vendredi 1 juillet 2022

La couleur en fugue à la Fondation Louis Vuitton en juin 2022


En marge de l'exposition Hantaï, une belle découverte, notamment l'installation spectaculaire de Katharina Grosse !


L'exposition "La couleur en fugue" réunit cinq peintres de la scène artistique internationale, d'origines et de générations différentes: Sam Gilliam, Katharina Grosse,Steven Parrino, Megan Rooney, Niele Toroni.
Au travers d'un vocabulaire abstrait qui leur est propre, chacun repousse les limites traditionnelles du médium
pictural. La peinture sort du champ restreint de la toile tendue sur châssis et s'invente une liberté nouvelle dans son rapport couleur/support en se déployant dans l'espace, entre le sol, le mur et le plafond. Comme autant de variations de l'expansion de la couleur, les œuvres réunies ici opèrent un dialogue étroit avec l'architecture de Frank Gehry.
À côté d'ensembles d'œuvres de Sam Gilliam, Steven Parrino et Niele Toroni, qui ont bénéficié de prêts importants d'institutions publiques et privées, Katharina Grosse et
Megan Rooney ont créé chacune pour l'occasion une intervention inédite éphémère :

Megan Rooney
With Sun, 2022
Peinture industrielle, acrylique, peinture a la bombe, pastel gras, pastel, crayon

Avant de commencer à peindre, j'aime poser mes pieds nus
par terre afin de ressentir la force et l'énergie de ce qui se passe sous le sol. J'ai une relation particulière avec toutes les saisons, du fait des
changements spectaculaires de lumière au fil des mois..... mais
le printemps est tout spécialement sacré à mes yeux. Les lignes brunes des arbres nus s'exposent à notre regard, tel un dessin composé par la nature. Longtemps avant que tout
reverdisse, celle-ci commence à lentement ajouter de la couleur
à sa palette. Au loin, l'apparition d'un cornouiller d'une blancheur
fantomatique. Au coin de la rue, les bourgeons ératiques et silencieux du magnolia qui patientent avant d'exploser dans une perfection de rose poudré. Le mimosa nous salue de ses branches jaunes. Et l'on se sent mieux. Les images qui m'habitent s'attardent dans ma mémoire, puis se déversent face à l'impossibilité d'une surface vierge.
Lorsque je commence à travailler, j'imagine que je me libère
de la force d'attraction du sol. Je prends mon envol, j'essaie de
me laisser porter par un bon vent dans le ciel de ma peinture.
De sorte que les couleurs puissent me traverser, m'étreindre,
que je puisse m'y engloutir.
Tandis que j'étais étendue au sol, dans la galerie [de la Fondation
Louis Vuitton], en train de contempler le ciel par l'ouverture
zénithale, je me suis mise à rêver à une petite histoire. La lune
poursuit le soleil à travers le bâtiment. Elle se glisse par
Pouverture du toit et, prise au piège, rebondit d'un mur a l'autre.
Toute peinture est liée à un récit. Lorsque je peins, je me sens
connectée aux composantes les plus anciennes de l'humanité.
Raconter des histoires est une part essentielle de la condition
humaine. Cette envie de laisser une trace, sa marque, de dire:
"T'etais ici."
La mémoire et le temps, le temps et la couleur, la couleur et la
lumière. La peinture est un espace où tout le reste s'efface, où
je suis libre

Née en 1985 (Afrique du Sud), vit et travaille à Londres, artiste pluridisciplinaire, Megan Rooney associe dans une même œuvre peinture, sculpture, performance et écriture. L'acte de peindre est pour elle un engagement physique et mental intense qui culmine dans ses peintures monumentales, comme ici
avec With Sun, peinture murale inédite et éphémere réalisée spécifiquement pour la Galerie 8.

Sam Gilliam
Né en 1933 à Tupelo (États-unis), vit et travaille à Washington (États-unis)
Sam Gilliam est une figure majeure de la peinture américaine d'après-guerre.  Son œuvre est associée à la Washington Color School, un courant du Color Field painting qui se développe à New York au cours des années 1950.
En 1968, il inaugure les Drape paintings à travers lesquels il définit un langage pictural nouveau, en explorant le potentiel de la surface et l'étendue du champ coloré. Les trois œuvres monumentales exposées ici sont emblématiques de cette
série qui marque à la fois l'abandon total du châssis et l'avènement d'une peinture dont la forme se déploie à chaque fois en fonction des particularités architecturales
du lieu d'exposition. Dans l'atelier, Gilliam travaille sur une toile posée à même le sol sur laquelle il verse des pigments acryliques largement dilués avant de tamponner,
frotter ou presser la matière à l'aide de pinceaux et de chiffons. Dans le flot des couleurs qui se répandent largement sur les deux faces de l'étoffe, le long des plis,
dans les creux et dans les courbes, apparaissent des formes aléatoires - aplats, lignes, coulures, gouttes, traces et autres empreintes - qui se construisent sur le vif.
Lorsque la toile est imbibée l'artiste la manipule, la plie, la froisse, l'enroule avant de la laisser sécher. Parfois il ajoute de la poudre d'aluminium et applique par touches, ici et là, de la peinture acrylique dont les effets de matière et de texture contrastent
avec la surface plane imprégnée de couleurs. Dans un second temps, la toile est nouée en plusieurs points avant d'être suspendue librement dans l'espace, entre
sol, mur et plafond. Dans cette présentation inédite, la puissance lyrique et vibrante des couleurs requalifie l'architecture de Frank Gehry, dans une tension entre ordre
et désordre.

Steven Parrino
New York (États-Unis), 1958-2005
Bousculant les frontières entre peinture et sculpture, Steven Parrino libère la toile de sa planéité et fait sortir la couleur du cadre, la laissant déborder dans l'espace.
Les œuvres présentées appartiennent à la serie des misshaped canvases (toiles
déformées) que l'artiste développe à partir de 1981.
Steven Parrino définit à l'avance le processus de réalisation des œuvres : une fois décidés le support et ses dimensions, il peint la surface de façon uniforme - à l'acrylique, à la bombe, à la peinture émail ou la laque. Puis il opère toute une serie
d'actions violentes : il décadre, arrache, tord et froisse le support peint, puis le refixe sur son châssis, souvent après l'avoir retouché. Ces opérations font passer les
surfaces bi-dimensionnelles de la peinture à la tridimensionalité du relief et de la sculpture. De plus, l'importante implication physique de l'artiste dans le processus
confère aux œuvres un caractère performatif.
Au mur, quatre tondi et un carré percé dont les toiles ont été peintes soigneusement par Parrino avant d'etre manipulées pour créer des effets de vortex en relief.
Au sol, deux installations de toiles froissées deviennent sculptures. Au carrefour de la high et de la low culture, Parrino privilégie ici les couleurs brillantes, également
choisies pour leur portée symbolique.

Niele Toroni
Né en 1937 (Suisse), vit et travaille à Paris.
Artiste connu pour ses pratiques hors champ et nomades, réalisant ses empreintes à l'intérieur comme à l'air libre, Niele Toroni requalifie les espaces qu'il investit en adaptant ses œuvres au lieu d'exposition. Depuis 1966, il réalise des empreintes monochromes au moyen de pinceaux plats, larges de 5 cm, qu'il applique sur une surface donnée à intervalles réguliers de 30 centimètres. Bien que ce "travail/peinture"
soit le résultat d'un geste répété à l'identique, chaque empreinte est différente et varie en fonction de la quantité de peinture, de la vigueur du geste, du type de support, de sa forme, et de la couleur choisie.
Toroni est présent ici par un ensemble d'œuvres réalisées entre 1967 et 1997 qui témoigne de la diversité des supports utilisés. La toile cirée, utilisée par l'artiste à
ses débuts, lui permet de déployer ses empreintes en fonction de la dimension du mur. Découpée selon les besoins, c'est le lieu qui détermine la quantité de peinture visible. Avec Flambo, marque de présentoir des magasins de décoration, Toroni pose ses
empreintes de différentes couleurs sur les panneaux mobiles qui composent cet objet, tandis que l'Hommage aux hirondelles est placé en hauteur dans un angle, tel
un nid d'oiseau. Les tondi aux « rouges » de Bordeaux proviennent des empreintes réalisées par l'artiste sur des barriques de vin. Les quatre peintures formant un ensemble accueillent chacune des empreintes de couleur différente: rouge, jaune,
bleu, noir. La couleur rythme chaque toile de cette partition picturale.

Katharina Grosse
Splinter, 2022
Acrylique sur contreplaqué, mur et sol 
Katharina Grosse 
Née en 1961 (Allemagne), vit et travaille à Berlin et en Nouvelle-Zélande
Depuis la fin des années 1990, Katharina Grosse explore les potentialités de la peinture
au-delà des limites du cadre et de la toile. Embrassant sols, murs, plafonds, objets ou paysages entiers, elle crée des sites picturaux multidimensionnels grâce à la technique de projection de la couleur par pistolet-pulvérisateur qui est devenue sa signature. La couleur
est au cœur de son travail et fait le lien entre toutes ses œuvres. La question de l'échelle, ou encore de la fusion peinture / architecture / sculpture est omniprésente, comme ici dans le projet conçu en dialogue étroit avec le bâtiment de Frank Gehry. Au départ de Splinter, l'artiste crée un élément hétérogène dynamique, composé de
formes triangulaires, à partir duquel la couleur se propulse dans un grand élan. Composé d'une vingtaine de triangles en contreplaqué emboîtés sur une structure autoportante,
ce dispositif occupe une partie du mur de droite de la Galerie 10 et fonctionne comme un  "déclencheur" visuel reliant sol et plafond. Une fois la structure installée dans l'espace,
la seconde étape consiste à la peindre, ainsi que tout ce qui l'environne. Grâce à un pochoir,
Katharina Grosse crée un vide au centre, comme si la lumière en s'engouffrant par le skylight
était venue « brûler » la peinture. Selon les mots de l'artiste « une peinture peut atterrir
n'importe où, et s'attarder partout (...). La peinture n'est pas reliée à un endroit donné. Elle met à l'épreuve - et condense spectaculairement - les caractéristiques du réel. »



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