Escapades culturelles: Le musée Granet à Aix-en-Provence en avril 2024 1 la collection Jean Planque

Formidable collection !

"J'ai mieux aimé les tableaux que la vie. Ma vie = tableaux. [...] Le tableau s'impose à moi avec brutalité dans sa totalité et je pressens. Je pressens le mystère, ce qui ne peut être dit ni à l'aide de la musique, ni celle des mots. Immédiate préhension. Chose émotionnelle. Possession de tout mon être.

Je suis en eux et eux en moi Tableaux ! "

Jean Planque, Carnets, 1973

Dubuffet

et l'art brut

Jean Planque confessait volontiers que la rencontre avec Jean Dubuffet avait été l'une des plus fructueuses de sa vie. «Dubuffet a bien vu que je ne savais rien, que j'étais ignare en tout. Il s'est pris au jeu. Il s'est approché du pauvre bougre que je suis. Il m'a tout appris. À lui, je dois tout ce que j'ai pu faire ensuite. Tout. Il m'a donné les clefs pour analyser une œuvre. Savoir voir. Il disait : "C'est l'invention qui compte. Seule l'invention et la subversion." » (Planque, Journal de 1972-1973). Par effet de gratitude, Planque, de son côté, soutint sans réserve auprès des galeries, des musées et des collectionneurs, l'œuvre de Dubuffet, même quand le public ne parvenait plus à accepter les nouvelles audaces de l'artiste.

Néanmoins Planque est trop marqué par la culture classique pour suivre Dubuffet dans sa passion exclusive pour les artistes de l'art brut. Aux yeux du Suisse, le créateur doit garder la maîtrise de son langage et respecter une certaine esthétique. Ce qu'il distingue chez les artistes marginaux qu'il collectionne, comme Louis Soutter ou Aloïse, c'est non pas leur opposition à la culture classique mais ce qui, dans leur œuvre, les rapprochent de celle-ci, une expressivité de la ligne, une richesse de la couleur, un sentiment de l'espace que l'on peut retrouver chez d'autres artistes de sa collection comme, bien sûr, chez Dubuffet lui-même mais également chez Klee, Bissière ou Toledo

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Retour au logis

1959

HUILE SUR TOILE (ASSEMBLAGE DE MORCEAUX DE TOILES DÉCOUPÉES)

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Récit du sol

1959

HUILE SUR TOILE

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Le Menton fendu

1959

SCULPTURE EN PAPIER MACHÉ

PEINTE EN NOIR

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Opéra Bobèche

1963

HUILE SUR TOILE

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Téléphoniste I

1964

VINYLE ET CRAYON SUR PAPIER

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Légende de la rue

1963

HUILE SUR TOILE

a D 322

Jean Planque n'éprouvait pas que des sen- timents admiratifs devant les tableaux de sa collection. Certains l'inquiétaient. C'est le cas de cette composition tout en dédales et cloi- sonnements : "Tableau-piège. Ville (vitre ?) ouverte sur des trous noirs. Personnage unique en son centre. Avec une corne au milieu du front. Araignée dans sa toile, à son centre. Piégeant. Mais aussi piégée, inquiète. D'une inquiétude et d'une férocité extraordinaire d'intensité inouïe."

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Société d'outillage

1964

HUILE SUR TOILE

KOSTA ALEX 1925-2005

Homme au chapeau n° 40

1963

BRONZE

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Continuum de ville

1962

GOUACHE ET COLLAGES SUR PLUSIEURS CARTONS MAROUFLÉS SUR TOILE

KOSTA ALEX 1925-2005

L'Échappée belle

1966

ASSEMBLAGE DE BOIS PEINT

DON DE CARTISTE A LA FISP EN MEMOIRE DE JEAN PLANQUE

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Mires G 104 (Kowloon)

1983

ACRYLE SUR PAPIER MAROUFLÉ SUR TOILE

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Dramatique VII

1983

ACRYLIQUE SUR PAPIER MAROUFLÉ SUR TOILE

JEAN DUBUFFET 1901-1985

Site avec quatre personnages

1981

ACRYLIQUE SUR PAPIER

Chac Mool

1976

BRONZE

Fondation Jean et Suzanne Planque

(don de l'artiste), en dépôt au musée Granet, Aix-en-Provence

SOREL ETROG né en 1933

Ritual Head

1952

PANNEAU DE BOIS DÉCOUPÉ ET PEINT

DON DE L'ARTISTE À LA FJSP

EN MÉMOIRE DE JEAN PLANQUE

De la chapelle au musée

Lorsque la Fondation suisse Jean et Suzanne Planque chercha un lieu d'accueil pour sa remarquable collection, ce sont le musée Granet et la municipalité d'Aix qui surent se montrer les plus convaincants. Signée en juillet 2010, une convention jeta les bases d'une intense collaboration en vue de présenter de façon permanente les chefs-d'œuvre de ce magnifique ensemble constitué avec passion et clairvoyance par Jean Planque tout au long de sa vie.

En réhabilitant la chapelle fondée par les Pénitents blancs des Carmes en 1654, la Communauté du Pays d'Aix a voulu donner à cette collection un écrin digne de sa richesse et de son originalité. Tout au long d'un chantier exemplaire, alliant le respect du passé, de l'architecture et des volumes du XVIIe siècle et les exigences d'un musée du XXIe siècle, il fut répondu aux spécificités et contraintes du lieu, et aux objectifs du programme du musée Granet, défini en parfaite concertation avec la Fondation Planque. L'architecture intérieure n'ayant rien conservé de son décor, sinon son voûtement d'ogive et ses supports baroques, la scénographie s'est voulue résolument dépouillée en accord avec les espaces et les oeuvres modernes de la

collection.

L'ancienne chapelle de Pénitents, dans sa longue carrière, tourne une nouvelle page de son histoire en devenant sous le titre Granet XXème une extension du musée Granet avec lequel il forme un seul et même établissement, extension consacrée exclusivement aux chefs-d'œuvre de la collection Planque. Inauguré pour l'année de la capitale européenne de la culture en 2013, dans cette architecture représentative du Siècle d'or aixois, ce lieu montrera nombre de témoins emblématiques de la modernité, signe fort d'une continuité du génie humain sur un territoire privilégié au pied de la montagne Sainte-Victoire.

NICOLAS DE STAËL 1914-1955

Paysage, Marine

1954

HUILE SUR TOILE

NICOLAS DE STAËL 1914-1955

Composition. Maloir

1946

HUILE SUR TOILE

NICOLAS DE STAËL 1914-1955

Composition

1945

HUILE SUR TOILE

SIMON HANTAÏ 1922-2008

Composition orange et noire

1958

HUILE SUR TOILE

PIERRE BONNARD 1867-1947

Torse de femme, de profil

VERS 1918

HUILE SUR TOILE

FÉLIX VALLOTTON 1865-1925

Baigneuses dans un paysage

1923

HUILE SUR TOILE

DON DE MOUSE REYMOND-RIVIER EN MÉMOIRE DE JEAN PLANQUE

FÉLIX VALLOTTON 1865-1925

Matin d'hiver à Pétersbourg

1913

HUILE SUR TOILE

DON DE MOUSE REYMOND-RIVIER EN MÉMOIRE DE JEAN PLANQUE

GEORGES ROUAULT 1871-1958

Paysage biblique (Automne)

SANS DATE

HUILE SUR TOILE

GEORGES ROUAULT 1871-1958

Paysage biblique

SANS DATE

HUILE SUR TOILE

GEORGES ROUAULT 1871-1958

Jeune Pierrot

SANS DATE

HUILE SUR CARTON

GEORGES ROUAULT 1871-1958

Dame de province (reine de cirque)

VERS 1918

HUILE SUR TOILE

PIERRE BONNARD 1867-1947

L'Escalier du Cannet

1946

HUILE ET CRAYON SUR PANNEAU

204

306

Ce tableau était l'un des préférés de Jean Planque. Il l'aimait par-dessus tout parce que s'y trouvaient réunis tout ensemble l'enfance, la lumière de l'été et l'abondance des fleurs : "Ce matin-là, écrit-il, le Bonnard m'est ap- paru tout miraculeux de ce paradis terrestre enfantin retrouvé. Bonnard a peint mon "Paradis terrestre" [...] On y sent l'émotion vraie d'une admirable nature émotive de l'œil. [...] Tout est lumière et bonheur. Exaltation de l'émotion créatrice d'accords colorés extraor- dinaires. Le plaisir que l'on prend à regarder ces oeuvres est tel, qu'on en est tout plein de grâce, comme si la lumière était en nous. Nous devenons lumière. "

Le cubisme

ean Planque n'a jamais cherché à réunir un ensemble représentatif du mouvement cubiste. Question d'argent bien évidemment, cette période de l'histoire de l'art étant déjà inaccessible sa bourse lorsqu'il commence à s'y intéresser. Les oeuvres acquises au cours des occasions qui se sont présentées à lui forment donc un ensemble disparate où seule importe la qualité du langage formel. Un ovale de Braque de la période analytique voisine avec un papier collé de Laurens ou une nature morte de Juan Gris. Un Dufy, très rare, datant de 1908, répond à un paysage de La Fresnaye, lui aussi, inachevé. La période cubiste de Picasso est représentée par deux très belles inventions à la gouache et deux toiles assez atypiques. Enfin, la composition intitulée La Rose et le Compas de Fernand Léger fait allusion à l'amour du collectionneur pour la peinture, oscillant tantôt du côté de la beauté ordonnée et tantôt du côté de la grâce naturelle.

RAOUL DUFY 1877-1953

Paysage de l'Estaque

1908

HUILE SUR TOILE

ROGER DE LA FRESNAYE 1885-1925

Le Pont de Meulan

1911-1912

HUILE SUR TOILE

FERNAND LÉGER 1881-1955

La Rose et le Compas

1925

HUILE SUR TOILE

PABLO PICASSO 1881-1973

Femme au miroir

1959

HUILE ET RIPOLIN SUR TOILE

SOREL ETROG né en 1933

Leitzan

1970

BRONZE

DON DE L'ARTISTE

Rencontre avec Picasso

Jean Planque rencontre pour la

première fois Pablo Picasso le jour de ses cinquante ans, le 7 juillet 1960. Il est venu pour le compte de la galerie Beyeler soumettre à l'artiste une toile de Cézanne que Picasso avait repérée dans le catalogue de la maison bâloise. La vente ne se fera pas, mais une amitié solide est en train de naître. Au cours de l'entretien qui suivit, Planque déploiera en effet tout son charme en parlant avec éloquence de sa passion pour la peinture: son audace de grand timide le servira auprès d'un artiste âgé qui, retiré du monde, n'a plus l'occasion d'entendre des propos d'une telle franchise. À la fin de la journée, Picasso encouragera le Vaudois à revenir le voir. Planque ne se fera pas prier. Il reviendra plusieurs fois à Notre-Dame-de-Vie au cours des années suivantes, notamment en 1965, quand la galerie Beyeler, préparant un hommage aux quatre-vingt cinq ans du peintre, envoie son persuasif messager décider le peintre, qui se faisait tirer l'oreille, à prêter certaines pièces manquantes. Par amitié pour Planque, Picasso finira par vendre directement au marchand bâlois une vingtaine de tableaux, fait exceptionnel dans l'histoire des relations commerciales de l'artiste qui depuis toujours ne traitait qu'avec la galerie Kahnweiler. Il est à noter que les achats de toiles de Picasso réalisés par le collectionneur remontent pour la plupart à l'époque où les deux hommes sont en

contact.

PABLO PICASSO 1881-1973

Nu et homme à la pipe (La Conversation)

1968

HUILE SUR TOILE

PABLO PICASSO 1881-1973

Femme au chat

assise dans un fauteuil

1964

HUILE SUR TOILE

Jean Planque disait que la vue de ce portrait de femme de Picasso qu'il avait surnom- mé, en raison de sa face noire et inquiétante, «La Parque, celle qui coupe le fil de la vie »>> - lui devenait par moments insupportable et qu'il ressentait le besoin de retourner l'image contre le mur. Légende ou non, il racontait volontiers que la veille de la mort de Picasso, cette toile s'était décrochée de son clou pour s'écrouler sur le sol de sa chambre.