samedi 29 janvier 2022

L'Alsace, rêver la province perdue, 1871-1914 au musée Jean-Jacques Henner en janvier 2022

Une exposition bien documentée sur cet épisode déchirant de l'histoire de France et dont voici l'essentiel :

Auguste Bartholdi (1834-1904) Buste d'Erckmann et Chatrian, avant 1872
Plâtre
Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, C.2
Originaires des environs de Sarrebourg, aux confins de la Moselle et de l'Alsace, Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890) sont les auteurs d'une série de romans populaires à succès mettant en scène divers personnages issus des Vosges et d'Alsace. Le plus célèbre d'entre eux, L'Ami Fritz (1863) dépeint les aventures de Fritz Kobus, un Alsacien bon vivant, et contribue à la diffusion de l'image pittoresque de la région. Bartholdi figure les deux auteurs en buste revêtus d'un manteau à l'antique qui confère aux auteurs une certaine dignité due à leur notoriété. De même, la plume qu'Émile Erckmann tient à la main rappelle les modalités de leur collaboration. Erckmann écrivait tandis que Chatrian corrigeait et assurait la promotion des manuscrits.

Jacques Eugène Feyen (1815-1908) Le Baiser enfantin, 1865
Huile sur toile Lille, Palais des Beaux-Arts, P 657
Dans cette scène de genre, le peintre Feyen témoigne d'une réalité sociale du Second Empire qui se prolonge sous la Troisième République: la présence dans les foyers de la bourgeoisie parisienne de nourrices venues parfois de loin pour s'occuper des jeunes enfants. Les deux femmes sont aisément reconnaissables à leurs costumes: Antillaise pour la première, Alsacienne pour la seconde. En effet, nombre de jeunes Alsaciennes venaient à Paris afin de parfaire leur français. Réputées pour leur professionnalisme, elles y trouvaient aisément de bonnes places.

L'ALSACE PITTORESQUE

Avec l'essor du tourisme, le Second Empire voit se développer dans les arts un engouement pour les scènes de genre régionalistes. Arlésiennes et pardons bretons font leur apparition sur les cimaises du Salon. L'Alsace n'est pas en reste. Mais c'est une image pittoresque de la province que réclame le public, centrée sur le chatoiement des costumes traditionnels, des vues de villages en pans de bois ou des forêts de sapins vosgiennes. Parallèlement, l'attrait de la capitale opère très fortement auprès des Alsaciens qui «montent> à Paris en quête d'un travail ou de gloire. Avec eux se diffusent un certain nombre d'usages, parfois revisités. C'est le cas de la choucroute. Simple plat de chou fermenté au départ, elle devient royale par l'adjonction de pièces de viande et de charcuterie. Elle est servie dans les brasseries fondées dès le début du siècle par cette diaspora venue de la frontière orientale du pays.

Bonnet matelassé à bride et noeud latéral
Alsace, Meistratzheim (sud-ouest de Strasbourg), fin du XIXe siècle
Soie, fibre cellulosique, métal; tissage, rubanerie, cousu main 

Coiffe à grand nœud noir Alsace, Olwisheim (Kochersberg), vers 1890-1920
Soie, fibre cellulosique, métal; tissage, rubanerie, dentelle mécanique, broderie, cousu main 
Musée de Strasbourg 

Gustave Adolphe Brion (1824-1877) Le Cortège nuptial, 1873
Huile sur toile
Strasbourg, Musée des Beaux-Arts

Gustave Doré (1832-1883)
Le Mont Sainte Odile avec le mur païen, sans date
Huile sur toile
Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg

Bien qu'ayant quitté jeune sa région natale, Gustave Doré est resté attaché à l'Alsace dont les paysages nourrissent son inspiration et son goût pour le merveilleux. Le paysage qu'il propose ici figure un haut-lieu de spiritualité, le mont Sainte-Odile, et le mur païen, construction colossale que l'on datait alors de l'époque celtique. Associés aux sombres forêts vosgiennes, ces monuments confèrent à la nature une ambiance romantique et quelque peu fantastique qui caractérise les paysages alsaciens de la seconde moitié du XIX siècle.

LES PROVINCES PERDUES
LA CONSTRUCTION D'UNE IMAGE

"N'en parlons jamais, pensons-y toujours" Léon Gambetta

La phrase de Gambetta, librement reprise de son discours de Saint-Quentin en novembre 1871, est bien révélatrice de l'attitude de la France au lendemain de la perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. En effet, la défaite de 1871 face à la Prusse et ses conséquences constituent dans l'opinion publique un véritable traumatisme. Les provinces, que l'on qualifie désormais de «perdues »>, deviennent un emblème autour duquel se forge une conscience nationale. Si la vision pittoresque de l'Alsace perdure au-delà de 1871, elle se double désormais d'une image de douleur et de recueillement. Mais tout comme à la période précédente, celle-ci mobilise des éléments iconographiques aisément identifiables du public. Il s'agit en premier lieu de la figure de l'Alsacienne, coiffée du grand nœud devenu uniformément noir en signe de deuil, à laquelle sont adjoints des symboles patriotiques et républicains tels que la cocarde ou le coq.

Édouard Detaille (1848-1912)
Charge du 9e régiment de cuirassiers dans le village de Morsbronn, 1874
Huile sur toile
Reims, Musée Saint-Remi, 987.19.1

Les communes de Woerth, Froschwiller et Morsbronn, dans le nord de l'Alsace, ont été le théâtre de batailles passées à la postérité sous le nom de "bataille de Reichshoffen". Souhaitant ralentir les troupes prussiennes, le général Lartigue ordonne à la cavalerie de réserve de charger en direction de Morsbronn où l'ennemi a pris position. Detaille choisit de représenter l'instant tragique où la cavalerie, engagée dans le village, se retrouve bloquée et essuie le feu prussien. L'officier donne l'ordre au trompette de sonner le halte-là, mais l'élan de la charge ne laisse aucune échappatoire aux troupes. Opération désespérée, la charge devient le symbole du sens du sacrifice des soldats français et l'exemple de la défaite héroïque.

Auguste Bartholdi (1834-1904)
Premier modèle d'étude du Lion de Belfort, sans date (1875; vers 1900 pour la fonte)
Bronze à la patine verte, échelle 1/25⁰ Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, 2020.0.160

La guerre franco-prussienne livre la cité alsacienne de Belfort à un siège historique d'une durée de 103 jours. La ville, qui ne tombe pas, reste dans le giron français après 1871. Afin de commémorer cette résistance héroïque, le maire de la ville commande un monument au sculpteur alsacien Auguste Bartholdi : le Lion de Belfort. Le caractère majestueux de ce bronze coïncide parfaitement avec celui du projet in situ, colossal, long de 22 mètres et haut de 11, adossé contre une falaise, en contrebas de la citadelle de la ville. Une version de l'œuvre à l'échelle 1/3 est installée à Paris place d'Enfer. Celle-ci est alors rebaptisée place Denfert Rochereau en hommage au défenseur de Belfort durant le siège.

Gustave Doré (1832-1883)
L'Alsace au drapeau, 1872
Gouache sur papier noir avec rehauts de rouge et de bleu Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg

Auguste Bartholdi (1834-1904) À Gambetta, les Alsaciens reconnaissants, 1872
Fonte en argent, socle en marbre rouge Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin, Ca.2.128
Le groupe est présenté au Salon de 1872 sous le titre de La Malédiction de l'Alsace. Incarnée par une jeune femme coiffée d'un discret nœud, l'Alsace tient le corps d'un soldat mort tandis qu'un enfant se blottit contre elle. Les références à l'Antiquité sont évidentes dans les corps nus et l'usage des drapés, mais surtout dans le geste du bras de l'Alsace qui appelle à la vengeance. Cette fonte a été offerte à Gambetta par souscription par des Alsaciens qui souhaitaient ainsi le remercier. L'homme politique, chef de l'Union républicaine, était en effet l'un des principaux opposants à la cession de l'Alsace-Lorraine.

Jean-Jacques Henner (1829-1905) L'Alsace. Elle attend, 1871
Huile sur toile Mulhouse, Musée des Beaux-Arts, 88.8.1
Ce tableau est une réplique de plus petit format du tableau original (Paris, Musée national Jean-Jacques Henner), actuellement en prêt à la rétrospective Jean-Jacques Henner au musée des Beaux-Arts de Strasbourg. Il a été offert par Mme Charles Kestner et ses filles à Léon Gambetta, ardent défenseur de l'Alsace-Lorraine. L'ouvre est dédicacée à Mme Scheurer-Kestner, épouse du sénateur Auguste Scheurer-Kestner. Henner recourt à l'allégorie et offre l'image d'une jeune alsacienne vêtue de noir, en costume de deuil, duquel émerge la seule touche de couleur : une cocarde tricolore piquée sur son nœud, apportant toute sa signification patriotique à l'oeuvre. Véritable tournant dans la carrière de l'artiste, emblématique de la souffrance de l'Alsace, l'oeuvre par sa très large reproduction lui apporte la popularité.

LE DEUIL DE LA PETITE PATRIE

Le traité de Francfort entérine la cession de l'Alsace-Lorraine à l'Empire allemand et suscite la consternation dans l'opinion. Ce sentiment trouve un écho immédiat dans la production artistique. Sans doute jugée plus pittoresque que la Lorraine - qui de surcroît ne disparaît pas totalement de la carte de France - l'Alsace tend à évincer des cimaises sa consœur d'infortune. Dès 1871, de nombreuses oeuvres figurent des Alsaciennes qui, par métonymie, évoquent les Provinces perdues. Néanmoins, trois œuvres sont emblématiques tant par la personnalité de leurs auteurs (Bartholdi, Doré et Henner) que par la postérité qu'elles connaîtront. Chacune exprime à sa manière le deuil de la patrie natale et fixe pour les années à venir les codes de représentation de l'Alsace-Lorraine.


OPTER OU RÉSISTER
L'Alsace et la Moselle étant intégrées l'Empire allemand, leurs ressortissants se trouvent dans l'obligation d'adopter la nationalité allemande ou de quitter ces provinces pour rester français. C'est le système de l'option, qui court jusqu'en 1872. De nombreuses personnalités, comme Jean-Jacques Henner, Auguste Bartholdi ou le messin Albert Bettanier, y sont confrontées. En traitant ce thème, les artistes mettent en évidence le déchirement des familles, la douleur de l'exil, mais aussi le courage des "optants" qui, bons patriotes, font le choix de la France. Toutefois, les années passant, l'idée d'une résistance de l'intérieur, parfois un peu fantasmée, s'affirme également. Plusieurs œuvres donnent alors à voir des scènes d'intérieur où Alsaciens et Lorrains témoignent en cachette de leur amour à la France.

Louis-Frédéric Schützenberger (1825-1903)
L'Exode ou Famille alsacienne quittant son pays, 1872
Huile sur toile Mulhouse, Musée des Beaux-Arts, collection SIM

Paul Cabet (1815-1876)
Mil huit cent soixante et onze,
[1872, plâtre original] Moulage en plâtre (atelier de moulage des
Musées nationaux)
Paris, Cité de l'Architecture et du Patrimoine - Musée
des Monuments français

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Alsacienne tricotant
Vers 1871
Huile sur toile

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Alsacienne au nœud bleu
1870
Huile sur bois

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Alsacienne au nœud bleu
1871
Huile sur bois

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Marie-Anne barattant le beurre
1854
Huile sur toile

Jean Benner (1836-1906)
À la France toujours, 1883
Huile sur toile
Mulhouse, Musée des Beaux-Arts

L'ENTRETIEN DU SOUVENIR
L'iconographie abondante générée par la perte des provinces de l'Est s'accompagne du nécessaire entretien du souvenir auprès des générations qui n'ont pas connu la guerre de 1870. Des pèlerinages s'organisent sur les lieux des batailles marquantes (Gravelotte, Mars la-Tour...), tout comme naît un tourisme de mémoire duquel on rapporte des objets souvenirs et des photographies souvent prises devant les poteaux frontières. Le lien entre les Alsaciens restés au pays et les exilés se maintient grâce au courrier. Les lettres très attendues d'Alsace-Lorraine portant le cachet des villes désormais allemandes, deviennent un motif iconographique. L'espoir du retour de l'Alsace-Lorraine dans le giron national est entretenu, au sein de la population française, par l'omniprésence de ces représentations jusqu'au début du XX° siècle. Des monuments fleurissent dans l'espace public comme Le Souvenir du sculpteur Paul Dubois installé à Nancy, place Maginot, en 1910. La fidélité des deux "captives" à la France est maintes fois réaffirmée.


Émile Gallé (1846-1904) Vase Espoir, 1889
verre gravé à l'acide et à la roue, décor émaillé et doré, Nancy, Musée de l'École de Nancy, 341 Signé et daté en creux à l'or sur le fond: E. Gallé/1889
Lors de l'Exposition Universelle de 1889, le verrier nancéien Emile Gallé fut récompensé par un Grand Prix pour ses verreries au sein desquelles se trouvait le vase Espoir. Cette pièce unique, en forme de lampe de mosquée et ornée d'éléments calligraphiés rappelant l'écriture coufique, évoque les verreries islamiques. L'inscription est cependant composée en français si bien que l'on peut déchiffrer sur la panse: « Espoir/est ma lumière/Espoir/me luit au travers des maux», Engagé pour différentes causes (lutte irlandaise contre les Anglais, soutien au capitaine Dreyfus) et républicain ardent Gallé clame ici sa ferveur patriotique en protestant contre la perte de l'Alsace Moselle et en souhaitant le retour des provinces de l'Est dans le giron national.

Auguste Bartholdi (1834-1904) La Borne frontière, vers 1884-1885
Plâtre et plâtre teinté 
Colmar, Musée Bartholdi

Adolphe Martial Potémont (1828-1883) Lettres d'Alsace-Lorraine, 1871 ou 1872
Huile sur toile Pau, Musée des Beaux-Arts, 2012.2.1
Cette nature morte, à la composition très efficace, offre un gros plan sur des lettres ouvertes laissant apparaître des fleurs, pensées et myosotis, dont la symbolique bien connue à l'époque renvoie au souvenir. La présence sur les lettres d'un double affranchissement, français et allemand, traduit le souci du détail de l'artiste tout en rendant compte du processus progressif d'intégration de l'Alsace-Lorraine à l'Empire allemand. En effet, ce système postal, mis en place durant la guerre et appliqué à toute lettre expédiée ou reçue en zone occupée, se maintient à compter de mars 1871 pour I'Alsace-Lorraine seule jusqu'au 1er janvier 1872. Au-delà, il sera remplacé par le seul affranchissement allemand.

Charles Fréger (vit et travaille à Rouen)
Alsaciennes, 2019
Ensemble de huit assiettes en faïence imprimées sur chromo Strasbourg, Musée Alsacien, 66.2019.4.1 à 8
Cet ensemble est extrait du projet  "Souvenir d'Alsace" (2018-2022) dans lequel l'artiste interroge la construction de l'image de l'Alsace tiraillée entre France et Allemagne.

Zacharie Charles Landelle (1812-1908) La Statue de Strasbourg, 1871
Huile sur bois
Strasbourg,
 Musée historique de la ville.

Lors de la reddition de Strasbourg après un siège de 48 jours, les Parisiens se rassemblent en soutien à la ville place de la Concorde, devant la statue éponyme conçue par le sculpteur James Pradier en 1836. Elle devient l'objet d'un véritable pèlerinage à partir 4 septembre 1870, date de proclamation du gouvernement de la Défense nationale. Elle est alors ornée de drapeaux cravatés de crêpe, de couronnes d'immortelles, de bouquets avec des rubans tricolores et même recouverte d'un voile noir jusqu'en 1918.


LES RÉSEAUX ALSACIENS À PARIS
La communauté des Alsaciens de Paris s'accroît fortement à la suite de l'annexion. Cette diaspora se structure à travers différents réseaux de sociabilité. Du point de vue politique, le parti républicain s'organise autour de Léon Gambetta, Auguste Scheurer Kestner, mais aussi Jules Ferry, personnalités présentant des accointances régionales. Dans le domaine industriel, les familles Herzog et Siegfried conservent encore des entreprises en Alsace mais vivent pour partie dans la capitale. Les artistes et écrivains se réunissent de manière joyeuse et amicale lors des «dîners de l'Est » et des «dîners de l'Alsace à table ». La porosité entre tous ces cercles est importante. Certaines personnalités se rejoignent aussi à la loge maçonnique Alsace-Lorraine, inaugurée en 1872, rattachée au Grand Orient de France et conservatoire des valeurs patriotiques. Les Alsaciens fréquentent l'Association générale d'Alsace-Lorraine, fondée en 1871, qui organise, via son comité des Dames, le traditionnel arbre de Noël des Alsaciens-Lorrains de Paris autour d'un sapin venu des Vosges. C'est ainsi que se popularise l'usage de l'arbre de Noël né en Alsace au Moyen Âge. Les brasseries permettent également de lire les journaux régionaux. Enfin, les exilés effectuent le pèlerinage à la statue de Strasbourg sur la place de la Concorde.

<< Souvenez-vous donc !>> Une du Petit Journal du 22 juin 1913
Revue illustrée
Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, 
Cette Une du supplément illustré du quotidien Le Petit Journal du dimanche 22 juin 1913 est consacrée au débat parlementaire sur la loi des trois ans au sujet du service militaire, dans un contexte de tensions avec l'Allemagne. Le journal accuse Jean Jaurès et les socialistes de s'opposer aux intérêts de la France en refusant de voter cette loi. Sur l'illustration, Marianne interpelle l'homme politique en lui rappelant les événements de 1870. «Souvenez-vous donc !... »> lui dit-elle en lui montrant les soldats français mourants et la cathédrale de Strasbourg en feu, à l'horizon.

Lesbounit, Louchet Publicité (impr.)
Affiche du film de Henri
Desfontaine « L'Alsace attendait... » Films « Patrie », 1917
Chromolithographie sur toile Strasbourg, Musée Alsacien

VERS LA REVANCHE ?
Le traumatisme de la défaite et de la perte de l'Alsace-Lorraine suscite dans l'opinion publique un sentiment de revanche qui se traduit notamment par la création de la Ligue des patriotes par Paul Déroulede en 1882. Ce parti de masse évolue progressivement vers une tendance nationaliste et militariste. Cependant, son audience reste limitée et la volonté de revanche, à l'égard de l'Allemagne, tend à s'affaiblir avec le temps. Toutefois, à partir des années 1905, les tensions entre la France et l'Allemagne se ravivent. L'image des Provinces perdues est alors à nouveau brandie. La question de I'Alsace-Lorraine n'est pas la cause du déclenchement du conflit en 1914 mais elle apparaît comme un référentiel commun autour duquel se regroupe la nation au moment de l'entrée en guerre. Celle-ci fera 1,7 million de morts du côté français et près de 2,5 millions du côté allemand.

Hansi (Jean-Jacques Waltz, dit) (1873-1951) "La Belle au Bois dormant", 1919
Frontispice de L'Alsace Heureuse. La grande Pitié du Pays d'Alsace et son grand Bonheur racontés aux petits enfants par l'Oncle Hansi. Avec quelques images tristes et beaucoup d'images gaies, livre illustré, Paris, Floury, 1919 Strasbourg, Bibliothèque des Musées

Camara (Tomas Julio Leal da Câmara, dit) [1876-1948]
Déroulède , 1901

Dessin reproduit dans L'Assiette au beurre, n 38, page [604), 21 décembre 1901 Strasbourg, Bibliothèque des Musées

ce numéro de L'Assiette au beurre, journal anticlérical et antimilitariste, dans la tradition de la presse satirique républicaine, dénonce le peu de courage de certains prétendants au pouvoir, en l'occurrence Paul Dérouléde. Ses discours revanchards et sa tentative de coup d'État en 1899 sont ici moqués dans ce portrait-charge accompagné de vers satiriques.

Antonin Mercié (1845-1916) Quand même !, 1884 Bronze, fonte Barbedienne
Belfort, Musée d'Art et d'Histoire, 
Destinée à commémorer le siège de Belfort en 1870 et 1871 et sa résistance héroïque, la sculpture d'Antonin Mercié a été présentée au Salon de 1882. La version monumentale en bronze est inaugurée le 31 août 1884 à Belfort. Cet exemplaire en réduction, fondu par la maison Barbedienne, est un témoin de la forte popularité de ce et. Le titre de I'œuvre est issu de la devise "Car, malgré tout, il faut quand même résister..." de la Ligue des patriotes auquel adhère l'artiste. La Ligue adopte comme symbole le motif de la statue de Mercié sur ses médailles de ralliement dont la détention est exigée pour assister aux réunions.


LE CULTE POPULAIRE DES PROVINCES PERDUES
Le thème des Provinces perdues donne lieu à une importante production d'objets qui, plus encore que les œuvres, participent à la diffusion de leur image et à l'entretien de leur souvenir sur le territoire national. Des pièces fabriquées en séries, dont certaines reproduisent des œuvres du Salon, figurent des bustes d'Alsaciennes ou les deux orphelines que sont l'Alsace et la Lorraine et prennent place dans les intérieurs des foyers français. Ils y côtoient des jouets, des manuels scolaires ou des ouvrages dédiés à la jeunesse dont la portée pédagogique et patriotique est évidente. La presse illustrée évoque régulièrement en Une les souffrances et la résistance supposées des annexés, tandis que les chants patriotiques entonnés dans les cafés-concerts alimentent à grand renfort de pathos le cliché d'une Alsace-Lorraine livrée sans défense aux griffes de l'oppresseur allemand. Les cartes postales enfin, qui se multiplient au début du siècle, promeuvent une image de l'Alsacienne tour à tour victime fragile et objet de désir.

Léon Paget (1844-1921) [pour le décor au repoussé]
Horloge comtoise à thèmes patriotiques, vers 1880
Laiton et fer repoussés, fonte, métal, textile Strasbourg, Musée historique de la ville, 88.2017.2.1
Fabriquée dans le Jura, cette horloge a été achetée près d'Albi. Elle témoigne ainsi de la diffusion de l'iconographie des Provinces perdues dans des objets du quotidien à l'échelle nationale.

Joseph-Pierre Ferrier (?-vers 1899) L'Émigrée, vers 1880
Terre cuite
Strasbourg, Musée Alsacien

Jean-Jacques Henner (1829-1905) Paysage alsacien 
dit de Tropmems-King
1879
Huile sur toile
legs Charles Rabot
Jean-Jacques Henner (1829-1905) Paysage d'Alsace
Vers 1890-1905
Huile sur bois

Jean Jacques Henner est originaire de Bernwiller, petit village du Sundgau situé entre Mulhouse et Thann. Bien que menant une carrière parisienne, il entretient des liens indéfectibles avec sa région natale. Très affecté par l'annexion de l'Alsace, l'artiste s'y ressource auprès des siens un à deux mois par an. Il y retrouve une sorte d'Arcadie à travers les paysages chers à son cœur, qu'il transcrit minutieusement dans ses nombreux carnets à dessins. L'artiste part toujours d'un travail d'observation de la nature, puis peint en atelier un paysage rêvé à partir de visions et d'impressions relevées dans ses croquis. La Vallée de Munster, effet noté après l'orage est emblématique de ces paysages caractérisés par une étendue d'eau située au pied d'un bosquet d'arbres se détachant sur un pan de colline et une trouée de ciel à la tombée du jour. Bernwiller y est parfois reconnaissable grâce à la silhouette de l'église mais, le plus souvent, il s'agit d'un paysage alsacien idéal sans notation topographique précise. Ces dessins et peintures constituent une partie intime de son œeuvre car jamais exposée du vivant de l'artiste. Cette production atypique s'éloigne de la veine pittoresque de ses compatriotes Théodore Lix, Gustave Brion ou Camille Pabst.

Jean-Jacques Henner
Route de Galfingen avec le vieux cerisier et la croix, vers 1876
Huile sur toile

Vallée de Munster, effet noté après l'orage, vers 1879
Huile sur bois

Non identifié 

Et on termine la visite par l'atelier pour revoir les fameux tableaux, La Vérité et les Naïades 
La vérité 1898
et Les Naïades 1877 
Huiles sur toile

Le tableau La Vérité est une première version de l'œuvre, aujourd'hui disparue, commandée en 1896 pour la Salle des Autorités de la Sorbonne à Paris. On a pu y voir une référence à la phrase d'Émile Zola à propos de l'affaire Dreyfus : "La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera". Deux figures féminines superposées apparaissent car Jean-Jacques Henner a recommencé son tableau sur la même toile tournée à quatre-vingt-dix degrés. JJHP 292, donation Marie Henner

Il s'agit d'une commande privée pour la salle à manger de l'hôtel particulier de M. et Mme Soyer, 43 rue du Faubourg Saint Honoré à Paris. Le peintre connaissait leur gendre, Paul Sédille, l'architecte des Magasins du Printemps. Marie Henner le rachètera pour le musée qui conserve de nombreux dessins et études préparatoires pour ce tableau.

mercredi 26 janvier 2022

Paris Athènes, naissance de la Grèce moderne, 1675-1919 au musée du Louvre en janvier 2022

Belle scénographie pour cette commémoration dont voici là présentation :

Nous fêtons en 2021 le bicentenaire de deux événements de l'histoire européenne dont la concomitance n'est pas gratuite. Le 25 mars 1821 marque traditionnellement le début de la guerre d'indépendance qui aboutit à la naissance de l'Etat grec moderne. En avril de la même année, la Venus de Milo entrait dans les collections du Louvre et, première grande antique grecque du musée, acquérait le statut de chef-d'oeuvre mondialement connu. Cette exposition se propose de comprendre la place de l'art grec dans un musée à vocation universelle, comme le Louvre, à la lumière de l'histoire moderne de la Grèce. Elle mêle objets archéologiques, peintures, sculptures, vêtements et photographies afin de mieux comprendre cette période fondamentale pour la constitution de l'identité culturelle grecque moderne et européenne.

Le fil conducteur donné par les deux dates retenues, 1675 et 1919. permet de suivre durant plus de deux siècles les liens culturels, artistiques et diplomatiques entre la France et la Grèce. En 1675, l'ambassade du marquis de Nointel en route vers Constantinople fait une halte à Athènes et y découvre une province de l'Empire ottoman. En 1919, la Grèce est dans le camp des vainqueurs de la Première Guerre mondiale et négocie à Paris la mise en œuvre de la « Grande Idée», qui voudrait rassembler tous les Grecs dans un seul territoire. Entre ces deux dates est née une nouvelle nation européenne dont on suivra pas à pas la construction de l'identité culturelle et le rôle que la France a joué dans cette histoire

Abbaye de Zaraka (région de Corinthe) Vers 1225-1236
Clef de voûte d'arêtes à visage feuillu
Grès
Il s'agit probablement d'une clef de voûte d'arêtes du porche de l'abbaye de Zaraka. Fondée vers 1225-1236 par l'église latine, par les croisés de la principauté d'Achaïe (Morée), l'abbaye est une exception gothique dans un territoire byzantin. Ce type de masque feuillu est un motif populaire de l'art médiéval en Occident, qui pourrait symboliser la fécondité et la renaissance de la nature.
Clermont, musée du château de Chlemoutsi, inv. HA585 Éphorie des antiquités d'llia
Anonyme de Nointel
Jacques Carrey Troyes, 1649-Troyes, 1726 ou Amould de Vuez Saint-Omer, 1644-Lille, 1720
L'Ambassade du marquis de Nointel à Athènes
Huile sur toile, vers 1674
Lors de son voyage dans les « Echelles du Levant»>, le marquis de Nointel (1635-1685), ambassadeur de Louis XIV auprès de la « Sublime Porte », s'arrête avec sa suite à Athènes. Il se fait représenter devant l'Acropole par l'un des peintres de sa suite. Le marquis se trouve au premier plan dans un long caftan rouge, tandis qu'à l'arrière-plan se dessine la ville d'Athènes, petite bourgade sur les pentes de l'Acropole, dominée par le Parthénon transformé en mosquée. Nous sommes quelques années avant son bombarde ment en 1687 lors d'un conflit turco-vénitien.
Chartres, musée des Beaux-Arts, Inv. 4383. En exposition au musée de la Ville d'Athènes
Atelier du musée du Louvre
XIXe siècle
Tirage de la 31e métope sud du Parthénon, représentant un centaure et un Lapithe
Plâtre
Oeuvre originale: Athènes, 447-440 av. J.-C., conservée au British Museum, Londres
Un tirage en plâtre de cette métope avait été réalisé par L.-F-.S. Fauvel lors de son séjour à Athènes dans le cadre de sa campagne de prises d'em preintes en vue de documenter les reliefs du Parthénon. Il fut détruit lors de l'incendie de sa maison en 1825. II s'agit ici d'un autre tirage ancien. La métope d'origine est conservée au British Museum à Londres, rapportée par Lord Elgin en 1802.
Nikolaos Kantounis Zante (Îles ioniennes), 1767- Zante, 1834
Résurrection du Christ
Huile sur bois
Le Christ est représenté sortant triomphalement de son tombeau, entouré d'anges. Deux soldats assistent à la scène. Nikolaos Kantounis est l'un des plus grands artistes de l'école de peinture ionienne de tradition occidentale. Il reprend ici une iconographie traditionnelle en ajoutant des éléments fortement influencés par l'art baroque et rococo, comme le rendu naturaliste ou l'attention à l'expression et aux effets dramatiques.
Musée de Zante, inv. 171 Éphorie des antiquités de l'lle de Zante
Attribué à Stylianos Stavrakis XVIIIe siècle
Le poisson monstrueux recrachant Jonas
Tempera sur panneau de bois
Le peintre représente l'épisode biblique où le prophète Jonas est recraché par le monstre marin après avoir passé trois jours dans ses entrailles. La représentation de la scène, très éloignée des modèles byzantins et post-byzantins, annonce l'apparition de l'école de peinture ionienne d'influence occidentale. L'iconographie est tirée d'une gravure de l'artiste flamand Johan Sadeler (1550-1600). L'expressivité de Jonas annonce l'attention aux expressions théâtrales de la fin du XVIII° siècle que l'on retrouve en particulier chez Nikolaos Kantounis.
Musée de Zante, inv. 132
Éphonie des antiquités de l'île de Zante (mer ionienne)
Attribué à George Markou ou son atelier Première moitié du XVe siècle
La Dormition de la Vierge
Tempera sur panneau de bois
L'icône reprend les éléments traditionnels de l'iconographie de ce thème de la mort de la Vierge dans la tradition byzantine des XIV et xv^ siècles. Le Christ se trouve derrière sa mère, et tient son âme dans les bras, représentée comme un enfant emmailloté. La Vierge est entourée des apôtres et de saints. Les éléments archi tecturaux sont inspirés de la Renaissance italienne dont les modèles circulent en Grèce.
Koropi, église de la Dormition de la Vierge (Attique)
Fin du XVIIe siècle La Fuite en Égypte. La Traversée du Nil
Tempera sur bois
Après la Nativité à Jérusalem, la Sainte Famille fuit le roi Hérode et se rend en Égypte. Cette représentation de l'épisode puise son iconographie dans la peinture de la Renaissance italienne. Le peintre ionien anonyme à l'origine de cette peinture a dû connaître ce sujet par le biais de gravures. De la tradition byzantine, il ne conserve que l'isolement des personnages par rapport au paysage.
Musée de Zante, inv. 131 Ephorie des antiquités de l'île de Zante (mer ionienne)
Stéphane Tzangarolas Crète (?), fin du XVIIe siècle (?) - Crète (?), début du XVIIIe siècle (?)
Saint Jacques Adelphothéos ()
Tempera sur panneau de bois, 1688
Le moine Stéphane Tzangarolas s'inscrit au sein de l'école de peinture ionienne qui fait suite au départ de peintres crétois vers les îles de la mer ionienne tenues par les Vénitiens à la suite de la conquête de la Crète par les Turcs: Corfou, Zante...
Sans s'éloigner de l'iconographie traditionnelle du saint, premier évêque de Jérusalem, le peintre a recours aux gravures flamandes en circulation. Il est également fortement influencé par le maniérisme et le baroque avec un sens du détail proche de la calligraphie.
Athènes, musée Bénaki, Inv. 3012 Église de la sainte Trinité, île de Corfou (mer ionienne)
Michael Damaskinos 1530/1535-1592/1593
L'Adoration des mages
Tempera sur panneau de bois Vers 1583
L'icône appartient à un ensemble de six icônes peintes par Michael Damaskinos pour le katholikon (église principale) du monastère de Vrontisi (Crète) autour de 1583. L'Adoration des mages, thème traité avec une richesse exceptionnelle par l'artiste, est aussi fréquemment repris dans l'art occidental que par les iconographes crétois des XV et XVIe siècles. L'icône, alliant la technique picturale byzantine et les éléments renaissants et maniéristes, témoigne de l'influence exercée par la peinture vénitienne contemporaine.
Héraklion, musée de Sainte-Catherine, Crète, Inv. Maa8
Attribué
à Angelos Akotantos XVe siècle
Sainte Anne
avec la Vierge Marie et le Christ
Tempera sur panneau de bois Vers 1450
L'iconographie de sainte Anne portant la Vierge à l'Enfant est rare dans la peinture post-byzantine et est probablement inspi rée de la Renaissance italienne.
L'attribution est aujourd'hui discutée, mais l'icône serait toutefois l'œuvre d'un peintre crétois contemporain d'Angelos. Elle témoigne de la double origine, byzantine et vénitienne, de l'art crétois du XV° siècle.
Musée de Zante, MZ 85
Éphorie des antiquités de l'île de Zante (mer ionienne)

LA GRÈCE RÉVÉLÉE 1675-1821, UNE PROVINCE DE L'EMPIRE OTTOMAN

L'ART BYZANTIN ET « POST-BYZANTIN » EN GRÈCE

À la mort de l'empereur Théodose en 395, la partie orientale de l'Empire romain, de langue grecque, maintient l'héritage de Rome dans ce que nous appelons « l'Empire byzantin »... En 1204, la quatrième croisade, détournée sur Constanti nople, conduit à la création d'États «latins», soumis à la république de Venise ou formant des principautés franques autonomes.

À la chute de l'empire en 1453, la Grèce conserve de cette histoire médiévale son identité culturelle liée à ce patrimoine byzantin en contact avec le monde occidental notamment via Venise. La tradition de la peinture d'icône y perdure et évolue du 15e au 19e siècle, avec des peintres comme Andréas Ritsos ou Angelos Akotantos au 15e siècle, Michael Damaskinos ou Domínikos Theotokópoulos, dit le Greco (1540-1614) pour le 16e siècle, Emmanuel Lambardos ou Stéphane Tsangarolas au xvII° siècle, Stylianos Stavrakis ou Georges Markou au 17e siècle, et Nicolas Cantounis (1767-1834), un des grands peintres d'histoire grecs du début du 19e siècle.

Théodoros Vryzakis Thèbes, 1814 ou 1819 - Munich, 1878
Lord Byron à Missolonghi
Huile sur toile, 1861
Théodoros Vryzakis est l'un des premiers peintres de la Grèce libre. Il se forme à Munich, où il se spécialise dans le genre historique. Il voyage en Angleterre et à Paris avant d'entrer à l'Académie des beaux-arts de Munich. Il représente le poète anglais Lord Byron venu combattre à Missolonghi pendant la guerre d'indépendance en 1824. Au centre de la toile, le poète est acclamé par le patriarche, les soldats et le peuple grec qui saluent son engagement.
Athènes, Pinacothèque nationale-musée Alexandroa Soutsos, Inv. 1298. Don de l'Université
Pierre-Jean-David d'Angers Angers, 1788 - Paris, 1856
Jeune grecque au tombeau de Markos Botzaris
Plâtre, 1827
Modèle original en plâtre pour la sculpture funéraire en marbre du général grec à Missolonghi, la Jeune grecque de David d'Angers personnifie la guerre pour l'indépendance grecque. La jeune fille représente la nouvelle nation.

Dans son ouvrage Voyage pittoresque de la Grèce, édité en 1782, le comte de Choiseul-Gouffier déplorait la perte de l'identi té grecque au profit des traditions ottomanes. Il est l'un des premiers philhellènes, « ami de la Grèce », à défendre son indépendance. Dans les années 1820 grandit un peu partout en Europe et aux États-Unis ce philhellénisme: artistes et intellectuels s'engagent en faveur des Grecs, alors même que commence la guerre d'indépendance (1821-1829). Dans un contexte de montée des nationalismes en Europe, d'influence de la philosophie des Lumières et d'affaiblissement de l'Empire ottoman, cette guerre que l'histoire nationale fait commencer le 25 mars 1821 émeut l'opinion internationale. par des combats féroces demeurés célèbres: massacres de Scio (1822), siège de Missolonghi (1825-1826), bataille de Navarin (20 octobre 1827) où s'affrontent les flottes ottomanes, russes, anglaises et françaises. Les cercles philhellènes organisent alors des événements dans le but de récolter des fonds pour aider les civils grecs. A Paris est organisée en 1826, galerie Lebrun, une grande exposition au profit des Grecs». En Grèce même la présence des flottes militaires occidentales dans les Cyclades, à Milo notamment, ou celle des troupes de l'expédition de Morée (1828-1833) accompagnées par des artistes et des savants, favorisent une nouvelle curiosité pour les témoignages de l'Antiquité.

Ary Scheffer Dordecht (Pays-Bas), 1795 Argenteuil, 1858
Les Femmes souliotes
Huile sur toile, 1827
Ary Scheffer, proche d'Eugène Delacroix, présente cette toile au Salon de 1827, à l'apogée de la mobilisation au profit du peuple grec. Il traite d'un événement antérieur à la guerre d'indépendance grecque : en 1803, lors d'un premier conflit gréco-turc, les hommes souliotes sont vaincus par les troupes turques d'Ali, pacha de Tebelen. Préférant la mort à la soumission aux Ottomans, les femmes souliotes jettent leurs enfants par-delà la falaise, avant de s'y jeter elles-mêmes.
Paris, musée du Louvre, département des Peintures, Inv. 7857

Horace Vernet Paris, 1789 - Paris, 1863
Incendie d'un navire turc
Huile sur toile, 1822
Horace Vernet est formé dans l'atelier de son père Carle Vernet (1758-1836). Durant sa jeunesse, il côtoie notamment le peintre Théodore Géricault (1791-1824) qui lui donne probablement le goût pour l'Orient. Horace Vernet peint plusieurs toiles sur le sujet de la guerre d'indépendance grecque, dont plusieurs sont présentées à l'exposi tion de la galerie Lebrun en 1826.
Athènes, musée Bénaki, Inv. 8992

Jean-Michel Mercier Versailles, 1786 - Paris, 1874
Réfugiés de Missolonghi
Huile sur toile, vers 1830
Jean-Michel Mercier, marqué par le phil hellénisme et la guerre d'indépendance grecque, propose une vision différente de la bataille de Missolonghi. La bataille et la chute de la ville sont laissées à l'arrière-plan pour proposer, au centre, une vision plus émotionnelle et sensible avec la fuite des réfugiés de Missolonghi.
Athènes, musée Bénaki, Inv. 12944

Peintre anonyme actif à Athènes au XIXe siècle
Sophie de Marbois-Lebrun, duchesse de Plaisance
Huile sur toile
Sophie de Marbois (1785-1854), duchesse de Plaisance, est une personnalité liée au Premier Empire, en France. Ardente philhellène, elle s'installe en Grèce en 1830. Sa demeure, la villa llissia, accueille le Musée byzantin et chrétien d'Athènes depuis 1930.

Théodoros Vryzakis Thèbes, 1814 ou 1819 - Munich, 1878
Épisode du siège de Missolonghi
Huile sur toile, 1853
Vryzakis choisit de représenter un des événements les plus symboliques de la guerre d'indépendance grecque: le siège de Missolonghi en 1824. Assiégés par les Ottomans, les Grecs tentent une sortie, avant de se faire exploser avec leurs poudrières.

On comprend avec cette toile l'importante revendication religieuse de la révolution grecque. Reprenant la structure baroque de la représentation du martyre, le peintre divise sa toile en deux registres, céleste et terrestre. Cette peinture, romantique dans l'esprit, conserve les codes néo classiques enseignés aux artistes grecs.
Athènes, Pinacothèque nationale musée Alexandros Soutsos, Inv. 5446

Eugène Delacroix peint plusieurs toiles pour soutenir les Grecs dans leur indépendance. Il n'est jamais allé en Grèce, mais un voyage au Maghreb en 1831 lui fournit les modèles d'une "Antiquité vivante".
Eugène Delacroix Charenton-Saint-Maurice, 1798 - Paris, 1863
La Grèce sur les ruines de Missolonghi
Huile sur toile, 1826
Exposée en 1826 à la galerie Lebrun dans une vente au profit des Grecs, cette toile d'Eugène Delacroix représente la Grèce, personnifiée par cette femme qui reprend les canons de la sculpture grecque antique, mais vêtue à la mode grecque modeme. Prostrée sur les ruines de Missolonghi, elle pleure la défaite de son peuple et la prise de la ville par les Ottomans. Delacroix, avec Ary Scheffer et Horace Vernet, s'inscrit dans la veine philhellène, en faisant ainsi hommage à Lord Byron, mort à Missolonghi en 1824.
Bordeaux, musée des Beaux Arts.

LA GUERRE DE LIBÉRATION ET LE PHILHELLENISME 1821-1833
L'EXPÉDITION SCIENTIFIQUE DE MORÉE

Après la prise de Missolonghi par les Turcs (1826), la France décide - aux côtés de la Russie et de l'Angle terre d'envoyer en Grèce de 1828 à 1833, une expédition militaire pour libérer le Péloponnèse (Morée). Le corps expéditionnaire français compte 15 000 hommes et est dirigé par le général Nicolas-Joseph Maison. À l'imitation de la campagne d'Égypte de Napoléon Bonaparte, cette expédition militaire se double d'une expédition scientifique réunissant 19 savants. Abel Blouet (1795-1853), à la tête de la section d'architecture et de sculpture, publie de 1831 à 1838 trois volumes consacrés à l'architecture, à la sculpture et aux inscriptions.

Tirage de la statue d'Aphrodite, dite Vénus de Milo
Tirage en plâtre d'un original grec datant de 150-125 av. J.-C.
Découverte en 1820 sur l'île de Mélos, la Vénus de Milo entre dans les collections du Louvre en mars 1821. Chef-d'oeuvre de la sculpture grecque classique, elle devient un modèle incontournable pour l'étude de l'Antiquité. De nombreux tirages en plâtre sont réalisés par les ateliers du Louvre, contribuant à diffuser ce modèle en France, et notamment dans les universités.

Milo (archipel des Cyclades) 100-30 av. J.-C.
Tête de prêtre
Marbre
Cette tête de prêtre est acquise par le colonel Rottiers (1771-1857) en 1825 lors des fouilles qu'il entreprend en Grèce et particulièrement à Milo, où il fait escale. Datée de la fin de l'époque hellénistique, cette tête avait été mise au jour près du lieu de découverte de la Vénus.

Antiphanes de Paros Jer siècle av. J.-C. - 1er siècle ap. J.-C.
Hermès de Milo
Marbre
Cet Hermès a été trouvé en 1827 par un marchand hollandais à proximité du lieu de découverte de la Vénus. Après avoir été rapporté par bateau à Marseille, il fut acheté par un marchand allemand et se trouve désormais dans les collections de sculptures du musée berlinois. L'altération de sa surface rend sa datation complexe, mais il s'agit probablement d'une copie de l'époque hellénistique. Trouvée dans les vestiges du gymnase antique, la sculpture a rapidement été rapprochée du dieu protecteur du gymnase, Hermès.
Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Antikensammlung, Sk 200

Patras
Ile siècle ap. J.-C.
Fille de Niobé (?)
Marbre
Cette statue féminine a été repérée à Patras à l'occasion de l'expédition scientifique de Morée (1828-1833). Elle est arrivée au musée du Louvre en 1829. Elle appartient à une série de répliques d'époque romaine et pourrait représenter l'une des filles de Niobé, tuée par Apollon et Artémis.
Paris, musée du Louvre,
département des Antiquités grecques, étrusques et romaines

ATHÈNES, NOUVELLE CAPITALE : UN NÉO-CLASSICISM GREC
1834-1878
À l'issue de la guerre d'indépendance grecque, le traité de Constantinople de 1832 permet à la France, au Royaume-Uni et à la Russie de poser, en Grèce, les bases d'un État indépendant. Le roi Othon Ier (1833-1862), d'origine bavaroise, est installé sur le trône grec. Entouré d'artistes et de savants, le roi et son épouse Amalia cherchent à construire une identité culturelle grecque moderne, en puisant dans le patrimoine antique, byzantin et ottoman de la jeune nation..

D'abord située à Nauplie, la capitale est installée en 1834 à Athènes. Inspirée de la Munich de l'architecte Leo von Klenze, la ville nouvelle devient une capitale moderne reprenant le vocabulaire néo-classique et néo-byzantin alors à la mode. Tous les domaines culturels connaissent ce renouveau où se façonne une culture grecque entre tradition et modernité : langue et littérature, presse, costumes de cour, peintures et sculptures d'artistes formés pour la plupart à Munich, création de l'École des beaux-arts, de l'Académie, de la Société archéo logique grecque tandis qu'en 1846 est fondée l'École française d'Athènes, premier institut d'archéologie à l'étranger.

Francesco Pige Grins, (Autriche), 1822-?, 1862
Kyriakoula Voulgari, épouse d'Antonios Kriezis
Huile sur toile, 1850-1852
Peintre d'origine tyrolienne travaillant en Grèce, Francesco Pige nous a laissé la plus magnifique galerie de la société grecque dans les premières années de l'indépen dance. Kyriakoula était l'épouse d'Antonios Kriezis, homme politique grec, et faisait partie de l'entourage de la reine Amalia. La précision et la clarté des portraits de Pige rappelle les portraits flamands du XVe siècle, ou la tradition très dessinée des peintres néo-classiques français.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. K762 Collection de la Fondation Euripidis Koutlidis

Kalamata, Péloponnèse 1840-1860
Costume de cour, conçu par la première reine de Grèce Amalia, ayant appartenu à Kleopatra Karizopoulou
Soie, velours, feutre, perles, broderie en cordonnets d'or, dentelle à l'aiguille en fil de lin, argent, or, diamants
Ce costume allie les traditions grecques et ottomanes à la modernité bavaroise. La soie dans laquelle il est confectionné provient d'Europe ; la coupe allie la taille resserrée du style Biedermeier à la mode en Bavière, et la tradition orientale du bustier et des manches ouvertes. Le gilet de ve lours brodé est de tradition grecque. Ce costume devint très vite le « costume national »>, dit «< costume Amalia » et se diffusa très rapidement.
Athènes, musée Bénaki, Inv. FOR238

Athènes
Premier quart du XXe siècle
Costume ayant appartenu à Marie Bonaparte, épouse du prince Georges de Grèce
Soie, feutre, velours, passementerie, broderie en cordonnets d'or, dentelle aux fuseaux en fils métalliques, or, diamants, rubis, améthystes, turquoise, émail
Athènes, musée Bénaki, Inv. FOR220 Library of Congress
Photographie : La reine Olga et ses dames de compagnie, vers 1885 Photography Archive of the National Historical Museum/
loannis Vitsaris Athènes, 1843- Athènes, 1892
Plâtre, 1872
Esprit de deuil
loannis Vitsaris est un sculpteur qui dépasse les limites du courant néo classique, qui domine alors la sculpture grecque moderne. L'œuvre est un plâtre de la partie supérieure du tombeau de Nikolaos Koumelis au cimetière d'Athènes. Le modèle est emprunté à Christian Siegel, un sculpteur allemand. Vitsaris en garde la forme mais en y introduisant dans le traitement du corps un réalisme issu de sa connaissance de la sculpture française.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. EK.6

Polychronis Lembésis Salamine, 1848 - Athènes, 1913
Areios Pagos / La Colline de l'Aréopage
Huile sur toile, 1880
Polychronis Lembésis et Périclès Pantazis ont sans doute peint le rocher de l'Aréopa ge en même temps comme il était de coutume chez les peintres impressionnistes. Il est intéressant de noter les différences de traitement dans les deux toiles : Lembésis, formé à Munich, s'attache à une représentation minutieuse, tandis que Pantazis, qui est formé à Bruxelles et plus proche de l'impressionnisme, utilise un brossage plus libre. L'Aréopage est, dans la Grèce classique, l'emplacement du tribunal athénien.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. 2424 Legs Zoé A. Soutzou
Périclès Pantazis Athènes, 1849 - Bruxelles, 1884
Areios Pagos / La Colline de l'Aréopage
Huile sur toile, 1880
Athènes, Pinacothèque nationala - musée Alexandros Soutsos, Inv. 3154

Georgios lakovidis Île de Lesbos (Grèce), 1853
Athènes, 1932
Le Jardin du Palais Royal, avec l'Acropole et la colline de Philopappos
Huile sur toile, 1901
Georgios lakovidis est formé aux Beaux Arts d'Athènes et de Munich. Il reste de nombreuses années dans la ville allemande et devient un peintre à la renommée internationale et aux nombreuses distinctions. Il conserve de sa formation allemande un sévère naturalisme académique qu'il trans met à ses élèves de l'École des beaux-arts d'Athènes. À son retour en Grèce, il dirige la Pinacothèque d'Athènes.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. K600 Collection de la Fondation Euripidis Koutlidis

Léonidas Drossis Nauplie, 1834 - Naples, 1882
Pénélope
Marbre, 1873
Leonidas Drossis appartient à la première génération de sculpteurs grecs qui ont fondé l'École des beaux-arts d'Athènes dans l'esprit du néo-classicisme allemand. La Pénélope est une commande du roi George ler de Grèce (1845-1913) pour l'esca lier du palais royal d'Athènes. Elle fait partie du cycle mythologique de Drossis. Sa pose reprend celle de l'Aphrodite assise attribuée à Phidias, connue par l'Agrippine du Capitole, et déjà imitée pour la statue de Letizia Bonaparte par Antonio Canova.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. 508

Yannoulis Chalepas Île de Tinos (Grèce), 1851 - Athènes, 1938
Tête de satyre
Plâtre, 1878
Yannoulis Chalepas est un artiste majeur de l'école de sculpture grecque moderne mais dont la carrière a été interrompue par la manifestation de maladie mentale. La Tête de satyre est l'une des dernières œuvres de sa première période créative, avant une longue interruption due à la maladie. C'est un portrait réaliste et psychologique, dont la personnalité est traduite par le regard vif et le sourire énigmatique.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos. Iny. 1304

Niképhoros Lytras Île de Tinos (Grèce), 1832 - Athènes, 1904
Antigone et Polynice Huile sur toile, 1865
Après un combat à mort contre son frère Étéocle, Polynice, l'autre frère d'Antigone, n'a pas le droit aux honneurs funéraires. Antigone, ne voulant le laisser sans sépulture, brave l'interdit et se voit condamnée à mort. L'artiste représente le moment le plus dramatique du récit. Le fort jeu de clair-obscur, la densité de la peinture noire et le vol des corbeaux sur la droite de la toile accentuent le côté lugubre du récit.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. 3758

Nikolaos Gyzis
Île de Tinos (Grèce), 1842- Munich, 1901
L'Araignée
Huile sur panneau de bois, 1884
Après sa formation à Munich où il restera jusqu'à sa mort, Gyzis a voyagé en Europe et a été ainsi au contact de nombreux artistes. L'Araignée qu'il peint en 1884 est une toile symboliste, un mouvement proche des considérations spirituelles chères au peintre.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. 4072 Legs Héléni Christomanou ©Athènes, National Gallery Nexandros Soutsos Museum

Nikolaos Gyzis Île de Tinos (Grèce), 1842 - Munich, 1901
L'Archange
Huile sur toile, 1895
Nikolaos Gyzis développe à la fin de sa vie un très fort sentiment religieux qui se retrouve dans ses toiles. C'est dans ce contexte qu'il exécute cette étude pour le Fondement de la Foi, qu'il ne réalisera jamais. L'archange, probablement Michel, tue le dragon à l'aide de la croix du Christ. Probablement tiré de l'Apocalypse de saint Jean, le sujet est empreint d'un fort symbolisme.
Athènes, Pinacothèque nationale musée Alexandros Soutsos, Inv. 548

Dominique Papety
Marseille, 1815 - Marseille, 1849
Le duc de Montpensier et sa suite visitant les ruines d'Athènes
Huile sur toile, 1848
Après son passage à l'Académie de France à Rome, Papety se rend en Grèce. Il accorde un intérêt particulier à la préci sion archéologique, ce qui pousse le duc de Montpensier à demander au peintre de l'accompagner à Athènes en 1847 pour le représenter, avec sa suite, visitant les ruines d'Athènes. Dans cette scène, les membres de la cour orléanaise, reconnaissables par leurs vêtements à la mode occidentale, figurés dans les ruines du temple de Jupiter Olympien, et accueillis par des grecs vêtus de costumes traditionnels.
Versailles, musées des châteaux de Versailles et du Trianon

Athènes Vers 1500 avant J.-C.
Vaisselle: neuf vases provenant des fouilles d'Emile-Louis Burnouf à Théra (Santorin), 1870
Terre cuite
L'école française d'Athènes organise pour la première fois une campagne de fouilles systématiques, en 1870 à Santorin. De nombreux vases et récipients demeurés intacts et parfois encore remplis de lentilles ou céréales sont mis au jour. Les archéologues découvrent une Grèce plus ancienne que celle connue par la littérature classique.

L'ÉPOQUE DES GRANDES FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES 1873-1903
LA GALERIE D'ART GREC DE RAVAISSON-MOLLIEN : L'ÉTAT DES CONNAISSANCES EN 1862
Félix Ravaisson-Mollien (1813-1900), philosophe et archéologue français, est chargé en 1860 de rassembler une collection de moulages des plus grands chefs-d'œuvre connus de l'art grec. Cette collection avait pour but de diffuser le modèle grec dans le cadre de la réforme de l'enseignement du dessin des lycées français. Cet essai de classification de l'art grec fait l'objet d'une exposition au Palais de l'Industrie à Paris en 1862. Parmi cent-vingt sculptures en plâtre, la plupart sont des répliques de sculptures romaines, copies ou imitations rétrospectives des originaux grecs disparus. Avant les grandes fouilles de la fin du xixe siècle, la connaissance de l'archéologie de la Grèce est en effet très limitée.

L'ÉPOQUE DES GRANDES FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES 1873-1903
Dès 1837, la Grèce se dote d'une Société archéologique grecque destinée à promouvoir et à explorer le patrimoine antique, mais aussi à le protéger en interdisant l'exportation des antiquités. Symboliquement, pour un jeune État qui recouvrait sa souve raineté, les premières fouilles ont lieu dans la nouvelle capitale, Athènes, et particulièrement sur l'Acropole. Mais la tâche est immense et peu à peu l'État grec propose des concessions de fouilles à divers instituts étrangers dont l'École française d'Athènes fondée en 1846. Cet essor de l'archéologie suit le développement territorial du pays vers le nord, notamment à la fin du siècle. Une discipline scientifique naît progressive ment car la connaissance matérielle de la civilisation de la Grèce antique est encore très lacunaire. Grâce à la photographie, à la pratique du moulage, à l'établissement d'une documentation précise, à d'ambitieuses publications des corpus, les archéo logues comprennent et valorisent de mieux en mieux leurs découvertes. C'est le temps des grandes fouilles qui explorent Olympie, Delphes, Délos, Corinthe, Mycènes ou Cnossos. En une génération à peine notre connaissance de la Grèce antique est bouleversée. La France peut montrer fièrement à l'Exposition universelle de Paris en 1900 sa contribution à cette aventure humaine.

Apollon de Ténéa
Tirage en plâtre, 1859-1860 Euvre originale : grecque, vers 570-550 av. J.-C., Munich, Glyptothèque
Paris, musée du Louvre Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles

Statue dite Coureuse Laconienne ou Coureuse Barberini
Tirage en plâtre, 1859-1862
Euvre originale : œuvre romaine, pastiche 1er siècle av. J.-C., Rome, musées du Vatican
d'une création de style sévère,
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque,
Petite Écurie du roi, Versailles

Surtirage parisien, atelier de moulage des Musées impériaux, Paris
Victoire de Brescia
Tirage en plâtre, 1860-1890 Euvre originale: bronze romain exécuté entre l'an 25 et l'an 50 de notre ère, d'après un bronze original grec daté du dernier quart du IVe siècle av. J.-C. (?) Paris, musée du Louvre
Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 0204

Leopoldo Malpieri
(mouleur)
Buste de Ménélas, dit le Pasquino
Tirage en plâtre, entre 1858 et 1860 Euvre originale : réplique romaine d'après un original de l'école de Pergame, seconde moitié du Ille siècle av. J.-C., Rome, place de Pasquino
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 0934

Banchelli (mouleur)
Arrivé à Paris en 1859
Groupe
dit « Hercule et Antée >>
Tirage en plâtre, 1858
Euvre originale: copie romaine en marbre, d'après une œuvre grecque de l'école de Pergame (?), datée entre 240 et 230 av. J.-C., Florence, jardins de Boboli
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 0560

L'ÉPOQUE DES GRANDES FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES 1873-1903
LA GRANDE FOUILLE DE DELPHES 1892-1903
Située en Grèce centrale, au pied du mont Parnasse, Delphes, considérée comme le centre du Monde connu, abritait dans l'Antiquité le plus célèbre sanctuaire oracu laire dédié à Apollon qui parlait aux hommes par l'entre mise de sa prêtresse, la Pythie.
Après une première fouille limitée en 1861-1862, l'École française d'Athènes obtint de la Grèce une concession de fouille pour dix ans de 1892 à 1903. Théophile Homolle mit alors en œuvre des moyens considérables grâce à une subvention exceptionnelle du Parlement français : achat maison par maison et déplacement du village moderne qui occupait le site; construction de 1 800 mètres de voies Decauville pour évacuer les déblais, recours à des centaines d'ouvriers, usage systématique et pionnière de la photo graphie et du moulage pour diffuser les découvertes... Les résultats sont à la mesure des attentes et font l'objet d'une exposition au Louvre dans une galerie de Delphes créée dès 1896, à l'Exposition universelle de Paris de 1900 puis sur les paliers de l'escalier de la Victoire de Samothrace de 1901 à 1934. Rodin, Debussy, Fortuny ou Isadora Duncan y découvrent alors une autre Grèce.

Artémis de Nicandré
Tirage en plâtre, 1875-1925
Euvre originale: Délos, Artémision,
vers 640-630 av. J.-C., conservée à Athènes, musée national d'Archéologie
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 0023

Apollon de Délos
Tirage en plâtre, XIXe siècle Œuvre originale : adaptation d'époque hellénistique (vers 100 av. J.-C.) d'une œuvre attribuée à Polyclète, datée de 430-420 av. J.-C., provenant de l'Artemision de Délos et conservée au musée national d'Archéologie d'Athènes
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 0265

Stèle funéraire de Rhénée (Cyclades
Tirage en plâtre, 1837-1890
Euvre originale : dernier quart du lle siècle av. J.-C., conservée à Athènes
Paris, musée du Louvre Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 1648

Maquette de la maison du trident de Délos
Plâtre, XIXe siècle
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 2085

L'ÉPOQUE DES GRANDES FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES 1873-1903
LA FOUILLE DE DÉLOS 1873-1913

Située au centre de l'archipel des Cyclades, l'île de Délos était célèbre dans l'Antiquité pour avoir été le lieu de nais sance d'Artémis et d'Apollon. Sa situation géographique et ses ports naturels en firent une riche cité commerçante connue pour ses temples et ses quartiers d'habitations, mais aussi pour son port déclaré «< franc» par les Romains, ce qui lui valut sa prospérité.

L'École française d'Athènes entreprit une fouille systéma tique de l'île entre 1873 et 1913. Les archéologues, sous la direction d'Albert Lebègue puis de Théophile Homolle, explorèrent les sanctuaires (d'Apollon, d'Artémis, de Léto, des dieux étrangers...), mais aussi le quartier du théâtre avec ses riches maisons décorées de mosaïques, qui livra un matériel abondant illustrant la vie quotidienne. Moulages des sculptures originales envoyées à Athènes, relevés des mosaïques et des peintures, maquettes des maisons révélèrent en France ces découvertes qui révolutionnèrent notre connaissance des cités grecques antiques.

Camille Lefèvre
Issy-les-Moulineaux, 1853 - Paris, 1933
Délos,
quartier du théâtre
Aquarelle sur mine de plomb

Camille Lefèvre
Issy-les-Moulineaux, 1853 - Paris, 1933
Délos,
fontaine minoenne, essai de restauration
Aquarelle sur mine de plomb
Tours, musée des Beaux-Arts

Henri-Paul Nénot Paris, 1853 - Paris, 1934
Sanctuaire d'Apollon à Délos. Restauration générale
Aquarelle, encre de Chine, encre rouge, marouflage sur papier, 1882
Les élèves architectes de l'École des beaux arts titulaires du Grand Prix doivent adresser des propositions de restitution de sites grecs ou romains.
L'architecte Henri-Paul Nénot, sous la direction de Théophile Homolle, propose une restitution du site de Délos. C'est le premier à s'intéresser à l'urbanisme d'une cité grecque. Sur cette grande aquarelle, Paul Nénot s'attache à la restauration du sanctuaire.
Paris, Beaux Arts, Inv. Env 72-03

Atelier de Giovanna Buda Aurige de Delphes
Tirage en plâtre, entre 1896 et 1900 Exposition universelle de 1900 Euvre originale : vers 470 av. J.-C., conservée à Delphes
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque,
Petite Écurie du roi, Versailles

Atelier
de Giovanna Buda
La colonne aux danseuses
Tirage en plâtre, entre 1896 et 1900
Exposition universelle de 1900 oeuvre originale : vers 330 av. J.-C., conservée à Delphes
Euvre restaurée grâce au mécénat de la Fondation Placoplatre
Paris, musée du Louvre
Gypsothèque, Petite Écurie du roi, Versailles, Inv. Gy 0093

Atelier
de Giovanna Buda Antinoüs de Delphes
Tirage en plâtre, entre 1896 et 1900 Exposition universelle de 1900 Œuvre originale: Delphes, sanctuaire d'Apollon, œuvre romaine d'époque impériale, époque d'Hadrien, vers 130-138 ap. J.-C., conservée à Delphes
Paris, musée du Louvre Gypsothèque,
Petite Écurie du roi, Versailles

Atelier de Giovanna Buda
Homme âgé, dit « Socrate >>
Tirage en plâtre, entre 1896 et 1900 Exposition universelle de 1900 Euvre originale: Delphes, vers 300 av. J.-C.
Paris, musée du Louvre Gypsothèque,
Petite Écurie du roi, Versailles

Atelier de Giovanna Buda
Agias
Tirage en plâtre, entre 1896 et 1900 Exposition universelle de 1900 Euvre originale : vers 340 av. J.-C., conservée à Delphes
Paris, musée du Louvre

Albert Tournaire Nice, 1862 - Paris, 1934
Sanctuaire d'Apollon
à Delphes (détail)
Aquarelle, encre brune, marouflage sur papier, 1894
Albert Tournaire proposa une restitution du sanctuaire de Delphes montrée à l'Expo sition universelle de Paris en 1900 : d'une part, l'état actuel en ruine et, d'autre part, un état restauré. Albert Tournaire montre à la fois des détails très pittoresques, les conditions de la fouille et, suivant les descriptions de Pausanias et les indications des fouilleurs, veut évoquer un état révé du lieu en juxtaposant des bâtiments qui n'existèrent pas à la même époque.
Paris. Beaux Arts

Atelier de Giovanna Buda
Le sphinx des Naxiens
Tirage en plâtre, entre 1896 et 1900 Exposition universelle de 1900 Œuvre originale : 570-560 av. J.-C., conservée à Delphes
CEuvre restaurée grâce au mécénat de la Fondation Placoplatre
Paris, musée du Louvre

VIIe siècle av. J.-C.
Bronze
Protomé de griffon ornant le chaudron d'un trépied
Le griffon, animal hybride entre le lion et l'aigle, est connu dès la fin de l'âge du bronze en Méditerranée orientale. Hérités des modèles orientaux, ces bustes de griffons correspondent à une production de l'art grec dit "orientalisant" (VIII - VII° siècle av. J.-C.). Ces bustes de griffons étaient utilisés en décor de chaudrons.
Delphes, Musée archéologique

Délos, «maison de Dionysos»
11e-1er siècle av. J.-C.
Dionysos sur une panthère
Mosaïque, tesselles de pierre, mortier
La fouille de Délos, menée à partir de 1873, met au jour des quartiers d'habitations qui permettent de mieux comprendre ce qu'a été un habitat dans l'Antiquité. Composée de multiples tesselles en pierre colorée, cette mosaïque représente le dieu Dionysos arrivant d'Orient sur un félin, traditionnellement identifié à une panthère.


UNE AUTRE GRÈCE
COULEURS ET IDENTITÉ NATIONALE

La Grèce indépendante construit progressivement son identité culturelle tout au long du xixe siècle, puisant dans le riche répertoire des nouvelles découvertes archéologiques pour imaginer affiches, timbres, billets de banque, monnaies ou médailles. Avec les fouilles de Mycènes ou de Cnossos, mais aussi avec la redécouverte des statues et des temples archaïques, l'actualité archéologique impose la question de la couleur de l'art grec antique.

Un atelier d'artistes suisses implantés à Athènes contribue à la fabrique de l'identité nationale. Émile Gilliéron (1850-1924), formé aux Beaux-Arts de Paris, et ses descendants collaborent étroitement avec les grands archéologues. Une grande partie de leur production consiste en la réplique d'objets archéo logiques : métaux, coupes ou fresques reproduits permettent de diffuser les dernières découvertes.
Les Gilliéron contribuent ainsi à développer un nouveau lan gage national visuel. Lors des grandes Expositions universelles ou des premiers Jeux olympiques modernes de 1896 à Athènes, ils inventent les modèles des trophées sportifs remis aux vain queurs, des billets de banques, des timbres ou des diplômes, inspirés des récentes découvertes archéologiques.

Reproduction du masque funéraire dit d'Agamemnon, en or repoussé
1911
Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale

Émile Gilliéron père Villeneuve, 1851 - Athènes, 1924
Reproduction de la fresque du taureau et de l'acrobate du palais de Cnossos
Gouache sur papier, 1905 Original conservé au musée archéologique d'Héraklion, XVIe-XVe siècle av. J.-C.
L'atelier des Gilliéron contribua à faire connaître par ses reproductions les fresques minoennes provenant des sites de l'âge du bronze en Crète. La fresque de l'acrobate sur le taureau découverte en 1901 au palais de Cnossos enflamma l'imagina tion des Européens sur le sujet des rites et des épreuves athlétiques.
Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale, MAN50286

Émile Gilliéron fils Athènes, 1885 - Athènes, 1939
Reproduction de la fresque du singe bleu dans un paysage rocheux, maison des Fresques, Cnossos
Aquarelle et gouache sur papier, 1923-1928
Ce panneau, découvert en 1923 dans le palais de Cnossos, et rapidement peint par Émile Gilliéron fils, fut par la suite sans cesse reconstitué et complété. La part des hypothèses et l'imagination l'emportent quelquefois sur les faits dans les essais de reconstitution.
Athènes, École française d'Athènes

Émile Gilliéron fils Athènes, 1885 - Athènes, 1939
Ange jouant de la trompette avec saint Démétrios
Tempera sur papier Copie de la mosaïque de l'église Saint-Démétrios à Thessalonique
Athènes, Musée byzantin et chrétien

Émile Gilliéron père Villeneuve, 1851 - Athènes, 1924
Saint Nilos
Tempera sur papier collé sur carton Copie d'une fresque provenant du Prôtaton de Karyès, mont Athos
Émile Gilliéron réalise dans les édifices byzantins de nombreuses copies de fresques et de décors muraux qui contribuent à la documentation et à la recherche sur ces édifices.
Athènes, Musée byzantin et chrétien

Émile Gilliéron fils Athènes, 1885 - Athènes, 1939
La Communion des apôtres
Tempera sur papier
Copie d'une fresque provenant de l'église Saint-Démétrios à Thessalonique
Ces copies de fresques de l'église Saint Démétrios à Thessalonique ont été réalisées par Émile Gilliéron fils après l'incendie de l'église en 1917. Elles ont probablement été commandées par Georgios Sôtiriou, directeur du musée byzantin, et acquises pour le musée.
Athènes, Musée byzantin et chrétien

Émile Gilliéron père Villeneuve, 1851 - Athènes, 1924
Huile sur toile, vers 1880-1890
Vue de la façade ouest des propylées de l'Acropole d'Athènes
Athènes, École française d'Athènes

Émile Gilliéron père Villeneuve, 1851 - Athènes, 1924
Delphes, vallée du Pleistos
Aquarelle
Entre 1874 et 1876, Alfred et Émile Gilliéron partent pour un premier voyage en Grèce.
À Delphes, Émile exécute des aqua relles qui montrent le site antique avant les recherches archéologiques menées par Théophile Homolle.
Athènes, École française d'Athènes

Relief dit de "l'Apothéose d'Héraclès"
Moulage de l'état avant 1909 ? Plâtre
Lorsque reprit la fouille systématique de l'Acropole, Émile Gilliéron fut chargé d'exécuter des copies des sculptures po lychromes. Pour le fronton de l'apothéose d'Héraclès découvert en 1887-1888, il avait, dans un premier temps, colorié des photo graphies instantanées avant de reporter la polychromie sur des aquarelles, puis des huiles sur toile.
Paris, musée du Louvre Gypsothèque, Petite Écurie du roi

Benoît Édouard Loviot Paris, 1849 - Paris, 1921
Parthénon : coupe transversale restaurée
Aquarelle, encre de Chine, marouflage sur papier, 1879

Coré de l'Acropole n° 684
Tirage en plâtre, 1882-1884 Euvre originale : Athènes, 500-475 av. J.-C., conservée à Athènes
Paris, musée du Louvre Gypsothèque, Petite Écurie du roi

Benoît Édouard Loviot Paris, 1849 - Paris, 1921
Parthénon: ordre restauré
Aquarelle, encre de Chine, marouflage sur papier, 1879
Paris. Beaux Arts

Benoît Édouard Loviot Paris, 1849 - Paris, 1921
Parthénon : façade principale restaurée
Aquarelle, encre de Chine, marouflage sur papier, 1879
Le Parthénon est un modèle longtemps privilégié par les architectes de l'École des beaux-arts pour leur proposition de resti tution. Benoît Loviot suggère d'accentuer la polychromie du bâtiment. Critiqué pour ses manquements du point de vue archéo logique et historique, on reconnaît néan moins à Benoît Loviot l'aspect vibrant et spectaculaire de ses travaux.
Paris, Beaux-Arts

loannis Kossos Tripoli, 1822 - Athènes, 1873
Psyché
Marbre, 1858
loannis Kossos a été formé à l'École des beaux-Arts d'Athènes, puis à Paris et à Londres, dans la tradition néo-classique allemande. Il réalise des bustes, des statues, des monuments funéraires et des compositions allégoriques. Psyché appartient à cette production inspirée de l'Antiquité. Psyché est présentée sous la forme d'une jeune femme, la tête tirée en arrière voluptueusement, se rendant aux charmes d'Éros. Créée pour être indépen dante, la Psyché a un pendant, Éros.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos


PARIS-ATHÈNE LA FIN DU SIECLE ET L'ART NOUVEAU 1878-1920

Les relations entre Paris et Athènes sont particulièrement riches au tournant des années 1900. L'influence française est portée par l'attractivité de Paris, capitale des avant-gardes artistiques. Auparavant formés à Munich, les artistes grecs sont présents aux différentes Expositions universelles de Paris, espérant se faire ainsi connaître sur la scène artistique européenne. Encore fortement marquée par la tradition académique lors de ces expositions, la sélection des artistes grecs opère une rupture définitive, mais mal perçue en 1919 avec l'exposition du groupe TECHNE.

Le contexte géopolitique explique également ces révolutions culturelles à l'œuvre. Voulant réaliser la « Grande Idée » en rassemblant tous les Grecs en un seul et même territoire, l'État grec se heurte de nouveau durant la guerre des Trente jours de 1897 et les guerres balkaniques de 1912-1913 à l'Empire ottoman. Dans ce contexte d'affirmation de l'orthodoxie face aux Ottomans renaît l'intérêt pour le passé byzantin, un héritage de plus en plus présent dans l'affirmation culturelle de la Grèce. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Grèce pour le premier centenaire de son indépendance tente une synthèse entre ces différentes traditions antique et byzantine et l'ancrage dans la modernité européenne.


Nikolaos Xydias Lixouri, Céphalonie, 1828 - Athènes, 1909.
Le Fils de l'artiste
Huile sur toile, 1870
Formé dans un premier temps en Italie, Nikolaos Xydias poursuit ses études de peinture à Paris. Ses toiles, et notamment ses portraits dans lesquels il se spécialise, sont généralement bien reçues par la critique lors de ses diverses expositions. Il conserve un style très académique, influencé toutefois par le travail de Manet. On retrouve bien l'apport du maître français dans ce portrait du fils de Xydias, représen té dans le costume à fustanelle traditionnel grec.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos,

Georgios Vroutos Athènes, 1843-Athènes, 1909
Le Garçon et le Crabe
Marbre, 1891
Vroutos est un sculpteur qui reçoit une édu cation artistique dans la plus pure tradition du classicisme. Cependant, il s'intéresse aux compositions plus réalistes, conçues pour décorer les jardins publics et privés. Le Garçon et le Crabe combine les influences classiques de l'artiste avec une interprétation réaliste : la composition est raffinée et douce, mais le sculpteur s'attache à représenter les émotions du garçon et les détails de la scène. Il est nommé membre de l'Académie des beaux arts de Paris en 1888.
Athènes, Pinacothèque nationale -
musée Alexandros Soutsos, Inv. 1419

Konstantinos Dimitriadis Assénovgrad (Bulgarie), 1879 - Athènes, 1943
Le Penseur, ou Dilemme
Marbre, 1907
Après avoir étudié la sculpture à l'École des beaux-arts d'Athènes, Konstantinos Dimitriadis poursuit sa formation à Paris, dans l'atelier de Jules Coutan et à l'Acadé mie Julian. Son Penseur est une référence à Rodin, notamment dans la pose et l'aspect inachevé de la base.
Athènes, Pinacothèque nationale

PARIS-ATHENES, LA FIN DU SIÈCLE ET L'ART NOUVEAU 1878-1920
LES ARTISTES GRECS À PARIS

Dans les années 1830-1860, la plupart des artistes grecs, à l'invitation de leur roi d'origine bavaroise Othon I (1833-1862), étaient formés à Munich et complétaient leur formation dans d'autres écoles européennes (Bruxelles, Londres, Paris). Dans la seconde moitié du xix" siècle, Paris s'impose peu à peu comme capitale des arts, lieu de formation académique et de découverte des avant-gardes. Les artistes grecs viennent donc naturellement fréquenter les ateliers parisiens, voire restent à Paris : Théodoros Rallis (1852-1909) est élève de Jean-Léon Gérôme, Maria Kassaveti (1843-1914), élève d'Auguste Rodin, lakovos Rizos (1849-1926), celui d'Alexandre Cabanel, connu sous le nom de Jacques Rizo reste et meurt à Paris.

Konstantinos Parthénis Alexandrie, 1878- Athènes, 1967
La Pente
Huile sur toile, 1908
Pour ses compositions harmonieuses et décoratives, Konstantinos Parthénis est l'un des artistes grecs modernes exposés à Paris. En contact avec la Sécession vien noise lors de ses études de peinture et de musique à Vienne et avec le symbolisme français à Paris, Parthénis donne à ses toiles une intense spiritualité. La douceur des couleurs et de la composition de La Pente témoigne de l'appropriation des avant gardes européennes par l'artiste.
Athènes, Pinacothèque nationale musée Alexandros Soutsos.

Photis Kontoglou Ayvalik (Turquie), 1895 - Athènes, 1965
Laocoon
Huile sur toile, 1938
Au XXe siècle, l'aspiration à retrouver le prestige de l'art byzantin est en parfait accord avec la "grécité" exprimée par la génération des années 1930 qui appelait à introduire l'histoire byzantine dans l'histoire nationale avec un nouveau regard. De nombreux artistes effec tuèrent alors un voyage au mont Athos pour s'imprégner de l'art byzantin. Ce courant atteint son apogée chez Photis Kontoglou qui interprète plus qu'il ne copie les œuvres by zantines. Son Laocoon est tiré du sujet de l'An tiquité dans un style figuratif qui par-delà les références à Giotto et à la peinture byzantine veut revenir à l'art des origines.
Athènes, Galerie municipale

Nikos Lytras Athènes, 1889 - Athènes, 1927
Portrait du jeune
K(onstantinos) Montesantos
Huile sur toile, 1914
Fils du fondateur de l'École académique grecque, Niképhoros Lytras, Nikos Lytras est proche des milieux avant-gardistes parisiens. En présentant cette toile à l'exposition du groupe TECHNE en 1919, il exprime la quête de liberté et la volon té de rupture des artistes grecs modernes. Dans ce portrait, tout est anonyme et rien n'évoque la Grèce. Lytras recherche la couleur pure et la géométrie des formes.
Athènes, Pinacothèque nationale

Dimitrios Galanis Île d'Eubée ou Kymi (Grèce), 1879 -
Athènes, 1966
Chemins visuels
Huile sur toile, 1919
Élève de Niképhoros Lytras à Athènes, et de Fernand Cormon à Paris, Dimitrios Galanis marque bien la rupture des artistes grecs modernes avec l'académisme. À Paris, l'artiste est très proche des peintres modernes ; il expose avec les cubistes et aux Salons des Indépendants auprès de Malévitch ou encore des Delaunay. Il rejoint le groupe TECHNE pour l'exposi tion de 1919 et il y présente cette nature morte aux accents cubistes.
Athènes, Pinacothèque nationale

Constantinos Maléas Constantinople (Istanbul), 1879 -
Athènes, 1928
Paysage du Laurion
Huile sur carton, 1918-1920
Constantinos Maléas est l'un de premiers artistes grecs à ne pas suivre la voie traditionnelle de la formation à Munich. Il se rend à Paris, où il produit d'abord de nombreuses œuvres dans un style post-impressionniste. Les couleurs chaudes de la Grèce le rapprochent peu à peu des fauves mais aussi de Cézanne ou de Gauguin. On distingue dans cette repré sentation du massif du Laurion, au sud de l'Attique, des influences de l'Art nouveau, du fauvisme et des Nabis. À l'exposition du groupe TECHNE, Maléas est jugé par la critique française indécis et déplaît.
Athènes, Pinacothèque nationale

Théodoros Rallis
Constantinople (Istanbul), 1852 - Lausanne, 1909
Le Butin
Huile sur toile, avant 1906
Théodoros Rallis peint cette toile dans le contexte des guerres gréco-turques du début du XXe siècle. Soucieux d'affirmer l'identité orthodoxe grecque face à l'Empire ottoman, il montre une scène de violence dans une église grecque. La scène est peinte avec une maîtrise caractéristique de la peinture académique française influencée par la photographie que Rallis a pu apprendre dans l'atelier de Gérôme.
Athènes, Pinacothèque nationale - musée Alexandros Soutsos, Inv. K712
Mégare (Attique) Début du XXe siècle
Costume de femme composé d'après
l'œuvre de Théodoros Rallis, Le Butin

Théodoros Rallis Constantinople (Istanbul), 1852 - Lausanne, 1909
La Supplication
Huile sur toile, 1905-1909
Athènes, Pinacothèque nationale

lakovos Rizos Athènes, 1849 - Paris, 1926
Sur la terrasse
Huile sur toile, 1897
À l'image de son maître Cabanel, Rizos exprime l'esprit de la Belle Époque qui se développe à Paris autour de 1900. La « Soirée athénienne » est récompensée d'une médaille d'argent à l'Exposition universelle de 1900. Elle traduit la synthèse d'un siècle de relations franco-grecques : ces personnages bourgeois, habillés dans un style parisien, conversent sur la terrasse d'une maison néo-classique devant l'Acropole.
Athènes, Pinacothèque nationale

Georgios lakovidis Île de Lesbos (Grèce), 1853 Athènes, 1932
Orchestre improvisé ou Le Concert des enfants
Huile sur toile, 1900
Cette toile de lakovidis est l'une de ses œuvres les plus audacieuses. Dans un style impressionniste maîtrisé et lumineux, Le Concert des enfants est récompensé d'une médaille d'or à l'Exposition univer selle de 1900 et lui vaudra le surnom de « peintre des enfants ». La même année, lakovidis est nommé premier directeur de la Pinacothèque nationale d'Athènes, tout juste créée.
Athènes, Pinacothèque nationale musée Alexandros Soutsos

Nikolaos Gyzis Île de Tinos (Grèce), 1842 - Munich, 1901
Le Don ou Sur le chemin de pèlerinage
Huile sur toile, 1886
Présenté à l'exposition universelle de 1889, Sur le chemin de pèlerinage est une scène religieuse sentimentaliste qui montre à la fois les leçons d'académisme apprises par l'artiste à Munich, le contact avec le naturalisme de Courbet et l'importance de la spiritualité dans les productions de Gyzis.
Athènes, Pinacothèque nationale

Niképhoros Lytras Île de Tinos (Grèce), 1832 - Athènes, 1904
L'Orpheline
Huile sur toile, 1878
Nicosie, Chypre Fondation AG Leventis

Niképhoros Lytras Île de Tinos (Grèce), 1832 - Athènes, 1904
Le Baiser
Huile sur toile, avant 1878
Présentée à l'exposition universelle de Paris en 1878, cette œuvre de Lytras impressionne le public en raison de la synthèse qu'il réalise entre la tradition grecque et la modernité apprise à Munich. Le sujet, doux et simple, est emprunté aux mœurs nationales grecques tandis que les couleurs délicates rappellent fortement la Grèce.
Niképhoros Lytras et Nikolaos Gyzis, principaux représentants de l'École de Munich, sont les plus remarqués à cette exposition.
Athènes, Pinacothèque nationale

Anonyme Crète
Saint Georges à cheval
Huile sur bois, 1400-1450
L'icône provient de la collection du marquis de Campana, elle entra au Louvre en 1863. Comme de nombreuses icônes byzantines, elle fut envoyée en dépôt, en 1872 au musée du Petit Palais d'Avignon en 1876. Elle regagna le musée en 2002.
Paris, musée du Louvre. département des Peintures.

Normandism de David Hockney au musée de Rouen en juillet 2024

LE MIROIR MAGIQUE David Hockney (1937, Bradford) partage sa vie entre Londres, Los Angeles qu'il a découvert en 1964, et la France où il...