jeudi 21 octobre 2021

Chaim Soutine/ Willem de Kooning, la peinture incarnée à l'Orangerie en octobre 2021

La peinture incarnée

"Il ne m'est jamais venu à l'idée de posséder un Soutine; en fait je ne voudrais pas en posséder un. Être influencé par certains artistes ne signifie pas que j'éprouve le besoin de vivre avec leurs peintures. Mais j'ai toujours été fou de Soutine - de toutes ses peintures." Willem de Kooning, Propos rapportés par Margaret Staats et Lucas Manhiassen, La génétique de l'art », Quest, mars avril 1977

Un grand tournant dans l'œuvre de Willem de Kooning (1904-1997), celui du chantier pictural des « Woman », s'opère alors que le peintre se confronte à l'univers artistique de Chaïm Soutine (1893-1943). Découvrant ses tableaux dès les années 1930, puis à la rétrospective du Museum of Modern Art de New York de 1950 et lors de sa visite à la Fondation Barnes avec sa femme Elaine, en juin 1952, l'artiste américain construit un expressionnisme singulier, entre figuration et abstraction.

Soutine marque en effet la génération des peintres d'après-guerre par la force expressive de sa peinture et sa figure d'artiste maudit de la bohème parisienne. Son œuvre est particulièrement visible aux États-Unis entre les années 1930 et 1950, et l'intérêt pour le peintre ne se tarit pas outre-Atlantique jusqu'à la rétrospective du MoMA en 1950. Son œuvre y est présentée comme un précédent à l'American Painting, et l'artiste perçu comme un  "prophète", héraut de l'expressionnisme abstrait.

De Kooning, mieux qu'aucun autre, a su déceler dans son œuvre la tension entre deux pôles apparemment opposés, une recherche de structure doublée d'un rapport passionné à l'histoire de l'art, et une tendance prononcée à l'informel. L'œuvre de Soutine a ainsi constitué une pierre de touche dans la recherche du peintre new-yorkais, une piste conduisant à une troisième voie qui chercherait à se dégager de l'antagonisme art figuratif/art abstrait sur lequel la critique d'art fonde alors ses théories.

Les années 1940

<< Peindre comme Soutine et Ingres à la fois >>

De Kooning découvre la peinture de Soutine peu après son arrivée à New York en 1923 grâce au collectionneur Albert Barnen.   Celle ci est régulièrement présentée au cours de la décennie suivante.  Dès 1943 la Bignous Galkerie presente des œuvres de Soutine et de de Kooning côte a côte dans une  exposition collective

L'influence de Soutine  est immédiatement perceptible dans son œuvre. 


Chaim Soutine
Le Groom, dit aussi Le Chasseur
1925, huile sur toile
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'Art moderne / Centre de création industrielle, ancienne collection du baron Kojiro Matsukata affectée en 1959 au Musée national d'Art moderne en application du traité de paix avec le Japon de 1952

Soutine réalise à la fin des années 1920 un ensemble de toiles représentant des employés d'hôtel. On y retrouve souvent cette posture particulière du modèle, les jambes ouvertes, ici en équilibre instable sur une chaise que le peintre choisit de ne pas représenter. Le jeune homme semble étiré vers les bords de la toile comme un animal que l'on aurait écartelé. Une version proche de celle-ci a été présentée au Museum of Modern Art à New York dès 1930.


Chaim Soutine 
Le Garçon d'étage
vers 1927, huile sur toile, Paris, Musée de l'Orangerie

Chaim Soutine 
Grotesque, dit aussi Autoportrait
1922-1925, huile sur toile Paris, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, legs du docteur Maurice Girardin, 1953

Willem de Kooning
Queen of Hearts [Reine de coeur]
1943-1946, huile et fusain sur panneau de fibres de bois Washington DC, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de the Joseph H. Hirshhorn Foundation, 1966

De Kooning réalise un premier ensemble de figures féminines au début des années 1940. Moins que de véritables portraits, il s'agit plutôt de figures-types aux allures parfois grotesques. Ici, les cheveux, le maquillage, le diadème de la jeune femme renvoient aux images de starlettes hollywoodiennes ou de mannequins sur papier glacé. Avec ses traits exagérés et ses couleurs criardes, Queen of Hearts préfigure l'expressionnisme singulier de ses «Woman » des années 1950.

Chaim Soutine 
La Fiancée
Vers 1923, huile sur toile Paris, Musée de l'Orangerie

Chaim Soutine 
Portrait de Madeleine Castaing
1929, huile sur toile
New York, The Metropolitan Museum of Art, legs de Miss Adelaide Milton de Groot (1876-1967), 1967

De Kooning connaissait sans nul doute ce portrait saisissant de la mécène de Soutine. Il a été montré à New York à plusieurs reprises dans les années 1930 et 1940, et figurait dans la rétrospective de Soutine au Museum of Modern Art en 1950. La nervosité du modèle est rendue non seulement par la position de ses mains et son expression inquiète, mais aussi par les épais empâtements et les coups de pinceau expressifs visibles sur sa robe pourpre.

Chaim Soutine 
La Femme en rouge
1923-1924, huile sur toile Paris, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris, legs du docteur Maurice Girardin, 1953

Willem de Kooning
Woman [Femme]
1944, huile et fusain sur toile New York, The Metropolitan Museum of Art, issu de la collection de Thomas B. Hess, don des héritiers de Thomas B. Hess, 1984

1950 La rétrospective Soutine au MoMA

La peinture de Soutine trouve sa pleine reconnaissance aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Sa mort en 1943, alors qu'il se tenait caché en pleine France occupée, renforce la dimension tragique de ses toiles tourmentées. Sa peinture gestuelle résonne par ailleurs avec le contexte artistique américain d'après-guerre, et l'on voit dans son expressionnisme la forme non préméditée d'un nouveau type d'abstraction, érigé en source de l'art new-yorkais d'alors.

La rétrospective que lui consacre le MoMA à l'automne 1950, où soixante-quinze de ses toiles sont réunies, participe de cette réévaluation. Le commissaire Monroe Wheeler, dans un catalogue court et didactique, associe des considérations sur les éléments formels de son art et d'autres plus anecdotiques, reprises de biographies antérieures. Sa lecture de l'œuvre insiste sur la complémentarité entre l'aspect formel de son organisation picturale et l'expression «primitive » de son émotion, ainsi que sur le dépassement des formes naturelles par son traitement quasi abstrait du motif. La rétrospective enthousiasme le cercle de critiques et artistes dans lequel de Kooning évolue.

Chaim Soutine
 Autoportrait
vers 1918, huile sur toile
Princeton, The Henry and Rose Pearlman Foundation,
en prêt au Princeton University Art Museum

Cette toile faisait partie des oeuvres majeures présentées à la rétrospective Soutine de 1950. Le peintre se représente debout devant l'une de ses toiles, au revers de laquelle on devine la silhouette d'un homme suggestion d'un double portrait, celui de l'artiste et de son oeuvre ? Sa composition rappelle les autoportraits qu'admirait Soutine au Louvre, ceux de Rembrandt (v. 1606-1669) et de Camille Corot (1796-1875).

Chaim Soutine Vue de Céret
vers 1921-1922, huile sur toile Princeton, The Henry and Rose Pearlman Foundation, en prêt au Princeton University Art Museum

Cette Vue de Céret, réalisée par Soutine durant son séjour dans ce petit village des Pyrénées, a été présentée lors de la rétrospective de 1950. Dans le catalogue l'accompagnant, le commissaire d'exposition Monroe Wheeler souligne la fusion entre le premier et l'arrière-plan du paysage, qui «pousse si loin l'ensemble du motif que nous ne savons pas ce qu'il représente. De Kooning confiera plus tard que ces paysages ont eu une influence directe sur son travail.

Chaim Soutine
Toits rouges, dit aussi Le Clocher
de l'église Saint-Pierre à Céret
1922, huile sur toile
Princeton, The Henry and Rose Pearlman Foundation, en prêt au Princeton University Art Museum

Chaim Soutine
Paysage à Céret
1920-1921, huile sur toile Londres, Tate, achat, 1964

Chaim Soutine
Boeuf et tête de veau
vers 1925, huile sur toile Paris, Musée de l'Orangerie

Chaim Soutine
Enfant de chœur
1927-1928, huile sur toile Paris, Musée de l'Orangerie

Chaim Soutine
La Communiante, dit aussi La Mariée
1924, huile sur toile 
The Lewis Collection

Chaim Soutine Le Petit Pâtissier
1922-1923, huile sur toile Paris, Musée de l'Orangerie

Selon le marchand et collectionneur Paul Guillaume, dont la collection est présentée au musée de l'Orangerie, Albert Barnes a été séduit par l'art de Soutine lorsqu'il a vu l'une des versions de cette toile à Paris. Barnes achète alors des dizaines de ses peintures, lançant la carrière de l'artiste. Plusieurs œeuvres de cette série, parmi lesquelles figure celle-ci, ont été présentées lors de la rétrospective du MoMA.

Chaim Soutine
La Route montante, vers Gréolières 1920-1921, huile sur toile
Philadelphie, Pennsylvanie, The Barnes Foundation

Chaim Soutine
Paysage avec maison et arbre
1920-1921, huile sur toile Philadelphie, Pennsylvanie, The Barnes Foundation

Chaim Soutine
Paysage avec maison blanche
1920-1921, huile sur toile Philadelphie, Pennsylvanie, The Barnes Foundation

Chaim Soutine
Le Vieillard, dit aussi L'Homme en prière
1920, huile sur toile Avignon, Musée Calvet, don Émile Joseph-Rignault (Saint-Cirq-Lapopie) à la Fondation Calvet, 1947

Chaim Soutine
L'Homme au manteau vert
1921, huile sur toile
New York, The Museum of Modern Art, legs de Florene May Schoenborn, 1996

Les années 1950 Le tournant des <>

Au début des années 1950, l'œuvre de Soutine joue un rôle de catalyseur pour de Kooning. La rétrospective du MoMA a un impact important sur son art. En juin 1952, Willem et son épouse Elaine bénéficient d'une visite privée à la Fondation Barnes à Mérion, près de Philadelphie. Il y découvre de nombreuses toiles de Soutine, dont le « rayonnement » qui semble en émaner le fascine, comme il le confiera plus tard.

Cette révélation a lieu à un moment particulier pour le peintre, qui cherche dans un ensemble de toiles intitulées «Woman », un moyen d'aller au-delà de l'antagonisme entre figuratif et abstrait invoqué par les critiques d'art contemporains tel Clement Greenberg. Une semaine après sa visite à la Fondation Barnes, de Kooning achève des toiles sur lesquelles il travaillait depuis des mois, intensifiant le pouvoir expressif de son imagerie, comme Elaine l'annonce à un ami: son mari «a fini deux de ses grosses femmes », parmi lesquelles Woman II.

Dès 1959, le critique d'art britannique David Sylvester établit un parallèle, que de Kooning lui-même confirmera, entre les coups de pinceaux gestuels et la distorsion expressive des oeuvres de Soutine
et les << Woman >> férocement souriantes.

Willem de Kooning
Woman [Femme]
1953, huile, peinture, émail et fusain sur papier monté sur toile Potomac, Maryland, Glenstone Museum

Willem de Kooning
Woman [Femme]
1953, huile et fusain sur papier monté sur toile Washington, DC, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de Joseph H. Hirshhorn, 1966

Willem de Kooning
Marilyn Monroe
1954, huile sur toile
New York, collection Neuberger Museum of Art, Purchase College, State University of New York, don de Roy R. Neuberger

Willem de Kooning Woman II [Femme II]
1952, huile sur toile New York, The Museum of Modern Art, don de Blanchette Hooker Rockefeller, 1955

De Kooning travaille à sa Woman II au début des années 1950, au moment de la rétrospective Soutine au MoMA, et l'achève peu après sa visite à la Fondation Barnes en juin 1952. Comme les autres «Woman » des années 50, cette toile est maintenant reconnue comme un chef-d'oeuvre de l'expressionnisme abstrait. L'artiste avait pourtant essuyé de sévères critiques de ses contemporains pour avoir tourné le dos à l'abstraction pure.

Chaim Soutine Le Boeuf écorché
1925, huile sur toile Grenoble, Musée de Grenoble, achat à la galerie Pierre Loeb, 1932
Cette nature morte est la plus saisissante des peintures inspirées du Boeuf écorché (1655) de Rembrandt, que Soutine allait admirer au musée du Louvre. Il ne renonce pas pour autant à peindre d'après nature, suspendant pendant plusieurs jours une véritable carcasse dans son atelier de la rue du Mont St-Gothard à Paris et l'arrosant régulièrement de sang frais.


Les années 1960 Femmes Paysages

Woman as Landscape (1954-55) constitue pour de Kooning le point de départ d'une exploration qu'il poursuit à la fin des années 1960, dans une série de peintures à la facture très fluide, qui mêlent figure féminine et paysage maritime. Il vit désormais à la campagne, au bord de la mer, dans la région des Hamptons. Les poses provocantes de ses figures - assises, jambes parfois écartées, torse raccourci - suggèrent des sources directes ou pop, telles les femmes qu'il voit sur la plage ou les photos de pin'up, mais aussi la Femme entrant dans l'eau (1931) de Soutine que de Kooning a vu reproduite dans le catalogue de la rétrospective du peintre. Il connaissait également très certainement le tableau dont s'est inspiré Soutine, La Femme se baignant dans un ruisseau de Rembrandt (v. 1654, Londres, National Gallery), référence qui lie les deux artistes dans leur admiration pour le maître hollandais.

Willem de Kooning
The Visit [La Visite]
1966-1967, huile sur toile Londres, Tate, achat, 1969

Willem de Kooning Woman as Landscape [Femme comme paysage] 1954-1955, huile sur toile
Collection particulière
Dans cette œuvre charnière, de Kooning introduit l'idée de paysage dans ses « Woman » commencées au début des années 1950. « Le paysage est dans la Femme, et il y a la Femme dans les paysages », déclare-t-il en 1953 au critique d'art Thomas B. Hess. Les formes sont fondues et étalées à la surface, comme si elles se métamorphosaient sous les yeux du spectateur.
Willem de Kooning
Woman Accabonac [Femme Accabonac]
1966, huile sur papier monté sur toile New York, Whitney Museum of American Art, acheté avec des fonds de l'artiste et de Mrs. Bernard F. Gimber

Dans sa série de peintures réalisées au milieu des années 1960, de Kooning dit vouloir mêler le corps d'une femme se baignant et son reflet, déclarant à un critique : « Elles flottent, comme des reflets dans l'eau »>. Woman Accabonac fait partie de ses «Door paintings », réalisées sur des portes prévues pour l'aménagement de son nouvel atelier. Comme Woman, Sag Harbor, présentée sur le même mur, elle se réfère par son titre à un lieu et un paysage particulier, celui de la région côtière des Hamptons, dans l'Etat de New York.

Willem de Kooning
Woman, Sag Harbor [Femme, Sag Harbor]
1964, huile et fusain sur bois Washington, DC, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de Joseph H. Hirshhorn, 1966

Chaim Soutine
 Femme entrant dans l'eau
1931, huile sur toile Museum of Avant-Garde Mastery of Europe (MAGMA of Europe)
Massive, imposante, sa robe relevée  jusqu'aux genoux, cette femme au bain  semble nous défier dans sa frontalité. Pourtant, c'est son reflet qu'elle regarde, comme son célèbre modèle, la Femme se baignant dans un ruisseau de Rembrandt. 
Cet emprunt à celui que Soutine considère comme le grand maître de la peinture est l'occasion d'un travail  virtuose sur les chairs ici, le corps  blanc de la femme est traité comme  un prolongement de l'étoffe de sa robe.


Les années 1960 et 1970 Transfigurations

L'impact visuel des tableaux qu'il a vus au MoMA puis à la Fondation Barnes reste présent dans la mémoire de de Kooning durant de nombreuses années. Ses œuvres tardives où la composition se déploie et affleure à la surface témoignent d'un intérêt de plus en plus profond pour les qualites picturales qu'il apprécie chez Soutine.

La franche sensualité de ses Woman des années 1960, comme les surfaces animées de ses ceuvres abstraites des années 1970, rappellent certains paysages de Soutine. Il en est ainsi de Colline à Céret (v. 1921), où les tourbillons de peinture appliqués avec véhémence sur la toile créent un effet quasi hypnotique : on ne voit pas le paysage, on voit la peinture comme constate le critique David Sylvester.

Quand de Kooning déclare en 1977 être «fou de Soutine - toutes ses peintures», il loue sa capacité à capturer la lumière, comme émanant de l'intérieur de la peinture elle-même, pour créer une forme de transfiguration. Dans ses propres compositions des années 1970, comme North Atlantic Light, on retrouve la même approche lumineuse, vibrante et luxuriante de la peinture.

Chaim Soutine 
La Colline de Céret
1921, huile sur toile
Los Angeles museum of art
Cette toile particulièrement expressionniste, réalisée à Céret pendant une période de grands tourments, est difficilement déchiffrable selon les canons de la peinture figurative. Elle a appartenu à Albert Barnes jusqu'en 1949, qui la prête régulièrement pour des expositions dans des galeries new-yorkaises. Exposée en 1950 au MoMA, elle est remarquée par les critiques. Thomas B. Hess, éditeur de la revue ARTnews et grand soutien de de Kooning, loue le souffle de vie qui l'anime : « Tout respire dans le tableau, tout respire l'espace et la couleur »>.

Willem de Kooning
Clamdigger
[Pêcheur de palourdes]
1972, bronze
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'Art moderne /
Centre de création industrielle, achat, 1979

Willem de Kooning
North Atlantic Light [Lumière de l'Atlantique Nord]
1977, huile sur toile
Amsterdam, Stedelijk Museum Amsterdam,
acquis avec le généreux soutien de la Vereniging Rembrand

Willem de Kooning
...Whose Name Was Writ in Water 
[... Dont le nom était écrit dans l'eau]
1975, huile sur toile
New York, Solomon R. Guggenheim Museum
La référence au monde extérieur
est moins discernable ici que dans
ses peintures de "femmes-paysages"
 des années précédentes. L'eau, qui
devient le sujet de prédilection de
l'artiste au milieu des années 1970,
est évoquée ici par l'application de
la peinture en larges touches, qui
donnent un sentiment de fluidité et
de mouvement à la composition,
comme celui des vagues déferlantes.
De Kooning retrouve ici la qualité
tactile qu'il apprécie dans le travail
 de Soutine, lorsqu'il loue dans sa peinture une « surface qui ressemble à une étoffe, une matière ».

Willem de Kooning
Amityville
1971, huile sur toile Jennifer et Daniel Gilbert Collection

Chaïm Soutine

Une femme m'a raconté une merveilleuse anecdote à propos de Soutine. Chez lui, c'était une véritable infection à cause de la saleté. Il gardait une carcasse de volaille pour la peindre, mais ses pinceaux étaient aussi propres que des instruments de chirurgie. C'est drôle, car chaque soir je descends à la cave pour nettoyer tous mes pinceaux, et Soutine faisait de même. Chez lui, tout était crasseux, négligé, sauf les pinceaux...

Willem de Kooning cité par Gaby Rodgers, "Willem de Kooning: The Artist at 74," Newsday

Tony Vaccaro, Willem de Kooning dans son atelier, East Hampton, Tony Vaccaro & Tony Vaccaro Studio

mercredi 20 octobre 2021

Le violon d'Ingres de Paul Guillaume à l'Orangerie en octobre 2021

Nouvelle présentation de la collection permanente du musée avec un focus sur  Paul Guillaume. J'ai beau la connaître par cœur, je suis toujours impressionné par la qualité d'ensemble de ces œuvres !

LES ARTS À PARIS.

"Paul Guillaume, l'un des premiers touchés par la révélation moderne."

"Avant le grand engouement pour l'art nègre, Paul Guillaume s'était formé une collection de fétiches, tout en s'intéressant aux artistes encore peu connus [] comme Modigliani, Soutine et je ne parle pas de sa collection particulière où l'on pouvait admirer les toiles les plus révélatrices de Matisse, Derain, Henri Rousseau  Picasso... Mort prématurément (en 1934) il aura passé comme un météore", écrit le marchand Ambroise Vollard au sujet de Paul Guillaume.

Ce dernier, formé et conseillé par Apollinaire avec lequel il partage un goût précurseur pour les arts extra-occidentaux, ouvre sa première galerie en 1914. Orienté par le poète, il y présente des artistes d'avant-garde, comme Matisse et Picasso, exposés en 1918 dans un célèbre face à face.

Formant le cœur d'une école de Paris moderne. la collection de Paul Guillaume comporte deux volets d'une part des figures solides comme Utrillo Modigliani ou Soutine, qui dessinent l'idée d'un primitivisme moderne, incarné par le Douanier Rousseau et les arts africains et océaniens; d'autre part, les productions des années 1920 d'André Derain. Marie Laurencin, Picasso et Matisse qui portent un renouveau figuratif en dialogue avec la redécouverte des Maitres impressionnistes- Cézanne, Monet et Renoir.

La collection du musée de l'Orangerie reflète ainsi un moment précis de la modernité. Celui de la revue Les Arts à Paris, que Paul Guillaume fonde en 1918 et des représentations modernistes qui ont lieu à sa galerie -récital d'Eric Satie ou de Claude Debussy, lectures poétiques d'Apollinaire et Blaise Cendrars

HENRI MATISSE LE CATEAU-CAMBRÉSIS 1869- NICE 1954
Les Trois Sœurs
1916-1917 Huile sur toile
Apollinaire suit et célèbre l'œuvre de Matisse dès 1908. Il publie alors ses Notes d'un peintre qui marquent durablement sa propre conception de l'art moderne. Œuvre de transition, ce portrait de trois soeurs est l'une des ceuvres magistrales de Matisse. De multiples sources ont été invoquées pour la réalisation de ce tableau, dont Le Balcon (1869) d'Edouard Manet (1832-1883) ou l'estampe japonaise. L'ensemble des trois grands tableaux sur ce même theme, conservé à la fondation Barnes de Philadelphie, a vraisemblablement été proposé par Paul Guillaume au docteur Barnes. C'est sans doute en souvenir de ces chefs-d'œuvre qu'il acquiert ce tableau en vente publique, en 1926, pour le musée qu'il a l'intention de créer à partir de sa collection.

PABLO PICASSO
MALAGA 1881-MOUGINS 1973
Les Adolescents
1906 Huile sur toile

PABLO PICASSO 
MALAGA 1881-MOUGINS 1973
Nu sur fond rouge
1906 Huile sur toile
"On a dit de Picasso que ses œuvres témoignaient d'un désenchantement précoce Je pense le contraire. Tout l'enchante (...). le délicieux et l'horrible, l'abject et le délicat." Apollinaire, 1905
Apollinaire soutient et admire Picasso dès 1905. Ami intime du peintre, il est un des meilleurs connaisseurs de son œuvre. Il met en relation l'artiste avec le jeune Paul Guillaume, qui lui vend des objets africains avant d'acquérir des tableaux pour sa galerie. Cette toile de 1906 inspirée par les sculptures romanes ibériques contemplées à Gosol en Catalogne, est exemplaire de cette période de stylisation, de simplification des volumes, qui se radicalise ensuite avec la decouverte de l'art africain et océanien.

Surmoulage d'un masque Fang
Vers 1906
Bronze, fondu par Rudier pour Ambroise Vollard
Icône du primitivisme, d'après l'historien d'art William Rubin (1927-2006), ce masque Fang au visage énigmatique appartient aux masques d'esprits du Nord- Gabon. Les sculptures en provenance de cette région, l'une des premières explorées par les missions françaises dans la seconde moitié du xxx siècle, furent rapportées très tôt. et suscitèrent un fort intérêt
chez les artistes. André Derain achète, en 1905. ce masque Fang à son ami peintre, Maurice de Vlaminck. A l'instar de Matisse, Braque ou Picasso, tous deux réunissent dans leurs ateliers des objets d'art primitifs
En 1930, le marchand Ambroise Vollard (1866-1939) en fait réaliser un moulage en bronze. L'original est conservé au musée d'art moderne. 

PABLO PICASSO
MALAGA 1881-MOUGINS 1973
Grande baigneuse
1921Huile sur toile

ANDRÉ DERAIN
 CHATOU 1880-GARCHES 1954
La Gibecière
1913 Huile sur toile

ANDRÉ DERAIN 
CHATOU 1880-GARCHES 1954
La Table de cuisine
1925 Huile sur toile

PABLO PICASSO 
MALAGA 1881 -MOUGINS 1973
Grande nature morte
1917-1918 Huile sur toile
Domenica, épouse de Paul Guillaume, se défait des oeuvres les plus radicales collectionnées par son défunt mari, à l'exception de cette grande composition cubiste qu'elle conserve. Exécutée au cours du séjour de Picasso à Biarritz en 1918. la Grande nature morte témoigne du tournant de son oeuvre. Se distanciant de la radicalité du cubisme synthétique, l'artiste tend peu à peu vers une manière de peindre imprégnée de classicisme et conjugue l'inspiration antique et l'atticisme français incarné par les peintres Nicolas Poussin,  Ingres ou Cézanne.

AMEDEO MODIGLIANI
LIVOURNE (ITALIE) 1884- PARIS 1920
Antonia
Vers 1915 Huile sur toile

AMEDEO MODIGLIANI LIVOURNE (ITALIE) 1884- PARIS 19201
Fille rousse 1915
Huile sur toile

AMEDEO MODIGLIANI LIVOURNE (ITALIE) 1884-PARIS 1920
Femme au ruban de velours
Vers 1915
Huile sur papier collé sur carton
Avec ses yeux vides, sans pupilles. cette figure apparaît comme une adaptation en peinture des expérimentations menées par Modigliani dans ses sculptures et dessins. C'est un «visage masque» qui reflète également l'intérêt de l'artiste pour les arts "nègre" et océanien. Le peintre utilise une touche divisée et modulée, laissant apparaître le blanc de la toile. Cette forme de «divisionnisme » fait partie des expérimentations de Modigliani dans les années 1914-1915.

AMEDEO MODIGLIANI
LIVOURNE (ITALIE) 1884- PARIS 1920
Paul Guillaume, Novo Pilota
1915 Huile sur carton

ANDRÉ DERAIN 
CHATOU 1880-GARCHES 1954
Arlequin et Pierrot
1924 Huile sur toile
En dépit d'un intérêt très grand pour l'univers de la scène, ayant réalisé notamment les décors de La Boutique fantastique en 1919 pour les Ballets russes, le thème de cette immense composition, emprunté à la commedia dell'arte, semble avoir été insufflé à Derain par Paul Guillaume, lequel aurait même prêté ses traits au Pierrot. Exécutée en 1924, la toile trouve dans l'appartement du marchand une place de premier ordre. accrochée aux cotés des trois soeurs de Matisse.

ANDRÉ DERAIN 
CHATOU 1880-GARCHES 1954
La Nièce du peintre
1932 Huile sur toile

ANDRÉ DERAIN
 CHATOU 1880-GARCHES 1954
La Nièce du peintre assise
Vers 1931 Huile sur toile

PIERRE-AUGUSTE RENOIR
 LIMOGES 1841 -CAGNES 1919
Fleurs dans un vase
Vers 1896-1898
Huile sur toile

ANDRÉ DERAIN 
CHATOU 1880-GARCHES 1954
Grand nu couché
Vers 1924-1930 Huile sur toile
Au cours des années 1920-1930, le nu offre à André Derain un champ d'expérimentation stylistique très vaste, allant du réalisme à une plus grande stylisation des figures. Peint grandeur nature, le Grand nu couché reprend le motif classique de la baigneuse en le transposant dans un paysage fictif, réduit à l'essentiel, composé de larges bandes horizontales dont les couleurs sombres contrastent avec la blancheur d'un corps aux formes volontairement cernées de brun. La touche large. les coloris ocres et gris confèrent à ce tableau un caractère d'étrangeté, accentué inexpressif du modèle, semblable à un masque.

ANDRÉ DERAIN
CHATOU 1880-GARCHES 1954
Le Beau Modèle
1923 Huile sur toile

ANDRÉ DERAIN CHATOU 1880-GARCHES 1954
Nu à la cruche
Vers 1925 Huile sur toile

ANDRÉ DERAIN 
CHATOU 1880-GARCHES 1954
Le Modèle blond
Vers 1924 Huile sur toile

PIERRE-AUGUSTE RENOIR
LIMOGES 1841-CAGNES 1919
Femme nue dans un paysage
Vers 1883 Huile sur toile
Lors d'un voyage en Italie en 1881, Renoir regarde les maîtres anciens et notamment la peinture de Raphaël. Deux ans plus tard, il se trouve à un tournant de sa carrière. Il déclare au marchand Ambroise Vollard (1866-1939): "Vers 1883, il s'était fait comme une cassure dans mon oeuvre. J'étais allé jusqu'au bout de l'impressionnisme et j'arrivais à cette constatation que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot j'étais dans une impasse."
Cette toile de 1883 reprend un sujet traditionnel que Renoir a déjà traité, la baigneuse, que Derain lui empruntera dans les années 1920

HENRI MATISSE  LE CATEAU-CAMBRÉSIS 1869- NICE 1954
Odalisque à la culotte grise
1927 Huile sur toile
Matisse aménage l'atelier niçois dans lequel il s'est installé en 1921 comme une scène de théâtre où se trouvent objets et modèles Cette variation sur le thème de l'odalisque se caractérise par l'orthogonalité rigoureuse de sa composition, et la profusion de motifs colorés. Le critique Waldemar George (1893-1970) écrit, dans le livre commandé par Paul Guillaume pour mettre en valeur sa collection, que "Matisse rivalise avec la grande rosace de la cathédrale de Chartres, ce joyau où rubis et saphirs, émeraudes et améthystes,  enchassés dans un mur, lancent des feux fulgurants d'un éclat maléfique."

HENRI MATISSE LE CATEAU-CAMBRÉSIS 1869- NICE 1954
Odalisque bleue ou L'Esclave blanche
1921-1923 Huile sur toile

HENRI MATISSE LE CATEAU-CAMBRÉSIS 1869-NICE 1954
Le Boudoir
1921 Huile sur toile
Matisse construit fréquemment ses scènes d'intérieur suivant une composition pyramidale, guidant le regard vers une ouverture sur l'extérieur. A la recherche de ce qu'il nomme la « limpidité nécessaire»>, il s'attache à "la clarté argentée de la lumière de Nice, surtout dans la belle période de janvier" qu'il traduit par un coloris transparent, semblable à l'aquarelle. Le décor de l'Hôtel de la Méditerranée, la fenêtre sur la promenade des Anglais, la figure assise de Marguerite, sa fille, venue lui rendre visite en 1921, permettent de dater précisément le tableau.

PAUL CÉZANNE
AIX-EN-PROVENCE 1839-1906
Le Rocher rouge
Vers 1895 Huile sur toile

Peint dans les carrières de Bibémus, aux environs d'Aix-en- Provence, Le Rocher rouge étonne par sa composition audacieuse. Aux touches vibrantes de la végétation s'oppose, en surplomb, la masse plane de la roche brune. Caractéristique du langage formel inventé par Cézanne, mettant à mal la perspective traditionnelle, la composition, en dépit de son étrangeté, semble, comme le notait l'historien de l'art John Rewald (1912-1994), tenir de l'équilibre miraculeux».

PAUL CÉZANNE AIX-EN-PROVENCE 1839-1906
La Barque et les baigneurs
Vers 1890 Huile sur toile

Le thème des baigneurs centralchez Cézanne qui y consacre de nombreuses toiles. Peint vers 1890, La Barque et les Baigneurs se singularise par son format horizontal. Destinée à orner le dessus de porte de l'appartement du collectionneur Victor Chocquet, l'oeuvre en dépit de sa taille réduite, témoigne d'une grande maîtrise de l'espace. L'équilibre de la composition et sa symétrie viennent renforcer le sentiment d'harmonie entre l'homme et la nature qui émane du tableau.

PAUL CÉZANNE AIX-EN-PROVENCE 1839-1906
Portrait de Madame Cézanne
Vers 1890 Huile sur toile

Hortense Fiquet, compagne puis épouse de Cézanne, est l'un des sujets de prédilection de l'artiste, au même titre que Paul, le fils du couple. Dans ce portrait tardif, le peintre ne cherche pas à exprimer la psychologie de son modèle. Par sa frontalité, mais aussi le hiératisme du sujet, la toile permet de mieux comprendre l'art de Cézanne, dans lequel l'espace pictural, par l'affirmation de sa planéité, s'autonomise.
PAUL CÉZANNE AIX-EN-PROVENCE 1839-1906
Vase paillé, sucrier et pommes
1890-1893 Huile sur toile

«Avec une pomme, je veux étonner Paris!» Attribué à l'artiste, ce calembour témoigne de la place qu'occupe la nature morte dans son œuvre. Fortement géométrique, construite au moyen de courbes et de diagonales, cette composition est l'une des plus radicales du corpus cézannien. L'équilibre instable, obtenu par l'adoption d'un point de vue décalé par rapport à l'axe de la table, préfigure les recherches menées par les cubistes.

PIERRE-AUGUSTE RENOIR LIMOGES 1841 - CAGNES-SUR-MER 1919
Jeunes filles au piano
Vers 1892 Huile sur toile
Dans les années 1890, Renoir répète certains sujets, dont celui des jeunes filles partageant une occupation: au piano, endormies, cueillant des fleurs... Souvent, les modèles sont les mêmes. Cette toile est l'une des esquisses peintes pour une composition finale qui porte le même titre. conservée au musée d'Orsay, et constitue l'un des chefs-d'oeuvre du peintre. Renoir joue ici d'effets de couleur en opposant la jeune. fille blonde au premier plan,  portant une robe blanche ornée d'un ruban bleu à la jeune fille aux cheveux bruns, vêtue de rouge.

PIERRE-AUGUSTE RENOIR LIMOGES 1841-CAGNES-SUR-MER 1919
Claude Renoir en clown
1909 Huile sur toile

Ce portrait du fils du peintre. alors âgé d'environ huit ans. a nécessité plusieurs séances de pose. Les dimensions du tableau, l'arrière-plan avec sa colonne de marbre qui évoque un palais et la représentation en pied de l'enfant montrent que Renoir cherche à réaliser un portrait d'apparat, selon les grands maitres et plus particulièrement le peintre baroques espagnol Diego Velásquez (1599-1660)
PIERRE-AUGUSTE RENOIR LIMOGES 1841-CAGNES-SUR-MER 1919
Gabrielle au jardin
Vers 1905? Huile sur toile
PIERRE-AUGUSTE RENOIR LIMOGES 1841-CAGNES-SUR-MER 1919
Yvonne et Christine Lerolle au piano
Vers 1897-1898 Huile sur toile

Normandism de David Hockney au musée de Rouen en juillet 2024

LE MIROIR MAGIQUE David Hockney (1937, Bradford) partage sa vie entre Londres, Los Angeles qu'il a découvert en 1964, et la France où il...