mardi 22 mars 2022

Les fantômes d'Orsay, Sophie Calle et son invité, Jean-Paul Demoule, au musée d'Orsay en mars 2022

J'ai profité d'un déjeuner dans le beau restaurant du musée pour aller jeter un coup d'oeil à  cet accrochage de la collection de Sophie Calle qui a fait un étrange séjour dans l'hôtel de la gare d'Orsay avant rénovation.
Reportage express de ces souvenirs avec ces quelques photos et des textes qui les accompagnent :


1978. Derniers jours de l'année. J'étais de retour en France à Paris et je me promenais sur les quais de la Seine. À la hauteur de l'ancienne gare d'Orsay, j'ai remarqué une toute petite porte en bois. Instinctivement, par habitude aussi, je l'ai poussée. Elle a cédé. Un escalier monumental, cinq étages, une salle de bal, des cuisines, de longs corridors desservant plus de deux cent cinquante chambres. Le Grand Hotel Palais d'Orsay, désaffecté depuis cinq ans. Au mois de février 1979, je suis partie suivre les pas d'un inconnu à Venise. Puis. du 1er au 9 avril, j'ai invité des inconnus à dormir dans mon lit. C'est seulement le 24 avril que j'ai noté dans mon agenda: Hotel Orsay renouer. J'y suis retournée. La porte s'est ouverte. J'ai renoué.
Sans réel chez-moi, je me suis choisi comme abri les vestiges d'une chambre avec vue sur la rue de Lille, tout au bout du couloir du cinquième étage. La soi. Je me projetais alors dans l'univers de Bob Wilson. Afin d'imiter ses danseurs derviches, je m'entrainais quotidiennement à tourner sur moi-même dans la salle de bal. La nuit tombée, je m'en allais par peur du noir. Certains soirs, j'emportais le butin saisi lors de ma prospection: numéros de chambres en métal rouge émaillé, fiches des clients entre 1937 et 1940, messages adressés à Oddo, homme à tout faire, relevés d'eau et de gaz, agendas dans lesquels il était question de problèmes de clefs, de serrures, de fermetures. Sans méthode, je ramassais des cahiers remplis de chiffres, des factures et des menus perimés, des objets dépareillés, rouillés, qui ne pouvaient plus servir. Je récupérais : ces modestes débris, trophées que je rapportais chez moi dans une valise. Je grappillais des souvenirs. Et je photographiais cet hôtel abandonné, en plein cœeur de la ville.

Un cahier à spirale de tyre cahier d'écolier, à couverture jaune, petits carreaux et sans marge, de la marque La Reliure réversible, marque déposée, agrémenté de ce qui semble être un logotype, ELJI. mais qui n'a pu être identifié. Le présent cahier a été utilisé pour noter au jour le jour, au stylo à bille bieu, noir ou rouge, mais pas toujours de la même main, la consommation en gaz et en-air-> (?) de six compteurs, entre décembre 1969 et novembre 1971, à raison d'un mois sur chaque page, soit en tout 22 pages. Les mois d'août 1970 et juillet 1971 ne figurent pas. Chaque page est divisée en sept colonnes, la première pour les jours du mois, les cinq suivantes pour des compteurs à gaz. et la dernière pour l'«air» (?). Les compteurs à gaz concernent successivement la « forge», suivie des initiales EF: le «maçon>> avec les initiales EC: le «monte-bagages-avec les initiales EF; le «monte-bagages», G06; et la bascule». Gos. Seul le recto de chaque page est utilisé, le verso ne portant que très occasionnellement des notations aussi succinctes qu'obscures. Les chiffres ne sont notés pour la forge qu'à partir de septembre 1970, où ils commencent à 3548 pour finir á 43514 en novembre 1971. Le maçon» passe de même de 91448 à 99999 courant mai 1970, pour recommencer à zéro, faute d'un sixième chiffre sur le compteur, et atteindre 55866 début novembre 1971, mais redescendre à 46917 à la fin du même mois, ce qui ne parait pas totalement logique. Le «monte-bagages EF -, passe plus normalement de 11617 à 97118: le-monte bagages G06», de 18961 à 99999 courant novembre 1970. ce qui le fait repartit à zéro, comme de nouveau en octobre 1971, pour terminer à 13199: la-bascule- de 91809 à 57674: air-monte très régulièrement de 45571 jusqu'à 90134 en juin 1971. pour redescendre à 6098 en août. 99999 ayant été atteint entre-temps, et terminer à 29617. On peut donc en déduire que les compteurs de cette époque ne dépassaient pas cinq chiffres. Mais au-delà de cette question, il est difficile de comprendre ce qu'on mesurait, et ce que pouvaient bien être les lieux de ces compteurs. Si des monte-bagages sont cohérents avec un hôtel, en revanche une forge, un maçon et une bascule le sont moins. Quel était aussi l'intérêt de noter tout cela au jour le jour? Addendum: Il existe un second cahier d'écolier à petits carreaux et à reliure spirale comprenant 34 pages, couverture comprise. Il servait à enregistrer la consommation de chauffage fourni par la Compagnic parisienne de chauffage urbain (CPCU). La consommation est notée sur ce cahier à raison d'une page par mois, de novembre 1967 à janvier 1968. On a tenu à indiquer sur ce cahier les dates d'arrivée (20 novembre 1968) et de départ (15 janvier 1968) des Choeurs de l'Armée rouge. sans doute pour montrer l'incidence de la présence soudaine d'une troupe de plusieurs dizaines de personnes sur la consommation d'eau chaude et de vapeur.
Dimensions: 1722 cm.
Collection Sophie Calle.

Vue partielle d'une chambre, haute sous plafond de l'hôtel d'Orsay desaffecté. Le cliché montre l'état de delabrement du lieu et du mobilier: la moquette. usée, est parsemée de fragments de peinture tombés du plafond écaille. A gauche. une porte désormais dépourvue de poignée ouvre sur un espace intermédiaire eclairé par une fenêtre qui a perdu ses rideaux, commer comme en atteste le support d'une tringle disparue. Juste à droite de cette fenêtre. une seconde porte, qu'on distingue en partie, également sans poignée, s'ouvre sur une autre pièce. La disparition des poignées était sans doute due à la valeur de leur métal, revendu au poids, et leur récupération a du être systématique dans tout l'hotel. On ne sait pas si les deux pièces étaient indépendantes séparées par un couloir, ou si elles constituaient une suite.  On ignore en tout cas le numéro de cette chambre, que sa plaque ait ou non été arrachée depuis peu, et si, par exemple, elle était l'une de celles qu'occuperent le capitaine de Boulémont (chambre 468), le vice-consul Daymont (chambre 565), le major général Dawney (chambre 114). le professeur de médecine Boularan (chambre tos), voire l'explorateur Cecil Eric Davis (chambre 462). Le papier peint qui commence à se décoller, avec ses motifs répétitifs, et encadré de moulures en bois, dans le style des appartements parisiens haussmanniens. De même, la partie inférieure des mars est occupée sur un mêtre de hauteur par des panneaux omes de moulures, le tout peint en couleur claire, dans le but, outre décoratif, son aspect décoratif, de protéger les murs contre tout type de choes. Le téléphone mural a cadran, en bakelite noire. permettait de joindre l'office, mais aussi de contacter l'extérieur. par l'intermédiaire du standard. Sur le cadran devaient sans doute figurer les numéros des différents services Petit carnet fixe au mur disponibles. Au-dessous se trouve ce qui semble être la sonnette du téléphone ainsi qu'une prise de courant à l'ancienne, sans le raccord a la terre. Les deux fauteuils: également fatigués, sont typiques des années 1950. avec s droites: seuls les accoudoirs sont légèrement leurs lignes d incurvés vers l'extérieur. Cette photographic est finalement une bonne illustration de ce que pouvait représenter le confort hôtelier pour les classes moyennes supérieures françaises et étrangères, dans les années 1950-1960, et de ce qu'elles étaient en droit d'exiger
Cliché argentique en noir et blanc pris avec un appareil Leica

Vues de détail d'une chambre de l'hôtel d'Orsay désaffecté depuis la fin des années 1970, à Paris Il s'agit du même type de chambre que celle des deux fauteuils mais dans un état de dégradation encore plus avance. C'est bien le même papier peint avec des motifs alternés, les mêmes panneaux de bois moulurés, la même peinture gris clair et la même moquette sombre. Mais le papier est un peu plus décolé, la peinture se lezarde dans les intervalles entre les panneaux, le plafond s'est encore un peu plus écaillé, jonchant de débris une moquette entièrement recouverte par endroits. Le plus frappant est le sol bombe, quelques lattes du parquet s'étant soulevées, sous la moquette, sur toute la longueur de la pièce. Cela montre d'une part qu'il y avait à l'origine un parquet, comme partout dans les demeures bourgeoises. puisque la moquette ne s'est généralisée qu'à partir des années 1950, où elle est devenue très en vogue. Il s'en vend aujourd'hui chaque année sept millions de metres carrés (soit sept kilomètres carrés, ou encore un millier de terrains de football), même si certains leur reprochent d'être des nids à acariens, tandis que d'autres soutiennent qu'au contraire elles piègent la poussière en suspension. 


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