samedi 2 octobre 2021

Lumière et solitude, Léon Spilliaert au musée d'Orsay en octobre 2020


Léon Spilliaert (1881-1946) a réalisé la majeure partie de son euvre dans sa ville natale d'Ostende, en Belgique, sur les bords de la mer du Nord Quasiment autodidacte - il ne fréquente que quelques mois l'Académie des beaux-arts de Bruges - il se forme au contact du bibliophile, collectionneur et libraire bruxellois Edmond Deman. Nourri par ses lectures en particulier de Friedrich Nietzsche, Lautréamont, Edgar Allan Poe, Maurice Maeterlinck, Emile Verhaeren avec qui il noue une profonde amitié, Spilliaert est un artiste inclassable, proche du symbolisme, mais aussi de l'expressionnisme et parfois à la limite de l'abstraction
 Entre 1900 et 1917, son oeuvre est dominé par la note sombre et grave Avec l'encre, son médium de prédilection, exclusivement sur papier, il dessine des figures fantomatiques et solitaires, des visages-masques aux yeux hagards et hallucinés, des intérieurs et paysages ou la lumière nait de l'obscurité. L'exposition se concentre sur ces premières décennies de création de Spilliaert, intenses et radicales. Elle réunit de manière chronologique et thématique des oeuvres qui sont autant de variations à partir de mêmes obsessions et questionnements de l'artiste.
Parcours chronologiquement inversé pour cause de bug sur l'éditeur de Blog que j'utilise.
Soirée d'octobre 1912

La représentation d'un personnage en mouvement est inhabituelle chez Spilliaert. Cette femme qui marche est réalisée peu après l'exposition des futuristes qui se tint galerie Georges Giroux à Bruxelles en mai-juin 1912 et qui marqua le peintre. On retrouve en effet dans cette oeuvre certains moyens formels propres aux futuristes comme les lignes nerveuses et répétitives qui créent l'impression de mouvement dynamique, les couleurs chaudes et le divisionnisme de la lumière.

Serre chaude 1917
Le soleil rouge, intérieur avec plantes vertes 1907

FIGURES D'OSTENDE, LE THÉÂTRE DES OMBRES

En 1908 Spilliaert loue quelques mois un atelier quai des Pêcheurs dont la baie lui offre de larges vues sur le port. Ce n'est pas l'effervescence de la cité portuaire, ni son aspect mondain de ville balnéaire, ni les rudes conditions de travail qui retiennent son attention, mais les femmes de pêcheurs, qu'il transforme en archétypes de l'attente. Ces ombres, souvent de dos, qui scrutent la mer depuis les quais, se détachent sur l'eau en silhouettes. Que les figures soient seules ou en groupe, elles semblent toujours enfermées dans leur mélancolie et leur solitude.

Spilliaert reprend cette même simplicité formelle radicale lorsqu'il s'intéresse au carnaval traditionnel d'Ostende. Les protagonistes sous leurs draperies comme des linceuls blancs ou leurs dominos se transforment en figures monumentales qui semblent flotter dans l'air et donnent à la scène une étrange théâtralité

Les habits blancs 1912

Les dominos 1913

Petite fille en blanc 1912
.
Trois femmes de pêcheurs sur le quai 1910

Femme près de la mer 1909

Femme de pêcheur sur le ponton 1909

Femme de pêcheur à la jupe orange 1909

Les galeries nationales d'Ostende 1908

Marine avec reflets 1907

Plage à marée basse 1909
Femme au bord de l'eau 1910
Fillettes devant la vague 1908
Tempête sur la mer 1908
Le hangar du dirigeable 1910
Le dirigeable dans le hangar 1910
Hofstraatt à Ostende 1908
Femme sur la digue 1907

ESPACES D'OSTENDE VERTIGE DE L'INFINI

Ostende est l'un des principaux personnages de l'oeuvre de Spilliaert L'artiste puise dans sa ville natale une part de sa puissance d'évocation et de sa dramaturgie. Ses longues déambulations solitaires le long du littoral lui inspirent des marines sombres exécutées au lavis d'encre, où la ligne d'horizon haute renforce l'immensité de la mer, et reflètent son état d'âme tourmenté.

Spilliaert s'intéresse également au contraste entre mer et ville, propre à Ostende. Le simple village de pêcheurs est devenu une station balnéaire mondaine. L'architecture rectiligne des constructions initiées par le roi Léopold II - Kursaal, digue ou Galeries royales-, consacre l'avènement de la ligne droite chez l'artiste, qui simplifie à l'extrême composition et forme. Le motif purement géométrique voire minimaliste renforce l'atmosphère générale de solitude et d'angoisse, miroir de son vécu. La nuit, les masses sombres des bâtiments qui se diluent dans les lumières blafardes des réverbères créent une sensation de perte de repères, de vertige de l'infini.

Le nuage vers 1902
La coupe bleue 1907

La verrière 1909

Feuilles blanches 1908

AUTOPORTRAITS EN SOMNAMBULE

Comme beaucoup d'artistes, Spilliaert trouve en lui-même un modèle toujours prêt et réalise de nombreux autoportraits entre ses vingt-et-un et vingt-huit ans. Ses premiers autoportraits, datés de 1902-1903 restituent fidèlement l'aspect âpre et brusque de sa physionomie tourmentée. Il explore les possibilités du genre avec beaucoup d'intensité jusque dans les années 1907-1908 période décisive qui voit naître l'essentiel de cette production.

Il se représente toujours en veston sombre et col blanc, et non en artiste bohème. Il choisit parfois un cadrage serré, qui met en valeur l'intensité de son regard en train de se scruter lui-même. Parfois, au contraire, il s'inscrit dans un espace plus vaste: l'espace de création, souvent oppressant par le jeu des emboîtements de cadres et la répétition de lignes droites qui l'enferment comme dans une cage. Il s'y dessine entouré d'objets familier mais inquiétants: manteaux-dépouilles, horloges et éphémérides qui rappellent l'implacable passage du temps, miroir-gouffre prêt à happer sa fragile image... Même s'il se figure parfois devant son chevalet, c'est moir la représentation de l'artiste qui l'intéresse que l'exploration de son identi dans le silence et la solitude. Cette quête de soi conduit l'artiste à une déformation monstrueuse proche de l'hallucination nocturne, l'autoportrait en somnambule.

Autoportrait 1908

Autoportrait aux masques
Août 1903
Cet autoportrait recouvre en fait plusieurs autoportraits. Spilliaert avait commencé par se
représenter avec trois figures en arrière-plan, une image de lui plus jeune, une au front ridé, plus âgé, et un visage squelettique. Ces doubles inquiétants qui guettent l'artiste peuvent aussi être vus comme des images de ses pensées: selon Maeterlinck: « un grand nombre de nos pensées attaquent notre âme par derrière ». Spilliaert se représente sur un seuil : entre le noir et le blanc, la vie et la mort. Sans doute insatisfait et pour couper court à toute interprétation fantasque, il a resserré sa composition sur son visage; c'est pourquoi le dessin est signé deux fois 

Autoportrait au chevalet 1908

Autoportrait à la planche à dessin 1907

INTÉRIEUR

En référence à une pièce de théâtre de Maeterlinck intitulée Intérieur (1894), illustrée par Spilliaert, sont réunies des ceuvres qui évoquent la dramaturgie d'avant-garde du tournant du siècle. Lugné-Poe, fondateur du Théatre de l'OEuvre, qui avait mis en scène à Paris les pièces de Maeterlinck et d'ibsen, avec la participation des artistes Nabis, voulait rendre visible « la vie des âmes », Spilliaert peint des personnages solitaires, désincarnés, fantomatiques, souvent lugubres, dans des espaces clos et oppressants. Misère et Toute seule évoquent l'univers expressionniste et tourmenté d'Edvard Munch, tandis que la Buveuse d'absinthe, sujet moderne peint par Manet, Degas, Toulouse-Lautrec, Félicien Rops, Picasso, semble venir d'outre-tombe pour vampiriser le spectateur de son regard halluciné. Parfois, au contraire, les figures n'ont pas de regard, telle cette jeune femme spectrale assise face au mur, entre les fenêtres. C'est un univers hanté par la mort, plus que jamais présente dans la chambre à coucher au lit blanc comme un linceul.

La chambre à coucher 1908

La buveuse d'absinthe 1907

Jeune femme sur un tabouret 1909

Toute seule 1908

Misère 1909

Amour 1001
Tête de femme au voile 1903
Triple portrait: Léon Spilliaert, Émile Verhaeren, Edmond Deman 1908

Dans cette pointe-sèche, Spilliaert rend hommage à deux hommes qui jouent un rôle déterminant dans sa carrière. De profil et de face, son ami Émile Verhaeren pour lequel il a réalisé des illustrations et qui l'a introduit dans les cercles artistiques parisiens en arrière-plan derrière lui Edmond Deman, éditeur et libraire bruxellois avec qui il travailla entre 1902 et 1907 et grâce auquel il rencontra le poète à Paris, début 1904. Spilliaert reprendra ce portrait de Verhaeren dans une lithographie en 1917, un an après la mort du poète à Rouen, dans un accident de train.
Portrait de Madeleine, seur de l'artiste 1904

Madeleine est de 9 ans la cadette de Léon Spilliaert, au sein d'une fratrie de cinq enfants dont il est l'aîné. On est frappé par sa ressemblance avec l'artiste. Spilliaert joue du grain du papier pour animer le fond et créer un halo lumineux autour de la chevelure sombre d'où surgit le visage pâle. L'influence d'Odilon Redon et de ses fameux « noirs », fusains et lithographies, est visible. Spilliaert l'avait découvert chez Edmond Deman, qui possédait Le Christ (1880, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles) et qui avait publié Soirs de Verhaeren, en 1888, avec un frontispice de Redon.

SPILLIAERT, LECTEUR & ILLUSTRATEUR DE VERHAEREN & MAETERLINCK

Spilliaert rencontre Verhaeren (1855-1916) grâce à son éditeur Edmond Deman et noue une profonde amitié avec le poète. Ce dernier, d'une génération plus âgé que l'artiste, est comme un père spirituel, il l'encourage, l'introduit sur la scène littéraire parisienne en 1904, fait partie de ses premiers soutiens et collectionneurs. Dans une lettre écrite à Ostende le 26 juin 1913, Spilliaert exprime ainsi l'intensité de cette amitié: « En vous quittant je faisais mentalement la prière: Seigneur préservez moi des heures ternes et grises, faites que je sois toujours comme si j'avais rencontré Verhaeren, c'est-à-dire en état d'amour et d'exaltation. » Si Maeterlinck (1862-1949) et Spilliaert, par contre, ne se sont jamais rencontrer, l'artiste, dans ses oeuvres de jeunesse, est proche de l'atmosphère sombre et stylisée des premières pièces de théâtre de son compatriote. Il les illustre pour une édition de bibliophile commandée par Edmond Deman. Son univers suggestif et mystérieux, dominé par la mort, lui inspire également des feuilles autonomes intitulées Maeterlinck Théâtre

Femme en robe claire dans un intérieur 1903
Théâtre de Maeterlinck 

Jeune femme dans une large cape
Maeterlinck Théâtre 1903

Paysage aux arbres élancés
Vers 1900

Princesse Maleine 1910
La Princesse Maleine (1889) est la première pièce de Maurice Maeterlinck. Il la décrit comme un drame dominé par « une certaine harmonie épouvantée et sombre », qui montre la faiblesse des humains, « précaires et fortuites lueurs» face à la mort, cette « nuit indifférente Pour Octave Mirbeau, c'est l'oeuvre la plus géniale de son temps » Inspirée des contes de fées, elle met en scène une princesse amoureuse d'un prince qu'elle ne peut épouser finalement assassinée par une méchante reine. Les lieux- forêt sombre chateau et tour où Maleine se réfugie avec sa nourrice - jouent un rôle crucial dans la dramaturgie.

Le Coup de vent 1904
Le motif du coup de vent qui soulève une jupe de jeune fille est souvent traité par les contemporains de Spilliaert mais de manière humoristique, par exemple par Félicien Rops. Spilliaert s'approprie le sujet d'une manière très différente, dans une atmosphère tourmentée qui témoigne de la lutte de l'individu contre la rage et l'immensité des éléments et fait penser à Edvard Munch.

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