise.
Atlantic, 1956
Huile sur toile, deux panneaux joints | Oil on canvas, two joined panels Whitney Museum of American Art, New York. Purchase
Parmi les premiers travaux dans lesquels Kelly réintroduit la courbe, Atlantic est remarquable pour son usage d'un blanc et noir négatif. Le titre, comme les deux « vagues » qui y sont inscrites plaident pour une lecture << marine » de l'oeuvre, mais l'origine en est plus complexe. C'est dans un bus que Kelly est saisi par les ombres qui se forment sur le livre qu'il tente de lire. Aussi vite que possible, tournant chaque page une fois l'ombre disparue, il trace les silhouettes des lampadaires et des poteaux téléphoniques qui s'y projettent. Elles seront ensuite reportées à l'encre dans un livre vierge. Certaines deviendront la source de cette peinture. La scission en deux panneaux reprend la pagination d'un livre.
Gate, 1959
Aluminium peint | Painted aluminum Walker Art Center, Minneapolis
Gift of Kate Butler Peterson, 1997
C'est en découpant un « X » dans une enveloppe avant de la plier que Kelly réalise l'esquisse d'une de ses toutes premières sculptures. Gate découle directement de ses peintures : elle poursuit son souhait de libérer la forme du fond. Éloignée du mur, sa forme a son existence propre dans l'espace et sur le sol. Mais elle conserve la bi-dimensionnalité des peintures, sans la masse d'une sculpture traditionnelle. En cela, comme dans l'emploi de la couleur, et même si l'oeuvre de Kelly n'a aucune vocation à être animée ou suspendue, sa connaissance de l'œuvre de Calder - proche de Kelly - est notable.
Chatham I: White Black, 1971/2004
Huile sur toile, deux panneaux joints | Oil on canvas, two joined panels Collection particulière | Private collection
White Dark Blue, 1968
Huile sur toile, deux panneaux joints | Oil on canvas, two joined panels Collection particulière | Private collection
Essentiel et sensible
À dater de son retour aux États-Unis en 1954, Ellsworth Kelly réduit ses formes à l'essentiel tout en restreignant sa palette. Puisant dans un répertoire désormais vaste, il produit des compositions d'une simplicité trompeuse, passant aisément de la peinture à la sculpture. Basées sur des panneaux assemblés ou des shaped canvases (toiles mises en forme), ses peintures incorporent le mur comme élément de composition. Vers le milieu des années 1960, l'oeuvre de Kelly est perçue dans le contexte du développement de l'art minimal. Précurseur de ce courant, il s'en détache par sa sensibilité toute particulière, qualité exacerbée dans ses accords presque musicaux entre formes et couleurs.
Quelques photos de la Fondation...
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