J'ai profité de la prolongation exceptionnelle de cette exposition pour faire un tour dans ce bel hôtel particulier. Une confrontation pertinente dont voici la présentation:
Pour la première fois, le musée Picasso et le musée Rodin s'unissent afin de présenter l'exposition-événement Picasso-Rodin.
Ce partenariat exceptionnel entre deux grands musées monographiques prestigieux offre un regard inédit sur ces artistes de génie qui ont ouvert la voie à la modernité dans l'art. Leurs chefs-d'œuvre sont présentés simultanément au sein des deux monuments historiques qui abritent ces musées nationaux.
En 1900, Auguste Rodin est sur le devant de la scène avec son exposition rétrospective au pavillon de l'Alma, et son Monument à Balzac est une référence pour le jeune Picasso, à son arrivée à Paris. Au-delà des enjeux d'influence et de proximité stylistique, les deux artistes partagent même rapport à la création. Leurs ateliers sont de véritables antres d'expérimentation, où sont réinventés les processus créatifs, à travers l'assemblage, la récupération et le travail en série
Auguste Rodin (1840-1917)
Monument à Balzac
1898
Bronze, fonte au sable Alexis Rudier, 1935 Musée Rodin, Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Autoportrait
Novembre 1898
Fusain sur papier
Musée Rodin Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Études pour autoportraits
Paris, automne 1906
Crayon graphite sur papier Musée national Picasso-Paris
L'EXPOSITION "RODIN" AU PAVILLON DE L'ALMA
En marge de l'Exposition universelle de 1900, Rodin organise sa première rétrospective au pavillon de l'Alma. Construit pour l'occasion à quelques mètres des bâtiments officiels, ce lieu abrite une incroyable concentration de sculptures. Tel un chef d'orchestre, l'artiste a lui-même mis en scène ses œuvres : certaines sont installées sur des colonnes de plâtre, d'autres répondent aux tableaux, photographies et dessins disposés à touche touche. La même année, Picasso arrive à Paris et visite très certainement cette audacieuse manifestation. Sur un dessin, il réalise le portrait du sculpteur accompagné de deux figures ressemblant à des phoques. Celles-ci renvoient explicitement à la caricature du Balzac de Rodin, Un pas en avant, sculptée par Hans Lerche.
Cet ensemble photographique, constitué de tirages modernes au format des originaux, reprend fidèlement l'accrochage des tirages d'Eugène Druet, mis en scène par Rodin au pavillon de l'Alma
Auguste Rodin (1840-1917)
L'Homme qui marche, petit modèle
Vers 1899-1900
Plâtre
Musée Rodin, Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Bacchantes s'enlaçant sur colonne
[Vers 1896] Groupe en plâtre
Musée Rodin, Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
La Vague Vers 1898
Plâtre sur gaine
Musée Rodin, Paris
LA PÉRIODE RODINIENNE DE PICASSO
Au tournant du siècle, l'influence de Rodin sur la nouvelle génération d'artistes est incontestable. La production des premières années parisiennes de Picasso permet l'émergence de formes puissamment modelées et de postures privilégiant l'émotion Elle révèle des rapprochements formels avec I'œuvre de son aîné, au point que l'historien de l'art Werner Spies qualifie cette période de << rodinienne »>. Signe de cette reconnaissance, Picasso découpe une reproduction du Penseur dans un journal et l'accroche au mur de son atelier de Barcelone. Sa première sculpture connue, Femme assise (1902), modelée dans la terre, rappelle les femmes accroupies de Rodin, tandis que l'expressionnisme irradie de nombreux dessins et sculptures marqués par la douleur et la déformation physique.
Auguste Rodin (1840-1917)
Charles Baudelaire
Vers 1892
Bronze, fonce au sable Georges Rudier, 1969 Musée Rodin, Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Tête de Picador au nez cassé
Barcelone, 1903
Bronze
Collection particulière
Auguste Rodin (1840-1917)
Camille Claudel au bonnet
1884
Plâtre enduit d'un agent démoulant, modèle de fonderie Musée Rodin
Pablo Picasso (1881-1973)
Tête de femme (Fernande)
Paris, 1906
Bronze patiné
Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid
Auguste Rodin (1840-1917)
Celle qui fut la belle Heaulmière
1885-1887
Bronze, fonte au sable Gruet Ainé, 1891
Musée Rodin
Christian Zervos (1889-1970)
Le Vieux guitariste de Picasso, huile sur toile, Paris, 1903-1904, reproduit dans le numéro spécial Picasso, in Cahiers d'art, nᵒ3-5
Pablo Picasso (1881-1973), Mur de l'atelier
au 10, carrer Nou de la Rambla, où sont accrochées l'huile sur toile Pierreuses au bar (à l'envers) et la reproduction du Penseur de Rodin, Barcelone, 1902, reproduction numérique d'après une épreuve gélatino argentique d'époque,
Musée national Picasso
Pablo Picasso (1881-1973)
Groupe d'hommes
[Paris-Barcelone], janvier 1902 Encre et crayon graphite sur papier
Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso [1881 - 1973]
Groupe de femmes
[Paris], 1901
Gouache, aquarelle et encre sur papier Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Étude pour La Repasseuse
Encre sur papier
Paris, printemps 1904 Musée national Picasso-Paris
L'ATELIER COMME LABORATOIRE DE FORMES
Pour Rodin, comme pour Picasso, l'atelier est un espace privilégié d'expérimentation,
de détournement des formes et des matériaux. Ces deux artistes agissent en alchimistes, métamorphosant les sujets et les matières en outils de création.
À travers une approche novatrice du fragment devenu œuvre d'art, ils font du corps humain, qu'ils déconstruisent et recomposent, un motif plastique par excellence, se prêtant aux assemblages et variations architectoniques.
Aux squelettes issus de la collection personnelle de Rodin et aux abattis, pièces miniatures d'une anatomie virtuelle façonnées par le sculpteur, répondent les séries graphiques de Picasso, Anatomies ou Crucifixions. Les papiers découpés constituent un autre volet de l'œuvre fragmentaire, dont la fragilité et la poésie composent un nouveau vocabulaire.
Auguste Rodin (1840-1917)
Pied gauche
Abattis en plâtre
Musée Rodin, Paris
Pablo Picasso (1881-1973J
Pleureuse
[Paris], [1937]
Plâtre
Musée national Picasso-Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Masque du Cri ou Tempête avec une ébauche de conque
Vers 1898
Assemblage original en plâtre, modèle d'agrandissement
Musée Rodin, Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Assemblage : avant-bras gauche et bras droit
Vers 1900
Assemblage original en plâtre
Musée Rodin, Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Études d'après Femme au fauteuil rouge
Paris, 29 janvier 1932 Encre sur papier
Onzième feuillet du carnet MP1990-110 Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso
La Crucifixion
Boisgeloup,7 octobre 1932
Encre sur papier
Musée national Picasso-Paris
RODIN À MEUDON
En 1895, Rodin achète le domaine de Meudon qu'il agrandit et embellit pour y installer son atelier. Les antiques de sa collection côtoient ses œuvres disséminées dans les allées, jardins et dépendances. Entre refuge et temple de la création, le lieu est élevé au rang de mythe jusqu'à symboliser l'identité de l'artiste. Il est un catalyseur de créativité propice à la fusion de l'art et de la nature. Dans ce laboratoire où règnent lumière, blancheur et transparence, la terre et le plâtre deviennent des matériaux privilégiés. Grâce aux assemblages, moulages et empreintes, une esthétique de l'apparition naît, comme en témoignent La Cariatide tombée portant sa pierre ou Torse de la Centauresse et étude pour Iris. Rodin passe une grande partie de son existence au sein de cet écrin de verdure et y sera enterré.
Gustave Ricard (1823-1873)
Copie de la Bethsabée au bain de Rembrand s.d.
Huile sur toile
Musée Rodin, Paris
Anonyme, Rodin penché sur Ugolin
dans le pavillon de l'Alma à Meudon, vers 1912, impression numérique de l'épreuve gélatino-argentique, Ph.00020 Musée Rodin
Eugène Carrière (1849-1906)
Mère et enfant
Vers 1891
Huile sur toile
Musée Rodin, Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Dernière vision
Avant 1904
Plâtre moulé d'après le marbre Musée Rodin, Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Les trois sirènes
Avant 1888
Plâtre
Musée Rodin, Paris
PICASSO À BOISGELOUP
À "l'armée de plâtres" évoquée par le poète Rainer Maria Rilke dans une lettre à son épouse pour désigner les statues de Rodin à Meudon répond "le peuple de sculptures", dont Brassaï parle à propos des créations de Picasso dans l'atelier de Boisgeloup. Désireux d'un espace suffisamment à l'écart de la capitale, l'artiste acquiert ce domaine normand situé près de Gisors, en juin 1930, et s'y établit jusqu'en 1936. Au cours de cette parenthèse enchantée, Picasso privilégie à son tour le plâtre pour modeler ses Bustes et Têtes de femme. Il développe un langage proche de celui de Rodin, où la blancheur et la lumière sont essentielles. Dans ce lieu d'expérimentation protéiforme, l'artiste celèbre la nature, dont les formes et matériaux viennent nourrir ses œuvres.
Pablo Picasso (1881-1973)
Femme assise
Boisgeloup, 1931
Plâtre original
Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Tête de femme
Boisgeloup, 1931-1932
Plâtre original et bois
Musée national Picasso Paris
Copie de statue grecque
Avant 1932
Plâtre
Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid
Pablo Picasso [1881 - 1973]
Tête de femme
Boisgeloup, 1931
Plâtre original
Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Buste de femme
Boisgeloup, 1931
Plâtre original
Musée national Picasso-Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Assemblage :
Torse de la Centauresse et étude pour Iris s.d.
Plâtre
Musée Rodin, Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Tête de femme, profil gauche
Boisgeloup, 1933 Plâtre original Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Visage
Boisgeloup, 1934
Plâtre
Musée national Picasso-Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Minotaure blessé
Boisgeloup, 1934 Plâtre gravé
Musée national Picasso-Paris
Anonyme, Pablo Picasso devant la sculpture en bronze La Femme au jardin dans le parc de Boisgeloup, Gisors, vers 1932, impression numérique de l'épreuve gélatino argentique APPH6494 © RMN-Grand Palais [Musée national Picasso-Paris)
Auguste Rodin (1840-1917)
Le Penseur monumental
1903
Plâtre teinté, modèle de fonderie Musée Rodin, Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Grande Baigneuse au livre
Paris, 18 février 1937
Huile, pastel et fusain sur toile Musée national Picasso-Paris
EMPREINTE, INACHÈVEMENT ET NON FINITO
"Terminer une œuvre ? [..] Quelle bêtise ! Terminer veut dire en finir avec un objet, le tuer, lui enlever son âme. " [Picasso, cité par Jaime Sabartés dans Picasso : portraits et souvenirs, 1946.)
Pour Picasso, aussi bien que pour Rodin, "l'âme" d'une œuvre est portée par la puissance expressive de la matière, exaltée grâce à la technique de l'empreinte qui met à nu les aspérités de la surface, la trace des outils et les accidents de création. Héritiers du non finito de Michel-Ange, les deux artistes tirent parti des potentialités plastiques des matériaux pour jouer sur les contrastes entre les blocs laissé bruts et les modelés lisses, comme dans Adam et Ève de Rodin et Buste de femme de Picasso.
Pablo Picasso (1881-1973)
Buste de femme
Boisgeloup, 1931
Ciment
Musée national Picasso-Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Puvis de Chavannes
1891-1913
Marbre taillé par Aristide Rousaud en 1911-1913 Musée Rodin, Paris
Auguste Rodin (1840-1917)
Médée
[1865-1870]
Plâtre original, retouche à la terre crue Musée Rodin, Paris
Pablo Picasso (1881-1973)
Personnage
Boisgeloup, 1933
Platre original
Musée national Picasso Paris
LA SÉRIE COMME FORME
"On ne peut vraiment suivre l'acte créateur qu'à travers la série de toutes les variations." [Picasso, cité par Brassai dans Conversations avec Picasso, 1964.)
Chez Rodin et Picasso, le travail en série place la question de la genèse de l'œuvre au cœur du processus créatif. Dans la série des bustes de Clemenceau ou les dessins de Nus de dos de Rodin, l'artiste traite d'un même sujet à plusieurs reprises afin de capter la forme juste dans une quête insatiable de vérité. C'est moins la ressemblance physique que la saisie de l'âme qui lui importe. Travaillant également en série, Picasso décline à l'envi la composition des Femmes d'Alger, d'après Eugène Delacroix, pour mieux en percevoir l'essence. L'art de la série devient le vecteur privilégié d'une pensée en perpétuel mouvement, explorant les possibilités d'un motif en constante métamorphose.
Auguste Rodin (1840-1917)
Clemenceau
1911
Terre cuite, estampage
Musée Rodin, Paris
Anonyme, Sculptures en tôles présentées lors de l'exposition «< Hommage à Pablo Picasso >> au Grand et Petit Palais, Paris, en 1966-1967, reproduction numérique d'après une épreuve gélatino-argentique, Musée national Picasso Paris, documentation, FPPH118. RMN Grand Palais (Musée national Picasso-Paris)
Auguste Rodin [1840 - 1917)
Homme nu de dos, assis à califourchon sur une chaise
Vers 1900
Crayon graphite sur papier
Musée Rodin, Paris
Étude pour Les Femmes d'Alger, d'après Delacroix
Paris, 7 janvier 1955
Crayon graphite sur papier
Musée national Picasso-Paris
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