Christian Krohg, à la fois peintre, intellectuel engagé et journaliste, est une figure centrale de la scène norvégienne au tournant du XIX et du XXe siècle. Dans le sillage du naturalisme scandinave, incarné notamment par le dramaturge Henrik Ibsen, Krohg transpose dans ses œuvres les grands débats de société de son temps. Ses peintures rendent hommage aux plus vulnérables: des pêcheurs luttant contre les éléments jusqu'au peuple misérable des grandes villes et aux prostituées. C'est à ces dernières qu'il consacre son chef-d'œuvre Albertine, mêlant l'art et la littérature de manière inédite. L'empathie qu'il éprouve pour ses modèles est le véhicule qu'il choisit pour toucher le public le plus large possible. Cosmopolite, Krohg étudie en Allemagne, vit à plusieurs reprises à Paris, voyage sans cesse et devient l'un des peintres majeurs de la colonie d'artistes de Skagen, au Danemark. Admirateur des réalistes, des impressionnistes et de Manet, il incarne pleinement les tendances picturales de son époque. C'est donc tout naturellement qu'il trouve sa place au musée d'Orsay.
Cette rétrospective, organisée en partenariat avec le Nasjonalmuseet d'Oslo, est la première en dehors de la Scandinavie. Après les expositions consacrées à Edvard Munch, qui fut l'élève de Krohg, et à Harriet Backer, le musée d'Orsay offre ainsi un éclairage nouveau sur l'art norvégien.
ODA KROHG
1860-1935
Christian Krohg à son chevalet Christian Krohg at the easel
Entre 1885 et 1890 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet

Lendemain de fête, autoportrait
The Morning After, Self-Portrait
Vers 1883 | Huile sur toile
marouflée sur bois
Skagen, Skagens Kunstmuseer
Autoportrait
Self-Portrait
1883 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Voici le premier autoportrait de l'artiste, réalisé lors d'un séjour à Skagen, au Danemark. Krohg se peint en plein jour, dans une pièce sobrement meublée, typique des intérieurs de ce village de pêcheurs. Il semble se présenter au monde en tant qu'artiste, à travers quelques détails: son regard confiant tourné vers le spectateur du tableau; sa palette pleine de couleurs et ses pinceaux en main ; enfin, son béret, accessoire typique du peintre, rappelant celui qu'arbore Rembrandt dans ses autoportraits.
Un adieu
A Farewell
1876 | Huile sur toile
Göteborg. Göteborgs Konstmuseum
Dépouillée de gestes superflus et de détails
extérieurs, la toile met l'accent sur la psychologie des personnages. Cette scène d'adieu, où
le peintre fait poser sa tante et sa sœur, lance Krohg sur la scène artistique norvégienne avec un grand succès. Certains spectateurs considèrent néanmoins que le cadre est maladroit, le regard étant perturbé par la femme coupée sur la droite. Cette asymétrie, pourtant, est tout à fait intentionnelle. Elle annonce l'évolution future de l'artiste et son goût pour les cadrages audacieux.

Rue de village à Grez
Village Street in Grez
1882 | Huile sur toile
1852-1925
Bergen, Kode Bergen Art Museum
Portrait du peintre suédois
Karl Nordström
1882 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
En 1882, Krohg peint le portrait du peintre suédois Karl Nordström lors d'un séjour à Grez-sur-Loing, village de Seine-et-Marne prisé des artistes. Krohg s'inspire de Gustave Caillebotte, en particulier de ses figures d'hommes au balcon, dont il a pu voir un exemple à l'exposition impressionniste de 1882 à Paris. Dans une lettre, Nordström confirme qu'ils travaillaient ensemble cet été-là pour s'imprégner de l'art moderne français découvert à Paris.
Gustave Caillebotte, Jeune homme à sa fenêtre, 1876, huile sur toile,
116 x 80 cm, Los Angeles, J. Paul Getty Museum
Jeune fille nouant sa jarretière
Girl tying garters
1914 | Huile sur toile
Malmö, Malmö Konstmuseum
TOUT EST UNE QUESTION DE CADRAGE
Pour Krohg, l'art doit toucher le spectateur et susciter son empathie, par le fond comme par la forme. Après des études en Allemagne, son séjour français - à Paris et à Grez-sur-Loing (Seine-et-Marne) - l'engage plus loin dans cette voie. À Gustave Courbet, il emprunte l'inspiration sociale; à Édouard Manet, des procédés picturaux pour impliquer physiquement l'observateur dans le tableau: personnages de dos au premier plan, figures pleinement absorbées dans leur tâche, regards directs vers le spectateur.
Mais ce que Krohg retient surtout de Manet et des impressionnistes, tel Gustave Caillebotte, ce sont les cadrages audacieux qui créent l'illusion de fragments de vie pris au hasard. Il ira jusqu'à en faire son slogan: « Tout est une question de cadrage. » Selon lui, l'image ne doit pas être construite en termes de perspective. Assis devant son sujet, il le peint dans une intense proximité. Krohg applique ces principes tout au long de sa carrière, notamment dans ses tableaux de marins qui éludent le paysage au profit de plans rapprochés sur l'action.
Bâbord!
Port your Helm!
1879 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Premier d'une série consacrée aux marins,
ce tableau marque un tournant dans la carrière de Krohg et lui vaut un succès international au Salon de Paris en 1882. Le cadrage inspiré de la photographie crée une impression d'instantané et monumentalise la figure du marin. Le regard de ce dernier se fige un instant vers l'observateur, conférant à cette toile une modernité saisissante. L'expression du personnage traduit son intense concentration au moment de donner un ordre de manoeuvre qui donne son titre au tableau.

Vent du nord
North Wind
1887 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Le Haut-Fond
The Shoal
Vers 1897 | Huile sur toile
Bergen, Kode Bergen Art Museum

Attention devant! Le port de Bergen
Look Ahead, Bergen Harbour
1884 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Cette toile semble s'inspirer des scènes de rameurs de Caillebotte, notamment Partie de bateau, comme si Krohg cherchait à apprendre de l'artiste en l'imitant. Il en reprend le cadrage immersif, plaçant le spectateur dans la barque, assis face au rameur, ce dernier détournant le regard pour s'assurer qu'il n'y a pas de danger derrière lui. La touche rapide et la lumière éclatante rappellent la peinture de plein air et les techniques des impressionnistes.

Vers le ciel
Fixing the Sail
Sans date | Huile sur toile
Oslo, Norsk Maritimt Museum

La Barre sous le vent!
Helm a-lee!
1882 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Krohg réalise ce tableau à Vasser, en Norvège, durant l'été 1882. Vêtu d'un chapeau et d'un manteau jaunes, un marin manoeuvre un petit voilier sur une mer agitée. Le cadrage serré renforce la tension dramatique de la peinture, accentuée par le regard du pilote, fixé sur quelque chose que nous ne pouvons voir, en dehors du champ. Une version ultérieure de cette scène, au cadrage élargi, révèle un paquebot à vapeur approchant du frêle voilier, suggérant un danger imminent de collision.
Le projet est étudié The project is studied
1910 | Huile sur toile
1852-1925
Lillehammer, Lillehammer Kunstmuseum

Un homme à la mer Man Overboard
1906 | Huile sur toile
1852-1925
Stockholm, Nationalmuseum
La vulnérabilité de l'homme face aux éléments est ici saisie avec force. Dans une composition audacieuse et dynamique, un homme se précipite pour lancer une bouée de sauvetage. On comprend qu'un marin vient de tomber dans la mer agitée et glacée. Mais ce drame, hors champ, demeure invisible: seules l'eau tourmentée et la bouée blanche, presque surnaturelle, captent l'attention. Ce point lumineux incarne l'espoir dans cette scène tendue, figée à jamais sur la toile.
LA BOHÈME DE KRISTIANIA
De retour en Norvège en 1882, Krohg devient l'un des chefs de file de la « Bohème de Kristiania ». Ce petit cercle d'artistes, intellectuels et étudiants- parmi lesquels les peintres Edvard Munch et Oda Krohg (née Lasson), ou l'écrivain Hans Jæger - bouscule la capitale norvégienne par son mode de vie non conformiste et ses idées radicales.
Les grands modèles de la Bohème sont le critique danois Georg Brandes (1842-1927), dont Krohg dira qu'il fut l'un des << rares repères de sa vie », et le dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1828-1906). Tous deux ont provoqué de nombreux débats de société, de portée parfois européenne, que ce soit sur la pauvreté urbaine, sur la prostitution, sur les droits des femmes ou encore sur la religion. Krohg, aussi bien en tant que peintre qu'en tant qu'écrivain et journaliste, s'inscrit dans ce mouvement connu sous le nom de « percée moderne » ou de naturalisme scandinave. Son ambition est de produire un art qui puisse jouer un rôle dans le progrès social, et de donner une image réaliste de son temps, notamment à travers ses nombreux portraits des personnalités de la vie culturelle scandinave

Au restaurant Kisten
At the Kisten restaurant
Vers 1888 | Huile sur carton
1852-1925
Collection particulière
Portrait du peintre Gerhard Munthe
1885 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
En 1885, Krohg présente ce portrait de l'artiste norvégien Gerhard Munthe à l'Exposition
universelle d'Anvers. La critique française
en souligne la modernité : l'influence de Manet se révèle en effet dans les coups de pinceau audacieux et la maîtrise de la palette chromatique. Munthe est représenté debout dans le Grand Café de l'avenue Karl-Johan, haut-lieu artistique et intellectuel de la capitale norvégienne. Vêtu d'un élégant manteau noir à col de fourrure, avec sa moustache soignée et son binocle, il incarne l'artiste dandy.

Portrait d'August Strindberg
1893 | Huile sur toile
Oslo, Ibsen Museum & Teater
En 1893, Krohg réalise le portrait du célèbre dramaturge suédois August Strindberg. Par les coups de pinceau dynamiques, la toile restitue la personnalité de l'écrivain dans toute sa puissance. Strindberg salue d'abord l'œuvre, mais l'amitié entre les deux hommes se détériore avant qu'elle soit achevée. En 1895, c'est un autre dramaturge, Henrik Ibsen, qui acquiert le portrait et l'accroche au-dessus de son bureau, affirmant qu'il travaillait mieux sous le regard "démoniaque" de son confrère.
Portrait de Hans Jæger
1888 Huile sur toile
Oslo, Oslo Museum
Hans Jæger (1854-1910), écrivain rebelle
et anarchiste, est avec Christian Krohg la figure de proue du mouvement bohème. Ils fondent ensemble le journal Impressionnisten.
Sven Jørgensen le représente ici assis face à une bouteille de vin dans un café, pensif, soulignant l'intensité de son esprit provocateur et son isolement.
Les Bohémiens (Dans mon atelier) Bohemians (In my studio)
1885 | Huile sur toile
Lillehammer, Lillehammer Kunstmuseum
Krohg, en dévoilant ici son atelier, immortalise quelques-uns de ses élèves, sur lesquels
il exerça une influence profonde. A gauche, Edvard Munch, encore inconnu, allume une cigarette qui éclaire subtilement son visage. L'actrice Constance Bruun, souriante, regarde Kalle Løchen, peintre et acteur, qui se tient debout. Oda Engelhart, élève et maîtresse de Krohg, nous tourne le dos. Les objets insolites - parasol coloré, chaise longue - introduits dans l'atelier, sont autant de petits défis picturaux tels que le peintre aimait s'en lancer.
Portrait du rédacteur en chef
Ola Thommessen
1884 Huile sur toile
Oslo, Verdens Gang AS
Ce portrait du rédacteur en chef Ola Thommessen, proche ami de Krohg, souligne sa stature officielle. Thommessen jouera un rôle clé en défendant ardemment Krohg après la saisie de son roman Albertine par le ministère de la Justice.
Le lendemain de son intervention au tribunal, il publie dans son journal Verdens Gang le discours de Krohg, qui inclut les passages interdits du livre cités pour sa défense. Ce geste audacieux entraîne la saisie immédiate du numéro par les autorités.
Portrait de Georg Brandes
1879 Huile sur toile
Skagen, Skagens Kunstmuseer
Georg Brandes (1842-1927), écrivain et critique danois, a joué un rôle central dans la diffusion des idées modernes en Scandinavie, tout en faisant connaître l'art et la littérature scandinaves en Europe. Krohg le rencontre à Berlin en 1877, à un moment décisif de sa formation artistique et intellectuelle. Pour son portrait, Brandes pose chaque matin pendant neuf mois. Cette expérience renforce leur lien : le peintre restera toute sa vie fortement marqué par les idées du critique.
Portrait d'Oda Krohg
1852-1925
Vers 1885 | Huile sur bois (palette)
Oslo, Nasjonalmuseet

Portrait d'Alexandra Thaulow
1892 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet

Soirée à Løkken
Evening at Løkken
1889 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Oda Lasson, épouse de Krohg, vient d'une famille influente: son père, Christian, est procureur général et parmi les dix enfants Lasson plusieurs ont marqué la vie culturelle norvégienne. Cette toile de 1889 donne à voir une réunion de la famille, après la réconciliation de Krohg et de son beau-père, qui l'accepte enfin comme gendre. Mariés et parents de deux enfants, Oda et Krohg semblent prêts à adopter une vie plus conventionnelle. Assise à gauche, Oda paraît songeuse, mais l'atmosphère générale est chaleureuse et sereine.Portrait du peintre Frits Thaulow
1881 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Krohg rencontre le paysagiste norvégien Frits Thaulow (1847-1906) lors de ses études à Karlsruhe, en Allemagne. Une profonde amitié naît entre eux. Bien qu'adepte du plein air, Thaulow est saisi dans son atelier, peignant un paysage enneigé par des touches rapides et empâtées qui évoquent l'impressionnisme. Thaulow s'installe en France en 1892, où il vivra jusqu'à la fin de sa vie, devenant une figure importante des milieux artistiques parisiens. Le musée d'Orsay conserve un portrait du peintre, avec ses enfants, par Jacques-Émile Blanche.

Portrait de la peintre Oda Krohg
1888 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Ce tableau, réalisé à l'été 1888 sur le domaine de vacances de la famille Lasson dans le fjord d'Oslo, a été peint quelques mois avant le mariage d'Oda Lasson et Christian Krohg. Le couple vient de traverser une période tumultueuse, marquée par des infidélités. L'artiste peint Oda de face, les mains sur les hanches, joyeuse et pleine de vie. Vêtue d'un chemisier rouge vif, cheveux lâchés et sourire éclatant, elle incarne la femme forte, émancipée, pleinement consciente de sa valeur.
Portrait de Gerhard Gran
1884 | Huile sur toile
1852-1925
Oslo, Université d'Oslo, Collection d'Art
Ce portrait de Gerhard Gran (1856-1925), historien de la littérature, reflète l'effervescence culturelle de Kristiania (actuelle Oslo). Dans sa toile, Krohg parvient à traduire aussi bien la stature officielle du professeur norvégien que l'amitié qui les lie. Gran se tient debout, les mains dans les poches, la veste ouverte, une posture peu classique qui exprime une certaine légèreté.UN ART SOCIAL
Dans ses écrits et conférences, Krohg explique que l'art doit jouer un rôle social, s'adresser à un large public tout en abordant des sujets sociaux. Ses œuvres relevant directement de l'art social sont peu nombreuses, mais elles ont eu un impact considérable sur la société norvégienne. Cela tient en partie au double scandale suscité par Albertine, le tableau et le roman, interdit et confisqué par la police dès le lendemain de sa publication.
Loin de toute idéalisation, ces peintures sociales sont dominées par un sévère pessimisme typique du naturalisme littéraire. Krohg explore la façon dont l'extrême précarité engendre la prostitution, l'alcoolisme, la maladie ou la mort, réduisant certaines vies à une « lutte pour l'existence », selon la formule de Charles Darwin. C'est d'ailleurs le titre du dernier grand tableau naturaliste de Krohg, La Lutte pour l'existence, poignant constat d'une société incapable de venir en aide à ses membres les plus vulnérables

La Lutte pour l'existence
1889 | Huile sur toile
Sur l'avenue Karl-Johan à Kristiania, au cœur de l'hiver, des femmes et enfants affamés tendent leurs mains gelées pour attraper du pain rassis offert par un boulanger. Serrés les uns contre les autres dans le froid, ils occupent la partie gauche du tableau, créant un déséquilibre avec la rue presque déserte, traversée par un policier indifférent à la scène. Inspirée par la formule de Darwin, « Struggle for existence »> (<< la lutte pour l'existence »), cette grande composition naturaliste dénonce l'échec de la société à protéger ses membres les plus vulnérables.

Jeune fille malade
Sick Girl
1881 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Krohg aborde la fragilité de l'existence à travers cette jeune fille mourante, probablement
atteinte de tuberculose. La fillette assise sur son fauteuil occupe tout le premier plan, impliquant émotionnellement le spectateur, ainsi placé à son chevet. La sobriété de la scène place l'événement hors du temps tandis qu'une rose fanée suggère la fin inéluctable. Avec une grande intensité psychologique, Krohg évoque certainement dans cette toile le souvenir de la perte de sa sœur Nana en 1868.
Socialistes
1888 | Huile sur toile
Collection particulière
RENDEZ-NOUS ALBERTINE!
En 1886, Krohg publie Albertine, un roman réaliste aussitôt interdit pour atteinte aux bonnes mœurs. Il y raconte l'histoire d'une pauvre jeune fille enivrée et violée par un policier, puis convoquée au bureau de police pour y subir l'examen gynécologique alors imposé aux prostituées, permettant d'éviter la propagation des maladies sexuellement transmissibles. Ces épreuves la brisent et la précipitent dans la prostitution, illustrant un implacable déterminisme social. Ce que dénonce Krohg, c'est le traitement injuste que les autorités norvégiennes réservent à ces femmes, privées de liberté et sans loi pour les protéger.
Après la saisie du roman, la controverse enfle en Norvège, portée par des milliers de citoyens défendant la liberté d'expression. Pour sa défense, Krohg affirme que son récit s'inspire d'une histoire vraie confiée par l'un de ses modèles. Indigné, il s'est senti le devoir de la «crier au monde, afin que tous puissent l'entendre». Il en tire également son grand tableau Albertine dans la salle d'attente du médecin de la police

Albertine dans la salle d'attente du médecin de police La seule étude de composition générale connue pour Albertine
Huile et photographie sur carton, fac-similé
Collection particulière
seule étude de composition générale connue pour
Albertine to see the Police Surgeon
Étude, vers 1884
Huile et photographie sur carton, fac-similé
Collection particulière
bd 712
Albertine est une photographie retouchée à la peinture en 1884. Elle permet de comprendre comment Krohg a progressivement construit la scène. Le peintre a lui-même posé sur la photo, incarnant l'agent de police, entouré par quatre modèles. Dans la version finale du tableau, la composition s'enrichit pour inclure treize personnages, chacun ajoutant à l'intensité dramatique et à la complexité de la narration.
L'Avertissement
The Admonition
1886 | Huile sur toile
Kristiansand, Kunstsilo
Krohg peint un moment clé de son roman Albertine, où l'héroïne, après avoir été violée par un policier, est convoquée au bureau de police pour un examen gynécologique, une procédure alors imposée aux prostituées. Dans la salle d'attente, d'autres prostituées, habillées avec élégance et visiblement familières du lieu, contrastent avec Albertine, honteuse, tête baissée à l'arrière-plan. Au premier plan, l'une d'elles fixe le spectateur d'un regard direct et provocant, évoquant Olympia de Manet, peinte vingt ans plus tôt.
Albertine
1884 | Huile sur toile
Copenhague, Statens Museum for Kunst

Jossa
1886 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Krohg réalise ici le portrait d'une prostituée
du quartier pauvre de Kristiania (actuelle Oslo), dont la chevelure noir charbon et le teint clair créent un contraste saisissant. La jeune femme, surnommée Svart-Anna (Anna la brune) a posé pour son grand tableau Albertine. Elle y apparaît à l'arrière-plan vêtue d'une robe rouge et d'un manteau jaune, avec une expression pensive et sérieuse. Le titre du portrait, Jossa, se réfère au nom fictionnel de l'amie d'Albertine dans le roman.

Garçon de courses buvant du café
Errand Boy drinking Coffee
1885 | Huile sur toile
Göteborg, Göteborgs Konstmuseum

Madeleine
1883 | Huile sur toile
1852-1925
Lillehammer, Lillehammer Kunstmuseum
Dans un cadrage resserré, Krohg représente une jeune femme en chemise de nuit, assise sur un lit en fer dans un décor dépouillé. Inclinée en avant, la tête reposant sur sa main gauche, elle se cache les yeux, peut-être parce qu'ils sont remplis de larmes, ou pour ne pas se voir dans le petit miroir qu'elle tient. Cette scène semble suggérer que le personnage a honte d'elle-même. La palette de gris et de verts renforce l'atmosphère de désespoir. L'oeuvre a été admirée lors de l'Exposition nordique de Copenhague en 1883.
Aube
Dawn
1880 | Huile sur toile
Copenhague, Statens Museum for Kunst
La série de tableaux de couturières, réalisés entre 1879 et 1885, sont des préludes à l'oeuvre majeure de Krohg, Albertine. Dans le roman, la jeune fille n'exerce pas ce métier par hasard : on considérait alors, statistiques à l'appui, que la situation très précaire des couturières constituait une première étape vers la prostitution.
La Couturière
Seamstress
1881 | Huile sur toile
Göteborg, Göteborgs Konstmuseum
Artiste humaniste
Cette femme a travaillé toute la nuit et s'est assoupie, la lampe encore allumée. Krohg montre les conditions de travail épuisantes des femmes qui exercent des petits métiers pour survivre. Il a réalisé toute une série de couturières endormies.
En dénonçant une réalité sociale qu'il trouve injuste, la peinture de Krohg prend une dimension politique.

Fatiguée
Tired
1885 Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Fatiguée témoigne de l'évolution du style
de Krohg en quelques années, alors qu'il explore le motif de la couturière : une touche plus visible, des contours flous et moins de détails que dans d'autres compositions sur le même thème. Entre-temps, l'artiste a séjourné à Paris où il a découvert les impressionnistes. Cette peinture montre à quel point les conditions de travail étaient exigeantes pour les jeunes couturières de l'époque.
PEINDRE LA FAMILLE
Quand Krohg découvre Skagen, au nord du Danemark, en 1879, ce sont les habitants qui le captivent, plus encore que la nature unique et la lumière. Les Gaihede, une famille de pêcheurs qui vivent à trois générations sous le même toit, deviennent le sujet principal de ses œuvres. Krohg les peint peu au travail. Il préfère les représenter chez eux, prenant soin les uns des autres, unis dans des relations de tendresse.
Lorsqu'Oda Lasson et Christian Krohg fondent leur propre foyer à la fin des années 1880, leur peinture s'en ressent directement. Oda représente Krohg en père aimant, antithèse de la figure autoritaire et despotique que combat la Bohème. Krohg peint Oda en mère attentionnée dans des moments de grande intimité-allaitement, lecture du soir - aux antipodes de sa réputation sulfureuse.
Toutes ces scènes de famille s'inscrivent dans la continuité des grandes compositions sociales de Krohg: une peinture de la sollicitude, promouvant l'idéal d'une société capable de s'occuper de ses membres les plus vulnérables
Femme coupant du pain
1879 | Huile sur toile
Bergen. Kode Bergen Art Museum

Niels Gaihede et le petit Sophus
1883 | Huile sur toile
Grieg Art Collection, Grieg Foundation

La Mère au chevet de son enfant
Mother at her Child's Bed
1884 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Tine Gaihede, assise de dos dans une robe bleu foncé, veille tendrement un enfant endormi
ou malade, probablement sa fille Maren Sofie, âgée de trois ans. La sobriété du décor et de la palette - dominée par le gris, le bleu et le blanc - renforce l'atmosphère d'intimité. Sans montrer son visage, l'artiste traduit l'amour maternel dans l'attitude protectrice et rassurante de la mère. À travers cette scène ordinaire magnifiée par son réalisme, Krohg invite le spectateur à partager un moment de tendresse universel.
La Mère endormie Sleeping Mother
1883 | Huile sur toile
Bergen, Kode Bergen Art Museum
Cette composition, à la fois naturelle et maîtrisée, témoigne du talent de Krohg pour saisir le quotidien avec réalisme. Lors de son séjour à Skagen en 1883, il peint avec subtilité l'épuisement d'une mère, Tine Gaihede, qui s'est endormie avec son tricot sur les genoux alors qu'elle berçait son enfant. Certains détails comme le bol de bouillie oublié, autour duquel tournent les mouches, et le cadrage resserré renforcent l'impression d'un instant pris sur le vif.
Le Tressage des cheveux
Braiding her Hair
1888 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
Après La Mère endormie et La Mère au chevet de son enfant, Krohg poursuit le thème de la maternité. Tine Gaihede, assise de dos, s'occupe de sa fille Maren Sofie, âgée d'environ sept ans. L'atmosphère calme et intime évoque la peinture hollandaise prisée des artistes de Skagen ou encore les œuvres de Jean-François Millet, comme La Leçon de tricot. Ce motif simple montre à quel point Krohg est en possession de sa technique artistique, caractérisée
par un espace pictural peu profond, une palette lumineuse et des touches libres

Enfant endormi, Maren Sophie
Gaihede, Skagen
Sleeping Child, Maren Sophie
Gaihede, Skagen
Avant 1883 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet
ODA KROHG 1860-1935
Pauvre petite!
Poor Little One!
1891 | Huile sur toile
Collection particulière

Nana
1893 | Huile sur toile
Collection particulière

Per assis sur le canapé
1890 | Huile sur toile
1852-1925
Collection particulière

Dans le bain
In the Bathtub
1889 | Huile sur toile
1852-1925
Copenhague, Statens Museum for Kunst
À l'été 1889, Oda et Christian Krohg séjournent à Åsgårdstrand, au sud d'Oslo, où naît leur
fils Per, modèle probable de cette scène intime. La nourrice lave le nouveau-né, tandis que d'autres figures assistent à la scène et l'entourent avec bienveillance: sa mère Oda, avec la robe bleue, qui tient le savon, et ses demi-frères et sœurs Fredrik et Alexandra. À droite, Lyder Bruun, le parrain de l'enfant, introduit une présence masculine dans un rituel familial traditionnellement féminin. Krohg capte avec tendresse ce moment du quotidien, qu'il explore dans plusieurs versions.
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1887 | Huile sur toile
Oslo, Nasjonalmuseet

À l'est du soleil et à l'ouest de la lune
East of the Sun and West of the Moon
Avant 1887 | Huile sur toile
Collection particulière
Krohg donne ici encore une vision douce
et apaisée de la vie familiale. Oda captive ses enfants en leur lisant une histoire avant leur coucher. La lueur d'une lampe renforce l'intimité de la scène en créant un effet de clair-obscur. Le tableau tire son titre d'un célèbre conte norvégien dans lequel une jeune fille, ayant rompu une promesse faite à un ours blanc ensorcelé, entreprend un long voyage semé d'épreuves pour le retrouver et le délivrer de son sort.
Le Matin
In the Morning
1889 | Huile sur toile
Collection particulière
Dans Le Matin, Krohg s'inspire de sa vie familiale pour représenter sa femme Oda et leur fils Per, allongés dans un lit élégant. Réalisée peu après la naissance de l'enfant, la scène respire le calme et le confort: la lumière douce, le bouquet et le linge soigneusement disposé tranchent avec l'austérité des intérieurs de Skagen. Exposée à Kristiania (actuelle Oslo) à l'automne 1889, la toile est jugée trop intime par certains. Elle choque d'autant plus que le modèle, Oda, était aisément reconnaissable.
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