Un titre accrocheur pour cette exposition qui présente surtout des artistes contemporains proches de Gertrude Stein...
En voici la présentation
GERTRUDE STEIN & PABLO PICASSO
L'INVENTION DU LANGAGE
Un écrivain devrait écrire avec ses yeux et un peintre peindre avec ses oreilles.
G. Stein, 1940
Gertrude Stein (1874-1946), première collectionneuse de Pablo Picasso (1881-1973), est une des grandes figures de la littérature d'avant-garde américaine du xx siècle. Le portrait que Picasso réalise en 1906, quelques mois après leur rencontre, scelle aux yeux de la postérité leur alliance amicale et artistique autour du cubisme, entre peinture et écriture. L'histoire de leur amitié est bien connue, grâce notamment au récit de Gertrude Stein dans l'Autobiographie d'Alice Tokias (1933).
<< Paris Moment ». La genèse croisée de leurs œuvres respectives a fondé en grande partie le cubisme dont les ceuvres auront des répercussions majeures durant la seconde moitié du xx siècle sur l'art moderne et contemporain l'expressionnisme abstrait, l'art conceptuel et minimal, les scènes performatives. « American Moment ». La radicalité poétique de Gertrude Stein, qui s'est élaborée à travers un dialogue avec la peinture et surtout avec Picasso, est la pierre angulaire des premières avant-gardes de la culture américaine sur laquelle se fondent les mouvements expérimentaux performatifs et musicaux des années 1950 et 1960, autour de John Cage et de Merce Cunningham, du Living Theater, de Fluxus, du Pop Art, de l'art minimal. Jusqu'à aujourd'hui, Gertrude Stein, qui a ouvertement affirmé son homo- sexualité, fait figure d'icône et irrigue des relectures conceptuelles et queer très actuelles, depuis Warhol jusqu'à Felix Gonzalez-Torres, Ellen Gallagher
ou Glenn Ligon.
Cette exposition est organisée en collaboration avec le musée national Picasso-Paris dans le cadre de la Célébration Picasso 1973-2023, à l'occasion des cinquante ans de la disparition du peintre.
PARIS MOMENTL'Amérique est mon pays et Paris est ma ville.
G. Stein, 1940
Pablo Picasso arrive à Paris en 1902, Gertrude Stein, deux ans plus tard. Le peintre espagnol, s'installe à Montmartre, dans un atelier précaire au Bateau-Lavoir, l'écrivaine américaine dans une petite maison d'artisan, rue de Fleurus à deux pas du musée du Luxembourg. L'un et l'autre sont des étrangers attirés par la métropole artistique et libérale qu'est Paris. La question de leur identité culturelle - espagnole ou américaine - est au cœur de l'œuvre de Stein, dès son arrivée alors qu'elle imagine son grand livre The Making of Americans. Elle est d'abord sous-jacente chez Picasso, pour s'affirmer franchement lorsque l'artiste se placera en exil de l'Espagne franquiste. La position d'extériorité et de liberté de la jeune Américaine, loin de l'atavisme du bon goût de la vieille Europe, mais aussi ses propres recherches sur la langue initiées lors de ses études en psychologie auprès de William James à Harvard, la rendent très réceptive aux explorations les plus radicales en art. Ainsi, elle achète avec son frère Léo la toile qui fait scandale au Salon d'automne de 1905, La Femme au chapeau de Matisse, et rédige Three Lives face au Portrait de Madame Cézanne à l'éventail, quand Picasso entrevoit de nouvelles voies pour sa peinture face aux tableaux de Cézanne et de Matisse accrochés rue de Fleurus.
HENRI MATISSE (1869-1954)
Nature morte aux oranges
Tanger (Maroc), début 1912
Huile sur toile
Musée national Picasso-Paris, collection personnelle Pablo Picasso, donation Picasso en 1978, MP2017-21
GEORGES BRAQUE (1882-1963)
Cinq Bananes et deux poires
Printemps-été 1908
Huile sur toile
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1992
PAUL CÉZANNE
(1839-1906)
Pommes et biscuits
1880
Huile sur toile
Paris, musée de l'Orangerie, collection Walter-Guillaume, achat en 1959, RF 1960-11
Au moment où Cézanne disparaît, en 1906, nombre de jeunes artistes découvrent avec fascination son œuvre, depuis les natures mortes de pommes jusqu'aux dernières séries de la montagne Sainte-Victoire, mais aussi se tableaux de baigneurs ou baigneuses dans un paysage. Pablo Picasso partage cette admiration avec Georges Braque, André Derain, Henri Matisse et Gertrude Stein qui y voit une source essentielle pour son écriture: << Cézanne avait conçu l'idée que dans une composition une chose compte autant qu'une autre et cette idée m'a énormément impressionnée ».
PORTRAITS CUBISTES
Pablo fait des portraits abstraits en peinture. J'essaie de faire des portraits abstraits avec mon médium, les mots.
G. Stein
Préoccupés par la question du réel et de sa représentation, Picasso et Stein partagent la même volonté de ramener l'attention aux choses vues, ancrée dans l'expérience sensible du présent. Les Demoiselles d'Avignon et The Making of Americans marquent le début de leurs recherches autour du registre du portrait qui les a conduits respectivement vers le cubisme et les Word Portraits (<< portraits de mots >>). Chacun développe sa propre écriture; l'une, littéraire, fondée sur « l'insistance >> syntaxique, sonore et lexicale, et l'autre, picturale, sur la simplification et la décomposition des formes. A partir de quelques traits, Stein suggère, par le rythme oral ou visuel de la répétition aux variations infimes, la pulsation de vie de son modèle, tandis qu'avec quelques signes reconnaissables, Picasso restitue, par l'ordonnance des volumes condensés, l'essence de ses figures.
Gertrude Stein accompagne les grandes étapes du cubisme de Picasso, en acquérant des œuvres de chaque période et en construisant, en parallèle, son écriture selon des approches formelles voisines.
PABLO PICASSO
Tête d'homme
Paris, printemps 1909
Gouache sur bois
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP29
PABLO PICASSO
Femme aux mains jointes (étude
pour Les Demoiselles d'Avignon)
Paris, printemps 1907
Huile sur toile
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP16
L'imposant tableau Les Demoiselles d'Avignon (1907, New York, MOMA) et ses innombrables études préparatoires forment un tournant dans l'œuvre de Picasso. Stein acquiert avec son frère un carnet d'études proche de ce travail, le carnet n° 10, ainsi que les grands tableaux qui suivent: Nu à la serviette (1907, coll. part.) et Trois femmes (1908, Saint-Pétersbourg, musée de L'Ermitage). Elle reprend alors la rédaction de The Making of Americans, son roman majeur qui dépeint l'histoire de deux familles sur quatre générations. Tous deux inventent un nouveau langage : les éléments de la composition sont traités de manière épuré, et uniforme par une stylisation géométrique des figures selon un système de courbes et de hachures, pour le peintre, et d'une narration non linéaire fondée sur la répétition, pour la poète.
PABLO PICASSO
Buste (étude pour Les Demoiselles d'Avignon)
Paris, printemps 1907
Huile sur toile
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP17
GEORGES BRAQUE
(1882-1963)
Paysage de Carrières-Saint-Denis
Octobre 1909
Huile sur toile
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle, legs de Mme Marguerite Savary en 1969
PABLO PICASSO
Tête de femme (Fernande)
Paris, automne 1909
Bronze, épreuve pour le marchand Ambroise Vollard
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP243
Cette Tête de femme forme l'aboutissement du travail engagé par Picasso pendant son séjour en Catalogne, à Horta de Ebro en 1909. La recomposition géométrique de la figure, premier jalon de la sculpture cubiste, est initiée par le portrait peint de Fernande, Buste de femme (Art Institut de Chicago) qu'acquièrent Leo et Gertrude à l'automne, avec deux paysages de Horta, Maisons sur la colline (Berlin, Musée Berggruen) et Le Réservoir (New York, MoMA). Au même moment, Stein crée ses Word Portraits << Pablo Picasso » et « Henri Matisse », tous deux publiés en 1912 par Alfred Stieglitz, dans la revue Camera Work avec notamment pour illustration une photographie du plâtre original de cette Tête de femme.
PABLO PICASSO
Paysage aux deux figures
[Paris], automne 1908 Huile sur toile
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP28
Braque et Picasso, dès 1908, construisent leur œuvre cubiste à travers un dialogue étroit, une "cordée».
Durant l'été 1908, alors que le premier séjourne à l'Estaque, le second réalise une série de paysages de La Rue-des-Bois, dans l'Oise. Le Paysage aux deux figures est acquis par Léo et Gertrude Stein à l'automne 1908 avec trois autres paysages, reconstituant ainsi au sein de leur collection des séries cohérentes. Dans ce tableau, s'engage la transformation cubiste de l'espace pictural en volumes géométriques, imbriqués les uns dans les autres. Stein se confronte elle aussi au genre du paysage; dans Tender Buttons, elle consacre la troisième partie de son recueil aux « Rooms > (< espaces >>).
Exiger ressemblance à l'exacte ressemblance l'exacte ressemblance aussi exacte qu'une ressemblance, exactement comme ressemblant, exactement ressemblant, exactement en ressemblance, exactement une ressemblance, exactement et ressemblance. Car ceci est ainsi. Parce que.
G. Stein
Dans les années 1910, Stein et Picasso entreprennent, à partir du registre de la nature morte, un tournant radical. Leurs réflexions sur la relation qui unit les mots ou les images aux choses les mènent à élaborer une écriture expérimentale relativement hermétique. Ils opèrent une déconstruction de la syntaxe, pour la poète, et des volumes et plans pour le peintre, aboutissant à l'éclatement final de la phrase et de la forme. Stein rédige alors Tender Buttons, recueil de poèmes en prose sur la vie quotidienne, mais qui ne nomment rien, suggérant davantage un état par le verbe et l'adverbe. Picasso et Braque explorent les voies du cubisme analytique frôlant l'illisibilité, avant d'intégrer littéralement des objets et matériaux ordinaires dans leurs collages et assemblages du cubisme synthétique.
Si Stein soutient aussi Braque et Gris, elle témoigne d'une admiration sans faille pour Picasso qui est le seul, selon elle à être en relation avec l'objet même. Bien qu'il ne la lise pas, le peintre catalan la considère comme son double littéraire et est respectueux de son travail d'écriture, ce qui lui vaut d'être surnommée « la cubiste des lettres ».
PABLO PICASSO
Verre, journal et dé
Avignon, été 1914
Tableau-relief: éléments de bois et de fer-blanc découpé peints, fil de fer, sur fond de bois peint à l'huile
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP45
Verre et paquet de tabac
Paris, printemps 1914 Huile et perles collées Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP44 sur bois
Verre et paquet ae
Avignon, été 1914 Huile et sable sur bois
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP49
Verre, journal et dé
Avignon, été 1914 Tableau-relief: éléments de bois peints
et sable sur fond de bois peint à l'huile
Musée national Picasso Parts, dation Pablo Picasso en 1979, mp46
JUAN GRIS (1887-1927)
Nature morte au livre
Décembre 1913
Huile sur toile
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle, donation Louise et Michel Leiris en 1984
Gertrude Stein découvre en 1914 la peinture de Juan Gris
à la galerie Kahnweiler. Peintre espagnol, cubiste, il lui semble incarner la relève alors que les œuvres très cotées de Picasso lui sont désormais inaccessibles. Elle acquiert ainsi plusieurs tableaux et l'artiste illustre un de ses ouvrages, A Book Concluding with As a Wife Has a Cow: A Love Story (1926). Dans le Word Portrait qu'elle lui consacre en 1924, « Pictures of Juan Gris »>, elle souligne ses qualités d'équilibre, de clarté, de perfection picturale et lui rend un ultime hommage avec « The Life and Death of Juan Gris »>, au moment de sa disparition prématurée en 1927.
PABLO PICASSO
Homme à la moustache
[Paris], [printemps 1914]
Huile et textile imprimé collé sur toile
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP40
JUAN GRIS
(1887-1927)
La Bouteille d'anis
1914
Huile, collage et crayon graphite sur toile Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía
JUAN GRIS (1887-1927)
Verres, journal et bouteille de vin
1913
Collage, crayon de couleur, gouache et fusain sur papier collé sur carton
Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, prêt à long terme de Telefónica Collection, 1997
PABLO PICASSO
Guitare
Paris, décembre 1912
Carton découpé, papier collé, toile, ficelle et crayon Musée national Picasso-Parts, dation Pablo Picasso en 1979, MP245
Verre
Paris, printemps 1914
Construction: fer-blanc découpé
et peint, clous et bois
Musée national Picasso-Paris,
dation Pablo Picasso en 1979, MP250
Bouteille de Bass, verre et journal
Paris, printemps 1914
Construction: fer-blanc découpé et peint, sable, fil de fer et papier
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP249
Verre et paquet de tabac Paris, 1921
Tôle découpée, pliée, peinte et fil de fer
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP259
Verre et dé
Paris, printemps 1914 Construction: éléments de bois de pin peints
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP252
Violon et bouteille sur une table
Paris, automne 1915
Éléments de bois de sapin, ficelle, clous, avec peinture et traits au fusain
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP253
Détail des tableaux précédents
<< Picasso faisait pour se divertir des tableaux avec du zinc, du fer blanc, du papier collé. De tout ce qu'il a fait en papier, il ne reste qu'un exemplaire qu'il me donna un jour [L'Homme au livre, 1913]. Je l'ai fait encadrer dans une boîte.» Gertrude Stein évoque, en 1938, soit plus de 25 ans après, ces fragiles sculptures qu'elle découvre et observe avant-guerre dans les ateliers de Picasso, boulevard de Clichy et boulevard Raspail. Les rares exemplaires subsistant sont conservés au musée national Picasso, comme les deux exceptionnelles Guitares de 1912, présentées dans cette exposition. Picasso convoque le réel par le jeu, dans ces assemblages, petits bricolages délicats. Il fait écho à l'univers domestique déplié par Stein dans Tender Buttons, où défilent << côtelette, guitare, parapluie, pomme de terre... »>, selon une même esthétique du collage, sans hiérarchie ni centre. Stein et Picasso affirment joyeusement la réalité matérielle de et par leurs œuvres respectives.
PABLO PICASSO
Trois Figures sous un arbre
Paris, hiver 1907-1908
Huile sur toile
Musée national Picasso-Paris, don William McCarthy-Cooper en 1986, MP1986-2
PABLO PICASSO
Grenade, verre et pipe
Paris, 1911
Huile sur toile collée sur carton
Musée national Picasso-Paris,
dation Pablo Picasso en 1979, MP33
GEORGES BRAQUE (1882-1963)
Compotier, bouteille et verre
Sorgues, août-septembre 1912
Huile et sable sur toile
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle, donation Louise et Michel Leiris en 1984
PABLO PICASSO
Guitare
Paris, décembre 1912
Carton découpé, papier collé, toile, ficelle, huile et crayon
Musée national Picasso-Parts, dation Pablo Picasso en 1979, MP244
PABLO PICASSO
Guitare
Paris, printemps 1926
Tableau-relief: cordes, papier journal, serpillière et clous sur toile peinte
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP87
Guitare
Paris, printemps 1926
Tableau-relief toile, bois, corde, clous et pitons sur panneau peint
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP86
Le tableau-relief Guitare est réalisé par Picasso à partir d'objets de rebut une serpillière, une corde, des clous, du papier journal... Il renoue avec le thème cubiste de la guitare dans un assemblage rendu subversif par la pauvreté et la trivialité des matériaux, par la brutalité de l'épure, qui évoquent certaines œuvres dada. L'œuvre est reproduite dans la revue La Révolution surréaliste d'André Breton. C'est toutefois la simplicité fruste etradicale de l'œuvre, génial précèdent de l'esthétique « néo-dada >> d'un Rauschenberg, qui forme le trait d'union avec l'écriture de Gertrude Stein, propre à marquer la création du jeune compositeur américain John Cage.
PABLO PICASSO Homme à la cheminée
Paris, 1916
Huile sur toile
Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979, MP54
Dans cette œuvre de transition, Picasso transpose en peinture le procédé du papier collé par une alternance d'aplats unis et ornés, pointillistes, et par une complexité de découpes qui créent l'illusion d'un relief cubiste. Stein avait dans sa collection deux natures mortes qui annoncent ce style et surtout deux portraits en pied qu'elle appréciait beaucoup : Homme à la guitare (1913, coll. part.) et Femme à la guitare (1913-14, New York, MoMA) qui semblent préfigurer, comme cette peinture, les costumes des managers français et américains, dessinés par Picasso pour le ballet Parade en 1917, véritables incarnations cubistes de la modernité. Stein mettra son écriture au service du théâtre et de L'opéra quelques années plus tard, alors qu'elle écrit de nombreux romans et pièces chorales, où se mêlent saints, personnages réels et imaginaires dans une forme Litanique, presque musicale
AMERICAN MOMENT
Il m'a toujours semblé que c'était un rare privilège que d'être une Américaine, une vraie Américaine, une dont la tradition a mis à peine soixante ans à se créer.
G. Stein
La réception américaine de l'œuvre de Stein a été lente, en dépit de la réputation de son Salon de la rue de Fleurus et de son rôle de marraine de guerre pour les Gl engagés dans la Grande Guerre. La reconnaissance arrive avec l'Autobiographie d'Alice Toklas (1933), qui met en scène son amitié avec le désormais célèbre Picasso, avec aussi, le succès, en 1934, de sa pièce Four Saints in Three Acts, mise en musique par Virgil Thomson, le « Satie américain ». Elle effectue une tournée triomphale de conférences à travers l'Amérique (Lectures in America, 1935). Au même moment, le cubisme est présenté à l'exposition du MoMA de New York, << Cubism and Abstract Art » (1936), comme mouvement fondateur dans la généalogie de l'art moderne américain. Les Demoiselles d'Avignon entrent, l'année suivante, dans les collections. Il faut attendre les années 1950-1960 et l'influence majeure de John Cage et de son cercle sur l'avant-garde new-yorkaise pour que la radicalité formelle et conceptuelle des écrits de Stein soit saisie. Son statut d'écrivaine majeure de la littérature moderniste américaine est progressivement reconnu. En s'appropriant son image et son langage, les artistes américains de la seconde moitié du xxe siècle ont contribué à réactiver son œuvre.
CECIL BEATON
(1904-1980)
Gertrude Stein au premier plan, Alice B. Toklas en costume de tweed à l'arrière-plan, atelier de Cecil Beaton à Londres
Vers 1937
Épreuve gélatino-argentique
CECIL BEATON
(1904-1980)
Gertrude Stein, portant un manteau, au premier plan et sans manteau, en surimpression à l'arrière-plan, atelier de Cecil Beaton à Londres
Vers 1937
CECIL BEATON
(1904-1980)
Gertrude Stein et Alice B. Toklas se faisant face, tirage triple exposition réalisé par Cecil Beaton en superposant des négatifs,
atelier de Cecil Beaton à Londres Vers 1937
Épreuve gélatino-argentique Londres, Cecil Beaton Archive.
JASPER JOHNS (NÉ EN 1930)
Untitled
1984
Fusain sur papier
New York, Whitney Museum of American Art, purchase with funds from the Burroughs Wellcome Purchase Fund, the Equitable Life Assurance Society of the United States Purchase Fund, the Mr and Mrs. Thomas M. Evans Purchase Fund and the Mrs. Percy Uris Purchase Fund, 86.4
JASPER JOHNS (NÉ EN 1930)
Targets
1967-1968
Lithographie, signée et numérotée New York. The Metropolitan Museum of Art. Florence and Joseph Singer Collection, 1969, 69.701.1
JASPER JOHNS (NÉ EN 1930)
Flags
1968
Lithographie, signée et numérotée
New York, The Metropolitan Museum of Art,
Florence and Joseph Singer Collection, 1969, 69.701.2
Compagnon de Rauschenberg dans les années 1950, Jasper Johns, intégré au cercle Cage-Cunningham, développe une approche conceptuelle de l'œuvre d'art, interrogeant sa nature et son fonctionnement. Il construit ainsi une proposition analytique, à partir de la reprise sérielle de formes et de motifs, drapeau américain et cible (Flags et Targets), ou de la description du processus pictural par la désignation verbale des couleurs (Untitled). Faisant écho à une posture steinienne, il met en évidence les phénomènes de perception, du quotidien et de l'identité, en particulier de l'américanité.
ROBERT INDIANA
(1928-2018)
The Mother of Us All
1967
Reproduction photomécanique
New York, The Metropolitan Museum of Art, bequest of William S. Lieberman, 2005, 2007.49.428
ANNE TERESA DE KEERSMAEKER
(NÉE EN 1960)
Rosas danst Rosas
1983
Vidéo, 5' (extrait)
Chorégraphie d'Anne Teresa De Keersmaeker, musique de Thierry De Mey et Peter Vermeersch, film réalisé par Thierry De Mey en 1997 Pantin, médiathèque du Centre national de la danse, fonds association Cinémathèque de la danse.
NAM JUNE PAIK
(1932-2006)
Gertrude Stein
1990
Installation de moniteurs de télévision anciens, techniques mixtes, deux canaux vidéo
The Ekard Collection
Ancien collaborateur du Judson et membre de la nébuleuse Fluxus, Nam June Paik a réalisé la série << Robots», des sculptures vidéo à l'allure anthropomorphe, pour honorer ses héros et héroïnes, dont Gertrude Stein. Reconnaissable à sa longue jupe caractéristique, la poète est représentée par un empilement de moniteurs avec des bras en forme de corne de phonographe Victrola et des seins-disques, clin d'œil à la dimension performative et sonore de ses écrits.
GÉOGRAPHIE ET JEUX
À partir de la fin des années 1950, les artistes de l'avant-garde new-yorkaise qui gravitent à Greenwich Village autour de Cage- Cunningham - notamment depuis leurs études au Black Mountain College - et de la Judson Memorial Church, cherchent à remettre l'art au cœur de la vie et de la société en s'interrogeant sur la capacité du langage visuel à saisir le réel. Ils fondent une esthétique du collage, parfois qualifiée de néo-dada: une hybridation de techniques et de matériaux, objets du quotidien et images de la culture populaire, selon une approche ludique et ironique de la société de consommation et de spectacle américaine. Cette conception de l'art, en opposition à l'expressionnisme abstrait dominant, prend ses sources tant dans les collages et assemblages cubistes de Picasso, les ready-mades de Duchamp et Dada que dans les écrits de Stein. Quatre des ouvrages de la poète ont ainsi été réédités entre 1966 et 1972 par Something Else Press, maison d'édition associée au mouvement Fluxus.
RAY JOHNSON (1927-1995)
Wed Ded Lead
1968/1988/1989/1992/1994
Technique mixte et collage sur papier New York, Ray Johnson Estate
Formé au Black Mountain College, Ray Johnson appartient, dans les années 1950, à l'avant-garde new-yorkaise. Nombre de ses « Moticos », collages d'images, textes, dessins et petits objets, citent et évoquent Stein. Dans Wed Ded Lead, par exemple, il intègre un passage de Four Saints in Three Acts, jouant sur l'homophonie des mots anglais, mariage, mort, diriger/plomb, qu'il mêle à des dessins, des clés et une reproduction du Minotaure de 1933 de Picasso
ROBERT RAUSCHENBERG
(1925-2008)
Front Roll
1964
Technique mixte et collage sur papier cartonné
New York, The Metropolitan Museum of Art, bequest of
William S. Lieberman, 2005, 2007.49.595
Centennial Certificate MMA
1969
Lithographie couleur
New York, The Metropolitan Museum of Art, Florence and Joseph Singer Collection, 1972, 69.630
Étudiant au Black Mountain College, principal collaborateur de Cage-Cunningham et du Judson, Rauschenberg place également parmi les inspirations majeures de son ceuvre plastique protéiforme néo-dada, ses « Combine Paintings », la poésie de Stein. Avec la gravure Centennial Certificate MMA, commandée par le Metropolitan Museum of Art de New York à l'occasion de son centième anniversaire, Rauschenberg livre sa vision de son musée imaginaire à partir des couvres de la collection dont, en bonne place, le portrait emblématique de Stein par Picasso
CERCLES ET MOTS
Quand j'ai dit. Une rose est
une rose est une rose est une rose. Et ensuite fait de cela un anneau j'ai fait de la poésie.
G. Stein
Comme Fluxus, l'art minimal et conceptuel pose la question de la définition de l'art et de ses pratiques, affirmant le primat de l'idée et de l'environnement de l'œuvre plutôt que de sa réalisation. Cela ouvre à une multitude de formes artistiques à partir de modes alternatifs, tels que le langage et le discours, l'action corporelle, le son, les chiffres, la documentation non-artistique ou l'architecture. D'autres, notamment Joseph Kosuth, défendent une vision tautologique et littérale de l'art, à savoir « l'art est la définition de l'art ». Cette acceptation plus restreinte trouve un précédent dans la pensée steinienne incarnée par son célèbre vers << Rose is a rose is rose is rose ». Car, si le rôle de Marcel Duchamp en tant que source de l'art conceptuel est pleinement reconnu, la poésie expérimentale de Stein a également ouvert un champ d'explorations artistiques et poétiques, centrales dans les démarches conceptuelles, notamment autour de la plasticité du langage, la dimension performative, et la matérialité visuelle et sonore des mots. Aussi, les formes et procédés institués par l'écriture épurée, répétitive, sérielle et circulaire de Stein trouvent de nombreuses affinités avec les œuvres minimalistes. Dès 1965, la critique Barbara Rose met en avant, dans un article fondateur, le rôle de Stein dans l'émergence du minimalisme qu'elle qualifie de << ABC Art », en réaction au mouvement romantique et subjectif de l'expressionnisme abstrait.
SOL LEWITT (1928-2007)
Circles
1973
Lithographie
New York, The Metropolitan Museum of Art, gift of Robert Rauschenberg, 1976, 976.661 (14)
L'artiste conceptuel Sol LeWitt aimait à citer Stein: << Les idées ne peuvent être possédées. Elles appartiennent à quiconque les comprend. L'œuvre prend une forme physique et devient un objet. Cet objet peut être acquis. "Une œuvre d'art, disait Gertrude Stein, est soit inestimable, soit sans valeur". » Sa production, qu'il délégue à des exécutants avec de rigoureux protocoles, se caractérise par un langage minimal, une approche sémiologique de formes simples selon des structures modulaires combinées. Son travail présente de nombreuses affinités avec la musique répétitive de Philip Glass et avec la danse post-moderne de Lucinda Childs, avec lesquels il a collaboré en 1979 pour le spectacle Dance.
BRUCE NAUMAN (NÉ EN 1941)
Study for Pleasure, Pain, Life, Death, Love, Hate
1983
Marqueur et encre sur papier
Collection Matthys-Colle, prêt à long terme au S.M.A. K., Gand
Bruce Nauman, lors de ses séjours new-yorkais dans les années 1960, découvre les expérimentations radicales du cercle Cage-Cunningham et du Judson Dance Theater, jalon très probable vers la poétique de Stein. Il élabore une œuvre aux formes hybrides dans laquelle il éprouve la plasticité du langage sous tous ses aspects : la dimension visuelle, à travers ses œuvres néons et ses études préparatoires, ou la dimension sonore et performative dans les vidéos. Celles-ci semblent illustrer la notion steinienne d'insistance : les mots proférés, à force de répétitions et d'homophonies approximatives, mènent à une déstructuration de la parole, le langage devenant un corps vivant, hybride, en perpétuelle mutation
JOSEPH KOSUTH (NÉ EN 1945)
Quoted Clocks #14, #12, #11, #10, #9, #8, #7, #13, #6, #5, #3, #1, #16, #15 (A.R.)
2022
Horloge et vinyle
Paris, galerie Almine Rech, courtesy of the artist and Almine Rech
Détail des figures précédentes
Détail des figures précédentes
MARCEL DUCHAMP
(1887-1968)
Fac-similés des Rotoreliefs nos 1, 3, 6, 8, 10, 12 (1-Corolles, 3-Lanterne chinoise, 6-Escargot, 8-Cerceaux, 10-Cage, 12-Spirale blanche)
2010 (série originale de 1935)
Papier collé sur Plexiglas
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle
Marcel Duchamp a vraisemblablement rencontré Gertrude Stein en 1913, peu de temps avant son départ pour l'Amérique. Partageant un même goût pour les jeux de langage et les objets du quotidien, ils créent l'un et l'autre un trouble autour de l'identité des choses et des êtres. Stein le portraiture vers 1920, dans « Next. Life and Letters of Marcel Duchamp ». Duchamp traduit dans Les années 1930, « Stanzas in Meditation », l'un des textes les plus hermétiques de la poète. Alors qu'est publié en 1922, « Sacred Emily » (1913) avec son célèbre vers «Rose is a rose is a rose is a rose », Duchamp crée son alter ego féminin, Rrose Sélavy. Stein et Duchamp aiment la tautologie et le motif du cercle. La première crée un motif typographique circulaire à partir de son fameux vers sur la rose, quand le second présente au concours Lépine les sculptures hypnotiques des Rotoreliefs.
JAMES LEE BYARS (1932-1997)
Is
1989
Marbre doré
Paris, Fondation Louis Vuitton
The Halo
1985
Cuivre plaqué or
Paris, Fondation Louis Vuitton
<< One Page Book on Gertrude Stein »>, sheet one
1970
Détail de l'ensemble précédent
< One Page Book on Gertrude Stein »>, sheet one
1970
Tapuscrit
New York, The Museum of Modern Art Archives
L'artiste conceptuel James Lee Byars affirmait avec esprit que seuls comptent << Stein, Einstein et Wittgenstein »>. Séjournant régulièrement au Japon pour étudier les liens entre rationalisme occidental et mystique orientale, il organise en 1960 au Yukawa Theoretical Institute, de Kyoto, Thanks for All Thought?, sa première action de groupe : cent étudiants sont placés en cercle et récitent cent vers de Stein (consignés dans le document d'archives du MOMA de New York). Byars recherche à travers sa sculpture minimaliste, où dominent les couleurs or, rouge, noir et blanc et les formes circulaires (The Halo; Is), une perfection plastique, un absolu, entre pensée circulaire orientale et poétique steinienne.
MARTHE WÉRY (1930-2005)
Écritures (Gertrude Stein)
1981
Diptyque, encre sur papier
Charleroi, Musée d'art de la province de Hainaut, collection BPS22
L'artiste belge Marthe Wéry découvre le minimalisme en 1969 à New York, et oriente ses recherches autour des composants matériels de la peinture (support, châssis, cadre, pigments) et de l'écrit. Le diptyque Écritures (Gertrude Stein) est une transcription de Composition as Explanation de Stein (1926) qu'elle recopie à la main et à l'encre dans une forme de calligraphie all-over. Dans ce texte fondamental où la poète explicite son esthétique, Wéry perçoit des échos avec sa propre pratique artistique, une même recherche d'un «< présent continu >> qui permet d'affirmer la matérialité du médium, dans des compositions unifiées par un principe de répétition.
DEBORAH KASS
Let Us Now Praise Famous Women #2
1994-1995
Sérigraphie et acrylique sur toile
Washington D.C., U.S. Department of State Cultural Heritage Collection, courtesy of the Foundation for Art and Preservation in Embassies
« J'ai rencontré Gertrude Stein pour la première fois alors que je visitais, enfant, le Metropolitan Museum of Art avec mon père. C'est là que j'ai été complètement subjuguée par le tableau de Picasso représentant Stein. J'ai été hypnotisée par son image. [...] Pour moi, cette expérience avait un rapport avec l'identification. C'était la première femme peinte à laquelle je pouvais m'identifier. >> Avec Let Us Now Praise Famous Women #2, Deborah Kass Lui rend hommage en détournant l'œuvre de Warhol, Let Us Now Praise Famous Men (Rauschenberg Family) (1962, National Gallery of Art, Washington) selon une perspective féministe. L'unique photographie de la sérigraphie de Warhol est remplacée par plusieurs photographies de Stein, répétées sur une ou sur deux lignes jusqu'au bord de la toile.
GARY HILL (NÉ EN 1951)
She/He (Engender Project)
2022
Sérigraphie couleur
ELLE/IL (ELLE-IL), ELLE/IL (AND), ELLE/IL (IL-ELLE), ELLE/IL (OR), ELLE/IL (XOR) (Engender Project)
2022
Polyptyque de cinq pièces uniques, aquarelle sur papier
THEY-HE, XOR, AND, HE-THEY, OR (Engender Project)
2022
Plastique PVC
Galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris
<< Les influences sont difficiles à déceler [...] Je ne connais pas aussi bien l'oeuvre de Gertrude Stein, hormis certains de ses poèmes, dont, honnêtement, je ne me souviens pas très bien. Et pourtant, je suis presque certain que des aspects de mon travail sont implicitement façonnés par sa pensée par le biais du travail d'artistes/écrivains qui étaient/sont peut-être plus familiers avec ses écrits: George Quasha, Jackson Mac Low, Charles Stein, Franz Kamin ou John Cage, qui, tous, ont été et restent importants pour moi. Plus précisément, la liminarité entre le sens et le non- sens, creant des constructions entre le mot et l'image et la physicalité du corps parlant, peut avoir plus qu'un lien fortuit. » Dans l'ensemble Engender Project, Gary Hill poursuit ses recherches sur la performativité du langage, en particulier dans la construction du genre.
ANDY WARHOL (1928-1987)
Ten Portraits of Jews of
the Twentieth Century
1980
Sérigraphie couleur
Paris, Fondation Louis Vuitton
Acteur incontournable de la contre-culture new-yorkaise depuis les années 1950, Andy Warhol a notamment collaboré avec Cunningham et exposé à la Judson Gallery, où Gertrude Stein est érigée en modèle de l'avant-garde américaine. En 1980, il réalise le portrait peint de Gertrude Stein. À la manière du visage-masque composé par Picasso et en affirmant la dualité de genre du modèle, Warhol transforme Stein en une figure pop, à la fois icône américaine et icône queer. Puis, il l'intègre à son polyptyque Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century aux côtés de celles et ceux qu'il surnomme les Jewish Geniuses («< génies juifs »>). Warhol confère une nouvelle dimension à la postérité de Stein, une identité juive, représentée et valorisée à travers un panthéon intellectuel et artistique du xx siècle.
ELLEN GALLAGHER (NÉE EN 1965)
Dance You Monster
2000
Caoutchouc, papier et émail sur lin Reggio Emilia, Collezione Maramotti
La « distorsion de la forme » dans l'œuvre de Stein fonde le travail de Ellen Gallagher. Le diptyque Dance You Monster appartient aux << Black Paintings », une série de peintures monochromes qui évoquent l'Atlantique noir, cœur de la traite esclavagiste des Noirs et de la colonisation. Leur surface est animée par la répétition de minuscules motifs dérivés du blackface minstrelsy, ces spectacles musicaux américains racistes, et des motifs africains tels que cet appui-tête luba. Les procédures sophistiquées mises en œuvre par l'artiste - collages, réplications, superpositions, matières s'apparentent à l'inventivité formelle littéraire de Stein.
CONCEPTUELLE EXCENTRIQUE
Et l'identité c'est drôle d'être toi-même c'est drôle car tu n'es jamais toi-même pour toi-même sauf quand tu te rappelles toi-même et alors bien sûr tu ne te crois pas toi-même.
G Stein
Ancrée dans sa vie, l'écriture de Gertrude Stein mêle fiction et réalité pour déployer une longue interrogation sur l'identité - mouvante et insaisissable si ce n'est indicible - des choses, des lieux, des êtres. Elle s'intéresse aux individus tant dans leur dimension collective (l'américanité dans The Making of Americans ou les spécificités françaises dans Paris-France) qu'intime (la vie quotidienne, la relation à l'autre, l'amour et l'érotisme, l'homosexualité, le genre, ou encore le rapport de l'écrivain à son œuvre). Jouissant d'une aura incontestable depuis son portrait peint par Picasso, Stein est devenue une véritable icône pop (Andy Warhol) - américaine et juive -, héroïne des historiographies féministes et queer. Si son influence peut se faire parfois plus diffuse, parfaitement assimilée dans les sources de l'art contemporain par le prisme de John Cage (Gary Hill), nombre d'artistes continuent de se confronter à son esthétique, tant de son image que de son langage. Qu'ils s'emparent directement et plastiquement de ses écrits (Glenn Ligon) ou revendiquent clairement la filiation (Hanne Darboven, Felix Gonzalez- Torres, Deborah Kass, Ellen Gallagher), tous attestent de l'actualité de son œuvre et de sa place tutélaire dans l'art américain.
GLENN LIGON Warm Broad Glow II
(NÉ EN 1960)
2011
Néon, peinture et aluminium thermolaqué Londres, Zabludowicz Collection
Study for Negro Sunshine #139, #140, #141, #142, #143, #144, #145, #146, #147, #148
2023
Bâton de peinture à l'huile,
poussière de charbon et gesso Courtesy de l'artiste et de la galerie sur papier
Chantal Crousel, Paris
Dans la nouvelle « Melanctha » de Three Lives (1909), Gertrude Stein utilise une expression stéréotypée raciste << negro sunshine» (« soleil nègre ») pour décrire le sourire des Africains-Américains et, à force de répétitions et de variations, dévie du préjugé raciste en ajoutant de la complexité à son personnage, contredisant ainsi tout projet essentialiste de catégorisation. Dans « Studies for Negro Sunshine » et Warm Broad Glow II, Glenn Ligon s'empare de l'oxymore steinien et, à son tour, Le manipule par un traitement sur la matière plastique - Le charbon noir ou l'éclat fluo du néon La polysémie. et ouvre ainsi la polysémie.
FELIX GONZALEZ-TORRES
(1957-1996)
Additional Material
Related to the works « Untitled » (Alice B. Toklas' and Gertrude Stein's Grave, Paris), 1992 [GF1992-023] and << Untitled » (Alice B. Toklas and Gertrude Stein), 1992/1993 [GF1993-030] and five other Additional Material variations.
1992
C-print contrecollé sur carton
Collection Chantal Crousel
catégories traditionnellement opposées, telles que les sphères privée et publique, l'artiste et le spectateur
Felix Gonzalez-Torres joue sur la perméabilité entre des l'esthétique et le politique. Il construit une oeuvre où l'intime se fait implicitement politique. La photographie * Untitled (Alice B. Toklas' and Gertrude Stein's Grave, Paris) saisit, dans un cadrage resserré, les fleurs sur la pierre tombale de Gertrude Stein et de sa compagne, Alice Toklas, au cimetière du Père-Lachaise. Ainsi uni dans la mort, leur couple devient un symbole politique de la tutte pour les droits des personnes homosexuelles, source dun renouveau de vie, comme le suggère la végétation croissante.