vendredi 27 octobre 2023

Theophile-Alexandre Steinlen au musée de Montmartre en octobre 2023

Comme toujours une belle présentation bien documentée de ce sympathique musée dont le dernier étage des collections permanentes vient d'être rénové. 
Voici un compte-rendu de cet hommage à cet artiste engagé :

L'EXPOSITION DU CENTENAIRE
À l'occasion du centenaire de sa mort, le Musée de Montmartre rend hommage à Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), artiste inclassable et protéiformeu, qui, entre dessin, gravure, peinture et sculpture, n'appartient qu'à une seule école: celle de la liberté.
Originaire de Lausanne, en Suisse, Steinlen s'établit dès son arrivée à Paris en 1881 dans le quartier de Montmartre qu'il habite et arpente sans relâche jusqu'à sa mort en 1923. En signant l'affiche iconique La Tournée du Chat Noir, il est associé au Montmartre bohème et anarchiste de la fin du XIXe siècle, et considéré comme l'un des plus fidèles témoins de l'histoire et de l'atmosphère de la Butte. Il y trouve son principal sujet : le peuple de la rue.
Un fil conducteur se détache au sein de sa production extrêmement prolifique : celui de l'engagement, tant l'artiste a associé art et politique, en se faisant témoin critique de son temps. Steinlen se fait le porte-parole du peuple, des marginaux et des laissés-pour-compte et n'a de cesse d'utiliser son crayon pour faire valoir lesrevendications politiques et sociales de son temps en vue d'une société égalitaire. Porté par des idées de justice et de liberté universelles, l'artiste rêve un monde meilleur et espère l'avènement d'une société nouvelle.
Théophile-Alexandre Steinlen, l'exposition du centenaire met en lumière l'œuvre essentiellement engagé, humaniste et plein d'espoir d'un artiste qui croit en la mission sociale et politique de l'art.

La Tournée du cabaret
Le Chat Noir
1896
Lithographie en couleur Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre
MONTMARTRE ET LE CHAT NOIR
Dès son arrivée à Paris en 1881, Steinlen s'établit à Montmartre. Il y découvre la vie artistique et de bohème de la Butte. Le peintre Adolphe Willette, avec qui il reste ami toute sa vie, lui fait découvrir les hauts-lieux
du quartier, et notamment ses fameux cafés et cabarets. Parmi eux,
il fréquente assidûment Le Chat Noir où il collabore avec des personnalités artistiques diverses: Henri Rivière, George Auriol, Jehan Rictus, Camille
de Sainte-Croix... Acteur majeur de ce cercle aux tendances anarchistes, Steinlen devient l'un des dessinateurs les plus actifs de la revue
Le Chat Noir et livre des œuvres de grand décor pour le lieu - notamment son allégorique Apothéose des Chats (1885).
À travers des œuvres restituant l'ambiance des lieux, il contribue
à véhiculer l'« esprit montmartrois » caractérisé par l'humour
et l'anticonformisme. Il y forge également les idées artistiques et sociales
qui fondent son œuvre: refus des hiérarchies entre les techniques
et les sujets, liberté créatrice et égalité universelles.

Rue Norvins
1905-1910
Huile sur toile
Collection Le Vieux Montmartre
Paris, musée de Montmartre
Don de Timothy Hanford & J. J. MacNab, 2022

LES CHATS
Dès ses débuts artistiques, Steinlen ne cesse de représenter l'animal auquel il est encore associé aujourd'hui: le chat. Il dessine, peint
ou sculpte des chats de toutes sortes et dans toutes leurs attitudes ; il joue du symbolisme attribué à l'animal, emblème de la bohème artistique et créature associée à la sorcellerie. À travers ses représentations, toujours naturalistes, Steinlen revalorise la figure du chat et brouille les frontières entre homme et animal. Les chats sont mis en scène dans des histoires burlesques à la fin souvent tragique. L'artiste renverse les hiérarchies: [Les bêtes] ne valent-elles pas mieux que les gens ?»>.

Frise de chats et de lunes, en quatre fragments encadrés séparément
Vers 1885
Huile sur toile de jute
Dépôt de la collection David E. Weisman & Jacqueline E. Michel
Paris, musée de Montmartre

Le Chat noir Gaudeamus
1885-1890
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 1559

L'Apothéose des chats
Vers 1885
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 15887
Dans ce tableau, Steinlen met en scène un sabbat burlesque, où la vénération du chat noir a remplacé la vénération de Satan et où les chats se passent de sorcières - à moins qu'ils n'en soient l'incarnation, d'après la vieille légende selon laquelle les sorcières se transformaient en chats la nuit. Le peuple de chats semble fomenter la révolution depuis les toits de Montmartre. Ils sont menés par leur idole dont la silhouette se détache sur la pleine lune, telle la figure d'un saint entouré de son nimbe de gloire.
Comment l'amour vient aux chats, par Steinlen
Histoire d'un Chat, d'un Chien et d'une Pie, par Steinlen.

Horrible fin d'un Poisson rouge, par Steinlen
Histoire de Maigriou et de Blanchet, par Steinlen.
Un Vol, par Steinlen.

Chat
Non daté
Huile sur toile
Collection Philippe Bismuth

Les Chats
1910
Pochoir sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 10790

Chat regardant l'extrémité de ses pattes
Chat abyssin assis
Statuettes en bronze, non datées Paris, musée d'Orsay, RF 2961 RF 2955, RE 2957 Legs Colette Desormière-Steinlen, 1973

Chat couché sur le sol
Statuette en bronze, non datées Paris, musée d'Orsay, RF 2961 RF 2955, RE 2957 Legs Colette Desormière-Steinlen

La Clinique Chéron
Vers 1905
Lithographie, épreuve avant la lettre pour une affiche
Collection Le Vieux Montmartre
Paris, musée de Montmartre, R.001.663
Au tournant des deux siècles, les avancées des techniques et des procédés de reproduction favorisent le développement des affiches, qui prolifèrent dans les rues de Paris et deviennent ainsi un nouveau débouché pour les artistes. Steinlen répond à des commandes variées en ce domaine pour lequel il adopte une esthétique moderne reposant sur des lignes souples et spontanées, de vifs aplats colorés et une perspective étagée. Dans cette affiche réalisée pour une clinique vétérinaire Steinlen prend pour modèle sa fille Colette et répond ainsi au goût populaire contemporain pour les représentations d'enfants

Rochefort se meurt!
Couverture de La Feuille, n°14, 16 juin 1898
Arguments frappants
Couverture de La Feuille, n°6, 21 janvier 1898
Photogravures typographiques sur papier Collection Le Vieux Montmartre
Paris, Musée de Montmartre
À partir des années 1890, Steinlen travaille étroitement avec Zo d'Axa, journaliste libertaire, qui fonde en 1897 le journal La Feuille. Pour plusieurs numéros, Steinlen livre des illustrations pour accompagner les pamphlets signés par d'Axa. Ils réagissent à l'actualité vibrante et dénoncent les abus militaires, l'exploitation de la bourgeoisie et la corruption politique. Dans « Arguments frappants », il défend Émile Zola, symbolisé par un homme à terre lynché par une foule, alors que l'écrivain subit un acharnement public des anti-dreyfusards après la publication de son article "J'accuse », prenant ainsi position dans l'affaire.
Rochefort est mort !
Couverture de La Feuille, n°14,
 16 juin 1898
Arguments frappants

Dans la rue
Couverture du Mirliton, cinquième annee 9 juin n°61 9 juin 1983

Les Quatt'pattes
Couverture du Mirliton, neuvième année, n° 113, décembre 1889
Photogravures typographiques en couleurs Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre

Fin d'idylle
1895
Couverture du Gil Blas illustré, cinquième année, n° 22, 2 juin 1895
Photogravure typographique en couleurs

À la goutt'd'or
1894
Illustration de la chanson éponyme d'Aristide Bruant, reproduite dans Gil Blas illustré, quatrième année, n° 10, 11 mars 1894 Chromolithographie sur papier
Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre

Sur les toits, des chats écoutent une fée jouer de la lyre nue
1897
Illustration pour Contre les Chiens,
nouvelle d'Alphonse Allais, parue dans Gil Blas illustré, septième année, n° 27, 2 juillet 1897
Dessin inséré sur une planche montée sur onglet
dans un album de croquis, dessins et aquarelles, 1890-1899
Crayon gras, crayon de couleurs et rehauts d'encre
de Chine sur papier épais crème
Paris, Musée d'Orsay, RF.MO.AG.2019.11.31

Le Mirliton
1893
Étude pour l'illustration de la chanson éponyme d'Aristide Bruant, parue en couverture la couverture du Mirliton, neuvième année, n° 111, 26 mai 1893 Plume d'encre noire et crayon gras noir et bleu sur papier
Collage de deux vignettes topographiques Collection particulière
Charrettes de foins
1896
Étude pour l'illustration de la nouvelle
de René Mazeroy, parue dans Gil Blas illustré, sixième année, n° 37, 11 septembre 1896 Fusain et aquarelle sur papier Collection particulière

Fumisterie sentimentale
1894
Étude pour l'illustration de la chanson éponyme de L. Xanrof, parue dans Gil Blas illustré, quatrième année, n° 15, 15 avril 1894
Fusain et aquarelle sur papier
Collection particulière

Le Printemps va venir
1894
Étude pour l'illustration de la chanson éponyme de Sutter-Lauman, parue dans Gil Blas illustré quatrième année, n° 13, 1er avril 1894 Crayon et crayons de couleur sur papier Collection particulière.

Alle avait pu ses dix-huit ans
1891
Étude pour l'illustration de la chanson À Montparnasse d'Aristide Bruant, parue dans Gil Blas illustré, nº 18, 25 octobre 1891 Encre et crayons sur papier Collection JM & YL

À Montrouge
Étude pour l'illustration de la chanson éponyme d'Aristide Bruant, parue dans Gil Blas illustré, vers 1895
Crayon et encre sur papier Collection particulière

Chansons de Femmes, Paris, Enoch et Ollendorf
1896
Paul Delmet (auteur), Théophile-Alexandre Steinlen (illustrateur) Collection Jouhet.

Cantilènes du Malheur, Paris, Sevin & Rey
1902
Jehan Rictus (auteur),
Théophile-Alexandre Steinlen (illustrateur)
Ouvrage dédicacé à Eugène Delâtre Collection Jouhet

ILLUSTRATIONS
DE PRESSE
Steinlen compte parmi les dessinateurs de presse les plus prolifiques de la fin du XIXe siècle. Dans le contexte de l'essor des périodiques illustrés entrainé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il gagne principalement sa vie comme illustrateur. Au cours de sa carrière, il exécute des dessins pour une vingtaine de revues françaises et internationales. Il laisse ainsi plusieurs milliers de dessins ; pour le seul Gil Blas illustré, entre 1891 et 1900, il en réalise 703. Il est le principal illustrateur du Mirliton, journal associé au cabaret fondé par Aristide Bruant. Entraîné dans les faubourgs par ce dernier, Steinlen met en scène le peuple des rues mais aussi la société de spectacles du XIXe siècle, sur un ton humoristique, ironique et parfois grave.

LE PORTE-VOIX DU PEUPLE
Méfiant envers toutes les chapelles, Steinlen croit en la mission sociale et politique de l'art, comme voie et voix vers un monde meilleur. Tout au long de sa carrière, il s'engage au service du peuple. Son arme est son crayon: il l'utilise pour railler et dénoncer les pouvoirs politiques, religieux et bourgeois, considérés comme les tyrans modernes. À travers des oeuvres allégoriques de la Révolution populaire - Le Cri du Peuple (1903) et Le Petit Sou (vers 1900) - ou des compositions naturalistes, Steinlen dénonce la misère sociale, les conditions de vie du petit peuple et toutes les formes d'oppression.

Le 14 juillet 1895
1895
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 8800
Avec cette œuvre, Steinlen montre plus qu'une simple célébration de la fête nationale française. À travers les coloris contrastés, la ferveur et la cohésion du groupe du premier plan, il évoque la colère et la révolte populaires qui montent et réalise une œuvre au message social subtil et ambivalent.

Le Petit Sou
Vers 1900
Affiche lithographique Collection Michel Dixmier

Le Cri des opprimés ou La Libératrice
1903
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 14712
Dans une composition allégorique héritée de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, Steinlen met en scène la libération du peuple, dont toutes les générations sont représentées au sein d'une foule anonyme. En arrière-plan, l'artiste évoque les anciens tyrans - militaires, bourgeois et religieux - qui défendent la citadelle inspirée de la basilique du Sacré-Cœur et du Veau d'or. A plusieurs reprises dans ses ceuvres, Steinlen utilise ce symbole pour dénoncer la cupidité et l'idolâtrie des élites contemporaines.

La Commune
1885
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais

Maxime Gorki de face
1905
Lithographie, premier état Collection Timothy Hanford & J. J. MacNab

Les Drapeaux rouges
Vers 1902 (?) Pastel sur papier Collection JM & YL

La Vision de Paris
Vers 1898
Peinture en grisaille sur toile Paris, musée d'Orsay, RF 1970 75 Legs Colette Desormière-Steinlen, 1973
Steinlen connait bien l'œuvre de Zola et est influencé par ses pensées. La Vision de Paris est une esquisse pour l'affiche annonçant le roman Paris de Zola paru en feuilletons dans Le Journal vers 1898. L'ouvrage de Zola évoque les attentats anarchistes des années 1892-1894. Dans cette peinture, Steinlen met en scène la montée de la révolte populaire à travers une masse grouillante de corps anonymes qui déferle sur le Sacré-Coeur, perçu comme symbole de la répression et de la corruption des pouvoirs politiques de la Troisième République.

DANS LA RUE
Dans la lignée des artistes réalistes, tels que Daumier, Grandville ou Balzac, Steinlen réalise une véritable typologie des travailleurs. Paysans,
blanchisseuses, porteuses de pain, terrassiers, charretiers, mineurs, trieuses de charbon... sont représentés avec vérité dans leur milieu de manière naturaliste et synthétique. Marqué dès sa jeunesse par les idées de Zola, l'artiste se rend sur le terrain pour y prendre des notes et mieux saisir les physionomies, attitudes et habitudes des travailleurs dans leur milieu. Il visite ainsi les mines de Courrières en 1906, lors du drame qui conduit plus d'un millier de mineurs à la mort, pour observer les travailleurs. Il se fait le témoin de la vie populaire contemporaine.

La Porteuse de pain
1895
Pastel sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 4309

La Fille du faubourg
Non daté
Pastel sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 15103

Hiver
1892
Illustration du poème éponyme de Raoul Ponchon, dessin original pour Gil Blas illustré, deuxième année, n° 11, 13 mars 1892
Encre sur papier
Collection Timothy Hanford & J. J. MacNab.

Groupe de femmes
embrassant un chat, Les Blanchisseuses
Non daté
Chromolithographie sur papier Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre.

Aujourd'hui
Lithographie reproduite en couverture du Chambard socialiste, n° 16, 31 mars 1894 Chromolithographie sur papier, avant la lettre Collection Le Vieux Montmartre
Paris, musée de Montmartre
Demain
Lithographie reproduite en couverture du Chambard socialiste, n° 17, 7 avril 1894 Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 12014
Entre 1893 et 1894, Steinlen livre une centaine d'illustrations pour Le Chambard socialiste, journal aux idées de gauche radicale. Steinlen les signe sous le pseudonyme « Petit Pierre », à la fois traduction littérale de son patronyme allemand et référence symbolique aux pavés jetés par les révoltés. Parues en couverture, Aujourd'hui et Demain sont à comprendre comme deux chapitres d'une histoire de la libération ouvrière. Une famille de paysans tire une charrue sous le regard satisfait d'un bourgeois. À l'horizon, les fumées noires d'une usine évoquent l'alternative qui s'offre aux travailleurs: quitter la campagne pour la ville et rallier les rangs de la main d'oeuvre ouvrière. Demain est une réponse à la tension suggérée par Aujourd'hui: le paysan et l'ouvrier se sont alliés et enterrent le bourgeois qui tirait profit d'eux. Ils mettent ainsi fin à l'exploitation des trois générations ici représentées.

Les Terrassiers revenant de leur travail
1903
Huile sur toile
Collection particulière.

Les Maisons en construction (maçons creusois)
1905
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 8352

Les Charretiers
1900
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 2074

Les Trieuses de charbon
1905
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 1970 7 Legs Colette Desormière-Steinlen, 1973
Les Mineurs
1903
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 1146
Des trieuses de charbon et des mineurs luttent contre le vent dans un univers hostile rendu
dans un camaïeu de couleurs sombres. Dans cette ambiance obscure, l'artiste évoque la dureté des conditions de travail et établit le type des
ouvriers de la mine, figure emblématique de la lutte prolétarienne et sujet particulièrement traité
à partir de la seconde moitié du XIX siècle, notamment par Zola dans Germinal paru en 1885.

LA FEMME SANS NOM
Parmi les métiers de la rue représentés par Steinlen, la prostitution est un sujet prédominant. La multiplicité et l'ambiguïté du statut de ces « femmes sans nom» ont fait d'elles un sujet de prédilection des écrivains et artistes dans la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècles. Steinlen porte principalement son intérêt sur les femmes des bas-fonds, dont le statut est sans mystère comme La Pierreuse, mais aussi sur les promeneuses, les midinettes et les trottins qu'il associe par des détails discrets à l'univers de la prostitution ou de la galanterie. S'il montre ces femmes de façon stéréotypée proche d'un «type»>, il adopte à d'autres occasions un point de vue documentaire pour rapporter leur déchéance et leurs dures conditions de vie. Sortant du fantasme et privilégiant un regard social, Steinlen relate ainsi la violente répression subie par ces femmes, de la rafle à leur emprisonnement à la prison de Saint-Lazare. Il visite la prison en 1895 et y réalise, à travers ses dessins, un véritable reportage.

 La Pierreuse
1899
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 1970 6
Legs Colette Desormière-Steinlen, 1973

Les Deux Parisiennes
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV.7854

La Bourrasque
(Pauvresse sur la route) -
Le Prolétariat de l'amour
1900
Fusain et pastel sur papier Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 4304

Saint-Lazare
par
JACQUES DYSSORD
CE cauchemar va disparaître.
Sur l'emplacement de Saint-Lazare, de sinistre mémoire, les fils de la prévoyante Auvergne vont, paraît-il, bâtir leur maison.
Le bougnat du coin soupçonnera-t-il, un seul instant, que ce fut ici que la grande Clara apprit la mort de son homme
Dédé-les-beaux-tifs ?
Avant de se rendre au travail, elle venait, tous les midis, boire le coup avec ses copines, Muguette la blonde aux che-veux oxygénés, et la grosse Rubis à qui coûtait cher un enfant en nourrice.
Son travail c'était rue Laferrière, au 3. Une maison qui avait une clientèle fidèle et, grâce aux interprètes, un im-portant casuel.
Le ciment armé réussira-t-il à exor-ciser la lugubre prison du Faubourg Saint-Denis des larves qui la hantent? Je me plais à le souhaiter aux compatriotes de Pascal qui portent, en même temps, dans leurs veines, le sang de l'auteur du Disciple et de celui des Déracinés. Leur esprit positif ne passe point, malgré ces illustres exemples, pour avoir le goût des fantômes.

À Saint-Lazare
Illustration de la chanson éponyme d'Aristide Bruant, parue dans Gil Blas illustré, première année, n° 7, 9 août 1891
Photogravure typographique en couleurs Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre
Steinlen et la rue Saint-Lazare, Paris, Eugène Rey
1930
George Auriol, James Dyssord (auteurs), Théophile-Alexandre Steinlen (illustrateur) Collection Le Vieux Montmartre
Paris, musée de Montmartre
Don de Timothy Hanford & J. J. MacNab, 2022

La Rafle
Illustration de la nouvelle éponyme de R. Marzac, parue en couverture du Gil Blas illustré, première année, n° 24, 6 décembre 1891
Photogravure typographique en couleurs Collection Le Vieux Montmartre
Paris, musée de Montmartre

La Rentrée du soir
1897
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 10140

Le Baiser
1895-1908
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 1970 3 Legs Colette Desormière-Steinlen, 1973
Les rapports entre les sexes et les genres sont omniprésents dans l'œuvre de Steinlen, à travers la représentation de la prostitution mais aussi avec les thèmes de la séduction, de la galanterie et des amoureux. Il s'intéresse notamment au motif du baiser dans une série d'œuvres où il montre des couples qui s'embrassent dans les rues nocturnes. Le décor sombre et angoissant donne aux idylles un aspect de mélodrame. La présence énigmatique d'un voyeur, qui évoque les prédateurs masculins guettant les promeneuses et les midinettes, ajoute à la dimension théâtrale de ces baisers. Steinlen développe avec ces œuvres une réflexion sur la place et les rapports des hommes et des femmes dans la société de la Belle Époque.


Arrivé à Paris en 1881, Steinlen s'installe durablement à Montmartre. Toujours fidèle à ce quartier, il y trouve les sujets de ses œuvres et aime se mêler à sa population ouvrière et bohème. Mais, en homme casanier, c'est avant tout au milieu des chats qu'il vit. Dès 1883, son logement de la rue des Abbesses est assailli par les félins.
En 1894, Steinlen déménage avec sa famille au 58, rue Caulaincourt, dans une maison cossue avec jardin et y installe son atelier au rez-de-chaussée. Bien vite, le logement prend des allures de véritable ménagerie occupée par des pigeons, des paons, un singe et même un crocodile appelé Gustave. Une quinzaine de chats errants de toutes races campent également dans les lieux. Steinlen vit, dessine et peint entouré de ces félins, qu'il prend volontiers pour modèles. Sa passion pour cet animal est d'ailleurs à l'origine du surnom donné à cette maison: The Cat's Cottage ou The Cat's Villa.
Deux ans plus tard, Steinlen déménage au 73, rue Caulaincourt. Des travaux d'aménagement y sont réalisés pendant plus de 10 ans, ce qui conduit l'artiste à louer en parallèle l'ancien atelier
de Toulouse-Lautrec au 21, rue Caulaincourt. Il quitte temporairement Montmartre entre 1906 et 1909 pour le quartier des Ternes dans le XVIIe arrondissement. S'ennuyant profondément loin de la Butte, il retourne finalement s'installer au 73, rue Caulaincourt, où il vit jusqu'à sa mort en 1923.

L'Idée en marche
Illustration pour le programme de la soirée du 20 mai 1899, organisée en l'honneur du sixième anniversaire de la fondation
du Groupe des étudiants collectivistes de Paris
1899
Lithographie sur papier
Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre
Réalisée pour un groupe de jeunes militants socialistes, cette œuvre témoigne du détournement de l'iconographie religieuse par Steinlen et de son approche naturaliste. Si cette scène reprend les codes traditionnels de la représentation des prophètes ou des apôtres, Steinlen incarne les idées de justice et d'égalité, portées alors par les mouvements de gauche. Souvent dépeint comme l'artiste des rues et de l'instantané, Steinlen laisse des centaines d'études pour ses oeuvres. Ces esquisses visaient surtout à travailler les figures. d'abord nues, puis habillées, afin de camper leur position, dans une méthode qui n'est pas sans lien avec l'académisme.

L'Intrus
1902
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 3590
Steinlen écrit sur L'Intrus à son acheteur
Monsieur Heidé le 20 mars 1905: «J'ai tenu à faire comprendre d'un coup d'œil la discordance absolue qui existe entre l'Église actuelle et l'évangélisme initial. J'ai mis en face l'un de l'autre « un prince de l'Église » crossé, mitré et doré avec son entourage de bedeaux, prêtres, sacristains, suisse (image du «bras séculier ») et, accompagné de ceux qu'il aimait - les pauvres, les déshérités, les enfants -, Celui qui n'avait pas une pierre pour reposer sa tête et qui serait considéré comme un intrus (c'est le titre que j'ai donné au tableau) par les marchands du temple contemporains. »

Détail du tableau précédent

L'Apôtre
1902
Huile sur toile
Genève,
Association des Amis du Petit Palais

La Famille
Vers 1905
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 3543
Par son sujet, son traitement et sa composition triangulaire, ce tableau est une transposition du motif de la Sainte Famille, hérité de la Renaissance, à une famille de prolétaires contemporains. Le père est un ouvrier comme l'indique son pic de mineur; la mère évoque la Vierge ou Ève; l'enfant
est présenté par ses parents comme une offrande. Peinte pendant les années de grandes grèves cette œuvre symbolise les espoirs pour un monde nouveau, en lien avec les utopies anarchistes de renouvellement de la société.

PAYSAGE
Part moins connue de sa production, Steinlen pratique pourtant le genre du paysage tout au long de sa carrière. Dans des compositions aux couleurs souvent sombres et à l'horizon dessiné haut - comme dans les estampes japonaises -, il donne une vision poétique de la campagne, souvent isolée et inoccupée, image d'un ailleurs désiré. Seul un vagabond, figure particulièrement symbolique pour Steinlen et à laquelle il est souvent comparé, arpente parfois ces paysages déserts. Vagabonds, migrants, travailleurs saisonniers sur les chemins apparaissent comme des doubles de l'artiste, marginal en quête d'une terre promise. Les personnages errants, minuscules dans l'immensité de la nature, sont aussi une métaphore de la finitude et la condition humaine.
Vue de Belmont près de Lausanne, paysage automnal
Vers 1913 (?) Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay, RF 1970 11 Legs Colette Desormière-Steinlen, 1973

Arbre et personnage
Non daté
Encre sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 2066

Homme marchant dans une forêt
Non daté
Encre sur papier
Collection particulière

Belmont, près de Lausanne
1919
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 8869

En chemin
Non daté
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 14842

LA GUERRE
Dès 1914, Steinlen se rend aux environs de Soissons pour documenter la guerre, sur le terrain. L'année suivante, il va dans les tranchées de la Somme, au plus près des combats. En 1917, il obtient l'autorisation de dessiner à Châlons-en-Champagne, dans le cadre des Missions artistiques aux armées. Il réalise des centaines d'œuvres - dessins, lithographies, eaux-fortes et peintures - qui dénoncent la violence de la Grande Guerre. Malgré sa présence en reporter et témoin auprès des soldats, il s'intéresse davantage aux conséquences du conflit
sur la population civile: la mobilisation, l'attente, l'exode, le deuil. Il montre les souffrances du peuple en prise avec une guerre absurde qui brise les espoirs vers une société nouvelle et meilleure. Dans la lignée de Goya, il représente, surtout de manière graphique, les désastres de la guerre. Son réalisme a une portée universelle.

La Gloire
1915
Lithographie
Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre

Les Camarades
1916
Lithographie
Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre

Les Convalescents devant la plaine
1915
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV.12220

Journée des régions libérées
1919
Affiche lithographique entoilée Collection Le Vieux Montmartre Paris, musée de Montmartre

L'Exode
1915
Aquarelle sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 8702

LE NU
Avec le genre académique du nu, qu'il pratique tout au long de sa carrière, Steinlen quitte la rue et présente des scènes d'intimité, rares chez l'artiste. Toutefois, le statut de ces femmes souvent anonymes affairées à leur toilette est encore trouble dans cette série. Comme Edgar Degas, Suzanne Valadon et Henri de Toulouse-Lautrec entre autres, Steinlen ne cherche pas à idéaliser ses modèles et montre la nudité de manière réaliste, dans toute sa crudité. Il reprend les motifs consacrés des femmes plus dénudées que nues ou à leur toilette, avec les bas et le tub, associés à l'univers de la prostitution. La sensualité de ces nus est renforcée par les lignes souples et les formes synthétiques, caractéristiques du style graphique de l'artiste.
Dans plusieurs compositions et notamment à la fin de sa carrière, Steinlen adopte un style plus classique notamment dans sa série des baigneuses. Reprenant l'iconographie traditionnelle des femmes aux bains inscrites dans une nature foisonnante et la problématique plastique de l'inscription des nus dans le paysage, il représente ici une Arcadie. Cette vision qui mêle les nus contemporains aux souvenirs classiques rejoint un leitmotiv de la peinture contemporaine, de Cézanne à Renoir.

Femme à sa toilette
1894
Pastel sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 1202

Nu assis au bord du lit
1913
Fusain et pastel sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 8902

Nu couché aux bas noirs
1908
Pastel sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 9409

Nu de dos assis, bras droit
sur le genou
1905
Fusain et pastel sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 2072

Les Baigneuses
Non daté
Encre sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV.7807
Dans les dernières années de sa vie, Steinlen réalise une série de baigneuses. D'après George Auriol, Steinlen préparait l'illustration d'un livre à ce sujet, Nus et Baignades, laissé inachevé à son décès et jamais publié. Steinlen ne se cantonne ni à un style ni à une technique. Parfois, il se fait l'héritier des Nabís en privilégiant une perspective étagée, des formes synthétiques et des jeux graphiques par lesquels corps et végétation fusionnent. Après la guerre, son style connaît une inflexion classique, tout en conservant sa ligne vibrante et synthétique. Il dialogue avec les maîtres en reprenant le thème classique des Vénus au bain qu'il modernise.

La Toilette du matin
1900
Crayon sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 15999
Steinlen dessine et peint un grand nombre de nus, se mesurant à un genre central dans l'histoire de l'art occidental. Ses nus sont naturalistes: ce sont des femmes contemporaines dénudées et non des figures idéalisées par un contexte mythologique. Dans La Toilette du matin,
une femme nue se penche en s'essuyant les pieds après le bain, L'œuvre est proche des nus au tub de Degas, de Toulouse-Lautrec et de Valadon

MASSEÏDA
Après la mort de son épouse Émilie en 1910, Steinlen engage en tant que gouvernante Masseïda, une femme d'origine Bambara, d'Afrique de l'Ouest. Rapidement, elle devient son modèle et pose à de nombreuses reprises pour lui. Dans ces œuvres, Steinlen interroge les notions d'exotisme et de primitivisme, en lien avec le contexte de la colonisation, en détournant non sans ironie les codes de représentation traditionnels. Avec sa « Vénus noire»>, il reprend le thème classique de l'odalisque, femme extra-européenne alanguie et sujet des fantasmes des hommes occidentaux et établit un dialogue avec Olympia de Manet et les nus des îles océaniennes de Gauguin.
Dans une série de portraits d'une simplicité magistrale, Steinlen représente également Masseïda pour elle-même sans l'érotiser. Ces dessins témoignent de sa capacité à fixer les expressions et l'âme de ses sujets; ils montrent également la relation de respect maintenue entre l'artiste et son modèle, à qui il lègue de nombreuses œuvres à son décès.

Masseïda étendue sur un divan
1911
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 7112

Détente
1912
Huile sur toile
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 11108

Portrait de Masseïda
1912
Pastel sur papier
Genève, Association des Amis du Petit Palais, INV. 4119

Portrait de Masseïda
Après 1911
Fusain sur papier
Vernon, Musée Alphonse-Georges-Poulain, INV. 95.1.1

En prime, quelques tableaux de l'étage rénové de la collection permanente du musée pour le plaisir des yeux

FERNAND PELEZ (1848-1913)
Le petit vendeur de citrons, 1890 Huile sur panneau
Collection David E. Weisman et Jacqueline E. Michel Dépôt au Musée de Montmartre
Acquisition 2020

ÉMILE BERNARD (1868-1941)
Autoportrait, 1939
Huile sur carton
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre, inv. A.3624
Don de la famille Bernard

GEORGES JOUBIN (1888-1963)
La Partie de cartes, non daté
Huile sur panneau
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre Ancienne collection Françoise et Bernard Sberro Acquisition 2023

MAURICE UTRILLO (1883-1955)
Place Pigalle, 1910 Huile sur bois
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre, inv. 2008.1.1

FRANCISQUE POULBOT (1879-1946)
Gamine au miroir, miroir, non daté Lithographie entoilée
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre, inv. A.3839

MAURICE UTRILLO (1883-1955)
L'ancien Maquis à Montmartre, vers 1919 Huile sur toile
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre Ancienne collection Pierre Levasseur Acquisition par préemption 2018

LUCIEN MATHELIN (1905-1981)
Atelier de Démétrius Galanis, 12, rue Cortot, 1946 Huile sur toile
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre

FERNAND PELEZ (1848-1913)
La petite fille à la harpe, vers 1882
Huile sur toile
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre Acquisition 2012

SUZANNE VALADON (1865-1938)
Le Jardin de la rue Cortot, 1928
Huile sur toile
Musée Utrillo-Valadon, collection de la ville de Sannois, Val-d'Oise Dépôt au Musée de Montmartre

DÉMÉTRIUS GALANIS (1879-1970)
Maison de Roze de Rosimond, non daté Huile sur toile
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre, inv. A.3597

CHARLES CAMOIN (1879-1965)
La Maison de Paco Durrio dans le Maquis, 1927
Huile sur toile
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre, inv. A.3572
Don de Lola Camoin 1973
Restauration réalisée en 2023 grâce au soutien de la DRAC lle-de-France

PIERRE-AUGUSTE
RENOIR (1841-1919)
Le Chapeau épinglé, vers 1898 Lithographie sur vergé en couleurs Indivision Petiet

GEORGES JOUBIN (1888-1963)
L'Ange bénissant une assemblée, 1960
Huile sur panneau
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre Don de Françoise et Bernard Sberro 2015

MAXIMILIEN LUCE (1851-1941)
La Rue Réaumur, vers 1894
Lithographie, épreuve sur Chine collée sur vélin fort Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre Don Indivision Petiet 2023

MAURICE UTRILLO (1883-1955)
Rue Cortot, à Montmartre, non daté Édité par la Galerie Paul Pétridès Impression Mourlot
Tirage de 160 épreuves
Collection particulière

RAOUL DUFY (1877-1953)
Ensemble des Quatre Bois, 1910-1911 La Chasse, La Danse, L'Amour, La Pêche
Bois gravé, épreuves sur chine volant ou japon,
Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre Don Indivision Petiet 2023










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