samedi 29 janvier 2022

L'Alsace, rêver la province perdue, 1871-1914 au musée Jean-Jacques Henner en janvier 2022

Une exposition bien documentée sur cet épisode déchirant de l'histoire de France et dont voici l'essentiel :

Auguste Bartholdi (1834-1904) Buste d'Erckmann et Chatrian, avant 1872
Plâtre
Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, C.2
Originaires des environs de Sarrebourg, aux confins de la Moselle et de l'Alsace, Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890) sont les auteurs d'une série de romans populaires à succès mettant en scène divers personnages issus des Vosges et d'Alsace. Le plus célèbre d'entre eux, L'Ami Fritz (1863) dépeint les aventures de Fritz Kobus, un Alsacien bon vivant, et contribue à la diffusion de l'image pittoresque de la région. Bartholdi figure les deux auteurs en buste revêtus d'un manteau à l'antique qui confère aux auteurs une certaine dignité due à leur notoriété. De même, la plume qu'Émile Erckmann tient à la main rappelle les modalités de leur collaboration. Erckmann écrivait tandis que Chatrian corrigeait et assurait la promotion des manuscrits.

Jacques Eugène Feyen (1815-1908) Le Baiser enfantin, 1865
Huile sur toile Lille, Palais des Beaux-Arts, P 657
Dans cette scène de genre, le peintre Feyen témoigne d'une réalité sociale du Second Empire qui se prolonge sous la Troisième République: la présence dans les foyers de la bourgeoisie parisienne de nourrices venues parfois de loin pour s'occuper des jeunes enfants. Les deux femmes sont aisément reconnaissables à leurs costumes: Antillaise pour la première, Alsacienne pour la seconde. En effet, nombre de jeunes Alsaciennes venaient à Paris afin de parfaire leur français. Réputées pour leur professionnalisme, elles y trouvaient aisément de bonnes places.

L'ALSACE PITTORESQUE

Avec l'essor du tourisme, le Second Empire voit se développer dans les arts un engouement pour les scènes de genre régionalistes. Arlésiennes et pardons bretons font leur apparition sur les cimaises du Salon. L'Alsace n'est pas en reste. Mais c'est une image pittoresque de la province que réclame le public, centrée sur le chatoiement des costumes traditionnels, des vues de villages en pans de bois ou des forêts de sapins vosgiennes. Parallèlement, l'attrait de la capitale opère très fortement auprès des Alsaciens qui «montent> à Paris en quête d'un travail ou de gloire. Avec eux se diffusent un certain nombre d'usages, parfois revisités. C'est le cas de la choucroute. Simple plat de chou fermenté au départ, elle devient royale par l'adjonction de pièces de viande et de charcuterie. Elle est servie dans les brasseries fondées dès le début du siècle par cette diaspora venue de la frontière orientale du pays.

Bonnet matelassé à bride et noeud latéral
Alsace, Meistratzheim (sud-ouest de Strasbourg), fin du XIXe siècle
Soie, fibre cellulosique, métal; tissage, rubanerie, cousu main 

Coiffe à grand nœud noir Alsace, Olwisheim (Kochersberg), vers 1890-1920
Soie, fibre cellulosique, métal; tissage, rubanerie, dentelle mécanique, broderie, cousu main 
Musée de Strasbourg 

Gustave Adolphe Brion (1824-1877) Le Cortège nuptial, 1873
Huile sur toile
Strasbourg, Musée des Beaux-Arts

Gustave Doré (1832-1883)
Le Mont Sainte Odile avec le mur païen, sans date
Huile sur toile
Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg

Bien qu'ayant quitté jeune sa région natale, Gustave Doré est resté attaché à l'Alsace dont les paysages nourrissent son inspiration et son goût pour le merveilleux. Le paysage qu'il propose ici figure un haut-lieu de spiritualité, le mont Sainte-Odile, et le mur païen, construction colossale que l'on datait alors de l'époque celtique. Associés aux sombres forêts vosgiennes, ces monuments confèrent à la nature une ambiance romantique et quelque peu fantastique qui caractérise les paysages alsaciens de la seconde moitié du XIX siècle.

LES PROVINCES PERDUES
LA CONSTRUCTION D'UNE IMAGE

"N'en parlons jamais, pensons-y toujours" Léon Gambetta

La phrase de Gambetta, librement reprise de son discours de Saint-Quentin en novembre 1871, est bien révélatrice de l'attitude de la France au lendemain de la perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. En effet, la défaite de 1871 face à la Prusse et ses conséquences constituent dans l'opinion publique un véritable traumatisme. Les provinces, que l'on qualifie désormais de «perdues »>, deviennent un emblème autour duquel se forge une conscience nationale. Si la vision pittoresque de l'Alsace perdure au-delà de 1871, elle se double désormais d'une image de douleur et de recueillement. Mais tout comme à la période précédente, celle-ci mobilise des éléments iconographiques aisément identifiables du public. Il s'agit en premier lieu de la figure de l'Alsacienne, coiffée du grand nœud devenu uniformément noir en signe de deuil, à laquelle sont adjoints des symboles patriotiques et républicains tels que la cocarde ou le coq.

Édouard Detaille (1848-1912)
Charge du 9e régiment de cuirassiers dans le village de Morsbronn, 1874
Huile sur toile
Reims, Musée Saint-Remi, 987.19.1

Les communes de Woerth, Froschwiller et Morsbronn, dans le nord de l'Alsace, ont été le théâtre de batailles passées à la postérité sous le nom de "bataille de Reichshoffen". Souhaitant ralentir les troupes prussiennes, le général Lartigue ordonne à la cavalerie de réserve de charger en direction de Morsbronn où l'ennemi a pris position. Detaille choisit de représenter l'instant tragique où la cavalerie, engagée dans le village, se retrouve bloquée et essuie le feu prussien. L'officier donne l'ordre au trompette de sonner le halte-là, mais l'élan de la charge ne laisse aucune échappatoire aux troupes. Opération désespérée, la charge devient le symbole du sens du sacrifice des soldats français et l'exemple de la défaite héroïque.

Auguste Bartholdi (1834-1904)
Premier modèle d'étude du Lion de Belfort, sans date (1875; vers 1900 pour la fonte)
Bronze à la patine verte, échelle 1/25⁰ Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, 2020.0.160

La guerre franco-prussienne livre la cité alsacienne de Belfort à un siège historique d'une durée de 103 jours. La ville, qui ne tombe pas, reste dans le giron français après 1871. Afin de commémorer cette résistance héroïque, le maire de la ville commande un monument au sculpteur alsacien Auguste Bartholdi : le Lion de Belfort. Le caractère majestueux de ce bronze coïncide parfaitement avec celui du projet in situ, colossal, long de 22 mètres et haut de 11, adossé contre une falaise, en contrebas de la citadelle de la ville. Une version de l'œuvre à l'échelle 1/3 est installée à Paris place d'Enfer. Celle-ci est alors rebaptisée place Denfert Rochereau en hommage au défenseur de Belfort durant le siège.

Gustave Doré (1832-1883)
L'Alsace au drapeau, 1872
Gouache sur papier noir avec rehauts de rouge et de bleu Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg

Auguste Bartholdi (1834-1904) À Gambetta, les Alsaciens reconnaissants, 1872
Fonte en argent, socle en marbre rouge Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin, Ca.2.128
Le groupe est présenté au Salon de 1872 sous le titre de La Malédiction de l'Alsace. Incarnée par une jeune femme coiffée d'un discret nœud, l'Alsace tient le corps d'un soldat mort tandis qu'un enfant se blottit contre elle. Les références à l'Antiquité sont évidentes dans les corps nus et l'usage des drapés, mais surtout dans le geste du bras de l'Alsace qui appelle à la vengeance. Cette fonte a été offerte à Gambetta par souscription par des Alsaciens qui souhaitaient ainsi le remercier. L'homme politique, chef de l'Union républicaine, était en effet l'un des principaux opposants à la cession de l'Alsace-Lorraine.

Jean-Jacques Henner (1829-1905) L'Alsace. Elle attend, 1871
Huile sur toile Mulhouse, Musée des Beaux-Arts, 88.8.1
Ce tableau est une réplique de plus petit format du tableau original (Paris, Musée national Jean-Jacques Henner), actuellement en prêt à la rétrospective Jean-Jacques Henner au musée des Beaux-Arts de Strasbourg. Il a été offert par Mme Charles Kestner et ses filles à Léon Gambetta, ardent défenseur de l'Alsace-Lorraine. L'ouvre est dédicacée à Mme Scheurer-Kestner, épouse du sénateur Auguste Scheurer-Kestner. Henner recourt à l'allégorie et offre l'image d'une jeune alsacienne vêtue de noir, en costume de deuil, duquel émerge la seule touche de couleur : une cocarde tricolore piquée sur son nœud, apportant toute sa signification patriotique à l'oeuvre. Véritable tournant dans la carrière de l'artiste, emblématique de la souffrance de l'Alsace, l'oeuvre par sa très large reproduction lui apporte la popularité.

LE DEUIL DE LA PETITE PATRIE

Le traité de Francfort entérine la cession de l'Alsace-Lorraine à l'Empire allemand et suscite la consternation dans l'opinion. Ce sentiment trouve un écho immédiat dans la production artistique. Sans doute jugée plus pittoresque que la Lorraine - qui de surcroît ne disparaît pas totalement de la carte de France - l'Alsace tend à évincer des cimaises sa consœur d'infortune. Dès 1871, de nombreuses oeuvres figurent des Alsaciennes qui, par métonymie, évoquent les Provinces perdues. Néanmoins, trois œuvres sont emblématiques tant par la personnalité de leurs auteurs (Bartholdi, Doré et Henner) que par la postérité qu'elles connaîtront. Chacune exprime à sa manière le deuil de la patrie natale et fixe pour les années à venir les codes de représentation de l'Alsace-Lorraine.


OPTER OU RÉSISTER
L'Alsace et la Moselle étant intégrées l'Empire allemand, leurs ressortissants se trouvent dans l'obligation d'adopter la nationalité allemande ou de quitter ces provinces pour rester français. C'est le système de l'option, qui court jusqu'en 1872. De nombreuses personnalités, comme Jean-Jacques Henner, Auguste Bartholdi ou le messin Albert Bettanier, y sont confrontées. En traitant ce thème, les artistes mettent en évidence le déchirement des familles, la douleur de l'exil, mais aussi le courage des "optants" qui, bons patriotes, font le choix de la France. Toutefois, les années passant, l'idée d'une résistance de l'intérieur, parfois un peu fantasmée, s'affirme également. Plusieurs œuvres donnent alors à voir des scènes d'intérieur où Alsaciens et Lorrains témoignent en cachette de leur amour à la France.

Louis-Frédéric Schützenberger (1825-1903)
L'Exode ou Famille alsacienne quittant son pays, 1872
Huile sur toile Mulhouse, Musée des Beaux-Arts, collection SIM

Paul Cabet (1815-1876)
Mil huit cent soixante et onze,
[1872, plâtre original] Moulage en plâtre (atelier de moulage des
Musées nationaux)
Paris, Cité de l'Architecture et du Patrimoine - Musée
des Monuments français

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Alsacienne tricotant
Vers 1871
Huile sur toile

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Alsacienne au nœud bleu
1870
Huile sur bois

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Alsacienne au nœud bleu
1871
Huile sur bois

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Marie-Anne barattant le beurre
1854
Huile sur toile

Jean Benner (1836-1906)
À la France toujours, 1883
Huile sur toile
Mulhouse, Musée des Beaux-Arts

L'ENTRETIEN DU SOUVENIR
L'iconographie abondante générée par la perte des provinces de l'Est s'accompagne du nécessaire entretien du souvenir auprès des générations qui n'ont pas connu la guerre de 1870. Des pèlerinages s'organisent sur les lieux des batailles marquantes (Gravelotte, Mars la-Tour...), tout comme naît un tourisme de mémoire duquel on rapporte des objets souvenirs et des photographies souvent prises devant les poteaux frontières. Le lien entre les Alsaciens restés au pays et les exilés se maintient grâce au courrier. Les lettres très attendues d'Alsace-Lorraine portant le cachet des villes désormais allemandes, deviennent un motif iconographique. L'espoir du retour de l'Alsace-Lorraine dans le giron national est entretenu, au sein de la population française, par l'omniprésence de ces représentations jusqu'au début du XX° siècle. Des monuments fleurissent dans l'espace public comme Le Souvenir du sculpteur Paul Dubois installé à Nancy, place Maginot, en 1910. La fidélité des deux "captives" à la France est maintes fois réaffirmée.


Émile Gallé (1846-1904) Vase Espoir, 1889
verre gravé à l'acide et à la roue, décor émaillé et doré, Nancy, Musée de l'École de Nancy, 341 Signé et daté en creux à l'or sur le fond: E. Gallé/1889
Lors de l'Exposition Universelle de 1889, le verrier nancéien Emile Gallé fut récompensé par un Grand Prix pour ses verreries au sein desquelles se trouvait le vase Espoir. Cette pièce unique, en forme de lampe de mosquée et ornée d'éléments calligraphiés rappelant l'écriture coufique, évoque les verreries islamiques. L'inscription est cependant composée en français si bien que l'on peut déchiffrer sur la panse: « Espoir/est ma lumière/Espoir/me luit au travers des maux», Engagé pour différentes causes (lutte irlandaise contre les Anglais, soutien au capitaine Dreyfus) et républicain ardent Gallé clame ici sa ferveur patriotique en protestant contre la perte de l'Alsace Moselle et en souhaitant le retour des provinces de l'Est dans le giron national.

Auguste Bartholdi (1834-1904) La Borne frontière, vers 1884-1885
Plâtre et plâtre teinté 
Colmar, Musée Bartholdi

Adolphe Martial Potémont (1828-1883) Lettres d'Alsace-Lorraine, 1871 ou 1872
Huile sur toile Pau, Musée des Beaux-Arts, 2012.2.1
Cette nature morte, à la composition très efficace, offre un gros plan sur des lettres ouvertes laissant apparaître des fleurs, pensées et myosotis, dont la symbolique bien connue à l'époque renvoie au souvenir. La présence sur les lettres d'un double affranchissement, français et allemand, traduit le souci du détail de l'artiste tout en rendant compte du processus progressif d'intégration de l'Alsace-Lorraine à l'Empire allemand. En effet, ce système postal, mis en place durant la guerre et appliqué à toute lettre expédiée ou reçue en zone occupée, se maintient à compter de mars 1871 pour I'Alsace-Lorraine seule jusqu'au 1er janvier 1872. Au-delà, il sera remplacé par le seul affranchissement allemand.

Charles Fréger (vit et travaille à Rouen)
Alsaciennes, 2019
Ensemble de huit assiettes en faïence imprimées sur chromo Strasbourg, Musée Alsacien, 66.2019.4.1 à 8
Cet ensemble est extrait du projet  "Souvenir d'Alsace" (2018-2022) dans lequel l'artiste interroge la construction de l'image de l'Alsace tiraillée entre France et Allemagne.

Zacharie Charles Landelle (1812-1908) La Statue de Strasbourg, 1871
Huile sur bois
Strasbourg,
 Musée historique de la ville.

Lors de la reddition de Strasbourg après un siège de 48 jours, les Parisiens se rassemblent en soutien à la ville place de la Concorde, devant la statue éponyme conçue par le sculpteur James Pradier en 1836. Elle devient l'objet d'un véritable pèlerinage à partir 4 septembre 1870, date de proclamation du gouvernement de la Défense nationale. Elle est alors ornée de drapeaux cravatés de crêpe, de couronnes d'immortelles, de bouquets avec des rubans tricolores et même recouverte d'un voile noir jusqu'en 1918.


LES RÉSEAUX ALSACIENS À PARIS
La communauté des Alsaciens de Paris s'accroît fortement à la suite de l'annexion. Cette diaspora se structure à travers différents réseaux de sociabilité. Du point de vue politique, le parti républicain s'organise autour de Léon Gambetta, Auguste Scheurer Kestner, mais aussi Jules Ferry, personnalités présentant des accointances régionales. Dans le domaine industriel, les familles Herzog et Siegfried conservent encore des entreprises en Alsace mais vivent pour partie dans la capitale. Les artistes et écrivains se réunissent de manière joyeuse et amicale lors des «dîners de l'Est » et des «dîners de l'Alsace à table ». La porosité entre tous ces cercles est importante. Certaines personnalités se rejoignent aussi à la loge maçonnique Alsace-Lorraine, inaugurée en 1872, rattachée au Grand Orient de France et conservatoire des valeurs patriotiques. Les Alsaciens fréquentent l'Association générale d'Alsace-Lorraine, fondée en 1871, qui organise, via son comité des Dames, le traditionnel arbre de Noël des Alsaciens-Lorrains de Paris autour d'un sapin venu des Vosges. C'est ainsi que se popularise l'usage de l'arbre de Noël né en Alsace au Moyen Âge. Les brasseries permettent également de lire les journaux régionaux. Enfin, les exilés effectuent le pèlerinage à la statue de Strasbourg sur la place de la Concorde.

<< Souvenez-vous donc !>> Une du Petit Journal du 22 juin 1913
Revue illustrée
Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, 
Cette Une du supplément illustré du quotidien Le Petit Journal du dimanche 22 juin 1913 est consacrée au débat parlementaire sur la loi des trois ans au sujet du service militaire, dans un contexte de tensions avec l'Allemagne. Le journal accuse Jean Jaurès et les socialistes de s'opposer aux intérêts de la France en refusant de voter cette loi. Sur l'illustration, Marianne interpelle l'homme politique en lui rappelant les événements de 1870. «Souvenez-vous donc !... »> lui dit-elle en lui montrant les soldats français mourants et la cathédrale de Strasbourg en feu, à l'horizon.

Lesbounit, Louchet Publicité (impr.)
Affiche du film de Henri
Desfontaine « L'Alsace attendait... » Films « Patrie », 1917
Chromolithographie sur toile Strasbourg, Musée Alsacien

VERS LA REVANCHE ?
Le traumatisme de la défaite et de la perte de l'Alsace-Lorraine suscite dans l'opinion publique un sentiment de revanche qui se traduit notamment par la création de la Ligue des patriotes par Paul Déroulede en 1882. Ce parti de masse évolue progressivement vers une tendance nationaliste et militariste. Cependant, son audience reste limitée et la volonté de revanche, à l'égard de l'Allemagne, tend à s'affaiblir avec le temps. Toutefois, à partir des années 1905, les tensions entre la France et l'Allemagne se ravivent. L'image des Provinces perdues est alors à nouveau brandie. La question de I'Alsace-Lorraine n'est pas la cause du déclenchement du conflit en 1914 mais elle apparaît comme un référentiel commun autour duquel se regroupe la nation au moment de l'entrée en guerre. Celle-ci fera 1,7 million de morts du côté français et près de 2,5 millions du côté allemand.

Hansi (Jean-Jacques Waltz, dit) (1873-1951) "La Belle au Bois dormant", 1919
Frontispice de L'Alsace Heureuse. La grande Pitié du Pays d'Alsace et son grand Bonheur racontés aux petits enfants par l'Oncle Hansi. Avec quelques images tristes et beaucoup d'images gaies, livre illustré, Paris, Floury, 1919 Strasbourg, Bibliothèque des Musées

Camara (Tomas Julio Leal da Câmara, dit) [1876-1948]
Déroulède , 1901

Dessin reproduit dans L'Assiette au beurre, n 38, page [604), 21 décembre 1901 Strasbourg, Bibliothèque des Musées

ce numéro de L'Assiette au beurre, journal anticlérical et antimilitariste, dans la tradition de la presse satirique républicaine, dénonce le peu de courage de certains prétendants au pouvoir, en l'occurrence Paul Dérouléde. Ses discours revanchards et sa tentative de coup d'État en 1899 sont ici moqués dans ce portrait-charge accompagné de vers satiriques.

Antonin Mercié (1845-1916) Quand même !, 1884 Bronze, fonte Barbedienne
Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, 
Destinée à commémorer le siège de Belfort en 1870 et 1871 et sa résistance héroïque, la sculpture d'Antonin Mercié a été présentée au Salon de 1882. La version monumentale en bronze est inaugurée le 31 août 1884 à Belfort. Cet exemplaire en réduction, fondu par la maison Barbedienne, est un témoin de la forte popularité de ce et. Le titre de I'œuvre est issu de la devise "Car, malgré tout, il faut quand même résister..." de la Ligue des patriotes auquel adhère l'artiste. La Ligue adopte comme symbole le motif de la statue de Mercié sur ses médailles de ralliement dont la détention est exigée pour assister aux réunions.


LE CULTE POPULAIRE DES PROVINCES PERDUES
Le thème des Provinces perdues donne lieu à une importante production d'objets qui, plus encore que les œuvres, participent à la diffusion de leur image et à l'entretien de leur souvenir sur le territoire national. Des pièces fabriquées en séries, dont certaines reproduisent des œuvres du Salon, figurent des bustes d'Alsaciennes ou les deux orphelines que sont l'Alsace et la Lorraine et prennent place dans les intérieurs des foyers français. Ils y côtoient des jouets, des manuels scolaires ou des ouvrages dédiés à la jeunesse dont la portée pédagogique et patriotique est évidente. La presse illustrée évoque régulièrement en Une les souffrances et la résistance supposées des annexés, tandis que les chants patriotiques entonnés dans les cafés-concerts alimentent à grand renfort de pathos le cliché d'une Alsace-Lorraine livrée sans défense aux griffes de l'oppresseur allemand. Les cartes postales enfin, qui se multiplient au début du siècle, promeuvent une image de l'Alsacienne tour à tour victime fragile et objet de désir.

Léon Paget (1844-1921) [pour le décor au repoussé]
Horloge comtoise à thèmes patriotiques, vers 1880
Laiton et fer repoussés, fonte, métal, textile Strasbourg, Musée historique de la ville, 88.2017.2.1
Fabriquée dans le Jura, cette horloge a été achetée près d'Albi. Elle témoigne ainsi de la diffusion de l'iconographie des Provinces perdues dans des objets du quotidien à l'échelle nationale.

Joseph-Pierre Ferrier (?-vers 1899) L'Émigrée, vers 1880
Terre cuite
Strasbourg, Musée Alsacien

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Paysage alsacien 
dit de Tropmems-King
1879
Huile sur toile
legs Charles Rabot
Jean-Jacques Henner (1829-1905) Paysage d'Alsace
Vers 1890-1905
Huile sur bois

Jean Jacques Henner est originaire de Bernwiller, petit village du Sundgau situé entre Mulhouse et Thann. Bien que menant une carrière parisienne, il entretient des liens indéfectibles avec sa région natale. Très affecté par l'annexion de l'Alsace, l'artiste s'y ressource auprès des siens un à deux mois par an. Il y retrouve une sorte d'Arcadie à travers les paysages chers à son cœur, qu'il transcrit minutieusement dans ses nombreux carnets à dessins. L'artiste part toujours d'un travail d'observation de la nature, puis peint en atelier un paysage rêvé à partir de visions et d'impressions relevées dans ses croquis. La Vallée de Munster, effet noté après l'orage est emblématique de ces paysages caractérisés par une étendue d'eau située au pied d'un bosquet d'arbres se détachant sur un pan de colline et une trouée de ciel à la tombée du jour. Bernwiller y est parfois reconnaissable grâce à la silhouette de l'église mais, le plus souvent, il s'agit d'un paysage alsacien idéal sans notation topographique précise. Ces dessins et peintures constituent une partie intime de son œeuvre car jamais exposée du vivant de l'artiste. Cette production atypique s'éloigne de la veine pittoresque de ses compatriotes Théodore Lix, Gustave Brion ou Camille Pabst.

Jean-Jacques Henner
Route de Galfingen avec le vieux cerisier et la croix, vers 1876
Huile sur toile

Vallée de Munster, effet noté après l'orage, vers 1879
Huile sur bois

Non identifié 

Et on termine la visite par l'atelier pour revoir les fameux tableaux, La Vérité et les Naïades 
La vérité 1898
et Les Naïades 1877 
Huiles sur toile

Le tableau La Vérité est une première version de l'œuvre, aujourd'hui disparue, commandée en 1896 pour la Salle des Autorités de la Sorbonne à Paris. On a pu y voir une référence à la phrase d'Émile Zola à propos de l'affaire Dreyfus : "La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera". Deux figures féminines superposées apparaissent car Jean-Jacques Henner a recommencé son tableau sur la même toile tournée à quatre-vingt-dix degrés. JJHP 292, donation Marie Henner

Il s'agit d'une commande privée pour la salle à manger de l'hôtel particulier de M. et Mme Soyer, 43 rue du Faubourg Saint Honoré à Paris. Le peintre connaissait leur gendre, Paul Sédille, l'architecte des Magasins du Printemps. Marie Henner le rachètera pour le musée qui conserve de nombreux dessins et études préparatoires pour ce tableau.

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