dimanche 24 septembre 2023

Trésors en noir et blanc au Petit-Palais en septembre 2023

Estampes du Petit Palais de Dürer à Toulouse-Lautrec 
Le Petit Palais met à l'honneur son exceptionnel cabinet d'arts graphiques, riche de plus de 20 000 estampes, à travers une sélection de près de 180 feuilles. C'est l'un des points forts des collections du musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris depuis sa création.
Le Petit Palais est en effet réputé pour sa remarquable collection de gravures anciennes, soigneusement rassemblée par Eugène Dutuit, passionné d'estampes et de culture classique. Cette collection, léguée en 1902 par son frère Auguste, constitue un ensemble prestigieux où dominent les écoles du Nord. Le Petit Palais recueille ensuite les estampes issues de la collecte lancée par son directeur et le conservateur Henry Lapauze pour la création, en 1908, du «musée de l'Estampe moderne». Grâce à cette démarche très novatrice, le musée s'enrichit par la générosité de nombreux éditeurs, collectionneurs et artistes. C'est au tour des maîtres de l'estampe moderne, tels Henri de Toulouse-Lautrec, Jules Chéret ou encore Théophile Steinlen, de rejoindre la collection.
L'exposition propose de découvrir ces deux étapes marquantes de la constitution du fonds d'estampes du Petit Palais. Elle offre, ce faisant, un véritable panorama technique, iconographique et stylistique de l'estampe du XVè au XXè siècle, à travers des représentants illustres ou méconnus.

LE GOÛT DUTUIT
Eugène Dutuit, célèbre collectionneur d'estampes du xixe siècle, a acheté ses premières gravures dès les années 1830. Cet autodidacte a su construire son savoir en nouant des liens de confiance avec différents marchands et experts. Grâce à sa persévérance, l'amateur a réuni l'intégralité de l'œuvre gravé des plus grands artistes, dont Albrecht Dürer et Jacques Callot. Sa passion pour Rembrandt l'a amené à rassembler plus de 350 eaux-fortes du maître d'une qualité exceptionnelle.
Eugène Dutuit a toujours souhaité rendre ses collections accessibles au plus grand nombre. En 1845, il fait ainsi don d'un ensemble remarquable de plusieurs centaines de gravures à la bibliothèque municipale de Rouen. En 1869, il organise une exposition de grande envergure en collaboration avec l'Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie, afin de partager avec le public l'aboutissement de plusieurs années de collecte acharnée aux quatre coins de l'Europe.
Au-delà de sa passion pour l'estampe et de sa volonté de démocratisation, Eugène Dutuit poursuivait une visée pédagogique. À travers sa collection, il souhaitait réunir la matière nécessaire pour écrire une histoire de la gravure et de ses principaux représentants. Il est devenu un spécialiste reconnu de cet art grâce à deux publications majeures, le Manuel de l'amateur d'estampes (1881-1888) et l'oeuvre complète de Rembrandt (1883), auxquelles il a travaillé durant les vingt dernières années de sa vie.

Albrecht Dürer (1471-1528)
Le Rhinocéros
1515
Gravure sur bois, 1re édition Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette célèbre estampe de Dürer témoigne de la fascination exercée par l'arrivée à Lisbonne, le 20 mai 1515, du rhinocéros offert au roi Manuel ler du Portugal par Muzafar, sultan de Cambay, en Inde. Si Dürer ne vit pas lui-même l'étrange animal, il en eut connaissance par plusieurs sources.
Sa restitution n'en reste pas moins fantaisiste. Dutuit possédait trois versions du Rhinocéros, dont cette planche issue de la première édition est la plus précieuse.

ALBRECHT DURER, << le grand maître de l'école allemande >>
Eugène Dutuit se passionne très tôt pour les estampes d'Albrecht Dürer (1471-1528), qu'il acquiert à partir des années 1830, majoritairement dans les grandes ventes publiques. Il parvient ainsi à rassembler la quasi-totalité de l'œuvre gravé de l'artiste allemand, en se focalisant sur des épreuves de très bonne qualité et d'origine prestigieuse, comme le célèbre Rhinocéros, La Grande Fortune ou encore les séries de L'Apocalypse et des Entrelacs, issues de la collection du comte Harrach.
Collectionneur érudit, Dutuit était très au fait des dernières recherches sur Dürer, qui fit l'objet de plusieurs publications au cours des années 1860 et 1870. Le critique d'art et amateur Émile Galichon publie notamment, en 1860, dans la Gazette des beaux-arts, une série d'articles dans laquelle il explique que les de l'artiste ne sont pas gravures extrêmement rares, mais qu'il est difficile de trouver de belles épreuves. On mesure ainsi l'intérêt de la collection Dutuit, dont tous les tirages se caractérisent par leur excellence. Eugène possédait d'ailleurs quelques feuilles ayant appartenu à Galichon, dont le fameux Le Chevalier, la Mort et le Diable (1513).

Albrecht Dürer
(1471-1528)
est l'un des plus grands artistes de la Renaissance, à la fois peintre, graveur et théoricien. Originaire de Nuremberg, ville prospère d'Allemagne du Sud, il se forme d'abord dans l'atelier de son père, orfèvre. Il entre ensuite en apprentissage chez un peintre allemand réputé,
Michael Wolgemut, qui l'initie à la maîtrise picturale des primitifs flamands ainsi qu'à la gravure sur bois. Dürer complète sa formation par deux séjours en Italie, où il se nourrit de l'étude de l'art antique et des apports de la Renaissance italienne. Cette synthèse des influences nordiques et italiennes trouve son aboutissement dans sa pratique de graveur : sur bois comme sur cuivre, Dürer produit des estampes d'une perfection technique jamais atteinte avant lui.

Albrecht Dürer (1471-1528)
Les Armoiries à la tête de mort
1503
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Dans ce chef-d'oeuvre graphique «où le souffle macabre d'Holbein se double du sceptique sourire d'Érasme» (Jules Momméja),
Dürer s'essaye avec brio à l'art du blason, une pratique courante chez les graveurs dès le début du xve siècle. Le casque
à la texture brillante rappelle que sa ville natale, Nuremberg, fut l'un des principaux centres de production de l'armurerie, autour de 1500. Dans son manuscrit, Dutuit se targue de posséder cette «très belle épreuve d'une des plus belles pièces du maître

Albrecht Dürer (1471-1528)
Le Monstre marin,
dit aussi L'Enlèvement d'Amymoné
1498 Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette estampe, centrée sur un nu féminin, témoigne du goût de Dürer pour la culture humaniste et la statuaire antique. Comme souvent pour ses sujets profanes, l'iconographie reste débattue. Si, dans son Journal de voyage aux Pays-Bas, Dürer intitule la gravure «Le Monstre marin»>, Dutuit la désignait comme «L'Enlèvement d'Amymoné», en référence à un épisode mythologique mettant en scène Poseidon et la fille du roi Danaos. La planche se distingue par l'un des premiers paysages gravés de Dürer.

Albrecht Dürer (1471-1528)
Le Songe du docteur,
dit aussi La Tentation du paresseux
Vers 1498
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
L'iconographie de cette estampe témoigne de l'érudition de Dürer, qui puise son inspiration dans les sources humanistes et antiques. Il s'agirait d'une allégorie moralisatrice dénonçant le péché d'oisiveté : le paresseux n'est pas la proie de songes vertueux mais luxurieux, incarnés par la femme nue dont la silhouette évoque sans ambiguïté les statues de Vénus antiques. Dans son Manuel de l'amateur d'estampes, Eugène Dutuit intitule d'ailleurs la planche << Vénus et le démon de l'impureté ».

Albrecht Dürer (1471-1528)
Némésis,
dit aussi La Grande Fortune
Vers 1501-1502
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Longtemps considérée comme une allégorie de la Fortune, cette monumentale figure en lévitation sur une sphère correspond en fait à une personnification de Némésis, déesse grecque de la Vengeance et de la Justice. La divinité tient une coupe d'orfèvrerie et un mors, respectivement symboles de récompense et de châtiment. Dans la partie inférieure se déploie un magnifique panorama à vol d'oiseau vraisemblablement inspiré de la célèbre Vue de Venise de Jacopo de' Barbari, publiée en 1500.

 
Albrecht Dürer (1471-1528)
Les Quatre Femmes nues,
dit aussi Les Quatre Sorcières
1497 Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Premier burin daté de Dürer, cette œeuvre présente une iconographie encore débattue. Le hideux démon visible à gauche de la composition et le crâne au pied de la femme de dos suggèrent une scène de sorcellerie. La posture des trois corps nus, qui s'inspirent littéralement du groupe antique des
Trois Grâces, évoque davantage une lecture mythologique : l'affrontement de Vénus, Minerve et Junon sous les yeux de la Discorde. Ce sujet érudit témoigne en tous les cas de la culture humaniste de Dürer.

Albrecht Dürer (1471-1528) Adam et Ève,
dit aussi La Chute de l'Homme
1504
Burin, 4e état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette estampe d'une virtuosité éblouissante témoigne des recherches de Dürer sur les proportions idéales du corps humain. L'influence des maîtres italiens est sensible, notamment Pollaiolo : Dürer a emprunté aux Gladiateurs le contraste des deux figures claires se détachant sur un fond sombre, ainsi que l'inscription latine proclamant la paternité de l'œuvre. La planche se distingue aussi par sa richesse symbolique, avec la représentation des quatre tempéraments (chat, lapin, élan et bœuf).

Albrecht Dürer (1471-1528)
 Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse 
L'Apocalypse (édition allemande), suite de 15 pièces Gravure sur bois, vers 1496-1497
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
En 1498, Dürer publie le premier de ses grands livres gravés, L'Apocalypse, suite de quinze planches sur bois illustrant le texte éponyme de saint Jean et son récit de la fin des temps. L'artiste innove en accordant aux estampes, placées au recto, la préséance sur le texte, rejeté au verso. L'artiste a su donner admirablement corps aux visions fantastiques de l'évangéliste, à travers ses gravures au souffle épique portées par une exceptionnelle calligraphie. La cohorte déferlante et hallucinée des Quatre Cavaliers de l'Apocalypse (la Mort, la Famine, la Guerre et la Peste) a durablement marqué l'imaginaire occidental.

Détail du tableau précédent 

Albrecht Dürer (1471-1528)
Saint Michel terrassant le dragon
L'Apocalypse (édition allemande), suite de 15 pièces Gravure sur bois, vers 1496-1497
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Albrecht Dürer (1471-1528)
La Sorcière
Vers 1500
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Marcantonio Raimondi (v. 1480-v. 1530) ou Agostino Veneziano (v. 1490-1540), d'après Girolamo Genga (v. 1476-1551) La Carcasse,
dit aussi Lo Stregozzo
Vers 1520-1530
Eau-forte et burin, 1er état Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Le succès des estampes de Dürer se reflète dans l'impressionnante scène macabre intitulée La Carcasse, qui reprend littéralement le motif de La Sorcière de l'artiste allemand à une échelle monumentale. Si l'attribution de l'œuvre est aujourd'hui incertaine, Dutuit considérait <, << d'après un dessin de Michel-Ange ou de Raphaël». Originaire de Bologne, Marcantonio Raimondi s'affirme comme le graveur attitré
de Raphaël. Il est aussi accusé de contrefaçon par Dürer, ayant copié soixante-neuf gravures du maître, en utilisant son monogramme.

Antonio Pollaiolo (v. 1431-1432 - 1498)
Les Gladiateurs.
Combat d'hommes nus
Vers 1460-1475 Burin, 2e état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Au cours de son premier voyage de formation, qui le mène de Colmar à Bâle, en passant par l'Italie, Dürer se nourrit de l'art des grands burinistes du Quattrocento, tels Andrea Mantegna et Antonio Pollaiolo. L'assimilation de leurs œeuvres empreintes de l'art antique se ressent dans les estampes réalisées par Dürer au cours des années 1496-1499. Ainsi, dans Hercule, la musculature très étudiée du héros vu de dos rappelle l'anatomie puissante des Gladiateurs de Pollaiolo. Dutuit était fier de cette «superbe et très rare épreuve [issue] de la collection Brizard de Gand».

Albrecht Dürer (1471-1528)
Hercule à la croisée des chemins, dit aussi Les Effets de la jalousie
Vers 1498-1499 Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Albrecht Dürer (1471-1528)
Saint Eustache
Vers 1501
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette estampe, le plus grand burin de Dürer, témoigne de son ambition, tant par les dimensions que par l'incroyable maîtrise technique. Elle met en scène une conversion : officier romain sous Trajan, Placidus, chassant un cerf, voit apparaître entre ses bois la croix du Christ. Exhorté par l'animal, il se convertit au christianisme sous le nom d'Eustache. Le fourmillement des détails, la subtilité de tons et la virtuosité dans le rendu des textures font de cette planche un chef-d'œuvre absolu.

Albrecht Dürer (1471-1528)
Saint Eustache
Vers 1501
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette estampe, le plus grand burin de Dürer, témoigne de son ambition, tant par les dimensions que par l'incroyable maîtrise technique. Elle met en scène une conversion : officier romain sous Trajan, Placidus, chassant un cerf, voit apparaître entre ses bois la croix du Christ. Exhorté par l'animal, il se convertit au christianisme sous le nom d'Eustache. Le fourmillement des détails, la subtilité de tons et la virtuosité dans le rendu des textures font de cette planche un chef-d'œuvre absolu.

Détail du tableau précédent
Albrecht Dürer (1471-1528)
Melencolia I
1514
Burin, 2e état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
L'une des œuvres les plus célèbres de Dürer, Melencolia I s'affirme comme un véritable autoportrait spirituel de l'artiste confronté à ses propres limites créatives et à sa finitude. Incarnant tout à la fois la Mélancolie
- tempérament le plus noir de la théorie antique des quatre humeurs et la Géométrie - considérée comme l'un des sept arts libéraux -, cette figure monumentale témoigne des aspirations humanistes de Dürer, imprégné des théories néoplatoniciennes.

Albrecht Dürer (1471-1528)
Saint Jérôme dans sa cellule
1514 Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Exemple parfait du chrétien érudit tel que le concevaient les humanistes proches de Dürer, saint Jérôme est une figure récurrente dans l'univers du graveur. Il est ici représenté dans sa dimension contemplative, absorbé par sa traduction de la Bible en latin (la Vulgate), dans l'intimité de son cabinet baigné d'une lumière douce et apaisante, conférant une impression de temps suspendu. Dürer a particulièrement soigné la construction de sa composition, démontrant sa pleine maîtrise de la perspective
.
Détail du tableau précédent 

Albrecht Dürer (1471-1528)
1. Entrelacs avec un écusson festonné
2. Entrelacs avec sept étoiles hexagonales
3. Entrelacs avec un écusson en forme de cœur
4. Entrelacs avec un écusson oblong
5. Entrelacs avec un médaillon blanc
6. Entrelacs avec sept couronnes
1506-1507
Gravure sur bois
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Appelés aussi «Dédales ornementaux» ou «Dessins de broderie », ces Entrelacs révèlent l'influence de Léonard de Vinci sur le jeune Dürer : ce dernier a sans doute réalisé cette série au retour de son second voyage en Italie, vers 1507, d'après des estampes produites par l'atelier du maître italien. Ces motifs peuvent être rapprochés de décors de manuscrits médiévaux, ainsi que de l'art décoratif islamique. Dürer a reproduit les compositions léonardesques en substituant son propre monogramme à l'inscription «Achademia Leonardi Vinci». Les planches Dutuit correspondent à de «premières et très rares épreuves, avant le monogramme de Dürer».
Entrelacs avec 7 couronnes 

JACQUES CALLOT, << le poète des fêtes populaires »
À l'époque d'Eugène Dutuit, le graveur lorrain Jacques Callot (1592-1635) occupait une place de choix dans les cabinets des collectionneurs, aux côtés de Rembrandt et de Dürer, dont il était considéré comme le successeur et le prédécesseur direct. Homme de son temps, Eugène Dutuit ne pouvait qu'être séduit par les estampes de Callot, qui partageait une communauté d'inspiration avec son graveur fétiche, Rembrandt.
L'ensemble réuni par Eugène à partir des années 1830 est proche de l'exhaustivité : à l'exception des Bossus, on y trouve les suites et planches emblématiques de Callot : Gueux, Bohémiens, Balli di Sfessania... Toutes les épreuves se caractérisent par leur pedigree, leur qualité et leur rareté, permettant d'apprécier la virtuosité de l'aquafortiste, qui perfectionna la technique de l'eau-forte par le recours au vernis dur.
Dutuit s'enorgueillit, dans son manuscrit du Manuel de l'amateur d'estampes, de détenir les deux séries des fameux Caprices, l'une gravée à Florence, la seconde à Nancy. Il possédait en outre de très rares épreuves du premier état des Grandes Misères de la guerre, ainsi que de La Tentation de saint Antoine, de La Foire de Gondreville et de La Foire d'Impruneta.

Jacques Callot
(1592-1635)
est un graveur majeur du xvie siècle. Dès son vivant, les amateurs s'arrachaient ses planches pleines de verve et de fantaisie, grouillant de petits personnages et parvenant à retranscrire l'infiniment grand dans l'infiniment petit. Issu de la noblesse lorraine, Callot quitte précocement Nancy pour Rome, où il se forme au burin, puis se rend à Florence, où il entre au service des Médicis et se convertit à l'eau-forte. Il est à l'origine d'une innovation technique essentielle, consistant à remplacer le traditionnel vernis mou, mélange de cire et de bitume, par le vernis dur des luthiers, à base d'huile de lin ou de noix, qui autorise une incroyable finesse de détails et de traits. Il inaugure cette trouvaille en 1617, dans la suite des Caprices qui lui vaut la célébrité.


 Jacques Callot (1592-1635)
1. Les Bohémiens en marche : l'arrière-garde ou le départ 2. La Halte des bohémiens : les apprêts du festin
Les Bohémiens, suite de 4 pièces 1621-1625
Eau-forte
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Les Bohémiens est l'une des séries les plus populaires de Callot. Cette suite de quatre pièces met en scène, à travers de multiples détails pittoresques, le quotidien d'une famille de bohémiens. Callot avait lui-même expérimenté cette vie errante, ayant suivi une troupe alors qu'il se rendait en Italie. Cet épisode picaresque a particulièrement séduit la génération romantique, qui s'empara de la figure de Callot. Baudelaire écrivit un poème inspiré de cette suite dans Les Fleurs du Mal (XIII, «Bohémiens en voyage »)

Jacques Callot (1592-1635)
La Foire d'Impruneta
1620 Eau-forte, 1er état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Offerte au grand-duc de Toscane, Cosmell de Médicis, le 25 mars 1620, lors de la fête de l'Annonciation, La Foire d'Impruneta est l'une des estampes les plus ambitieuses de Callot, tant par son format que par l'incroyable restitution d'une kyrielle de plus de 1300 personnages et animaux. Très célèbre dès sa publication, cette planche suscita la convoitise des collectionneurs. Dans son manuscrit, Eugène Dutuit qualifie son exemplaire de «première épreuve de la plus grande rareté».

Détail du tableau précédent

Jacques Callot (1592-1635)
La Foire de Gondreville
Vers 1625
Eau-forte, 1er état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Détail du tableau précédent 

 Jacques Callot (1592-1635)
1. Le Pantalon ou Cassandre
2. Le Zani ou Scapin
Les Trois Pantalons, suite de 3 pièces Vers 1618-1619
Eau-forte
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
L'univers de Jacques Callot est peuplé de figures issues du monde de la Commedia dell'arte, dont il avait pu voir des
spectacles au cours de son séjour florentin. Plusieurs séries mettent ainsi en scène des comédiens et danseurs dans des postures virevoltantes, telles les Balli di Sfessania, Les Deux Pantalons et Les Trois Pantalons. Cette dernière suite, composée de trois estampes, s'inspire du recueil des Mascarades de Robert Boissard (1597), mais Callot insuffle à ses personnages une verve irrévérencieuse inégalable.

Jacques Callot (1592-1635)
1. Les Danseurs à la flûte et au tambourin 2. Les Danseurs au luth
3. Les Deux Pantalons se tournant le dos 4. Les Deux Pantalons se regardant
5. Le berger jouant de la flûte
6. L'Hospice
Les Caprices, suite de 50 pièces gravée à Florence 1617
Eau-forte
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Chef-d'oeuvre de la période florentine de Callot, Les Caprices (Capricci di diverse figure) se composent de quarante-huit vignettes, un frontispice et une dédicace à Laurent de Médicis. Ils constituent un manifeste de l'esthétique du graveur lorrain, tant dans l'échelle microscopique que dans l'univers pittoresque des vignettes mettant en scène gueux, nobles, paysans et comédiens. Ils se distinguent enfin par la maîtrise technique de l'eau-forte, Callot expérimentant plusieurs innovations. Face à son succès considérable, l'artiste en grava une seconde suite à Nancy. En bon collectionneur, Dutuit possédait les deux.

Détail des figures précédentes

Jacques Callot (1592-1635)
 La Vieille au chat
Les Gueux, suite de 25 pièces Vers 1622-1623
Eau-forte
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
«Toutes les fois que des graveurs eurent à mettre en scène la misère en haillon des grandes villes, les mendiants affreux, ils firent des emprunts à Callot >>
(Henri Bouchot). C'est le cas de Rembrandt, qui reprit en contrepartie, dans son Gueux assis se chauffant les mains, la posture de La Vieille au chat. De fait, si Callot fut le grand interprète du monde du spectacle, il immortalisa également les «mendiants en guenilles » à travers sa suite en vingt-cinq pièces des Gueux (Baroni). Si le thème irriguait les arts et la littérature du xvIIe siècle, Callot s'en fit le plus acerbe chroniqueur.

Jacques Callot 
 Le Mendiant aux béquilles
Les Gueux, suite de 25 pièces Vers 1622-1623
Eau-forte

Jacques Callot
L'Aveugle et son chien
Les Gueux, suite de 25 pièces Vers 1622-1623
Eau-forte

Jacques Callot (1592-1635)
Figures variées. L'Homme au grand manteau vu de dos
Vers 1617
Eau-forte, 2e état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette estampe fait partie d'une suite de dix-sept eaux-fortes intitulée Varie figure. Elle met en scène des personnages de différentes origines (Lorrains, Turcs, Italiens, Hongrois). La série a vraisemblablement été gravée pour servir de modèle dans l'apprentissage du dessin à la plume. En effet, la majorité des figures sont représentées deux fois : un état achevé et une esquisse au trait. On retrouve cette volonté pédagogique dans certaines planches des Caprices, dont Le Gentilhomme au grand manteau vu de face.

Jacques Callot (1592-1635)
1. Capitaine Esgangarato - Capitaine Cocodrillo 2. Fracischina - Gian Farina 3. Bello Sguardo - Couiello
4. Razullo - Cucurucu
Balli di Sfessania, suite de 24 pièces Vers 1622
Eau-forte
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
À
son retour dans sa Lorraine natale, en 1622, après plusieurs années passées en Italie, Jacques Callot réalise une suite de vingt-quatre eaux-fortes, les Balli di Sfessania. La série, mettant en scène des bouffons de la comédie italienne dans des postures grotesques, s'inspire de dessins d'après les spectacles que Callot a pu voir à Florence, à la cour du grand-duc Cosme II de Médicis. Dutuit se targuait de posséder de «superbes épreuves du premier état», caractérisées par la bonne lisibilité des saynètes théâtrales de l'arrière-plan, ces dernières ayant tendance à s'effacer au fur et à mesure des tirages.

Détails des tableaux précédents

Jacques Callot (1592-1635)
Les Deux Pantalons
Vers 1616-1617
Eau-forte
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Jacques Callot (1592-1635)
La Tentation de saint Antoine
1635
Eau-forte, 1er état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
La Tentation de saint Antoine est l'œuvre la plus spectaculaire de Callot. Tel Martin Schongauer avant lui, il parvient à créer un nouveau type, qui s'impose comme un modèle pour plusieurs générations. Si la composition en de multiples plans structurée par des architectures s'inspire de l'univers du théâtre, le grouillement des démons s'inscrit dans la filiation nordique de Jérôme Bosch. Callot réalisa deux versions de La Tentation : cette estampe correspond à la seconde, la première étant rarissime.
Détails du tableau précédent 

Martin Schongauer (v. 1445-1491)
La Tentation de saint Antoine
Vers 1470-1475
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Martin Schongauer est l'un des plus grands artistes rhénans de la fin du xve siècle. Formé dans l'atelier de son père, orfèvre, il en retient une grande précision et un souci du détail incomparable. Dürer lui-même le considérait comme un maître. La Tentation de saint Antoine, avec sa composition tournoyante dramatisant la lutte aérienne du saint et des démons qui l'assaillent, connaît un succès immédiat et durable, et se diffuse rapidement au-delà des frontières germaniques, comme en témoigne l'interprétation de Callot.

GOYA, des rêves obscurs
Eugène Dutuit était fasciné par les techniques de gravure à l'eau-forte et à l'aquatinte utilisées par Francisco de Goya (1746-1828). C'est pourquoi la série sur la tauromachie, qui réunit ces deux techniques, constitue l'essentiel de son fonds. Sur les soixante-quatre estampes qu'il possédait, soixante et une appartenaient à cette suite. Dutuit était fier de posséder des tirages faits par Goya lui-même, ainsi que des épreuves d'essai qui différaient par la coloration de l'aquatinte. Elles lui permettent de suivre les essais de Goya pour obtenir l'effet souhaité et d'ainsi pénétrer le processus créatif de l'artiste. Dans son Manuel de l'amateur d'estampes, Dutuit décrit trente-trois estampes de la série, dont de très rares épreuves d'eau-forte pure, des épreuves d'essai, des variantes et huit pièces inédites. L'amateur n'a pas cherché à réunir l'ensemble de l'œuvre gravé de Goya, mais il possédait des estampes rares, comme Les Ménines d'après Vélasquez et des pièces uniquement tirées par Goya lui-même, tel que l'album des Caprices.

Francisco de Goya
(1746-1828)
est un peintre, dessinateur et graveur espagnol. Il a étudié à l'académie de dessin de Saint-Louis, à Saragosse, avant de travailler sur des cartons de tapisserie pour les princes des Asturies à Madrid. En 1780, il est élu à l'académie de San Fernando et nommé peintre du roi d'Espagne six ans plus tard. Sa position à la cour se renforce avec l'arrivée de Charles IV, qui le nomme peintre de la Chambre en 1787. Goya tombe malade et devient sourd en 1793. L'artiste cherche à instruire la société de son temps à travers ses peintures comme ses estampes, dénonçant sans concession les vices de la nature humaine. Adepte de l'eau-forte, il utilise l'aquatinte pour donner plus de profondeur et de nuance à ses estampes, à l'instar de ses séries sur Les Caprices ou La Tauromachie.

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Les Ménines
1778-1785
Eau-forte, pointe sèche et retouches à la pierre noire, 1er état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Les œuvres de Diego Vélasquez (1599-1660) ont eu une influence décisive sur le travail de Goya. En 1778, celui-ci réalise dix-sept eaux-fortes d'après les tableaux de son prédécesseur, dans le but de les diffuser largement par la gravure. Il apprend alors à maîtriser l'eau-forte et l'aquatinte pour ajouter des effets picturaux à ses estampes. L'aquatinte, destinée à assombrir l'arrière-plan des Ménines, encore mal maîtrisée par Goya, altérera l'effet de la composition. L'épreuve avant la lettre, achetée par Eugène Dutuit en 1845 à la vente du peintre Giandomenico Tiepolo, est l'un des rares premiers états à l'eau-forte avant l'ajout de l'aquatinte. L'artiste a également apporté des retouches à la pierre noire sur les visages des personnages et la tête du chien.

Francisco de Goya y Lucientes
(1746-1828)
Le Garroté
1778-1785
Eau-forte et brunissoir, 1er état Petit Palais, collection Dutuit, 1902
En 1869, Eugène Dutuit achète à la vente Lefort une première épreuve avant la lettre du Garroté de Goya, exceptionnelle pour la grandeur de ses marges, qu'il expose la même année au palais de l'Industrie. Cette exposition a pour objectif de retracer l'histoire de la gravure en montrant ses progrès et sa décadence. Il est possible que Dutuit ait acquis cette seconde estampe de Goya spécifiquement pour l'événement. Goya aborde à nouveau ce thème dans Les Désastres de la guerre (1810-1815).

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Petits lutins
Série Les Caprices, planche 49
1796-1799
Eau-forte et lavis d'aquatinte
Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Ils s'envolèrent
Série Les Caprices, planche 61
1796-1799
Eau-forte, pointe sèche et aquatinte
Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999
Une jeune femme élégante en tenue de Maja plane dans les airs, portée par un groupe de figures lui servant de faire-valoir. Sur sa tête, des ailes de papillon symbolisent l'inconstance féminine. Le peintre ironise : «Il y a des têtes tellement pleines de gaz inflammable qu'elles n'ont besoin ni de ballons ni de sorcières pour voler.» Certains y voient une référence à la duchesse d'Albe, amie de Goya, admirée par trois toreros célèbres la portant en piédestal, tandis que d'autres y voient une allusion à la destinée tragique des courtisanes.

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Tous tomberont
Série Les Caprices, planche 19
1796-1799
Eau-forte, aquatinte et lavis d'aquatinte
Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999
Selon un texte manuscrit transcrit par Paul Lefort (1829-1904), plusieurs planches des Caprices ont été gravées spécifiquement pour la duchesse d'Albe, amie de Goya. «La planche XIX, par exemple, où l'on voit des femmes occupées à emplumer de petits personnages, qui aussitôt s'élèvent en l'air et retombent un moment après, que peut-elle signifier autre chose que cette longue suite d'amants qui, depuis ou même avant don Juan Pignatelli jusqu'au prince de la Paix, se sont succédé auprès de la reine, et rendus plus ou moins ridicules par le scandale de leur sottise et de leur vanité ?

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Et encore ils ne s'en vont pas! Série Les Caprices, planche 59
1796-1799
Eau-forte, lavis d'aquatinte et burin
Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
L'Amour ou la Mort Série Les Caprices, planche 10
1796-1799
Eau-forte, lavis d'aquatinte et burin
Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Disparate de cheval rapteur, Série Les Disparates, planche 10,
1816-1823
1re édition, 1864
Eau-forte, pointe sèche, brunissoir et aquatinte sur vélin Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Manière de voler
Série Les Disparates, planche 13, 1816-1823
1re édition, 1864
Eau-forte et aquatinte sur vélin
Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999
Les Disparates de Goya fascinent les artistes par leur fraîcheur et leur force d'invention. La revue L'Art de 1877 publie quatre estampes de l'artiste qu'elle considère comme inédites, parmi lesquelles figure Manière de voler. Cette estampe témoigne de la profondeur de la pensée de Goya, ainsi que de sa capacité à explorer de nouveaux moyens techniques. On pense ici aux travaux de Léonard de Vinci, en quête de machines permettant à l'homme à dominer les airs.

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Disparate de frayeur Série Les Disparates, planche 2,
1816-1823
1re édition, 1864
Eau-forte, pointe sèche et aquatinte brunie sur vélin Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Disparate de niais
Série Les Disparates, planche 4, 1816-1823
1re édition, 1864
Eau-forte et aquatinte brunie sur vélin
Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999
Composée de vingt-deux planches inachevées, cette suite est restée méconnue jusqu'à sa réapparition en 1854, à la mort de Javier, le fils de Goya. Éditée au xixe siècle sous le titre Proverbes, la série témoigne des années noires de la restauration de Ferdinand VII et donne à voir le meilleur comme le pire de l'humanité, mélangeant réalité et fantastique. Les visions sombres des Disparates complètent le fonds consacré à Goya, où l'artiste, en observateur, tente de rendre le monstrueux vraisemblable.

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Audace de Martincho dans l'arène
de Saragosse
Série La Tauromachie, variante de la planche 18
1815-1816
Eau-forte et aquatinte sur papier vergé filigrané «SERRA» Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Les Banderilles de feu
Série La Tauromachie, planche 31
1815
Eau-forte, pointe sèche, burin, aquatinte et lavis d'aquatinte sur papier vergé
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Dans Les Banderilles de feu, l'effet conjugué de l'aquatinte et du lavis restitue avec exactitude la fumée qui s'échappe des banderilles venant de toucher le taureau. Celles surplombant la tête du toreador sont gravées à la pointe sèche, créant un contraste astucieux avec l'aquatinte qui met leur présence en valeur. Goya simplifie ses compositions en les réduisant à l'essentiel, insistant sur la tension physique et psychologique des toreros et du taureau représentés.

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Le courageux Maure Gazul est le premier qui attaqua les taureaux à la lance dans les règles Série La Tauromachie, planche 5
1815-1816
Eau-forte pure sur papier vergé, 1er état Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)
Autre de ses folies dans la même arène Série La Tauromachie, planche 19
1815-1816
Eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier vergé filigrané «SERRA». Traits d'encadrement à la pierre noire en bas et sur les côtés
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette série de trente-trois estampes nous transporte dans l'univers cruel de la corrida. Organisée sous la forme de véritables spectacles à Saragosse, la tauromachie a vu des matadors de renom, dont le célèbre Martincho, se distinguer en prenant des risques sans précédent pour provoquer le taureau. Cette scène représente l'un de ces exploits: assis sur une table, les fers aux pieds, il devait sauter par-dessus les cornes de l'animal. Goya utilise habilement la lumière et l'ombre pour créer une atmosphère dramatique et restituer la tension palpable de cette scène.

REMBRAND "la magie du clair-obscur"
Eugène Dutuit considérait l'œuvre de Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1606-1669) comme le joyau de sa collection. Avec des œuvres de qualité exceptionnelle rassemblées au fil des ans, la collection de plus de 350 estampes de l'artiste était réputée comme l'une des plus remarquables de son temps. Dutuit découvre les eaux-fortes de Rembrandt lors d'un voyage en Hollande à l'âge de 19 ans et, depuis lors, achète de nombreuses estampes aux enchères et chez des marchands d'estampes renommés. Ses achats spectaculaires, parmi lesquels le huitième et dernier exemplaire existant sur le marché de La Pièce aux cent florins, étaient connus de tout le milieu des amateurs. Sa collection était souvent mentionnée dans les journaux de l'époque. Collectionneur passionné, Eugène Dutuit a grandement contribué à la connaissance de l'artiste en France. Lors de l'exposition de sa collection, en 1869, au palais de l'Industrie, il présente cinquante œuvres de Rembrandt sur 467 estampes exposées. Son nom est resté associé à l'étude de l'œuvre de l'artiste. En 1883, à l'âge de 76 ans, l'amateur publie un catalogue de l'oeuvre gravé de Rembrandt eux volumes illustrés d'héliogravures, considéré comme une référence pour les études sur l'artiste.

Rembrandt Harmenszoon van Rijn
(1606-1669)
est un célèbre peintre et graveur de l'âge d'or hollandais. En 1626, il ouvre son propre atelier à Leyde avec Jan Lievens, qui l'initie à la gravure. En 1631, il déménage à Amsterdam et reçoit sa première grande commande, La Leçon d'anatomie du docteur Tulp (La Haye, Mauritshuis). En 1634, il épouse Saskia, nièce de son marchand d'art, qui lui offre un nouveau statut social et devient son modèle préféré. Après la mort de celle-ci, en 1642, sa situation financière se dégrade. Collectionneur passionné, Rembrandt dépense des sommes considérables en ventes publiques, comme l'indique l'inventaire de sa faillite de 1656. Il est connu pour son utilisation de la lumière et du clair-obscur, laissant derrière lui une vaste production d'estampes, principalement à l'eau-forte.

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
L'homme qui pisse
1631
Eau-forte sur papier européen, 2e état Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Le Vendeur de mort-aux-rats
1632
Eau-forte sur papier européen, 3e état Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Le Vendeur de mort-aux-rats, exposé au palais de l'Industrie en 1869, est une variation du Gueux debout, tourné vers la gauche exécuté deux ans plus tôt. Selon Eugène Dutuit, «les gueux de Callot ont un aspect si singulier qu'il est difficile de dire s'ils sont réels ou fantastiques». Au contraire, les gueux de Rembrandt ont une apparence plus vraisemblable, reflétant les conditions difficiles dans lesquelles ils se trouvent.

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Rembrandt aux cheveux bouclés et au col blanc, 1er état
1629
Rembrandt aux trois moustaches, état unique
1634
Rembrandt fronçant les sourcils, 2e état
1630
Rembrandt aux cheveux hérissés, 8e état
1630
Eaux-fortes sur papier européen Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Rembrandt est célèbre pour ses innombrables autoportraits, dont vingt-huit ont été gravés. Il se sert ici de son propre reflet pour capturer émotions et sentiments humains de manière saisissante. La série se distingue par sa grande expressivité. Pour Dutuit, Rembrandt aux trois moustaches est une petite tête pleine d'expression et de la plus grande beauté ».

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Gueux debout, tourné vers la gauche
1630
Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier européen,
1er état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Gueux assis sur une motte de terre
1630
Eau-forte sur papier, 1er état Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Rembrandt appuyé
1639
Eau-forte sur papier filigrané, 1er état Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Habillé comme un gentilhomme de la Renaissance italienne, l'artiste a puisé son inspiration dans des oeuvres telles que le Balthazar Castiglione de Raphaël (v. 1515) et L'Arioste de Titien (v. 15:0) qu'il a vus chez un collectionneur d'Amsterdam. Cet autoportrait, considéré comme le plus beau de ceux qu'on lui doit, le représente au point culminant de sa carrière, alors qu'il était âgé de 33 ans. Rembrandt, célèbre portraitiste mondain, a choisi de se dépeindre en artiste accompli.

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Rembrandt gravant à la fenêtre
1648
Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier Japon ivoire clair. Légère teinte d'encre au niveau du visage, 2e état Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cet autoportrait montre Rembrandt en train de dessiner ou de graver, à l'âge de 42 ans, après la mort de sa femme Saskia. L'artiste dévoile ici son propre état d'âme. Il cherche ainsi à mettre en avant son talent et sa capacité à créer de manière expressive et authentique. L'estampe, remarquablement travaillée, combine habilement la pointe sèche et l'eau-forte pour souligner les formes du corps. Cette pièce rare a été exposée pour la première fois en 1869 au palais de l'Industrie par Eugène Dutuit.

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Rembrandt gravant
1658
Eau-forte sur papier oriental, état unique Petit Palais, collection Dutuit, 1902
En 1867, à la vente du comte Harrach, Eugène Dutuit achète cette estampe pour 325 francs, ainsi que 106 autres estampes de l'artiste. Cette très belle impression sur papier Japon provient de la collection Jean Barnard, un marchand et homme politique londonien qui avait réuni un ensemble remarquable d'oeuvres d'art. Dutuit pensait alors être le seul à détenir cet exemplaire très rare. En 1877, l'estampe est exposée au Burlington Club de Londres, lors d'une exposition entièrement consacrée aux gravures de Rembrandt.

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669) Le Coquillage
1650
Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier filigrané, 2e état
Petit Palais, collection Dutuit

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
Jan Six
1647
Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier européen, 5° état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Rembrandt a gravé les portraits de nombreux mécènes tels que Jan Six (1618-1700),
qui possédait toutes les estampes de l'artiste. Selon Eugène, trois états de cette gravure sont connus, le troisième état ayant été acheté 7500 francs en 1881. À l'aide de l'eau-forte, du burin et de la pointe sèche, Rembrandt a créé une composition raffinée, jouant sur les contrastes de lumière et d'ombre pour mettre en avant le visage lumineux et la main de l'amateur, ainsi que ses livres et recueils de gravure posés négligemment sur une chaise.

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
Clément de Jonghe
1651
Eau-forte, pointe sèche et burin Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Clément de Jonghe (1624-1625), célèbre marchand d'estampes d'Amsterdam, possédait une importante collection de
gravures et de cuivres de l'artiste. L'inventaire de sa succession en 1679 a permis d'identifier des oeuvres précieuses. Cette estampe existe en quatre états et la collection Dutuit possède un exemplaire de chaque, ce qui est exceptionnel. Ce portrait de De Jonghe, de face, observant le spectateur, s'inspire d'une estampe d'après Van Dyck, représentant l'artiste Maaren Ryckaert, que Rembrandt possédait. Les quatre états comportent des marques de collection. Celui-ci a été acheté à la vente du comte Harrach, en 1867, par son homme de confiance, Clément, pour la somme de 240 francs.

Lucas de Leyde (v. 1494-1533)
Le Golgotha
dit aussi Le Grand Calvaire
1517 Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Dans ses collections, Rembrandt possédait des gravures sur bois et sur cuivre de Lucas de Leyde, dont Le Grand Calvaire. Son biographe, Joachim von Sandrart et son élève, Samuel van Hoogstraten, nous apprennent que le maître avait acheté
14 estampes de Lucas de Leyde en ventes publiques pour 1400 florins, parmi lesquelles celle-ci. Bien que les estampes de Rembrandt et de Lucas de Leyde présentent des similitudes dans la composition des groupes de figures, il existe une différence significative entre les deux artistes : Rembrandt simplifie, tandis que Lucas de Leyde est connu pour son souci du détail. La Pièce aux cents florins témoigne de l'intérêt de Rembrandt pour les maîtres allemands et néerlandais du xvIe siècle, tout en reflétant sa propre synthèse artistique.
Détail du tableau précédent

Jacobus Neffs (1604-1667)
d'après Anton van Dyck (1599-1641)
Le Peintre Martin Ryckaert
1636
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Jean Muller (1571-1628)
Portrait d'Hendrik Goltzius (1558-1617) d'après Goltzius
Vers 1617
Burin, 2e état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Grand collectionneur d'estampes, Rembrandt a rassemblé les oeuvres d'artistes renommés tels que Goltzius. Ce portrait en buste, réalisé entièrement au burin, est considéré comme un chef-d'oeuvre de l'artiste. Entouré de symboles de renommée, de pouvoir et d'abondance, Goltzius arbore un regard perçant qui suggère sa détermination. Réalisée à la fin de sa carrière, cette gravure magnifie son statut d'artiste célèbre, à la faveur d'une mise en scène réutilisée par Rembrandt dans ses propres autoportraits.

LE MUSÉE DE L'ESTAMPE MODERNE
Les frères Dutuit ont assuré la place de l'estampe ancienne au Petit Palais dès 1902, mais pas celle de la création contemporaine. C'est Henry Lapauze (1867-1925), conservateur puis directeur du Petit Palais, qui s'en fait le champion. Le 27 juin 1908, il inaugure le «musée de l'Estampe moderne». Ce nouvel espace est aménagé au rez-de-chaussée du Petit Palais, le long de l'avenue des Champs-Élysées, face à la galerie du Cours-la-Reine qui accueille les estampes de la collection Dutuit. Que cette entreprise soit initiée par un musée révèle un fort regain d'intérêt pour l'estampe contemporaine à la fin du XIXe siècle.
Quelques jours après l'ouverture, plusieurs revues annoncent que sur les 3000 estampes modernes réunies, pas moins de 1500 sont exposées.
La constitution en un temps record d'un tel ensemble est un véritable tour de force. C'est une collecte qui en est à l'origine. Lapauze sollicite en effet les artistes eux-mêmes, leurs familles et amis, les collectionneurs ainsi que les marchands et éditeurs d'estampes. La démarche est une réussite. Grâce à la force de conviction de Lapauze et à la bonne volonté de tous, une somme considérable d'estampes variées, d'artistes célèbres ou depuis oubliés, est réunie. Ce fonds s'enrichit d'un lot d'estampes éditées par la Ville de Paris, puis par des libéralités et des achats ultérieurs. Il constitue, aujourd'hui encore, le noyau des collections d'estampes modernes du Petit Palais.

Martin Schongauer (v. 1445-1491)
L'Encensoir
Vers 1480-1485
Burin
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
L'inventaire de la maison de Rembrandt, dressé après sa faillite en 1656,
témoigne de la grande admiration du maître pour l'œuvre du graveur rhénan Martin Schongauer, dont il possédait une armoire pleine d'estampes. Ce dernier a réalisé des œuvres d'une virtuosité graphique magistrale, dont L'Encensoir constitue l'un des sommets. Véritable nature morte au burin, cette estampe est devenue l'une des plus convoitées des collectionneurs, de Rembrandt à Eugène Dutuit.

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
Les Trois Croix
1653
Pointe sèche et burin sur papier filigrané,
3e état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette estampe, réalisée presque entièrement à la pointe sèche, représente La Crucifixion du Christ. Rembrandt dépeint le moment où les ténèbres couvrent la Terre, l'instant où l'éclipse commence et crée un effet de demi-jour des plus saisissant. Si le procédé de la pointe sèche donne une liberté et une rapidité d'exécution, il ne permet pas de très grands tirages. Les impressions au-delà de cinquante épreuves entraînent un écrasement des tailles et nécessite de les recreuser sur la plaque de cuivre. Eugène Dutuit considérait ce troisième état comme l'un des plus rares, marquant l'expression la plus aboutie de l'estampe. La planche a connu cinq versions, avec des modifications notables entre les trois premiers et le quatrième état

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
La Grande Résurrection de Lazare
1632
Eau-forte et burin sur papier Japon, 6° état Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette première eau-forte de grandes dimensions inaugure une série de grands sujets d'histoire et cherche à rivaliser avec les peintures en grisaille alors très prisées. Dans cette oeuvre théâtrale, inspirée des grandes compositions baroques de Rubens, la lumière inonde l'entrée du tombeau et contraste avec la figure imposante du Christ, plongé dans la pénombre, main levée, et qui ordonne: Lazare, sors! Rembrandt a suscité l'engouement des collectionneurs pour cette estampe qui a connu jusqu'à 9 états successifs. Dans le 6e état, l'artiste a notamment ajouté un bonnet à la figure de l'homme terrifié près de Marthe, qui assiste au miracle en cours.

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
La Pièce aux cent florins
1649
Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier Japon, jer état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
La Pièce aux cent florins doit son nom au fait que Rembrandt l'échangea contre plusieurs pièces du graveur Marc-Antoine Raimondi, pour une valeur totale de cent florins. L'achat par Dutuit de cette eau-forte rare au prix exceptionnel de 27500 francs fut pour lui source d'une grande fierté. Seules huit épreuves de ce premier état ont été conservées. Cet exemplaire, remarquable par ses grandes marges, possède une origine prestigieuse, ayant appartenu à Jan Zoomer, ami de Rembrandt, et à Vivant Denon, ancien directeur du Louvre. Cette estampe, dont le sujet est Jésus guérissant les malades, est un chef-d'oeuvre admiré pour son utilisation experte du clair-obscur, décrit ainsi par Eugène Dutuit : «L'une des parties, très travaillée, est presque dans l'ombre, et l'autre, presque sans travaux, resplendit de la plus vive lumière.

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
La Chaumière et la Grange à foin
1641
Eau-forte sur papier filigrané, état unique Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Pour Eugène Dutuit, ce grand paysage est l'un des plus remarquables du maître. Au centre, se dresse une chaumière,
avec sa grange à foin qui sert de remise pour un chariot. Devant, deux jeunes pêcheurs absorbés par leur activité ajoutent une touche de vie à cette scène paisible. Une paysanne suivie d'un chien passe sur un petit pont, avec, en arrière-plan, l'ancien manoir Kostverloren, sujet de prédilection des artistes. Le lointain offre une vue panoramique d'Amsterdam, avec ses moulins et ses tours imposantes.

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
Les Trois Arbres
1643
Eau-forte et pointe sèche sur papier filigrané,
état unique
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

 Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
Jupiter et Antiope La grande planche
1659
Eau-forte, burin et pointe sèche sur papier Japon
état unique
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
La Femme à la flèche
1661
Eau-forte, burin et pointe sèche sur papier filigrané, 2º état
Petit Palais, collection Dutuit, 1902

Rembrandt Harmensz. van Rijn
(1606-1669)
La Femme devant le poêle
Eau-forte, burin et pointe sèche sur papier filigrané, 3e état
La Femme devant le poêle
Eau-forte, burin et pointe sèche sur papier Japon, 7ª état
1658
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
Cette estampe a fasciné les collectionneurs. Rembrandt utilise des effets de lumière et d'ombre pour mettre en évidence le corps de cet femme âgée, partiellement dénudée, et la blancheur de sa chemise dans l'obscurité, révélant ainsi sa condition de manière réaliste et sans artifice. Il a retravaillé la plaque de cuivre à sept reprises, apportant des modifications à chaque étape. Dans le septième état, la femme ne porte plus de bonnet, créant un équilibre harmonieux entre les éléments lumineux et sombres de la composition. Cette estampe provient de la collection de Karl Eduard von Liphart et a été achetée par Eugène en 1876 pour 487 francs et 50 centimes, une somme notable. Elle montre la maîtrise artistique de Rembrandt et son habileté à capturer la vie quotidienne avec réalisme.

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)
Portrait de l'artiste en costume oriental
Vers 1631 Huile sur bois
Petit Palais, collection Dutuit, 1902
À l'âge de 20 ans, lors d'un voyage en Hollande, Eugène, accompagné de son frère Auguste, est impressionné par plusieurs chefs-d'oeuvre de Rembrandt. En 1840, Auguste achète ce tableau à Gand pour 16 709 francs, soit l'équivalent de presque neuf ans de revenus pour un couple d'ouvriers parisiens. Il s'agissait alors d'une extraordinaire découverte, le tableau étant méconnu des historiens. L'oeuvre provient de la collection du comte de Vaudreuil, gouverneur du Louvre. Le catalogue de vente mentionne que l'artiste avait 26 ans lorsqu'il exécuta cet autoportrait en costume d'Arménien, soulignant les « surprenants effets de clair-obscur, dont l'intelligence semble avoir été innée chez Rembrandt».




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DON D'UN COLLECTIONNEUR 
La galerie des portraits d'Henri Béraldi
Henri Béraldi (1849-1931) est le premier donateur du musée de l'Estampe moderne auquel Henry Lapauze rend hommage. Historien de la gravure, auteur notamment de l'ouvrage de référence
Les Graveurs du dix-neuvième siècle. Guide de l'amateur d'estampes modernes (1885-1892), et l'un des plus grands collectionneurs d'estampes et bibliophiles de son temps, il est en effet une personnalité remarquable. Béraldi offre cent portraits de grands noms du xixe siècle pour le musée de l'Estampe moderne. Cet ensemble considérable est mis en avant au centre de la grande salle, alors réservée au musée de l'Estampe moderne. Il y constitue une petite galerie de personnalités, particulièrement appréciée des visiteurs qui se plaisent à y reconnaître d'illustres visages. Les œuvres ainsi réunies sont pour l'essentiel des estampes d'interprétation comprenant quelques gravures d'après de très célèbres portraits peints par des grands noms de l'histoire de l'art, tels Maurice-Quentin de La Tour et Jean-Auguste-Dominique Ingres. S'y ajoutent de nombreuses gravures d'après des portraits de grands artistes du xixe siècle, essentiellement français, qui offrent un panorama artistique partiel de cette période


Félix Bracquemond (1833-1914)
Edmond de Goncourt
1881
Petit Palais, don Félix Bracquemond, avril 1908 De gauche à droite :
 Eau-forte sur papier Japon, 
1er état 
Cofondateur de la Société des aquafortistes,
Félix Bracquemond est l'un des principaux acteurs de la renaissance de l'eau-forte dans la seconde moitié du xixe siècle. Le premier état de son portrait d'Edmond de Goncourt est reproduit par Henry Lapauze dans Le Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris (1910) pour en illustrer la partie consacrée au musée de l'Estampe moderne. Ce choix souligne la volonté de Lapauze d'y présenter des états successifs d'une même estampe afin de montrer le long travail des graveurs. Au fil de quatre états de ce portrait, donnés par Bracquemond au musée, émerge la figure de l'écrivain, dans son cabinet de travail et entouré d'objets de sa collection: un bronze japonais, un bas-relief de Clodion et un portefeuille d'estampes de son frère, Jules de Goncourt.

Félix Bracquemond (1833-1914)
Edmond de Goncourt
1881
Petit Palais, don Félix Bracquemond, avril 1908 
 Eau-forte, pointe sèche, roulette et brunissoir sur papier Japon
6eme état

Louis-Pierre Henriquel-Dupont (1797-1892) d'après Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867)
Portrait de Monsieur Bertin
1844
Burin sur papier Chine appliqué
Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Portrait de Monsieur Bertin, 1832. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre
Parmi les cent portraits qu'Henri Béraldi sélectionne pour le musée de l'Estampe moderne, dix-neuf sont des estampes d'après des peintures ou des dessins de Jean-Auguste-Dominique Ingres. Outre l'importance de cette figure pour l'histoire de l'art, l'ampleur de ce sous-ensemble pourrait tenir à la prédilection qu'avait pour lui Henry Lapauze, natif, comme Ingres, de Montauban. Le conservateur du Petit Palais consacre en 1911 une monographie au peintre qu'il collectionne personnellement par ailleurs.

Portrait de Monsieur Bertin
1844
Burin sur papier Chine appliqué
Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Portrait de Monsieur Bertin, 1832. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre

Luigi Calamatta (1801-1869)
d'après Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867)
Portrait d'Ingres
1839
Gravure à la roulette sur papier Chine appliqué Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Autoportrait d'Ingres, à mi-corps, 1835. Mine de plomb sur papier. Paris, musée du Louvre
L'autoportrait d'Ingres interprété par
Luigi Calamatta témoigne des liens forts qui unissaient le peintre et le graveur. Fidèle collaborateur de Jean-Auguste-Dominique Ingres, Calamatta s'illustre comme virtuose buriniste d'interprétation. À propos de ses gravures reproduisant des dessins d'Ingres, Béraldi parle de «portraits en fac-similé » traduisant le plus fidèlement possible
ces œuvres graphiques. Le velouté du trait de crayon est ainsi restitué par l'emploi de la roulette.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Autoportrait d'Ingres, à mi-corps, 1835.
Mine de plomb sur papier. Paris, musée du Louvre

David-Joseph Desvachez (1822-1902) d'après Jean-Auguste-Dominique Ingres
(1780-1867)
Le Graveur Calamatta
1858
Burin et eau-forte sur papier vélin
Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Portrait de Luigi Calamatta, 1828. Crayon graphite sur papier, Paris, musée de la Vie romantique

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Autoportrait d'Ingres, à mi-corps, 1835.
Mine de plomb sur papier. Paris, musée du Louvre

Léopold Massard (1812-1889) d'après Léon Bonnat (1833-1922) Portrait de Victor Hugo
1879
Eau-forte sur papier Japon
Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908

Léon Bonnat, Portrait de Victor Hugo, 1879. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay, en dépôt au musée national du Château de Versailles

Paul Adolphe Rajon (1843-1888) d'après Ernest Meissonier (1815-1891)
Meissonier
Vers 1881
Eau-forte sur papier vélin
Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908

Ernest Meissonier, Autoportrait, 1881. Gouache blanche et lavis brun. Lyon, musée des Beaux-Arts

Charles-Albert Waltner (1846-1925) d'après John Everett Millais (1829-1896)
Portrait de John Everett Millais
Entre 1881 et 1885
Eau-forte sur papier Chine appliqué Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908

 
John Everett Millais, Autoportrait, 1881. Huile sur toile. Florence, galerie des Offices

Henri-Charles Guérard (1856-1897) d'après James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Portrait de Whistler jeune
Vers 1886
Eau-forte et et vernis mou sur papier vergé Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908

James Abbott McNeill Whistler, Portrait of Whistler with Hat, 1858. Huile sur toile. Washington D.C.

Adolphe Lalauze (1838-1906)
d'après Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788)
La Marquise de Pompadour
Vers 1887
Eau-forte sur papier
Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908
Maurice-Quentin de La Tour, Portrait en pied de la marquise de Pompadour, 1752-1755. Pastel et rehauts de gouache sur papier. Paris, musée du Louvre
Ce grand tirage est exemplaire des visages et œuvres que les visiteurs du musée de l'Estampe moderne se plaisent à reconnaître en 1908. Il s'agit d'une estampe d'interprétation d'après un célèbre pastel de Maurice-Quentin de La Tour représentant la marquise de Pompadour. C'est aussi une mise en abyme de la gravure en tant que technique : un portefeuille d'estampes est posé au sol, et, sur la table, une planche gravée porte l'inscription <
Maurice-Quentin de La Tour, Portrait en pied de la marquise de Pompadour, 1752-1755. Pastel et rehauts de gouache sur papier. Paris, musée du Louvre

DONS D'ARTISTES Paris 1900
La majorité des dons pour le musée de l'Estampe moderne consiste en de petits lots, voire en des feuilles isolées. Ces «dons personnels>>, comme les appelle Henry Lapauze, émanent souvent d'artistes, d'amis d'artistes, de veuves ou autres ayants-droit. Ils témoignent de l'intérêt de ceux-ci pour un musée qui consacre l'estampe contemporaine en lui accordant un espace d'exposition conséquent. Y placer une ou plusieurs œuvres est donc un moyen de se faire connaître et de construire sa postérité.
Dépendants de la bonne volonté des participants, ces dons dessinent un visage nécessairement incomplet de l'estampe contemporaine. Pour autant, de nombreux noms importants y figurent : Edgar Chahine, Jules Chéret, André Devambez et Théophile Steinlen donnent eux-mêmes, Félix Buhot entre dans les collections grâce à sa veuve Henrietta Johnston, Henri de Toulouse-Lautrec est présenté grâce au don de son ami, le peintre et graveur Adolphe Albert.
Ces artistes sont, chacun à leur manière, les chroniqueurs d'un Paris en pleine métamorphose, aussi effervescent et fantasmatique qu'inégalitaire. La capitale, qui regorge de lieux de divertissement, part entière, devient elle-même un spectacle
où Parisiennes et Parisiens - vedettes, trotteuses, terrassiers, chiffonnières et laissés-pour-compte - tiennent les premiers rôles.

Jules Jacquet (1841-1913) d'après Léon Bonnat (1833-1922) Le Triomphe de l'Art
Vers 1898
Pierre noire, sanguine, fusain et rehauts de craie blanche sur papier
Petit Palais, don Jules Jacquet, avril 1908
Cette gravure d'interprétation d'après un décor de l'Hôtel de Ville, Le Triomphe de l'Art de Léon Bonnat (1894), qui orne le plafond du salon des Arts, est typique des sujets choisis par la Ville de Paris pour son programme d'édition. Le Petit Palais conserve de ce projet de Jules Jacquet son dessin préparatoire d'après le décor peint de Bonnat, sa matrice en cuivre gravée au burin, couverte d'une couche de bitume protectrice, et plusieurs tirages, dont un donné par l'artiste.

LITHOGRAPHIE
L'artiste dessine à l'encre ou au crayon gras sur une pierre calcaire poreuse préalablement grainée. Il traite la pierre avec une préparation acide pour la rendre perméable à l'eau et y fixer le gras du dessin. Après avoir ôté le dessin à l'essence, il humidifie la pierre avec une éponge et applique l'encre au rouleau. Celle-ci, repoussée par l'eau, n'adhère qu'à l'empreinte grasse du dessin. L'impression se fait avec une presse lithographique. L'estampe présente un aspect légèrement grainé, comme un dessin au crayon.
Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923), Intérieur de tramway. Dans la diligence à chevaux, 1896, lithographie au crayon sur papier Chine

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901)
Répétition générale aux Folies-Bergère (Émilienne d'Alençon et Mariquita)
1893
Lithographie au crayon, au pinceau et à l'encre, et au crachis sur papier
Petit Palais, don Adolphe Albert, 1908
Jouant des techniques offertes par la lithographie, Henri de Toulouse-Lautrec offre une image pleine de vie d'une répétition aux Folies-Bergères. D'amples traits de crayon accompagnent l'élan des corps, quelques coups de pinceau esquissent les cordes qui tiennent le fond de scène de la mythique salle de spectacle. De la pénombre, restituée par un dense crachis d'encre, se détachent les visages de la blonde Mariquita, directrice du corps de ballet des Folies-Bergères,
et de la brune Émilienne d'Alençon.

Henri de Toulouse-Lautrec
(1864-1901)
Nicolle à la Gaieté-Rochechouart
1893
Lithographie au crayon, au pinceau et à l'encre,
et au crachis sur papier vélin
Petit Palais, don Adolphe Albert, 1908

Edgar Chahine (1874-1947) Les Poids
1902
Eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier Japon Petit Palais, don Edgar Chahine, avril 1908
Edgar Chahine fait entrer le spectateur dans un cercle de badauds qui entoure un spectacle de rue : une femme forte soulevant des haltères. L'arrière-plan urbain, traité
à la pointe sèche, se fond dans la lumière, tandis que l'assistance compacte est restituée à l'eau-forte et rendue plus dense par un essuyage irrégulier de la matrice. Certains points fortement essuyés et sans aquatinte focalisent l'attention sur d'autres membres de la troupe, comme un Pierrot au tambour et une acrobate en tunique claire.

Félix Buhot (1847-1898)
La Place Pigalle
1878
Eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier
Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), 1908

Félix Buhot (1847-1898)
L'Hiver à Paris
1879
Eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette sur papier Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), avril 1908
Félix Buhot saisit dans les rues de la capitale le spectacle du quotidien. Ses remarques marginales très travaillées, qu'il appelle <

Félix Buhot (1847-1898)
Une matinée d'hiver au quai de l'Hôtel-Dieu
1876
Eau-forte et point sèche, aquatinte sur papier vélin Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), 1908

Félix Buhot (1847-1898)
La Taverne du Bagne. La Place des Martyrs
1885
Eau-forte, pointe sèche et aquatinte sur papier vélin Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), avril 1908
Félix Buhot, brillant acteur de la renaissance de l'eau-forte dans la seconde moitié du XIXe siècle, s'est attaché à la représentation de la vie de Paris. Cette estampe est un précieux témoignage de La Taverne du Bagne, ouverte par un communard revenu du bagne de Nouvelle-Calédonie. Dans cet établissement aux allures de prison, les clients étaient servis par des garçons déguisés en forçats, chaîne au pied et boulet sous le bras, et, une fois leur consommation réglée, sortaient avec un "certificat de libération".

Edgar Chahine (1874-1947)
Le Tombereau
1905
Eau-forte, vernis mou, pointe sèche et aquatinte sur papier Japon
Petit Palais, don manuel Edgar Chahine, avril 1908
Edgard Chahine, artiste français d'origine arménienne, offre trente-huit estampes au Petit Palais pour le musée de l'Estampe moderne. Cet ensemble conséquent réunit des représentations de parisiennes élégantes, d'attractions de rue ou encore de vues de la capitale en pleine métamorphose - ici, des travaux aux pieds du pont Louis-Philippe. La ville en chantier devient elle-même un spectacle rythmé par les clameurs de la foule, les coups de pioche des terrassiers et les passages des tombereaux charriant terre et pavés.

Edgar Chahine (1874-1947)
Le Tombereau déchargé ou Les Terrassiers
1904
Eau-forte et vernis mou sur papier Japon
Petit Palais, don manuel Edgar Chahine, avril 1908

Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923)
Vagabond sous la neige
1902
Eau-forte sur zinc tirée sur papier vergé Petit Palais, don Théophile Alexandre Steinlen, avril 1908

Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923)
Blanchisseuses. Le linge sale et le linge propre
1896
Lithographie au crayon sur papier Chine
Petit Palais, don Théophile Alexandre Steinlen, avril 1908
Artiste engagé, le montmartrois d'adoption Théophile Alexandre Steinlen représente volontiers les petites gens, prostituées, vagabonds et laissés-pour-compte, victimes des injustices sociales de la capitale.
Le regard qu'il pose sur ses contemporains est profondément humain, voire affectueux, parfois même humoristique. C'est le cas de cette représentation de deux lavandières qui semblent se disputer, l'une portant un panier de linge propre, l'autre, boudeuse, un balluchon de linge sale.

Edgar Chahine (1874-1947)
Les Trotteuses
1907
Eau-forte, vernis mou et aquatinte, tirée en couleurs sur papier Japon
Petit Palais, don Edgar Chahine, avril 1908

Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923)
Intérieur de tramway. Dans la diligence à chevaux
1896
Lithographie au crayon sur papier Chine Petit Palais, don Théophile Alexandre Steinlen, 1908
Steinlen livre ici une vue surprenante
de l'intérieur d'un tramway. Les visages des passagers émergent d'une semi-pénombre, éclairés depuis le côté par un jeu de réserve. L'artiste a usé d'un grattoir pour dégager de cette masse sombre de maigres éclats de lumière captés par les rides du visage d'une femme âgée ou les cheveux remontés sur le front de sa voisine. Ces silhouettes, densément serrées les unes contre les autres sur la banquette de la diligence, évoquent autant d'histoires individuelles.

Edgar Chahine (1874-1947)
Matinée d'hiver boulevard Ney ou La Chiffonnière
1901
Eau-forte et aquatinte sur papier Japon Petit Palais, don Edgar Chahine, avril 1908

DON D'UN MARCHAND ET ÉDITEUR Georges Petit et l'estampe en couleurs
Henri Lapauze s'engage d'emblée à valoriser l'estampe en couleurs au sein du musée de l'Estampe moderne. Il défend ainsi l'intérêt d'oeuvres que l'on associait encore facilement à une production commerciale et non artistique. Il est soutenu en cela par un autre profil de donateur, en la personne du marchand et éditeur Georges Petit (1856-1920). Ce dernier développe dans ses catalogues d'éditions un véritable plaidoyer pour la couleur. Il y reprend l'argumentaire défendant l'estampe originale, conçue et exécutée par le même artiste, imprimée en un nombre de tirages limité, signée, parfois rehaussée à la main : autant d'éléments qui lui confèrent une rareté et qui l'affirment comme œuvre d'art à part entière.
Les paysages sont très bien représentés dans le don des Galeries Georges Petit pour le musée de l'Estampe moderne. Ils occupent une place importante dans le catalogue de cet éditeur, présentant un intérêt autant artistique que commercial. Ces sujets au fort potentiel décoratif sont immédiatement séduisants et démontrent merveilleusement la virtuosité des artistes et des imprimeurs qui les accompagnent. En une forme d'imitation sinon d'émulation, ces eaux-fortes et aquatintes prennent des allures d'huiles éclatantes, d'aquarelles en fin lavis ou de pastels pulvérulents.

Eugène Dauphin (1857-1930) Vue du port de Toulon ou Quai de Toulon (crépuscule)
Entre 1900 et 1910
Eau-forte en couleur sur papier Petit Palais, mode d'acquisition inconnu
Eugène Dauphin s'est fait une spécialité de la peinture et de la gravure de paysages, en particulier de marines. Il représente ici le port de sa ville natale, Toulon, sous un ciel aux riches couleurs de fin de journée. Les reflets à la surface de l'eau sont restitués par de petits rehauts de gouache. Le mode d'acquisition de l'œuvre n'est pas connu mais cette estampe a été éditée par Georges Petit: il pourrait s'agir de l'une des œuvres que Petit a offertes mais qui ont été mal enregistrées, tant les dons pour le musée de l'Estampe moderne affluaient.

Alphonse Lafitte (1863-?) Barques au soleil couchant
Entre 1900 et 1910
Eau-forte et aquatinte en couleurs sur papier Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril

Louis Abel-Truchet (1857-1918)
Le Grand Canal à Venise près du Rialto
Entre 1900 et 1910
Eau-forte en couleurs sur papier
Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908
Le peintre et graveur Louis-Abel Truchet se spécialise dans les représentations de scènes de la vie moderne et de paysages, notamment de villes italiennes. Georges Petit en édite, entre autres, deux vues de Venise. Celle-ci représente le Grand Canal, ses gondoles et le pont du Rialto à l'arrière-plan. L'œuvre frappe par son imitation
de la peinture, particulièrement visible dans le rendu des ombres des poteaux d'amarrage : l'aquatinte posée au pinceau reprend la touche impressionniste adoptée par le peintre.

Frits Thaulow (1847-1906) Hiver en Norvège
Entre 1900 et 1910
Eau-forte en couleurs et rehauts d'aquarelle et de crayon graphite sur papier vélin
Petit Palais, don Galeries Georges Petit, 18 février 1908
Le peintre norvégien Frits Thaulow s'est fait connaître pour ses paysages de bord de mer et de rivière. Influencé par l'impressionnisme, ami notamment de Claude Monet, il peint avec virtuosité les effets de l'eau et son interaction lumineuse et vaporeuse avec l'air. Des reflets ondoyants et une brume légère animent cette vue d'une rivière partiellement couverte de glace aux abords d'un village enneigé. Une unique matrice est encrée à la poupée en plusieurs couleurs, conférant au paysage une atmosphère brouillée par le froid.

Arsène Chabanian (1864-1949)
Les Pêcheuses de crevettes
Entre 1900 et 1910
Eau-forte en couleurs sur papier
Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908
Arsène Chabanian, artiste français d'origine arménienne, est apprécié pour ses talents de peintre et pastelliste de paysages, surtout de marines. Il exploite aussi ce genre dans son travail gravé qui reprend souvent les mêmes motifs, à l'image de ces pêcheuses de crevette. Ses œuvres révèlent une recherche d'effets atmosphériques forts, ciels gris nacrés de couleurs délicates ou rougeoyants couchers de soleil, qui éclipsent souvent les figures, et sont obtenus grâce à de subtils jeux d'aquatinte et d'encrage.

Arsène Chabanian (1864-1949)
Le Coup de filet sur la plage ou Les Pêcheurs
Entre 1900 et 1910
Eau-forte en couleurs sur papier
Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908

Johannes Grimelund (1842-1917)
Rue de village sous la neige au soleil couchant
ou La Neige en Norvège
Vers 1904
Eau-forte en couleurs sur papier vélin
Petit Palais, don Galeries Georges Petit, 18 février 1908
Peintre et graveur de paysages norvégien, Johannes Grimelund s'installe à Paris en 1875. Ce paysage enneigé reprend sa peinture Village de pêcheur au crépuscule, Norvège (1904, château-musée de Nemours). Les couleurs flamboyantes laissent éclater la splendeur du coucher de soleil. L'artiste emploie la technique d'encrage à la poupée, mêlant les encres de couleur sur la même matrice. L'estampe prend l'aspect d'un pastel, poudreux et fondu, qui s'accorde bien avec le cotonneux du paysage neigeux.

Henri Jourdain (1864-1931)
Le Chemin par temps de pluie ou Sous l'averse
Entre 1900 et 1910
Vernis mou, eau-forte et aquatinte en couleurs sur papier Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908

EAU-FORTE EN COULEURS
L'artiste grave sa matrice en cuivre à l'eau-forte et à l'aquatinte, une technique dérivée de l'eau-forte qui permet d'obtenir des nuances plus ou moins foncées. L'encrage en plusieurs couleurs est effectué <<à la poupée »: on juxtapose les différentes encres colorées sur la plaque à l'aide
de tampons de mousseline ou avec le doigt entouré d'un linge. L'essuyage à la tarlatane (mousseline) pour retirer l'encre des surfaces est très délicat, car il s'agit de ne pas mêler les couleurs. Le tirage se fait en un seul passage sous la presse à taille-douce. La répétition de cette minutieuse opération à chaque impression rend le tirage plus long.


NOUVELLES ACQUISITIONS
Si le noyau des collections d'estampes du Petit Palais s'est formé dans les sept ans suivant l'ouverture du musée, autour du legs de la collection des frères Auguste et Eugène Dutuit puis de la collecte instiguée pour la création du musée de l'Estampe moderne, il s'est continuellement enrichi depuis. Le fonds s'accroît en effet régulièrement, grâce à de nouvelles généreuses libéralités et par des achats qui visent à le compléter. Entre 2013 et 2023, ce sont 1289 estampes qui ont rejoint le Petit Palais - dont 1136 issues du fonds d'atelier de Pierre Roche (1855-1922), offert par la petite-fille par alliance et l'arrière-petite-fille de l'artiste en 2015. La diversité des œuvres ainsi acquises accompagne celle du fonds déjà existant: techniques variées, artistes reconnus ou redécouvertes... Voici un infime aperçu de ces centaines de belles feuilles, par ailleurs consultables en ligne sur le portail des collections de Paris Musées et accessibles aux chercheurs sur rendez-vous.

Henri Rachou (1856-1944) Panneau décoratif,
pour la deuxième livraison de L'Estampe originale
1893
Lithographie en couleurs sur papier Petit Palais, don Nicole Massignon, 2015

Odilon Redon (1840-1916)
La Cellule auriculaire, pour la deuxième livraison de L'Estampe originale
1893
Lithographie sur papier
Petit Palais, don Nicole Massignon, 2015

Paul-Elie Ranson (1861-1909)
Tigre dans les jungles, pour la première livraison de L'Estampe originale
1893
Lithographie en couleurs sur papier vélin Petit Palais, don Nicole Massignon, 2015

Henri de Toulouse-Lautrec
(1864-1901)
La Lithographie,
couverture pour la première livraison de L'Estampe originale
1893
Lithographie en couleurs sur papier Petit Palais, don Nicole Massignon, 2015
L'Estampe originale, luxueuse publication trimestrielle éditée par André Marty de 1893 à 1895, réunit des planches d'artistes divers. L'initiative promeut l'estampe originale, conçue et exécutée par le peintre-graveur qui la signe et la numérote, défendant son statut d'œuvre d'art. Toulouse-Lautrec conçoit la couverture du premier numéro comme une véritable mise en abyme de la lithographie en couleurs. Jane Avril, célèbre danseuse du Moulin-Rouge et modèle récurrent de l'artiste, examine une lithographie fraîchement tirée par le père Cotelle, l'imprimeur attitré de l'artiste, qui s'affaire derrière la grande presse.

Félix Bracquemond
(1833-1914)
Planche d'essais de motifs pour
le service Rousseau: canard en vol, gallinacés, insectes divers, liserons et autres fleurs
1866
Eau-forte rehaussée à l'aquarelle sur papier Petit Palais, achat galerie L'Horizon chimérique, 2020
Le «service Rousseau », édité par la manufacture de Creil-Montereau de 1866 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, est le plus grand succès de la céramique japoniste. Les motifs qui l'ornent ont été imaginés et gravés à l'eau-forte par Bracquemond. Ces deux feuilles sont des documents de travail destinés à la fabrication des pièces du service. Elles n'ont probablement pas été mises en couleurs par Bracquemond lui-même : il s'agit davantage d'essais de la manufacture pour la mise au point des modèles qui étaient transférés sur la faïence. Ces œuvres rares révèlent le processus de fabrication de ce célèbre service dont le Petit Palais conserve un bel ensemble. Une sélection est présentée dans le parcours permanent du musée ; on y retrouve quelques-uns des motifs de ces deux planches d'essai.

Auguste Renoir (1841-1919)
L'Enfant à la chaise (Jean Renoir)
1895
Contre-épreuve de pastel sur papier Petit Palais, don Indivision Petiet, 2020

Auguste Renoir (1841-1919)
Fillette à l'orange
1895
sur papier
Contre-épreuve de pastel Petit Palais, don Indivision Petiet, 2020
L'intérêt du marchand et éditeur Ambroise Vollard pour les arts graphiques le conduit à acheter à Auguste Renoir des dessins au pastel. Il semblerait que, avec l'accord de l'artiste, Vollard ait encouragé le lithographe Auguste Clot à en tirer des contre-épreuves. Pour ce faire, le dessin est placé face contre une feuille de papier humide puis passé sous presse. Le léger surplus de pastel, craie de couleur pulvérulente, se reporte par pression sur la feuille de papier vierge. En résulte une image en miroir de l'œuvre originelle, aux couleurs adoucies. Certaines de ces contre-épreuves ont ensuite servi de modèles pour des lithographies qui devaient peut-être s'insérer dans un plus vaste projet éditorial. 

Anders Zorn (1860-1920)
Albert Besnard et son modèle
1896
Eau-forte sur papier
Petit Palais, achat Galerie Nicolas Teeuwisse, 2016


Albert Besnard (1849-1934)
La Femme au vase
1894
Eau-forte et aquatinte sur papier vergé Petit Palais, achat Galerie Paul Prouté, 2017
d'Albert Besnard a été achetée presque
immédiatement
La gravure après celle du peintre et graveur suédois Anders Zorn afin de reconstituer la paire formée par ces deux œuvres. En effet, Zorn représente à l'eau-forte son ami en train de graver sa propre eau-forte, La Femme au vase. Dans une mise en abyme amusante, on voit ainsi l'autre artiste assis, de dos, dans un atelier, devant le modèle qu'il est en train de représenter: une femme à la toilette, aux cheveux lâchés et au buste dénudé, se tient devant une vasque, un vase entre les mains.


Charles Méryon
 (1821-1868) L'Ancienne Morgue
1854
Eau-forte sur papier
Petit Palais, legs Harley Hall Preston, 2020
Le conservateur et collectionneur Harley Hall Preston a légué au Petit Palais un prestigieux ensemble de quarante-deux œuvres, parmi lesquelles douze eaux-fortes de Charles Méryon. Représentant virtuose de l'eau-forte romantique, celui-ci laisse derrière lui un œuvre gravé où le vieux Paris, nostalgique, mystérieux voire angoissant, occupe une place centrale. De tout petits personnages sont écrasés dans des compositions complexes et fortement contrastées et dominées par l'architecture, qui suggèrent l'influence de Piranèse.

Charles Méryon (1821-1868) 
Saint-Étienne-du-Mont
1852
Eau-forte sur papier bleu
Petit Palais


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