samedi 9 octobre 2021

Ylya Repine, peindre l'âme russe, au Petit-Palais en octobre 2021

ILVA REPINE
PEINDRE L'ÂME RUSSE

Ilya Répine (1844-1930) est le peintre russe le plus célèbre de son temps. Son nom est généralement asso cié au réalisme russe et au mouvement des Ambulants. Au sein de l'Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, ces artistes s'opposent en 1863 au courant académique et cherchent à mettre en avant la réalité de la vie du peuple. Sa longue carrière, couvrant plus de six décennies, fait de Répine le témoin de tous les bouleversements de la Russie, depuis les réformes sociales historiques des années 1860, en passant par les révolutions de 1905, puis de 1917, à la Première Guerre mondiale et la naissance de l'Union soviétique.

Répine se passionne pour les différents aspects de la culture russe. À travers ses oeuvres, il confronte et met en lumière les conflits du passé et du présent qui agitent la société. Habile à pénétrer les profondeurs secrètes de l'âme russe, il est le portraitiste des grandes personnalités de son temps, de l'écrivain Léon Tolstoi au compositeur Modeste Moussorgski, ainsi que des tsars Alexandre III et Nicolas II qui comptent au rang de ses commanditaires. Ses contemporains, parfois bousculés par ses œuvres sans compromis, sa palette et son style expressifs, reconnaissent immédiatement en lui un grand maître. Peintre, mais aussi homme public, professeur, théoricien de l'art et écrivain, Répine est une figure centrale de son époque. C'est néanmoins en Finlande, à Kuokkala, qu'il achève son existence, à l'âge de quatre-vingt six ans, hors de la Russie soviétique qui avait tenté en vain de négocier son retour.

Organisée en partenariat avec le musée d'art de l'Ate neum d'Helsinki, l'exposition du Petit Palais est la première grande rétrospective consacrée à l'artiste en France. Riche d'une centaine de tableaux, dont de très grands formats, l'exposition bénéficie entre autres des prêts prestigieux de la Galerie nationale Trétiakov de Moscou et du musée d'État russe de Saint-Pétersbourg, qui ont accepté de se dessaisir, pour cet hommage parisien, des toiles les plus emblématiques du maître.

1 Saint Petersbourg

Ilya Répine naît en 1844 dans une famille de serfs. Il se forme à la peinture d'icônes dans son vil lage natal de Tchougouïev (Ukraine), puis com mence ses études à l'école de dessin de la Société d'encouragement des artistes. En 1864, il entre à l'Académie impériale des beaux-arts de Saint Pétersbourg, où il fait la rencontre déterminante d'Ivan Kramskoï (1837-1887), le chef de file des Ambulants. Ces artistes, eux aussi passés par l'en seignement académique, pratiquent, depuis leur "révolte des Quatorze" en 1863, une peinture réa liste, reflet de la vie du peuple et de ses préoccupa tions. Ils organisent, dans toutes les grandes villes de l'Empire, des expositions artistiques itinérantes qui présentent la nouvelle peinture du groupe. Si Répine ne devient membre des Ambulants qu'en 1878, il partage très tôt leur vision. Il est également proche de l'influent critique d'art Vladimir Stassov, qui cherche aussi à mettre à l'honneur des sujets issus de la vie du peuple russe. En 1873, Répine présente à l'exposition annuelle de l'Académie son grand tableau Les Haleurs de la Volga, immédiatement perçu comme une œuvre majeure, qui assoit sa réputation.

ÉTUDIANTS SE PRÉPARANT À UN EXAMEN
1864/Huile sur toile
À son arrivée à Saint-Pétersbourg en 1863, Répine s'installe chez l'architecte A. Pétrov. Il partage une chambre avec les neveux de celui-ci, Alexandre et Alexei, dont il épousera plus tard la sœur et qui, comme lui, sont inscrits à l'école de dessin de la Société d'encouragement des artistes. Ce sont eux qui lui servent de modèles pour cette œuvre, qu'il présente à l'Académie des beaux-arts en 1865, l'année de son intégration. Répine y dépeint avec humour les deux étudiants oisifs.
IVAN SAVENKOV
1870/ Huile sur toile
Ivan Savenkov fut un contributeur essentiel au développement culturel de la Sibérie et à l'étude de son territoire en initiant de grandes expéditions archéologiques et géologiques. Il est un proche du cercle des jeunes artistes Vastnetsov, Antokolski et Répine.
VLADIMIR STASSOV
1873/ Huile sur toile
Vladimir Stassov est l'un des critiques les plus influents de la seconde moitié du XIXe siècle en Russie dans les domaines de la peinture et de la musique. Il soutient l'art réaliste de Répine et des Ambulants. Ses prises de position en faveur de la promotion de l'art russe en font un critique âpre et redouté. Répine fait sa connaissance durant ses études à l'Académie des beaux-arts. Malgré plusieurs brouilles liées au caractère intransigeant de Stassov, de véritables liens existaient entre les deux hommes, basés sur un respect mutuel.
VÉRA CHEVTSOVA
1869/ Huile sur toile
Il s'agit du premier portrait que Répine réalise de sa future épouse, Véra Chevtsova, ici âgée de quatorze ans. Expressif et vivant, il révèle la liberté qui sera celle du peintre dans le genre du portrait. Le trait rapide, les larges coups de pinceau délimitant des couleurs franches, l'accord dynamique entre le rouge le vert, la pose sans façon du modèle en font une œuvre singulière dans ses premiers travaux. Véra épouse Répine trois ans plus tard. Le couple aura quatre enfants, avant de se séparer définitivement à la fin des années 1890.
VASSILI RÉPINE
1867/ Huile sur toile
Répine fait ici le portrait de son jeune frère Vassili. Musicien, celui-ci étudie au conservatoire de Saint-Pétersbourg à partir de 1868, devient l'élève de Rimski-Korsakov, puis intègre l'orchestre du théâtre Mariinski. Il épouse Sofia Chevtsova, sœur aînée de Véra Répine. Le peintre réalise ce portrait en 1867, alors qu'il passe l'été dans son village natal de Tchougouïev.
LES HALEURS DE LA VOLGA
1870-1873/ Huile sur toile
De mai à août 1870, Répine part en voyage sur la Volga. Fasciné par les haleurs, hommes robustes qui tirent les bateaux à voiles le long de la rivière, il les dessine sans relâche. Le grand-duc de Russie Vladimir Alexandrovitch, vice-président de l'Académie et fils du tsar Alexandre II, lui passe alors commande d'un grand tableau sur ce thème. En 1873, Répine présente l'oeuvre à l'Académie des beaux-arts. Cette peinture lui vaut une médaille d'encouragement mais suscite aussi de violents débats. La puissance avec laquelle il met en scène ce peuple russe au travail frappe le public. Le peintre individualise chaque figure, varie les attitudes afin de donner à chacun une existence propre. Après ce scandale, la réputation de Répine est établie. Le tableau, envoyé en 1873 à l'Exposition universelle de Vienne, y obtient une médaille d'or.
Détail du tableau précédent 
HALEURS TRAVERSANT À GUÉ
1872 / Huile sur toile
La «Mère Volga», voie commerciale majeure, joue un grand rôle dans l'imaginaire russe et inspire aux artistes nombre de romans, tableaux et chansons. Entre 1870 et 1873, Répine réalise trois variantes des Haleurs de la Volga. Cette œuvre est la dernière, entreprise lors de son second séjour sur les bords du fleuve. Le peintre y change totalement la composition: les hommes ne sont plus répartis en différents groupes, mais forment une seule masse, qui marche vers le spectateur comme pour briser les frontières de l'espace.

2 PARIS

En 1871, Répine obtient une bourse de l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, qui lui permet d'aller étudier à l'étranger. Il choisit la France, qui, entre 1860 et 1900, attire une centaine de peintres russes. Le jeune artiste quitte la Russie en 1873 et séjourne durant trois ans à Paris, où il s'installe à Montmartre avec sa famille. Ce nouvel environnement stimule sa créativité et ses recherches. Il se met en quête de sujets inédits pour des toiles de grand format et annote ses carnets de quantité d'idées. Il est séduit par la modernité des peintres fran çais et par le courant impressionniste qui émerge. Sur place, il peint de nombreux portraits pour gagner sa vie. En dépit de l'interdiction formelle d'exposer au Salon à Paris, édictée par l'Académie de Saint-Pétersbourg, il y présente une série de toiles en 1875 et 1876.

À Paris, Répine fréquente une colonie russe impor tante composée de peintres, de sculpteurs, d'écrivains et de réfugiés politiques. La figure centrale du groupe est Ivan Tourgueniev (1818-1883), dont les romans annoncent les mutations sociales à venir en Russie. Sous la houlette du paysagiste Alexeï Bogolioubov (1824-1896), lui aussi installé à Paris, Répine découvre la Normandie et expérimente la peinture de plein air. Après ce séjour riche en nouvelles expériences, il rentre en Russie pour y poursuivre une carrière féconde.

Répine reviendra ensuite à Paris à plusieurs reprises entre 1883 et 1900, en voyage d'agrément ou à l'occa sion des Expositions universelles dont il est à la fois un exposant et un membre du jury.

UKRAINIENNE
1875 / Huile sur toile
À Paris, Répine conserve à l'esprit les images de son Ukraine natale et les retranscrit. Il devient ainsi pendant son séjour parisien un passeur entre les deux cultures. Au sein d'un atelier de céramique russe fondé à Paris sous la houlette du peintre Alexei Bogolioubov, il réalise des plats représentant des personnages typiques, sur le modèle de cette séduisante Ukrainienne en costume traditionnel.
ALEXEÏ BOGOLIOUBOV
1882/Huile sur toile
Le peintre de marines Alexeï Bogolioubov passa, sur le conseil de ses médecins, une période importante de sa vie en France. À Paris, il réalise des peintures pour la cathédrale russe Saint-Alexandre-Nevski, située rue Daru, et joue un imp rtant rôle de tuteur pour les boursiers de l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Son atelier devient à partir de 1870 l'un des pivots de la colonie artistique russe. Il crée aussi à Paris en 1877 l'Association d'entraide et de bienfaisance des artistes russes, avec la collaboration de Tourgueniev, qui en devient le secrétaire.
IVAN TOURGUENIEV
1874/Huile sur toile
Ivan Tourgueniev fut, de son vivant même, considéré comme l'un des plus grands auteurs russes du XIXe siècle. Champion du réalisme littéraire, il vécut presque toute sa vie en France, contraint à l'exil par ses écrits progressistes, et mourut dans sa datcha de Bougival. Tourgueniev côtoie le Tout-Paris littéraire et fait connaître Tolstoi. C'est donc avec enthousiasme que Répine reçoit à Paris la commande du portrait de l'écrivain passée par le collectionneur moscovite Pavel Trétiakov. Celui-ci avait entamé en 1870 la collection d'une série de portraits des grandes figures de la nation russe. Cette commande prestigieuse ouvrait les portes de la maison de Tourgueniev à Répine mais aussi de celle de son amie la cantatrice Pauline Viardot, dont le salon était alors très couru. Malheureusement, ni le modèle ni le commanditaire ne furent satisfaits du portrait.
FEMME NOIRE
Fin 1875-début 1876 / Huile sur toile
Ce tableau, unique dans l'art de Répine, clôt une série de portraits évoquant la diversité des physionomies rencontrées lors de son séjour en France. C'est à Paris que l'artiste découvre l'ampleur de la vogue pour l'orientalisme, lui qui ne se rendit ni au Maghreb ni dans l'Empire ottoman. Ici, Répine fait montre d'un talent virtuose dans le rendu des couleurs et dans celui de la lumière sur la peau et les bijoux du modèle.
JUIF EN PRIÈRE
1875/ Huile sur toile
Ce tableau, que Répine jugeait particulièrement réussi, est issu d'une série de portraits de "types" (comme la Femme noire ou l'Ukrainienne) réalisés à Paris en 1875-1876. La marque des maîtres anciens y est manifeste. Répine avait découvert Rembrandt en copiant ses oeuvres au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg, mais c'est pendant son séjour en Europe, après ses visites au musée du Louvre et à la National Gallery à Londres qu'il y accorde une attention spéciale.
SADKO DANS LE ROYAUME SOUS-MARIN
1876/ Huile sur toile
À Paris, en 1873, Répine commence cette œuvre inspirée d'un poème traditionnel russe. Celle-ci dépeint l'histoire de Sadko, riche marchand de Novgorod, qui tombe dans le royaume sous-marin du tsar des mers; invité à choisir entre plusieurs fiancées, il élit Tchernavouchka, la jeune fille russe. Répine travaille trois ans sur ce tableau, sans en être satisfait. Il pressent que ce thème fantastique, traité avec des détails précieux et des couleurs raffinées, ne sera pas en adéquation avec son ambition de peintre réaliste. L'artiste présente néanmoins Sadko à l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg à son retour en 1876 et reçoit, grâce à cette œuvre si étrangère au reste de sa production, le titre d'académicien.
Détail du tableau précédent 
CHEVAL POUR LE RAMASSAGE DE GALETS À VEULES-LES-ROSES
1874/Huile sur toile
Au cours de l'été 1874, passé à Veules-les-Roses, Répine s'enthousiasme à la vue des paysages de Normandie. Il choisit ici le motif pittoresque du cheval de bât utilisé pour la collecte de galets. En Normandie, sa palette devient plus lumineuse et sa manière plus libre. Cette étude montre l'engouement de l'artiste pour la peinture de plein air. Elle attira l'attention du peintre Léon Bonnat et du critique Louis Leroy, qui l'encouragèrent à présenter cette oeuvre au Salon de 1875. Répine offrit cette toile comme cadeau du Nouvel An 1875 au peintre Alexeï Bogolioubov, qui lui avait fait découvrir cette région.
ROUTE DE MONTMARTRE, PARIS
1875-1876/ Huile sur carton
Pendant son séjour parisien, Répine cherche à progresser dans la maîtrise de ses compositions et expérimente diverses constructions de l'espace pictural. Ses progrès sont visibles dans ce paysage, un genre qu'il pratique finalement assez peu. Le peintre utilise une manière très en pâte pour rendre la route accidentée et les bâtisses d'un Montmartre encore rural, domaine des carrières et des fours à plâtre.
GARCON ADOSSÉ AU MUR D'UN JARDIN, MONTMARTRE
(étude)
1876/ Huile sur carton
À son arrivée à Paris, Répine s'installe avec sa famille à Montmartre, un quartier prisé des artistes, où les loyers sont plus modestes. Il loue un atelier au n° 31 de la rue Véron, avec son ami, peintre et boursier comme lui, Vassili Polénov. Répine s'enthousiasme de l'agitation qui règne alors dans le quartier, comme il l'écrit à Ivan Kramskoi, en 1874: "Notre rue Véron est pleine de gamins, de fillettes, d'hommes en blouse, de boutiquiers, d'ânes; ça crie, ça tintamarre sur tout Montmartre."
LE VENDEUR DE NOUVEAUTÉS À PARIS
1873/Huile sur toile
Répine livre ses premières impressions de Paris dans des scènes de genre, qui étaient alors à la mode. L'artiste choisit comme décor une rue animée de Paris, reconnaissable à la colonne Morris qui fait la réclame pour un bal populaire. Mais le spectacle est aussi dans la rue, mené par cet habile charlatan qui fait l'article et propose des fioles de différentes couleurs à une assistance médusée.
DAME JOUANT AVEC SON PARAPLUIE
(esquisse pour Le Café parisien) 1874/ Huile sur toile marouflée sur carton
À Paris, Répine réalise un grand tableau, Le Café parisien (1874-1875, Moscou, musée d'Art d'avant-garde), pour lequel il multiplie les dessins et les études préparatoires. Dans cette esquisse, Répine montre son intérêt pour la mode vestimentaire des élégantes Parisiennes. Le tableau définitif est présenté pour la première fois au Salon de 1875 à Paris, où l'œuvre passe inaperçue aux yeux de la presse et du public. L'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, qui interdisait formellement à ses élèves d'exposer à l'étranger depuis la révolte des Ambulants, est en revanche très mécontente de l'initiative de Répine.

Le Café parisien (reproduction)
AUTOPORTRAIT
1887/ Huile sur toile
Cet autoportrait a été peint au cours d'un voyage en Italie durant l'été 1887. L'idée de cette oeuvre lui est vraisemblablement venue après sa visite de la galerie des Offices à Florence, célèbre pour sa collection
d'autoportraits, où l'artiste aurait pu voir ceux de quelques-uns de ses illustres compatriotes.

3 LE CERCLE FAMILIAL
Portraitiste prolifique, Répine prend souvent pour modèles les membres de sa famille, qu'il peut faire poser à loisir. Dans ce cercle restreint, il donne libre cours à son approche novatrice, à ses expérimentations sur la lumière et les couleurs, qui renouvellent le genre du portrait en Russie. Soucieux de rendre ses modèles avec véracité, l'artiste n'hésite pas à les représenter dans des atti tudes ou des poses audacieuses - travail, méditation, sommeil... 
Sa première épouse, Véra, et ses enfants, la petite Véra, Nadia et Youri, figurent parmi ses modèles de prédilection. Leurs représentations au fil de l'enfance donnent lieu à de charmantes compositions empreintes de naturel.
LIBELLULE
1884/ Huile sur toile
En 1884, Répine travaille simultanément sur plusieurs œuvres de très grand format. Durant l'été, il part se ressourcer à Martichkino, non loin de Saint-Pétersbourg. Là, il fait ce portrait en extérieur de sa fille Véra, âgée de douze ans. Il choisit un point de vue inhabituel, en contre plongée, avec un rayon de lumière de biais, créant une image très contrastée de la jeune fille. Répine se souvient ici des impressionnistes vus à Paris et de la peinture de plein air, qui révèle les ombres colorées.
VÉRA RÉPINE ENFANT
1874/ Huile sur toile
Répine représente ici Véra, sa fille aînée, à la manière d'un portrait officiel. S'il nommait sa femme, Véra, « ma petite », il appelait sa fille « ma minuscule » ou «ma Vérounka »>. L'image de cette fillette de deux ans, qui paraît effectivement toute petite dans ce grand fauteuil, est empreinte d'une tendre ironie. Le portrait fut commencé pendant l'été 1874 à Veules-les-Roses, puis modifié au retour de l'artiste à Paris.
NADIA ET VÉRA RÉPINE

1877 / Huile sur toile
Après son séjour à Paris, Répine retourne à Tchougouïev, son village natal, où naîtra son fils Youri en 1877. Là, il peint le charmant portrait de ses filles aînées, Véra et Nadia, alors âgées de cinq et deux ans, au milieu de leurs jouets. L'oeuvre resta dans la famille et fut offerte par Répine à Tatiana, sa troisième fille, en 1902, à l'occasion de la naissance de sa première petite-fille.
NADIA RÉPINE
1881 / Huile sur toile
Le portrait de la petite Nadia est l'une des œuvres les plus attendrissantes de Répine. Le charme de l'enfant en pleine rêverie lui inspire une composition audacieuse dans des coloris subtils. Il représente Nadia dans un raccourci relativement complexe, glissant de son oreiller.
REPOS
1882 / Huile sur toile
Répine aime saisir ses modèles dans une attitude naturelle, comme le repos, la méditation ou le sommeil. L'endormissement de son épouse Véra, est ici subtilement rendu par la main prête à glisser du bras du fauteuil. Le vêtement raffiné est peint dans une harmonie restreinte de bruns, de noirs et de bordeaux. Ce tableau est le dernier qu'il fit de son épouse: la dégradation de leurs relations conduisit le couple à se séparer définitivement à la fin des années 1890.
EFIM RÉPINE
1883/ Huile sur toile
Efim Répine, père du peintre, commence sa carrière comme homme de troupe dans la garnison de Tchougouïev. Il participe à trois campagnes militaires entre 1826 et 1849. Bien qu'il soit encore considéré comme un serf, avant l'abolition du servage en 1861, ce service dans l'armée lui octroie la permission de faire du commerce de chevaux dans les années 1840-1850. Après le décès de son épouse en 1880, il passe les dernières années de sa vie dans la propriété de son fils, à Zdravnievo, aux environs de Vitebsk (aujourd'hui en Biélorussie). Dans ce portrait influencé par l'art de Rembrandt, Répine le montre dans une activité que son père affectionnait, la lecture des Saintes Écritures.
YOURI RÉPINE ENFANT
1882/Huile sur toile
Le seul fils de l'artiste et de son épouse Véra, Youri Ilitch Répine (1877-1954), naît à Tchougouïev. Sur ce portrait, Youri pose avec naturel, confortablement installé entre les plis d'un tapis turkmène, arrangé dans l'atelier de son père pour son tableau Ivan le Terrible.
Ici, le peintre détaille avec une égale attention le visage potelé de l'enfant, sa veste aux boutons dorés et ses bottines fourrées. Adulte, Youri Répine poursuivit une carrière de peintre, sans toutefois atteindre la notoriété de son père.
PAYSAGE D'ÉTÉ. VÉRA RÉPINE SUR UN PETIT PONT À ABRAMTSEVO
1879/ Huile sur toile
Véra Répine, épouse du peintre, est ici représentée dans le parc de la propriété du collectionneur Savva Mamontov à Abramtsevo, non loin de Moscou, où Répine et sa famille passèrent l'été 1879.

4 LA VIE EN RUSSIE
Répine ne rejoint officiellement la Société des expositions artistiques ambulantes qu'en 1878. Pourtant, il partage très tôt les idées de ses membres, celles d'une peinture nouvelle, en prise avec la Russie de son temps et qui puise son inspiration dans la réalité d'alors. Il peint de nombreux épisodes tirés de la vie du peuple dans un monde encore majoritairement paysan. Le thème de la procession religieuse traverse son oeuvre jusque dans les années 1920, traité parfois simultanément dans plusieurs tableaux de grand format. L'artiste illustre la persistance des traditions russes et la ferveur de ses contemporains pour les événements collectifs, comme les fêtes ou les rites religieux. C'est également l'occasion pour lui de brosser de puissants portraits de figures du peuple, prises isolément ou placées à l'intérieur de leur groupe social. Mais Répine témoigne aussi des changements introduits par la lente modernisation de la Russie, tels l'essor du chemin de fer ou les progrès de la médecine.

L'HOMME AU MAUVAIS CEIL
1877/Huile sur toile
Répine choisit comme modèle Ivan Radov, orfèvre de profession et époux de sa marraine. Le titre du tableau met en avant la particularité physique du modèle mais évoque aussi les superstitions dont celui-ci fait l'objet. Ce portrait est présenté à la sixième exposition des Ambulants en 1878, où la critique remarque particulièrement la liberté de touche du peintre. La même année, l'oeuvre est présentée à l'Exposition universelle de Paris.
FEMMES PIEUSES EN PÈLERINAGE
Étude pour Procession religieuse dans la province de Koursk
1878/Huile sur toile
Dans la Russie orthodoxe, les pèlerins voyageaient de monastère en monastère ou de couvent en couvent, pour prier devant leurs icônes miraculeuses. Cette étude montre deux femmes, cheminant vers leur destination, chargées de leurs modestes effets. L'insertion des figures dans un vaste paysage ainsi que la profusion de détails réalistes des costumes et accessoires donnent à cette esquisse une dimension imposante. Le peintre confère à ces femmes une véritable présence, alors que, dans le tableau final, elles s'intégreront de manière plus archétypale au sein d'un groupe.
L'ARCHIDIACRE
1877/ Huile sur toile
Répine prend ici comme modèle Ivan Oulanov, le clerc de l'église de Tchougouïev, connu dans toute la région pour sa puissante voix de basse et pour sa force physique. S'il servit d'étude pour l'une des figures de Procession dans la forêt de chênes. L'icône miraculeuse (Hradec Králové, République tchèque, Galerie d'art moderne), Répine considérait ce portrait comme une oeuvre indépendante. Il l'exposa d'ailleurs à la sixième exposition des Ambulants en 1878 avec grand succès.
PROCESSION RELIGIEUSE DANS LE BOIS DE CHÊNES. L'ICÔNE MIRACULEUSE
(esquisse)
1878/ Huile sur toile
Répine participe à plusieurs processions dans son enfance et commence sa carrière comme peintre d'icônes. L'idée de peindre une procession religieuse germe dans son esprit entre octobre 1876 et juillet 1877, et l'habite jusque dans les années 1920. Cette esquisse de 1881 est le point de départ de deux oeuvres monumentales: Procession dans la forêt de chênes. L'icône miraculeuse (Hradec Králové, République tchèque, Galerie d'art moderne) et Procession religieuse dans la province de Koursk, présentée dans cette salle.
LE BOSSU
Étude pour Procession religieuse dans la province de Koursk
1881/Huile sur toile
L'idée d'un grand tableau consacré à une procession religieuse naît en 1876, au cours d'un voyage que Répine effectue à travers la province russe, dans le but d'en rapporter des croquis sur le vif. Plusieurs études précèdent sa grande Procession religieuse dans la province de Koursk. Celles consacrées au personnage du bossu, dont on connaît de nombreuses variantes peintes ou dessinées, sont parmi les plus belles. Cette figure apparaît dans le tableau final, sous une autre attitude.
PROCESSION RELIGIEUSE DANS LA PROVINCE DE KOURSK
1881-1883/ Huile sur toile
Répine se souvient des leçons de la peinture de plein air et compose habilement son groupe avec des personnages issus de différentes classes sociales, en leur conférant une vraie individualité. Le peintre ne s'intéresse pas tant au majestueux reliquaire qu'à la petite icône portée par une bourgeoise d'âge mûr. Répine expose la peinture en 1883 au onzième Salon de la Société des expositions artistiques ambulantes. Les avis sont partagés, certains louant son audace et son expressivité, d'autres l'accusant de trahir les convictions religieuses du peuple.
Détail du tableau précédent 

LA TENTATION DU CHRIST
1891-1901 / Huile sur toile
Répine commence à s'intéresser au thème de la Tentation du Christ à partir de 1873, après avoir entendu les récits du peintre Ivan Kramskoi sur la genèse de son Christ dans le désert (1872, Moscou, Galerie nationale Trétiakov). Il ne travaille lui-même sur ce sujet qu'à partir de 1890. Après bon nombre d'études, il effectue en 1898 un voyage en Palestine sur les lieux saints. Mais il reprend tellement son tableau par la suite que celui-ci devient pour lui un fardeau. La toile, endommagée lors d'un incendie dans son atelier, est finalement détruite par Répine. Elle n'est aujourd'hui plus connue que par des esquisses.
"VETCHORNITSI"
1881 / Huile sur toile
En Ukraine, la jeunesse se réunissait lors de veillées (vetchornitsi) pour lier connaissance, notamment après les travaux des champs à la fin de l'été. La danse et le rire sont des thèmes généralement associés par Répine à l'Ukraine. Le peintre met ici en exergue le traditionnel «coin rouge » de l'isba, qui doit être visible dès que l'on entre dans la pièce et où se trouvent les icônes de la maison. Il rend par un clair obscur marqué l'atmosphère presque étouffante de la fête. Léon Tolstoï, qui vit cette œuvre dans l'atelier de Répine à Moscou en 1880, s'enthousiasma pour la joie de vivre et la nature populaire du sujet.
Détail du tableau précédent 
LE DUEL
1897/ Huile sur toile
Le duel fait partie de la littérature russe: le célèbre poète Alexandre Pouchkine en périt et l'écrivain Ivan Tourgueniev en décrit un dans son roman Pères et fils (1862). Répine réalise à partir de 1895 plusieurs toiles sur ce thème qui le passionne. Il se documente sur les duels entre officiers auprès d'un ami juriste militaire et s'attache dans ses tableaux à dépeindre les états d'âme des duellistes. En 1897, il présente avec succès à la deuxième Exposition internationale de Venise une grande version de cette composition, sous-titrée « Pardonnez-moi!».
LE CHIRURGIEN EVGUÉNY PAVLOV EN SALLE D'OPÉRATION
1888 / Huile sur carton
Evguény Pavlov est un familier de Répine. Enseignant et chirurgien à la cour impériale, il est nommé en 1883 médecin-chef de l'ordre des Sœurs de la Croix-Rouge à Saint-Pétersbourg. Les connaissances scientifiques et médicales progressent rapidement en Russie dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce tableau évoque ainsi les nouvelles pratiques chirurgicales, notamment le port de blouses. Répine, qui assista lui-même à l'opération représentée ici, rend avec précision le geste suspendu du chirurgien et la jambe nue du patient, fermement maintenue, qui donnent un effet saisissant à la scène.

5 REPINE PORTRAITISTE
Répine est l'un des portraitistes les plus courus de son temps. Il brille dans ce genre durant toute sa carrière, réalisant près de 300 portraits, marqués par une forte intensité psychologique. Fasciné par l'âme humaine, il portraiture les célé brités de l'époque: hommes politiques, auteurs, scientifiques, écrivains, femmes du monde et personnalités influentes des milieux artistiques. des Grand amateur de musique, Répine a également immortalisé les compositeurs du «groupe des Cinq». D'une certaine manière, la démarche de ces musiciens, qui faisaient le choix de privilégier les traditions populaires russes, n'était pas sans rapport avec la sienne. C'est le collectionneur Pavel Trétiakov, désireux d'honorer les gloires de la Russie, qui passe à l'artiste ses plus impor tantes commandes de portraits. Sa collection formera le noyau initial de la Galerie Trétiakov qui ouvrira au public en 1893 et est aujourd'hui l'un des plus importants musées de Russie.
POLINA STRÉPÉTOVA DANS LE RÔLE D'ELISAVETA
1881/ Huile sur toile
L'actrice Pélaguéïa Strépétova, dite Polina (1850-1903), obtint ses titres de gloire avec ses interprétations remarquées des pièces d'Alexandre Ostrovski et d'Alexeï Pissemski. Dans les années 1880, Répine, comme beaucoup de ses contemporains, est un admirateur inconditionnel de son talent de tragédienne. L'actrice est représentée ici dans le rôle le plus emblématique de sa carrière, celui de la paysanne Elisavéta dans la pièce de Pissemski "Amère destinée".
ALEXEÏ PISSEMSKI
1880/ Huile sur toile
Alexeï Pissemski (1821-1881) connaît comme écrivain et dramaturge une grande notoriété dans les années 1850, notamment grâce à son roman Mille âmes et à sa pièce de théâtre Amère destinée. Il est par la suite la cible de nombreuses critiques et meurt en ayant perdu tout crédit littéraire. Sur commande de Trétiakov, Répine réalise en mars-avril 1880 le portrait d'un Pissemski oublié, vieillissant et malade. Au printemps 1881, peu après la mort de l'écrivain, le portrait, présenté à la neuvième exposition des Ambulants, est hautement loué par la critique.
NATALIA GOLOVINE
1896
Le portrait de Natalia Golovine est l'une des effigies féminines les plus harmonieuses de Répine. Cette œuvre fut choisie par l'artiste lui-même pour être offerte, à la veille de son ouverture en 1897, au Musée russe de Saint-Pétersbourg, créé sur la volonté du tsar Alexandre III.
SOPHIE MENTER 
1887/ Huile sur toile
La pianiste allemande Sophie Menter (1846-1918) fut élève de Franz Lizst. Proche de la sphère musicale russe dans les années 1880, elle fait des tournées à succès en Russie, participe à des concerts de "l'école de musique non payante" de Mili Balakirev, ouverte à tous, et enseigne au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Répine réalise deux portraits de la pianiste, qu'il achève en 1887, alors qu'il séjourne dans son château d'Itter en Bavière.
CÉSAR CUI 1890/ Huile sur toile
Compositeur et célèbre critique musical russe, César Cui (1835-1918) est le rédacteur du manifeste du «groupe des Cinq ». Il y milite pour une musique russe affranchie des influences étrangères et basée sur les traditions populaires russes. Ingénieur militaire, Cui, comme les autres membres du groupe, n'était pas musicien de profession. À partir de la fin des années 1880, Répine fréquente ses soirées musicales. Il le représente ici vêtu de sa capote de général, posant dans son bureau avec une certaine nonchalance, le regard assuré.
MODESTE MOUSSORGSKI
1881/ Huile sur toile
Répine admirait intensément l'œuvre de Modeste Moussorgski (1839-1881). En retour, le musicien prisait beaucoup sa peinture. En février 1881, le peintre apprend l'état critique du compositeur, victime de crises de dépression aggravées par l'alcoolisme. Début mars, il se rend à Saint-Pétersbourg et fait son portrait en quatre séances à l'hôpital militaire Nikolaevski, où Moussorgski est soigné. Répine réalise là un portrait singulier et marquant: le modèle apparaît en vêtement d'intérieur dans l'intimité de sa chambre d'hôpital, hirsute, le visage congestionné et rougi, malade, mais profondément présent. Moussorgski meurt quelques jours plus tard, à l'âge de quarante-deux ans.
MIKHAIL GLINKA COMPOSANT L'OPÉRA « ROUSSLAN ET LUDMILA »
1887/Huile sur toile
Répine apprécie beaucoup la musique de Mikhaïl Glinka (1804-1857), qui l'inspire lorsqu'il peint ses Haleurs de la Volga. Précurseur du «groupe des Cinq», Glinka est considéré comme le père de la musique russe. Il fut notamment le compositeur du premier opéra national, entièrement chanté en russe (Une Vie pour le Tsar, 1836). Pour ce portrait posthume, Répine se plonge dans les souvenirs d'amis de Glinka et utilise divers documents et photographies. Il représente le compositeur dans une attitude naturelle, cherchant l'inspiration, à demi couché sur un canapé, ses partitions autour de lui.
Les Compositeurs slaves, 1872, huile sur toile, œuvre créée pour l'hôtel restaurant "Le Bazar slave", rue Nikolskaya à Moscou, et conservée aujourd'hui au conservatoire Tchaikovski

RÉPINE ET LA MUSIQUE
Répine est un véritable mélomane. La musique russe connaît à cette époque un renouvellement profond, avec la création de nouvelles institutions publiques ou privées. L'opéra puise désormais aux racines russes des poèmes traditionnels et des chants cosaques... Répine peint de nombreux portraits de musiciens de son temps, avec lesquels il entretient des contacts et plusieurs solides amitiés. Il portraiture ainsi plusieurs compositeurs du fameux «

Dans ses mémoires publiés en 1932, l'écrivaine Ekaterina Letkova rapporte cette passion de l'artiste pour la musique: "Répine ne faisait pas qu'écouter, il vivait avec la musique. Anton Rubinstein interpréta La Marche turque de Beethoven. D'abord doucement, comme de loin, puis plus fort, puis très fort, comme Rubinstein savait faire résonner les cordes de son piano, puis de plus en plus doucement... Répine, entièrement penché en avant, écoutait, regardant au loin, et murmura brusquement: "Ils s'en vont... ils s'en vont... Ils sont partis." Comme si cette marche l'avait emporté lui aussi."
ALEXANDRE GLAZOUNOV
1887/ Huile sur toile
Alexandre Glazounov (1865-1936) fut à la fois un important compositeur, chef d'orchestre et pédagogue russe. C'est son grand admirateur et mécène, l'éditeur de musique Mitrofan Bélaïev, qui commande le portrait de Glazounov à Répine. Le peintre, qui fréquente les soirées du « cercle Bélaïev », connaît bien le musicien, dont il fait plusieurs portraits dessinés. Fervent amateur de Répine, Glazounov utilise, en 1885 dans son premier chef-d'oeuvre, le poème symphonique Stenka Razine, un chant célèbre traditionnel évoquant les haleurs. Il lui dédie aussi sa Rhapsodie orientale, pour grand orchestre en 1889.
ANTON RUBINSTEIN
1881 / Huile sur toile
Anton Rubinstein (1829-1894), pianiste, chef d'orchestre, compositeur, fut l'un des initiateurs du Cercle musical russe (1859), et le fondateur et premier directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg (1862). Le portrait, une commande de Pavel Trétiakov, est réalisé d'octobre à décembre 1881. « Une tête intéressante, il ressemble à un lion », s'émerveillait Répine, tout en se plaignant que le bouillonnant musicien ne sache pas tenir la pose.
SAVVA MAMONTOV
1880/ Huile sur toile
Savva Mamontov (1841-1918) était un entrepreneur, magnat des chemins de fer, collectionneur et mécène russe, désireux d'encourager le renouveau de l'art populaire russe. À partir de 1877, les Répine deviennent des familiers de sa résidence d'Abramtsevo, où il a installé une colonie d'artistes. Grand amateur de musique, Mamontov est aussi à l'origine d'un opéra privé qui lance la carrière du chanteur Fédor Chaliapine. Répine représente son modèle vêtu d'une simple blouse, renversé sur son dossier. Le cadrage serré et le point de vue introduisent un sentiment de familiarité avec le modèle.
LA BARONNE VARVARA IKSKÜL VON HILDENBANDT
1889/ Huile sur toile
La baronne Varvara Ikskül von Hildenbandt (1850-1928) était connue pour sa forte personnalité, sa grande beauté, ses idées progressistes et son implication dans les œuvres caritatives. Femme de lettres, éditrice, elle écrivit en français sous le pseudonyme de V. Rouslane et traduisit Dostoievski. Activiste sociale, qualifiée de « baronne rouge » à la cour impériale, elle refusa néanmoins de suivre le mouvement révolutionnaire. Son grand portrait par Répine fit impression et ajouta à sa notoriété. Sa tenue vestimentaire, corsage rouge vif à la Garibaldi et jupe noire, attire le regard et rend hommage à son engagement libéral et démocratique.
TATIANA MAMONTOVA
1882 / Huile sur toile
Tatiana Mamontova (1864-1920) était la fille d'Anatoly Mamontov, éditeur, propriétaire d'une imprimerie et d'une librairie à Moscou. Elle était également la nièce du célèbre mécène Savva Mamontov. Elle épousa le philologue G. A. Ratchinski et se consacra à des œuvres de bienfaisance. Elle fut dans sa jeunesse une amie proche du peintre Valentin Sérov, élève de Répine.
ANDREÏ DELVIG
1882/Huile sur toile
Le baron Andreï Delvig (1813-1887) était un ingénieur militaire, lieutenant-général et sénateur, auteur d'ouvrages sur la conception et la construction de systèmes d'alimentation en eau. Premier président de la Société de technique russe, il contribua à l'ouverture de plusieurs instituts, dont celui des chemins de fer. Ce portrait fut réalisé chez Savva Mamontov à Moscou.
ELEONORA DUSE
1891 / Fusain sur toile
La tragédienne italienne Eleonora Duse (1858-1924) fut considérée comme l'une des plus grandes actrices de son temps, à l'égal de Sarah Bernhardt. À la tête de sa propre compagnie, elle fit des tournées mondiales, notamment aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Russie. C'est en mars-avril 1891 que Répine éxécute son portrait à Saint-Pétersbourg. Il la représente dans une pose alanguie, les paupières mi-closes, fixant le spectateur. Avec une grande économie de moyens, l'artiste réalise ici une œuvre qui tient autant du tableau que du dessin.
PAVEL TCHISTIAKOV
1878 / Huile sur toile
Le peintre Pavel Tchistiakov (1832-1919) enseigna pendant plus de quarante ans à l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, tout en prodiguant des cours particuliers. Répine fit sa connaissance à la fin de ses études. Il garda longtemps chez lui le portrait de son professeur et ne s'en sépara que lorsque le collectionneur Pavel Trétiakov s'y intéressa. Ce dernier estimait fort l'avis de Tchistiakov et tenait à obtenir son portrait pour sa galerie des grandes figures de la nation russe.
LOUISE DE RIQUET, COMTESSE DE MERCY-ARGENTEAU
1890/ Huile sur toile
La comtesse belge Louise de Mercy-Argenteau (1837-1890) contribua à la diffusion de la musique russe en Europe, organisant des concerts en Belgique, soutenant et faisant connaître les compositeurs du «groupe des Cinq». Excellente pianiste elle-même, elle fut proche du compositeur César Cui, auquel elle consacra un ouvrage. Cui, qui séjournait souvent dans son château non loin de Liège, lui dédia son opéra Le Flibustier. C'est à la demande de Cui que Répine réalise, quelques jours avant la mort de la comtesse, ce portrait où il la représente étendue sur un sofa, sans forces, le visage doux et résigné.

UNE OEUVRE ICONIQUE

Le tableau Ivan le Terrible et son fils Ivan, le 16 novembre 1581 (1885, Moscou, Galerie nationale Trétiakov) est le grand absent de l'exposition du Petit Palais. Cette œuvre iconique de Répine, créée alors que la carrière de l'artiste est en plein essor, est victime d'un acte de vandalisme en 2018. Elle fait encore aujourd'hui l'objet d'une patiente restauration à Moscou. Déjà visé par une attaque en 1913, du vivant de Répine, ce tableau cristallise depuis sa création des débats enflammés.
 
IVAN LE TERRIBLE ET SON FILS IVAN, LE 16 NOVEMBRE 1581
Reproduction 

Répine représente ici le célèbre tsar de Russie, Ivan dit Le Terrible, alors qu'il vient de porter un coup mortel à son fils dans un accès de colère incontrôlé dont il était coutumier. Les historiens ne s'accordent pas sur les circonstances précises de la dispute à l'origine de l'altercation. On raconte souvent que le fils aurait tenté de s'interposer entre sa femme et son père en fureur contre elle. Dans son œuvre, Répine n'y fait toutefois aucune allusion pour privilégier le décor et se concentrer sur le regard aburi.

6 L'ANCIENNE RUSSIE
À l'instar d'autres peintres russes de son époque, comme Vassili Sourikov ou Viktor Vasnetsov, Répine s'intéresse aussi à la Russie historique, celles des boyards et des streltsy. Grand peintre d'histoire, il excelle à donner à ses personnages (la tsarevna Sofia, le tsar Ivan le Terrible, les cosaques zapo rogues) une présence exceptionnelle. Soucieux d'exactitude historique, il effectue des voyages documentaires ou réalise des recherches sur les costumes et accessoires qui contribuent au décor et à l'atmosphère des scènes qu'il dépeint. Ses tableaux historicisants font parler d'eux et suscitent parfois de violentes controverses, alors même que le pouvoir autocratique du tsar et son héritage sont de plus en plus contestés: en 1885, Alexandre III interdit un temps l'exposition du tableau Ivan le Terrible et son fils Ivan, le 16 novembre 1581, qui montre le tsar venant de tuer son fils aîné et héritier du trône, l'œuvre étant jugée trop subversive.

LES COSAQUES ZAPOROGUES ÉCRIVANT UNE LETTRE AU SULTAN DE TURQUIE
1880-1891 / Huile sur toile
Près des ruines encore fumantes d'un champ de bataille, un groupe de cosaques rédigent une lettre provocatrice destinée au sultan ottoman Mohammed IV. Fidèles à leur réputation de peuple fier et indépendant, ils refusent de lui faire allégeance et lui adressent une missive dont la grossièreté les amuse. Le travail du peintre sur le thème des cosaques zaporogues commença en 1878 et fut suivi d'un voyage en Ukraine en 1880. Mais ce fut la rencontre en 1887 avec l'historien Dmitro I. Yavornitski qui fut décisive pour la réalisation de ce tableau. Ce dernier donna accès à Répine à toute la documentation utile, ainsi qu'à une collection d'objets ukrainiens anciens. Le tsar Alexandre III acquiert le tableau en 1891. À l'Exposition universelle de Chicago en 1893, Répine reçoit un grand prix pour cette œuvre qui reste l'une de ses plus célèbres.
LA TSAREVNA SOFIA ALEXEÏEVNA AU COUVENT NOVODIEVITCHI
AU MOMENT DE L'EXÉCUTION DES STRELTSY ET DE LA TORTURE DE SES SERVITEURS EN 1698
1879/ Huile sur toile
Ce tableau représente un épisode dramatique de l'histoire russe au XVIIe siècle: Sofia Alexeïevna emprisonnée au couvent Novodievitchi à Moscou par son demi-frère le tsar Pierre le Grand, à la suite d'une ultime tentative d'insurrection. L'exécution de ses partisans est seulement suggérée par l'ombre derrière la fenêtre. Désormais privée de tout moyen d'action, la tsarine est représentée dans sa cellule, en grande fureur. Si Répine entreprit un long travail documentaire sur l'architecture ancienne, le mobilier, les costumes, les armes et les accessoires pour être au plus près de la réalité historique, il s'agissait aussi pour lui de décrire un moment où les émotions tenaient un rôle central.

7 LE RÉGIME TSARISTE
Lecteur des grands écrivains russes dans les années 1860 (Dostoievski, Tourgueniev, Tolstoï), Répine puise comme eux son inspiration dans l'histoire bouillonnante de la Russie contemporaine. La fracture entre l'ancien monde et le nouveau, illustrée par Tourgueniev dans ses romans Pères et fils ou encore Terres vierges, irrigue son œuvre. Répine consacre plusieurs toiles au mouvement populiste des Narodniki («Ceux qui vont vers le peuple»), qui s'attaquent au régime tsariste. Il illustre ainsi le sacrifice des victimes de ces luttes révolutionnaires. Se sentant le devoir d'éduquer les masses populaires, ces intellectuels, issus pour la plupart des classes sociales cultivées, avaient en effet quitté la ville pour la campagne, dans le but de convaincre les paysans de se dresser contre le tsar. Paradoxalement, ils ne rencontrèrent qu'incompréhension et méfiance, certains paysans allant parfois jusqu'à dénoncer ces jeunes gens dont ils ne comprenaient pas les objectifs. Après les violents attentats anarchistes, sévèrement réprimés, et l'assassinat du tsar Alexandre II en 1881, l'artiste tire de l'échec du mouvement, des œuvres d'une grande force suggestive. En parallèle, Répine travaille aussi pour la couronne: il réalise en 1886 ce qu'il appelle avec affection "mon tableau royal", le très grand format Alexandre III recevant les doyens des cantons, qui présente le tsar en grand rassembleur de son peuple.

RASSEMBLEMENT ANNUEL DEVANT LE MUR DES FÉDÉRÉS AU PÈRE-LACHAISE À PARIS
1883/ Huile sur toile
À son arrivée à Paris en 1873, Répine est frappé par les ruines restées visibles des événements de la Commune. Au cours de son deuxième séjour, il assiste au rassemblement annuel organisé devant le mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise, où ont été fusillés les combattants de la Commune. Inspiré par cette manifestation, l'artiste fait des croquis sur les lieux. Les trois jours suivants, il peint avec enthousiasme sur cette toile de dimensions modestes l'immense foule qu'il a vue.
ALEXANDRE III RECEVANT LES DOVENS DE CANTONS DANS LA COUR DU PALAIS PÉTROVSKI À MOSCOU
1886 / Huile sur toile
Cet immense tableau fut commandé à l'été 1884 pour le grand palais du Kremlin, afin de commémorer le couronnement d'Alexandre III en mai 1883. Répine y met en scène le discours de l'empereur devant les représentants des paysans de l'Empire. Le thème de l'unité de la nation était crucial au moment où le tsar succédait à son père Alexandre II, assassiné en 1881 par des révolutionnaires. L'empereur apparaît comme une figure puissante parmi son peuple, rendu dans toute sa diversité culturelle. Calme, imposant, il est l'incarnation de l'État russe et de la continuité de ses traditions. Les paysans sont eux aussi mis en valeur en apportant renfort et protection à la figure royale, tandis que la noblesse est reléguée au fond du tableau. Répine donne à chaque figure une identité particulière. Le peintre s'est d'ailleurs lui-même représenté, le carnet de dessin à la main, à l'arrière-plan. 
Le cadre spectaculaire de ce tableau présente un riche décor constitué des vingt-cinq blasons des subdivisions administratives de la Russie, ainsi que d'éléments décoratifs imitant les spécificités régionales, témoignant de l'intérêt du tsar pour les recherches sur l'art russe ancien.
SOUS ESCORTE. SUR UNE ROUTE BOUEUSE
1876/ Huile sur toile
Durant l'été 1876, Répine croise, sur une route boueuse, une charrette transportant des gendarmes et un prisonnier. Cette scène lui reste en mémoire, car elle fait écho aux événements politiques de l'époque. Dans les années 1860-1870, en effet, un nouveau groupe social, composé d'intellectuels, les Narodniki, manifeste la volonté d'«< aller vers le peuple », pour éduquer les paysans dans un souci démocratique. Le mouvement prend par la suite un caractère révolutionnaire. Ses militants sont arrêtés et condamnés, tout en suscitant une violente polémique au sein de la société. Cette œuvre de format modeste marque le début du cycle des Narodniki présenté dans cette salle.
AVANT LA CONFESSION
1879-1885/Huile sur toile
Librement inspiré par le poème de Nikolaï Minski La Dernière Confession, ce tableau met en scène un condamné à mort et un prêtre. La composition simple oriente le regard vers le prisonnier, qui semble à la fois reculer devant le prêtre et fixer la croix tenue par celui-ci. Rien ne permet, dans l'expression du visage ni dans l'attitude de l'homme, de savoir s'il va se confesser ou non. Dans le contexte politique de l'époque, on y vit la représentation d'un révolutionnaire nihiliste condamné à mort, même si les intentions de Répine n'étaient pas aussi claires. À l'époque soviétique, le tableau reçut pour titre Le Refus de la confession, ce qui déforma la pensée de l'auteur et influença la réception de l'œuvre jusqu'à nos jours.
ILS NE L'ATTENDAIENT PLUS
1883-1898 / Huile sur bois
Répine livra plusieurs versions de ce thème. Celle-ci, entreprise dès 1883, fut exposée en 1886 à la cinquième exposition des Amis des arts et retouchée par la suite. La radiographie montre en effet que l'artiste changea plusieurs fois d'avis au sujet du personnage principal. C'est finalement une femme qui apparaît dans cette ultime variante de nombreuses étudiantes étant actives dans les mouvements radicaux du temps.
ILS NE L'ATTENDAIENT PLUS
1884, retouché jusqu'en 1888 Huile sur toile
La toile montre le retour inattendu d'un homme dans sa famille après de longues années de déportation. Une domestique ouvre la porte du salon d'une datcha et laisse entrer un homme en guenilles, au pas vacillant. Répine insère subtilement dans sa toile quelques indices pour aider à la compréhension du sujet. Sur les murs du salon sont accrochés les portraits des poètes Taras Chevtchenko et Nikolai Nekrassov, admirés par l'intelligentsia progressiste russe. À côté, un célèbre tableau de Charles de Steuben, Le Calvaire, figure sous la forme d'une lithographie et met en parallèle la route du Christ au calvaire et le difficile chemin du retour de l'exilé. Enfin, l'image d'Alexandre II (le « tsar libérateur » qui abolit le servage) sur son lit de mort est là pour rappeler que tous les Narodniki révolutionnaires ne pensaient pas que le tsar méritait de mourir assassiné.
Répine représente ici un moment de basculement psychologique et d'émotion extrême. Il laisse ouvert un grand champ d'interprétations possibles sur ce qui va suivre. L'élaboration de la figure principale posa de nombreuses difficultés au peintre. Dans la première version du tableau, l'exilé apparaissait résolu. Répine présenta l'œuvre en 1884 à la douzième exposition des Ambulants, où elle fit aussitôt l'objet d'une polémique. Elle ne fut pas vendue et l'artiste la retravailla. La radiographie montre que Répine reprit à trois reprises le visage, choisissant finalement de lui imprimer l'expression du doute.
Moscou, Galerie nationale Trétiakov
L'ARRESTATION DU MILITANT
1880-1892 Huile sur bois
Ce tableau fait écho aux arrestations des activistes populistes pour propagande révolutionnaire dans les années 1870. Répine évoque ici le courage et l'héroïsme de ces militants mais aussi leur combat sans espoir, leur solitude et la futilité de leur sacrifice. Vêtu d'une blouse rouge vif, l'homme, bien que ceinturé, continue de résister. Il était venu au village distribuer de la littérature de propagande et a été dénoncé. Le peintre montre les réactions des témoins, indifférents ou hostiles. Il met ainsi à nu la violente divergence entre la paysannerie et l'intelligentsia qui s'était donné pour mission de lui venir en aide.
LA RÉUNION
1883/ Huile sur toile
Penché vers son auditoire, agrippé à la table, un homme roux cherche à convaincre ses compagnons qui l'écoutent en buvant et fumant. La tension de la scène est rendue par la composition resserrée autour des protagonistes, la violence de la lumière artificielle et le coloris brun-rouge de la chemise du personnage central. Pour ce sujet contemporain
une réunion clandestine -, Répine reprend l'iconographie de la Cène et les procédés des maîtres anciens: le clair-obscur et une palette aux tons chauds saturés. De cette façon, l'actualité du contenu se retrouve sublimée par une forme « classique». Du vivant de l'artiste, le tableau fut prudemment exposé sous le titre À la lueur de la lampe.

8 LÉON TOLSTOT LE "COMTE-MOUJIK" 
Répine et Léon Tolstoï (1828-1910) se rencontrent pour la première fois en 1880, dans l'atelier du peintre. L'auteur de Guerre et Paix (1864-1869) et d'Anna Karénine (1873 1877) est déjà mondialement célèbre. Il vit cependant une grave crise morale, rendue publique dans Ma confession (1879-1882). Issu d'une ancienne famille de la noblesse russe, il y décrit son dilemme et son pro fond dégoût pour sa vie de nanti. Soucieux de don ner un nouveau sens à son existence, il envisage de renoncer à ses biens, pour vivre à l'unisson du peuple, parmi les moujiks (paysans).
Entre 1885 et 1887, Tolstoï et Répine se soutiennent lorsqu'ils rencontrent des difficultés similaires avec la censure: le peintre au moment de la polémique liée à son tableau Ivan le Terrible en 1885 et l'écrivain après l'interdiction de sa pièce Le Pouvoir des ténèbres en 1886. Par la suite, les deux hommes se côtoient fré quemment. Répine rend régulièrement visite à Tolstoï et sa famille, à Moscou, rue Khamovniki, et à Iasnaïa Poliana, à 200 kilomètres de là, dans sa résidence fami liale d'été. Fasciné par cette légende vivante, Répine réalise pas moins de soixante dix portraits peints ou sculptés du « comte moujik». Même s'ils ne partagent pas toujours les mêmes vues en matière artistique, les deux hommes entretiennent un dialogue qui ne sera rompu que par la mort de l'écrivain, en 1910.
AFANASSI FET
1882/Huile sur toile
Arborant un air tranquille et sûr de lui, le regard ici un peu matois, le poète et traducteur Afanassi Fet (1820-1892) fut un représentant du romantisme tardif, à l'heure où la littérature russe se faisait l'écho des questions sociales de son temps. Il voua aussi, sa vie durant, une grande admiration à Tolstoï dont il fut proche. Fasciné par le caractère, la laideur et la voix de son modèle, Répine fréquentait le domicile moscovite de Fet, rue Pliouchikh, où fut réalisé ce portrait à l'hiver 1882. Chez Fet, on parlait le français, ce qui ne manquait pas de rappeler au peintre son premier séjour parisien et le cercle de Tourgueniev.
LEON TOLSTOT PIEDS NUS
1901 / Huile sur toile
Durant l'été 1891, Répine peint à Iasnaïa Poliana une étude de Tolstoï en train de prier dans la forêt. En 1900, il retrouve l'étude et s'en sert pour réaliser ce portrait, présenté pour la première fois en février 1901 à la vingt-neuvième exposition des Ambulants à Saint-Pétersbourg. Tolstoï vient alors d'être excommunié par le Saint-Synode, la haute autorité de l'Église orthodoxe russe, pour avoir vivement critiqué l'orthodoxie officielle.
 En soutien à Tolstoï, le public se rassemble devant le tableau et y dépose des fleurs. Avec cette représentation épurée, Répine cherche à rendre visibles la quête spirituelle et la simplicité dans laquelle l'écrivain aspire à vivre. Alexandra Tolstoï rapporte cependant dans ses souvenirs l'irritation de son père face à ce tableau : «Il a supprimé les bottes, c'est bien heureux qu'il ait laissé le pantalon! »
LEON TOLSTOÏ AU REPOS DANS LA FORÊT
1891 / Huile sur toile
À Iasnaïa Poliana, la résidence d'été de Tolstoï, Répine accompagne souvent l'écrivain lors de ses promenades. En 1891, il réalise un portrait plus intime de celui-ci, qui le montre lisant allongé dans la forêt, en harmonie avec son environnement. Le peintre se souvient ici des propositions des impressionnistes, notamment dans le traitement des ombres colorées et des taches de lumière.
LEON TOLSTOÏ
1887/ Huile sur toile
Ce portrait fut réalisé en trois séances de lors du premier séjour de Répine à Iasnaïa Poliana, en août 1887. Le peintre choisit de représenter Tolstoï assis, dans une attitude naturelle, l'air concentré, presque austère, suspendant sa lecture. Les couleurs discrètes et sobres ainsi que le calme de l'attitude donnent l'impression d'une harmonie intérieure. L'écrivain apparaît ici comme un homme qui s'est défait de tous ses doutes et se montre prêt à partager sa conception de la vie avec ses disciples. Tolstoï fut satisfait du tableau. De toutes ses nombreuses représentations, celle-ci apparaît comme son portrait officiel.
LEON TOLSTOÏ DANS UN FAUTEUIL ROSE
1909/Huile sur toile
Dans ce portrait, Répine immortalise l'image d'un Tolstoï vieillissant. En 1908, lorsqu'il lui rend visite à Iasnaïa Poliana, c'est un homme affaibli par la maladie et miné par le conflit qui l'oppose à son épouse au sujet de la diffusion de son œuvre après sa mort. Cet ultime portrait réalisé du vivant de l'écrivain est présenté à la trente-huitième exposition des Ambulants, en 1910. Tolstoï meurt en novembre de la même année. En dernier hommage, Répine peindra ensuite Tolstoï de l'autre côté de la vie (une version au musée Tolstoï de Moscou et une seconde à la maison-musée « Les Pénates » à Répino).
Arbre sous lequel Tolstoï recevait les moujiks venus lui exposer leurs doléances dans son domaine de Iasnaïa Poliana. Credit Roger-Viollet
LEON TOLSTOT LABOURANT
1887/Huile sur carton
À Iasnaïa Poliana en août 1887, Répine réalise un grand nombre de dessins et d'études de Tolstoï. Ceux-ci témoignent du nouveau mode de vie de l'écrivain, de sa quête spirituelle et de sa volonté de se rapprocher du monde paysan. Si Tolstoi déteste poser, il ne souhaite cependant pas froisser Répine et le laisse le suivre dans ses activités. Alexandra Tolstoï, la fille de l'écrivain, évoquait d'une manière amusée les efforts du peintre, contraint de courir d'un bout à l'autre du champ pour exécuter ses croquis. Toute évocation de Tolstoï soulevant déjà à cette époque un grand intérêt de la part du public, Répine finit par obtenir de son modèle l'autorisation de faire reproduire son tableau par la photographie et la gravure.

9 LA GLOIRE ET LES DOUTES
Au tournant des 19ème et 20ème siècles, Répine est un artiste en pleine gloire. Professeur à l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg en 1892, il prend la direction de l'atelier de peinture de 1894 à 1907. Toute une jeune génération de peintres gravite autour de lui. Il dispose d'une assez belle fortune: ainsi, la vente du tableau Les Cosaques zaporogues lui rapporte-t-elle suf fisamment d'argent pour acquérir en 1892 une propriété à Zdravnievo, dans la région de Vitebsk (aujourd'hui en Biélorussie).
En dépit de ses succès, l'artiste traverse des phases de doutes. Plusieurs fois il est tenté de renoncer à son enseignement à l'Académie. La publication de ses «Lettres sur l'art», dans les années 1890, déclenchent des polémiques qui l'affectent. Ces années sont également assombries par des difficultés familiales.
AUTOPORTRAIT
1894/ Huile sur toile
Au début des années 1890, Répine traverse une intense crise artistique. Il décide de partir en Italie d'octobre 1893 à mai 1894. Il entreprend la publication de ses Lettres sur l'art, pour expliciter sa position à la suite de sérieux désaccords avec le critique Vladimir Stassov. C'est à Naples, durant l'hiver 1894, que le peintre réalise cet autoportrait où s'exprime son état d'esprit complexe du moment.
NIKOLAÏ MOURACHKO
1882/ Huile sur toile
Nikolai Mourachko (1844-1909) était un condisciple et ami de Répine à l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Peintre paysagiste, critique d'art et enseignant, il part en 1876 pour Kiev, où il ouvre une école de peinture. De nombreux artistes, dont Répine, lui font don de leurs tableaux pour y créer un musée. En 1907, il publie ses Mémoires d'un vieux professeur. L'école de dessin de Kiev, où il se souvient des visites de son ami Répine.
DMITRI KARDOVSKI
1908/ Huile sur toile
Dmitri Kardovski (1866-1943) eut une riche carrière de peintre, décorateur de théâtre, illustrateur et enseignant. À l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, il suivit les cours de Répine et de Pavel Tchistiakov, de 1896 à 1900. Il se forma ensuite à Munich, à l'école du peintre slovène Anton Ažbe. En 1901, il prit de nouveau des cours auprès de Répine dont il devint l'assistant. À partir de 1907, il remplaça celui-ci, qui louait ses compétences pédagogiques, comme professeur à l'académie de Saint-Pétersbourg.
ELIZAVETA ZVANTSÉVA
1889/ Huile sur toile
Répine fit la connaissance d'Elizaveta Zvantséva (1864-1921) en 1888. Sous le charme mais incapable de comprendre si ses sentiments sont réciproques, il la nomme alors son «noble sphynx». L'artiste lui donne des cours de peinture en 1889. Après s'être formée à Paris à l'académie Julian et à l'académie Colarossi, Elizaveta crée sa propre école de dessin et de peinture à Moscou (1899-1905) puis à Saint-Pétersbourg (1906-1916). Son portrait demeura pendant près de quarante ans chez le peintre.
BOUQUET D'AUTOMNE
1892/ Huile sur toile
C'est à Zdravnievo, dans sa propriété près de Vitebsk, que Répine entreprend ce nouveau portrait de sa fille aînée. Véra pose ici avec coquetterie en robe de fête. Dotée d'un tempérament artistique, aimant peindre et chanter, la jeune fille suivit des cours d'art dramatique au théâtre Alexandrinski. En 1920, elle prit des leçons d'italien auprès du célèbre chanteur d'opéra Eugenio Gilardoni. N'ayant pas obtenu le succès escompté, elle revint vivre dans la maison familiale des Pénates, où elle s'occupa de la promotion de l'oeuvre de son père.
AU SOLEIL
1900/Huile sur toile
Ce portrait de Nadia, deuxième fille de Répine, fut également réalisé dans la propriété de Zdravnievo, non loin de Vitebsk, au retour du peintre de l'Exposition universelle de 1900 à Paris. Difficile d'imaginer que, quelques années plus tôt, cette jeune fille élégante s'habillait comme un garçon et roulait des cigarettes en compagnie de son frère.

10 VERS LA RÉVOLUTION
Au tournant du siècle, le régime autocratique du tsar peine à contenir les révoltes de la popula tion et à proposer les réformes attendues. À cette époque, Répine répond à la commande du pouvoir d'un immense tableau destiné à mettre en avant le gouvernement éclairé de Nicolas II: La Réunion commémorative du Conseil d'État du 7 mai 1901 (1901-1903, Saint-Pétersbourg, musée d'État russe). Le peintre réalise également des portraits de grands hommes politiques de son temps, à commencer par le tsar lui-même. Cependant, la Russie connaît bientôt des bouleversements majeurs: les révolu tions de février et d'octobre 1905 secouent l'ancien monde. La couronne est ébranlée, face à un peuple russe qui réclame la mise en place d'institu tions démocratiques. En dépit de ses promesses, Nicolas II continue d'exercer son pouvoir de veto sur le Parlement. Le fossé se creuse entre le tsar et son peuple, jusqu'au renversement brutal de la dynastie des Romanov en 1917. Rép trouve une nouvelle fois, dans les événements dramatiques du moment, matière à interroger l'histoire de son pays.
LE GRAND-DUC CONSTANTIN
1891 / Huile sur toile
Constantin Romanov, grand-duc de Russie, était le neveu du tsar Alexandre II. Homme d'État et chef militaire, il était aussi président de l'Académie impériale des sciences, fondateur de la maison Pouchkine de Saint-Pétersbourg, poète, traducteur, dramaturge. Son portrait fut commandé à Répine à l'occasion de sa nomination à la tête de l'état-major du régiment Izmailovski, de la garde impériale. Le grand-duc décida de tous les détails à l'avance: du format du tableau, du fond, de sa couleur, de la pose de profil, et même de l'angle de vue à partir duquel il devait être peint. Si l'uniforme fait clairement allusion à la carrière militaire du grand-duc, son expression inspirée évoque sa place dans la littérature russe.
LE GRAND-DUC MICHEL
(esquisse pour La Réunion commémorative du Conseil d'État du 7 mai 1901)
1904 / Huile sur toile
Mikhaïl Romanov, grand-duc de Russie, frère cadet de Nicolas II, fit une carrière militaire et diplomatique. Membre du Conseil d'État de 1901 à 1917, général de division de l'armée impériale de Russie pendant la Première Guerre mondiale, il fut largement salué pour son courage et son patriotisme. Après l'abdication de son frère, il devint tsar durant quelques heures, du 15 au 16 mars 1917, sous le nom de Michel II, avant de renoncer au trône, marquant ainsi la fin du régime impérial. Exilé à Perm, où il était maintenu sous surveillance par les bolcheviques, il fut finalement assassiné en 1918, quatre semaines avant Nicolas II et sa famille.
LE 17 OCTOBRE 1905
1907, retravaillé en 1911 Huile sur toile
La promulgation du manifeste élaboré par Sergueï Witte à la demande de l'empereur Nicolas II eut lieu le 17 octobre 1905. Ce texte posa les bases de la première Constitution russe, sur des principes démocratiques. Dans sa description officielle, Répine indiquait que le tableau représentait la libération de la société progressiste russe au mois d'octobre 1905. Dans la foule figurent des étudiants, des professeurs, des ouvriers, chantant et agitant des drapeaux rouges. Au centre, ils portent sur leurs épaules un amnistié. Dans ses lettres, Répine exprime ouvertement son enthousiasme, se réjouissant de cette liberté arrachée. Le tableau fut exposé à Rome en 1911 lors de l'Exposition universelle.

Détail du tableau précédent 
SERGUET WITTE
(esquisse pour La Réunion commémorative du Conseil d'État du 7 mai 1901)
1903 / Huile sur toile
Sergueï Witte fut un homme politique majeur, qui chercha à réformer la Russie en profondeur. Ministre des Finances sous les règnes des empereurs Alexandre III et Nicolas II, il lança une vaste réforme monétaire et tenta d'accélérer l'industrialisation de la Russie en poursuivant notamment les travaux du Transsibérien et en ayant recours aux fameux « emprunts russes »>. Hostile à la guerre russo-japonaise, il démissionna mais revint au pouvoir, appelé par Nicolas II. Inspirateur du fameux manifeste du 30 octobre 1905, octroyant des libertés civiques au peuple, il fut le chef du gouvernement de novembre 1905 à mai 1906.
IVAN GORÉMYKHINE ET NICOLAI CHERARD
(esquisse pour La Réunion commémorative du Conseil d'État du 7 mai 1901) 1903 / Huile sur toile
Ivan Gorémykhine fut avocat et homme politique dans la Russie impériale. Ministre de l'Intérieur de 1895 à 1899, il devint membre du Conseil d'État en 1899, avant d'être nommé en 1906 président du Conseil des ministres, en remplacement de Sergueï Witte. L'autre personnage est Nicolaï Ghérard. Sénateur en 1876, celui-ci fut nommé membre du Conseil d'État en 1898, puis
gouverneur général de Finlande de 1905 à 1908.
NICOLAS II
1896/ Huile sur toile
Tsar au destin tragique, Nicolas II (1868-1918) règna sur la Russie de 1894 à 1917. Il est ici représenté en uniforme militaire dans l'immense salle du trône du Palais d'hiver. Son règne fut marqué par ses difficultés à comprendre et à accompagner les mutations du pays et les revendications politiques. L'engagement de l'armée impériale dans des conflits désastreux ébranle la couronne, tandis que les liens du couple impérial avec le sulfureux mage Raspoutine entament le prestige de l'empereur. Certains commentateurs virent d'ailleurs un funeste présage dans la présence du rayon de soleil qui n'éclaire pas le trône royal à l'arrière-plan du tableau.

11 NOUVELLE VIE AUX PÉNATES
En 1899, Répine achète, au nom de sa nouvelle compagne l'écrivaine et photographe Natalia Nordman, un terrain à Kuokkala (aujourd'hui Répino), à 40 kilomètres de Saint-Pétersbourg, sur le territoire du grand-duché de Finlande, alors annexé à la Russie impériale. Il y fait construire une maison pourvue d'un atelier, « Les Penates », entourée d'un grand parc. En 1903, Répine y emménage définitivement. Il y reçoit un cercle de proches et de nombreux visiteurs, tout en continuant à peindre Natalia Nordman crée une atmosphère favorable à l'activité de l'artiste. Afin d'éviter les visiteurs imprévus, un jour par semaine leur est consacré. Les Pénates deviennent un véritable centre artistique. Les écrivains Maxime Gorki, Léonid Andréïev et Kornei Tchoukovski, le neuro logue Vladimir Bechterev, l'acteur Piotr Samoilov et plusieurs autres personnalités viennent poser pour lui. Les déjeuners végétariens de Natalia Nordman, connue pour ses idées progressistes, deviennent célèbres. Répine établit des relations chaleureuses avec les Finnois, à l'instar du poète Eino Leino ou des peintres Albert Edelfelt et Akseli Gallen-Kallela. Il est également sollicité pour plusieurs expositions à Helsinki, au Salon Strindberg, une grande galerie d'art finlandaise, ou au musée d'art de l'Ateneum.
ALISSA RIVOIRE
1918 / Huile sur linoléum
Alissa Rivoire comptait parmi les familiers de Répine aux Pénates. Dans les années 1916-1917, elle donne des leçons de français à l'artiste, alors âgé de soixante-douze ans, dont l'infatigable vitalité n'a d'égale que son inépuisable curiosité. Répine la montre ici studieuse, dans un intérieur chargé de livres et de souvenirs.
NATALIA NORDMAN 
1900 / Huile sur toile
Natalia Nordman (1863-1914) devient la compagne de Répine dans les années 1890. Écrivaine (sous le pseudonyme de Sévérova), militante pour l'égalité des femmes, la réforme du mariage, la libération des domestiques et adepte du végétarisme, elle est aussi connue comme photographe. Pour ses récits aventuriers et sa façon de vivre selon ses idéaux, Répine la surnommait « Shéhérazade ». Ce portrait fut réalisé en juillet 1900 dans le Tyrol, au retour du couple de l'Exposition universelle de Paris. Natalia tient l'étui hoir de son appareil photo, le tout dernier modèle de Kodak, offert par Répine à Paris. La photographie lui permettra de documenter leur vie familiale et amicale durant les quinze années de leur union.
QUELLE LIBERTÉ !
1903 / Huile sur toile
Ce tableau, inspiré des rives du golfe de Finlande, fut perçu par les contemporains de Répine comme un hymne à la jeunesse, aux étudiants prêts à tous les changements impulsifs. Le critique Vladimir Stassov fut convaincu que l'artiste y avait fait une entorse à la peinture у réaliste, pour représenter une scène qui relevait plus de la parabole ou de l'allégorie. Cependant, Répine lui-même refusa toute éventualité d'intention cachée: «Quel symbole y aurait-il donc! Il est bien vieux, le petit père, pour les symboles et tours de passe-passe. C'est juste un étudiant et une étudiante qui dansent la mazurka dans les vagues, rien que cela !»
LEONID ANDREIEV
1904 / Huile sur toile
L'écrivain et dramaturge russe Léonid Andréïev (1871-1919) intéressa beaucoup Répine pour sa personnalité forte et contradictoire. Anti-tsariste puis anti-bolchevique, il passa de longs moments en exil. Alcoolique, suicidaire, il fut un excellent observateur des noirceurs de l'âme humaine. Nul ne pourrait imaginer, à la vue de ce lumineux portrait, que le modèle fut une âme tourmentée. La pose nonchalante, la chemise au blanc éclatant seulement ornée de discrets motifs, les taches d'une lumière de plein air, le fond esquissé donnent en effet de lui une image décontractée et amicale. Dans les années 1900, Andréïev, qui vivait près de Kuokkala, rendait souvent visite à Répine aux Pénates. Outre des portraits, le peintre illustra son récit Les Sept Pendus. L'écrivain, en retour, dédia à Répine Le Joug de la guerre, son dernier roman achevé.
AUTOPORTRAIT AVEC NATALIA NORDMAN
1903 / Huile sur toile
Répine se représente ici aux côtés de sa compagne sur le balcon de leur maison des Pénates à Kuokkala. Leur union reposait sur une entente mutuelle. Natalia veillait sur le confort de vie et de travail du peintre, et composait des albums de coupures de presse sur ses tableaux. De son côté, Répine soutenait les débuts littéraires de sa compagne et illustrait ses textes. Il tient ici un carnet de dessins entre les mains.
IMMOLATION. GOGOL BRULANT SON MANUSCRIT
1909/Huile sur toile
Répine connaissait très bien l'œuvre de Nicolas Gogol (1809-1852), dont il s'inspira à plusieurs reprises. Réalisé pour le centenaire de la naissance de l'écrivain, ce tableau évoque la destruction par celui-ci du second tome de son livre Les Âmes mortes. Cet épisode résonnait de manière forte chez le peintre, que ses contemporains comparaient à l'homme de lettres, tant son obsessionnelle insatisfaction le poussait à retoucher sans cesse ses toiles. Répine met ici l'accent sur le visage convulsé de Gogol, théâtralement éclairé par le feu de la cheminée qui vient de réduire en cendres son manuscrit.

12 LA RÉVOLUTION RUSSE
Répine vit difficilement les années de la Première Guerre mondiale. Avec la proclamation de son indépendance en décembre 1917, le grand-duché de Finlande, où se trouve la maison de l'artiste, cesse d'appartenir à l'Empire russe. Répine devient ainsi un exilé par le coup du sort. La station balnéaire de Kuokkala est désertée, les datchas sont laissées à l'abandon. La guerre civile finlandaise fait rage dans les villages voisins et les échos des combats parviennent jusqu'aux Pénates. De sombres nouvelles arrivent également de Pétrograd, le nouveau nom de Saint Petersbourg, où des proches sont installés. Pour autant, Répine continue à se sentir russe et concerné par les développements politiques du régime bolchevique. Il poursuit ainsi son travail inspiré par la révolution de 1917 et la guerre.
COSAQUE
1910/ Huile sur toile
Il s'agit d'une étude pour le tableau Hommes libres de la mer Noire (1908-1919, Londres, collection particulière), qui montre un cosaque blessé.
Extrait d'Octobre, film réalisé par Sergueï Eisenstein et Grigori Aleksandrov (1927, sonorisé en 1967 sur une musique de Dmitri Chostakovitch)
AKSELI GALLEN-KALLELA
1920/ Huile sur toile
En 1899, Répine fait paraître dans la presse une critique acerbe sur l'un des plus grands peintres finlandais de l'époque, Akseli Gallen-Kallela (1865-1931). Plus tard, il changera totalement d'avis, navré de s'être montré si négatif à son égard. Les deux hommes se rencontrent en 1920. L'apparence de Gallen-Kallela plaît beaucoup à Répine, qui reconnaît en lui « le visage et le tempérament d'un Zaporogue ». L'artiste finlandais pose ici vêtu de l'uniforme brun qu'il portait lors de la guerre civile finlandaise, dans le camp des Blancs, opposés aux Rouges. Le portrait fut réalisé en une seule séance. Son aspect inachevé renforce son expressivité,
ALEXANDRE KÉRENSKI AU GANT NOIR
1917-1918/ Huile sur toile
Alexandre Kérenski (1881-1970), avocat et homme politique, participa aux événements de la révolution de février 1917. Devenu ministre puis président, en mai, du gouvernement provisoire, il fut renversé par Lénine en octobre. Répine, qui accueillit d'abord la révolution avec enthousiasme, s'intéressa à Kérenski et obtint l'autorisation de faire son portrait. Ce dernier pose ici au Palais d'hiver, dans l'ancienne bibliothèque de Nicolas II, devenue son bureau. Répine réalisa deux portraits. En 1926, il fit don de l'un d'eux au musée de la Révolution à Moscou par l'intermédiaire d'une délégation de peintres soviétiques venue aux Pénates.

13 LES DERNIÈRES ANNÉES
Les dernières années de la vie de Répine sont mar quées par l'isolement, les deuils et les difficultés matérielles. Son regard sur la révolution change. La Russie soviétique le surveille, ce qui le place dans une situation délicate, mais ne l'empêche pas pour autant d'exposer partout dans le monde. Invité à se rendre à ses expositions personnelles qui se tiennent à Moscou en 1924, puis à Léningrad l'année suivante, il décline cependant la proposition. Paradoxalement, ces années difficiles sont pourtant riches de nouvelles expérimentations plastiques. Souffrant de douleurs articulaires, Répine peint désormais à coups de larges touches très colorées. Avec cette nouvelle manière, il n'hésite pas à reprendre certaines de ses anciennes compositions qu'il juge essentielles à la compréhen sion de son art. A l'écart de sa terre natale, il revient dans la dernière décennie de sa vie sur certains sujets religieux (Golgotha, 1922-1925), ou s'emploie à revivi fier des thèmes russes traditionnels auxquels il donne un souffle et une expressivité aux limites de l'hallucination (Gopak, 1927-1929). Répine meurt en Finlande en 1930, à l'âge de quatre-vingt-six ans. Il est enterré dans son domaine des Pénates, selon ses dernières volontés. En 1948, en hommage à Répine, la ville de Kuokkala, intégrée à l'Union soviétique depuis 1944, prend le nom de Répino.
AUTOPORTRAIT
1920/ Huile sur linoléum
Dernier autoportrait de Répine, cette œuvre montre le peintre, alors âgé de soixante-seize ans, à un moment difficile de son existence. Les épreuves consécutives à la révolution, la précarité de sa vie quotidienne, les deuils et la séparation d'avec ses proches l'avaient beaucoup ébranlé. Avec une absolue sincérité, l'artiste se dépeint dans son état d'ermite et d'exilé. Seul son regard pénétrant adoucit la sombre tonalité du tableau.
LE GOPAK. DANSE DES COSAQUES ZAPOROGUES
1926-1930 / Huile sur linoléum
Répine entreprend cet ultime tableau à l'âge de quatre-vingt-deux ans, dans des conditions très difficiles. Ne pouvant plus acheter de toile, il le peint, comme Golgotha, sur un matériau pauvre: le linoléum. Dès 1926, il songeait à réaliser une composition monumentale inspirée par les danses et les chants cosaques de sa jeunesse. Le «gopak»> est une danse échevelée que l'artiste rend ici par un jaillissement de couleurs et une technique très libre. Les rires des personnages, leur énergie vitale surprennent sous le pinceau du peintre octogénaire. Réalisée en mémoire du compositeur Modeste Moussorgski, l'oeuvre fut offerte par Répine à sa fille Véra.
GOLGOTHA
1921-1925/Huile sur linoléum
Cette vision hallucinée est une représentation rare du Golgotha sans le Christ. Sa croix repose à terre dans une mare de sang, entourée de chiens attirés par l'odeur. Dans les années 1920, Répine reconsidère sa relation à la foi, se souvenant parallèlement de l'excommunication de Tolstoï et du rejet de la religion par les bolcheviques. Le traitement audacieux du sujet, l'expressivité de son style pictural renforcée par un jeu de couleurs basées sur les tons violets et roses font de ce tableau l'un des plus marquants de la période tardive de l'artiste.

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