vendredi 12 janvier 2024

Corps à corps, histoire(s) de la photographies à Beaubourg en janvier 2024


Un peu décevante cette exposition dont voici l'essentiel :

Avec la rencontre de deux collections photographiques - celle, publique, du Musée national d'art moderne, et celle, privée, du collectionneur Marin Karmitz -, cette exposition offre un regard inédit sur les représentations de la figure humaine. Les images des visages et des corps sont ici considérées pour ce qu'elles racontent du rapport entre photographe et photographié, et pour leur potentiel narratif lorsqu'elles sont mises en regard. Leur dialogue rend visibles des correspondances entre des artistes qui, à la même époque ou éloignés dans le temps, partagent des attentions communes dans le choix des sujets, des styles, des manières de voir l'autre. Ces photographies posent ainsi la question de la responsabilité de leurs auteurs comment participer à la naissance des identités et à leur visibilité ? Comment raconter les individualités et le rapport à l'autre ? Ces deux collections qui se distinguent par leur origine, leur nature et leur raison d'être entrent ici en complémentarité. Regard public et regard privé conversent et imaginent de nouveaux récits. Ensemble, ils engagent aussi une réflexion sur l'idée de collection : comment se construit une collection, comment la faire vivre, la transmettre au public ?


Les premiers visages 
Par la photographie, nous appréhendons le corps et entrons dans son intimité. L'image du visage, en particulier, éclaire le rapport à l'autre. Comme le disait le philosophe Emmanuel Levinas: «[...] il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu'on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer ». Au début du 20e siècle, le visage pris en plan rapproché devient un motif récurrent dans l'œuvre photographique des avant-gardes. Le cadrage comme le jeu dramatique des lumières et des ombres renforcent l'impression de présence du sujet. Traité hors de tout contexte (individuel ou social) le visage anonyme devient prétexte à des études formelles. Pour d'autres photographes, dont la démarche relève davantage du documentaire social, photographier le visage est un acte d'engagement, une manière de rendre visible la personne. Pour tous, l'émergence de ces visages impose un face-à-face qui assure au sujet son identité autant qu'il la questionne.

Pierre Dubreuil
1872, Lille (France) - 1944, Grenoble (France)
Autoportrait, vers 1932
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz

Constantin Brancusi
1876, Hobita (Roumaniel-1957, Paris (France)
Buste d'enfant, bronze patiné (1906),
Supplice vers 1906
Épreuves gélatino-argentiques
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Legs de Constantin Brancusi, 1957
PH 186 F PH 182 C
En 1904, Constantin Brancusi s'installe à Paris où il parfait sa formation en sculpture à l'École des beaux-arts. Ses premières sculptures parisiennes témoignent de l'influence d'Auguste Rodin et de Medardo Rosso: ses « têtes» surgissent d'une masse informe de matière brute, les membres du buste sont coupés brutalement, les visages surprennent par leur expressivité. Dès cette période, Brancusi commence à photographier et à filmer la vie de son atelier, notamment ses œuvres. Ces images affirment l'ancrage de sa sculpture dans ce réel et dans cette matérialité qu'il n'a de cesse de défendre : « Elles étaient floues, sur ou sous-exposées, éraflées et tâchées. C'est ainsi, disait-il, que son œuvre devait être reproduit.» (Man Ray)

Lewis Hine
1874, Oshkosh (Wisconsin, États-Unis)-1940, Hastings-on-Hudson (New York, États-Unis)
Slavic Mother, Ellis Island, vers 1905 [Mère slave, Ellis Island]
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz

Lewis Hine
1874, Oshkosh (Wisconsin, États-Unis) - 1940, Hastings-on-Hudson (Ne
Hartford-Newsies, vers 1909 [Hartford - vendeur de journaux]
Le travail de Lewis Hine prend une dimension plus politique à partir de 1908 lorsque, dans le cadre de commandes du National Child Labor Committee (NCLC), il parcourt les États-Unis afin de témoigner de la violente réalité du travail des enfants. !I use de méthodes variées pour diffuser ces images à un large public: projection de diapositives, reproduction dans des revues aux convictions progressistes (comme The Survey) ou encore production de panneaux d'exposition à partir de photomontages, qui rendent compte de l'engagement politique de ce pionnier de la photographie documentaire.

Dorothea Lange
1895, Hoboken (New Jersey, États-Unis) - 1965, San Francisco (Californie, États-Unis)
Migratory Woman, Greek, Living in A Cotton Camp Near Exeter, California, vers 1935
[Migrante, Grecque, vivant dans un campement d'ouvriers d'un champ de coton près d'Exeter, Californie]
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz
Formée à la photographie de studio - elle adhère d'abord aux principes pictorialistes et portraitiste de renom à San Francisco, Dorothea Lange engage son œuvre dans une voie plus documentaire lors de la Grande Dépression. En 1935, elle est embauchée par la Resettlement Administration, une agence fédérale créée par le gouvernement Roosevelt. Lange met au jour les conditions de vie critiques des ouvriers agricoles migrants, contraints de travailler dans les champs de coton ou de légumes. À l'instar de son emblématique photographie Migrant Mother, cette image témoigne de l'attention que porte Lange aux corps, aux visages et aux expressions. Dans une posture résolue et digne, cette migrante grecque dans un abri de fortune fait figure de parangon de la résilience.

Paul Strand
1890, New York (New York, États-Unis) - 1976, Orgeval (France)
Blind Woman, New York, 1916 [Femme aveugle, New York]
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Dation, 1985
AM 1985-316
Pionnier du modernisme photographique, Paul Strand réalise ses premiers clichés dans les années 1910. Formé par Lewis Hine à l'Ethical Culture School de New York puis adepte de la straight photography, il fait la synthèse entre l'usage de la photographie comme document social et les innovations formelles les plus radicales. En 1916, Strand réalise l'une de ses photographies les plus troublantes : équipé d'un faux objectif lui permettant de pointer l'appareil dans une autre direction, il fait le portrait -au cadrage oblique et en plan très rapproché - d'une femme aveugle. Parue dans le dernier numéro de la revue Camera Work d'Alfred Stieglitz, cette image constitue un monument de l'histoire de la photographie.

Paul Strand
1890, New York (New York, États-Unis) - 1976, Orgeval (France)
Farm Worker, Luzzara, Italy, 1953

Claude Simon
1913, Tananarive (Madagascar) - 2005, Paris (France)
Maternité, 1950-1955
Romancier français de premier plan, prix Nobel de littérature en 1985, Claude Simon est l'auteur d'une œuvre riche d'expérimentations narratives qui met l'accent sur les errements de la mémoire. Avant de se consacrer à l'écriture, il se forme à la peinture au début des années 1930, puis commence à s'intéresser à la photographie. Après-guerre, équipé d'un Rolleiflex, Simon voyage en Europe. Dans le quartier du Vernet, à Perpignan, il photographie la communauté gitane au gré de ses déambulations dans les rues. envisage le médium comme un outil de saisissement du réel, permettant, selon ses mots, de « garder une trace de ce qui n'avait encore jamais été et ne sera plus jamais ».

Gotthard Schuh
1897, Berlin (Allemagne) - 1969, Küsnacht (Suisse)
Grubenarbeiter, Belgique, 1937 [Mineur], Belgique
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz
D'abord peintre, Gotthard Schuh commence à photographier à la fin des années 1920. Adoptant le langage formel de la Nouvelle Vision, il devient rapidement un photojournaliste de premier plan. Ses clichés se parent peu à peu d'une forme de subjectivité qui annonce la figure du photographe voyageur de l'après-guerre et influence durablement ses compatriotes suisses, notamment Robert Frank. En 1937, il fait paraître dans le magazine Zürcher Illustrierte « Le pays noir », un reportage sur les mines de charbon de Winterslag en Belgique. Son regard humaniste transparaît dans le portrait d'un jeune ouvrier sortant de la mine, à la fois document social et image allégorique de la dignité de l'homme au travail.

Gotthard Schuh
1897, Berlin (Allemagne) - 1969, Küsnacht (Suisse)
Java, le joueur de billes, 1938
Épreuves gélatino-argentiques
Collection Marin Karmitz
En 1938, le photographe suisse Gotthard Schuh entreprend un voyage en Asie du Sud-Est. De ce séjour sont issues certaines de ses photographies les plus célèbres, publiées dès 1941 dans son ouvrage Inseln der Götter [Îles des Dieux], qui rencontre un vif succès. Si les images de Schuh révèlent une fascination pour l'exotisme, elles préfigurent également le genre de l'autobiographie photographique. À Java, il photographie la grâce de jeunes joueurs de billes. L'une de ces images connaitra une fortune remarquable en figurant dans The Family of Man, l'exposition phare de l'humanisme photographique, organisée par Edward Steichen au MoMA de New York en 1955.

Robert Frank
1924, Zurich (Suisse) - 2019, Inverness (Canada)
Welsh Miner, 1953 [Mineur gallois]
Épreuve gélatino-argentique contrecollée sur panneau de bois Collection Marin Karmitz
Parmi ses nombreux voyages au tournant des années 1950, Robert Frank se rend notamment à Londres et au Pays de Galles entre 1952 et 1953. Des banquiers de la City aux mineurs gallois, Frank s'intéresse à toutes les classes sociales et met en lumière les contrastes entre chaque couche de la population. Dans le village gallois de Caerau, il fait la rencontre du mineur Ben James. Influencé par le roman de Richard Llewellyn Qu'elle était verte ma vallée (1939), le photographe capte l'atmosphère de cette cité minière et porte son attention sur le quotidien de cet homme. Publié en 1955 dans la revue US Camera Annual, ce reportage n'est pas sans rappeler les portraits de mineurs réalisés par Eugene Smith quelques années auparavant.

W. Eugene Smith
1918, Wichita (Kansas, États-Unis) - 19/8, Tucson (Arizona, États-Unis)
Three Generations of Welsh Miners, 1950 [Trois générations de mineurs gallois]
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz
Photojournaliste mythique, W. Eugene Smith occupe une place singulière dans l'histoire de la photographie américaine. Ses premières images - teintés de sensationnalisme - sont publiés dans la presse dès la fin des années 1930. Son œuvre connaît une rupture au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; tout en continuant à travailler pour la presse - le magazine Life lui commande plus de cinquante reportages entre 1946 et 1952 - Smith adopte un style plus sobre et personnel. En 1950, il part en Grande-Bretagne pour documenter la campagne électorale et l'état de l'industrie britannique. Au Pays de Galles, il photographie trois mineurs, dont les visages portent, selon lui, « le poids de l'histoire présente et passée et la marque des injustices ».

Johan van der Keuken
1938, Amsterdam (Pays-Bas) - 2001, Amsterdam (Pays-Bas)
Sans titre [Yvonne et Georgette], vers 1956
Johan van der Keuken
1938, Amsterdam (Pays-Bas) - 2001, Amsterdam (Pays-Bas)
 Sans titre [Yvonne et fleurs], vers 1956
Johan van der Keuken est l'auteur d'une œuvre aussi poétique qu'expérimentale, habitée par la volonté de saisir le réel. Il est encore lycéen lorsqu'il publie, en 1955, le livre de photographies Wij Zijn 17 [Nous avons 17 ans], où il capte l'ennui et la solitude qui caractérise son cercle de jeunes amis. Une même sensibilité préside à l'élaboration de Achter Glas [Derrière la vitre], qu'il publie en 1957 avec le poète Remco Campert. Johan van der Keuken photographie deux sœurs dont il est proche, Georgette et Yvonne Apol. Loin de rechercher le « moment décisif », le photographe compose, par un délicat jeu de contrastes lumineux, ce qu'il a lui-même nommé « l'histoire d'une atmosphère ».

Helmar Lerski
1871, Strasbourg (Empire allemand, actuelle France)-1956, Zurich (Suisse)
Metallarbeiter, de la série Köpfe des Alltags, 1930 [Métallurgiste), de la série (Têtes de tous les jours)
Epreuvo gélatino-argentique contrecollée sur papier Collection Marin Karmitz
Figure importante du cinéma expressionniste allemand des années 1920, Helmar Lerski se consacre à la photographie à partir de 1927. Sa grande maîtrise de la lumière naturelle-il associe généralement plusieurs sources lumineuses grâce à des miroirs afin de modeler le visage de ces sujets - lui permet d'élaborer une œuvre à la croisée des innovations des avant-gardes photographiques. Au début des années 1930, Lerski s'installe en Palestine et y réalise de nombreux portraits des populations arabes et juives. À rebours de l'usage de la photographie des « raciologues » allemands, ces images ont toutefois pour lui une vocation typologique: il cherche, gráce à ce « document sur la race juive », à dévoiler « le type originel dans toutes ses ramifications ».

Roman Vishniac
1897, Saint-Pétersbourg (Russie) - 1990, New York (N. Y., États-Unis)
Cheder Boys, Vrchni Apsa, 1937.

Théodore Brauner
1914, Vienne (Autriche-Hongrie, actuelle Autriche) - 2000, Paris (France)
Gellu Naum, 1939
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Don des Amis du Centre Pompidou, Groupe d'Acquisition pour la Photographie, 2018
AM 2018-704

Jean Dréville
1906, Vitry-sur-Seine (France)-1997, Vallangoujard (France)
Antonin Artaud, 1928
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat, 2014

Dora Maar
1907, Paris (France)- 1997, Paris (France)
Nusch Éluard, vers 1935
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1987
AM 1987-492
Dora Maar est très proche du groupe surréaliste au milieu des années 1930; elle fréquente à cette époque Man Ray, André Breton, Jacqueline Lamba ou encore le couple formé par Paul et Nusch Éluard. Le portrait qu'elle réalise de cette dernière, dont elle est une amie intime, est publié sous différentes formes (recadrage, photomontage publicitaire) dans les années qui suivent. En juin 1947, sept mois après le décès soudain de Nusch, Paul Éluard publie Le temps déborde sous le pseudonyme Didier Desroches. Dédié à son épouse, ce recueil de poésies comprend onze photographies de Nusch Éluard prises dans les années 1930, parmi lesquelles cette version en clair-obscur réalisée par Dora Maar, ainsi que cinq autres de Man Ray.

Automatisme ?
Les photomatons apparaissent dans les années 1920, d'abord aux États-Unis, puis en Europe. Cette photographie pauvre, automatique et sans auteur fascine très tôt les artistes surréalistes. La cabine de prises de vues, espace restreint devenu petit théâtre, est prétexte à de multiples grimaces, à des portraits extatiques, les yeux fermés, têtes décoiffées ou à des portraits de groupe indisciplines. Ainsi, dès ses origines, cette photographie populaire, alors au service des méthodes modernes de contrôles administratif et policier, est détournée en un nouvel espace de liberté et de révolte. De nouveau dans les années 1960, période marquée par le développement des arts performatifs, et jusqu'à aujourd'hui, de nombreux artistes s'emparent de cette esthétique, voire du dispositif même. Ils dénoncent ainsi les carcans imposés par la société contemporaine via la bienséance et la persistance des stéréotypes culturels comme identitaires. Jouant, parfois non sans humour, avec ses codes (frontalité, anonymat, sérialité...), tous renversent les rapports de pouvoir en soulignant la multiplicité et la complexité des subjectivités.
Therapy
Jo Spence
(en collaboration avec Rosy Martin)
1934, Londres (Royaume-Uni) - 1992, Londres (Royaume-Uni)
Photo Therapy, . The End of My Anal Phase, 1984
Photo Therapy, . Untitled, 1984
Figure majeure de la photographie britannique de la seconde moitié du 20e siècle, Jo Spence développe dès le début des années 1970 un travail engagé et féministe, dans lequel elle aborde les notions de genre, de classe sociale et de représentation de soi. En 1982, elle est atteinte d'un cancer du sein. La maladie devient alors le sujet central de son œuvre photographique. Dans sa série Photo-Therapy, réalisée avec l'artiste Rosy Martin, elle interroge la relation avec sa mère en l'incarnant ou en rejouant son propre rôle de petite fille. La photographie est pour Spence une compagne qui l'aide à traverser la maladie et à mieux s'en défendre.

Michel Journiac
1935, Paris (France) - 1995, Paris (France)
Icône du temps présent - Jean Genet, 1988
Transfert photographique, feuille d'or et sang sur toile Collection Marin Karmitz
L'œuvre protéiforme de Michel Journiac est marquée par un esprit de subversion et de révolte. En 1988, il initie une série de portraits prenant pour modèles des photographies issues de revues pornographiques ou des figures célèbres qu'il transfère, telles des icônes chrétiennes, sur un fond dans lequel il mêle à l'or son propre sang. Représentant majeur de l'art corporel en France, Journiac utilise son corps comme matériau, dans des œuvres à la fois précieuses et provocantes. Ce portrait de l'écrivain Jean Genet reprend l'approche ritualisée de l'art chère à l'artiste, de même qu'il aborde une de ses thématiques privilégiées, celle des grandes figures de l'homosexualité.

Christian Boltanski
1944, Paris (France) - 2021, Paris (France)
27 possibilités d'autoportraits, 2007
Épreuves gélatino-argentiques Collection Marin Karmitz
Christian Boltanski travaille les notions de mémoire, de perte et d'identité comme autant de matériaux au fondement de sa pratique artistique. Dans cette série, il s'emploie à reconstituer son propre visage à partir de quelques portraits photographiques de lui-même, pris à différentes périodes de sa vie. Toutes les reconfigurations possibles de son visage sont visibles dans ce jeu sur la multiplicité des identités au croisement des époques. Portée par l'idée de disparition, cette œuvre s'inspire d'une phrase du dramaturge polonais Tadeusz Kantor : « Chacun de nous conserve un enfant mort »

Andy Warhol
1928, Pittsburgh (Pennsylvanie, États-Unis) - 1987, New York (New York, États-Unis)
Self Portrait in Drag, 1981 [Autoportrait en drag]
Épreuves à développement instantané (Polaroïd)
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1993
AM 1993-6 (3)
Le médium photographique occupe une place centrale dans l'œuvre de Andy Warhol. Souvent réinvestie d'une esthétique et d'un sens nouveaux dans ses célèbres sérigraphies, l'image photographique opère également comme un vecteur de construction de l'identité et un révélateur de l'intime pour l'artiste. Il réalise à partir des années 1970 des milliers de Polaroïd. En 1981, assisté par le photographe Christopher Makos, Warhol produit une série d'autoportraits, grimé en dragqueen. Écho tardif à Man Ray qu'il admirait, photographiant Marcel Duchamp en Rose Selavy (son alter-ego féminin), cette série de Polaroïd rend compte de la vulnérabilité du modèle et de la multiplicité des avatars de l'artiste.

Mathieu Pernot
1970, Fréjus (France)
Mickaël, Cabine du photomaton, 1995
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Mathieu Pernot et de la Galerie Éric Dupont, 2016
AM 2016-672
Alors qu'il étudie la photographie à Arles, Mathieu Pernot fait la rencontre d'une famille de Roms installée dans la région, les Gorgan. Commence alors une collaboration avec la communauté qui va durer plusieurs années. Accompagné d'un groupe d'enfants tsiganes, Pernot détourne dans cette série de photomatons un dispositif à finalité administrative et policière : la photographie d'identité. Malgré les contraintes du cadre et du processus de normalisation, les enfants parviennent, par le jeu, à se dérober aux règles de la prise de vue et à résister en affirmant leur singularité.

Assaf Shoshan
1973, Jérusalem (Israël)
T.N., de la série Simplon, 2010
Épreuves chromogènes
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Don de la Société des Amis du Musée national d'art moderne, Groupe d'Acquisition pour la Photographie, 2016
AM 2016-695
À l'automne 2010, Assaf Shoshan réalise une série de portraits de «sans-papiers » dans un local de fortune du 18e arrondissement de Paris. Dans ce bâtiment vide occupé par un groupe de migrants pour la plupart originaires du Mali, l'artiste improvise un studio. utilisant la lumière naturelle et un bout de plastique rouge en guise de fond, Il prend ainsi soixante-dix portraits de dix-huit personnes, hommes et femmes, tous désignés uniquement par leurs initiales. La série Simplon évoque les « papiers d'identité» tant souhaités et leur photo officielle, censée « stabiliser » l'identité du sujet. Shoshan subvertit cette logique d'identification administrative pour proposer une définition alternative de l'identité, tout en changement et en flux.

Lorna Simpson
1960, New York (New York,États-Unis)
Summer '57/Summer '09 (Group 2), 2009 [Été 57/Été 09 (Groupe 2)]
Épreuves gélatino-argentiques
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de la Galerie Nathalie Obadia (Paris-Bruxelles), 2010
AM 2010-123 (1-12)
Lorna Simpson se fait connaître par une œuvre conceptuelle et engagée qui interroge la représentation stéréotypée de la femme, en particulier de la femme noire, dans la culture visuelle américaine occidentale. La série Summer 57/09 naît d'une découverte fortuite : en parcourant un site de petites annonces, l'artiste tombe sur des photographies des années 1950 sur lesquelles une jeune femme noire pose devant l'appareil. Simpson s'approprie ces images en se photographiant elle-même dans des postures semblables, puis mêle ses images à celles qu'elle a trouvées, créant une œuvre qui brouille les pistes entre original et copie, réalité et fiction.

Fulgurance
Intermédiaire entre photographe et le photographié, l'appareil de prises de vue transforme la manière de percevoir l'autre. À l'affût, le photographe attend l'apparition de l'image : sa vision, humaine, devient photographique ; il pense le réel par son cadre, puis il le met « en boîte ». L'appareil lui permet de saisir un instant, de capter l'autre, de le posséder par son image. Cette présence au monde si particulière a souvent été comparée aux pratiques de la chasse ou de la collection. Mais cette traque agit aussi parfois comme un révélateur. Visionnaire plus que voyeur, le photographe perçoit et isole des individualités, il met en lumière des anonymes perdus dans la foule. Par une attention aux atmosphères et à l'intimité des regards et des gestes, il donne à voir des rapports humains. << La photo, affirmait Chris Marker en 1966, c'est l'instinct de chasse sans l'envie de tuer. C'est la chasse des anges... On traque, on vise, on tire et - clac ! au lieu d'un mort, on fait un éternel. »>

 Claude Simon
1913, Tananarive (Madagascar) - 2005, Paris (France)
Danseuses, 1937
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Madame Réa Simon, 2013
AM 2013-434

Weegee
1899, Zolotchiv (Empire russe, actuelle Ukraine) - 1968, New York (New York, États-Unis)
Waxey Gordon, vers 1941
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz
Dédié aux habitants de New York, Naked City de Weegee est un ouvrage majeur de la photographie du 20e siècle. Cette galerie de scènes nocturnes saisies à l'arrachée par le photographe parcourant les rues, bars et cabarets new-yorkais dans sa voiture réaménagée en laboratoire photographique dresse le portrait d'une ville interlope en perpétuel bouillonnement. Embauché par le journal PM Daily et branché en continu sur les fréquences radios de la police, il est à l'affût de chaque scène de crime ou incendie, armé de son flash nocturne. En 1941, Weegee photographie Waxey Gordon, célèbre gangster américain très actif pendant la Prohibition. Ce portrait du contrebandier caché derrière son chapeau est exemplaire de son style furtif.

Henri Cartier-Bresson
1908, Chanteloup-en-Brie (France) - 2004, Montjustin (France)
Valence, Espagne, 1933
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Dation, 2014
AM 2014-550
Sans titre, de la série Subway, New York, 1946 De la série [Métro], New York
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Louis Stettner, 2015
AM 2016-446
Louis Stettner commence la photographie à la fin des années 1930. Membre de la Photo League, il côtoie un temps Weegee et Sid Grossman et se voit chargé d'effectuer des tirages des négatifs de Lewis Hine. À la suite de sa mobilisation dans le Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale, Stettner réalise sa première série photographique à New York en 1946 dans la ligne de métro reliant Coney Island à Times Square. Il voit dans ce monde souterrain « un lieu propice à l'expression de l'humanité ». Quelques années après Walker Evans (dont les photographies ne sont exposées qu'en 1966), Stettner photographie avec son Rolleiflex les usagers en transit,« se retrouvant avec eux-mêmes ».

Walker Evans
1903, Saint-Louis (Missouri, États-Unis) - 1975, New Haven (Connecticut, États-Unis)
Sans titre [Passagers dans le métro], New York, 1938-1941
Épreuves gélatino-argentiques Collection Marin Karmitz
Congédié de la Farm Security Administration en 1937 - l'agence gouvernementale qui l'employait pour documenter les conditions de vie dans l'Amérique rurale durant la Grande Dépression -, Walker Evans abandonne à cette période sa chambre grand format pour un appareil 35 mm, plus léger et maniable. C'est avec cet outil, dissimulé dans son manteau et relié par un câble à un déclencheur tenu dans sa main, qu'il photographie à la dérobée les usagers du métro new-yorkais. La photographe Helen Levitt l'accompagne dans ces excursions souterraines et lui permet d'opérer avec discrétion. Devenue un classique de l'histoire de la photographie américaine, cette série est publiée en 1966 dans l'ouvrage Many Are Called à l'occasion d'une rétrospective au MoMA de New York.

Daniel Masclet
1892, Blois (France) - 1969, Paris (France)
f3316, 1954
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat grâce au mécénat de Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret
AM 2012-4707
La Passante, 1954
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat grâce au mécénat de Yves Rocher, 2011. Ancienne collection Christian Bouqueret
AM 2012-4705
A la fin des années 1920, Daniel Masclet adopte un style très personnel qui combine le classicisme français hérité du courant pictorialiste et la straight photography américaine. Il excelle dans l'art du portrait de sa femme Francesca comme des célébrités de l'époque -, des scènes urbaines et de la nature morte, étant très attentif aux lumières, à la texture des matériaux, qu'il rend à travers des tirages de grande qualité. Dans les années 1950, il s'éloigne de ce style classique et maîtrisé pour explorer une approche subjective de la photographie. Il aborde alors les vues de Paris de manière plus abstraite, distanciée et construite, comme dans cet ensemble où des figures en mouvement traversent le cadre.

Dave Heath
1931, Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis) - 2016, Toronto (Canada)
Washington Square, New York City, 1959
Épreuves gélatino-argentiques
Collection Marin Karmitz
Après de brèves études à Chicago auprès de Aaron Siskind et de Harry Callahan, le photographe Dave Heath s'installe à New York en 1957. Il y côtoie Gary Winogrand, Lee Friedlander et d'autres figures majeures de la scène new-yorkaise. À cette époque, Heath fréquente assidûment Washington Square ; les jeunes gens qu'il photographie, absorbés dans leurs pensées, renvoient à une Amérique désenchantée, loin de l'imaginaire optimiste de la photographie humaniste de l'après-guerre. Heath porte son regard sur les gestes, postures et attitudes et se montre sensible aux relations qu'entretiennent les sujets entre eux. Ces portraits d'anonymes sont pour certains publiés dans l'ouvrage A Dialogue with Solitude (1965), qui lui apporte une importante reconnaissance.

Brassaï
1899, Braşov (Autriche-Hongrie, actuelle Roumanie) - 1984, Paris (France)
Les Deux Voyous, Paris XIV, 1932
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat, 1995
AM 1995-222

Fragments
Morcelé par le cadrage - lors de la prise de vue et/ou lors du tirage de l'épreuve -, l'individu devient objet anonyme. Tête, main, doigt, œil, oreille, jambe, torse, pied, cou, bouche, sexe, peau, sein, nombril, cheveux..., ces morceaux de corps et d'épiderme se transforment en paysages incertains, parfois inhospitaliers. L'observateur échoue cependant à détourner
son regard, tant la sensualité des corps y est décuplée. Le rapport photographe/ photographié apparaît comme résolument déséquilibré; la femme, objectivée, est sans conteste un motif récurrent dans ce type d'image. Nombre d'artistes ont néanmoins su utiliser cette même rhétorique de la fragmentation pour dénoncer la persistance de l'inégalité des rapports de pouvoir et de contrôle dans la société contemporaine. Si ces images-fétiches racontent le désir, elles peuvent aussi encourager, tout simplement, à mieux voir : la grâce et l'élégance d'un geste, d'un corps au travail, d'un corps au repos, d'un corps souffrant ou d'un dialogue silencieux entre deux êtres.

Tarrah Krajnak
1979, Lima (Pérou)
Master Rituals II: Weston's Nudes, 2021
Épreuves gélatino-argentiques
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Don du CHANEL Fund for Women in the Arts and Culture, Amis du Centre Pompidou, 2022
AM 2022-344 (1-16)
L'œuvre de Tarrah Krajnak mêle performance et relecture des canons de l'histoire de la photographie. Elle utilise son corps pour engager une réflexion sur les liens entre le personnel, le politique et l'institutionnel. Cette série 

Annette Messager
1943, Berck-sur-Mer (France)
Mes Trophées. Les Mains (diptyque), 1987
Épreuves photographiques, aquarelle Collection Marin Karmitz
La photographie est l'un des médiums privilégiés d'Annette Messager. À ses débuts, elle s'approprie et détourne les images des autres. Puis elle s'empare de l'appareil photographique, non pas pour représenter, mais plutôt pour fragmenter et déformer les visages et les corps. Dans les années 1980, l'artiste commence à peindre et dessiner directement sur ses photographies des éléments issus de l'imagerie populaire, religieuse et érotique. Pour ces œuvres de la série Mes Trophées, elle dessine sur des agrandissements de mains, de jambe et de pouce. Les motifs, qui épousent les volumes et les plis de la peau, s'inspirent des tatouages, des manuels de chiromancies et des images de piété. Les cadres sunt légèrement inclinés, dans un clin d'œil à l'accrochage traditionnel des portraits de famille du 19e siècle.

Jakob Tuggener
1904, Zurich - 1988, Zurich 
 Schiffsnieter, 1947 
[Riveteuse pour navire]
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz

Man Ray
1890, Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis) - 1976, Paris (France)
4 Sans titre [Jambes dans un cadre], vers 1930
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Dation, 1994
AM 1994-394 (895)

Dorothea Lange
1895, Hoboken (New Jersey, États-Unis) - 1965, San Francisco (Californie)
Mended Stockings, San Francisco, 1934 [Bas reprisés, San Francisco]
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz

Annette Messager
1943, Berck-sur-Mer (France)
Mes Vœux avec pénétration, 1986-1988
Épreuves gélatino-argentiques sous verre, tissu, peluche en tissu, ficelle de lin, épingles
Collection Marin Karmitz

Annette Messager
1943, Berck-sur-Mer (France)
Mes Vœux, 1989
Épreuves gélatino-argentiques, verre, papier adhésif, ficelles Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 1990
AM 1990-80
Inspirées des ex-voto, les œuvres de la série Mes vœux sont constituées d'une accumulation de photographies encadrées de détails de corps et de visages. Elles sont suspendues par des ficelles et circonscrites dans des formes géométriques simples, ici un cercle et une colonne. Les fragments de corps féminins et masculins se côtoient, dans un mélange des genres indéfinissable. L'artiste ajoute parfois des mots manuscrits, des dessins ou des peluches, comme c'est le cas avec les organes génitaux en tissu de Mes vœux avec pénétration. La fragmentation, la superposition, l'effet de masse et le scintillement des plaques de verre peuvent provoquer, selon les mots de l'artiste, « un trop-plein, un débordement [...], jusqu'à l'étouffement

Mexico, Mexique, 1934
Epreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Dation, 2014
AM 2014-551
Henri Cartier-Bresson est âgé de 24 ans lorsqu'il part au Mexique en 1934. S'il n'est pas membre du groupe surréaliste, il en est toutefois proche et c'est dans cet esprit qu'il saisit « à la sauvette », selon son expression, le bouillonnement de la vie locale. Lors d'une soirée chez des amis à Mexico, il entend du bruit dans une chambre; équipé de son Leica, il entre brièvement dans la pièce, photographie deux femmes faisant l'amour et ressort. L'image retenue, baptisée L'araignée d'amour par son ami André Pieyre de Mandiargues, est l'une des plus célèbres dans l'œuvre du photographe. Les différentes versions de l'image révèlent toutefois plusieurs prises de vue et dessinent une certaine chronologie qui appelle à complexifier le mythe de l'instant décisif et de l'image unique

 Man Ray
Chapeau par Elsa Schiaparelli, 1933

Constantin Brancusi
1876, Hobita (Roumanie) - 1957, Paris (France)
Sans titre [Modèle posant pour La Prière], vers 1907
Epreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musee national d'art moderne, Paris Legs de Constantin Brancusi, 1957
PH 802 A

J.D.'Okhai Ojeikere
1930, Ovbiomu (Royaume-Uni, actuel Nigeria) - 2014, Lagos (Nigeria)
De la série Coiffures
À la fin des années 1960, le photographe J.D.'Okhai Ojeikere commence un ambitieux projet d'inventaire des coiffures nigérianes. Souhaitant documenter un art du tressage concurrencé par la vogue des perruques, il photographie les femmes qu'il croise dans la rue ou lors des fêtes traditionnelles. Ojeikere utilise un appareil moyen format et des plans rapprochés pour faire ressortir la qualité sculpturale des coiffures. Il compile ainsi durant toute sa vie une archive de près de mille images. Au-delà de leur beauté plastique, ces coiffures offrent la vision d'une culture nigériane moderne qui se déploie depuis l'indépendance du pays en 1960.

Man Ray, Le masque de l'inconnue de la Seine (illustration pour Aurélien de Louis Aragon), 1966
Impression numérique
Centre Pompidou, Musee national d'art moderne, Paris Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2023
Source de fascination depuis la fin du 19e siècle, le masque mortuaire d'une jeune femme inconnue, prétendument noyée dans la Seine, fait l'objet d'un regain d'intérêt particulier pendant l'entre-deux-guerres. Ce masque, très largement diffusé par l'intermédiaire de multiples en plâtre, devient un véritable fétiche pour plusieurs photographes qui s'en emparent afin de créer des mises en scène. Albert Rudomine, par un jeu de surimpression, la transfigure en une autre noyée bien célèbre, Ophélie. Man Ray réinterprète également le moulage : vers 1960, il produit un nouveau plâtre, qu'il encadre d'un triangle de bois, avant de réaliser en 1966, à la demande de Louis Aragon, une série de photographies à l'occasion de la reédition d'Aurélien (1944). Dans une de celles-ci, Man Ray ouvre les yeux de la morte grâce à un inquiétant photomontage.

Man Ray
1890, Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis) - 1976, Paris (France)
Portrait [Dora Maar], 1936
Plume et encre sur papier Collection Marin Karmitz

Man Ray, Dora Maar, 1936
Durée: 58 sec
Projection numérique, images obtenues par l'inversion des valeurs des négatifs originaux Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Man Ray 2015 Trust/Adagp, Paris 2023
Production: Service de la production audiovisuelle Centre Pompidou-2023

En soi
Absorbées dans leurs pensées, rêveuses, contemplatives ou soucieuses, conscientes ou non d'être saisies par l'appareil, ces personnes existent au-delà de leur image. Effacé, le photographe semble n'être qu'un témoin impassible, extérieur aux instants et aux intériorités qu'il enregistre. Si ces prises de vue peuvent être spontanées, l'observation (celle du photographe et celle du regardeur) y paraît plus longue, plus posée, plus << picturale ». Certains photographes peuvent mettre en scène leur invisibilité par un dépouillement stylistique (frontalité, neutralité des tons, dispositif sériel...) ; d'autres, confessant une empathie absolue envers le sujet, privilégient un usage dramatique du cadrage et des jeux de clair-obscur. Ces images sont souvent celles de solitudes, d'états mélancoliques ou de corps en transe. Elles appellent un hors-champ inaccessible tant, chez le regardeur, le sentiment d'être étranger à la scène domine la lecture.

Valérie Jouve
1964, Firminy (France)
Sans titre n° 3, 1994
Épreuve chromogene
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Donation de la Caisse des dépôts et consignations, 2006
AM 2006 446
Valérie Jouve s'intéresse aux espaces urbains et péri-urbains, et à la manière dont les hommes et les femmes se les approprient, comme dans cette série de portraits pris dans les environs de Marseille. Les photographies ne portent pas de titre, afin d'accentuer l'espace trouble et indéfini qu'elles montrent. De même, l'identité des modèles demeure inconnue, seuls les vêtements et l'attitude nous disent quelque chose d'eux. Car c'est par la manière dont ces personnes occupent l'espace et le monde que leur singularité s'exprime. Les figures, tirées à une échelle quasi réelle pour établir un dialogue avec le spectateur, incarnent une forme de résistance face à un urbanisme normalisé et anonyme.

Chris Marker
1921, Neuilly-sur-Seine (France) - 2012, Paris (France)
Série Passengers, 2008-2010
Épreuves numériques couleur marouflées sur Sintra blanc Collection Marin Karmitz
Passengers est l'une des dernières séries photographiques du cinéaste, photographe et écrivain Chris Marker. L'attention portée à l'individu et à la mémoire est un fil rouge de son œuvre, à la croisée du documentaire et de l'expérimentation. Passengers s'inscrit dans le prolongement de Quelle heure est-elle ? (2004-2008), série de photographies réalisées à la dérobée dans les transports en commun à l'aide d'une montre munie d'une petite caméra. Ici, l'appareil photographique est dissimulé dans une paire de lunettes. Le dispositif expérimental est fondamental dans cet ensemble d'images en couleur réalisées à l'aveugle dans le métro parisien; l'appareil y est à la fois le prolongement du corps et l'outil révélateur de celui-ci.

Michael Ackerman
1967, Tel Aviv (Israël)
 Fiction, 1995-2000 
Autoportrait, de la série Half Life, 2003
 Sans titre, de la série Half Life, 2004
Épreuves gélatino-argentiques Collection Marin Karmitz
Extrêmement sombres et frappantes par leur contraste et leur aspect granuleux, les photographies de Michael Ackerman forment une œuvre totale, dans laquelle la figure humaine occupe une place centrale. Après End Time City (1999) puis Fiction (2001), la série Half Life, amorcée en 2001 et publiée en 2010, est le troisième grand projet du photographe. Cet ensemble hétéroclite d'images prises dans différents pays est exemplaire de la radicalité qui caractérise le style d'Ackerman. Les individus, comme torturés, semblent issus d'un univers fictionnel cauchemardesque, imperméable à tout référent réel. Michael Ackerman matérialise. par l'image photographique, l'inexorable repli sur soi des êtres face à la violence du monde.

Barbara Probst
1964, Munich (République fédérale allemande, actuelle Allemagne)
Exposure #9: N.Y.C., Grand Central Station, 12.18.01, 1:21 p.m., 2001
Épreuves jet d'encre
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 2010
AM 2010-107 (1-6)
L'œuvre photographique de Barbara Probst questionne la notion de perception, remettant en cause l'objectivité de l'image et sa valeur d'information. En 2000, elle met au point le système des «

W. Eugene Smith
1918, Wichita (Kansas, États-Unis) - 1978, Tucson (Arizona, États-Unis)
Jean Pierson, vers 1949
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz

Chris Marker
1921, Neuilly-sur-Seine (France)-2012, Paris (France)
Sun Eclipse, Paris (1999), 2008 [Eclipse de soleil, Paris (1999)]
(preuve gelatino-argentique contrecollée sur aluminium Collection Marin Karmitz

Lise Sarfati
1958, Oran (Algérie française, actuelle Algérie)
oh man.phg7_07, 2013, juillet 2013
Épreuve à jet d'encre pigmentaire
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat grâce au Groupe d'Acquisition pour la Photographie des Amis du Centre Pompidou, 2018
AM 2018-699
Réalisée en 2012-2013, la série Oh Man de Lise Sarfati reprend les codes du tableau photographique, à la croisée du portrait et de la mise en scène. L'artiste pose son trépied et son appareil dans les rues de Skid Row, quartier pauvre en plein cœur de Los Angeles où errent les passants, parfois marginaux ou sans domicile fixe. Sarfati patiente et capte le passage de silhouettes dans le quartier désert figé sous un soleil de plomb. Par un important travail sur la juste distance à adopter, la photographe s'attache à « créer un rapport ambigu entre l'homme et le paysage »>. Prises dans leurs pensées, arrêtées ou en mouvement, ces figures humaines semblent se mouvoir sans but dans un espace urbain laissé à l'abandon.

Christophe Bourguedieu
1961, Marrakech (Maroc)
Catherine, Perth, 2005, de la série Les Passagers (2004-2006)
Épreuve jet d'encre pigmentaire contrecollée sur aluminium
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat grâce au Groupe d'Acquisition pour la Photographie des Amis du Centre Pompidou, 2023
EC2023-2-PH68

Lee Friedlander
1934, Aberdeen (Washington, États-Unis)
Billie Holiday, 1957
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz
La grande diversité des sujets abordés par Lee Friedlander participe d'une œuvre composite, presque entièrement dédiée à la culture américaine. Le début de carrière du photographe est marqué par un très fort attrait pour le jazz. Au milieu des années 1950, il suit des musiciens dans leurs tournées et en studio et effectue sur commande des couvertures de disques. Âgé d'une vingtaine d'années, il réalise à cette époque et lors de la décennie suivante des portraits iconiques - qui comptent parmi ses rares photographies en couleur et d'autres. En 1957, Friedlander photographie la chanteuse de Duke Ellington, John Coltrane Billie Holiday en pleine performance, dans un portrait exemplaire des audaces formelles qui caractérisent sa pratique.

Richard Avedon
1923, New York (New York, États-Unis) - 2004, San Antonio (Texas, États-Unis)
Marian Anderson, Contralto, New York, 30 juin 1955
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz
Figure du monde de la presse - il collabore à Harper's Bazaar puis Vogue pendant plusieurs décennies - et grand portraitiste, Richard Avedon s'impose comme l'un des maîtres du genre et contribue à briser la frontière entre photographie de mode et champ artistique. En juin 1955, il photographie Marian Anderson, la première contralto africaine-américaine autorisée à se produire au New York Metropolitan Opera. Seize ans plus tôt, les « Filles de la Révolution Américaine » l'avaient empêchée de chanter à Washington, provoquant un scandale national. Publiée en novembre 1955, cette photographie a fait l'objet d'un recadrage « afin d'en faire une composition plus dynamique qui met l'accent sur la force et la vitalité du sujet», comme l'explique l'artiste.

Intérieur 
Foucault forge le terme d'« hétérotopie >> pour définir un lieu à part au sein d'une société, régi par des règles, des fonctionnements et des temporalités qui lui sont propres. Asiles psychiatriques, prisons, cimetières, musées, théâtres, cinémas, villages de vacances, lieux de culte... L'hétérotopie a des fonctions et des natures diverses: elle peut accueillir l'imaginaire, être espace de liberté comme de mise à l'écart. Elle révèle d'autres manières de vivre ensemble et de penser le monde. Pourquoi photographier ces lieux clos et autonomes ? Comment représenter ces corps collectifs, quel portrait réaliser de l'individu au cœur de ceux-ci ? Parfois, les photographes veillent à garder ce qu'ils estiment être une juste distance; certains participent entièrement à ce qu'ils enregistrent en partageant, souvent sur un temps long, la vie de ces autres. Leurs images dévoilent des sphères intimes, des corps contraints, des corps libérés, des dépendances mais aussi des lieux de contestations sociales et politiques. Toutes donnent une voix à des identités souvent condamnées à l'invisibilité par la société contemporaine.

Raymond Depardon
1942, Villefranche-sur-Saône (France)
San Clemente, 1978-1979
Épreuves gélatino-argentiques
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 2004
AM 2004-121; 123; 130; 138; 140; 141
L'œuvre de Raymond Depardon se distingue par l'entremêlement de sujets très divers, incluant reportages politiques, récits photographiques intimes ou encore projets de longue durée sur les communautés rurales. À partir de 1977, il photographie plusieurs hôpitaux psychiatriques en Italie. À San Clemente, près de Venise, il produit un travail au long cours sur les pensionnaires livrés à eux-mêmes, errant dans les couloirs de cet établissement quasi-carcéral. À l'image de ses séries sur les institutions judiciaires, San Clemente témoigne du vif intérêt de Depardon pour les lieux réputés impénétrables. L'artiste décrit en ces termes son intégration dans cette communauté : « Le photographe est là, il ressemble à un nouvel arrivant, à un nouveau pensionnaire. »

Anders Petersen
1944, Solna (Suède)
Sans titre, de la série Café Lehmitz, Hambourg, 1967-1970
Élève de Christer Strömholm, maître de la photographie suédoise, Anders Petersen noue avec son professeur une amitié qui - influencera durablement son travail. Encouragé par celui-ci, Petersen se rend en 1967 à Hambourg où il photographie l'intérieur du café Lehmitz, situé sur le port, non loin du quartier rouge. Ses images, réalisées sur une période de trois années, dévoilent les moments de joie et de désespoir, d'ivresse et d'excès des habitués du lieu. Fréquentant quotidiennement ces hommes et ces femmes - prostituées, proxénètes, ouvriers, visiteurs de passage -, Petersen pose sur ces corps un regard à la fois franc et tendre.

Christer Strömholm
1918, Stockholm (Suède) - 2002, Stockholm (Suède)
 Gina, de la série Les amies de Place Blanche,
vers 1960
Figure majeure de la photographie suédoise de l'après-guerre, Christer Strömholm a formé toute une génération de photographes suédois, dont Anders Petersen. Alors qu'il est étudiant aux Beaux-Arts à Paris, il entreprend une série photographique sur les travestis et la communauté transgenre de Pigalle. Il y relate le quotidien de ces figures marginales du Paris nocturne, à une période où l'homosexualité est encore largement stigmatisée. Les images de Strömholm, bien qu'empreintes d'une certaine mélancolie, exaltent la liberté de ces prostituées vivant en dehors des normes établies, y compris dans leurs moments les plus intimes.

Hiroji Kubota
1939, Tokyo (Japon)
Black Panthers, Chicago, 1968-1969
Eprouve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Don du Jeu de Paume, avec le soutien de Magnum, 2013. Ancienne collection du Centre National de la Photographie
AM 2014-174
Le photographe Hiroji Kubota arrive aux États-Unis en 1962 après avoir fait la rencontre de membres de l'agence Magnum à Tokyo l'année précédente. En 1968-1969, il documente les activités du Black Panther Party, notamment à Chicago où il vit alors. Ce mouvement radical de lutte pour les droits des populations afro-américaines fondé à l'automne 1966 est très actif à la fin de la décennie. D'origine étrangère, Kubota parvient à gagner la confiance de ses membres, et photographie ainsi leurs réunions, rassemblements et actions. Cette image de militants levant le poing face à l'imposante verticalité de l'horizon urbain de Chicago demeure l'une des plus emblématiques du mouvement des droits civiques.

Gordon Parks
1912, Fort Scott (Kansas, États-Unis) - 2006, New York (New York, États-Unis)
Ethel Sharrieff in Chicago, de la série Black Muslims, 1963
[Ethel Sharrieff à Chicago], de la série [Musulmans noirs]
Épreuve gélatino-argentique Collection Marin Karmitz
En 1942, le photographe afro-américain Gordon Parks travaille pour la section photographique de la Farm Security Administration. Photographe indépendant, il devient rapidement une référence du photojournalisme et collabore notamment à Life. Il réalise pour ce magazine d'iconiques portraits des leaders du mouvement des droits civiques, comme Martin Luther King et Malcolm X. Son engagement en faveur des plus marginalisés est centrale dans son ceuvre. Grâce à ses reportages, Parks s'immerge dans la vie de certaines communautés et devient un témoin crucial de la condition des noirs aux États-Unis ; sa collaboration avec l'écrivain Ralph Ellison autour de son roman Invisible Man (1952) et son article sur la famille Fontenelle à Harlem en 1967 en sont deux exemples majeurs.

Gilles Caron
1939, Neuilly-sur-Seine (France) - 1970, Cambodge
Étudiant pourchassé par un CRS, rue du
Vieux-Colombier, Paris, 
nuit du 6 mai 1968
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 2009
AM 2009-147
Tragiquement disparu au Cambodge à l'âge de 31 ans, Gilles Caron a été l'un des photojournalistes les plus actifs des années 1960. En l'espace de quelques années, il couvre pour l'agence Gamma les principaux conflits mondiaux. Plus encore, il figure dans la mémoire collective parmi les grands photographes de Mai 68. Au cœur des événements, Caron photographie certaines scènes éloquentes de la révolte étudiante et ouvrière qui secoue alors la France. Sa manière de capter la théâtralité quasi-chorégraphique des combats et heurts dans Paris annonce l'avènement d'un photojournalisme nouveau, plus introspectif et conscient de la singularité de son pouvoir de représentation.

 
Janine Niépce
1921, Meudon (France) - 2007, Paris (France)
4 Défilé CGT. La jeune fille au drapeau, place de la Bastille, Paris, 1er mai 1968
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Madame Hélène Jaeger-Defaix, 2017
AM 2017-126
Janine Niépce participe à la Libération de Paris en 1944 en tant qu'agente de liaison chargée de développer les films. Au lendemain de la guerre, elle est l'une des rares femmes à s'engager dans le métier de photo-reporter. Niépce sonde ainsi les mutations de la société française pendant les Trente Glorieuses, s'intéressant particulièrement à la question ouvrière et aux droits des femmes. En mai 1968, elle se mêle à la foule, habillée en touriste étrangère, afin de photographier de l'intérieur l'énergie du mouvement. La jeune fille au drapeau, photographiée place de la Bastille à Paris, constitue aujourd'hui l'une des images les plus emblématiques des insurrections.

Helga Paris
1938, Goleniów (Allemagne, actuelle Pologne)
Sans titres, de la série Frauen im Bekleidungswerk Treff-Modelle, 1984
De la série [Femmes dans l'usine de vêtements Treff-Modelle]
Épreuves gélatino-argentiques
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Don de Marin Karmitz, 2023
EC2023-2-PH37 (1-28)
Helga Paris réalise ses premières photographies en autodidacte dans les années 1960 dans son quartier de Prenzlauer Berg, à Berlin-Est. Le genre du portrait occupe une place de premier plan dans son œuvre. Engageant une relation intime avec ses sujets, passants ou ouvriers anonymes, Paris compose une archive visuelle du monde qui l'entoure alors. En 1984, elle photographie les ouvrières de la VEB Treffmodelle Berlin, une usine de confection de vêtements dans laquelle elle a brièvement travaillé lorsqu'elle était encore étudiante. Sa connaissance du lieu, de son fonctionnement et de ses employées lui permet de tisser une relation de familiarité avec ses modèles. Paris privilégie une approche spontanée, évitant ainsi l'artificialité d'un portrait posé

Détail d'un des portraits précédents
Détail d'un des portraits précédents

Birgit Jürgenssen
1949, Vienne (Autriche) - 2003, Vienne (Autriche)
Ich möchte hier raus!, 1976 [Je veux sortir d'ici !]
Épreuve gélatino-argentique
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris Achat, 2010
AM 2010-213
Dès les années 1970, Birgit Jürgenssen, l'une des figures les plus importantes de l'avant-garde féministe, travaille à subvertir les stéréotypes sexistes. Elle se met souvent en scène pour détourner de façon ironique la place des femmes dans la société. Dans Ich möchte hier raus! [Je veux sortir d'ici !], l'artiste vêtue d'un tablier presse son visage et ses mains contre une vitre, comme si elle voulait la traverser. Avec son regard inquiet et interrogateur plongé dans notre direction, Jürgenssen dénonce l'enfermement de la femme dans le carcan du foyer.

Spectres
Dissimulation des corps, enregistrements de reflets, utilisation du flou, recours au photomontage..., ces procédés, aussi divers soient-ils, mettent tous en scène une forme de disparition. Si l'image enregistre, fixe et donne à voir des identités, celles-ci paraissent dissolues et indéterminées, telles des fantômes. Les particularités individuelles s'effacent au profit d'une anatomie collective indéfinie et d'un « fluide » intangible : le corps devient matière anonyme. Faire une image de ces mutations implique un rapport au réel et au photographique plus incertain. Ce qui importe n'est plus de capter l'instant, mais de donner à voir l'expérience d'une transition: la lumière, l'ombre et le cadre perdent leurs fonctions traditionnelles; ils sont utilisés ici pour souligner un passage. Chacune à leur manière, ces photographies montrent comment la conception de la figure humaine se transforme au contact des autres, des événements historiques et contemporains, parfois traumatiques. Si elles témoignent souvent d'une violence à l'égard du corps, elles peuvent aussi accompagner sa possible renaissance.

Chris Marker
1921, Neuilly-sur-Seine (France) - 2012, Paris (France)
Crush-Art #11, 2009 Crush-Art #15, 2009 Crush-Art #2, 2009
de la série Crush-Art, 2003-2008
Épreuves photographiques marouflées sur Sintra noir Collection Marin Karmitz

Détail d'un des tableaux précédents 

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