vendredi 8 avril 2022

Marcel Proust, un roman parisien au musée Carnavalet en avril 2018

Une exposition foisonnante, beaucoup de monde, quelques beaux tableaux, un monde fastueux. En voici l'essentiel :


L'année 2021 correspond au 150° anniversaire de la naissance de Marcel Proust (1871-1922) et offre au musée Carnavalet - Histoire de Paris, qui conserve la chambre de l'écrivain, l'occasion de commémorer cet événement en approfondissant les liens qui unissent Marcel Proust à Paris et la place de la ville dans son œuvre majeure, à la recherche du temps perdu.

Paris forme le cadre quasi exclusif de la vie de Marcel Proust. Hors Illiers, berceau de la famille paternelle, les séjours en Bretagne et à Cabourg, quelques voyages à Venise et en Hollande, les 51 ans de l'existence de l'écrivain se déroulent sur la rive droite de la ville. Un espace, façonné par les transformations haussmanniennes et habité par l'aristocratie et la grande bourgeoisie, dont la dimension est décisive dans l'éveil de la vocation littéraire de Marcel Proust.

Au cœur du parcours de cette exposition, l'évocation de la chambre de Marcel Proust offre - grâce à un dispositif inédit - une plongée immersive dans l'univers de l'écrivain. Les éléments de mobiliers et les objets qui la composent permettent de matérialiser l'espace de création et de rendre compte de la genèse de l'œuvre.

La seconde partie de l'exposition ouvre sur le Paris fictionnel suggéré par Marcel Proust. En suivant l'architecture du roman et au travers de lieux parisiens emblématiques, elle propose un voyage dans l'œuvre, et s'attache aux itinéraires parisiens des principaux protagonistes du roman. La capitale, poétisée par le récit, est le cadre de la quête du narrateur, double de l'auteur, jusqu'à la révélation finale de sa vocation d'écrivain.


Marcel Proust naît le 10 juillet 1871 au 96. rue La Fontaine, dans le 16 arrondissement. Située dans l'ancien village d'Auteuil, rattaché à Paris en 1860, la villégiature d'été du grand-oncle maternel Louis Weil offre à Adrien et Jeanne Proust, ses parents, un refuge au moment des événements de la Commune

Le couple est issu de familles athées et de tradition républicaine. La mère est issue d'une lignée de commerçants juifs, les Weil, qui habitaient le 10° arrondissement depuis leur arrivée d'Alsace au début du xxx siècle. Le père de Marcel provient d'une famille d'épiciers d'Illiers, un village situé à 25 kilomètres de Chartres.

Après leur mariage en 1870, le ménage s'installe 8, rue Roy dans le 8 arrondissement. Ce quartier de la rive droite, prisé des classes fortunées et habité par de nombreux médecins, offre à la bourgeoisie la possibilité d'incarner dans la pierre sa réussite matérielle et sociale. C'est là que Marcel Proust a vécu jusqu'en 1919.

Son enfance a pour cadre le Paris transformé par le préfet de la Seine Haussmann et ses successeurs à partir du règne de l'empereur Napoléon III, harmonie d'espaces verts et d'immeubles cossus, contrastant avec les ruines encore visibles des incendies.de 1871.

Siebe Johannes ten Cate (Sneek, Pays-Bas, 1858-Paris, 1908)
Les Ruines des Tuileries et la place du Carrousel
1883
Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris
Les Tuileries, résidence de l'empereur Napoléon III de 1852 à 1870, ont été incendiées par les communards du 23 au 26 mai 1871. Ces ruines ont donné de Paris, pendant plusieurs dizaines d'années, le visage d'une «Pompéi moderne ».

Jacques-Émile Blanche
(Paris, 1861-Offranville, 1942)
Le Parterre de myosotis
Atelier de Jacques-Émile Blanche à Auteuil avant sa transformation en hôtel particulier
Vers 1890 Huile sur toile
Paris, collection Stéphane-Jacques Addade


"L'un des quartiers les plus laids de la ville"
En 1973, à la naissance de leur fils cadet, Robert, les Proust s'installent au 9bd Malesherbe, un quartier qui inspire au jeune Marcel une aversion certaine.
Son enfance puis son adolescence ont pour cadre les jardins des Champs-Élysées et le lycée Condorcet d'où Proust sortira bachelier en 1889. Sa formation esthétique se nourrit  de visites au musée du Louvre et de sorties au spectacle. C'est aussi l'époque où le jeune Proust fait l'expérience des premiers sentiments amoureux et découvre son homosexualité.

Se soumettant aux injonctions paternelles, Marcel s'inscrit à l'Institut de sciences politiques ainsi qu'à la Sorbonne en licence de philosophie. Reçu au concours d'attaché non rémunéré à la bibliothèque Mazarine, il renonce  à ce poste pour se consacrer à une vie mondaine intense et à ses premiers travaux d'écrivain.

Par le biais de ses amitiés de collège, Marcel Proust accède aux salons bourgeois puis, par le jeu des présentations, aux cercles littéraires  et artistiques parisiens. La rencontre de Robert de Montesquiou lui donne accès aux milieux aristocratiques des beaux quartiers de Robe la rive droite: le faubourg Saint-Honoré et la plaine Monceau.

Avant 30 ans, Proust a fait l'expérience d'émotions et de situations qui nourrissent  Les Plaisirs et les Jours, son premier livre, et Jean Santeuil, roman abandonné en 1899, dont il écrira: «Ce livre n'a pas été fait, il a été récolté.»


Laure Brouardel (Fontainebleau, 1852-?, 1936)
Le Docteur Adrien Proust [1834-1903]
1891 Huile sur bois
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris
Élu à la chaire d'hygiène de la faculté de médecine de Paris en 1885, Adrien Proust accède rapidement aux plus hauts postes hospitaliers et administratifs. Sur ce portrait de Laure Brouardel, épouse de son ami le Dr Brouardel, médecin hygiéniste comme lui, il apparaît dans tout son prestige de professeur agrégé de la faculté de médecine de Paris et arbore les insignes d'officier de la Légion d'honneur.

Anaïs Beauvais
(Flez-Cuzy, 1832-Paris, 1898)
Portrait de Madame Adrien Proust [1849-1905]
1880
Huile sur toile
Illiers-Combray, Maison de tante Léonie- Musée Marcel Proust

Jeanne Weil et son frère Georges grandissent 40 bis, rue du Faubourg-Poissonnière, dans un milieu lettré et mélomane. Mère attentionnée et inquiète, elle entretient avec ses deux fils des relations marquées par la tendresse et l'humour, dont rend compte sa correspondance. La disparition de sa mère Adèle, en 1890, est pour elle un déchirement que l'écrivain transcrit des années plus tard dans Sodome et Gomorrhe.

Francis Garat
(?, 1853-Paris, 1914)
Place de la Madeleine
Vers 1908
Aquarelle et traits de mine graphite
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Neurdein
(actif de 1863 à 1918)
L'Avenue du bois de Boulogne. Paris, vers 1900
Retirage d'après un négatif sur plaque de verre
Paris, collections Roger-Viollet/Bibliothèque historique de la Ville de Paris

Sous le Second Empire, le bois de Boulogne est une réalisation déterminante dans l'aménagement des parcs et des jardins de la capitale, et devient le rendez-vous de l'élégance et des intrigues galantes. Au printemps 1881, lors d'une promenade familiale, c'est là que se déclenche la première crise d'asthme de Marcel Proust, une affection dont il souffrira toute son existence.

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
La Sortie du lycée Condorcet
Vers 1903 Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Situé rue du Havre, dans l'élégant quartier de la Chaussée d'Antin, le lycée Condorcet accueillait les enfants de la bourgeoisie libérale et intellectuelle. Marcel Proust y accomplit sa scolarité entre 1882 et 1889, après avoir fréquenté le cours Pape-Carpantier. Il y rencontre Jacques Bizet, Daniel Halévy, les Lavallée, Horace Finaly, Robert de Flers, Paul Baignères, et participe à ses premiers travaux littéraires, dans le cadre de revues lycéennes.


Jules-Élie Delaunay
(Nantes, 1828-Paris, 1891)
Portrait de Jacques Bizet, enfant
1878
Huile sur toile
Nantes, musée d'arts de Nantes




Anonyme
Classe de rhétorique
au lycée Condorcet [Année scolaire 1887-1888]
Tirage argentique
São Paulo, collection Pedro Corrêa do Lago

Paul Tournachon, dit Paul Nadar 
(Paris, 1856-id., 1939)
Marcel Proust à 15 ans
24 mars 1887
Retirage d'après un négatif sur verre
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
La Colonne Morris, angle de la rue Laffitte et du boulevard des Italiens
Vers 1885 Huile sur bois
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Une de ces «colonnes affiches » conçues par Richard Morris à la fin des années 1860 se trouve toujours devant le 9, boulevard Malesherbes. Les réclames des représentations théâtrales exercent sur Marcel Proust enfant une fascination qu'il prête au narrateur de la Recherche: "Tous les matins je courais jusqu'à la colonne Morris pour voir les spectacles qu'elle annonçait."


Studio Dupont,
actif à Bruxelles entre 1864 et 1900
Marie Bréma dans Orphée
Probablement en 1898 Photographie
Paris, collection particulière

Comme tous les personnages de la Recherche, la figure de la Berma est élaborée en plusieurs temps, à l'aide de différents modèles d'actrices. Dans le Cahier 67 (1910), Proust retient le nom de la Bréma, Berma. Elle est introduite corrigé en la au milieu d'une liste de noms d'actrices connues, «Sarah Bernhardt, la Berma, Bartet, Madeleine Brohan, Jeanne Samary", La cantatrice Marie Brêma (1856-1925), mezzo-soprano d'origine britannique, a été l'interprète de plusieurs rôles wagneriens à Bayreuth et à Paris.

Charles Reutlinger (Karlsruhe, 1616-Francfort, 18600
Julia Bartet dans Andromaque
1902
Tirage sur papier albuminé
Paris, Bibliotheque nationale de France

Anonyme
Portrait de Réjane dans Le Cœur de Paris, revue de Philippe de Massa représentée à l'Opéra Comique le 23 mai 1887
1887
Photographie
Paris, Bibliothèque nationale de France

Dans le prologue de la revue, Réjane, travestie en homme, joue un personnage dénommé le chic ».
Proust admire cette actrice qu'il a vue dans Germinie Lacerteux d'Edmond de Goncourt et noue avec elle une relation d'amitié jusqu'à sa mort le 14 juin 1920, Proust a pensé à sa vie et à son art lorsque, dans Le Temps retrouvé, il évoque les derniers moments de la Berma abandonnée par sa fille en la comparant à Rejane

Paul Tournachon, dit Paul Nadar
Lucienne Bréval dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg
1887 Photographie

Ferdinand Bac
(Stuttgart, 1859-Compiègne, 1952)
Ambassadeurs, tous les soirs, Yvette Guilbert
1895
Lithographie en couleur
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

En 1891, Marcel Proust, qui fréquente les music-halls de l'Est parisien, La Scala, Les Folies-Bergère, l'Eldorado, rédige des articles de critique musicale pour un petit journal, Le Mensuel, financé par un de ses camarades, Otto Bouwens van der Boijen. La musique légère, les chansons de Mayol ou d'Yvette Guilbert, les opérettes de Victor Massé, figurent dans la Recherche.

Auteur anonyme
d'après James McNeill Whistler
Arrangement in Black and Gold: comte Robert de Montesquiou-Fezensac
Avant 1914 Huile sur bois


Robert de Montesquiou
 (Paris, 1855-Menton, 1921)
Ensemble de sept portraits. De gauche à droite: Marcel Proust, le comte Edmond de Polignac, Charles Haas, Panzini, Louis Welden Hawkins, un inconnu [Gabriel Yturri )
Sans date
Crayon et plume sur papier

Antonio Henri Pierre de La Gandara
(Paris, 1861-id., 1917)
Portrait de Jean Lorrain [1855-1906], écrivain
Vers 1900
Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet 

Otto Wegener
(Helsingborg, Suède, 1849-Paris, 1924)
Portrait de Marcel Proust
1895
Tirage contrecollé sur carton
Paris, collection Jacques Polge


Jeanne Magdelaine Colle, dite Madeleine Lemaire (Les Arcs, 1845-Paris, 1928)
Portrait de Gabrielle Réjane en pied
Sans date
Aquarelle sur traits de mine graphite sur papier
Paris, musée Carnavalet

Félix Bertrand
(actif à la fin du 19ème siècle)
Madeleine Lemaire peignant dans son atelier
Sans date Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Illustratrice, peintre de fleurs, Madeleine Lemaire réunissait tous les mardis dans son hôtel particulier du 3, rue Monceau une société d'artistes, d'hommes politiques et de membres de l'aristocratie à laquelle se mêle Proust dès 1893. Dans Le Figaro du 11 mai 1903, il évoque ces soirées dans « La cour aux Lilas et l'atelier des Roses».

Antonio Henri Pierre de La Gandara
 (Paris, 1862-id., 1917)
Portrait de Robert de Montesquiou [1855-1921]
Vers 1892 Huile sur toile
Tours, musée des Beaux-Arts

Robert de Montesquiou, poète et figure du dandysme, rencontre Proust le 13 avril 1893 dans le salon de Madeleine Lemaire. Leur relation, teintée d'admiration - Marcel lui décerne le titre de "professeur de beauté"- et de moquerie, nourrit la Recherche, offrant aux lecteurs un portrait du comte en baron de Charlus.

Pierre Georges Jeanniot (Plainpalais, Suisse, 1848-Paris, 1934)
Une chanson de Gibert dans le salon de madame Madeleine Lemaire
1891
Huile sur toile
Dépôt du Centre national des arts plastiques, Roubaix, musée La Piscine

Jacques-Émile Blanche 
(Paris, 1861-Offranville, 1942)
Portrait de Marcel Proust
1892
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay

René-Xavier Prinet
(Vitry-le-François, 1881-Bourbonne-les-Bains, 1946)
Le Balcon
1905-1906 Huile sur toile
Caen, musée des Beaux-Arts


Paul-César Helleu
 (Vannes, 1859-Paris, 1927)
La Comtesse Greffulhe et le comte Robert de Montesquiou
1891
Crayon noir, rehauts de crayon sanguine et de gouache verte sur papier vélin
Bayonne, musée Bonnat-Helleu

Cousine de Robert de Montesquiou, la comtesse Greffulhe, née Caraman-Chimay, occupa une situation mondaine des plus brillantes. Malgré sa fascination pour cette personne, Proust a été peu invité à ses soirées, ce qui n'empêche pas de reconnaître la comtesse, les personnages de la duchesse et de la princesse de Guermantes, et certains traits du comte chez le duc de Guermantes.

"Les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus"
Autour de 1900, Marcel Proust rédige ponctuellement pour Le Figaro des chroniques sur les soirées élégantes auxquelles il assiste Il organise dans le luxueux appartement de ses parents, 45, rue de Courcelles, à proximité du parc Monceau.des diners où se mêlent artistes et aristocrates. C'est avec acuité qu'il exerce son sens de l'observation au contact d'un monde où il est reçu.
A cette époque, Proust découvre l'oeuvre du critique d'art John Ruskin, qui nourrit sa réflexion sur le rôle de l'artiste, la symbolique de l'architecture gothique, ou encore la prédominance de la sensation sur la réflexion Sous son influence, il accomplit plusieurs voyages à Venise et traduit avec l'aide de sa mère deux ouvrages du théoricien anglais, la Bible d'Amiens et Sésame et les lys.

Ces années vont être endeuillées par la mort. brutale de son père en 1903, puis de sa mère en 1905, dont de rares photographies sont ici montrées.  Brisé, Proust, dont la santé vacille, se réfugie dans la clinique du docteur Sollier à Boulogne puis à l'Hôtel des Réservoire à Versailles, Contraint de quitter le domicile familial, il emménage dans l'ancien appartement de son oncle Louis, 102, boulevard Haussmann.

Émile Zola (Paris, 1840-id., 1902)
Autoportrait
Entre 1895 et 1900 Tirage gélatino-argentique
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Transposé dans Jean Santeuil, le procès Zola, rebondissement de l'affaire Dreyfus, incarne pour Proust la défense de la vérité. Associé à une pétition en faveur de la grâce de l'écrivain, il obtiendra la signature d'Anatole France. La Recherche rend compte de cette crise politique majeure et de l'antisémitisme de l'époque.

Fratelli Toppo
Illan de Casa Fuerte jouant du violoncelle
Sans date
Photographie, carte album Dédicacée à Marcel Proust: «À Marcel >>
Paris, Bibliothèque nationale de France

"Le seul que j'ai pu trouver que Maman connaissait"
Lorsqu'il s'installe 102, boulevard Haussmann dans le 8 arrondissement, dans un appartement qu'il choisit car sa mère s'y rendalt, c'est avec deplaisir que Proust retrouve le quartier de son enfance. L'écrivain souffre d'incessantes crises d'asthme et ne quitte la ville que pour rejoindre Cabourg et la Normandie

Peu à peu, il ne quitte plus sa chambre capitonnée de liège que la nuit. Comme au temps de sa jeunesse, où il retrouvait ses amis chez Weber, il dine tardivement chez Larue. rue Royale, ou au Ritz, place Vendome, où il obtient du premier maltre d'hôtel de précieux renseignements sur la société élegante.

En 1908, Proust entreprend plusieurs projets littéraires. C'est en commençant un essai sur le poète et critique romaritique Sainte Beuve qu'il glisse peu à peu vers la forme romanesque. En 1913, après avoir essuyé plusieurs refus, il publie à compte d'auteur chez Grasset Le Temps perdu, premier volume des Intermittences du cœur, qui deviendra Du côté de chez Swann et A l'ombre des jeunes filles en fleurs

Le 3 août 1914, la déclaration de guerre suspend la publication du deuxième volume qui paraitra en 1919, chez Gallimard, devenu en 1916 l'éditeur de la Recherche. En raison de son état de santé, Proust est réformé. Son valet de chambre, Nicolas Cottin, mobilisé, il prend à son service Céleste Albaret, la jeune épouse d'Odilon, san chauffeur attitré. Tout en donnant à son oeuvre la forme qu'on lui connaît aujourd'hui, Proust lit sept journaux chaque jour, suit le conflit sur une carte d'état-major, et apprend la mort au front de nombre de ses amis.


Jacques-Émile Blanche
 (Paris, 1861-Offranville, 1942)
Étude pour le portrait de Jean Cocteau
1912 Hulle sur toile
Rouen, Réunion des Musées métropolitains 

Il y a plus d'un point commun entre les deux écrivains: leur naissance dans une famille bourgeoise et aisée, le goût pour la littérature, la mondanité et leur homosexualité. Ainsi, malgré de fréquentes brouilles, Jean Cocteau (1889-1963), Octave dans le roman, fait connaître à Proust l'avant-garde du début du siècle.


Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
Drapeau allemand porté aux Invalides
Vers 1914
Huile sur carton
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Je me souviens que, sous un réverbère bleu. Marcel Proust suffoquait d'asthme, renversait une face mauve creusée d'ombres, envahie d'une barbe avide. Nous pouvions lire, sur ses traits, dans cette bouche ouverte qui buvait l'obscurité piquetée de bleu violet, qu'il mourrait bientôt. Il avait la force encore d'admirer la nuit et ses pervenches de guerre. Au même moment un raid d'avions accourut et je dus m'abriter avec Proust dans l'hôtel Ritz. L'alerte passée, il s'empressait, haletant mais animé d'une grâce mondaine, et parlait d'envoyer chercher pour moi une voiture, comme s'il y eût eu des voitures dans Paris à deux heures du matin... Je le quittai, m'en allai vers Auteuil. Passé la Concorde, Paris se dissolvait dans une nuit massive. J'enlevai donc souliers et bas et me remis en marche, rassurée de tâter pieds nus mon chemin.
Colette,  Lumières bleues , Journal intermittent, Paris, le Fleuron, 1949

Le musée Carnavalet-Histoire de Paris conserve de nombreux objets ayant appartenu à Marcel Proust.

Le lit, la méridienne, les fragments de panneau de liège et de couvre-lit, le manteau et la canne exposés ici ont fait l'objet d'une courte biographie imaginaire esquissée par l'écrivain Jean-Marc Quaranta

Emmanuel Radnitszky, dit Man Ray (Philadelphie, États-Unis, 1890-Paris, 1976)
Marcel Proust sur son lit de mort
20 novembre 1922
Tirage sur papier au gélatino-bromure d'argent
Paris, musée d'Orsay

Venu rue Hamelin, à la demande de Jean Cocteau, photographier Marcel Proust sur son lit de mort le surlendemain de son décès, Man Ray ignorait l'existence de l'homme de lettres. Cette photographie fixe une dernière fois le profil « assyrien» aux paupières baissées et à la barbe bleutée de l'écrivain. Le 22 novembre, après un office à Saint-Pierre de Chaillot, Marcel Proust est enterré au cimetière du Père-Lachaise.

Gustave Caillebotte
 (Paris, 1848-Gennevilliers, 1894)
Vue de toits (effet de neige)
1878 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay

Paris dans "Un amour de Swann"

Deuxième partie de Du côté de chez Swann, premier volume d'A la recherche du temps perdu, Un amour de Swane a pour cadre Paris sous le Second Empire. La ville offre un décor à la passion maladive de Charles Swann le richissime fils d'un agent de change juif admis dans la société la plus fermée pour Odette de Crécy, décrite comme une demi mondaire qui n'était pas (son) genre»

Élaboré sur une série d'oppositions illustrant la réalité sociologique et historique du Paris haussmannien, le roman confronte notamment l'ile Saint-Louis, au passé aristocratique mais désormais populaire, où Swann sit en esthète aux nouveaux quartiers à la mode, situés autour de l'Arc de triomphe. Par amour pour Odette, qui reside  rue La Perouse, dans le 16 arrondissement, Swann délaisse les salons du faubourg Saint Germain pour le cénacle bourgeois et artiste des Verdurin, rue Montalivet. prés de la Madeleine

La topographie du roman conduit Swann dans les nouveaux lieux de plaisir où se rend sa maîtresse-restaurants des Grands Boulevards, le bois de Boulogne, les Salons de peinture, l'opéra. Un amour de Swanne décrit une capitale dont le centre d'attraction s'est déplacé à l'ouest, un mouvement également présent dans les autres volumes

Norbert Gæuneutte
(Paris, 1854-Auvers-sur-Oise, 1894)
Au Louvre devant une fresque de Botticelli
1892
Huile sur toile
Moulins, musée Anne de Beaujeu

Conservés au Louvre depuis 1882, les fragments de fresques de Sandro Botticelli évoquent la fascination de Swann pour la beauté idéalisée due au maître de la Renaissance. Son amour pour Odette prend sa source dans la troublante ressemblance entre celle-ci et Zéphora, personnage représenté par le peintre à la chapelle Sixtine.

Léon Gabriel Coffinières de Nordeck
(Montpellier, 1844-Paris, 1898)
La Journée d'un homme du monde
1877
Dessin pour un éventail
Crayon, aquarelle, gouache rehaussée de blanc
Collection Mathilde Bonaparte Paris, courtoisie galerie Philippe Mandès, collection particulière

Depuis les pavillons japonais des Expositions universelles de 1867, 1878 et 1889, les élégantes et les artistes ont redécouvert l'éventail et imposé cet accessoire de mode. Sur cette feuille non montée qui provient de la collection de la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, se déploie le panorama d'un mondain, tel Charles Swann. Un homme du monde parisien vaque à ses occupations quotidiennes: promenade matinale en voiture à cheval avenue des Champs-Élysées, visites à des artistes dans leurs ateliers, achat chez un bijoutier, soirée à l'opéra et jeux au Cercle.

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
Le Boulevard Montmartre, devant le théâtre des Variétés, la nuit
Vers 1885 Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet -Histoire de Paris


Denis Etcheverry
(Bayonne, 1867-id., 1950)
Vertige
1903 Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
Le Boulevard des Capucines, devant le Café Napolitain
Vers 1880 Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

À la recherche d'Odette, qu'il pense désormais aimer, Swann entreprend une quête anxieuse sur les Grands Boulevards, entrant fébrilement dans «tous les restaurants». Prévost, boulevard de Bonne-Nouvelle, La Maison Dorée, Tortoni, le Café Anglais situés sur le boulevard des Italiens sont des établissements à la mode sous le Second Empire et disparus à la fin du 19ème siècle, connus pour offrir également des rencontres féminines tarifées. Retrouvant par hasard », Odette, qui prétend avoir diné seule, Swann en fait ce soir-là sa maitresse, ao liant à elle définitivement
.
Paragon Fox
Ombrelle
Vers 1900
Couverture en sergé et en faille de soie violette, monture Paragon en métal noir, manche en bois peint et verni, poignée béquille en porcelaine peinte et métal doré
Paris, Palais Galliera-musée de la mode de la Ville de Paris

Émile Gallé (Nancy, 1846-id., 1904)
Vase
1900
Cristal soufflé à plusieurs couches, décor gravé et taillé, applications, perles de verre collées
Boulogne-sur-Mer, musée de Boulogne-sur-Mer

Proust appréciait les créations contemporaines de l'Art nouveau et particulièrement celles d'Émile Gallé. Le cattleya, une orchidée dont la forme évoque un sexe féminin, désigne, par une double métaphore, Odette de Crécy, dont il trahit l'appartenance au demi-monde et l'acte de « faire l'amour», dans le langage codé des deux amants.

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
La Victoria
Vers 1880 Huile sur bois
Paris, musée Carnavalet

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
La Sortie du Salon, au Palais de l'Industrie
Vers 1890 Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Construit pour l'Exposition universelle de 1855 sur les Champs-Élysées, le palais de l'Industrie et des Beaux-Arts accueillait les Salons de peinture et de sculpture avant sa destruction qui laissa place aux Petit et Grand Palais. Après une visite, Odette rapporte à Swann les mots de Mme Verdurin la comparant à une statue de marbre qu'elle désire «dégeler», éveillant ses soupçons au sujet de l'homosexualité de sa maîtresse.

Jacques-Émile Blanche
 (Paris, 1861-Offranville, 1942)
Le Concert
Vers 1910 Huile sur toile
Strasbourg, musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg

La musique est le trait commun aux deux pôles du Paris mondain : les salons aristocratiques et les salons bourgeois. Ici, Jacques-Émile Blanche évoque un intérieur confortable, « artiste » à l'image de celui des Verdurin, rue de Montalivet, situé entre la Madeleine et l'avenue des Champs Élysées, où Swann et Odette écoutent pour la première fois la célèbre bien que fictive «sonate de Vinteuil ».

Henri Le Sidaner
(Port-Louis, 1862-Paris, 1939)
La Place de la Concorde
1909
Huile sur toile
Tourcoing, Musée des beaux-arts Eugène Leroy (MUba)

Présent dans la Recherche, Le Sidaner, peut-être un des modèles pour le peintre Elstir dans le roman, évoque dans cette toile l'atmosphère bruissante de lumières nocturnes de la place de la Concorde et des palais de Ange-Jacques Gabriel transformés par le regard du narrateur en décor de théâtre puis transfigurés pendant la guerre par « les jets d'eau lumineux des projecteurs » des batteries antiaériennes.

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
La Promenade aux Champs Élysées
Vers 1905 Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

La promenade aux Champs-Élysées, réservée au grand monde parisien, s'effectue à cheval et en voiture hippomobile exclusivement. Manifestation quotidienne de sa supériorité sociale, elle offre à la société mondaine et oisive la possibilité de sacrifier à des rituels codifiés comme «l'heure du Bois ».

Les Champs-Élysées, lieu des initiations
Tracés aux siècle afin d'offrir une perspective aux jardins du palais des Tuileries, les Champs-Elysées aménagés par l'architecte Hittorff sous le Second Empire attirent une aristocratie fortunée qui y bâtit de somptueux hôtels particuliers et impose l'avenue comme l'épicentre de la vie mondaine

Présents dans quatre volumes de la Recherche, les Champs-Elysées, fidèles à leur nom qui désigne le séjour des morts dans la mythologie. sont pour le héros l'espace d'une initiation amoureuse, sensuelle, esthétique et tragique

Placés, dans Du côté de chez Swann et A l'ombre des jeunes filles en fleurs, au cœur de la carte du Tendre dressée par le narrateur amoureux de Gilberte, la fille de Swann et Odette, les jardins situés entre la place de la Concorde et le Rond-Point sont le théâtre d'une brève aventure sensuelle entre les deux adolescents. A quelques pas, pavillon d'aisance "treillissé de vert" est, lui, le lieu d'une expérience de mémoire involontaire, où le héros retrouvant une odeur de sa prime enfance vit une révélation esthétique. Enfin, c'est encore aux Champs-Elysees que le narrateur est confronté à la mort lors de l'attaque dont est victime sa grand-mère dans Le Côté de Guermantes, puis dans Le Temps retrouvé, au moment de sa rencontre avec Charius, survivant dèchu d'une époque engloutie par la Première Guerre mondiale.

Louis Abel-Truchet 
(Versailles, 1857-Auxerre, 1918)
Aux Champs-Élysées
1897
Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet- Histoire de Paris

Lointain écho des jardins de Combray, les promenades des Champs-Élysées constituent un lieu d'élection pour la bourgeoisie parisienne. Le narrateur, adolescent, accompagné de sa gouvernante Françoise, y joue avec Gilberte, « renversée sur sa chaise »>, jusqu'à y connaître sa première émotion érotique.

Georges Stein (1870-1955)
Cavaliers et attelages, avenue du Bois
Vers 1900 Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet

Henri Gervex
(Paris, 1852-id., 1929)
Une soirée au Pré-Catelan
1909
Huile sur toile
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Adoptant la posture du «voyeur»>, chère au narrateur, le peintre offre une image du Tout-Paris moderne et cosmopolite. Sous la lumière électrique, on reconnaît l'aviateur brésilien Santos-Dumont (baie de gauche), la demi-mondaine Liane de Pougy (baie centrale), ou encore le marquis de Dion, pionnier de l'industrie automobile (baie de droite). Ce tableau est une commande de Léopold Mourier, propriétaire des restaurants Le Pavillon d'Armenonville et Le Pré Catelan.

Détail du tableau précédent 

Détail du tableau précédent 

Anonyme
Jardin zoologique d'Acclimatation
Sans date Lithographie en couleur
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

À la lisière du bois de Boulogne, ce jardin d'agrément à vocation scientifique créé en 1860 présenta jusqu'en 1931 des exhibitions de zoos humains. Venu avec les Swann << voir les Cinghalais », le narrateur y est présenté à la princesse Mathilde, nièce de Napoléon 1er, que l'enfant observe avec la curiosité d'un ethnologue.

Georges Goursat, dit Sem 
(Périgueux, 1863-Paris, 1934),
et Auguste Roubille
(Paris, 1872-id., 1955)
Sem au Bois, dit aussi Le Retour des courses
1907
Album contenant un panorama lithographie en couleur
Bayonne, musée Bonnat-Helleu

Ce panorama drolatique présente les personnalités les plus en vue du Tout Paris en promenade avenue du Bois. La coexistence des automobiles et des voitures à cheval annonce le regard désenchanté du narrateur dans Le Temps retrouvé sur les «conducteurs moustachus » ayant remplacé les victorias de la Belle Époque.

Film non identifié 


Faubourgs imaginaires
Tout le faubourg n'est pas dans le faubourg. affirme Balzac, modèle de Proust dans ce domaine.

Situé sur la rive gauche entre la rue du Bac et Thôtel des Invalides, le faubourg Saint Germain, dont l'urbanisation débute à la fin dux siècle, est historiquement le lieu de résidence de la société aristocratique. Celle-ci est restée très influente dans la vie politique et sociale française aux siècle, souvent grâce à son union avec des fortunes plus récentes.

Objet du désir d'ascension sociale du narrateur, le "noble faubourg-est" avant tout un espace imaginaire. Dans le roman, l'épicentre de cet état d'esprit est le brillant salon d'Oriane, duchesse de Guermantes, situé sur la rive droite, dans le faubourg Saint-Honoré où sont construits désormais les hôtels particuliers modernes.

Depuis l'hôtel de Guermantes, dont sa famille loue un étage, le narrateur va observer puis être admis dans le cercle mondain le plus fermé grâce au neveu de la duchesse, Robert de Saint-Loup, qui représente et incarne les aspirations des jeunes aristocrates à la veille de la Première Guerre mondiale.

Spectateur longtemps fasciné par cette sociabilité codifiée, caractérisée l'entre soi, favorisée par des fortunes élevées et une nombreuse domesticité, le narrateur constate, à la fin du Côté de Guermantes, que la vie mystérieuse du faubourg Saint-Germain-n'est finalement qu'un leurre.

Jean Béraud
(Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935)
Une soirée
1878
Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay

Le thème de la soirée, comme lieu de l'apprentissage des règles et des valeurs de la haute société, irrigue la production romanesque du xixe siècle. Dans le roman proustien, les épisodes mondains contribuent à la formation esthétique du narrateur. Le peintre Béraud nous laisse entrevoir ce monde où se côtoient les membres de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie dans une ambiance policée et subtilement codifiée. Les différents milieux sociaux sont présents dans la Recherche et les infimes nuances qui les différencient sont saisies dans leur absurdité par le narrateur.

Georges-Joseph Van Sluyters, 
dit Georges de Feure
(Paris, 1868-id., 1943)
Panneau d'élégante
Entre 1901 et 1903 Huile sur toile
Paris, musée d'Orsay

Ce panneau a été commandé par Siegfried Bing pour sa boutique L'Art nouveau Bing, 22, rue de Provence à Paris, que Proust connaissait. Dans le roman, le style 1900 est lié aux préjugés de caste. Condamné par les Guermantes au goût conservateur, il est plébiscité par Saint-Loup qui troque les admirables boiseries » de l'Hôtel familial contre «un mobilier modern style>>> en signe d'«<émancipation >>.

Émile Lévy (Paris, 1826-id., 1890)
Folies Bergère, tous les soirs à 8 heures, 32 rue Richer
Entre 1873 et 1883 Lithographie en couleur
Paris, musée Carnavalet

Frédéric Houbron (Paris, 1851-id., 1908)
Le Quai de Conti et le Pont des Arts
1905
Peinture sur enduit frais sur carton
Paris, musée Carnavalet-Histoire de Paris

Auguste Rodin
(Paris, 1840-Meudon, 1917)
Femmes damnées
1885?
Plâtre patiné
Paris, musée Rodin

Mariano Alonzo-Perez 
(Saragosse, 1857-Madrid, 1930)
Femmes au café
Vers 1900 Huile sur bois
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Le thème de l'inversion sexuelle traverse tout le roman de Proust. Celui de la bicyclette sert avant tout le cycle d'Albertine, cet «être de fuite ». Dans le cadre d'un café élégant, deux femmes, féminines et émancipées, portent les tenues de «bicyclistes » qui défrayent la chronique en 1900 et évoquent la jeune fille effrontée.

Mariano Fortuny y Madrazo (Grenade, 1871-Venise, 1949)
Robe Eleonora
Vers 1912
Velours de sole vert imprimé doré, taffetas de sole verte plissée, cordonnet on sole verte, perles en verre noires et blanches, doublure en taffetas de sole or
Paris, Palais Galliera-
musée de la mode de la Ville de Paris

C'est Elstir qui, le premier, évoque le couturier d'origine espagnole installé à Venise dont les robes s'inspirent de la Renaissance vénitienne. La toilette occupe un rôle clé dans la relation qu'entretient le héros avec Albertine, qu'il habille de créations de Fortuny comme s'il s'agissait d'une idole. Peut-être Proust a-t-il vu la comtesse Greffulhe vêtue de la robe Eleonora, dont le motif évoque les peintures de Carpaccio?

Charles Huard
(Paris, 1874-Poncey-sur-l'Ignon, 1965)
Rue Saint-Louis-en-l'île, portail de l'hôtel Chenizot
Entre 1905 et 1917 Plume et encre noire sur papier
Paris, musée Carnavalet- Histoire de Paris

Charles Huard
(Paris, 1874-Poncey-sur-l'Ignon, 1965)
Rue Saint-Louis-en-l'île, le marchand de volailles
Vers 1900
Plume et encre noire sur papier
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Le Paris d'Albertine
Partagée entre Balbec, lieu de villégiature du héros, et Paris, l'histoire d'amour avec Albertine débute dans le deuxième volume, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, lorsque la jeune fille apparait au bord de la mer puis que le héros tente de l'embrasser dans une chambre du Grand Hôtel.

Dans Le Côté de Guermantes, Albertine, venue rendre visite au héros au domicile parisien de ses parents, se montre moins farouche. Elle apporte avec elle du fond du Paris populeux et nocturne» les bruits de la ville: «la trompe d'un cycliste, la voix d'une femme qui chantait. une fanfare lointaine ».

Amoureux d'Albertine depuis que le docteur Cottard lui a fait observer la danse contre seins» à laquelle elle se livre avec son amie Andrée à Balbec, le héros, la soupçonnant d'homosexualité, la ramène à Paris où il la retient prisonnière.

La ville est quasiment absente du huis clos qui se joue dans ce volume. Seuls les bruits de la rue pénétrent dans l'appartement transformé en prison, et de rares promenades aux Buttes Chaumont, au Trocadéro, ou dans les magasins des Trois Quartiers et du Bon Marche soulagent la captivité d'Albertine.

Charles Bossu, dit Marville (Paris, 1813-id., 1879)
Urinoir à 8 stalles, fonte et ardoise avec écran d'arbustes (Champs-Élysées)
1872-1878
Tirage sur papier albuminé
Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris

Sodome et Gomorrhe parisiens
Proust aimait à présenter son oeuvre comme  "impudique". Son ambition de traiter de l'homosexualité est explicite dès les premiers tâtonnements de la Recherche, en 1908. Le personnage du baron Palamède de Charlus, frère du duc de Guermantes et oncle de Robert de Saint-Loup, et celui d'Albertine, dont le héros est amoureux, offrent à l'écrivain l'exploration de ce thème.

Dès Le Côté de Guermantes, l'homosexualité du baron, aristocrate érudit et membre de la « Société des amis du Vieux Paris », se traduit de manière ambiguë dans l'espace parisien.
Ainsi, Charlus, sortant du salon de sa tante,  Mme de Villeparisis, monte-t-il dans le fiacre du plus canaille des cochers, pour partir dans la direction opposée à celle où il prétend se rendre. Le domicile même du Baron correspond à une localisation invraisemblable: l'Hôtel de Chimay, quai Malaquais, où il tente de séduire le héros, étant occupé par l'École des beaux arts depuis 1884.

Dans le volume suivant, Sodome et Gomorrhe. Proust analyse la dimension dramatique de l'homosexualité. L'écrivain compare la malédiction associée au peuple juif, et celle qui frappe, dans le roman, les homosexuels que Proust désigne comme "la race des tantes". Dans le récit, les amours homosexuelles portent la marque d'une double  subversion et donc d'un double interdit, de classe sociale et d'orientation sexuelle.

Motifs d'opprobre, les lieux de l'homosexualité dans la Recherche s'immiscent dans des lieux destinés à rester anonymes aux yeux du monde : la boutique du giletier Jupien située dans la cour de l'Hôtel de Guermantes, puis plus tard le «Temple de l'Impudeur », maison de passe ouverte par Jupien, où Charlus se fait fouetter par de mauvais garçons venus de La Villette.

Arthur Chaplin (Jouy-en-Josas, 1869-Paris, 1835)
La Toilette de Mercure, tiré de L'Olympe illustré
1888
Crayon graphite, encre, aquarelle et rehauts de vernis sur papier
Paris, Nicole Canet, galerie Au Bonheur du Jour

Paris du Temps retrouvé
Le Paris du dernier volume est celui de la guerre et de l'après-guerre. Il est dominé par deux célèbres épisodes: les plaisirs masochistes de M. de Charlus et une matinée chez la princesse de Guermantes.

Paris est devenu une ville des Mille et Une Nuits, peuplée d'embusqués restés à écart des combats et de permissionnaires. S'y égarant jusqu'à la maison close tenue par Jupien, comme le calife Haroun Al Raschid en quête d'aventures dans les quartiers perdus de Bagdad, le narrateur y assiste à la flagellation de Charlus, point culminant de l'exploration du sadisme, commencée à Combray dans le premier volume.

Après un long séjour dans une maison de santé», le héros revient à Paris, transformé par les évolutions sociales et culturelles et les stratégies des personnages. Ruiné par la guerre, le prince de Guermantes a épousé Mme Verdurin qui règne désormais sans rivale sur le grand monde parisien.

Dans le fastueux hôtel particulier que la nouvelle princesse a fait bâtir avenue du Bois, le héros vit plusieurs expériences de mémoire involontaire. Des sensations semblables à celle de la madeleine trempée dans le the font resurgir Venise, Balbec et l'essence intemporelle des choses. Les invités croisés ensuite dans les salons surgissent comme grimés pour un "bal de têtes". Ils ont seulement vieilli, selon une chronologie qui mêle celle de Proust et du narrateur et qui n'est pas exempte d'invraisemblances.

Ainsi le roman s'achève, grâce à l'élucidation d'impressions restées jusqu'alors inexpliquées, par la révélation de la vocation invisibile que le héros, devenant narrateur, peut enfin raconter.

Maurice Busset
(Clermont-Ferrand, 1879-id., 1936)
Bombardement de Paris en 1918. Incendie, rue de Rivoli le 12 avril
1918
Gouache sur papier
Paris, musée Carnavalet

Maurice Busset
(Clermont-Ferrand, 1879-id., 1936)
Paris bombardé. Avions survolant Paris
1918
Gravure sur bois en couleur
Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris

Édouard Vuillard
(Cuiseaux, 1868-La Baule, 1940)
Le Métro  "Station Villiers"
Vers 1917 Pastel sur papier
Saint-Germain-en-Laye, musée Maurice-Denis

Comme Proust quand il assimile le métropolitain aux catacombes pompéiennes, Vuillard a lui aussi conféré aux sous-sols parisiens des allures de culte à Mystères. La lumière électrique participe de l'atmosphère énigmatique des galeries souterraines utilisées comme abris pendant les bombardements et dont Charlus espère «quelque plaisir des frôlements dans la nuit, avec de vagues rêves de souterrains moyenâgeux».

Laurent de Commines (né à Bourges en 1960)
Le Sablier de Charlus
Encres de couleur sur papier
Paris, collection particulière

«C'est avec une dureté presque triomphale qu'il répétait sur un ton uniforme, légèrement bégayant et aux sourdes résonances sépulcrales: "Hannibal de Bréauté, mort ! Antoine de Mouchy, mort! Charles Swann, mort! Adalbert de Montmorency, mort ! Boson de Talleyrand, mort ! Sosthène de Doudeauville, mort !" Et chaque fois, ce mot "mort" semblait tomber sur ces défunts comme une pelletée de terre plus lourde, lancée par un fossoyeur qui tenait à les river plus profondément à la tombe.>> Reprenant le motif indiscret de l'oeil de boeuf, Laurent de Commines interprète ici une scène fameuse du Temps retrouvé. Le narrateur, en route pour assister à une matinée chez le prince de Guermantes, rencontre pour la dernière fois Charlus accompagné de Jupien sur les Champs Élysées. Dans l'énumération du nom de ses amis disparus à laquelle se livre le baron, Bernard de Fallois a relevé l'inspiration de «L'appel des morts » égrené par Chateaubriand dans Les Mémoires d'outre-tombe.

Gustave Caillebotte
(Paris, 1848-Gennevilliers, 1894)
Les Pavés.
Étude pour Rue de Paris; temps de pluie (1877, Chicago, The Art Institute)
1877
Huile sur toile
France, collection particulière

Bien que Proust n'ait jamais fait référence à la peinture de Caillebotte, cette esquisse préparatoire fait songer aux «pavés assez mal équarris » de la cour de l'Hôtel de Guermantes. C'est contre eux que bute le héros au moment de se rendre à la réception de Madame Verdurin, devenue la nouvelle princesse de Guermantes. Ils occupent une fonction semblable à la fameuse «madeleine trempée dans une infusion », dans le processus de «mémoire involontaire » et le surgissement du souvenir.


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