samedi 14 mai 2022

Extrudia, une exposition d'Anita Molinero au musée d'art moderne en mai 2022


Extrudia est la première rétrospective consacrée à Anita Molinero dans une
institution parisienne. L'exposition retrace le parcours de l'artiste, de la fin des années 1980 à aujourd'hui. Le titre de l'exposition, dont les sonorités évoquent la science-fiction, fait référence à la fois à l'une des pratiques sculpturales de l'artiste ("extruder" signifie «donner une forme à un matériau en le contraignant ») et à l'un des matériaux de prédilection qu'elle utilise: le polystyrène extrudé.
Anita Molinero est l'une des rares artistes françaises de sa génération à ne s'exprimer qu'à travers la sculpture. Bien que s'attaquant à des matériaux dits "non nobles" - produits et résidus du monde industriel -, l'artiste envisage
depuis toujours cette pratique dans son sens classique: aborder le support par le modelage, la déformation, la perforation, pour en faire surgir une oeuvre.
Tout en revendiquant ce
 "classicisme" sculptural, souvent qualifié de "viril" au fil de l'histoire de l'art, Molinero y adjoint la puissance d'outils mécaniques.
Entre abstraction et anthropomorphisme, ses oeuvres font s'interroger sur le
statut de l'objet à l'ère post-Tchernobyl. En effet, à travers sa sculpture, l'artiste cherche à permettre d'envisager « le caractère toxique de l'invisible ».
Le parcours d'Extrudia s'articule en deux temps. La première partie est dédiée aux oeuvres réalisées entre 1990 et 2015; les époques, les typologies et les sujets se croisent afin de mettre l'accent sur la trace des gestes laisses par l'artiste. La
seconde partie de l'exposition est, quant à elle consacrée aux oeuvres produites entre 2015 et aujourd'hui et invite à une plongée dans une iconographie entre iconoclasme et film de genre.
L'exposition est complétée par deux salles dans le parcours des collections permanentes, dévolues au travail d'atelier de Molinero et à son approche quant au devenir de ses sculptures. Des images d'archives - vidéo inédite d'Aline Dalbis et photographies d'oeuvres disparues - viennent faire écho à la projection d'un film expérimental intitule Extrudia 3D (2021), tourné en 3D sous la direction artistique d'Anita Molinero et José Eon.

L'Irremplaçable expérience de l'explosion de Smoby, 2010
Cabane en polychlorure de vinyle Collection Alain Gutharc, Paris

"En revenant de la Biennale de Venise [en 2009], je m'arrête sur l'autoroute pour boire un coup et sur le parking il y avait des maisons pour enfants. Et là, je me suis dit: "C'est génial. J'ai là un objet à échelle un" C'est un objet industriel, très froid, très irreel, avec aucune texture, aucune épaisseur. Un objet pour les enfants, à qui on fournit de l'imaginaire bon marché. J'ai donc envie de travailler avec, Je regarde: Smoby en produit. En même temps, je me dis: "C'est un objet qui est en plastique, un objet qui est le monde présent et futur qu'on offre à nos enfants." C'est-à-dire cette fameuse énergie qui va disparaitre et que l'on préserve le plus longtemps possible dans une imagerie enfantine qui est une projection purement stupide et niaise des parents sur les enfants. J'ai alors travaillé avec ces objets et, quand j'al commencé à les déformer, tout en pensant évidemment à cette industrie stupide, à cet imaginaire floué, à cette projection sur l'enfant, à la fois innocent avec un objet inoffensif, je me suis dit que, peut-être, je matérialisais leurs cauchemars. Soit qu'ils en alent avec ces maisons, soit que je leur donne l'opportunité de laisser aller leur sentiment perfide. L'école de la vie. Mais, en premier lieu, c'est cette imagerie industrielle qui m'a attirée, ce n'est pas du tout le lien à l'enfance en tant que tel. J'ai beaucoup aimé des artistes comme Mike Kelley qui se réferent au mauvais enfant qu'ils ont été."

L'EMPREINTE DU GESTE
Anita Molinero débute sa carrière dans les années 1980-1990 à travers le prisme des cultures grunge puis punk, et de l'économie de récupération. Son œuvre s'apparente alors à des sculptures de trottoir, pour paraphraser Raymond Hains. Ses sculptures de petite taille en mousse, carton, lambeaux de tissu évoquent alors la précarité, la fragilité, l'abri de fortune. De cette époque, elle gardera toujours un esthétisme qui lui fait préférer le potentiel artistique d'une canette écrasée à celui d'un pain d'argile.

À la fin des années 90, l'œuvre de Molinero est marquée par une certaine prise de recul, à la fois conceptuelle et artistique. L'artiste semble désormais s'intéresser davantage au collectif qu'à l'individu. Sa sculpture aborde les contenants - poubelles, mobilier urbain - plutôt que leurs contenus. L'échelle change elle aussi et les ceuvres se font plus monumentales.

Dans la réalisation de ses œuvres, l'artiste laisse une grande part à l'accident, au hasard. Elle cherche à établir des rapports de force entre les matériaux mais rien n'est jamais préétabli. Son mode opératoire ne passe pas par des croquis, mais par une simple visualisation, laissant ainsi le champ libre à la matière pour réagir: elle arrête le processus avant que la forme ne disparaisse.

Les matériaux qu'elle choisit proviennent tous de notre environnement quotidien. Leurs rôles sont transitionnels: ils protègent ce que nous consommons avant de contenir les déchets qu'ils deviennent ensuite à leur tour. Molinero les met au centre de son œuvre et cherche avant tout à les transformer, sans jamais perdre de vue l'objet originel.

L'outil est l'intermédiaire entre la main de l'artiste et la surface qu'elle sculpte.. Pourtant, l'empreinte du geste est bien visible. Dans ce travail de la matière, on distingue trois principales typologies de gestes: la torsion, l'accumulation, et la combustion. Mais qu'ils soient isolés ou combinés, tous sont des gestes intuitifs et irréversibles.

Souvenir d'Oyonnax, 2007
Plastique thermoformé, câbles 
Dimensions variables Collection Consortium Museum, Dijon

La Fiancée du pirate #1, 2012
Pots d'échappement, plastique
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gallard, Paris

«Pour [La Fiancée du pirate), je savais que j'allais travailler avec des pots d'échappement de voiture parce que je me disais que, dans la distorsion de ces tuyaux et de ces orifices, on sent qu'il y a du gaz. comme dans des intestins. Et puis je visualise un objet. Et, au moment où je le fais, j'oublie tout. Je me mets à tourner autour. Mais entre la visualisation et la création d'un rapport de force, il y a la verbalisation. C'est-à dire que si je ne me dis pas que des gaz passent par ces tuyaux, les distordent comme des intestins et sortent de manière vulgaire, et même puante, au bout co de ces orifices, je n'ai pas envie de travailler avec. »

Cricri, 2009
Métal, fer à béton, fourrure, confettis
 Musée d'Art moderne de Paris

 "Je ne sais pas pourquoi je l'ai appelée Cricri... Parce qu'elle était grinçante ? Mais franchement, c'est absurde. J'ai beaucoup de sculptures que j'appelle, entre nous, par des petits noms, comme des amis. Je ne sais pas si j'ai vraiment osé le mettre comme un titre, mais je crois que oui. C'est juste que le son renvoie au son grinçant de la sculpture dans son apparence physique. Alors, celle-ci, au fond, serait la suite agrandie, peut-être plus événementielle, des petites sculptures de trottoir. C'est quand même une sculpture d'atelier, contrairement aux autres qui sont produites en extérieur étant donné le caractère nocif des matériaux eux-mêmes, des lances-brûleurs, de la mini-pollution que j'exerce quand je les produis. C'est une poursuite d'une sculpture de trottoir, dans la mesure où presque tout est déjà là dans l'atelier. ce sont des matériaux épars, et, là, il faut qu'il y ait des rencontres. Il y a quand même un petit événement de groupe, ce sont les confettis. [...] Les confettis sont le plus petit dénominateur commun d'un groupe. Au fond, on ne va pas se lancer des confettis sur sol-même tout seul un soir. A moins qu'on soit dans un film de Cassavetes peut être, et complètement bourré et défoncé, mais, en general, c'est quelque chose qu'on partage. Il faut être au moins trois ou quatre, il faut qu'il y ait quelque chose à roter"

Sans titre, 1992
Sac, mousse
Collection Yves Michaud 
au musée d'Art moderne, Céret

Sans titre, 2014
Série "Petits bétons de la Petite Ceinture" Béton, fer à béton, polystyrène extrudé
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris


La Ventrue, 2012
Série "Oyonnax"
 Polypropylène, métal
Collection Fonds régional d'art contemporain Bretagne, Rennes

Sans titre (Mauve), 2014
Série "Petits bétons de la Petite Ceinture" Béton, fer à béton, polystyrène peint (acrylique) 
Fonds d'art contemporain-Paris Collections

Sans titre, 2014
Série "Petits bétons de la Petite Ceinture" 
Béton, fer à béton, plaques émaillées 
Collection particulière

Sans titre, 2014
Série "Petits bétons de la Petite Ceinture" Béton, fer à béton, boîtes McDonald's
Collection particulière

Sans titre, 2003
Plastique, Plexiglas, bois, carrelage, tuiles, sacs-poubelle fondus, vases
 Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine, Limoges

Sans titre, 1995-2000
Ensemble de huit sculptures sur panneau en bois peint matériaux mixtes
Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine,
Limoges
Sans titre (El Cochecito), 2009-2014
Fauteuils roulants, arceaux à vélo, Inox miroir
 Collection Consortium Museum, Dijon

"Je n'ai jamais de titre a priori, ça ne précède jamais l'œuvre. [...] Je ne suis pas obligée d'en mettre. Mais, par exemple, pour les fauteuils, j'ai mis le titre du film de [Marco] Ferreri. L'ouvre s'appelle El Cochecito, comme le film. [...] Je voulais évoquer ce film sans l'évoquer. El Cochecito, pour Ferreri, c'était un fauteuil roulant et c'était le désir d'un vieux monsieur qui voulait absolument ce fauteuil pour retrouver ses copains handicapés avec qui il s'éclatait. En mettant les fauteuils dans des racks à vélos, ils deviennent un instrument de liberté. Mais il y a aussi la présence du corps furieux, défoncé. Mais ce n'est pas le corps en général, parce que je ne sais pas faire le corps."

Infia: effondrement du centre, 2007
Assemblage de plaques d'emballage alvéolées en polypropylène
Musée d'Art moderne de Paris

"La petite sculpture qui est au musée et s'appelle Infia [...], ce sont des emballages de poires. Ce qui est intéressant, c'est que les emballages de fruits fabriqués par les industriels sont des matériaux saisonniers. C'est-à-dire qu'ils ne les fabriquent, par exemple, que de mai à juillet. Ils suivent un petit peu la nature du fruit. Avant il n'y en a pas et après non plus. Là, ce sont des alvéoles, il y en a plus de 1000 sur cette sculpture-là. C'est de la même nature que les 1,000 on poubelles: ce sont des objets que j'ai découverts, que je n'avais  jamais regardés, que j'ai trouvés en faisant les marchés. J'ai découvert leur caractère fragile et la possibilité de les compacter. Je dois dire que c'est, encore plus que les poubelles, devenu un matériau sculptural avant même que j'y touche [...]. Comme pour les poubelles, je tiens à garder l'origine, je ne veux pas transfigurer une œuvre et je ne veux pas non plus les transfigurer, que  cela soit un ready-made. Et du coup, on peut percevoir qu'il s'agit de quelque chose d'aussi fragile, d'aussi ordinaire qu'un emballage, et je pense qu'on peut constater que cela a la force d'une roche taillée. »

Sans titre (La Rose), 2003
Polystyrène extrudé 
Collection Frac Bourgogne, Dijon

Sans titre, 1994-2022

Matelas en mousse de polyuréthane, pavés, confettis 
Fonds cantonal d'art contemporain, Genève

"Les inspirations restent toujours plutôt des rencontres visuelles. Par exemple, toute la serie des matelas date des années 1990, quand dans la rue on parlait des SDF. C'est la première fois qu'on a trouvé un acronyme pour parler des pauvres. Je trouvais ça choquant mais aussi... Quand on arrive à faire un acronyme, c'est que les phénomènes se généralisent, et ça m'avait beaucoup impressionnée. J'ai fait beaucoup d'œuvres avec des matelas dont celle avec les pavés que vous avez là, mais il y en a eu d'autres. [...] Les matelas, par exemple, n'ont pas de titre, parce qu'il me semble que les rapports de force sont très visibles. Et si je donne un titre, ça va déplacer l'objet sur du symbolique, et je ne le veux pas. Je veux qu'on voie vraiment ce qui est, c'est-à dire du pavé de rue, des confettis et un matelas. Et je ne veux pas déplacer l'oeuvre à voir sur l'œeuvre à penser ou l'évocation symbolique. [...] Le matelas, c'est le corps du SDF, le corps du manifestant, qui n'est pas là. Mais les couches superposées entre la fête, le pavé qui est balancé, le matelas qui n'est pas à sa place..., c'est une rencontre d'objets. "

Lion de casse #1, 2007
Fer à béton, phare de voiture, polycarbonate 
Collection Christian Berthier

ACCUMULATION
L'un des gestes caractéristiques de Molinero consiste à accumuler les éléments pour faire ressortir leur aspect sculptural, en les extrayant de leur contexte et en les soustrayant à leur fonction usuelle. L'agglomérat, la répétition de la forme, tend à transformer la matière en sculpture. Les objets issus de la fabrication industrielle deviennent contre-fonctionnels. Avec cette typologie d'œuvres, Molinero s'inscrit dans la continuité des Nouveaux Réalistes (Yves Klein, César, Arman) qui, dans les années 1960, mettent en lumière la production de masse du monde contemporain en faisant de l'objet manufacturé, un matériau à part entière.

Sans titre, 2007
Plaques de polycarbonate, vêtements divers, pots d'échappement, châssis en bois
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Sans titre (Plots), 2012
Plots de chantier 
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Sans titre, 1988
Carton
 FNAC 89105
Centre national des arts plastiques

La Grise, 2015
Polystyrène extrudé
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Sans titre, 1992
Carton, tissu, peinture
FNAC 95038
Centre national des arts plastiques
En dépôt à La Piscine, musée d'Art et d'Industrie André-Diligent, Roubaix


TORSION
C'est principalement par la torsion de la matière que Molinero façonne ses sculptures. L'artiste adapte le choix de la machine qu'elle utilise selon sa taille et sa résistance. Pince de casse automobile, décapeur thermique ou fil à chaud sont utilisés pour créer les courbes et les replis de ces matériaux. Elle y emprisonne le mouvement et pérennise ainsi l'éphémère. Mais comme l'explique l'artiste : « Je sais avec quoi je veux travailler, mais pas quelles sculptures cela va donner ». C'est en cela que l'œuvre de Molinero s'apparente au manifeste Anti Form de Robert Morris qui, en 1968, met en avant le procédé selon lequel l'artiste délègue à la matière le choix artistique et le geste.

Sans titre, 2000
Polypropylene
Musée d'Art moderne, Paris
"Cette poubelle qui est au musée, qui est en fait un bas-relief, celle-là était déjà faite. Ce n'était pas un ready-made, elle avait été façonnée par les humeurs et les colères de la rue. Tout ce style ornemental que l'on voit a été fait par des gens qui y ont foutu le feu. J'ai trouvé ça magnifique. Je récupérerais le terme de "style" comme il est employé par les jeunes. Elle a encore du style. C'est aussi un style ornemental, presque des années 1930. Je l'ai déboulonnée, je l'ai récupérée, et j'y ai ajouté ce trou central, qui est un trou extrêmement expressionniste et qui est presque la représentation de la colère, du cri. Cette sculpture a éveillé en moi le sentiment qu'il fallait quelque chose d'incontrôlé, ou qu'une part d'invisible pouvait façonner le travail."

Um Niti, 2005
Polystyrène, vinyle, paraffine, metal
Courtesy Denis Collet-Park

Plastic Butcher: Yodock, 2016-2018
Polypropylène
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

COMBUSTION
Que ce soit au lance-brûleur ou au chalumeau, l'utilisation du feu est au centre de la pratique de Molinero. À la différence des outils du peintre, le feu retire la matière; mais loin de vouloir la détruire, l'artiste la façonne. Elle brûle, fond, étire le support plastique et y insuffle une énergie qui métamorphose la matière de manière irréversible.

Sans titre, 2014
Polystyrène extrudé
Collection Consortium Museum, Dijon

Sans titre (Amiat 3), 2015
Poubelle fondue, parpaings
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

"Je pratique une sculpture du geste. Les poubelles, j'en fais beaucoup, c'est LE geste.. Et celui-là, on peut le répéter à l'infini, il n'est jamais le même. Mais par contre, ces œuvres là sont très spécifiques, il y a un récit qui est celui du corps. Mais c'est le corps contraint."

Sans titre, 2013
Série "Les Maltaises"
Filets
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Plastic Butcher: Yodock, 2016-2018
Polypropylène
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Saskia, 2021
Casques de coiffure, polymère, métal larmé
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

"J'aime bien, de temps en temps, non pas représenter mais incarner des personnages de fiction féminins. Je l'ai fait avec l'œuvre Tina, pour Tina Turner dans Mad Max. Mais je ne cherche pas à le faire. Il faut que j'aie une rencontre. Ma sculpture est une sculpture de rencontre, ce n'est pas une sculpture d'intention. Et je trouve génial le personnage de Saskia [dans le roman Les Furtifs, d'Alain Damasio]: la chasseuse qui finalement bascule, qui est aussi négociatrice, et surtout son rapport au son qui est quelque chose qui m'est complètement étranger. Un jour, en sortant ma chienne, je vois ces casques chez un coiffeur. On avait l'impression que c'était un énorme écouteur avec une forme complètement allongée, déjà très SF. Je me dis : "C'est Saskia." J'avais fini de lire le livre et j'adorais ce personnage, mais je ne savais pas par quel bout la prendre, car je n'ai pas envie d'avoir une intention dessinée, mais là je me dis que c'est elle."

Simen se la coule douce, 2021
Ciment, papier peinture acrylique en spray
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Sans titre, 2021
Série "Fond de cuve" Polypropylène et peinture acrylique en spray
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris


PILULE ROUGE OU PILULE BLEUE
Le titre de cette section, clin d'œil au film Matrix des soeurs Wachowski (sorti en 1999) cher à l'artiste, fait référence au choix de découvrir une vérité qui peut être dérangeante - en prenant la pilule rouge - ou à la volonté de rester dans l'ignorance - en prenant la pilule bleue.
Anita Molinero se fait conteuse et nous propose une plongée dans univers cinématographique, à la croisée de David Fincher et James Cameron. On y retrouve ses productions récentes, toujours empreintes de références littéraires, cinématographiques et artistiques, mais de nouvelles typologies d'œuvres apparaissent. Une sculpture-portrait est réalisée en hommage au personnage de Saskia du roman de genre Les Furtifs d'Alain Damasio; les sculptures deviennent peintures ou coulures avec les Croûûûtes et les Fonds de cuves; les matériaux bruts deviennent fonctionnels avec la sculpture banc Miss Pink, Miss Blue, Miss Orange (référence féminisée au film Reservoir Dogs de Quentin Tarantino). L'œuvre La Rose devient quant à elle un motif sur lequel viennent se ficher des rebuts de sculptures détruites.
Avec leur caractère dystopique, les sculptures semblent être devenues les reliques d'un monde inerte. L'artiste évoque en effet souvent en filigrane la catastrophe de Tchernobyl en 1986, qui lui a fait prendre conscience que l'ennemi, le danger, peut être invisible. Mais, à l'image des œuvres joyeuses et inquiétantes de Franz West, les sculptures de Molinero oscillent entre destruction et fétichisme, dégoût et sublime, et interrogent autant qu'elles dérangent.
Le prolongement de ce travail se fait dans la salle 20 des collections, avec la présentation du film inédit Extrudia 3D. Anita Molinero a perçu dans le caractère expérimental de la 3D, les liens qui peuvent être faits avec ses sculptures. Dans la lignée de ce que Wim Wenders a réalisé dans le film Pina pour mettre en avant les chorégraphies de Pina Bausch, Extrudia 3D immerge le spectateur dans l'atelier de l'artiste et l'invite derrière le nuage de ses émanations toxiques, pour faire face aux menaces tangibles de la hache et de la flamme du chalumeau.

Croûûûte criarde (liquitexée), 2016
Polystyrène extrudé, peinture Liquitex, Plexiglas
 Collection particulière

Sans titre, 2019
Série «Fond de cuve >>
Polypropylène et peinture acrylique en spray 
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Le Soufflet, 2021
Plastique recyclé, soufflet de bus RATP, fer à béton
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris Realisé avec le soutien de la RATP

"La première fois que j'ai pensé aux soufflets, c'est quand je suis allée visiter ce qu'on appelait à ce moment-là "le cimetière" de la RATP. Ça a été incroyable. [...] C'était en 2012, quand j'ai fait l'arrêt place. [...] de tramway, donc il m'a fallu presque dix ans pour le réaliser, ce qui m'arrive souvent. Il y a beaucoup de projets que je n'ai jamais pu faire, souvent parce que je n'ai pas accès aux choses, notamment dans le milieu de l'industrie. J'ai trouvé que cette forme [du soufflet] était magnifique. Je me disais que c'était un vaisseau spatial, comme dans le cinéma. [...]. J'ai commencé à l'associer avec les Petits bétons de la petite ceinture, que j'ai soudé pour qu'ils montent vers concrete from a le ciel. Si j'avais eu deux soufflets, j'aurais voulu faire comme une capote de berceau, et suspendre des objets tristes à l'intérieur, comme un mobile. Mais finalement, ça prend une forme d'éventail. Et je lui laisse toute sa saleté: là, des traces noires où l'on se demande ce qui s'est passé, et là, c'est un peu rouillé au niveau du métal. Pour le sol, je ne vais rien faire pour ne pas complètement la fermer. Il vaut mieux que ce soit dans notre espace pour que ça nous concerne quand on se promène. L'art, il faut qu'on le voie, mais pas forcément qu'on le regarde. Tu commences à regarder quand tu as vu. J'ai toujours dit à mes étudiants: "Il faut d'abord voir, et après, peut-être, vous regarderez."


Sans titre, 2019
Polystyrène extrudé, peinture acrylique
 Collection particulière, Bordeaux

Sans titre, 2018
Polystyrène extrudé, peinture acrylique
 Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Croûûûte criarde (saison bleue), 2017
Polystyrène extrudé, Plexiglas
Collection particulière 

Sans titre, 2019
Série «Fond de cuve >> Polypropylène et peinture acrylique en spray
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Ultime Caillou, 2009

Polypropylène extrudé, polypropylène, Cofalit
FNAC 2014-0302
Centre national des arts plastiques En dépôt au Frac Alsace, Sélestat

Simen se la coule douce, 2021
Ciment, papier, peinture acrylique en spray 
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Sans titre, 2022

Papier peint au motif de La Rose, fers à béton, éclats de polystyrène extrudé 
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris Réalisé avec le soutien de la Société des Amis du Musée d'Art moderne de Paris

Détails de l'œuvre précédente 

Sans titre, 2019
Série «Fond de cuve >
Polypropylène et peinture acrylique en spray
Courtesy de l'artiste et galerie Christophe Gaillard, Paris

Miss Pink, Miss Blue, Miss Orange, 2020 Béton fibré, chaînes, peinture 
Collection Natalie Seroussi, 
villa André Bloc

"Je pensais que ça pouvait être intéressant de mouler certains polystyrènes extrudés et j'avais déjà fait faire des échantillons. Donc quand Natalie [Seroussi] m'a proposé [cette invitation], je lui ai dit qu'il n'y avait qu'un seul projet qui m'intéressait, c'était d'arriver à sortir ces formes d une partie de Bouche-moi ce trou [oeuvre monumentale réalisée en 2018]. J'ai gardé le béton blanc en hommage à l'architecture d'André Bloc. Ça a été très compliqué techniquement pour Pascal Aumaitre, qui s'en est occupé. Il a fallu sortir tous les petits morceaux un peu "dentelés" de Bouche-moi ce trou pour faire des moulages. Très vite, j'ai pensé qu'il fallait que ce soit des blocs sur lesquels on s'assoit. Que ça te repousse un peu, mais que tu te dises que tu ne peux t'assoir que là. Pour qu'il n'y ait pas de choix, j'ai décidé de faire comme un feu de camp, et j'ai donc ajouté des chaînes. C'est un espace délimité dans lequel tu entres mais qui revient à la sculpture quand même. Je voulais aussi que mon aspect compulsif apparaisse sous une forme ou sous une autre. Le moulage, c'est tout le contraire de la pulsion: c'est un objet technique et programmé. J'ai donc "barbouillé" des endroits, et c'est un peu ma manière de travailler: opposer à la rigueur technique l'énervement ou l'hystérie du geste."


L'exposition Extrudia, consacrée à Anita Molinero, se poursuit dans ces deux salles et se concentre ici sur son travail d'atelier et son approche quant au devenir de ses œuvres. En effet, l'économie de la peinture n'a rien à voir avec celle de la sculpture et Molinero doit régulièrement faire face à des questions pratiques: confrontée depuis plusieurs années au problème du stockage de ses œuvres, elle s'est toujours interrogée sur leur avenir, devant bien souvent se contraindre à s'en séparer faute de place. Cette étape fait pour elle partie inhérente de la vie du sculpteur:  "C'est déchirant et plein d'espoir de jeter. [...] En me débarrassant de mes sculptures je les oublie, et en les oubliant je peux les refaire. C'est un geste perpétuel et c'est assez rare."

Dans cet espace sont reproduites les photos d'époque des œuvres réalisées par Molinero dans les années 80, dont la plupart n'existent plus. En complément, un film rassemble des images d'archives inédites datant de 2006 à 2008 où l'on découvre l'artiste au travail - production, montage d'exposition - mais aussi son questionnement quant à la postérité de ses sculptures.

La présentation du film Extrudia 3D vient accompagner cette réflexion à travers une projection futuriste et immersive dans la vie d'atelier de Molinero et la destruction d'une de ses oeuvres.

Photographies d'œuvres des années 1980/1990 ayant été détruites :

"Extrudia 3D est une immersion en 3D, furieuse et sublimée, au cœur du travail d'atelier. Le film s'intéresse à la vie des sculptures quand elles ne sont pas choyées et exposées dans une salle d'exposition. Finalement leur statut d'œuvre étant assez bref dans leurs longues vies, elles retournent parfois à jamais à l'état de matières stockées. Cet état d'éternelle solitude est le lot de beaucoup de ces œuvres qui ne trouvent pas acquéreur. C'est pourquoi nous avons décidé d'abattre Bouche moi ce trou, œuvre monumentale [réalisée en 2018 et présentée au Palais de Tokyo la même année] que nous allons réveiller de son hibernation et immortaliser face à l'objectif de la caméra 3D. Bouche moi ce trou va se retrouver disloquée, empalée aux quatre coins du Musée d'Art Moderne de Paris et elle trouvera là une seconde vie."
Anita Molinero et José Eon, septembre 2021



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